Mme la présidente. La parole est à M. Marcel Deneux.
M. Marcel Deneux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui revêt plusieurs intérêts majeurs pour les semenciers français, mais aussi pour la « ferme France » en général, qui, à défaut de pouvoir augmenter ses surfaces agricoles, s’efforce d’améliorer constamment leurs rendements.
Dans cette optique, la sélection végétale est une activité majeure. En effet, la compétitivité des rendements de notre agriculture dépend, outre des conditions météorologiques, de la sélection des semences et du travail sur leurs propriétés génétiques, qui permet de multiplier les variétés et, surtout, de les adapter pour améliorer leurs qualités – leurs rendements ou leur résistance, notamment –, et ainsi mieux répondre à la demande des marchés.
La France est le premier producteur et le deuxième exportateur mondial de semences, grâce à ses 74 entreprises de sélection de semences, dont certaines sont très anciennes. C’est dire l’enjeu économique du sujet qui nous occupe.
Dans cette filière, les agriculteurs tiennent une place importante, puisqu’ils multiplient ces semences. Toutefois, la recherche joue également un rôle crucial, ce qui implique que les fruits du travail des chercheurs jouissent d’une protection juridique efficace ; d’où l’importance des certificats d’obtention végétale.
Or notre cadre juridique national de certification végétale n’est pas adapté aux cadres international et européen. Et les progrès de la recherche sur les variétés ne seront possibles que s’il existe un cadre juridique adapté pour protéger les chercheurs et les entreprises, notamment grâce à ces COV, qui sont distincts des brevets.
Ces certificats sont régis par la convention internationale de 1961 pour la protection des obtentions végétales, qui garantit la protection, pendant une durée limitée, des droits du créateur d’une nouvelle variété issue du croisement de plusieurs variétés. En d’autres termes, le certificat donne à l’obtenteur le monopole de l’exploitation commerciale des nouvelles variétés, pour une durée de vingt à vingt-cinq ans, selon les espèces.
En 1991, la convention sur les obtentions végétales a été révisée de manière substantielle. La convention ainsi révisée réaffirme tout d’abord la primauté du système de protection de la propriété intellectuelle par les COV sur le système de protection par les brevets, ce qui constitue notre revendication fondamentale. En outre, elle applique le système des certificats à toutes les espèces végétales et étend les droits de l’obtenteur aux différents actes permettant l’exploitation de la semence. Enfin, elle légitime et encadre la pratique des semences de ferme, que la France ne reconnaissait pas jusqu’à aujourd’hui, mais qui est nécessaire au fonctionnement de la filière.
En 1994, l’Union européenne, membre de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales, l’UPOV, a adopté un règlement qui s’applique à titre subsidiaire : les obtenteurs peuvent choisir l’un ou l’autre cadre juridique.
La position de la France est paradoxale : d’un côté, en tant que champion des semences, nous avons développé un cadre juridique adopté maintenant par les soixante-neuf membres de l’UPOV, mais, de l’autre, nous n’avons pas voulu nous adapter aux standards internationaux. En France, les espèces pouvant faire l’objet d’un certificat sont donc limitées ; parmi les espèces non concernées par le COV, on trouve notamment les variétés essentiellement dérivées et les semences de ferme.
Notre assemblée a déjà eu l’occasion de se prononcer sur le sujet en 2006, lors de l’examen du projet de loi relatif aux obtentions végétales et modifiant le code de la propriété intellectuelle et le code rural. Toutefois, le processus est demeuré inachevé. Nous ne pouvons donc que nous féliciter que la question des COV soit remise à l’ordre du jour. Il faut en effet soutenir la recherche variétale et la rémunérer.
Monsieur le ministre, nous comptons sur vous : si vous pouviez user de votre influence, qui est grande (Sourires), afin que le calendrier parlementaire de la période proche permette le bon aboutissement de l’entreprise que nous poursuivons ce soir, vous assureriez la crédibilité de notre démarche et, surtout, rendriez service à la cause que nous défendons.
Enfin, je tiens à féliciter et à remercier de son travail le rapporteur, Rémy Pointereau, qui est parvenu à présenter d’une manière compréhensible par le commun des parlementaires ce texte « serpent de mer » qui porte sur un sujet quelque peu difficile à comprendre pour les non-initiés.
Au regard de l’importance et de l’urgence qu’il y a à traiter ce sujet fondamental pour assurer la compétitivité de notre agriculture, le groupe de l’Union centriste apportera son soutien au texte tel qu’il est issu des travaux de la commission, dans l’espoir que nous aboutissions dans les années qui viennent, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Tout d’abord, monsieur le ministre, je n’ai pas très bien compris pourquoi, tout à l’heure, tel Don Quichotte partant à l’assaut des moulins à vent, vous avez cru bon de convoquer dans notre débat pour mieux les pourfendre les passéistes et les idéologues !
Je vous le dis calmement mais fermement, personne dans cet hémicycle n’est contre la recherche ou contre la propriété intellectuelle.
M. Daniel Raoul. La proposition de loi qui nous est soumise, mes chers collègues, s’inscrit dans la logique du projet de loi relatif aux obtentions végétales et modifiant le code de la propriété intellectuelle et le code rural de 2006.
Comme vous le savez, ce texte est devenu caduc en raison de sa non-transmission à l’Assemblée nationale. Pour autant, même si les dispositions envisagées ne sont pas dénuées de pertinence et même s’il est nécessaire de légiférer à propos du certificat d’obtention végétale, plusieurs éléments pourraient plaider en faveur d’une certaine temporisation en fonction de l’évolution des décisions prises à l’échelon européen.
Pour ma part, c’est à plusieurs titres que je m’exprime sur la présente proposition de loi.
Je le fais en tant que parlementaire bien évidemment soucieux de voir traitée une question qui touche à l’avenir d’un secteur clé de notre économie nationale et dans lequel nous avons un leadership à pérenniser.
Je le fais aussi en qualité de scientifique sensibilisé aux dangers de la brevetabilité du vivant.
Je le fais enfin, et ce n’est pas le moindre des intérêts en cause, en qualité d’élu d’un territoire où sont installées de nombreuses entreprises spécialisées dans l’obtention et la sélection de variétés végétales.
Se trouvent ainsi à Angers l’OCVV, l’Office communautaire des variétés végétales ; la SNES, la Station nationale d’essais de semences – ; le GEVES, le Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences, groupement d’intérêt public français regroupant le ministère de l’agriculture, l’INRA, l’Institut national de la recherche agronomique, et le GNIS, le groupement national interprofessionnel des semences et plants.
Sur ces mêmes terres d’Anjou opèrent des obtenteurs mondialement connus, et tout le Val-de-Loire contribue au développement du secteur. La labellisation du pôle de compétitivité angevin du végétal spécialisé témoigne d’ailleurs d’un dynamisme qui ne s’est pas démenti depuis 2006.
La création variétale et la production de semences et plants sont des secteurs stratégiques pour la France et, sans doute, pour l’Europe, mais aussi pour la planète tout entière, dont il faut assurer l’alimentation.
Comme vous le savez, notre pays est le premier exportateur de semences et plants au niveau européen et le deuxième au niveau mondial.
L’invention d’une nouvelle variété exige en moyenne 100 millions d’euros et dix ans de préparation. Le secteur des semences consacre à des activités de recherche et développement plus de 13 % – on a même dit 14 %, tout à l’heure – de son chiffre d’affaires, qui s’élève à 2,4 milliards d’euros.
Il faut toutefois garder à l’esprit que les entreprises privées qui affectent une partie de leurs recettes à la recherche ont droit à des défiscalisations via le crédit d’impôt recherche, créé par le gouvernement Jospin et étendu en 2008, avec des effets remarquables.
On comprendra donc que je sois convaincu de l’utilité du COV, pour ce qu’il véhicule et par comparaison avec le système du brevet.
L’amélioration des variétés végétales, c’est l’enrichissement du patrimoine, l’amélioration de la qualité et de la sécurité alimentaire et sanitaire, dans le respect de l’environnement.
Le COV constitue une juste reconnaissance de la propriété industrielle sur l’innovation dans le domaine du végétal. Il se distingue du brevet, qui entraînerait, on l’a dit, la mainmise de certaines entreprises sur le patrimoine génétique mondial.
Comme je l’ai plusieurs fois expliqué, il s’agit de favoriser et de dynamiser les processus de création, et non de découverte. À cet égard, je sais gré aux membres de la commission de l’économie, en particulier à son président et à M. le rapporteur, d’avoir accepté de faire disparaître du texte le mot « découverte », évitant ainsi toute confusion entre le COV et le brevet. À défaut, on en serait pratiquement venu à breveter le patrimoine génétique mondial.
Néanmoins, si le contenu de la proposition de loi suscite notre intérêt, voire une certaine approbation de notre part, la séquence actuelle ne semble pas propice, et cela pour plusieurs raisons. C’est donc sur ce dernier aspect que j’insisterai davantage.
Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous preniez l’engagement que ce texte ne finira pas dans les catacombes, entre le Sénat et l’Assemblée nationale, comme cela s’est produit pour le projet de loi qui l’a précédé.
Mme Brigitte Bout. Très bien !
M. Christian Demuynck. Nous sommes d’accord !
M. Daniel Raoul. Comme ce projet de loi, la proposition de loi que nous examinons tendrait donc à conforter l’équilibre entre les droits de l’obtenteur, des sélectionneurs ainsi que des exploitants agricoles. Il s’agit de mettre la France en conformité avec la législation internationale relative à la protection des obtentions végétales, protection dans laquelle elle a été pourtant pionnière.
Mme Brigitte Bout. Absolument !
M. Daniel Raoul. Notre pays, qui a été à l’initiative de la convention UPOV, dispose depuis le 11 juin 1970 d’une législation relative à la protection des obtentions végétales. Cependant, les dispositions françaises n’ont pas été mises en conformité avec les dernières évolutions du droit sur les COV au niveau international et européen. La France a mis quinze ans à ratifier la révision de la convention UPOV de 1991.
Reste que les problématiques des « variétés essentiellement dérivées » et des « semences de ferme » n’ont jusqu’à présent pas été réglées en droit français, comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur.
À ce propos, j’en profite pour dire que je ne suis pas certain que le concept tel qu’il est entendu aujourd’hui de « variétés essentiellement dérivées » ne soit pas à revisiter.
J’ai en effet pu constater dans un laboratoire de l’INRA qu’avec un même génotype on pouvait avoir des phénotypes, c'est-à-dire des expressions des gènes, complètement différents, y compris avec les mêmes conditions pédoclimatiques. Cela m’a troublé… Des approfondissements sont donc nécessaires s’agissant de ce que l’on appelle les variétés essentiellement dérivées ; c’est en tout cas un axe de recherche de l’INRA à l’heure actuelle.
Je ne vais pas refaire l’historique de la convention internationale du 2 décembre 1961, sinon pour relever que l’on célébrera bientôt son cinquantième anniversaire.
Quant à notre législation nationale, si elle est à l’heure actuelle incomplète, elle a, en quelque sorte a contrario, le mérite de donner le champ libre à la négociation interprofessionnelle, comme cela c’est d’ailleurs produit pour le blé tendre.
Vu le cadre normatif international et européen, le nœud du problème est de trouver un accord sur les conditions de rémunération des obtenteurs. Cela permettrait d’autoriser officiellement les semences de ferme, monsieur le rapporteur, et aussi de favoriser l’accès des agriculteurs à des semences libres de droits.
Reste à ce sujet un petit problème que ne règle pas la proposition de loi. Je connais des personnes qui, pour leur loisir, cultivent des variétés anciennes, notamment de légumes, chez qui même l’INRA, qui a une station à proximité, vient « se servir ». Je peux vous indiquer l’endroit : c’est à Savennières, où il ne pousse pas que de la vigne, mes chers collègues. (Sourires.)
Il nous semble qu’il est possible d’appliquer à d’autres espèces que le blé tendre la démarche de l’accord interprofessionnel, à condition bien sûr que le montant de la rémunération ne soit pas trop élevé.
Une partie assez importante des sommes prélevées doit permettre de soutenir la recherche, en faveur de laquelle nous sommes tous : je ne sais pas, monsieur le ministre, où sont les esprits obscurantistes que vous dénonciez…
M. Daniel Raoul. Pas ici, en effet !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Vous n’êtes pas concerné, monsieur Raoul !
M. Daniel Raoul. La recherche publique notamment devrait pouvoir disposer de moyens supérieurs. Un de nos amendements vise donc précisément à « dériver » une partie du produit de la CVO, la cotisation volontaire obligatoire, vers la recherche publique, en particulier vers l’INRA.
M. Gérard Le Cam. Très bien !
M. Daniel Raoul. Soulignons que le 26 juin 2001 a été conclu un accord interprofessionnel pour le financement de la recherche variétale pour tous les utilisateurs de semences de blé tendre.
J’estime qu’avant d’utiliser l’artillerie lourde, en l’occurrence le décret en Conseil d'État, ce modèle pourrait être généralisé : trouver des accords interprofessionnels serait en effet plus simple, plus sain et moins polémique.
Il faudrait donc que nous nous inspirions dans la proposition de loi de cet accord collectif pour la mise en place de dispositifs de rémunération lors de la multiplication d’autres espèces et variétés protégées, car la mise en place par voie de décret d’une rémunération sans l’accord des différents acteurs est difficilement applicable, on le sait bien, sur le terrain.
La même observation vaut d’ailleurs pour l’autoconsommation. J’espère, monsieur le ministre, que vous suivrez l’avis de la commission et des différents défenseurs de ce texte, à commencer par Charles Revet, qui m’a soutenu peut-être même plus que je ne l’aurais souhaité puisque, à un moment, il m’a débordé, je ne dirai pas sur la gauche, mais, pour parler en termes de rugby, sur l’aile ! (Sourires.)
L’autoconsommation est l’un des éléments qui conditionneront notre vote et j’attends avec impatience de connaître le sort qui sera réservé à nos amendements.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Bout. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Brigitte Bout. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en octobre 2005, j’avais attiré l’attention du Gouvernement sur les inquiétudes des obtenteurs, des producteurs et des distributeurs de variétés végétales du Nord-Pas-de-Calais et de nombreuses autres régions.
J’avais insisté sur la nécessité d’inscrire à l’ordre du jour des assemblées parlementaires, non seulement le projet de loi autorisant la ratification de la révision de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales, mais également le projet de loi relatif aux obtentions végétales et modifiant le code de la propriété intellectuelle et le code rural, pour que certaines variétés protégées ne tombent pas dans le domaine public.
En effet, le certificat d’obtention végétale de certaines variétés arrivait à l’époque à échéance, notamment pour le blé tendre Galaxie, pour l’orge Flika, et pour la pomme de terre Monalisa.
J’avais donc pris l’initiative, avec mon collègue Jean Bizet, sénateur de la Manche, d’une proposition de loi dont les dispositions faisaient passer de vingt à vingt-cinq ans la durée de protection des COV pour la plupart des espèces, durée portée de vingt-cinq à trente ans pour certaines espèces comme les arbres, les vignes et les pommes de terre.
D’une part, cet allongement a permis à notre pays de s’aligner sur la réglementation communautaire et de faire disparaître ainsi l’inégalité de traitement qui existait entre les opérateurs bénéficiant d’un COV français et leurs concurrents possédant un COV communautaire, auxquels s’appliquaient déjà les durées de vingt-cinq et trente ans.
D’autre part, cet allongement a eu pour but de pérenniser, au profit de certains obtenteurs nationaux, des sources de revenus légitimes leur permettant de financer des activités de recherche onéreuses afin de mettre au point de nouvelles variétés et de demeurer compétitifs sur un marché extrêmement concurrentiel.
Grâce à cette proposition de loi devenue la loi du 1er mars 2006, les obtenteurs ont pu bénéficier de cinq années supplémentaires de protection des COV.
Sans cette loi, les obtenteurs possédant ces variétés auraient perdu une partie de leurs protections, comme cela a été le cas, en 2005, pour l’INRA avec la variété de vigne Fercal : le montant total de la perte pour la recherche publique s’est élevé à 600 000 euros.
Nous avons donc su réagir dans les temps pour protéger la filière semencière française.
Faut-il rappeler la place qu’occupe la France en matière de sélection végétale ? L’INRA est la deuxième institution mondiale pour les recherches en sciences des plantes. Quant à la profession semencière, peu connue, elle regroupe plus d’une centaine d’établissements de recherche « obtenteur », quelque 300 établissements de recherche, 30 000 agriculteurs multiplicateurs de semences, et près de 2 000 distributeurs.
La sélection végétale est aussi un enjeu en termes d’activité économique, puisque la production s’élève à 800 millions d’euros, dont 180 millions pour les exportations, 7 000 emplois étant concernés au total.
Dans ma région, le Nord-Pas-de-Calais, la filière semencière représente plus de 9 000 hectares de production de semences, avec plus de 500 agriculteurs-multiplicateurs, 11 stations de sélection, 27 entreprises de production et 14 usines de semences. C’est dire l’importance de ce secteur économique.
Comme vous le savez, notre région a contribué au développement de variétés de pommes de terre de grande qualité, notamment la Monalisa, la Charlotte et la ratte du Touquet.
Je voudrais, par ailleurs, souligner qu’à la différence du brevet, que défendent les Anglo-Saxons, le certificat d’obtention végétale concilie protection, sécurité des échanges entre sélectionneurs et incitation à l’innovation.
Le certificat d’obtention végétale, communément appelé COV, permet de financer la recherche et de maintenir la biodiversité. La France a promu ce type de propriété intellectuelle. Le COV lui permet d’être le premier producteur européen et le troisième exportateur mondial de semences et de plants.
Aussi, compte tenu d’un contexte agricole difficile, il est indispensable, d’une part, que les entrepreneurs disposent des outils juridiques nécessaires pour lutter à armes égales sur un marché européen très compétitif, d’autre part, que notre pays puisse développer la recherche, afin de promouvoir des produits de qualité.
La proposition de loi de mon collègue Christian Demuynck, inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée sur l’initiative du groupe UMP, vise à procéder à une actualisation de la législation en matière d’obtention végétale et modifie le code de la propriété intellectuelle.
Cette proposition de loi, dont je suis cosignataire, pose une définition générale de la variété en s’inspirant de celle qui a été établie par la convention UPOV de 1991 et définit les conditions dans lesquelles les variétés peuvent faire l’objet de certificats d’obtention végétale. Elle définit, en outre, l’étendue du droit accordé à l’obtenteur d’une nouvelle variété, notamment à partir de la réglementation communautaire.
De nos jours, les progrès scientifiques et techniques nécessitent de prévoir le champ non couvert par les droits de l’obtenteur, à savoir principalement les actes privés, mais aussi les actes expérimentaux.
La disposition la plus importante de ce texte est celle qui vise à autoriser la pratique des semences de ferme, en conformité avec le droit communautaire.
On corrige ainsi une situation paradoxale : pendant des dizaines d’années, les royalties, rémunérant les nouvelles variétés, n’étaient perçues que sur les semences certifiées, et non sur les semences de ferme autoproduites par les agriculteurs.
Cette proposition de loi vise donc à accroître la liberté des agriculteurs sans mettre en danger la sélection nationale. Elle s’appuie, pour cela, sur l’expérience de l’accord interprofessionnel qui existe depuis 2001 en ce qui concerne le blé tendre, de sorte que plus aucune action en contrefaçon ne puisse être engagée à l’encontre des agriculteurs qui produisent leurs semences de variétés nouvelles.
L’innovation est l’une des clés de la compétitivité de nos filières agricoles, comme du respect de l’environnement, et elle contribue à la biodiversité. C’est pourquoi nous voulons nous attacher à donner à ce secteur de notre économie les moyens de poursuivre sa croissance.
Aussi, pour l’ensemble de ces motifs, et non sans avoir remercié notre rapporteur de la qualité de son travail, je me permets de souhaiter, monsieur le ministre, que cette proposition de loi, qui engage l’avenir de notre filière végétale et un pan de notre recherche, reçoive de votre part un avis favorable afin qu’elle puisse être adoptée par notre assemblée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. La France semble se tenir à l’écart de la brevetabilité du vivant, mais elle évolue dans un environnement européen et mondial plus complaisant aux aspirations des multinationales.
Une première raison de regarder ce texte, c’est donc de voir sur quels intérêts il veille.
Depuis Beaumarchais, la France défend la propriété intellectuelle, dont je rappelle les deux volets en matière de création artistique : le droit moral, qui reconnaît le créateur, et le droit patrimonial, qui engendre rémunération.
En matière d’innovation technologique, le brevet protège l’inventeur et informe en partie le citoyen.
Mais, en matière d’obtention végétale, nous entrons dans la complexité d’une œuvre collective, dont il ne faudrait pas que seul le dernier acteur devienne ayant droit.
Une deuxième raison d’évaluer ce texte, c’est donc de voir s’il prévoit la juste part de revenu, et pas plus, pour l’obtenteur.
Enfin, jamais les droits d’auteur n’ont empêché d’autres peintres de se nourrir des mêmes sources d’inspiration. Et jamais prix Nobel n’a revendiqué qu’après lui plus personne ne se penche sur la résonance magnétique ou la lumière cohérente, à moins de lui verser des royalties.
Le vivant ne saurait être un domaine dans lequel seul le marché ferait la règle. Tel est le troisième critère du débat.
Alors, que vend-on ?
Il a fallu 3,5 milliards d’années d’interactions du vivant pour engendrer la diversité génétique, cette palette de possibilités et d’expressions de caractères. Cela ne saurait être la propriété de quiconque !
Puis, les sociétés paysannes ont identifié, sélectionné, transporté, échangé durant quelques dizaines de milliers d’années.
Ce savoir collectif a contribué à la survie et à faire civilisation.
Convenons-en aussi, ce bien commun naturel et culturel ne saurait être confisqué : il est patrimoine de l’humanité. Le « découvreur » d’une variété ne saurait se l’accaparer !
Mais alors, de quoi parlons-nous ici ? D’un travail « d’obtention », c’est-à-dire d’une mise au point par reproduction d’une variété végétale si sélectionnée qu’elle en devient « distincte, homogène et stable ».
Tout travail mérite rémunération. Tout service vendu mérite rémunération.
Je dis bien le « service » et non la matière, car, nous l’avons démontré, la matière vivante première, fruit de l’évolution et des sociétés, appartient à tous.
Mais quel est le « service » ? Une garantie d’uniformité des graines, l’assurance de plantes conformes à la description.
Cela peut rassurer les cultivateurs soucieux d’orienter leur production vers tel ou tel type de céréales. Cela convient aux distributeurs et publicitaires chargés de promouvoir ces « nouveautés ».
Mais la tendance à la réduction des types de plantes et grains comestibles que nous observons depuis que les firmes semencières sont à l’œuvre et harcèlent le législateur pour gagner des droits ne va pas forcément dans le sens de l’intérêt général.
En effet, la fixité souhaitée des caractères, exigée pour l’inscription, tend davantage vers le clone que vers la biodiversité et mérite mal son appellation de « variété ».
Or l’humanité a besoin de diversité : c’est un facteur d’adaptation au climat, au sol, à l’hygrométrie. Si la nature avait été aussi rigide que le cahier des charges de l’UPOV, eh bien, l’humanité ne serait plus là !
Si vous vendez une invention, un moteur hybride et qu’un utilisateur ou un concurrent la reproduise, il y a acte de spoliation. Mais les firmes semencières ont beau faire, la nature réveille toute seule ses fonctions vitales, et du grain semé sort une plante qui porte des grains que l’on peut ressemer !
Heureusement, en France, un certain sens de l’éthique a garanti les semences fermières.
Ces limites vertueuses à la mainmise de quelques-uns sur le vivant et à la négation du métier de paysan doivent être consolidées, et non fragilisées.
C'est pourquoi je trouve inacceptable que les articles 3 et 14 entravent les autres pratiques, celles des paysans qui échangent régulièrement de petites quantités de semences, renouvelant la variabilité des populations indispensable à l’adaptation aux milieux.
Il est du devoir du législateur de garantir le respect des droits de l’ensemble des acteurs, petits ou grands, ainsi qu’un modèle agricole durable tel que les générations futures pourront disposer de ressources nécessaires à leur alimentation.
En conclusion, les écologistes pensent que nous avons besoin d’une recherche ambitieuse, attentive aux différences des territoires, à l’humus, à l’emploi rural et au climat à venir.
La légitimité de l’obtenteur doit se limiter à la vente d’un service, qu’il ajoute à un bien commun. Pour ce service, et seulement pour ce service, il mérite rémunération.
Le champ de ses prérogatives ne saurait donner la règle pour les autres semences qui sont utilisées et qui circulent.
Les intérêts ici défendus ne sont pas, en l’état du texte, ceux de tous les paysans, ni ceux des générations futures, dont l’alimentation dépendra de la souplesse d’adaptation et de la réelle variété, sans jeu de mots, des céréales, légumes et fruits, ce qui ne figure pas actuellement parmi les priorités des industries semencières ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)