M. Alain Gournac. Très bien !
M. Luc Chatel, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous encourage, vous qui êtes des femmes et des hommes de terrain, des élus locaux, à faire un test que je pratique régulièrement. Quand vous vous rendez dans une école maternelle ou dans une école primaire, demandez aux enseignants s’ils sont ou non favorables à la scolarisation à deux ans.
Mme Françoise Cartron. Nous proposons trois ans !
M. Luc Chatel, ministre. Vous verrez que vous obtiendrez des réponses extrêmement diverses !
Soyons clairs : l’école maternelle n’a pas les mêmes missions selon qu’elle accueille les enfants à deux ou à trois ans. Jusqu’à trois ans, mesdames, messieurs les sénateurs, parce que beaucoup d’enfants ne sont pas autonomes avant cet âge, c’est la socialisation qui doit prévaloir, cela de manière non obligatoire.
M. David Assouline. Nous sommes d’accord là-dessus !
M. Luc Chatel, ministre. C’est, du reste, tout le sens de notre action lorsque nous privilégions la scolarisation des enfants relevant de l’éducation prioritaire. Nous favorisons, à cet égard, les enfants issus des zones d’éducation prioritaire ou des zones de revitalisation rurale.
En revanche, à partir de trois ans, on peut parler véritablement de scolarisation.
M. David Assouline. Eh bien voilà !
Une sénatrice du groupe socialiste-EELV. Nous sommes d’accord !
M. Luc Chatel, ministre. En effet, c’est à partir de cet âge que les apprentissages deviennent possibles et qu’il faut engager de manière résolue une action éducative.
Mme Françoise Cartron. Voilà !
M. Luc Chatel, ministre. Vous avez évoqué un « démantèlement » de l’école maternelle.
Je vous réponds que l’accès à l’école maternelle est aujourd’hui un droit, que près de 100 % des enfants de trois ans la fréquentent,…
M. David Assouline. Alors pourquoi avez-vous invoqué l’article 40 ?
M. Luc Chatel, ministre. … et ce, dans la très grande majorité des cas, avec assiduité, sur la totalité du temps scolaire proposé. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. David Assouline. C’est hallucinant !
M. Luc Chatel, ministre. La dernière étude de la direction des études, de l’évaluation et des statistiques, qui a été publiée ce mois-ci, l’a d’ailleurs encore rappelé : si 72 % des enfants de deux ans accueillis à l’école maternelle en 2007 la fréquentaient à mi-temps, ils n’étaient plus que 27 % dans ce cas à trois ans. Vous ne pouvez donc soutenir que mon opposition à votre proposition de loi tient à une question de moyens, comme vous l’avez fait à plusieurs reprises. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Je vous réponds encore que, à la rentrée de 2010, plus de 2,5 millions d’enfants étaient scolarisés en maternelle, les effectifs ayant augmenté de 0,3 % dans l’enseignement public.
M. David Assouline. Alors pourquoi invoquez-vous l’article 40 ?
M. Luc Chatel, ministre. Je vous réponds, enfin, que l’école maternelle est la première des marches scolaires vers la réussite dans l’acquisition des fondamentaux et que je suis extrêmement attentif à l’efficacité de son action.
Je suis personnellement persuadé, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il faudra un jour que le passage par cette école fasse partie de la scolarisation obligatoire. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. David Assouline. Alors il faut voter la proposition de loi !
M. Luc Chatel, ministre. Je suis surpris que vous soyez surpris ! J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet à plusieurs reprises. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Je suis tout autant convaincu qu’il nous faut réfléchir à toutes les implications d’une telle mesure pour les parents, avec lesquels nous devons construire une véritable et effective coéducation entre trois et six ans, ainsi que pour les collectivités locales, car une telle évolution entraînerait une augmentation importante des charges pesant sur les communes, surtout au titre de la scolarisation des enfants de deux ans. Vous le reconnaissez d’ailleurs vous-même, madame Cartron, dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi.
Mme Françoise Cartron. Ce n’est pas le sujet !
M. Luc Chatel, ministre. Cela tient à la construction d’écoles maternelles spécifiques et distinctes des autres niveaux de la scolarité ou à l’abondement du forfait d’internat pour l’enseignement privé. Je rappelle que les communes contribuent tout de même à hauteur de 50 % au fonctionnement des écoles.
On m’explique, à longueur de débats, que l’État se défausse sur le dos des communes. Je suis donc un peu surpris que la chambre représentant les collectivités territoriales discute aujourd’hui une proposition de loi dont l’adoption aurait pour conséquence de transférer de nouvelles charges aux communes ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Luc Chatel, ministre. Allons au bout de votre logique, madame le sénateur : qui dit scolarisation obligatoire dit obligation d’assiduité,…
Mme Françoise Cartron. Non !
M. Luc Chatel, ministre. … comme nous l’avons d’ailleurs réaffirmé récemment au travers de la loi dite « Ciotti » du 28 septembre 2010.
Il faudrait donc assumer de dire aux familles qu’elles ne sont pas les mieux à même de savoir quel rythme est préférable pour leur enfant de trois ans et qu’elles ne sont pas libres de décider, en conscience et en connaissance de cause, de l’emploi de la journée de leur enfant.
Mme Françoise Cartron. Elles le seront !
M. Luc Chatel, ministre. C’est un sujet que nous devons évoquer avec les représentants des familles et des parents d’élèves.
Il faudrait également assumer de contrôler auprès des familles qui, par exemple, ont décidé de ne pas scolariser leur enfant la manière dont elles les éduquent. Je vous laisse le soin d’imaginer les réactions de ces familles devant une telle contrainte !
Pour ma part, mesdames, messieurs les sénateurs, tant que nous n’aurons pas mené cette réflexion concertée avec les familles et les collectivités territoriales, j’aime mieux garantir aux parents de ces jeunes enfants une totale liberté de choix, et donc leur offrir la possibilité de les garder chez eux s’ils estiment que cela est préférable.
C’est aussi cela, la personnalisation : respecter les rythmes de l’enfant en bas âge ; c’est aussi cela, la coéducation : reconnaître le rôle et la compétence des familles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour rendre notre école plus efficace, il faut travailler, en amont, à ce que chaque élève qui rencontre des difficultés trouve une solution personnalisée. Il faut commencer dès la maternelle, où sont posées les bases de tous les savoirs et de tous les apprentissages qui suivront. Conscient de l’extrême importance de l’école maternelle, j’ai engagé une action résolue, avec la réforme de l’enseignement primaire, avec l’aide personnalisée, avec le plan pour le développement de la lecture et la lutte contre l’illettrisme, pour qu’elle soit le premier lieu où l’on remédie aux inégalités.
Si nous voulons aller plus loin, il nous faudra travailler dans un dialogue ouvert et approfondi avec toutes les parties prenantes : on ne saurait décider d’un tel changement au détour de l’examen d’un texte qui ignore cette réalité que 99 % des enfants sont déjà scolarisés à trois ans (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.),…
Mme Françoise Cartron. Enfin, vous le reconnaissez !
M. Luc Chatel, ministre. … qui ne fait qu’esquisser les enjeux, qui ne prend pas la mesure des implications de sa mise en œuvre pour les familles et les collectivités territoriales.
Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous appelle à rejeter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UCR.)
Organisation des travaux
Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, mon intervention se fonde sur l’article 29 de notre règlement.
Nous souhaiterions obtenir des précisions sur l’organisation de nos travaux ; pour l’heure c’est la désorganisation qui règne… (Rires sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Alain Gournac. C’est un vrai cirque !
Mme Catherine Troendle. Hier, la conférence des présidents a décidé que la discussion du présent texte serait suivie de celle d’une proposition de loi relative à l’intercommunalité qui est un texte d’une importance majeure.
M. Jean-Marc Todeschini. C’est vrai !
Mme Catherine Troendle. Dans ces conditions, je souhaiterais savoir, monsieur le président, comment vous envisagez la poursuite de nos travaux.
M. le président. Madame la sénatrice, je suis l’ordre du jour tel qu’il a été fixé. Après avoir achevé l’examen de la proposition de loi visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans, nous reprendrons celui du texte que vous venez d’évoquer.
Mme Catherine Procaccia. Jusqu’à quelle heure ?
Mme Catherine Troendle. Pour la proposition de loi actuellement en débat, il reste une heure de discussion générale, puis nous devrons examiner une motion et plusieurs amendements. Allons-nous donc siéger toute la nuit, jusqu’à demain matin ?
M. le président. Nous pouvons également siéger demain, le matin et l’après-midi…
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Je tiens à rappeler que nos travaux de ce jour ont commencé par l’examen d’une proposition de loi du groupe UMP relative à la protection de l’identité puis par celui d’une proposition de loi du groupe UCR relative au patrimoine monumental de l’État. Nous avons fait en sorte de respecter les créneaux horaires fixés par la conférence des présidents.
Si nous avions pu aborder la discussion de la présente proposition de loi dans des conditions normales, à dix-neuf heures, comme prévu, elle serait maintenant achevée et nous pourrions passer à la proposition de loi de M. Sueur. Les retards et la désorganisation que vous déplorez, madame Troendle, sont du fait du Gouvernement ! (M. le ministre proteste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est toujours la faute du Gouvernement ! (Sourires.)
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans.
Discussion générale (suite)
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais revenir, au nom de mon groupe, sur le coup de force tenté par le Gouvernement tout à l’heure, afin d’éviter tout débat et toute discussion sur la proposition de loi visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans.
Les membres du groupe du RDSE regrettent avant tout la méthode utilisée : invoquer in extremis l’article 40 de la Constitution contre des dispositions d’une proposition de loi inscrite depuis plusieurs semaines à l’ordre du jour du Sénat et ayant été soumise de surcroît à au moins deux reprises à la conférence des présidents n’est pas très sérieux et n’honore pas le Gouvernement.
M. Claude Domeizel. Très bien !
M. Robert Tropeano. Une telle attitude porte atteinte aux prérogatives du Sénat et à celles de ses groupes politiques. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour invoquer l’article 40 de la Constitution ? Comment ne pas y voir une volonté de durcir nos échanges et de remettre en cause la pratique et les usages de la Haute Assemblée ? Le récent changement de majorité sénatoriale, qui était tant attendu, expliquerait-il ce comportement de la part du Gouvernement ?
Même si cette proposition de loi est finalement très largement tronquée suite à l’application de l’article 40 de la Constitution, contrairement aux usages, le débat, quant à lui, ne doit pas l’être ; la discussion doit se poursuivre.
L’école de la République est un vecteur de liberté, par la formation et la transmission du savoir et des connaissances : elle participe ainsi à l’éducation et au développement des citoyens de demain, responsables et libres. Elle doit par ailleurs constituer un vecteur d’égalité. Pour ce faire, elle offre à tous les enfants les mêmes outils éducatifs et leur dispense les mêmes enseignements. Elle permet aux plus défavorisés d’exploiter au mieux leurs capacités et contribue ainsi à la promotion sociale. De moins en moins capable, malheureusement, de supprimer les inégalités sociales, elle ambitionne néanmoins de les atténuer.
Enfin, l’école est un espace de socialisation dans lequel sont promues les valeurs de solidarité et de fraternité. Une de ses missions fondamentales est bien d’enseigner aux jeunes générations le « vivre ensemble » et l’acceptation de l’autre, sans considération d’origine raciale, sociale, religieuse ou économique.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Robert Tropeano. Des études ont prouvé que, pour atteindre au mieux ces objectifs, il est essentiel que les enfants soient scolarisés avant l’âge de six ans. Les travaux du généticien Albert Jacquard ont notamment permis de démontrer l’intérêt d’une scolarisation des très jeunes enfants, la plasticité de leur cerveau assurant une assimilation des connaissances rapide et efficace. Cette première étape est donc bel et bien essentielle en vue d’une scolarité réussie.
Or, depuis l’adoption des lois de Jules Ferry rendant l’école gratuite et l’éducation obligatoire, l’âge de début de l’instruction obligatoire est resté fixé à six ans, comme le précise l’article L. 131-1 du code de l’éducation. Cet article, reprenant les termes de la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989, dite « loi Jospin », permet par ailleurs la scolarisation des enfants dès l’âge de trois ans en école maternelle, lorsque les parents en font la demande. On constate, depuis le début des années quatre-vingt-dix, que la quasi-totalité des enfants de trois à six ans sont scolarisés.
Il est désormais temps d’adapter ce cadre législatif et de mettre le droit en conformité avec la réalité. L’intégration de l’école maternelle dans la scolarité obligatoire permettra la reconnaissance définitive de son statut d’école à part entière. J’avais moi-même déposé, avec certains membres du groupe du RDSE, une proposition de loi visant notamment à rendre l’école obligatoire à partir de l’âge de trois ans : nous nous réjouissons donc que la proposition de loi de nos collègues socialistes portant sur le même thème ait été inscrite à l’ordre du jour du Sénat.
L’école maternelle est fréquemment citée comme l’un des points forts de notre système éducatif. La généralisation progressive de l’accueil des enfants de moins de six ans au cours des dernières décennies a incontestablement contribué aux progrès de celui-ci. Il est unanimement reconnu que l’école maternelle joue un rôle essentiel dans l’amorce des apprentissages, notamment ceux du langage et de la communication, dans la réduction des inégalités et dans la lutte contre l’échec scolaire.
Il est donc urgent de reconnaître par la loi l’importance de cette phase de la scolarité. Pour cela, il faut non seulement rendre l’école obligatoire à partir de l’âge de trois ans, mais aussi bien définir le rôle de l’école maternelle et aborder la question de la formation des maîtres, ainsi que celle des moyens de l’école. Un engagement financier supplémentaire sera nécessaire pour améliorer les conditions matérielles d’accueil. La diminution globale, ces dernières années, des moyens consacrés à l’éducation a pour conséquence une réduction progressive de l’offre en matière d’enseignement maternel, qui aboutira à l’aggravation des inégalités sociales en favorisant le développement de l’offre privée, accessible seulement à quelques-uns.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Robert Tropeano. Je me félicite du travail réalisé par la commission de la culture. Des articles additionnels sont venus réaffirmer le rôle de l’État et vont dans le sens de ce que nous avions préconisé au travers de notre proposition de loi.
Ainsi, l’article 1er A précise utilement que la prise en charge des très jeunes enfants doit être adaptée à leur âge. Pour cela, l’article 1er bis, prévoyant un temps de formation spécifique aux enjeux de la scolarisation des très jeunes enfants pour les enseignants de classes maternelles, rappelle à l’État son rôle en matière de formation continue des enseignants, rôle de plus en plus abandonné, notamment depuis la désastreuse réforme de la mastérisation.
Néanmoins, je ne peux m’empêcher de faire part de ma déception concernant la scolarisation des enfants encore plus jeunes, ceux âgés de deux à trois ans. J’avais proposé, comme d’autres, l’instauration d’un droit à la scolarisation des enfants à partir de deux ans, sur demande des parents. La faculté de scolariser les enfants de cet âge est déjà inscrite dans la loi, au dernier alinéa de l’article L. 113-1 du code de l’éducation. Mais, depuis dix ans, le nombre d’enfants de deux ans scolarisés n’a cessé de baisser.
Cette tendance s’inscrit clairement à contre-courant de l’évolution démographique. Le nombre de demandes de scolarisation ne cesse d’augmenter, notamment du fait du manque de places disponibles dans les autres structures habilitées à recevoir de jeunes enfants. C’est en particulier le cas dans les communes rurales qui n’ont pas les moyens d’ouvrir des crèches municipales. Je suis tout à fait conscient que l’école ne doit pas devenir une garderie. Cependant, je l’ai déjà dit, la preuve a été faite de la meilleure réussite des élèves scolarisés très jeunes.
Sans que l’accueil scolaire puisse résoudre à lui seul l’ensemble des difficultés quotidiennes des familles françaises, l’accès à l’école maternelle dès l’âge de deux ans doit donc obligatoirement être une option proposée, d’autant qu’il est positif pour le développement des enfants. L’école de la République doit les accueillir sans que puissent être opposées aux familles des considérations géographiques, économiques, culturelles ou d’effectifs.
Je regrette donc que l’amendement que nous avions déposé pour garantir ce droit à la scolarisation des enfants de deux à trois ans ait été rejeté, sur le fondement de l’article 40 de la Constitution.
M. le président. Il est temps de conclure, mon cher collègue !
M. Robert Tropeano. N’oublions pas que les disparités importantes en la matière, d’une académie à l’autre, ne relèvent pas uniquement de la prise en compte de considérations financières ou des éléments mentionnés à l’article L. 113-1 du code de l’éducation, mais sont aussi le résultat d’une politique insuffisamment volontariste.
Les arguments financiers sont d’autant moins pertinents que, à plusieurs reprises depuis 2008, la Cour des comptes elle-même a invité à redonner la priorité à l’école maternelle, sachant que le coût annuel de l’accueil d’un enfant dans un établissement tel qu’une crèche est en moyenne trois fois supérieur à celui de l’accueil d’un enfant en école maternelle.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Robert Tropeano. Monsieur le ministre, l’école maternelle doit doter tous les enfants des mêmes outils pour aborder l’apprentissage de la lecture, de l’écriture ou du calcul. C’est la raison pour laquelle nous sommes favorables à l’adoption de cette proposition de loi, qui va dans le bon sens, même si elle ne va pas encore assez loin ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Martin.
M. Pierre Martin. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, élu local depuis plus de quarante ans,…
M. David Assouline. Vous avez droit à la retraite !
M. Pierre Martin. … enseignant de profession, le bon fonctionnement de l’école a toujours été au centre de mes préoccupations. Les travaux réalisés dernièrement en compagnie de ma collègue Monique Papon, consacrés au développement des enfants dès leur plus jeune âge, m’ont permis d’approcher et d’appréhender les réalités actuellement vécues par nos jeunes dans la société.
Une vraie question s’est rapidement posée lors de ces travaux : quand le jeune enfant est-il prêt pour une scolarisation précoce ? À cet instant, je voudrais citer un extrait de l’arrêté du 28 juillet 1882 fondant l’organisation pédagogique de l’école maternelle non obligatoire, gratuite et laïque :
« L’école maternelle n’est pas une école au sens ordinaire du mot : elle forme le passage de la famille à l’école, elle garde la douceur affectueuse et indulgente de la famille, en même temps qu’elle initie au travail et à la régularité de l’école. »
L’école maternelle n’est donc pas une « école » au sens ordinaire du mot, ce qui donne à penser qu’y envoyer ses enfants demeure un droit ouvert à la famille, et non une obligation. Au demeurant, de nombreuses écoles n’acceptent pas les enfants qui ne sont pas encore propres.
En outre, l’absence de contraintes et la souplesse d’accueil répondent bien aujourd’hui à la diversité des situations parentales et professionnelles.
Dans le cadre d’une école obligatoire, au vu des attentes des parents, le régime dérogatoire aurait immédiatement sa place, ce qui priverait de sa portée le principe de l’obligation posé. On en reviendrait alors à la situation actuelle.
Certes, l’État doit intervenir pour assurer la qualité d’instruction nécessaire à l’enfant pour sa progression personnelle, mais il appartient à la famille, me semble-t-il, de décider de ce qui est le mieux pour son enfant.
Mme Françoise Cartron. Tout à fait !
Mme Catherine Troendle. Absolument !
M. Pierre Martin. Cette question du respect du choix des familles doit demeurer centrale.
Mme Françoise Cartron. Eh oui !
M. Pierre Martin. Peut-on se vouloir porteurs d’un idéal de liberté tout en souhaitant imposer par la contrainte la scolarisation à l’âge de trois ans ? Est-il imaginable d’imposer sans concertation, aux communes en particulier, une obligation de scolarisation à trois ans, avec les conséquences qui en découlent ? Comment les collectivités pourraient-elles faire face aux implications budgétaires de l’adoption de ce texte, puisque chacun sait que l’obligation fixe des cadres ?
Certes, aujourd’hui, la scolarisation à trois ans est un usage, mais la rendre obligatoire supposerait davantage de réflexion, d’échanges et de concertation, ainsi qu’une évaluation précise de l’incidence d’une telle mesure.
Au sein du processus d’évolution de l’être, la petite enfance mérite incontestablement une attention particulière. Elle devrait permettre d’organiser et d’assurer, harmonieusement et efficacement, les premières étapes de la scolarisation de l’enfant.
Soyons fiers de notre école maternelle, dont on loue, à juste titre, les qualités et les mérites en France et que l’on nous envie au-delà de nos frontières.
Mme Françoise Cartron. Nous en sommes fiers !
M. Pierre Martin. Laissons-lui son savoir-faire pour préparer de mieux en mieux l’entrée à l’école élémentaire obligatoire.
L’organisation de notre système scolaire doit être affaire de bon sens, puisque ces jeunes enfants ne sont pas tous identiques, ne vivent pas tous dans les mêmes conditions et ne sont pas tous aptes à apprendre et à comprendre les mêmes choses. Malgré cela, ils doivent tous, sans exception, avoir le droit d’apprendre et, un jour, de choisir leur vie librement sans souffrir de ces différences.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Pierre Martin. Notre réflexion doit nous conduire à concevoir au mieux les différentes étapes de la petite enfance, de la naissance à la scolarisation à six ans.
Peut-être pourrions-nous alors nous retrouver sur certains sujets, par exemple la finalité qui doit être assignée à l’école maternelle, les programmes, la formation des enseignants, les améliorations qui pourraient être apportées à notre dispositif. Il me semble qu’une réflexion plus globale pourrait être engagée, et que ce n’est pas la simple obligation de scolarité à trois ans qui favorisera l’épanouissement de l’enfant.
Le sujet mérite d'ailleurs une réflexion approfondie. Un large partenariat, associant le secrétariat d’État à la famille, le ministère de l’éducation nationale, les parents, les enseignants et les élus des collectivités locales, permettrait à mon sens de déboucher sur des conclusions partagées par tous.
À ce jour, la scolarisation en école maternelle s’est accomplie en l’absence de toute obligation légale. Notre groupe estime qu’elle doit continuer à procéder d’un choix des familles. Aussi voterons-nous contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Pignard.
M. Jean-Jacques Pignard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le psychodrame que nous vivons depuis le début de cette soirée s’explique, à mon sens, par une confusion que les propos de Mme le rapporteur n’ont pas totalement dissipée.
À l’origine, la proposition de loi de Mme Cartron visant à instaurer la scolarité obligatoire à trois ans était d’une rigoureuse simplicité : on pouvait être d’accord ou pas, mais ce texte avait au moins le mérite de la clarté.
Mme Françoise Cartron. Merci !
M. Jean-Jacques Pignard. Ensuite, au fil des discussions en commission, sont venues se greffer sur la proposition de loi des dispositions relatives à l’accueil des enfants âgés de deux ans : certes, il n’a pas été dit qu’il s’agissait de le rendre obligatoire, mais certains attendus ont donné à entendre que ce pourrait être le cas. Finalement, on ne sait plus très bien quel est le sujet : l’obligation concerne-t-elle les enfants de trois ans ou ceux de deux ans ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteur. La commission n’a pas retenu la scolarisation obligatoire à deux ans !
M. Jean-Jacques Pignard. Pour la clarté du débat, je m’exprimerai d’abord sur la scolarisation obligatoire à trois ans, avant d’aborder l’accueil des enfants dès deux ans.
Depuis un mois, la nouvelle majorité sénatoriale ne s’est pas privée d’opposer la question préalable à des propositions de loi émanant d’autres travées, sous le prétexte qu’il s’agissait selon elle de textes d’affichage.
Je serais tenté de lui rendre la politesse ce soir en votant la motion tendant au renvoi à la commission, mais celle-ci a peu de chances d’être adoptée. Pourtant, à mon sens, s’il est un texte qui mérite d’être qualifié « d’affichage », c’est bien la proposition de loi qui nous est soumise !
Rendre obligatoire ce qui est déjà inscrit dans les faits, dans les mœurs, dans les esprits, relève non pas, comme on essaie de nous le faire croire, de la grande tradition républicaine des lois sur l’école,…
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Jean-Jacques Pignard. … mais tout simplement d’une stratégie électorale, à quelques mois d’échéances décisives. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Les grandes lois républicaines sur l’école ont changé la face de notre pays. Quand Jules Ferry introduisit l’obligation scolaire, les écoles communales existaient depuis cinquante déjà, depuis la loi Guizot, mais les parents n’y envoyaient pas leurs enfants, parce qu’ils préféraient les garder aux champs ou à l’atelier.
Aujourd’hui, les écoles maternelles existent depuis des décennies, mais 99 % des parents y envoient leurs enfants sans y être contraints.
Inscrire une obligation dans la loi parce que c’est une nécessité, comme à l’époque de Jules Ferry, n’est pas la même chose que le faire quand cela se borne à entériner la pratique.