Mme Catherine Troendle. Ah bon ? Où est le libre choix des familles ?
Mme Françoise Cartron. Nous n’avons pas souhaité faire de la scolarisation dès deux ans un droit opposable. Nous réaffirmerons la possibilité de préscolariser les enfants, plus particulièrement ceux qui sont issus des zones sociales défavorisées, rurales ou urbaines, déjà prévue aujourd’hui dans le code de l’éducation.
Néanmoins, cette problématique nous apparaît indissociable d’une réflexion plus générale sur l’accueil de la petite enfance, qui constitue non seulement un facteur déterminant de l’égalité des chances, mais également un instrument au service de l’égalité entre les hommes et les femmes. La mise en place d’un véritable service public de la petite enfance s’impose.
Au cours d’une audition par notre commission, vous avez affirmé, monsieur le ministre, qu’en une période de crise comme celle que nous connaissons actuellement, un devoir d’ambition, une exigence d’éducation s’imposaient à nous. Cette proposition de loi porte une telle ambition, non seulement pour l’école, mais également pour les territoires, dont nous sommes les représentants et qui font notre fierté. Par leurs innovations, leurs politiques volontaristes, ils sont les moteurs du développement économique et notre meilleur rempart contre la crise.
Mais que constatons-nous aujourd’hui, ici au Sénat ? Après les tribunaux, les hôpitaux, les bureaux de poste, l’école est le nouveau souffre-douleur de la RGPP.
L’enseignement primaire, domaine privilégié d’intervention pour prévenir l’échec scolaire, est aujourd’hui sinistré. Combien de postes auront été supprimés à la fin du mandat présidentiel, au nom de la seule logique comptable : 80 000 ? Davantage encore ?
Dans cet exercice de divisions multiples, les territoires ruraux et les villes de banlieue ont payé le prix fort. Oubliée, la charte sur l’organisation des services publics en milieu rural signée en 2006, qui prévoyait que toute fermeture de classes devait être anticipée deux ans à l’avance ; ignorés, les cris d’alerte des maires des villes de banlieue, affolés par la détresse d’une grande partie de leur population ; abandonnés au nom du seul critère de la rentabilité, les enfants cumulant échec social et échec scolaire !
Dans ce contexte, nous avons appris que des maires qui ne veulent pas se résigner à la mort programmée de leur école embauchent et rémunèrent des enseignants, se substituant ainsi à l’éducation nationale défaillante. Ils le savent tous : l’école est un lieu structurant, un lieu vivant dans un village, un quartier ; un lieu irremplaçable d’apprentissage, d’échange, de prévention, de socialisation.
Si la majorité actuelle n’est pas seule responsable des errements de notre système éducatif, force est de constater qu’une grande part de cette responsabilité lui incombe. L’adoption de cette proposition de loi représenterait un sursaut salvateur, et pour vous, monsieur le ministre, peut-être un premier pas vers l’obtention d’un « triple A éducatif » !
M. Roland Courteau. Bien dit !
Mme Françoise Cartron. En conclusion, en défendant cette proposition de loi, je pense en priorité à toutes ces familles qui s’inquiètent, craignant le déclassement et l’exclusion.
Je souhaite m’adresser aux enfants de notre République : c’est pour eux que nous voulons cette loi, eux qui porteront demain nos espoirs, qui défendront nos valeurs et nos convictions, qui parleront demain en notre nom à tous, en Europe et dans le monde !
En plus de vingt ans d’enseignement en zone d’éducation prioritaire, j’ai vu et accompagné tant d’enfants qui, plus tard, sont devenus des adultes accomplis, tant d’élèves qui ont su dépasser certains déterminismes sociaux, culturels ou religieux, pour devenir des professionnels reconnus, des citoyens responsables ! Quel bonheur ! Quelle fierté !
Jamais nous ne nous résoudrons à abandonner les plus fragiles, à sacrifier sur l’autel du réalisme budgétaire ou du cynisme nos ambitions éducatives et sociales.
Mme Catherine Troendle. Nous non plus !
Mme Françoise Cartron. Alors, vous voterez cette proposition de loi !
Mme Catherine Troendle. Non !
Mme Françoise Cartron. Aucun peuple ne peut vivre sans espérer un monde meilleur, sans assurer l’avenir de sa jeunesse. Je citerai, à cet instant, Léon Gambetta : « L’avenir n’est interdit à personne. »
L’égalité des chances n’est pas un vain mot. La démocratie de la réussite est une grande idée : elle est notre but ultime.
La majorité actuelle n’aura, hélas, pas réussi à créer les conditions de la réussite partagée pour tous. Elle aura trop souvent favorisé l’émergence d’un tamis éducatif, qui sélectionne les meilleurs et élimine les moins bons. Elle aura usé et abusé d’une rhétorique, celle de l’excellence, qui cache la multitude des exclus du système.
La préparation de l’avenir de nos enfants ne peut se résumer à une compétition féroce, à un classement permanent. C’est un projet, un parcours personnel à construire, accompagné par des adultes compétents au sein de notre école républicaine.
En 1955, Pierre Mendès-France affirmait que si la République est capable de comprendre la jeunesse, d’épouser son espérance, de la servir dans chacune de ses décisions, alors elle n’a rien à craindre des extrémistes, car elle sera toujours plus forte et plus vivante, portée par sa jeunesse, ardemment défendue, et chaque jour renouvelée par elle.
Mes chers collègues, servons ce soir cette grande ambition pour la France, cette grande ambition pour la génération nouvelle. Je ne vous invite pas à poursuivre des rêves ou des utopies ; non, il s’agit, dès ce soir, d’éclairer l’avenir de nos enfants. Alors, ensemble, rêvons le possible, et adoptons cette proposition de loi ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Sueur. Il eût été dommage d’être privés d’un tel discours !
M. Alain Gournac. Les sauveurs sont parmi nous ! Incroyable ! Pour qui vous prenez-vous ?
M. Roland Courteau. La droite a été ébranlée. Elle reste sans voix !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, les événements graves survenus tout à l’heure dans cet hémicycle, qui témoignent pour le moins d’un sérieux manque de franchise, me forcent à modifier la tonalité de mon intervention.
Depuis la loi Ferry du 28 mars 1882, l’obligation scolaire a été progressivement étendue en aval, de treize à seize ans. Mais, en amont, malgré le développement des écoles maternelles sur l’initiative de Pauline Kergomard, le début de l’instruction obligatoire est resté fixé à six ans.
Avant qu’elle ne soit vidée de sa substance par la manœuvre du Gouvernement, la proposition de loi n° 447 tendait à renverser la logique, afin de préserver l’acquis social majeur que constituent les écoles maternelles.
La même conviction animait le groupe CRC lorsqu’il a déposé une autre proposition de loi, visant à garantir le droit à la scolarisation dès l’âge de deux ans, comme celle du groupe du RDSE.
La conjonction de ces trois propositions de loi, distinctes mais convergentes, témoigne de l’importance que le nouveau Sénat attache aux premiers pas des élèves à l’école.
Au terme de ses travaux, et malgré l’intervention du Gouvernement, la commission de la culture et de l’éducation considère toujours que l’école maternelle peut et doit jouer un rôle clé dans la réduction des inégalités et la lutte contre l’échec scolaire. Ce point fait consensus parmi les parents, les enseignants et les chercheurs. Globalement, à condition de s’assurer de la qualité de l’accueil, une scolarité maternelle longue a des effets protecteurs à long terme sur la suite du cursus, notamment en prévenant les redoublements.
M. Roland Courteau. C’est très vrai !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. L’école maternelle constitue donc un instrument de sécurisation des parcours scolaires. Tous les travaux de recherche, notamment ceux des équipes d’Agnès Florin et de Bruno Suchaut, le démontrent. Le Gouvernement préfère ignorer les faits, comme il repousse le débat.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. L’école maternelle est bien un chaînon essentiel du système éducatif, mais elle est aujourd’hui fragilisée et menacée. Elle le sera encore plus demain, vos intentions, monsieur le ministre, étant transparentes depuis ce soir.
M. Roland Courteau. Dans un an, cela va changer !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. En effet, malgré l’importance fondamentale de l’école maternelle pour le développement des enfants et la facilitation de leur parcours scolaire, le Gouvernement a fait prévaloir une politique de réduction des coûts, qui s’est traduite par un net recul du taux de scolarisation.
Mme Catherine Troendle. Ah bon ? On vient de nous dire que la quasi-totalité des enfants de trois ans sont scolarisés !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. Nous sommes, statistiquement, revenus trente ans en arrière, à la situation qui prévalait avant les années quatre-vingt.
M. Alain Gournac. Mensonges !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. Gardez votre sang-froid, mes chers collègues !
Mme Catherine Troendle. Expliquez-vous !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. Le taux de préscolarisation dès deux ans est le plus affecté. Son recul, à 13,6 % sur le plan national, frappe durement des zones pourtant prioritaires, par exemple le département de la Seine-Saint-Denis.
Cependant, les réductions du nombre de postes dans le premier degré n’ont pas épargné la prise en charge des enfants âgés de trois à cinq ans. Si le taux de scolarisation demeure quasiment inchangé, cela est dû à une augmentation des effectifs par classe, qui a entraîné une dégradation des conditions d’accueil.
Il n’est pas dit que, à ce rythme, les écoles maternelles ne devront pas écarter, dans les années à venir, de plus en plus d’enfants, faute de places disponibles. Cette crainte se confirme après la tentative du Gouvernement de couper court à notre débat.
À cette pression budgétaire s’ajoutent les effets de la réforme de la formation des enseignants. De l’aveu général, monsieur le ministre, la mastérisation est inadaptée, parce qu’elle affaiblit la professionnalisation des futurs enseignants et complique leur entrée dans le métier. Quatre rapports successifs – Filâtre, Marois, Grosperrin et Jolion – convergent sur ce point. Si l’ensemble du système éducatif est concerné, c’est bien à l’école maternelle et parmi les très jeunes enfants que les dommages risquent d’être les plus importants. (M. Vincent Eblé applaudit.)
En outre, il ne faut pas négliger l’impact des attaques symboliques qui ont tendu à dévaloriser l’action des enseignants et à promouvoir des alternatives privées payantes, alors que celles-ci n’ont jamais démontré leur efficacité. Cette remise en cause a été durement ressentie par le corps enseignant. Elle contribue à la dégradation de la condition enseignante, analysée dès 2008 dans le rapport Pochard et illustrée de façon tragique dans l’actualité récente.
Face à ces attaques, la commission de la culture et de l’éducation a estimé qu’avancer à trois ans l’âge de l’instruction obligatoire constituait une mesure de sauvegarde essentielle. Ce devait être la première pierre du chantier de la refondation de l’école maternelle. Il nous aurait ensuite appartenu d’engager une réflexion sur la mission et la fonction de l’école maternelle, à partir de laquelle nous aurions travaillé à la remise à plat de la formation des enseignants.
Là où le code de l’éducation prévoyait la simple possibilité d’un accueil des enfants de moins de six ans, la proposition de loi visait à imposer à l’État de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires à l’accueil et à l’instruction de l’ensemble des enfants âgés de trois à cinq ans.
Sur le plan symbolique, l’intégration de l’école maternelle dans la scolarité obligatoire aurait dû permettre la reconnaissance définitive de son statut d’école à part entière. Elle aurait pu contribuer à affirmer son rôle fondamental, à la racine du système éducatif.
En outre, le passage d’une simple faculté, même si elle était exercée dans les faits, à une obligation aurait constitué un verrou utile : cela aurait contribué à bloquer toute velléité de réduction de la scolarisation en maternelle et aidé à freiner l’érosion des moyens humains et matériels consacrés à l’école maternelle. Monsieur le ministre, vous l’aviez bien compris : c’est pour cette raison que avez méprisé le travail des auteurs de la proposition de loi et celui de la commission de la culture. (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
Après examen, le texte ne présentait pas de difficultés en termes de conformité aux conventions internationales ratifiées par la France, dans la mesure où seule l’instruction obligatoire était visée. La proposition de loi n’imposait pas, malgré son titre équivoque, la scolarisation obligatoire. Elle ne remettait donc aucunement en cause la liberté de l’instruction et le libre choix des familles.
La commission de la culture et de l’éducation souhaitait, et souhaite plus encore aujourd’hui, mettre en garde contre deux effets pervers potentiels.
Premièrement, il faut empêcher que la consolidation de la scolarisation à partir de trois ans ne serve de prétexte à une accélération du recul de la préscolarisation à deux ans. La commission demande, monsieur le ministre, que vous entendiez ce message.
Deuxièmement, il faut stopper la dérive à l’œuvre de l’école maternelle vers l’école élémentaire, à la fois dans les missions, l’organisation et les apprentissages. Cette tentation existe déjà, notamment en grande section. L’intégration de l’école maternelle dans la scolarité obligatoire ne devra, à aucun prix, renforcer un tel mouvement. Ce serait gommer la spécificité de cette école et empêcher son adaptation fine aux besoins d’enfants en pleine transition cognitive et psychoaffective.
Par ailleurs, pour consolider et préciser le texte de la proposition de loi, la commission avait adopté, sur mon initiative, un certain nombre d’amendements, qui ont été validés par la commission des finances ; je tiens à le souligner, car c’est grâce à leur adoption que nous avons encore un texte à discuter ce soir !
Ces amendements visaient trois objectifs.
Il s’agissait, d’abord, de garantir l’homogénéité et la cohérence de l’ensemble des dispositions du code de l’éducation mentionnant l’instruction obligatoire.
Il s’agissait, ensuite, de maintenir l’école maternelle hors du champ de contrôle de l’assiduité scolaire, afin de préserver une certaine souplesse dans l’organisation de la journée pour les enfants de trois ans et surtout, mes chers collègues, d’empêcher l’activation du mécanisme de suspension des allocations familiales prévu par la loi Ciotti du 28 septembre 2010.
Mme Éliane Assassi et M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. Il s’agissait, enfin, d’exiger une formation initiale et continue pour les personnels enseignants, prenant en compte la technicité particulière de leur tâche et les spécificités des enfants accueillis à l’école maternelle.
Le texte, je l’ai dit, a été vidé de sa substance après l’intervention du Gouvernement. La commission de la culture et de l’éducation, qui avait rendu un avis favorable, le déplore très vivement. Elle craint désormais que l’école maternelle ne soit bientôt la victime de graves restrictions budgétaires.
M. Claude Bérit-Débat. Tout à fait !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. Nous en reparlerons bien évidemment lors de l’examen du projet de loi de finances, monsieur le ministre. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le président, madame la présidente de la commission, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord revenir sur les rappels au règlement et les interventions préliminaires à la discussion générale de certains membres de la Haute Assemblée.
Vouloir faire respecter la Constitution ne signifie pas refuser le dialogue. Le Gouvernement n’a jamais eu l’intention d’empêcher le débat. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Roland Courteau. Vous ne manquez pas d’air !
M. Luc Chatel, ministre. En tant que représentant du Gouvernement, j’avais le devoir de faire respecter la Constitution, comme l’a très bien expliqué tout à l’heure M. Hyest. Il n’en demeure pas moins que le dialogue est essentiel, surtout quand il s’agit de l’école. Je pense avoir montré, depuis deux ans et demi que j’exerce les fonctions de ministre de l’éducation nationale, que j’étais prêt à parler de tous les sujets avec tous les parlementaires, quelle que soit leur sensibilité politique.
M. Jean-Marc Todeschini. M. le ministre va botter en touche !
M. Roland Courteau. Il essaie de se rattraper !
M. Luc Chatel, ministre. Dès lors, dialoguons sur le fond, dans le respect de nos institutions.
Madame Cartron, le texte que vous présentez aujourd’hui est la démonstration qu’une idée généreuse ne fait pas forcément une bonne proposition de loi.
Oui, l’école maternelle mérite toute notre attention, parce qu’elle est le lieu où l’enfant s’initie aux apprentissages, où il est incité à l’interaction avec les autres enfants de son âge, où il est éduqué aux exigences fondamentales de la vie en société et au respect de son entourage.
Nous considérons nous aussi, madame Cartron, que la maternelle est une véritable école. En particulier, elle est l’école du langage. Permettez-moi de vous dire que nous ne vous avons pas attendue pour lui accorder toute notre attention…
M. Roland Courteau. Ce n’est pas l’impression que l’on a dans les communes !
M. Luc Chatel, ministre. … et pour travailler à ce qu’elle permette à chaque enfant, madame le rapporteur, de s’engager d’un pas sûr et serein dans sa scolarité.
Puisque vous avez évoqué la question des moyens, madame Cartron, en parlant de « démantèlement », je vous ferai observer que le taux d’encadrement à l’école maternelle est exactement le même aujourd’hui qu’il y a dix ans : on compte, en moyenne, 25,6 enfants par classe. Je souligne en outre que le nombre d’enseignants en maternelle était de 110 000 en 2008, de 111 000 en 2009 et de 112 800 en 2010.
Mme Catherine Troendle. Voilà !
M. Luc Chatel, ministre. Eu égard aux contraintes qui pèsent aujourd’hui sur le budget de l’État, en particulier sur celui de l’éducation nationale, de tels chiffres prouvent l’engagement fort du Gouvernement auprès de notre école maternelle.
Je le redis, l’école maternelle est une véritable école, et non, comme certains voudraient le faire croire, un espace d’accueil.
C’est précisément dans le plus complet respect de cette mission éducative que nous avons voulu la réformer en 2008, en lui fixant de vrais programmes centrés sur l’appropriation de la langue par la nomination, la formulation de questions, le récit, l’appropriation progressive de la syntaxe élémentaire de notre langue, ainsi que sur la découverte de l’écrit par la reconnaissance et l’écriture de la plupart des lettres de notre alphabet, la mise en relation des sons et des lettres, la copie en écriture cursive de mots simples, à commencer par son prénom.
Par le biais de ces programmes, nous avons également voulu aider les enfants à appréhender leur corps et à découvrir le monde par l’adaptation de leurs déplacements à des environnements et à des contraintes variées, la reconnaissance des objets, le repérage des dangers ou l’utilisation des marqueurs de temps.
Ces programmes visent en outre à solliciter l’attention, la concentration, l’imagination des enfants, mais aussi, dès le plus jeune âge, à leur apprendre, par l’écoute, par l’identification du rôle des adultes, à respecter des règles pour être à même de respecter les autres.
Nous avons enfin voulu travailler à instaurer davantage de progressivité entre la grande section et le cours préparatoire. Les spécialistes du langage sont unanimes : tout commence à l’école maternelle, avant l’entrée au cours préparatoire, et l’apprentissage des mots est essentiel pour un bon apprentissage de la lecture.
C’est la raison pour laquelle, madame Cartron, nous avons décidé de créer un dispositif d’aide personnalisée de deux heures par semaine dès la maternelle, afin de remédier aux difficultés scolaires et de porter une attention particulière aux enfants qui rencontrent, dès cet âge, des problèmes.
Pour aider les enseignants dans la mise en œuvre de ces nouveaux programmes de maternelle, j’ai pris la décision, à la rentrée de 2009, de nommer 100 inspecteurs de l’éducation nationale – un par département – sur des postes nouveaux. Là encore, dans un contexte budgétaire contraint, nous avons fait des choix. Ces inspecteurs ont pour missions spécifiques de veiller à promouvoir une qualité particulière d’apprentissage adaptée aux enfants de trois à six ans et de contribuer, en grande section, à la prévention de l’illettrisme dans le cadre du plan que j’ai présenté en mars 2010. En effet, pour être pleinement efficace, pour lutter contre les premières des inégalités, il faut travailler au plus tôt à l’acquisition des fondamentaux de la langue.
On sait très bien que, entre un enfant qui, à l’entrée en cours préparatoire, maîtrise de 150 à 300 mots, parce qu’il vit dans un environnement familial défavorisé, où il est peu sollicité par la conversation familiale, et un autre qui connaît, au même stade, de 800 à 1 200 mots, il existe déjà un fossé qu’il sera quasiment impossible de combler dans la suite des apprentissages. Eh bien l’école de la République, mesdames, messieurs les sénateurs, doit remédier à cette inégalité ! Nous nous y consacrons avec volontarisme et méthode.
Cette action précoce passe par un apprentissage méthodique du vocabulaire, ainsi que par un apprentissage des textes par cœur, pour développer à la fois la concentration et la mémorisation.
C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à ces 100 inspecteurs de l’éducation nationale chargés de la maternelle de concentrer leur action sur la mise en œuvre de ce plan de prévention, afin d’instaurer une véritable égalité des chances partout sur notre territoire.
Dans ces conditions, il est totalement infondé et injuste de prétendre que nous remettrions en cause le rôle spécifique de la maternelle ! Cela ne correspond en effet ni aux convictions qui sont les miennes ni à l’action que mène le Gouvernement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je pense que personne n’est plus conscient que moi que le passage par l’école maternelle est une étape fondamentale dans l’éducation de nos enfants.
Par ailleurs, je suis tout aussi convaincu de la nécessité de disposer d’outils pour vérifier l’efficacité de notre action. C’est en ce sens, afin de garantir un meilleur contrôle sur l’acquisition des fondamentaux par les enfants, que j’ai récemment proposé aux enseignants de maternelle un nouvel outil destiné à les aider à dresser un bilan des forces et des faiblesses de chacun de leurs élèves.
M. Pierre-Yves Collombat. Pour les bilans, vous êtes fort !
M. Luc Chatel, ministre. Non obligatoire, strictement cantonné à la classe, ce dispositif permettra au professeur de repérer les fragilités, les difficultés des élèves qui connaissent des troubles des apprentissages et de les aider dès la grande section.
M. Pierre-Yves Collombat. N’importe quoi ! Repérer, vous savez faire, mais remédier, c’est autre chose ! Vous passez votre temps à évaluer sans que les actes suivent !
M. Luc Chatel, ministre. On ne peut pas à la fois nous reprocher, monsieur le sénateur, que 15 % des enfants quittent l’école primaire sans maîtriser les fondamentaux, notamment la lecture et l’écriture, et s’opposer à ce que nous nous attaquions aux problèmes dès le plus jeune âge, dès la maternelle, au moment où tout se joue ! Tous nos efforts tendent à faire de la maternelle une véritable école !
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. Vous passez les trois quarts du temps à évaluer !
M. Luc Chatel, ministre. Madame Cartron, vous affirmez, dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi –c’est d’ailleurs un point sur lequel je vous rejoins –, que notre école maternelle est un fleuron de notre système éducatif. Certains de vos collègues semblent en douter…
Cette conception de notre école maternelle comme une véritable école constitue bel et bien une spécificité française.
M. Pierre-Yves Collombat. Tu parles !
M. Luc Chatel, ministre. En effet, dans nombre de pays, d’Europe et d’ailleurs, il n’y a pas d’école avant l’âge de cinq ou six ans. Nous devons donc être fiers, mesdames, messieurs les sénateurs, d’apporter les compétences d’enseignants de haut niveau aux apprentissages premiers.
Je crois d’ailleurs que nous devons pleinement reconnaître ces compétences. Je serais, en ce sens, favorable à la création d’une certification attestant des compétences spécifiques que requiert l’enseignement en maternelle, car ce savoir-faire particulier devrait sans doute être davantage reconnu.
En ce qui concerne maintenant l’âge d’entrée à l’école maternelle, qui fait l’objet de cette proposition de loi, vous considérez manifestement que la scolarisation précoce est bénéfique pour chaque enfant.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. Ce n’est pas nous qui le disons !
M. Luc Chatel, ministre. Vous préconisez que les enfants soient scolarisés à deux ans. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. Mais non !
Mme Françoise Cartron. Non ! Ce n’est pas le sujet !
M. Luc Chatel, ministre. J’ai pourtant cru comprendre, en vous écoutant, que c’était bien le sujet !
Mme Françoise Cartron. Non !
M. Luc Chatel, ministre. Je m’étonne que, dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi, il ne soit fait mention d’aucune enquête probante démontrant qu’une scolarisation à deux ans est préférable à une scolarisation à trois ans.
Mme Françoise Cartron. C’est d’une scolarisation à trois ans qu’il est question dans la proposition de loi !
M. Luc Chatel, ministre. En revanche, je note que des études indiquent absolument le contraire, tels le rapport intitulé « L’École, outil de la liberté », que Mme Claire Brisset, Défenseure des enfants, a remis en 2003 ou l’enquête publiée en septembre 2007 par l’INSEE sous le titre « Information et vie quotidienne ». Ainsi, cette enquête signale que 56 % des adultes de la région Nord-Pas-de-Calais sont entrés à l’école avant trois ans, contre 47 % pour la moyenne nationale. Or on constate que c’est dans cette même région que les difficultés de maîtrise de l’écrit à l’âge adulte sont les plus importantes. Je pourrais également faire référence au rapport sur l’accueil des jeunes enfants remis par les sénateurs Papon et Martin en 2008.
Mais j’irai plus loin, en soulignant que des enquêtes comparatives ont été menées sur des groupes d’enfants scolarisés à deux ans et d’autres scolarisés à trois ans. Eh bien elles ont révélé que les avantages que les enfants précocement scolarisés avaient acquis s’estompaient en une année environ. Des enquêtes ont même montré qu’une scolarisation avant trois ans pouvait entraîner des phénomènes de régression en matière d’apprentissages, de processus psychologique, de renforcement des conduites agressives…