Sommaire
Présidence de M. Thierry Foucaud
Secrétaires :
MM. Marc Daunis, Hubert Falco.
2. Dépôt d'un rapport de la Cour des comptes
3. Retrait de l'ordre du jour de questions orales
4. Contrôle des armes. – Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission, modifié
Discussion générale : MM. Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales ; Antoine Lefèvre, rapporteur de la commission des lois.
MM. le président, Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois.
MM. Jean-Pierre Plancade, Joël Guerriau, Alain Richard, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Ladislas Poniatowski, Christophe Béchu, Jean-Jacques Mirassou.
M. le ministre.
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de M. Jean-Jacques Mirassou. – M. Jean-Jacques Mirassou.
Amendement n° 5 de M. Ladislas Poniatowski. – M. Ladislas Poniatowski.
MM. le rapporteur, le ministre, Jean-Jacques Mirassou. – Rectification de l’amendement n° 1 ; adoption de l’amendement no 1 rectifié, l’amendement no 5 devenant sans objet.
Amendement n° 9 rectifié de M. Bruno Gilles. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. le rapporteur, le ministre. – Retrait.
Amendement n° 10 rectifié bis de M. Bruno Gilles. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. le rapporteur, le ministre. – Retrait.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 11 rectifié de M. Bruno Gilles. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Amendement n° 49 de la commission. – M. le rapporteur.
M. le ministre. – Rejet de l’amendement n° 11 rectifié ; adoption de l’amendement n° 49.
Amendement n° 12 rectifié de M. Bruno Gilles. – Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 50 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 59 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Amendement n° 54 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Amendement n° 73 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Amendement n° 60 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Amendement n° 55 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Amendement n° 58 rectifié de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Amendement n° 36 du Gouvernement. – M. le ministre.
Amendements identiques nos 2 de M. Jean-Jacques Mirassou et 6 de M. Ladislas Poniatowski. – MM. Jean-Jacques Mirassou, Ladislas Poniatowski. – Retrait des deux amendements.
Adoption de l’amendement n° 36.
Amendement n° 56 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Article 4 (suppression maintenue)
Amendement n° 52 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Amendement n° 53 de la commission. – M. le rapporteur.
Amendements identiques nos 3 de M. Jean-Jacques Mirassou et 7 de M. Ladislas Poniatowski. – MM. Jean-Jacques Mirassou, Ladislas Poniatowski. – Retrait de l’amendement n° 7.
MM. le ministre, le rapporteur. – Rectification de l’amendement n° 53 ; adoption des amendements nos 53 rectifié et 3.
Adoption de l'article modifié.
Articles 6 et 7 (suppressions maintenues)
Amendement n° 57 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption de l'amendement rédigeant l'article.
Amendement n° 37 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Amendement n° 30 de M. Gérard César. – Devenu sans objet.
Amendement n° 62 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 38 rectifié du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Adoption.
Amendement n° 63 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 64 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 39 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Adoption.
Amendement n° 65 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 40 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Adoption.
Amendement n° 66 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 67 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 41 du Gouvernement. – M. le ministre.
Amendement n° 68 de la commission. – M. le rapporteur.
M. le ministre. – Adoption de l'amendement n° 41 rédigeant l'article, l’amendement n° 68 devenant sans objet.
Amendement n° 42 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Adoption.
Amendement n° 69 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 35 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Amendement n° 70 de la commission. – Devenu sans objet.
Articles 21 bis et 22. – Adoption
Amendement n° 43 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Articles 23 bis (nouveau) et 24. – Adoption
Article additionnel après l’article 24
Amendement n° 72 rectifié de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 46 rectifié du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Adoption de l'amendement rédigeant l'article.
Amendement n° 44 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 45 du Gouvernement. – M. le ministre.
Amendement n° 71 de la commission. – M. le rapporteur. – Retrait.
Adoption de l'amendement n° 45 rétablissant l'article.
Amendements identiques nos 4 de M. Jean-Jacques Mirassou et 8 de M. Ladislas Poniatowski et sous-amendements identiques nos 47 et 74 du Gouvernement. – MM. Jean-Jacques Mirassou, Ladislas Poniatowski, le ministre, le rapporteur, Mme Odette Herviaux. – Adoption des deux sous-amendements et des deux amendements modifiés.
Adoption de l'article modifié.
Articles 32 bis, 32 ter (nouveau), 33 et 34. – Adoption
Amendement n° 61 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 51 rectifié de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 48 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jean-Pierre Plancade, Jean-Jacques Mirassou, Ladislas Poniatowski, Mme Odette Herviaux, M. le ministre.
Adoption de la proposition de loi.
5. Communication d’un avis sur un projet de nomination
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
6. Droit de vote et d’éligibilité des étrangers. – Discussion d'une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission
Discussion générale : MM. François Fillon, Premier ministre ; Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois ; Mme Esther Benbassa, rapporteure de la commission des lois.
MM. Bruno Retailleau, François Zocchetto, Mme Éliane Assassi, MM. Jacques Mézard, François Rebsamen, Christophe Béchu, Jean-Yves Leconte, Roger Karoutchi, Jean-Vincent Placé, Mme Frédérique Espagnac, M. Roger Madec.
M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
Clôture de la discussion générale.
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin
Mme la rapporteure, M. le ministre.
Motion no 1 de M. Jean-Jacques Hyest. – MM. Jean-Jacques Hyest, Jean-Pierre Sueur, le ministre, Philippe Dallier, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Pierre-Yves Collombat, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Yves Leconte. – Rejet par scrutin public.
Motion no 2 de M. Patrice Gélard. – MM. Patrice Gélard, David Assouline, Mme la rapporteure, M. le ministre, Mme Catherine Troendle, MM. Jean-Pierre Michel, Yves Pozzo di Borgo. – Rejet par scrutin public.
Demande de renvoi à la commission
Motion no 3 de M. Hugues Portelli. – M. Hugues Portelli, Mmes Michelle Meunier, la rapporteure, M. le ministre. – Rejet par scrutin public.
MM. Christophe Béchu, le président.
Suspension et reprise de la séance
8. Décision du Conseil constitutionnel
9. Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi et d'une proposition de loi
10. Communication du Conseil constitutionnel
11. Modification de l'ordre du jour
12. Droit de vote et d'éligibilité des étrangers. – Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission, modifié
MM. Louis Nègre, Abdourahamane Soilihi, Mme Bariza Khiari, Mlle Sophie Joissains, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Pierre-Yves Collombat, Claude Léonard, Pierre Charon, Jean-Claude Carle, Philippe Bas, Mmes Marie-Thérèse Bruguière, Catherine Procaccia, MM. André Reichardt, Jacques Legendre.
Amendement n° 4 de Mme Catherine Troendle. – Mmes Catherine Troendle, Esther Benbassa, rapporteure de la commission des lois ; M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. – Rejet par scrutin public.
Amendements identiques nos 10 de la commission et 7 de M. François Rebsamen. – Mme la rapporteure, MM. François Rebsamen, le ministre. – Retrait de l’amendement n° 7 ; adoption de l’amendement n° 10.
Adoption de l'article modifié.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Reichardt, Claude Léonard.
Amendement n° 5 de M. François-Noël Buffet. – M. François-Noël Buffet, Mme la rapporteure, M. le ministre. – Rejet.
Amendements identiques nos 11 de la commission et 8 de M. François Rebsamen. – Mme la rapporteure, MM. François Rebsamen, le ministre, Jean-Jacques Hyest. – Retrait de l’amendement n° 8 ; adoption de l’amendement n° 11.
Adoption de l'article modifié.
Mmes Catherine Tasca, Nicole Borvo Cohen-Seat.
Adoption, par scrutin public, de la proposition de loi constitutionnelle.
13. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Thierry Foucaud
vice-président
Secrétaires :
M. Marc Daunis,
M. Hubert Falco.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt d'un rapport de la Cour des comptes
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, le rapport particulier de la Cour des comptes relatif aux comptes et à la gestion de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité, la LADOM.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Ce rapport a été transmis à la commission des finances et à la commission des affaires sociales.
Il est disponible au bureau de la distribution.
3
Retrait de l'ordre du jour de questions orales
M. le président. J’informe le Sénat que les questions orales n° 1413 de M. Christian Favier et n° 1427 de M. Philippe Darniche sont retirées de l’ordre du jour de la séance du 13 décembre 2011, et que la question n° 1458 de M. Jean Pierre Demerliat est retirée de l’ordre du jour de la séance du 20 décembre 2011, à la demande de leurs auteurs.
Acte est donné de cette communication.
4
Contrôle des armes
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission, modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif (proposition n° 255 [2010-2011], texte de la commission n° 150, rapport n° 149).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration, chargé des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, cher Antoine Lefèvre, mesdames, messieurs les sénateurs, lors de son discours devant les principaux acteurs de la sécurité, de la chaîne pénale et de l’éducation nationale, le 28 mai 2009, le Président de la République avait demandé que soit engagée une réflexion « sur les moyens d’améliorer la réglementation du commerce d’armes » afin, notamment, de « mettre fin à la banalisation du port d’armes dans la rue ».
Ce renforcement de notre réglementation, plusieurs drames récents sont venus nous en rappeler l’ardente nécessité. À trois reprises à Marseille, la semaine dernière, des criminels ont ouvert le feu. Le bilan est lourd : trois malfaiteurs tués, un autre blessé et un policier entre la vie et la mort.
Face à cette situation, nous devons tout faire pour empêcher que des armes, souvent même des armes de guerre, ne se retrouvent entre des mains mal intentionnées, celles des trafiquants et des délinquants.
L’enjeu est trop grave pour faire l’objet d’un traitement partisan, et les auteurs de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui l’ont bien saisi.
Déposée par les députés Claude Bodin, Bruno Le Roux et Jean-Luc Warsmann, ce texte est une synthèse équilibrée et juridiquement solide du débat mené avec l’ensemble des acteurs incontournables sur le sujet : les détenteurs légitimes d’armes à feux, tout d’abord – chasseurs, tireurs sportifs, collectionneurs ou armuriers –, réunis dans le comité Guillaume Tell avec lequel le ministère de l’intérieur entretient un dialogue régulier et fructueux ; la mission d’information parlementaire sur les violences par armes à feu et l’état de la législation, ensuite, dont le rapport agrégeant les points de vue des ministères de l’intérieur et de la défense, du Conseil d’État, des professionnels du secteur et des usagers d’armes à feu a été adopté en juin 2009, à l’unanimité des membres de la commission des lois de l’Assemblée nationale ; votre commission des lois, enfin, qui a abordé ce texte dans un esprit de consensus et de dépassement des clivages. Elle a fait un travail admirable dont je veux saluer ici la qualité.
Grâce à tous ces efforts combinés, nous examinons aujourd’hui un texte équilibré répondant à une double exigence : exigence de simplification du droit, d’abord, car la loi, pour être connue et appliquée par tous, doit être claire et compréhensible pour tous ; exigence de sécurité publique, ensuite, en renforçant les moyens juridiques de lutte contre le trafic d’armes.
Ce texte répond d’abord à l’impératif de simplification de notre législation sur les armes.
Comme votre rapporteur, je ne peux que constater l’inadaptation de la législation en vigueur aux enjeux actuels. Héritière du décret-loi du 18 avril 1939, notre législation sur les armes n’a pris en compte ni les évolutions technologiques ni les évolutions sociologiques de la délinquance survenues depuis lors.
Déjà texte de circonstance pris à la veille de la Seconde Guerre mondiale dans une optique de défense nationale, le décret-loi de 1939 a subi plusieurs modifications, elles aussi circonstancielles, à la suite de faits divers ayant impliqué des armes à feu. Le résultat est une réglementation complexe, manquant d’une vision d’ensemble, maîtrisée seulement par quelques spécialistes et qui complique inutilement la tâche des policiers, des gendarmes, des agents des préfectures mais aussi des utilisateurs légaux.
En plus d’être complexe, la législation actuelle manque son but : elle n’est pas suffisamment sévère à l’encontre des délinquants et des trafiquants.
Le texte que nous examinons aujourd’hui prévoit une nouvelle classification des armes, plus simple et plus accessible, qui permet aussi de mettre notre droit en conformité avec nos obligations européennes en la matière.
Le Gouvernement ne peut que saluer cette simplification, gage d’une meilleure appropriation de la législation par les différents acteurs, d’une meilleure sécurité juridique et d’un renforcement de l’effectivité des contrôles.
Au lieu des huit catégories actuelles, il y aura donc, désormais, quatre grandes catégories d’armes : les armes de la catégorie A, composée notamment des armes de guerre ; les armes soumises à autorisation ; les armes soumises à déclaration ; les autres armes soumises à enregistrement ou dont la détention est libre.
Les armes seront par ailleurs classées en fonction de leur dangerosité réelle, et non exclusivement en fonction du critère suranné du « calibre de guerre ». Toutefois, les calibres de guerre les plus dangereux resteront interdits à l’acquisition et à la détention.
Le Gouvernement ne peut que saluer cette simplification, gage d’une meilleure appropriation de la législation par les différents acteurs, d’une meilleure sécurité juridique et d’un renforcement de l’effectivité des contrôles.
De nouvelles dispositions sont également prévues pour les collectionneurs, qui pourront ainsi accéder librement à de nouvelles armes et à de nouveaux matériels de guerre, en raison du relèvement à 1900 pour les armes et à 1946 pour les matériels des millésimes définissant le caractère d’armes ou de matériel de collection.
Au-delà de la simplification du droit, le texte que nous examinons aujourd’hui vise à renforcer les moyens juridiques de lutte contre le trafic d’armes.
Il s’agit, comme je le rappelais en introduction, d’un enjeu majeur de sécurité publique. La multiplication des trafics accroît en effet les dangers, non seulement parce qu’elle augmente le nombre d’armes en circulation dans notre pays, mais surtout parce qu’elle met à portée de délinquants de plus en plus jeunes des armes de plus en plus dangereuses comme la kalachnikov, arme de guerre connue pour sa fiabilité.
Ne rien faire, c’est laisser la porte ouverte aux règlements de compte, dont l’actualité nous montre qu’ils concernent trop fréquemment des délinquants à peine adultes. C’est aussi faire courir des risques importants à nos forces de sécurité. Permettez-moi, à cet égard, d’avoir ici une pensée particulière pour le policier touché la semaine dernière, à Vitrolles. Ne rien faire, c’est enfin mettre en danger nos concitoyens en les exposant aux balles perdues. Je vous rappelle que, la semaine dernière, à Saint-Ouen, un passant a été blessé dans une fusillade.
Le Gouvernement est pleinement conscient de ces dangers. La lutte contre les trafics d’armes fait partie des priorités que Claude Guéant, ministre de l’intérieur, a fixées à l’action des services. La mobilisation de ces derniers, coordonnée par l’Office central de lutte contre le crime organisé, porte ses fruits : en 2010, 2 719 armes ont été saisies, contre 1 487 pour l’année 2009, soit une augmentation de plus de 82 %. Du 1er janvier au 24 novembre 2011, on compte déjà plus de 3 335 armes saisies.
Parallèlement à cette mobilisation opérationnelle, le Gouvernement a pris trois mesures d’ordre réglementaire pour renforcer le contrôle de la circulation des armes dans notre pays.
Première mesure : les armureries sont maintenant mieux contrôlées. Par un décret du 10 juillet 2010, un régime d’autorisation administrative d’ouverture a été mis en place pour les armureries. Désormais, le préfet est en droit de s’opposer à l’ouverture d’une armurerie s’il estime que celle-ci pose un problème de sécurité publique.
Un décret du 9 novembre 2011 soumet également les armuriers à une procédure d’agrément individuel. Armurier n’est pas une profession ordinaire : il est donc normal que l’État se donne les moyens d’exercer un vrai contrôle, à la fois d’honorabilité et de compétence professionnelle des intéressés.
Deuxième mesure : nous disposons désormais, avec le fichier AGRIPPA, ou « application de gestion du répertoire informatisé des propriétaires et possesseurs d’armes », d’un outil efficace et moderne de traçabilité des armes en circulation. Ce fichier, qui existe depuis quatre ans, recense à ce stade 3,5 millions de détenteurs d’armes.
Cet outil permet d’ores et déjà de tracer les armes soumises à autorisation, à déclaration et, depuis le 1er décembre 2011, à enregistrement pour les armes de chasse acquises à compter de cette date.
Depuis l’adoption de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, le 25 janvier dernier, la base AGRIPPA s’est modernisée pour remédier aux imperfections signalées dans le rapport de la mission d’information parlementaire.
Tout d’abord, jusqu’à très récemment, seuls les agents des préfectures bénéficiaient d’un accès direct à cette application informatique. Les forces de sécurité, si elles avaient besoin d’un renseignement, devaient donc saisir les préfectures, avec les délais que cette procédure induit. Le rapport de la mission parlementaire avait à juste titre soulevé cette anomalie. Aussi, sur l’initiative de Claude Guéant, l’ensemble des unités de police et de gendarmerie dispose désormais d’un accès direct à AGRIPPA.
Ces chantiers se poursuivront. Ils nous permettront de disposer d’un outil moderne, fiable et efficace pour lutter contre la circulation incontrôlée des armes.
Troisième mesure : nous disposons désormais d’un fichier national des interdits d’acquisition et de détention d’armes, le FINIADA, créé par le décret du 5 avril 2011.
Notre objectif est simple. Nous voulons que des personnes présentant un danger pour autrui ne puissent plus acquérir une arme. D’ores et déjà, 18 000 personnes font l’objet d’une interdiction de détention d’armes. Ce nouveau fichier a pour objet de faire respecter plus efficacement cette interdiction.
Aujourd’hui pleinement opérationnelle, cette base nationale répertorie les personnes frappées d’interdiction d’acquisition et de détention d’armes à la suite d’une décision du préfet territorialement compétent. La gestion de ces dossiers est dévolue aux services des armes des préfectures.
Parce qu’il permet de renforcer l’information des services préfectoraux, des services de police et de gendarmerie, des services des douanes, des armuriers, de la Fédération nationale des chasseurs, la FNC, et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, quant aux personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes, ce fichier permet d’éviter qu’une arme ne soit vendue ou qu’un permis de chasse ne soit délivré à une personne jugée inapte à détenir une arme.
J’ai proposé d’étendre ce fichier aux interdits judiciaires, en particulier à ceux qui auront été condamnés à une peine complémentaire d’interdiction d’acquisition et de détention d’armes. Ces peines vont se développer puisque nous avons prévu qu’elles deviennent automatiques pour un certain nombre de crimes ou de délits commis avec une arme.
Ainsi, la base de données couvrira progressivement toutes les personnes qui, en raison de leur comportement, présentent une menace pour la sécurité publique si elles sont mises en possession d’une arme.
Votre proposition de loi vient enfin renforcer de manière décisive les moyens de lutter contre le trafic d’armes. Outre la simplification de la classification des armes que j’ai déjà mentionnée, qui facilitera le contrôle de l’application de la législation sur les armes, je citerai quatre mesures très positives.
Première mesure : le régime des saisies administratives est renforcé.
Il s’agit de permettre aux préfets, sans attendre une décision judiciaire, de procéder d’initiative à la saisie d’armes, lorsque le comportement de leur propriétaire fait courir un danger grave pour lui-même ou pour autrui, ou lorsqu’il existe un risque de trouble à l’ordre public. La proposition de loi permettra que les deux modes de saisie administrative prévus par le code de la défense soient désormais applicables à toutes les catégories d’armes. C’est une avancée, et je m’en félicite.
Deuxième mesure : l’acquisition et la détention d’une arme deviendront impossibles à une personne qui a été condamnée pour une infraction dénotant un comportement violent, incompatible avec la possession d’une arme à feu.
Très concrètement, une vérification du bulletin n° 2 du casier judiciaire permettra de s’assurer, au moment de la vente, qu’une personne souhaitant acquérir une arme n’a pas fait l’objet par le passé d’une condamnation pour des infractions volontaires particulièrement graves, telles que vol, extorsion, atteinte à la vie, ou à l’intégrité physique ou psychique de la personne.
La nouvelle rédaction proposée par votre rapporteur ne laisse plus subsister aucune ambiguïté quant aux infractions concernées, clairement définies par référence au code pénal.
Troisième mesure : sont instaurées des peines complémentaires obligatoires, telles que l’interdiction de port d’arme à destination des auteurs de violences volontaires condamnés définitivement.
Ce texte complète le dispositif pénal en instaurant des peines complémentaires, dites automatiques, pour un certain nombre de crimes ou de délits commis avec une arme. Il nous paraît important que ce dispositif concerne les infractions les plus graves. Des ajustements seront proposés au cours de la discussion afin de concentrer cette mesure sur les auteurs de crimes et délits les plus dangereux pour notre société, qui ne doivent plus être en situation de posséder une arme.
Les principes de proportionnalité et de personnalisation de la peine seront néanmoins pleinement respectés puisque le tribunal pourra ne pas faire application de cette peine complémentaire automatique, voire ne pas opter pour la durée maximale prévue par le texte. J’approuve ce dispositif confirmé par votre commission des lois.
Quatrième mesure : les sanctions pénales prises à l’encontre des trafiquants seront durcies.
La procédure applicable à la criminalité organisée pourra être appliquée aux infractions à la législation sur la fabrication et le commerce des armes. Cette disposition permettra, par exemple, d’utiliser des techniques d’enquête propres aux affaires de criminalité organisée.
Par ailleurs, les peines applicables seront revues à la hausse. Ainsi, la cession d’une arme soumise à autorisation sans que la procédure ait été respectée fera encourir une amende de 45 000 euros, contre 3 750 euros aujourd’hui. L’absence de déclaration exigée d’une arme sera aussi sanctionnée plus sévèrement. Ces dispositions vont dans le bon sens.
Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutient très largement cette initiative parlementaire et salue l’équilibre du texte qui vous est soumis, fondé sur un esprit de responsabilité et de sécurité publique.
Je me félicite des échanges très constructifs qui ont présidé à la préparation de ce texte. Je remercie également la commission de la tâche accomplie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les quelques réflexions que je souhaitais partager avec vous sur ce travail parlementaire de très grande qualité, qui a suscité un large consensus, tant à l’Assemblée nationale le 25 janvier dernier qu’au sein de votre commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi relative à l’établissement d’un contrôle des armes à feu moderne, simplifié et préventif, déposée à l’Assemblée nationale le 30 juillet 2010 par MM. Claude Bodin, Bruno Le Roux, Jean-Luc Warsmann, ainsi que la proposition de loi de MM. Courtois et Poniatowski et la proposition de loi de M. César, déposées respectivement les 23 mars et 5 juillet 2011.
Le texte issu de l'Assemblée nationale résulte des travaux menés par une mission d’information sur les violences par armes à feu et l’état de la législation, présidée par M. Le Roux, dont le rapporteur était M. Bodin.
Le tableau des armes à feu en France dressé par ce rapport n’est certes pas des plus inquiétants. La mission a ainsi estimé que, dans les quartiers dits « sensibles », les armes à feu n’enregistrent pas une augmentation notable, bien qu’elles soient peut-être davantage mutualisées qu’avant. Il est encore trop tôt pour dire si les faits récents survenus à Marseille doivent conduire à remettre totalement en cause ce constat.
En outre, les principaux détenteurs légaux d’armes à feu que sont les chasseurs et les tireurs sportifs font preuve, selon les auteurs du rapport, d’un esprit de responsabilité, et leurs activités sont bien encadrées par les fédérations auxquelles ils adhèrent.
En revanche, la mission d’information a jugé assez sévèrement les dispositions législatives et réglementaires actuelles ; elle a pointé un manque d’intelligibilité flagrant et des difficultés d’application croissantes pour les services de police, les brigades de gendarmerie et les préfectures.
Cette situation est due au caractère stratifié des dispositions relatives à la classification, à l’acquisition et à la détention des armes, qui résultent essentiellement d’un décret-loi du 18 avril 1939 et constituent encore aujourd’hui l’essentiel de la réglementation applicable aux armes à feu.
En outre, le décret du 6 mai 1995 classe les armes en fonction tantôt de leur nature, telles les armes blanches, tantôt de leur destination, comme les armes de guerre ou les armes de chasse. Du fait du choix de ces critères, qui ne sont pas strictement corrélés à un degré de dangerosité, une même catégorie pourra comprendre des armes soumises à plusieurs régimes juridiques différents.
Ainsi, la première catégorie comprend des armes de guerre en principe interdites, mais dont certaines peuvent être détenues par les tireurs sportifs sous un régime d’autorisation. De même, les matériels de guerre des catégories 2 et 3, qui sont interdits, peuvent être collectionnés sous certaines conditions. Enfin, les armes des catégories 5 – armes de chasse – et 7 – armes de tir et de foire – sont tantôt soumises au régime de déclaration, tantôt en détention libre.
Les critères de classement retenus par le pouvoir réglementaire pour placer chaque type d’arme dans tel ou tel régime juridique de chaque catégorie sont multiples. Il peut s’agir de données concrètes et mesurables, comme le calibre, la longueur totale, la longueur du canon, mais aussi de données plus abstraites, telles que la convertibilité en arme de poing ou la dangerosité.
La grande précision dans l’énumération des matériels, qui découle de la volonté de prendre en compte tous les modèles possibles, aboutit à un classement des plus complexes. En outre, le classement ne peut échapper à une multiplication des sous-catégories et des dérogations.
Forts de ce constat, les auteurs de la présente proposition de loi ont souhaité, en premier lieu, simplifier la classification des armes à feu. Ils proposent ainsi de créer quatre catégories – A, B, C, D – au lieu des huit existantes, comme vous venez de le rappeler, monsieur le ministre.
Alors que le classement actuel se fonde sur les caractéristiques techniques des armes, le nouveau classement reposerait directement sur une gradation des régimes juridiques auxquels elles sont soumises : interdiction, autorisation, déclaration, enregistrement ou liberté.
L’Assemblée nationale a toutefois intégré un amendement du Gouvernement divisant à nouveau la catégorie A en deux sous-catégories : d’une part, la catégorie A1 pour les armes de guerre, d’autre part, la catégorie A2 pour les matériels de guerre. La rédaction proposée par le Gouvernement prévoit également que des armes qui ne sont pas des armes de guerre mais qui présentent une même dangerosité pourront figurer dans la catégorie Al.
À l’article 3 de la proposition de loi, chaque nouvelle catégorie se voit assigner un régime juridique spécifique : l’interdiction pour les catégories A1 et A2, sauf exception, l’autorisation pour la catégorie B, la déclaration pour la catégorie C et la liberté pour la catégorie D. Certaines armes de cette dernière catégorie pourront toutefois être soumises à des formalités légères, telles qu’un enregistrement, afin d’en assurer la traçabilité. Par ailleurs, l’acquisition des armes soumises à autorisation ou à déclaration supposera l’absence d’inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire de certaines condamnations dont la commission des lois a précisé la liste afin de la rendre plus pertinente.
Nous aurons à examiner un amendement déposé par M. Mirassou et plusieurs de ses collègues tendant à redéfinir le contenu des catégories A1 et A2. Les armes de la catégorie A1 deviendraient totalement interdites, toutes les armes sous régime d’autorisation étant placées dans la catégorie B. Sous réserve de quelques modifications, la commission a donné un avis favorable à cet amendement, dont l’adoption permettrait de simplifier encore le dispositif en le rapprochant de celui de la directive de 1991.
Quoi qu’il en soit, comme auparavant, le classement des armes dans les nouvelles catégories relèvera du pouvoir réglementaire. L’administration ne pourra donc faire l’économie d’un toilettage complet de l’inventaire actuel. Selon l’article 1er, les armes devront être classées en fonction de leur dangerosité, elle-même appréciée selon des critères précisés par le texte. À cet égard, je pense que nous avons remédié à certaines inquiétudes en précisant que le calibre n’est pris en compte qu’à titre subsidiaire.
En deuxième lieu, la proposition de loi comporte des dispositions favorables aux collectionneurs d’armes.
Ainsi, l’article 2 élargit la définition des armes de collection : il avance à 1900 la date avant laquelle, sauf dangerosité particulière, les armes sont considérées comme telles ; en outre, il inclut les matériels de guerre neutralisés antérieurs à 1946 dans la liste des pièces de collection.
L’article 8 ouvre aux collectionneurs la possibilité d’obtenir une « carte » leur permettant d’accéder à des armes de catégorie C.
Mes chers collègues, je vous proposerai, au nom de la commission, de définir un nouvel équilibre, établi après une large concertation avec les associations de collectionneurs et le ministère de l’intérieur : un élargissement du champ des armes de collection et, en contrepartie, un encadrement du statut du collectionneur.
Sur le premier point, je vous soumettrai deux amendements permettant aux ministères concernés d’aller au-delà des millésimes de 1900 et 1946. Ces amendements reprennent des préconisations du rapport de notre collègue Gérard César remis au Premier ministre au mois de novembre 2010.
Sur le second point, à savoir le statut des collectionneurs, je vous proposerai une réécriture de l’article 8 afin de poser de nouvelles conditions à l’obtention de la carte de collectionneur, dans un souci de sécurité publique.
En troisième lieu, les auteurs de la proposition de loi entendaient améliorer la connaissance et le suivi des armes présentes sur le territoire français par l’instauration d’une « carte grise » pour chaque arme à feu, document qui aurait mentionné, outre la catégorie, le nom du détenteur et un numéro d’immatriculation unique. Il aurait ainsi été plus aisé, à partir d’une arme retrouvée, de « remonter » à son détenteur, par exemple.
Lors du dépôt de la proposition de loi, soit juillet 2010, le fichier des propriétaires et possesseurs d’armes, dit « AGRIPPA », ne fonctionnait pas de manière satisfaisante. Le fichier national des interdits d’acquisition et de détention d’armes, le FINIADA, quant à lui, bien que prévu par l’article L. 2336-6 du code de la défense, n’avait pas été créé.
Depuis cette date, le FINIADA a été mis en service et l’efficacité du fichier AGRIPPA semble avoir été nettement améliorée. En outre, la possibilité de se connecter par Internet avec le FINIADA a été ouverte aux armuriers et aux fédérations de chasse, qui pourront ainsi le consulter plus aisément.
Ces progrès récents ont amené la commission des lois de la Haute Assemblée à approuver la décision de la commission des lois de l’Assemblée nationale de supprimer l’article 4 créant ce dispositif de carte grise des armes. Toutefois, monsieur le ministre, je souhaiterais que vous puissiez nous confirmer que le fichier AGRIPPA et le FINIADA, dont vous venez de rappeler les grands principes, sont pleinement opérationnels.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. En quatrième lieu, la proposition de loi comprend une longue série d’articles destinés à rendre obligatoire, sauf décision spécialement motivée de la juridiction, le prononcé des peines complémentaires d’interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation, de détenir un permis de chasser, ou encore le prononcé de la peine de confiscation des armes détenues par l’intéressé.
Il s’agit d’inciter les juridictions à prononcer une sanction qu’elles ignorent trop souvent, mais qui peut s’avérer particulièrement pertinente lorsque la personne condamnée a commis certains crimes ou délits dénotant un comportement manifestement incompatible avec la détention d’une arme, tels que des violences volontaires graves contre les personnes, des vols à main armée, etc.
J’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que le dispositif prévu par ces articles est compatible avec les principes qui fondent notre droit pénal.
En effet, à deux reprises, le Conseil constitutionnel a admis la constitutionnalité de dispositions encadrant le pouvoir d’appréciation du juge dans la détermination des peines, lors de la création de peines planchers par la loi du 10 août 2007 et d’une peine de confiscation obligatoire du véhicule par la LOPPSI 2 du 14 mars 2011, dès lors que la juridiction conserve la possibilité de ne pas prononcer la peine en raison des circonstances de l’espèce.
En outre, les peines complémentaires relatives aux armes à feu me semblent d’une nature particulière, différentes des autres peines complémentaires, telles que l’interdiction des droits civiques ou la peine de confiscation, par exemple : effectivement, il n’existe pas en France de droit absolu à détenir une arme à feu. La détention et l’utilisation des armes sont soumises, en raison de leur dangerosité, à un encadrement strict dans lequel prédomine un impératif de sécurité publique. À cet égard, il ne paraît pas choquant de priver du droit d’utiliser une arme une personne qui a commis une infraction portant atteinte volontaire aux personnes ou aux biens, ce type de comportement pouvant légitimement être considéré comme incompatible avec la détention et l’usage d’une arme.
La commission des lois a donc retenu ce dispositif de peines obligatoires proposé par nos collègues députés, tout en lui apportant quelques modifications, telles que la suppression des dispositions prévoyant le caractère obligatoire des peines complémentaires pour les infractions ne manifestant pas nécessairement un comportement incompatible avec la détention et l’usage d’une arme à feu. Elle l’a en revanche étendu à des infractions pour lesquelles ce dispositif se justifie de toute évidence : je veux parler de la participation à un attroupement armée ou de l’introduction d’armes dans un établissement scolaire.
Par ailleurs, elle a émis un avis favorable sur les amendements déposés par le Gouvernement, qui tendent à resserrer le champ de ces peines obligatoires sur les infractions les plus graves manifestant un comportement incompatible avec la détention et l’usage d’une arme.
La proposition de loi comporte également des dispositions harmonisant ou renforçant les peines prévues dans le code de la défense pour les infractions à la réglementation sur les armes.
À cet égard, la commission des lois avait supprimé l’article 31 de la proposition de loi qui posait des problèmes de compatibilité avec le droit communautaire. Les services du ministère de l’intérieur et du ministère de la défense ont travaillé ensemble sur cette question, et le Gouvernement a déposé un amendement tendant à une nouvelle rédaction de cet article, auquel la commission donnera un avis favorable.
La proposition de loi prévoit enfin un régime transitoire pour les armes dont le régime de détention sera modifié du fait de l’application de la nouvelle classification. Alors que la proposition de loi originale était très favorable à la préservation des droits acquis des détenteurs, la commission des lois de l’Assemblée nationale, suivant en cela une recommandation du Conseil d’État, a prévu un régime plus équilibré. Ainsi, les autorisations accordées seront maintenues jusqu’à leur expiration. Par ailleurs, les déclarations devront être déposées et les demandes d’autorisation formulées auprès des préfectures à la prochaine cession de l’arme concernée. Enfin, les armes qui passeraient en catégorie A1 et deviendraient donc prohibées devraient être remises à l’État, sauf autorisation spéciale dont les modalités seront fixées par un décret en Conseil d’État.
La proposition de loi de MM. Courtois et Poniatowski et celle de M. César comportent de nombreuses dispositions communes avec celle qui nous vient de l’Assemblée nationale. La première d’entre elles se retrouve, en partie, dans un amendement déposé à l’article 1er, auquel la commission a donné un avis favorable. La seconde évoque plus particulièrement les droits des collectionneurs, question que j’ai déjà évoquée et sur laquelle, comme je l’ai indiqué, la commission vous proposera un compromis.
Pour conclure, je pense que nous pouvons nous réjouir de débattre aujourd’hui d’une proposition de loi qui constitue une indéniable avancée en matière de régime juridique de la détention des armes, tant la simplification qu’elle propose permettra de rendre la loi intelligible pour tous.
Ce texte présente aussi, à mon sens, les garanties nécessaires pour assurer la protection de la sécurité publique, tout en respectant les droits légitimes des utilisateurs respectueux de la réglementation.
Bien entendu, les trafiquants et délinquants qui se servent d’armes au cours de leurs règlements de compte n’ont que faire de la législation. Toutefois, le fait que celle-ci devienne plus claire et plus facile à appliquer ne peut in fine que contribuer à la lutte contre la criminalité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’UCR, du RDSE et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que nous avons prévu d’achever l’examen de cette proposition de loi vers treize heures. Compte tenu du nombre élevé d’amendements déposés sur ce texte, j’invite chacun des orateurs intervenant dans la discussion générale à respecter son temps de parole.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Notre réunion de la commission des lois s’est déroulée dans un esprit très constructif. De fait, nous poursuivons tous le même objectif : trouver des dispositions réalistes pour éviter la prolifération des armes et donc de la violence dans notre pays. Les amendements déposés sur cette proposition de loi étant relativement techniques, comme l’a souligné M. le rapporteur, nous devrions réussir à en achever l’examen dans les délais.
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine dernière – M. le ministre vient de le rappeler –, trois fusillades à la kalachnikov ont ensanglanté la cité phocéenne. Au-delà du drame humain, cette tragique actualité illustre le problème du trafic et de l’utilisation illégale d’armes à feu sur le territoire de la République. On estime à près de 30 000 le nombre d’armes qui circuleraient sous le manteau.
Le caractère spectaculaire de ces crimes choque à juste titre beaucoup de nos concitoyens. Néanmoins, il convient de rappeler que ces événements ne sont pas le signe d’une prolifération incontrôlée des armes. Comme l’a très justement souligné M. le rapporteur, la mission d’information sur les violences par armes à feu et l’état de la législation n’a pas constaté d’accroissement important de la détention et de l’usage des armes à feu. Surtout, les violences et infractions commises au moyen d’une arme à feu restent minoritaires au sein de l’ensemble des crimes et délits recensés ; elles seraient même en baisse depuis une trentaine d’années. Par conséquent, il faut bien distinguer la réalité et le sentiment d’insécurité nourri par la surexposition médiatique de certains faits divers.
Pour autant, cette observation n’exonère pas le législateur de ses responsabilités, ni ne doit diminuer sa vigilance. Les Français aspirent légitiment à se sentir en sécurité, et nous devons répondre à cette préoccupation. Tel est l’objectif légitime de la présente proposition de loi, qui vise à établir, pour le contrôle des armes à feu, un dispositif juridique et opérationnel simplifié, actualisé et préventif.
Naturellement, le groupe du RDSE s’associe à cette volonté de rénover une réglementation devenue en partie inadaptée. Comme vous le savez, celle-ci repose pour l’essentiel sur le décret-loi du 18 avril 1939. Malgré les toilettages successifs et la codification entreprise par le décret du 6 mai 1995, la législation sur le contrôle des armes n’est pas satisfaisante.
En effet, même si, je le répète, les crimes et délits commis à l’aide d’une arme à feu ont tendance à baisser, nous n’en devons pas moins contrôler l’existence de matériels dangereux arrivant dans notre pays par de nouvelles filières clandestines d’approvisionnement. Je pense en particulier au problème des armes en provenance des Balkans : on sait que les conflits qui ont miné la Serbie, la Croatie et la Bosnie ont engendré un flux d’armes depuis ces territoires, propice au développement d’un trafic qui profite, en France, tant à la petite délinquance qu’au grand banditisme, grâce à une sorte de mutualisation, ainsi que M. le rapporteur l’a souligné.
Ajoutons que le développement d’Internet peut à terme devenir un vecteur de trafic. Ce n’est pas le cas actuellement, mais on peut imaginer que, si les pays européens renforcent leurs coopérations transfrontalières pour tarir les sources des trafics d’armes, les malfaiteurs trouveront d’autres moyens de s’approvisionner.
Dans l’immédiat, la présente proposition de loi devrait permettre de remédier à différentes difficultés rencontrées par les acteurs concernés par le contrôle des armes à feu.
Je me réjouis que, sur un sujet aussi fondamental, le texte en discussion soit relativement consensuel. Les travaux de l’Assemblée nationale ont été constructifs. La commission des lois du Sénat a également travaillé de façon ouverte et positive, comme son président vient de le rappeler. Le changement de majorité n’a donc pas altéré la sagesse légendaire des sénateurs, qui savent se mettre d’accord lorsque l’importance du sujet l’exige.
Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, la proposition de loi reprend plusieurs préconisations de la mission d’information sur les violences par armes à feu et l’état de la législation, conduite par les députés, mais aussi des mesures prévues par une proposition de loi déposée par certains de nos collègues.
J’approuve le principe d’une nouvelle classification des armes à feu, conforme à celle en vigueur dans la plupart des pays européens, qui permettra aux services préfectoraux, aux armuriers et à tous les utilisateurs légaux d’armes à feu de mieux comprendre leurs obligations.
À cet égard, je souhaite rappeler que les chasseurs et les tireurs sportifs ont toujours fait preuve de responsabilité. Ils ont constamment coopéré avec les pouvoirs publics – vous l’avez souligné, monsieur le ministre –, car ils souhaitent pratiquer leurs activités en toute quiétude, sans faire l’objet d’aucune suspicion.
Dans sa version initiale, la proposition de loi a pourtant ému ces utilisateurs légaux d’armes à feu – n’est-ce pas, monsieur Poniatowski ? (M. Ladislas Poniatowski acquiesce.) La commission des lois a répondu à quelques-unes de leurs attentes, et les amendements qui seront présentés tout à l’heure me semblent aller dans le sens d’un équilibre entre la pratique individuelle d’une passion impliquant une arme à feu et les impératifs de sécurité publique. Dans le même ordre d’idée, la création d’un statut du collectionneur, qui faisait défaut à la législation française, devrait permettre de satisfaire les attentes d’un public particulier, qui contribue certes à la préservation de notre patrimoine historique mais n’en demeure pas moins comptable des risques liés à ses activités.
S’agissant du volet répressif, qui consiste principalement à garantir le prononcé des peines complémentaires relatives aux armes, j’estime que, dans la mesure où cette disposition ne heurte pas le principe d’individualisation des peines puisqu’il sera possible d’écarter la peine par une décision contraire motivée, le Conseil constitutionnel ne devrait pas s’en émouvoir.
Le groupe du RDSE regrette toutefois l’abandon de l’objectif d’une plus grande traçabilité des armes à feu par le biais d’une carte grise. Nous l’avons compris, cette disposition ne faisait pas l’unanimité. Vous avez en partie répondu à nos interrogations concernant l’efficience des fichiers AGRIPPA et FINADIA, monsieur le ministre, mais des inquiétudes subsistent.
Mes chers collègues, cette proposition de loi prévoit un cadre juridique moderne, équilibré, simplifié et adapté aux nouvelles contraintes du contrôle des armes.
Si, malheureusement, aucune société n’est à l’abri de comportements déviants, les pouvoirs publics n’en doivent pas moins s’efforcer de trouver le moyen de garantir la sécurité publique sur tout le territoire sans remettre en cause l’exercice de passions individuelles. C’est pourquoi l’ensemble des membres du RDSE apporteront leur soutien à la présente proposition de loi, modifiée par les amendements présentés par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, de l’UCR et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous assistons chaque jour à l’inquiétant développement de l’usage d’armes de guerre au cœur même de nos centres-villes. La semaine dernière, pas moins de trois fusillades à la kalachnikov, qui ont fait trois morts et trois blessés graves, ont défrayé la chronique. À plusieurs reprises, les malfaiteurs n’ont pas hésité à faire usage de leurs armes, notamment à l’encontre des forces de l’ordre ; un policier a d’ailleurs été grièvement blessé. Ces événements violents et tragiques nous interpellent.
Il est évident que la présente proposition de loi ne résoudra pas tous les problèmes. Cependant, une chose est sûre : la législation sur les armes doit permettre la répression la plus efficace possible du trafic d’armes, en particulier de la mise en circulation illicite d’armes de guerre.
Le criminologue Alain Bauer indiquait récemment au journal Le Monde que la France connaissait aujourd’hui sa troisième vague d’importation illégale d’armes de guerre, avec le pillage des arsenaux libyens depuis la chute de Mouammar Kadhafi. Actuellement, un fusil d’assaut neuf de type kalachnikov se négocie dans les cités aux alentours de 1 000 euros ; le prix est nettement inférieur pour une arme d’occasion...
La prolifération d’armes de guerre dans les cités ne risque-t-elle pas de s’accentuer du fait de réflexes d’auto-défense ? Si le sentiment d’insécurité grandissait, certaines personnes pourraient en effet juger nécessaire de se procurer des armes.
Je souhaite attirer votre attention sur un fait : des personnes fragiles ou déséquilibrées peuvent nous sembler parfaitement normales. Nous vivons dans un monde de plus en plus « virtualisé ». Nos écrans cinématographiques et télévisuels propagent des scènes violentes et font la publicité de jeux vidéo qui sèment la mort. Pis, le scénario de ces jeux banalise l’acte de tuer. Dans cet univers, la frontière entre le virtuel et le réel est mince, voire, dans certains cas, inexistante.
Les films ultra-violents – Tueurs nés, Reservoir dogs, Kill Bill ou encore les récentes productions japonaises, par exemple – et les jeux vidéos qui mettent en scène une escalade de la violence risquent d’influencer des enfants et des adolescents, qui finissent par confondre le vrai et le faux, le virtuel et le réel.
J’en ai malheureusement été le témoin dans ma commune de Saint-Sébastien-sur-Loire : le 3 juin 2002, un garçon de dix-sept ans vivant dans une famille aisée, fasciné par le film Scream, a assassiné de quarante-deux coups de couteaux Alice Beaupère, une adorable jeune fille de quinze ans. Interrogé en prison le lendemain matin, il nous a froidement répondu : « pourquoi vous ne rembobinez pas le film ? ». Il ne manifestait aucun remords, et il était clair qu’il n’avait pas pleinement conscience de la terrible gravité de son acte. J’éprouve encore, à l’instant où je vous parle, une très forte émotion en pensant à ce drame, en pensant à Alice qui est décédée pour rien, laissant ses parents et ses amis à une douleur irréparable et à une incompréhension totale.
Imaginez un seul instant que le jeune meurtrier de Saint-Sébastien-sur-Loire, au lieu d’utiliser une arme blanche, se soit inspiré d’un jeu vidéo et ait massacré à l’arme de guerre des dizaines d’innocents dans un collège… Aux États-Unis, ce sont en moyenne quatre-vingt-trois personnes qui sont tuées chaque jour par arme à feu.
Toutes les armes posent évidemment problème. Cependant, les fusillades de ces derniers jours impliquaient des délinquants en possession d’armes de guerre de gros calibre, dont la dangerosité est particulièrement préoccupante. Il n’existe pas de statistiques officielles sur la circulation de kalachnikovs sur notre territoire.
M. Ladislas Poniatowski. C’est normal, puisque ces armes sont interdites !
M. Joël Guerriau. Bien entendu !
Toutefois, les saisies constituent un indicateur. Depuis le début de l’année 2011, 3 355 armes à feu ont été saisies, dont près de 380 armes de guerre. Dans les Bouches-du-Rhône, la préfecture de police a évalué à un quart la proportion des kalachnikovs parmi les armes saisies depuis le début de l’année.
Ces constats nous invitent à réfléchir à l’adéquation de notre arsenal juridique à ces évolutions de la criminalité, qui créent de nouveaux risques. Dans un contexte de crise économique, nous pouvons craindre que le nombre de bandes armées n’augmente et que celles-ci ne se livrent à des actes criminels de plus en plus violents.
Le fond du problème tient à l’utilisation des armes à feu, et notamment de celles qui sont possédées illégalement. Cependant, si l’on veut résoudre ce problème, il faut bien commencer par poser la question générale de la possession des armes à feu.
Notre intention n’est pas de restreindre l’accès aux armes à feu à ceux qui ont le droit d’en posséder, ces milliers de Français qui détiennent légalement, et de la manière la plus pacifique, des armes à leur domicile, parce qu’ils sont collectionneurs, chasseurs ou encore tireurs sportifs. Il s’agit de nous doter d’outils législatifs simples permettant de mener aussi efficacement que possible le combat contre ceux qui utilisent les armes à feu dans un cadre qui n’est ni approprié, ni légal, ni républicain.
La présente proposition de loi, s’inspirant en cela de la réglementation européenne, et notamment de la directive du 18 juin 1991, prévoit de substituer quatre catégories d’armes à feu aux huit qui existent aujourd’hui. En effet, non seulement la classification actuelle pose un problème de lisibilité, mais les critères retenus ne sont en outre pas pertinents ; le bon critère est bien celui que retient la proposition de loi : la « dangerosité » de l’arme.
À notre sens, la nouvelle classification est plus simple et plus lisible, et donc plus facilement applicable, mais aussi beaucoup plus pertinente. L’introduction de cette notion de dangerosité comme principe de classement des armes constitue une importante innovation juridique. Celle-ci traduit la volonté de mettre fin au classement actuel, selon lequel des armes d’une dangerosité comparable peuvent se trouver dans des catégories différentes. Votre prédécesseur, monsieur le ministre, avait qualifié la législation actuelle, largement héritée du décret-loi du 18 avril 1939, d’ « inefficace car trop tatillonne pour les honnêtes gens et impuissante face aux trafiquants ». Cet avis est très largement partagé.
Je suis persuadé que la présente proposition de loi va dans le bon sens et permettra d’éviter les deux écueils que je viens de rappeler.
Nous approuvons l’élargissement de la faculté donnée au préfet de saisir toutes les armes, qu’elles soient soumises à autorisation ou à déclaration : cette mesure préventive est judicieuse, comme vous l’avez parfaitement mis en lumière lors de votre intervention, monsieur le ministre.
Le groupe UCR tient à saluer le travail effectué par M. le rapporteur et par la commission des lois, permettant d’aboutir à un texte qui assure un juste équilibre entre, d'une part, les contraintes qui doivent encadrer l’acquisition et la détention d’armes, et, d'autre part, la lutte contre le trafic d’armes. Nous disposerons ainsi d’un arsenal législatif renforcé, qu’il conviendra d’appliquer le plus efficacement possible sur l’ensemble de notre territoire. Le groupe UCR votera donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UCR et de l’UMP. –M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qui sont les futurs « bénéficiaires » de la proposition de loi dont nous discutons ? Ce sont les passants, les résidents, vous et moi, tous ceux qui pourraient un jour être victimes d’une tuerie due à l’emploi d’armes mortelles illégalement détenues, armes dont la circulation est un phénomène ancien qu’il est difficile mais nécessaire de contrôler. À cet égard, la réponse législative que nous nous apprêtons à apporter me semble mériter d’être saluée.
Quant aux « intéressés », au sens où nous l’entendons dans les concertations et débats préalables à la préparation d’une loi et qui, en l’espèce, sont tous ceux qui entendent défendre les droits des détenteurs et utilisateurs réguliers d’armes, ils appartiennent essentiellement à trois catégories beaucoup plus restreintes, plus « ciblées », si l’on veut bien me permettre l’emploi de ce mot : les collectionneurs, les chasseurs et les tireurs sportifs.
Je veux d’ailleurs, au début de ce propos, insister sur cette sorte de disproportion qui, très souvent, marque la procédure législative : les bénéficiaires du texte à venir forment un ensemble indéfini et sont au fond faiblement intéressés personnellement – en l’occurrence, c’est le cas puisque la menace à l’encontre de chacun n’est que virtuelle –, mais le législateur est confronté à des groupes beaucoup plus spécifiques, qui exercent leur vigilance et savent faire entendre leurs exigences. Faire la synthèse entre ces intérêts divers, c’est rechercher ce que l’on appelle « l’intérêt général », ce qui est la part la plus valorisante de l’office de législateur, mais n’est ni toujours aisée ni même toujours gratifiante.
L’objectif était de parvenir à un texte cohérent, assurant l’efficacité du contrôle de la circulation des armes. Il me semble que nous nous en sommes beaucoup approchés, et je veux à cette occasion féliciter le rapporteur, Antoine Lefèvre, du beau travail qu’il a accompli.
M. Alain Richard. Il a su exprimer les exigences de qualité et de cohérence auxquelles devait répondre le texte et souligner la persistance de l’entente entre toutes les familles politiques qui a permis d’arriver à un tel résultat.
MM. Jean-Pierre Plancade et Roland du Luart. Très bien !
M. Alain Richard. Cette proposition de loi est la suite et, je l’espère, l’aboutissement d’une œuvre législative honorable, engagée par une mission d’information de l’Assemblée nationale. Cette mission, bien sûr bipartisane, a fonctionné comme telle ; elle a également bénéficié, il faut le dire, du soutien et d’un encouragement très net du ministère de l’intérieur, tout le monde trouvant son intérêt dans ses travaux.
En application de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, la proposition de loi a en outre été soumise au Conseil d'État, ce qui, s’agissant de la détention d’armes et de l’exercice d’une liberté publique, peut ne pas être complètement inutile…
C’est ainsi que nous sommes parvenus à ce qui me paraît être un bon texte.
Nous légiférons, mais l’opérateur sera l’exécutif. Nous devons donc adresser au Gouvernement nos remerciements, car il a été très coopératif en la matière, mais aussi nos encouragements, parce que la tâche qui l’attend en aval est loin d’être facile, qu’il s’agisse de la production des nombreux textes réglementaires prévus ou du travail opérationnel, c'est-à-dire de la recherche des armes illégalement détenues.
À ce propos, je relève un léger paradoxe dans la démarche du Gouvernement, qui, tout en manifestant sa volonté, d’ailleurs incontestée, d’aboutir, fait néanmoins une petite difficulté au législateur (M. le ministre fait un geste de dénégation.) en essayant de s’opposer à la création d’un système d’agrément individuel des collectionneurs, qui impliquerait l’instruction de situations individuelles difficiles à mener et, évidemment, du travail pour l’administration.
C’est le paradoxe de l’exécutif, car, si l’on veut détenir des pouvoirs, il faut garder quelques moyens de les exercer. Or vous rencontrez là, monsieur le ministre, quelques-uns des effets de la politique qui est suivie depuis quelques années et du resserrement, maintenant continu, des services déconcentrés de l’État et notamment des préfectures. Je pense cependant ne pas avoir beaucoup de mal à vous convaincre.
L’expérience nous donne la garantie que les organismes privés, mais investis de missions d’intérêt public, que sont le réseau des fédérations sportives et celui des fédérations de chasseurs sont des filtres suffisants. Les attestations et les éléments d’information qu’ils fournissent sont des bases fiables d’identification permettant de limiter les abus. S’agissant en revanche des collectionneurs, il ne serait pas raisonnable de déléguer la mission de vérification en vue de la délivrance des agréments à des organismes privés,…
M. Alain Richard. … simples associations de fanatiques – au sens sympathique du mot –…
M. Jean-Pierre Plancade. Disons de grands passionnés…
M. Alain Richard. … ne disposant pas des structures nécessaires à la conduite d’une telle mission d’intérêt public.
M. Roland du Luart. Vous avez raison !
M. Alain Richard. Il faudra donc bien que l’État s’y « colle » ! (Sourires.)
Deux dispositifs d’appui étaient nécessaires à ce texte, dispositifs qui, me semble-t-il, font également consensus.
Il s’agit, en premier lieu, du système d’enregistrement et du suivi des armes. Il ne suffit en effet pas d’avoir classé dans des catégories pertinentes les détenteurs d’armes, il faut aussi que les armes elles-mêmes fassent l’objet d’un suivi, le problème de base étant celui de la circulation d’armes non identifiées. À cet égard, les précisions que vous venez de redonner concernant la fiabilité des fichiers – étant entendu que les fichiers se construisent sur la durée – sont rassurantes, monsieur le ministre, et elles montrent que nous sommes sur la bonne voie.
En second lieu, des dispositions pénales – dont beaucoup, fort heureusement, sont contraventionnelles – sont évidemment indispensables pour assurer l’efficacité d’un tel dispositif.
Je relève à ce propos un autre paradoxe : l’expression à front quelque peu renversé des uns et des autres sur les peines automatiques.
J’ai ainsi été tenté d’encadrer la motivation d’un amendement dans laquelle le Gouvernement explique fort éloquemment qu’il faut éviter toute peine automatique, à laquelle le magistrat indépendant pourrait, bien sûr, toujours déroger, car cela pourrait soulever des problèmes constitutionnels, motivation tout de même en léger décalage par rapport aux argumentations tout aussi péremptoires qu’il délivrait lors de récents débats sur la politique pénale....
Quant aux auteurs de la proposition de loi, qui appartiennent à ma propre famille politique, ils se sont au contraire engagés assez fortement en faveur du système de peines automatiques contre lequel nous avons vaillamment combattu sur d’autres terrains. Cela démontre la relativité des positions !
Je veux par ailleurs souligner l’importance de la lutte contre les trafics d’armes, résultat final auquel tend l’adoption de la présente proposition de loi.
Ces trafics trouvent leurs origines dans les conflits, civils et en partie non-étatiques, qui se sont déroulés à l’est et au sud-est de l’Europe, conflits qui, pour certains, ne sont d’ailleurs pas tout à fait conclus.
C’est pour moi l’occasion d’une brève réflexion sur les missions des opérations extérieures de traitement et de gestion des crises auxquelles nous, parlementaires, sommes amenés à consentir lorsque notre pays s’engage.
On dit souvent sur les bancs du Parlement et, a fortiori, sur les plateaux de télévision et dans les médias que ces opérations sont trop longues, et beaucoup s’interrogent sur leur but. Eh bien, justement, la gestion d’une crise, dans un pays dévasté et déchiré, précède aussi des actions post-crise, parmi lesquelles le désarmement progressif des anciens belligérants, tâche absolument essentielle et particulièrement ardue comme j’ai pu être amené à le constater dans certains territoires de l’ex-Yougoslavie.
On ne parvient pas à récupérer 100 % de ces armes, et c’est finalement le « solde » que nous retrouvons aujourd'hui dans divers trafics, ce qui m’amène, monsieur le ministre, à une autre question. Nous allons bien sûr transposer la directive qui encadre le nouveau classement des armes à feu, mais qu’en est-il de la coopération effective entre les membres de l’Union européenne pour lutter contre ces trafics, dont beaucoup sont évidemment transfrontières ?
J’espère que vous rencontrez chez nos collègues et amis des autres pays de l’Union européenne la même volonté de supprimer ces trafics particulièrement dangereux, volonté que traduit cette proposition de loi à laquelle le groupe socialiste est pleinement favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi, qui fait suite au rapport de la mission d’information sur les violences par armes à feu et sur l’état de la législation, nous amène à un double constat que je crois partagé : les armes prolifèrent en France, où elles semblent se vendre très facilement, et le nombre des victimes augmente ; par ailleurs, les textes actuels visant à contrôler et à sanctionner la détention illégale d’armes sont trop complexes et insuffisamment dissuasifs.
La proposition de loi fixe quatre objectifs qui vont dans le bon sens : établir une classification plus lisible et conforme à la réelle dangerosité des armes ; mettre en place une action préventive à l’égard des détenteurs d’armes représentant un danger pour eux-mêmes ou pour la société ; réprimer plus sévèrement et plus efficacement les trafics d’armes, avec la volonté politique et toutes les implications que cela suppose, notamment s’agissant de l’argent et de son blanchiment, ce qui pour nous est essentiel ; enfin, assurer la traçabilité des armes en renforçant l’efficacité des fichiers recensant les armes à feu et leurs détenteurs.
Si nous ne sommes pas pour le recours systématique au fichage des citoyens – vous le savez, mes chers collègues –, la question de la détention d’armes fait exception, eu égard aux risques encourus pour la sécurité publique. Cette question sort en effet du domaine du fichage injustifié des citoyens auquel on nous a, hélas ! peu à peu habitués.
Au-delà de ces avancées, deux points soulèvent toutefois des interrogations.
Nous avons été, comme tout le monde, interpellés par de nombreuses associations de chasseurs qui s’inquiètent de la mise en place de peines complémentaires automatiques. Nous souhaiterions avoir des précisions sur les articles relatifs à celles-ci, et notamment sur l’article 10.
L’article 1er renvoie à un décret en Conseil d’État la détermination des matériels, armes, munitions, compris dans chacune des catégories établies. On peut regretter que cette détermination ne revienne pas au législateur.
Je souhaiterais plus particulièrement évoquer certaines armes de quatrième catégorie à propos desquelles je suis intervenue à de nombreuses reprises, comme plusieurs des membres de mon groupe : les armes à impulsions électriques permettant de provoquer un choc électrique à distance et les armes à impulsions électriques de contact permettant de provoquer un choc électrique à bout touchant, armes qui, comme les armes à feu, sont théoriquement interdites à la vente libre.
J’estime que, comme pour les armes à feu, le pouvoir exécutif doit, dans le décret, au moins interdire la vente aux particuliers des pistolets à impulsion électrique, puisque, comme le souligne le Conseil d’État dans sa décision du 2 septembre 2009, leur emploi « comporte des dangers sérieux pour la santé, résultant notamment des risques de trouble du rythme cardiaque, de syndrome d’hyperexcitation, augmentés pour les personnes ayant consommé des stupéfiants ou de l’alcool, et des possibles complications mécaniques liées à l’impact des sondes et aux traumatismes physiques résultant de la perte de contrôle neuromusculaire ; que ces dangers sont susceptibles, dans certaines conditions, de provoquer directement ou indirectement la mort des personnes visées ».
Un contrôle renforcé quant au respect de ce contrôle devrait être effectué. Souvenons-nous que le comité de l’ONU contre la torture, dans un rapport sur le Portugal du 23 novembre 2007, indiquait au sujet du Taser que « l’usage de ces armes provoque une douleur aiguë, constituant une forme de torture, et que, dans certains cas, il peut même causer la mort. »
Je rappelle que nous avions déposé, avec d’autres, une proposition de loi visant à interdire l’utilisation d’armes de quatrième catégorie par la police ou la gendarmerie contre des attroupements ou manifestations, leur commercialisation ou leur distribution pour des polices municipales ou des particuliers ; il serait souhaitable qu’à l’occasion du présent débat le Gouvernement nous donne des réponses allant dans le sens de ce texte.
Je rappelle aussi que la CNDS, la Commission nationale de déontologie de la sécurité, à la suite de nombreux drames liés à l’usage par la police de ce type d’arme, a recommandé de ne pas utiliser le flash-ball « lors de manifestations sur la voie publique ». Dans ce domaine encore, il serait souhaitable que l’actuel débat apporte des avancées.
La CNDS rappelait que cette arme, dont les policiers municipaux peuvent être équipés, risquent de causer des blessures graves et irréversibles d’autant que leurs trajectoires de tirs sont imprécises. Elle soulignait en outre que des négligences et des manquements professionnels graves ont été constatés à maintes reprises quant à l’utilisation de ces armes dites « sublétales ». Voilà près d’un an, le lundi 13 décembre 2010, à Marseille, un homme décédait, victime d’un arrêt cardiaque après avoir reçu un tir de flash-ball d’un policier.
C’est pourquoi je renouvelle dans l’immédiat notre souhait de voir proclamer un moratoire sur l’utilisation de ces armes de quatrième catégorie par l’ensemble des forces de l’ordre et des polices municipales.
Monsieur le ministre, nous serons très attentifs aux réponses que vous nous apporterez sur ces points sur lesquels le Gouvernement n’a pour l’instant pas encore tranché. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la suite de son adoption en première lecture par l'Assemblée nationale le 25 janvier 2011, la proposition de loi relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif vient en débat aujourd’hui, grâce au groupe UMP, qui a décidé d’y consacrer le temps parlementaire qui lui est réservé dans le cadre de la semaine sénatoriale d’initiative.
Ce texte intervient dans un contexte particulier : une actualité de violence et une très importante concertation engagée au mois de janvier 2010 entre le Gouvernement et les principales organisations d’utilisateurs légaux d’armes à feu, représentant non seulement les chasseurs, les tireurs sportifs et les collectionneurs, mais aussi les armuriers et les fabricants et distributeurs, regroupées au sein du comité Guillaume Tell.
L’objet de cette concertation est double. Il s’agit d’abord de permettre la transposition de la directive européenne sur les armes à feu, modifiée en 2008, qui instaure une simplification et une clarification dans le classement des armes. C’est aussi et surtout l’occasion unique de remettre à plat toute la réglementation sur les armes, qui a fait l’objet d’une stratification depuis le décret-loi de 1939. Il devenait impératif de simplifier la législation sur les armes pour tous les détenteurs légaux d’armes à feu et de renforcer la sécurité publique en luttant contre les trafics et la délinquance armée.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski. Lors des débats en séance publique à l'Assemblée nationale, le ministre de l’intérieur, a été très clair dans ses engagements, réaffirmant à bon droit que toute réforme en la matière devait garantir les droits des honnêtes gens et s’en prendre aux criminels et délinquants.
M. Ladislas Poniatowski. Toutefois, le texte issu des débats à l'Assemblée nationale n’a répondu que partiellement à l’objectif de simplification, en raison de l’adoption d’amendements inopportuns en cours de discussion. Il a même suscité une vive inquiétude chez les chasseurs et les tireurs sportifs, qui sont respectueux des lois et qui sont détenteurs légitimes d’armes à feu, puisqu’il prévoit des contraintes nouvelles qui n’avaient fait l’objet d’aucune concertation et qui ne répondent à aucun objectif de sécurité publique.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Oui !
M. Roland du Luart. C’est absurde !
M. Ladislas Poniatowski. Cette proposition de loi entraîne une réduction aussi considérable qu’injustifiée des droits des détenteurs légaux, menaçant les activités sportives et cynégétiques, et est tellement touffue et ambiguë qu’elle en devient parfois inapplicable.
La rédaction actuelle de l’article 1er, y compris celle qui a été proposée par le Gouvernement et notre rapporteur – à qui je souhaite rendre hommage pour le travail difficile qu’il a dû accomplir –, conduit à la définition d’une nouvelle catégorie A1. Or celle-ci aboutira à l’interdiction pure et simple de détention de certaines catégories d’armes que les tireurs sportifs peuvent pourtant acquérir depuis 1939, au risque de remettre en cause l’essor de nouvelles disciplines populaires organisées par la Fédération française de tir.
Lors des négociations entre le Gouvernement et les membres du comité Guillaume Tell, il avait été clairement affirmé qu’aucune arme actuellement utilisée par les tireurs et les chasseurs ne ferait l’objet d’une interdiction, c’est-à-dire d’un classement en catégorie A. Cela a fait l’objet d’engagements écrits entre les cabinets du ministère de l’intérieur et du ministère de la défense, d’une part, et les représentants des utilisateurs légaux d’armes à feu, d’autre part.
M. Ladislas Poniatowski. C’est la raison pour laquelle il est souhaitable de revenir à une rédaction de l’article 1er, s’agissant notamment de la définition de la catégorie A, qui ne soit pas ambiguë...
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski. ... et qui se rapproche de la classification européenne. D’ailleurs, le texte voté par la commission des lois de l'Assemblée nationale le 3 novembre 2010 allait dans le bon sens. Pour ma part, j’ai déposé, avec le groupe UMP, un amendement qui devrait faire l’objet d’un consensus, puisqu’il tend à corriger les défauts de la rédaction actuelle tout en répondant aux exigences de sécurité publique.
La rédaction de l’article 3, telle qu’elle est issue des travaux de la commission des lois du Sénat, aurait pu nous convenir si je n’avais pas découvert que l’alinéa 45 reprenait le V de l'Assemblée nationale. Le chasseur que je suis est tout à fait choqué de voir que, en toute discrétion, c’est non plus seulement l’acquisition d’une arme de catégorie C qui oblige la possession d’un permis validé, mais aussi sa détention. Cette exigence nouvelle impose aux chasseurs qui doivent abandonner leur fusil pendant une saison, par exemple parce qu’ils partent travailler à l’étranger, de devoir remettre leur arme aux autorités.
M. Roland du Luart. Les bandits ne le font pas ! (Sourires.)
M. Ladislas Poniatowski. C’est pourquoi j’ai présenté, avec les membres du groupe UMP, un amendement tendant à modifier cet alinéa. Je crois, monsieur le rapporteur, que vous partagez cette analyse, ainsi qu’il ressort de la discussion que nous avons eue lors de mon audition par la commission.
L’article 5 de la proposition de loi, dans la version issue de l'Assemblée nationale, entraîne, pour les utilisateurs légaux d’armes à feu, des contraintes nouvelles qui vont très loin, même trop loin, et dont les députés n’ont sans doute pas évalué les conséquences. L’obligation de déclarer l’arme de catégorie C achetée entre particuliers dans un délai de quinze jours paraissait surréaliste ; monsieur le rapporteur, vous avez corrigé le tir, si je puis dire (Sourires), et le délai d’un mois qui est désormais fixé semble beaucoup plus raisonnable.
Toutefois, une autre correction essentielle est nécessaire. En effet, le II de l'article rend obligatoire la présentation du récépissé de la déclaration sur toute réquisition, sous peine d’une contravention. Au moment où nous avons confirmé la suppression de la carte grise sur les armes, jugée totalement inutile à l’heure des fichiers centraux, nous introduisons une disposition qui obligera tous les chasseurs de grand gibier, chassant avec une carabine, c’est-à-dire une arme de catégorie C, à détenir en permanence un récépissé de déclaration.
Cette mesure est une contrainte nouvelle qui ne présente aucun intérêt pour la sécurité publique. Ce qui compte, c’est de pouvoir sanctionner le défaut de déclaration, ce que prévoit le droit actuel. C’est pourquoi nous proposons de supprimer l’obligation de présentation du récépissé ainsi que la contravention qui lui est attachée. Mes chers collègues, simplifions ! Cessons d’« enquiquiner » les gens honnêtes qui respectent les règles !
M. Roland du Luart. Vous avez raison !
M. Ladislas Poniatowski. J’en viens à l’article 8, qui concerne les collectionneurs. Nous devons faire preuve de bon sens et de mesure. La commission a eu tout à fait raison de refuser de céder au Gouvernement – pardonnez-nous, monsieur le ministre – et de supprimer cet article. J’apporte un soutien sans réserve à la proposition nouvelle du rapporteur qui permet d’envisager l’agrément d’une ou de plusieurs associations au titre de la gestion des collectionneurs.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est la sagesse même !
M. Ladislas Poniatowski. Je sais pertinemment que la volonté légitime du Gouvernement d’avoir un interlocuteur unique pour les collectionneurs se heurte à l’opposition de nombreuses organisations toutes plus individualistes les unes que les autres.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. C’est vrai !
M. Ladislas Poniatowski. Il faut dire qu’il n’en va pas de même pour les chasseurs et les tireurs, qui sont bien organisés et représentés par leurs fédérations respectives. (M. le rapporteur acquiesce.)
La proposition du rapporteur permettra à l’État de faire le tri entre les organisations, car il n’est pas question d’autoriser n’importe qui, sans contrôle. On peut même imaginer que, demain, la Fédération nationale des chasseurs ou la Fédération française de tir sportif puissent bénéficier de cet agrément et gérer une partie des collectionneurs. C’est une piste à creuser.
Sur les autres articles qui concernent le volet pénal, je souscris pleinement à la démarche de la commission qui a veillé à ce que l’on ne se trompe pas de cible ! Il faut aggraver les peines de façon draconienne pour les trafiquants et les malfrats qui utilisent ou détiennent des armes à feu. Les derniers faits divers survenus à Marseille nous donnent raison, car ce sont les armes de guerre détenues dans certaines banlieues qui posent de vrais problèmes.
Les corrections apportées par la commission vont dans le sens d’un meilleur équilibre pour que les détenteurs légaux d’armes à feu ne subissent pas de contraintes démesurées s’ils ont commis une erreur dans une déclaration. Les dispositions répressives s’en tiennent donc à une actualisation des peines visant les trafiquants et les porteurs et détenteurs illégaux d’armes.
Toutefois, je serai favorable aux derniers amendements déposés par le Gouvernement qui s’inscrivent dans la même logique, en évitant que le champ des peines ne soit trop large.
M. Ladislas Poniatowski. Il me semble que le rapporteur partage mon analyse quant à l’urgence de modifier l’article 32 sur le transport légitime qui vient de l'Assemblée nationale et qui est la source assurée de milliers de contentieux sur l’interprétation du motif légitime. Nous qui affichons notre volonté de simplifier et de clarifier la réglementation pour les utilisateurs d’armes à feu, nous ne pouvons laisser passer une telle rédaction. Celle-ci a provoqué la colère légitime de la Fédération nationale des chasseurs, qui ne peut pas comprendre le maintien d’une telle interprétation subjective qui souligne la méconnaissance de la réalité de la chasse en France.
Sur ce point, mes chers collègues, j’espère que vous apporterez votre soutien à la nouvelle rédaction de l’alinéa 2 de cet article que je proposerai en vue de revenir au droit commun. Je souhaite que le Gouvernement y soit également favorable. Nous disposons déjà de nombreuses mesures de répression qui permettent de mettre hors d’état de nuire des voyous qui transportent des armes : il n’est pas utile de multiplier les contraintes pour les honnêtes gens qui pratiquent un loisir ou une passion.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le ministre, mes chers collègues, les chasseurs, qui sont au nombre de 1,3 million, comptent sur nous, Gouvernement et Parlement. (Applaudissements sur diverses travées.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Béchu.
M. Christophe Béchu. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, cher Antoine Lefèvre, mes chers collègues, l’inconvénient, lorsqu’on est relativement d’accord sur un texte, c’est que l’on utilise les mêmes références et que l’on mobilise les mêmes arguments. Je ne rappellerai donc ni les faits divers dramatiques qui sont récemment survenus à Vitrolles, Marseille, Lille et Saint-Ouen ni les chiffres absolument stupéfiants sur l’augmentation du nombre de saisies d’armes dans ce pays : 2 710 saisies d’armes à feu en 2010 et près de 3 500 pour l’année en cours.
La garantie de la sécurité et de l’intégrité de chaque citoyen constitue un droit fondamental. C’est pourquoi l’usage, la détention et la commercialisation d’armes sont devenus un enjeu primordial dans la définition de l’organisation de l’espace public. Dès lors, il est nécessaire de renforcer le dispositif juridique en vigueur sur ces questions.
Pour y parvenir, la mission d’information de l'Assemblée nationale sur les violences par armes à feu et l’état de la législation, dans son rapport du mois de juin 2010, a souligné le besoin de rénover le système actuel de classification des armes, pointant son manque de clarté sur la dangerosité réelle des armes classées et insistant sur le fait que le contrôle actuel effectué par les pouvoirs publics est à la fois complexe et insuffisant.
L’Assemblée nationale a discuté d’une proposition de loi relative à l’établissement d’un contrôle des armes moderne, simplifié et préventif qui nous parvient aujourd'hui. Ce texte dépasse largement les clivages politiques et je me réjouis de cette logique consensuelle pour dénoncer l’obsolescence de l’encadrement législatif actuel et convenir de la nécessité d’une simplification pour améliorer la sécurité de nos concitoyens.
Cette proposition de loi vise donc à remplir deux objectifs : rationaliser le dispositif en vigueur pour le rendre plus efficace ; renforcer les garde-fous attachés à ce système pour garantir son effectivité.
Le premier enjeu majeur de ce texte réside dans la volonté de gagner en transparence et en lisibilité par rapport au dispositif actuel. En effet, il s’agit avant tout d’établir une classification des armes en rapport avec leur dangerosité. Réduites désormais à quatre, ces nouvelles catégories offrent davantage de cohérence, car elles sont rattachées à des obligations qui leur sont propres. Chacun peut aisément comprendre que la détention d’armes de catégorie C requiert moins de garanties que la détention d’armes de catégorie B. En outre, cette classification nous permet de nous rapprocher du modèle posé par la directive européenne du 18 juin 1991.
Dans un même souci d’établir un régime juridique adapté à la dangerosité avérée des armes concernées, l’article 2 de la proposition de loi modifie le champ d’application des armes susceptibles d’être qualifiées d’« armes historiques et de collection », avec un principe, le classement en catégorie D, et, surtout, une date unique de référence pour bénéficier d’une telle qualification : le 1er janvier 1900. Jusqu’à maintenant, le ministère de la défense retenait des dates différentes : pour le modèle, 1870, et pour la fabrication, 1892.
Nous nous réjouissons également de la disposition, introduite par la commission des lois, simplifiant la disposition sur les reproductions d’armes, et qui retient le même millésime de 1900, en incluant toutefois une clause liée à la dangerosité des munitions à étui métallique.
Nous ne pouvons que nous féliciter d’une nouvelle rédaction qui vise à éviter des restrictions excessives du législateur à l’égard des collectionneurs.
Un équilibre a été trouvé, grâce auquel la sécurité publique est garantie par un mécanisme d’enregistrement et notre patrimoine national préservé.
Pour conforter l’intelligibilité et la transparence du dispositif normatif, les conditions d’acquisition et de détention d’armes posées aux articles 3 et 5 du texte ont été, d’une part, renforcées et, d’autre part, clairement définies, avec la reconnaissance d’un véritable statut de collectionneur, que j’évoquais à l’instant.
Toutefois, seules les personnes jugées en pleine possession de leurs capacités mentales et psychiques seront reconnues aptes à la détention d’une arme. Encore devront-elles répondre à un certain nombre d’obligations graduées et proportionnées, en fonction, là aussi, de la dangerosité de l’arme concernée. Nous ne pouvons qu’approuver ces nouvelles définitions, équilibrées et progressives.
La simplification et la rationalisation de la réglementation constituaient le premier enjeu de la proposition de loi ; le second porte sur l’application effective du premier.
Pour garantir l’effectivité de la nouvelle classification, il est en effet impératif d’accompagner ce dispositif d’un certain nombre d’outils juridiques visant à priver, temporairement ou définitivement, de la possibilité d’acquérir ou de détenir une arme des personnes qui ne se sont pas montrées capables d’en mesurer suffisamment la dangerosité.
La proposition de loi comprend ainsi une série d’articles destinés à rendre obligatoire le prononcé de peines complémentaires d’interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation, d’interdiction de détenir un permis de chasser ou encore de confiscation des armes détenues par l’intéressé.
Il s’agit d’inciter les juridictions à prononcer une sanction souvent méconnue, mais qui peut s’avérer particulièrement pertinente lorsque la personne condamnée a commis certains crimes ou délits dénotant un comportement manifestement incompatible avec la détention d’une arme.
Le texte de la commission des lois, dont je tiens, à cet instant, à saluer les travaux approfondis, notamment ceux de son rapporteur, Antoine Lefèvre, contribue à rendre systématique le prononcé de ces peines, afin d’empêcher la réitération ou la commission d’infractions plus graves, en interdisant à une personne condamnée d’acquérir ou de détenir des armes. Des tragédies pourront ainsi être évitées et nous en soutenons donc pleinement l’objectif.
Par ailleurs, dans le but de renforcer la sécurité publique et notamment d’améliorer l’efficacité de la répression des trafics d’armes, les articles 25 à 34 du texte durcissent le régime des sanctions pénales.
Mettre en adéquation ce régime avec la gravité des infractions commises a pour objectif de responsabiliser les personnes utilisatrices d’armes. Il faut rappeler que l’acquisition et la détention d’armes n’est pas une activité comme les autres. Il est donc du devoir du législateur de souligner la nécessité de poursuite et de répression des auteurs de crimes et de délits en la matière.
En outre, plusieurs dispositions visent à renforcer les dispositions pénales du code de la défense en ce qui concerne la violation de ses prescriptions en matière de fabrication, de commerce, de port et de transport d’armes.
Enfin, je souhaite signaler que le texte qui nous est soumis entend améliorer la connaissance et le suivi des armes présentes sur le territoire français, ce dont nous ne pouvons que nous satisfaire.
En conclusion, mes chers collègues, je me permettrai de rappeler que les principaux détenteurs légaux d’armes à feu que sont les chasseurs et les tireurs sportifs font preuve aujourd’hui d’un esprit de responsabilité. Leurs activités sont bien encadrées par les fédérations de chasse ou les fédérations sportives auxquelles ils adhèrent. C’est pourquoi nous souhaitons, par l’adoption de ce texte, améliorer les dispositifs existants, renforcer la lutte contre le trafic et la détention d’armes illégale, sans attenter aux usages de la chasse, du tir sportif ou de collection, dès lors qu’ils s’inscrivent réellement dans ces perspectives.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP soutiendra le texte, dans la rédaction proposée par la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun a compris, en écoutant les orateurs qui se sont succédé, que l’actualité récente, voire brûlante, pesait fortement sur ce débat. En ce qui me concerne, je vais essayer de privilégier ce qui me paraît être le plus positif dans les objectifs du texte, à savoir répondre à une attente exprimée depuis très longtemps par les utilisateurs légaux, légitimes, des armes à feu, je veux parler des armuriers, des fabricants, des collectionneurs, des pratiquants de ball-trap, des tireurs sportifs et, bien évidemment, des chasseurs, les plus nombreux parmi les 2 millions de détenteurs légaux d’armes à feu recensés.
Cette proposition de loi a également pour objet de permettre la transposition de la directive européenne sur les armes évoquée par les orateurs précédents, laquelle entraînera le passage de huit catégories d’armes à quatre.
Force est de constater que la gestation de ce texte a été longue et laborieuse. En effet, il aura fallu un rapport de mission d’information produit par deux députés, ce rapport ayant lui-même servi de support au texte discuté et adopté par l’Assemblée nationale en janvier 2011.
Pour autant, ce dernier s’est révélé imprécis et décalé par rapport à la réalité. Il a donc suscité, fort logiquement, controverses et protestations de la part des intéressés.
Après plusieurs mois de discussions entre les représentants des associations, notamment le comité Guillaume Tell, et les pouvoirs publics, cette proposition de loi arrive au Sénat, qui, comme il en a l’habitude, va se faire un devoir de mettre en adéquation les exigences législatives qui s’imposent avec les attentes exprimées depuis très longtemps.
À ce stade, vous me permettrez de privilégier les chasseurs, d’une part parce que, étant les plus nombreux, ils sont les premiers intéressés, d’autre part parce qu’ils ont fait la démonstration que leur pratique de la chasse est devenue beaucoup plus responsable et, partant, mieux acceptée par la population.
Du reste, en pratiquant leur sport favori, ils sont aussi parties prenantes d’enjeux économiques contribuant à faire vivre nos territoires ruraux, auxquels nous sommes tous attachés.
Mais il existe un autre contexte, je l’ai évoqué en début de propos, qui, véritablement, pèse sur ce débat. Ce texte, et ce n’est pas le moindre de ses mérites, modifie et renforce de manière significative la réglementation sur les armes, pour mieux lutter contre les trafics d’armes et ceux qui en font un usage violent et illégal.
Est-il utile de rappeler que l’actualité récente nous a conduits, malheureusement, à déplorer la mort de plusieurs personnes sous le feu d’armes de guerres, dans le cadre, soit de sordides règlements de compte, soit de braquages ayant mal tourné ?
En tout état de cause, mes chers collègues, vous comprendrez aisément que le texte, même s’il renforce, de manière précise et conséquente, le volet pénal relatif à la détention et à l’utilisation d’armes prohibées, aura atteint les limites de ce que la loi peut produire en la matière.
Il revient donc au ministère concerné, dans le cadre des missions lui incombant, de mettre en œuvre un dispositif beaucoup plus pertinent pour lutter efficacement contre l’entrée illicite de ces armes sur le sol français, leur vente et leur utilisation. Disant cela, je souhaite éviter un détournement, en quelque sorte, de la vocation de cette proposition de loi. À l’issue de ce débat, il ne doit pas y avoir la moindre confusion possible dans l’opinion publique entre ce que je viens de dénoncer et l’utilisation et la possession légitime des armes par les 2 millions de personnes se trouvant dans le cadre strict de la légalité.
Il n’était pas inutile de rappeler ces éléments pour resituer dans son contexte cette proposition de loi, qui, bien qu’ayant le mérite de répondre à une réalité sociétale et aux enjeux d’une société moderne, nécessite, néanmoins, d’autres améliorations. Je suis persuadé que notre discussion va permettre d’atteindre ce but en débouchant sur un texte de qualité, reflet de notre connaissance de la réalité du terrain au sens large.
Quant aux différents articles de la proposition de loi, certains d’entre eux ont effectivement besoin d’être modifiés ; je pense notamment à ceux qui traitent respectivement de la classification des différentes catégories d’armes et de leurs conditions d’acquisition et de détention. J’aurai l’occasion, en présentant un certain nombre d’amendements, d’aller plus loin dans mes explications. Il y aura également des choses à dire sur le transport légitime des armes.
Mes chers collègues, il nous revient donc de faire un dernier effort, afin de prendre en compte, au travers des modifications que nous apporterons au texte, dans une démarche que je pense consensuelle, les attentes des possesseurs et usagers d’armes légales.
Je pense très sincèrement qu’en comparaison avec les textes précédents cette proposition de loi constitue une réelle avancée. Néanmoins, elle doit être améliorée et les amendements que j’ai déposés avec de nombreux collègues socialistes ont l’ambition de concourir à cette bonification.
Pour terminer, je ferai quelques remarques plus précises, notamment sur l’agrément. À la lecture du texte, il apparaît que l’administration pourrait prendre des décisions de refus d’agrément sans avoir à les motiver ou à les justifier. Sans une telle motivation, la décision en question ne pourrait pas être attaquée au tribunal administratif et deviendrait donc irrévocable, privant de ce fait l’intéressé de la possibilité d’un recours qui paraît légitime.
Je voudrais également évoquer le statut des collectionneurs, qui va dans le bon sens. Néanmoins, ces derniers ne feront pas l’économie d’une discussion entre eux afin de trouver les moyens de se fédérer et de s’organiser dans le cadre de leur activité. Cette structuration doit être le corollaire de la reconnaissance véritable de leur statut. Nous sommes donc favorables à tout ce qui pourrait les inciter à mieux s’organiser.
Enfin, monsieur le ministre, il faudra porter une attention toute particulière à ce que je considère comme les travaux pratiques, je veux parler des décrets d’application, de leur date de parution et de leur contenu. Nous serons très vigilants sur ce point.
C’est donc dans un état d’esprit très constructif que s’ouvre le débat et j’espère que, comme à l’Assemblée nationale, ce texte fera l’objet, in fine, d’un consensus, compte tenu de la valeur ajoutée que nous aurons su lui apporter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je serai bref, puisque j’aurai l’occasion, dans la discussion des articles, de revenir sur l’essentiel des problèmes soulevés, notamment sur le souhait de ne pas compliquer la vie à ceux qui pratiquent des activités tout à fait légales ; je pense aux chasseurs, aux collectionneurs ou aux sportifs. Nous entendons leur faciliter la vie. En revanche, nous ferons tout pour compliquer celle de l’ensemble des malfaiteurs, qui profitent trop souvent de dispositifs législatifs et réglementaires trop subtils.
Je tiens néanmoins à répondre dès à présent à trois questions précises.
Premièrement, madame Borvo Cohen-Seat, je rappellerai que le Taser est une arme non létale, ayant vocation à être classée dans la catégorie B, parmi les « armes soumises à autorisation pour l’acquisition et la détention ». Cette arme a donc un usage parfaitement réglementé et elle remplit sa vocation opérationnelle. Je précise, pour ne pas laisser subsister la moindre ambiguïté, qu’elle est évidemment interdite aux particuliers.
Deuxièmement, monsieur Richard, plusieurs initiatives ont d’ores et déjà été engagées dans le cadre de la lutte contre les trafics d’armes internationaux.
La présidence belge de l’Union européenne a ainsi présenté, en 2010, un plan d’actions contre les trafics d’armes dites « lourdes », soutenu par l’ensemble des pays européens, afin d’envisager, ensemble, les mesures susceptibles d’être mises en œuvre en la matière.
Les armes provenant des zones de conflits méritent une attention particulière, surtout au vu des situations précises que nous devons gérer en ce moment. Dès 2008, la présidence française de l’Union européenne avait entrepris, avec le soutien de la Commission, une concertation avec les pays balkaniques, afin d’étudier ensemble les moyens de récupérer une partie des armes volées dans les stocks gouvernementaux à l’issue du conflit. Ces travaux doivent se poursuivre.
S’agissant des soupçons pesant sur des armes en provenance de pays ayant connu, au cours des derniers mois, des mouvements de libération, les services de renseignements français sont très attentifs à tous les mouvements qui pourraient approvisionner le marché criminel français. Comme chacun le sait, c’est l’une des voies choisies pour continuer à alimenter les réseaux. Il n’est qu’à voir l’ampleur de certaines prises effectuées lors de la découverte de caches d’armes pour ne pas avoir de doutes sur leur origine.
Troisièmement, messieurs Mirassou et Richard, l’élaboration des décrets d’application demande un important travail, mais nos équipes sont mobilisées pour faire en sorte que nous puissions traduire le plus rapidement possible ce texte de loi dans les faits. Espérons qu’il sera adopté avec la majorité la plus large possible, pour que son application en soit rendue d’autant plus légitime.
À ce stade de la discussion, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi une nouvelle fois de remercier M. le rapporteur et la commission du travail approfondi accompli sur ce dossier.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Chapitre Ier
Dispositions relatives à la classification des armes
Article 1er
L’article L. 2331-1 du code de la défense est ainsi rédigé :
« Art. L. 2331-1. – I. – Les matériels de guerre et les armes, munitions et éléments désignés par le présent titre sont ainsi classés :
« 1° Catégorie A1 : armes et munitions conçues pour la guerre terrestre, navale ou aérienne et armes présentant une même dangerosité ;
« 1° bis Catégorie A2 : matériels de protection contre les gaz de combat, matériels destinés à porter ou à utiliser les armes à feu au combat ;
« 2° Catégorie B : armes soumises à autorisation pour l’acquisition et la détention ;
« 3° Catégorie C : armes soumises à déclaration pour l’acquisition et la détention ;
« 4° Catégorie D : armes soumises à enregistrement et armes et matériels dont l’acquisition et la détention sont libres.
« Un décret en Conseil d’État détermine les matériels, armes, munitions, éléments essentiels, accessoires et opérations industrielles compris dans chacune de ces catégories ainsi que les conditions de leur acquisition et de leur détention. Il fixe les modalités de délivrance des autorisations ainsi que celles d’établissement des déclarations ou des enregistrements.
« En vue de préserver la sécurité et l’ordre publics, le classement prévu aux 1° à 4° est fondé sur la dangerosité des matériels et des armes. Pour les armes à feu, la dangerosité s’apprécie en particulier en fonction des modalités de répétition du tir ainsi que du nombre de coups tirés sans qu’il soit nécessaire de procéder à un réapprovisionnement de l’arme.
« Par dérogation à l’alinéa précédent, les armes utilisant des munitions de certains calibres fixés par décret en Conseil d’État sont classées par la seule référence à ce calibre.
« II. – Les matériels qui sont soumis à des restrictions ou à une procédure spéciale pour l’importation ou l’exportation hors du territoire de l’Union européenne ou pour le transfert au sein de l’Union européenne sont définis au chapitre V du présent titre. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L’amendement n° 1, présenté par MM. Mirassou et Sueur, Mme Klès, MM. Carrère et Patriat, Mme Herviaux, MM. Bérit-Débat et Camani, Mme Cartron, MM. Courteau et Daunis, Mmes Durrieu et Espagnac, MM. Fauconnier, Guillaume, Krattinger, Labazée et Mazuir, Mme D. Michel et MM. Navarro, Néri, Rebsamen et Sutour, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 2 à 6
Remplacer ces alinéas par sept alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 2331-1. - I. - Les matériels de guerre et les armes désignés par le présent titre sont classés dans les catégories suivantes :
« 1° Catégorie A : matériels de guerre et armes interdits à l’acquisition et à la détention.
« Cette catégorie comprend :
« - A1 : les armes, éléments d’armes et accessoires interdits à l’acquisition et à la détention ;
« - A2 : les matériels destinés à porter ou à utiliser au combat les armes, les matériels de protection contre les gaz de combat ;
« 2° Catégorie B : armes soumises à autorisation ;
« 3° Catégorie C : armes soumises à déclaration ;
II. – Alinéa 10
Remplacer le mot :
sont
par les mots :
peuvent être
III. – Alinéa 11
Après le mot :
matériels
insérer les mots :
appartenant ou non aux précédentes catégories
La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Cet amendement a une importance tout à fait cruciale, puisqu’il vise à lever les ambigüités, évoquées tout à l’heure, pesant sur la nouvelle classification des armes qui nous est soumise.
La proposition de loi initialement adoptée par la commission des lois de l’Assemblée nationale proposait une classification des armes en quatre catégories – A, B, C et D –, avec l’idée de la faire correspondre à celle qui figurait dans la directive européenne concernée.
Or, par l’adoption d’un amendement déposé en séance publique, deux sous-catégories, A1 et A2, ont été créées, A1 reprenant le contenu de l’actuelle première catégorie en ciblant les « armes et munitions conçues pour la guerre terrestre, navale ou aérienne ». De ce fait, les armes de première catégorie légalement détenues à l’heure actuelle, notamment par des tireurs sportifs, deviendraient purement et simplement interdites, et ce alors même que, depuis 1939, il est possible d’en détenir à titre sportif sous le régime de l’autorisation.
L’adoption d’une telle mesure conduirait à une quasi-disparition du tir en France, ainsi qu’à une spoliation potentielle de dizaines de milliers de personnes n’ayant rien à se reprocher et qui, par ailleurs, sont étroitement fichées.
Il serait envisageable de donner la possibilité aux tireurs sportifs d’acquérir et de détenir des armes en catégorie A1. Mais comment l’objectif de clarté pourrait-il être atteint si coexistent les catégories A1 et B, soit les armes interdites sauf autorisation et les armes soumises à autorisation ? Pour sortir d’un tel imbroglio, la solution la plus simple consisterait à regrouper en catégorie B l’ensemble des armes soumises à autorisation.
Nous proposons donc de clarifier le dispositif en trois points.
Il s’agit, d’abord, de donner une définition générique cohérente des différentes catégories, selon leur régime juridique d’acquisition et de détention : interdiction, autorisation, déclaration, enregistrement et libre.
Il s’agit, ensuite, de maintenir la capacité du pouvoir réglementaire à effectuer la répartition entre différentes catégories, le critère du calibre pouvant être utilisé à titre exceptionnel et lorsque cela est justifié par des impératifs de sécurité publique, le classement de droit commun reposant sur des critères de dangerosité objective, comme dans la directive.
Il s’agit, enfin, de supprimer la notion de « dangerosité équivalente » pour la catégorie A1, dont le caractère juridiquement flou et potentiellement attractif pourrait en quelque sorte faire « remonter » en armes interdites un nombre important d’armes utilisées couramment pour la chasse et le tir, lesquelles sont actuellement placées sous le régime de la déclaration.
Seraient ainsi conciliés l’impératif de sécurité publique et l’objectif, essentiel, de clarification de la réglementation.
Je m’empresse d’ajouter que, dans un souci de cohérence, nous ne verrions pas d’inconvénient à voir introduites deux modifications rédactionnelles, afin d’ajouter aux matériels de guerre et armes les munitions et éléments désignés par le code de la défense et de préciser que les armes soumises à autorisation et à déclaration s’entendent « pour l’acquisition et la détention ».
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par M. Poniatowski et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :
Alinéas 2, 3 et 4
Remplacer ces alinéas par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 2331-1. – I.- Les matériels de guerre et les armes désignés par le présent titre sont classés dans les catégories suivantes :
« 1° Catégorie A : matériels de guerre et armes interdits à l’acquisition et à la détention.
« Cette catégorie comprend :
« - A1 : les armes, éléments d’armes et accessoires interdits à l’acquisition et à la détention ;
« - A2 : les matériels destinés à porter ou à utiliser au combat les armes, les matériels de protection contre les gaz de combat ;
La parole est à M. Ladislas Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Cet amendement, déposé au nom de l’ensemble du groupe UMP, va exactement dans le même sens que le précédent, tout en étant un peu plus simple. Nous n’y répétons pas notamment ce qui figure déjà dans le texte de loi : ce serait rendre inutilement la loi « bavarde », et vous savez tous ce que nous en pensons, mes chers collègues !
Notre collègue Jean-Jacques Mirassou vient de le rappeler, la proposition de loi initiale créait quatre catégories : A, pour les armes interdites ; B et C, pour les armes soumises respectivement à autorisation et à déclaration ; D, pour les armes en vente libre. Cette classification avait le mérite d’être très simple et de coller au texte de la directive.
En introduisant les catégories A1 et A2, l’Assemblée nationale a quelque peu compliqué la situation. Même si son initiative peut se justifier, la nouvelle rédaction pose un vrai problème, qu’a rappelé Jean-Jacques Mirassou : les tireurs, de compétition en particulier, verraient brusquement leurs armes tomber dans la catégorie A1, et donc être interdites. Or celles-ci doivent impérativement se retrouver dans la catégorie C.
La classification que nous proposons a le mérite de clarifier le dispositif, en donnant une définition explicite des différentes catégories. Surtout, monsieur le ministre, elle permet au pouvoir réglementaire d’effectuer une répartition précise entre celles-ci. Nous distinguons notamment, satisfaisant ainsi une demande du ministère de la défense, les armes « à feu » ainsi que les autres types d’armes susceptibles d’apparaître à l’avenir, je veux parler des armes « électroniques ».
J’ai donc une petite préférence pour notre amendement, non pas parce que c’est nous qui le proposons, mais parce qu’il est un peu plus simple.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. La rédaction proposée par les amendements nos 1 et 5 pour remplacer les alinéas 2, 3 et 4 opère une simplification utile en distinguant nettement les armes interdites des armes utilisables dans le cadre d’une activité sportive sous un régime d’autorisation.
La commission a toutefois conditionné son accord à l’acceptation de quelques rectifications : le plus important est de mentionner que l’autorisation et la déclaration valent seulement pour l’acquisition et la détention. En effet, l’article du code de la défense ici modifié sert aussi de référence pour les règles en matière de port, de vente, de transfert, de fabrication, pour lesquels on ne peut pas parler de déclaration et d’autorisation au sens entendu ici.
Par ailleurs, la précision que tend à apporter le II de l’amendement n° 1 à l’alinéa 10 alourdit de notre point de vue la rédaction et n’est pas nécessaire : cela conduirait en effet à inscrire une dérogation à deux niveaux.
Enfin, il est demandé, toujours dans l’amendement n° 1, d’ajouter au II du texte proposé pour l’article L. 2331-1 du code de la défense la mention « appartenant ou non aux précédentes catégories » à propos des matériels soumis à des procédures spéciales au sein de l’Union. Cette modification ne nous semble pas non plus nécessaire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. L’avis du Gouvernement rejoint en grande partie celui que vient de présenter M. le rapporteur. Au vu des explications données et des réserves soulevées par la commission, c’est plutôt l’amendement n° 5 de M. Poniatowski qui doit être privilégié. L’idéal serait que M. Mirassou accepte de s’y rallier, ce qui permettrait de faire émerger une large convergence de vues.
Le Gouvernement s’en remettrait alors à la sagesse du Sénat, pour bien rappeler son souci de prendre en compte les préoccupations exprimées par les uns et par les autres tout en restant vigilant sur la nécessité, d’une part, d’éviter une trop grande complexité, et, d’autre part, de conserver l’obligation de déclaration, notamment pour les armes de catégorie B.
M. le président. Monsieur Mirassou, acceptez-vous de rectifier l’amendement dans le sens suggéré par M. le rapporteur ?
M. Jean-Jacques Mirassou. Notre amendement a, dirais-je, une vocation prophylactique puisque j’ai expliqué, en le présentant et avant même que M. le rapporteur ne me le demande, que nous étions prêts à accepter les modifications en question.
Je me garderai bien, du reste, dans le cadre d’une démarche qui se veut allégorique et consensuelle, de jeter une quelconque suspicion sur ce qui pourrait être considéré comme un tropisme partisan, dans la mesure où M. Poniatowski et M. le ministre sont du même bord politique... (M. le ministre proteste.) Monsieur le ministre, j’interprète les choses à ma façon, avec un tant soit peu de pertinence, ou d’impertinence, c’est selon !
Notre amendement a été déposé en premier. Malgré ce qu’a déclaré M. Poniatowski, la longueur de notre amendement se justifie dans la mesure où nous y apportons des éléments intéressants. C’est donc celui-ci qui, fondamentalement, devrait être considéré comme l’amendement de référence.
Cela étant, monsieur le président, je rectifie l’amendement n° 1, si je puis dire, avant, pendant et après !
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Mirassou et Sueur, Mme Klès, MM. Carrère et Patriat, Mme Herviaux, MM. Bérit-Débat et Camani, Mme Cartron, MM. Courteau et Daunis, Mmes Durrieu et Espagnac, MM. Fauconnier, Guillaume, Krattinger, Labazée et Mazuir, Mme D. Michel et MM. Navarro, Néri, Rebsamen et Sutour, et ainsi libellé :
Alinéas 2 à 6
Remplacer ces alinéas par sept alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 2331-1. - I. - Les matériels de guerre et les armes, munitions et éléments désignés par le présent titre sont classés dans les catégories suivantes :
« 1° Catégorie A : matériels de guerre et armes interdits à l’acquisition et à la détention.
« Cette catégorie comprend :
« - A1 : les armes, éléments d’armes et accessoires interdits à l’acquisition et à la détention ;
« - A2 : les matériels destinés à porter ou à utiliser au combat les armes à feu, les matériels de protection contre les gaz de combat ;
« 2° Catégorie B : armes soumises à autorisation pour l’acquisition et la détention ;
« 3° Catégorie C : armes soumises à déclaration pour l’acquisition et la détention ;
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Permettez-moi de vous le dire, monsieur Mirassou, votre vision des choses ne correspond vraiment pas à la réalité.
M. Philippe Richert, ministre. Mais non ! J’ai simplement voulu dire que, par l’amendement n° 5, M. Poniatowski et ses collègues répondaient déjà aux demandes de modification que le Gouvernement et la commission ont formulées à l’encontre du vôtre. Cela n’a rien à voir avec une question de politique partisane : il n’y a pas, en la matière, de clivage gauche-droite. Du reste, la rectification de votre amendement le rapproche encore plus de celui de M. Poniatowski.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Pour abonder dans le sens de M. le ministre, je précise que nos propositions de modification valent également pour l’amendement de M. Poniatowski.
Il convient en effet, d’une part, d’ajouter au texte proposé pour l’alinéa 2, après les mots : « matériels de guerres et les armes », les mots : « , munitions et éléments désignés par le présent titre », et, d’autre part, s’agissant des armes de catégories B et C, de préciser « pour l’acquisition et la détention ».
L’amendement n° 1 ayant été rectifié en ce sens, la commission y est favorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le ministre, pour employer une métaphore rugbystique, je dirai que vous venez de faire un cadrage-débordement. Pour ce qui me concerne, généralement, au cours d’un match, on ne me le faisait pas plus d’une fois !
Il ne s’agit évidemment pas de s’opposer à un amendement qui serait quasiment identique au nôtre. Mais il convient de baliser le débat de façon cohérente si on veut préserver l'objectif d’unanimité et de consensus que j’évoquais tout à l’heure. Je le dis maintenant pour que tout soit clair !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Dans la mesure où toutes les modifications demandées ont été apportées par M. Mirassou dans son amendement, ce qui revient peu ou prou à le rendre identique à l’amendement n° 5, le Gouvernement s’en remet évidemment à la sagesse du Sénat sur les deux amendements puisqu’ils visent à répondre aux mêmes objectifs.
Cela étant, il me paraissait plus simple que la Haute Assemblée se reporte tout de suite sur l’amendement n° 5 plutôt que d’attendre la rectification de l’amendement n° 1 pour qu’il soit transformé en un autre amendement n° 5 !
M. le président. En conséquence, l'amendement n° 5 n'a plus d'objet.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 9 rectifié est présenté par M. Gilles, Mlle Joissains, Mmes Lamure et Sittler, MM. Milon et Cléach, Mme Giudicelli, M. Pierre et Mme Garriaud-Maylam.
L'amendement n° 25 est présenté par M. César.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. - Alinéa 8, première phrase
1° Remplacer le mot :
détermine
par le mot :
précise
2° Compléter cette phrase par les mots :
, conformément au classement établi par la directive européenne du Conseil du 18 juin 1991 relative au contrôle de l'acquisition et de la détention d'armes (91/477/CEE)
II. - Alinéa 9
Après le mot :
dangerosité
insérer (deux fois) le mot :
avérée
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour présenter l’amendement n° 9 rectifié.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. M. Gilles étant absent aujourd’hui, il m’a demandé de présenter ses amendements.
Le présent amendement a pour objet d’obtenir une plus grande sécurité juridique et une meilleure harmonisation dans les classements par catégorie pour les citoyens détenteurs légaux d’armes. En effet, si la description précise du contenu des quatre catégories relève du pouvoir réglementaire, il ne fait pas de doute qu'elle doit impérativement consister en la transcription fidèle des obligations de la directive 91/477/CEE.
Cela conduirait à inscrire en catégorie A les armes automatiques et les matériels de guerre – canons, chars, missiles – et en catégorie B les armes à feu courtes à répétition, ainsi que les armes à feu longues semi-automatiques pouvant tirer plus de trois coups. Figureraient notamment en catégorie C les armes à feu longues à répétition à canon rayé, quelle que soit leur munition, tandis que les armes de chasse à un coup par canon lisse seraient classées en catégorie D tout en étant soumises à enregistrement lors de leur acquisition par un citoyen. Les autres armes – armes blanches, historiques et de collection – resteraient en vente et détention libres, en catégorie D.
M. le président. L’amendement n° 25 n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 9 rectifié ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. En premier lieu, le présent amendement tend à prévoir, outre une modification rédactionnelle, que le classement des armes dans les différentes catégories est effectué par un décret en Conseil d’État, conformément au classement établi par la directive européenne du 18 juin 1991.
Or la directive ne fixe pas de classification obligatoire des armes, mais oblige seulement des États à prévoir un encadrement minimal pour leur acquisition et leur détention, chaque État pouvant, comme l’indique expressément l’article 16, prévoir des restrictions plus fortes que celles qui sont indiquées par la directive.
En outre, il va de soi qu’il est indispensable de respecter les directives, sans qu’il soit nécessaire de le mentionner systématiquement dans les textes de droit interne.
En second lieu, l’amendement n° 9 rectifié tend à préciser que le classement des armes est fondé sur leur dangerosité avérée, ce qui n’ajoute pas d’élément nouveau, la dangerosité qui conduit à classer une arme dans telle ou telle catégorie devant, bien entendu, être réelle et non seulement supposée.
Pour toutes ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Garriaud-Maylam, l'amendement n° 9 rectifié est-il maintenu ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 9 rectifié est retiré.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 10 rectifié bis est présenté par M. Gilles, Mlle Joissains, Mmes Lamure et Sittler, MM. Milon et Cléach, Mme Giudicelli, M. Pierre et Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
L'amendement n° 26 rectifié est présenté par M. César.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« La commission interministérielle de classement des armes est présidée par un membre du contrôle général des armées du ministère de la défense et composée d’un représentant des ministres chargés de la justice et de l’intérieur, d'un membre des directions générales chargées de l’armement, des douanes, de l’industrie, de l’environnement, de la jeunesse et des sports, du commerce, d'un membre de la Chambre syndicale nationale des armuriers, détaillants en armes et munitions, de la Chambre syndicale nationale des fabricants et distributeurs d’armes, munitions, équipements et accessoires pour la chasse et le tir sportif, et de la Compagnie nationale des experts en armes et munitions près les cours d’appel, ainsi que de deux membres de la Fédération française de tir sportif, de la Fédération nationale de chasse et deux représentants des collectionneurs. La commission est paritaire et rend des avis conformes au ministre chargé de la défense sur les mesures de classement dans les diverses catégories. Ses avis motivés sont publics et publiés au Journal officiel.
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour présenter l’amendement n° 10 rectifié bis.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Toujours à la demande de notre collègue Bruno Gilles, je présente cet amendement qui vise à compléter l'article 1er par un nouvel alinéa visant la composition de la commission interministérielle de classement des armes.
Cet amendement a pour objet, d’une part, de mieux encadrer la définition des armes appartenant aux différentes catégories et, d’autre part, d’éviter de classer les armes à l’opposé de l’esprit et de la lettre de la directive 91/477/CEE, ainsi que du principe de sécurité juridique, de confiance légitime et d’intelligibilité de la loi.
Il inscrit donc dans la loi des garanties pour les citoyens sur l’indépendance et le fonctionnement de la commission interministérielle de classement des armes, qui devient paritaire et rend des avis conformes, motivés et publiés au Journal officiel.
M. le président. L’amendement n° 26 rectifié n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 10 rectifié bis.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Ces dispositions sont essentiellement d’ordre réglementaire. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Garriaud-Maylam, l'amendement n° 10 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Là encore, si l’amendement est satisfait par la voie réglementaire, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 10 rectifié bis est retiré.
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Le chapitre Ier du titre III du livre III de la deuxième partie du code de la défense est complété par un article L. 2331-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 2331-2. – I. – Les armes et matériels historiques et de collection ainsi que leurs reproductions sont :
« 1° Sauf lorsqu’elles présentent une dangerosité avérée, les armes dont le modèle est antérieur au 1er janvier 1900 ;
« 2° Les armes rendues inaptes au tir de toutes munitions, quels qu’en soient le modèle et l’année de fabrication, par l’application de procédés techniques et selon des modalités qui sont définis par arrêté conjoint des ministres de l’intérieur et de la défense et des ministres chargés de l’industrie et des douanes.
« Les chargeurs de ces armes doivent être rendus inaptes au tir dans les conditions fixées par l’arrêté prévu au premier alinéa du présent 2° ;
« 3° Les reproductions d’armes historiques et de collection dont le modèle est antérieur à la date prévue au 1°, sous réserve qu’elles ne tirent pas de munitions à étui métallique ;
« 4° Les matériels relevant de la catégorie A2 et dont le modèle est antérieur au 1er janvier 1946 et dont la neutralisation est effectivement garantie par l’application de procédés techniques et selon les modalités définis par arrêté de l’autorité ministérielle compétente.
« II. – Les armes et matériels historiques et de collection ainsi que leurs reproductions mentionnés au I sont classés en catégorie D.
« Art. L. 2331-3. – (Supprimé) »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 11 rectifié, présenté par M. Gilles, Mlle Joissains, Mmes Lamure et Sittler, MM. Milon et Cléach, Mme Giudicelli, M. Pierre et Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2
Après les mots :
Les armes
insérer les mots :
, accessoires d’armes, munitions
II. - Alinéa 3
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
« 1° Sauf lorsqu’elles présentent une dangerosité avérée, les armes dont le modèle a plus d’un siècle ;
« 1° bis Les armes dont le modèle a moins d’un siècle et qui sont énumérées dans un arrêté conjoint des ministres de l’intérieur et de la défense compte tenu de leur intérêt culturel, historique ou scientifique ;
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Cet amendement est défendu.
M. le président. L'amendement n° 49, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …° Les armes dont le modèle est postérieur au 1er janvier 1900 et qui sont énumérées dans un arrêté conjoint des ministres de l’intérieur et de la défense compte tenu de leur intérêt culturel, historique ou scientifique ;
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 11 rectifié.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. L’amendement n° 49 renvoie à une liste établie par le ministère de l’intérieur le soin de classer des armes postérieures à 1900 dans la liste des armes de collection. Il répond donc largement, comme je viens de l’indiquer, aux objets de l’amendement n° 11 rectifié, dont la commission sollicite le retrait.
La commission souhaiterait également que le Gouvernement s’engage à compléter régulièrement cette liste en étroite concertation avec les associations de collectionneurs, naturellement dans le respect de la sécurité publique.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 11 rectifié.
La disposition prévue par l’amendement n° 49 permettra d’étendre la liste des armes historiques et de collection au-delà de 1900. Certaines armes postérieures ne présentent pas de danger particulier pour la sécurité publique et peuvent donc être rendues accessibles.
L’arrêté du 7 septembre 1995, qui répondait à cet objectif, sera actualisé en fonction de l’évolution du millésime.
Par conséquent, le Gouvernement est favorable à cet amendement.
S’agissant de l’amendement n° 50 qui sera présenté tout à l’heure, le Gouvernement reconnaît pleinement l’action des associations de collectionneurs pour la conservation du patrimoine militaire, tant des armes que des matériels.
L’arrêté du 7 septembre 1995 sera repris dans le nouvel arrêté pour les armes postérieures à 1900, les autres armes devenant automatiquement armes historiques et de collection par le changement de millésime. Ainsi, le pistolet semi-automatique, même de 1919, et la carabine semi-automatique Luger de 1902 seront toujours en acquisition et détention libres. Cet arrêté interministériel évoluera en outre en concertation avec les représentants des collectionneurs.
S’agissant des matériels de guerre, il pourrait être envisagé, en lien avec les services du ministère de la défense et les associations de collectionneurs, d’inscrire sur la liste certains matériels postérieurs à 1946 tels que des matériels de transmission de cette période de l’immédiat après-guerre.
Tels sont les éléments que je souhaitais apporter, en réponse aux interventions qui ont eu lieu lors de la discussion générale et aux interrogations que se posent légitimement les collectionneurs.
M. le président. L'amendement n° 12 rectifié, présenté par M. Gilles, Mlle Joissains, Mmes Lamure et Sittler, MM. Milon et Cléach, Mme Giudicelli, M. Pierre et Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 4
1° Rédiger ainsi le début de cet alinéa :
« 2° Les armes, accessoires d’armes et munitions neutralisées, quels qu'en soient...
2° Compléter cet alinéa par les mots :
; les épaves d’armes inaptes au tir de toutes munitions définies par arrêté conjoint des ministres de l’intérieur et de la défense et des ministres chargés de l’industrie et des douanes.
II. - Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Il s’agit de rédiger ainsi le début de l’alinéa 4 : « Les armes, accessoires d’armes et munitions neutralisées, quels qu'en soient... » et de compléter cet alinéa par les mots : « les épaves d’armes inaptes au tir de toutes munitions définies par arrêté conjoint des ministres de l’intérieur et de la défense et des ministres chargés de l’industrie et des douanes ».
Il s’agit en outre de supprimer l’alinéa 5.
Cet amendement tend à préciser que les munitions et chargeurs neutralisés sont bien en catégorie D, le terme neutralisation étant reconnu juridiquement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Cet amendement a en fait plusieurs objets.
En premier lieu, il supprime la disposition selon laquelle les chargeurs des armes doivent, pour être considérés comme des pièces de collection, avoir été rendus inaptes au tir. Or cette neutralisation est essentielle pour préserver la sécurité publique.
En second lieu, l’amendement précise que les « épaves d’armes », par exemple des armes retrouvées à l’occasion de travaux, doivent être considérées comme des armes de collection dès lors qu’en raison de leur état elles sont bien inaptes au tir.
Toutefois, il n’est pas certain que le Banc national d’épreuve de Saint-Etienne soit techniquement en mesure de s’assurer qu’une arme est une épave et qu’elle n’a donc pas besoin d’une opération effective de neutralisation. La sécurité publique impose donc de neutraliser ces « épaves d’armes ».
Toutefois, on peut supposer que des consignes seront données au Banc national d’épreuve de Saint-Etienne pour qu’il n’apporte à ces armes que les modifications strictement nécessaires à leur neutralisation. Sur ce point, le Gouvernement pourra sans doute nous apporter quelques précisions de nature à rassurer les auteurs de cet amendement.
Par conséquent, la commission sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 13 rectifié, présenté par M. Gilles, Mlle Joissains, Mmes Lamure et Sittler, MM. Milon et Cléach, Mme Giudicelli, M. Pierre et Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer les mots :
au 1er janvier 1946
par les mots :
au 1er janvier 1950 ou fabriqués depuis plus de 75 ans
Cet amendement n’est pas soutenu.
L'amendement n° 50, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …° Les matériels de guerre relevant de la catégorie A2 dont le modèle est postérieur au 1er janvier 1946, dont la neutralisation est garantie dans les conditions prévues au 4° et qui sont énumérés dans un arrêté du ministre de la défense compte tenu de leur intérêt culturel, historique ou scientifique.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Cet amendement renvoie à une liste établie par le ministère de la défense le soin de classer le matériel de guerre postérieur à 1946 dans la liste des pièces de collection.
Je souhaiterais que le Gouvernement s’engage à compléter régulièrement cette liste en étroite concertation avec les associations de collectionneurs, et naturellement dans le respect de la sécurité publique.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur l'amendement. En outre, je réponds positivement à la question posée.
M. le président. L'amendement n° 14 rectifié, présenté par M. Gilles, Mlle Joissains, Mmes Lamure et Sittler, MM. Milon et Cléach, Mme Giudicelli, M. Pierre et Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Remplacer cet alinéa par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 2331-3. - Les matériels ou armes historiques et de collection ainsi que leurs reproductions mentionnées à l'article L. 2331-2 sont classées en catégorie D comme suit :
« D1 - Armes à feu longues à un coup par canon lisse ;
« D2 - Armes blanches et autres armes ;
« D3 - Armes historiques ou de collection ;
« D4 - Matériels historiques ou de collection. »
Cet amendement n’est pas soutenu.
Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Chapitre II
Dispositions relatives aux conditions d’acquisition et de détention des matériels, des armes, éléments d’armes, de leurs munitions et accessoires
Section 1
Dispositions générales
Article 3
L’article L. 2336-1 du code de la défense est ainsi rédigé :
« Art L. 2336-1. – I. – Nul ne peut acquérir et détenir légalement des matériels ou des armes de toute catégorie s’il n’est pas âgé de dix-huit ans révolus, sous réserve des exceptions définies par décret en Conseil d’État pour la chasse et les activités encadrées par la fédération sportive ayant reçu, au titre de l’article L. 131-14 du code du sport, délégation du ministre chargé des sports pour la pratique du tir.
« II. – L’acquisition et la détention des matériels de guerre et des armes relevant de la catégorie A2 sont interdites, sauf pour les besoins de la défense nationale et de la sécurité publique. Un décret en Conseil d’État définit les conditions dans lesquelles l’État, pour les besoins autres que ceux de la défense nationale et de la sécurité publique, les collectivités territoriales et les organismes d’intérêt général ou à vocation culturelle, historique ou scientifique peuvent être autorisés à acquérir et à détenir des matériels de guerre de catégorie A2. Il fixe également les conditions dans lesquelles certains matériels de guerre peuvent être acquis et détenus à fin de collection par des personnes physiques, sous réserve des engagements internationaux en vigueur et des exigences de l’ordre et de la sécurité publics.
« L’acquisition et la détention des armes et des munitions de la catégorie A1 sont interdites, sauf autorisation délivrée dans les conditions définies par décret en Conseil d’État.
« III. – Nul ne peut acquérir et détenir légalement des matériels ou des armes des catégories B et C s’il ne remplit pas les conditions suivantes :
« 1° Disposer d’un bulletin n° 2 de son casier judiciaire ne comportant pas de mention de condamnation pour l’une des infractions suivantes :
« - meurtre, assassinat ou empoisonnement prévus par les articles 221-1 et suivants du code pénal ;
« - tortures et actes de barbarie prévus par les articles 222-1 et suivants du code pénal ;
« - violences volontaires prévues par les articles 222-7 et suivants du code pénal ;
« - menaces d’atteinte aux personnes prévues par les articles 222-17 et suivants du code pénal ;
« - viol et agressions sexuelles prévus par les articles 222-22 et suivants du code pénal ;
« - exhibition sexuelle prévue par l’article 222-32 du code pénal ;
« - harcèlement sexuel prévu par l’article 222-33 du code pénal ;
« - harcèlement moral prévu par les articles 222-33-2 et 222-33-2-1 du code pénal ;
« - enregistrement et diffusion d’images de violence prévus par l’article 222-33-3 du code pénal ;
« - trafic de stupéfiants prévu par les articles 222-34 et suivants du code pénal ;
« - enlèvement et séquestration prévus par les articles 224-1 et suivants du code pénal ;
« - détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport prévu par les articles 224-6 et suivants du code pénal ;
« - traite des êtres humains prévue par les articles 225-4-1 et suivants du code pénal ;
« - proxénétisme et infractions qui en résultent prévus par les articles 225-5 et suivants du code pénal ;
« - recours à la prostitution des mineurs ou de personnes particulièrement vulnérables prévu par les articles 225-12-1 et suivants du code pénal ;
« - exploitation de la mendicité prévue par les articles 225-12-5 et suivants du code pénal ;
« - vols prévus par les articles 311-1 et suivants du code pénal ;
« - extorsions prévues par les articles 312-1 et suivants du code pénal ;
« - recel de vol ou d’extorsion prévu par les articles 321-1 et suivants du code pénal ;
« - destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes prévues par les articles 322-5 et suivants du code pénal ;
« - menaces de destruction, de dégradation ou de détérioration et fausses alertes prévues par les articles 322-12 et 322-14 du code pénal ;
« - blanchiment prévu par les articles 324-1 et suivants du code pénal ;
« - participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d’une arme prévue par l’article 431-10 du code pénal ;
« - introduction d’armes dans un établissement scolaire prévue par l’article 431-28 du code pénal ;
« - rébellion armée et rébellion armée en réunion prévues par l’article 433-8 du code pénal ;
« - destructions, dégradations et détériorations ne présentant pas de danger pour les personnes prévues par les articles 322-1 et suivants du code pénal commises en état de récidive légale ;
« - fabrication ou commerce des matériels de guerre ou d’armes ou de munitions de défense prévues et réprimées par les articles L. 2339-2, L. 2339-3 et L. 2339-4 du code de la défense ;
« - acquisition, cession ou détention, sans autorisation, d’une ou plusieurs armes des catégories A1, A2, B, C ou d’armes de catégorie D mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 2336-1 ou de leurs munitions, prévues et réprimées par les articles L. 2339-5, L. 2339-6, L. 2339-7, L. 2339-8 du code de la défense ;
« - port, transport et expédition d’armes des catégories A1, A2, B, C ou d’armes de la catégorie D énumérées par un décret en Conseil d’Etat sans motif légitime prévus et réprimés par l’article L. 2339-9 du code de la défense ;
« - importation sans autorisation des matériels des catégories A1, A2, B, C ou d’armes de la catégorie D énumérées par un décret en Conseil d’Etat prévus et réprimés par les articles L. 2339-10 et L. 2339-11 du code de la défense ;
« - fabrication, vente, exportation, sans autorisation, d’un engin ou produit explosif ou incendiaire, port ou transport d’artifices non détonants, prévus et réprimés par les articles L. 2353-4 à L. 2353-13 du code de la défense ;
« 2° Ne pas se signaler par un comportement laissant objectivement craindre une utilisation de l’arme ou du matériel dangereuse pour soi-même ou pour autrui ;
« 3° Produire un certificat médical datant de moins d’un mois attestant de manière circonstanciée d’un état de santé physique et psychique compatible avec l’acquisition et la détention d’une arme et établi dans les conditions fixées à l’article L. 2336-3 ou, dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État, présenter la copie :
« a) D’un permis de chasser délivré en France ou à l’étranger revêtu de la validation de l’année en cours ou de l’année précédente ;
« b) D’une licence de tir en cours de validité délivrée par une fédération sportive ayant reçu délégation du ministre chargé des sports au titre de l’article L. 131-14 du code du sport ;
« c) Ou d’une carte du collectionneur d’armes délivrée en application de l’article L. 2337-1-1 du présent code.
« IV. – L’acquisition et la détention des armes de catégorie B sont soumises à autorisation dans des conditions définies par décret en Conseil d’État.
« Quiconque devient propriétaire par voie successorale ou testamentaire d’une arme de catégorie B, sans être autorisé à la détenir, doit s’en défaire dans un délai de trois mois à compter de la mise en possession, dans les conditions prévues à l’article L. 2337-3.
« V. – L’acquisition et la détention des armes de catégorie C par une personne physique nécessitent l’établissement d’une déclaration par l’armurier ou par leur détenteur dans des conditions définies par décret en Conseil d’État. Leur acquisition est subordonnée à la présentation d’une copie :
« 1° D’un permis de chasser revêtu de la validation de l’année en cours ou de l’année précédente ;
« 2° D’une licence de tir en cours de validité délivrée par une fédération sportive ayant reçu délégation du ministre chargé des sports au titre de l’article L. 131-14 du code du sport ;
« 3° Ou d’une carte du collectionneur d’armes délivrée en application de l’article L. 2337-1-1 du présent code.
« VI. – L’acquisition et la détention des armes de catégorie D sont libres.
« Un décret en Conseil d’État peut toutefois soumettre l’acquisition de certaines d’entre elles à des obligations particulières de nature à garantir leur traçabilité, compte tenu de leurs caractéristiques techniques, de leur valeur patrimoniale ou de leur utilisation dans le cadre de la pratique d’une activité sportive ou de loisirs.
« VII. – Le présent article ne s’applique pas, pour les opérations se rapportant à l’exercice de leur industrie ou de leur commerce, aux personnes se livrant à la fabrication ou au commerce des armes conformément aux dispositions du chapitre II du présent titre. »
M. le président. L'amendement n° 15 rectifié, présenté par M. Gilles, Mlle Joissains, Mmes Lamure et Sittler, MM. Milon et Cléach, Mme Giudicelli, M. Pierre et Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
I. - Après l'alinéa 1
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 2336-1. - I. - L'État garantit le droit d'avoir des matériels, armes et munitions aux citoyens, ces derniers ayant le devoir de respecter les conditions prévues par la loi pour les détenir.
« II. - Les décisions de refus d'autorisation sont motivées en fait et en droit.
« Les autorisations sont délivrées pour cinq ans, sauf pour les matériels dont l'autorisation est donnée à vie. Les déclarations et enregistrements sont valables à vie.
Cet amendement n’est pas soutenu.
L'amendement n° 59, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 3, première phrase
Supprimer les mots :
et des armes
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 54, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer les mots :
, sauf autorisation délivrée dans les conditions définies par décret en Conseil d'Etat
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination avec l’amendement n° 1 de M. Mirassou à l’article 1er que nous avons examiné tout à l’heure.
M. le président. L'amendement n° 16 rectifié, présenté par M. Gilles, Mlle Joissains, Mmes Lamure et Sittler, M. Milon, Mme Giudicelli, M. Pierre et Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
« Il fixe également les conditions dans lesquelles certaines armes de catégorie A1 peuvent être acquises et détenues aux fins de collection par des personnes physiques ou morales, sous réserve des engagements internationaux en vigueur et des exigences de l’ordre et de la sécurité publics.
Cet amendement n’est pas soutenu.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l'amendement n° 54 ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 54.
(L'amendement est adopté.)
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 17 rectifié est présenté par M. Gilles, Mlle Joissains, Mmes Lamure et Sittler, MM. Milon et Cléach, Mme Giudicelli, M. Pierre et Mme Garriaud-Maylam.
L'amendement n° 27 est présenté par M. César.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 6
Après le mot :
condamnation
insérer les mots :
supérieure à trois mois fermes ou six mois avec sursis
Ils ne sont pas soutenus.
L'amendement n° 73, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Après l'alinéa 28
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« - participation à un attroupement en étant porteur d'une arme ou provocation directe à un attroupement armé prévues aux articles 431-5 et 431-6 du code pénal ;
II. - Après l'alinéa 29
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« - intrusion dans un établissement d'enseignement scolaire par une personne porteuse d'une arme prévue aux articles 431-24 et 431-25 du code pénal ;
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 60, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 33
Après les mots:
de défense
insérer les mots :
sans autorisation
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 55, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 34
1° Après les mots :
plusieurs armes
insérer les mots :
ou matériels
2° Remplacer les mots :
mentionnées au deuxième alinéa de l'article L. 2336-1
par les mots :
mentionnées au VI du présent article
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. C’est un amendement rédactionnel.
M. le président. L'amendement n° 28, présenté par M. César, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 34
Après les mots :
au deuxième alinéa
insérer les mots :
du VI
II. - Alinéa 49
Après les mots :
des armes
insérer les mots :
et des matériels
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 18 rectifié, présenté par M. Gilles, Mlle Joissains, Mmes Lamure et Sittler, M. Milon, Mme Bruguière, MM. Cléach et Cardoux, Mme Giudicelli, MM. Guené et Pierre et Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
Alinéa 34
Après les mots :
mentionnées au deuxième alinéa
insérer les mots :
du VI
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 20 rectifié, présenté par M. Gilles, Mlle Joissains, Mmes Lamure et Sittler, M. Milon, Mme Bruguière, M. Cléach, Mme Giudicelli, MM. Guené et Pierre et Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
Alinéa 49
Après les mots :
détention des armes
insérer les mots :
et des matériels
Cet amendement n'est pas soutenu.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 55 ?
M. le président. L'amendement n° 58, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 35
Remplacer les mots :
énumérées par un décret en Conseil d'État
par les mots :
soumises à enregistrement
II. - Alinéa 36
Remplacer les mots :
énumérées par un décret en Conseil d'État
par les mots :
soumises à enregistrement
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. C’est un amendement de précision.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Cet amendement n’est pas uniquement de précision, monsieur le rapporteur.
Si la modification apportée à l’alinéa 35 ne pose pas de problème, il n’en va pas de même concernant celle qui porte sur l’alinéa 36.
Actuellement, l’importation des armes des catégories 1 à 6 est soumise à un régime d’autorisation d’importation de matériel de guerre. Il faut donc non pas limiter l’obligation de l’autorisation de l’importation aux seules armes de la catégorie D soumises à l’enregistrement, mais l’étendre aux armes blanches classées également en catégorie D. C’est la raison pour laquelle, nous souhaitons maintenir le renvoi à un décret en Conseil d’État et, donc, conserver la rédaction de l’alinéa 36, qui permet de sauvegarder cette nécessaire précaution.
Je souhaite donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Monsieur le rapporteur, accédez-vous au souhait de M. le ministre ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Je propose plutôt de rectifier l’amendement en en maintenant le I et en en supprimant le II.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 58 rectifié, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, et ainsi libellé :
Alinéa 35
Remplacer les mots :
énumérées par un décret en Conseil d'État
par les mots :
soumises à enregistrement
Monsieur le ministre, quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement ainsi rectifié ?
M. le président. L'amendement n° 19 rectifié, présenté par M. Gilles, Mlle Joissains, Mmes Lamure et Sittler, M. Milon, Mme Bruguière, MM. Cléach et Cardoux, Mme Giudicelli, M. Pierre et Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
Alinéa 43
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Celui-ci précise notamment les conditions dans lesquelles un individu peut être autorisé à détenir plusieurs de ces armes dans le cadre de la légitime défense professionnelle ou personnelle, du sport, de la chasse et de la collection.
Cet amendement n'est pas soutenu.
Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 36, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 45
Rédiger ainsi cet alinéa :
« V. – L’acquisition des armes de catégorie C nécessite l’établissement d’une déclaration par l’armurier ou par leur détenteur dans des conditions définies par décret en Conseil d’État. Pour les personnes physiques, leur acquisition est subordonnée à la présentation d’une copie :
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Cet amendement répond aux remarques qui ont été formulées au début de la séance.
Aux termes de la réglementation actuelle, les clubs de tir, les fédérations de chasse, les entreprises de spectacle peuvent acquérir des armes de cinquième et septième catégories. Ces armes peuvent ainsi être prêtées à des chasseurs invités ou à des personnes qui découvrent le tir sportif.
L’écriture proposée oubliait cette faculté, que le présent amendement tend à rétablir, tout en prévoyant que les modalités de son application seront précisées par décret en Conseil d’État.
Par ailleurs, la rédaction de cet amendement permet de rassurer les détenteurs d’armes de la catégorie C, qui craignaient de ne plus pouvoir conserver une arme précédemment déclarée et acquise légalement si, une année, il leur arrivait de ne pas valider leur permis de chasse.
M. le président. Les amendements nos 2 et 6 sont identiques.
L'amendement n° 2 est présenté par MM. Mirassou et Sueur, Mme Klès, MM. Carrère et Patriat, Mme Herviaux, MM. Bérit-Débat et Camani, Mme Cartron, MM. Courteau et Daunis, Mmes Durrieu et Espagnac, MM. Fauconnier, Guillaume, Krattinger, Labazée et Mazuir, Mme D. Michel et MM. Navarro, Néri, Rebsamen et Sutour.
L'amendement n° 6 est présenté par M. Poniatowski et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 45, première phrase
Supprimer les mots :
et la détention
La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour présenter l’amendement n °2.
M. Jean-Jacques Mirassou. M. le ministre vient d’apporter une réponse claire à la préoccupation qui était la nôtre lors du dépôt de cet amendement. Il s’agissait de prévenir les risques d’ébullition que nous pressentions notamment dans le monde des chasseurs. (Sourires.) Dans la mesure où, apparemment, ce problème ne se pose plus, je retire mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 2 est retiré.
La parole est à M. Ladislas Poniatowski, pour présenter l'amendement n° 6.
M. Ladislas Poniatowski. L’amendement n° 36 me convient tout à fait puisqu’il fait disparaître le mot « détention ». Dans ces conditions, je retire l’amendement n° 6.
M. le président. L’amendement n° 6 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 36.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 56, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 50
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
« VI bis.-Sont interdites :
« 1° L'acquisition ou la détention de plusieurs armes de la catégorie B par un seul individu, sauf dans les cas prévus par décret en Conseil d'État ;
« 2° L'acquisition ou la détention de plus de 50 cartouches par arme de la catégorie B, sauf dans les cas prévus par décret en Conseil d'État.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Le présent amendement tend à réparer un oubli de la proposition de loi. Il est en effet nécessaire qu'un décret puisse préciser dans quelles conditions plusieurs armes soumises à autorisation peuvent être détenues par un même individu. Il en est de même de la possibilité de détenir plus de cinquante cartouches.
À cette fin, le présent amendement reprend des dispositions figurant actuellement à l'article L. 2336-1 du code de la défense.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
(Suppression maintenue)
Article 5
L’article L. 2337-3 du code de la défense est ainsi rédigé :
« Art. L. 2337-3. – I. – Une arme de catégorie B ne peut être cédée par un particulier à un autre que dans le cas où le cessionnaire est autorisé à la détenir dans les conditions fixées à l’article L. 2336-1.
« Dans tous les cas, les transferts d’armes ou de munitions de la catégorie B sont opérés suivant des formes définies par décret en Conseil d’État.
« II. – Toute cession entre particuliers d’une arme de catégorie C donne lieu à l’établissement et au dépôt d’une déclaration dans les conditions définies au V de l’article L. 2336-1, dans un délai d’un mois, auprès du représentant de l’État dans le département du lieu de son domicile. À l’expiration de ce délai, il doit être en mesure de présenter le récépissé de la déclaration sur toute réquisition des services du représentant de l’État dans le département du lieu du domicile ou des agents de la force publique, sous peine d’une amende prévue pour les contraventions de deuxième classe.
M. le président. L'amendement n° 52, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
1°Après les mots :
de catégorie C
insérer les mots :
ou de catégorie D soumises à enregistrement
2°Après les mots :
article L. 2336-1
insérer les mots :
ou, le cas échéant, à un enregistrement
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Cet amendement tend à prévoir que les armes de catégorie D soumises à enregistrement doivent faire l'objet de cet enregistrement lors de leur cession de particulier à particulier.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. L’amendement permet de clarifier la cession entre particuliers des armes de catégorie D soumises à enregistrement, ce que le projet de loi ne prévoit pas puisqu’il traite de la cession des seules armes soumises à autorisation ou déclaration.
Une telle exigence n’était pas dans la volonté initiale du Gouvernement dans la mesure où les armes visées ne sont soumises à enregistrement que depuis le 1er décembre dernier. Cette mesure n’a vocation à s’appliquer qu’aux armes détenues à compter de cette même date.
Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L'amendement n° 53, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 4, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
ou, à Paris, du préfet de police
II. - Alinéa 4, seconde phrase
Après les mots :
du lieu du domicile
insérer les mots :
ou, à Paris, du préfet de police
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision.
M. le président. Les amendements nos 3 et 7 sont identiques.
L'amendement n° 3 est présenté par MM. Mirassou et Sueur, Mme Klès, MM. Carrère et Patriat, Mme Herviaux, MM. Bérit-Débat et Camani, Mme Cartron, MM. Courteau et Daunis, Mmes Durrieu et Espagnac, MM. Fauconnier, Guillaume, Krattinger, Labazée et Mazuir, Mme D. Michel et MM. Navarro, Néri, Rebsamen et Sutour.
L'amendement n° 7 est présenté par M. Poniatowski et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 4, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour présenter l’amendement n° 3.
M. Jean-Jacques Mirassou. Cet amendement reprend les préoccupations évoquées tout à l’heure puisqu’il prévoit de supprimer l’instauration d’une contravention de deuxième catégorie qui, là encore, ne peut pas s’appliquer. Il s’agit en effet de constater que les pouvoirs publics sont dans l’impossibilité de délivrer un récépissé dans le délai de quinze jours. Il serait pour le moins paradoxal, alors que la faute n’incombe pas au détenteur de l’arme, de le sanctionner.
M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski, pour présenter l'amendement n° 7.
M. Ladislas Poniatowski. Je ne peux que me rallier à l’amendement défendu par M. Mirassou. Cela me permet de montrer que le groupe UMP et le groupe socialiste peuvent parfois défendre les mêmes causes ! (Sourires.)
On étouffe sous l’excès de paperasserie ! Au demeurant, exiger que des chasseurs se baladent tout le temps avec un petit bout de papier supplémentaire, cela ne sert strictement à rien !
Voilà pourquoi je retire l’amendement déposé par le groupe UMP, étant entendu que je voterai l’amendement déposé par des sénateurs socialistes.
M. Jean-Jacques Mirassou. Bravo !
M. le président. Je serais tenté de dire : même combat ! Mais c’est uniquement parce qu’il est question d’armes : qu’on n’y voie aucune malice ! (Nouveaux sourires.)
L’amendement n° 7 est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 3 ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Aux termes de l’article 5, la personne qui acquiert une arme auprès d’un particulier en fait la déclaration dans un délai d’un mois. L’article prévoit que, passé ce délai, il doit pouvoir présenter le récépissé fourni par la préfecture.
Cet amendement tend à supprimer la contravention prévue pour non-présentation de ce récépissé dans le délai d’un mois, au motif que les préfectures ne peuvent le délivrer dans le délai imparti.
Certes, il y a là un véritable problème pratique. Toutefois, supprimer la contravention enlèverait toute portée à l’obligation de déclaration pour les particuliers qui achètent une arme à un autre particulier, ce qui irait totalement à l’encontre de l’objectif de sécurité publique.
Plus que la contravention elle-même, nécessaire à l’efficacité du dispositif, les auteurs de l’amendement critiquent d’ailleurs le délai fixé pour l’obligation de présentation. Or, contrairement à ce qui figure dans l’objet de cet amendement, ce délai a déjà été porté à un mois par la commission, ce qui paraît raisonnable.
Plutôt enclin à maintenir la contravention, je souhaiterais entendre l’avis du Gouvernement sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 53 et 3 ?
M. Philippe Richert, ministre. En ce qui concerne l’amendement n° 53, sur le fond, nous sommes d’accord. La seule difficulté tient au fait que la précision proposée relève du domaine réglementaire. Cela conduit le Gouvernement, qui ne souhaite pas favoriser l’inscription de précisions de nature réglementaire dans la loi, à s’en remettre à la sagesse du Sénat.
Quant à l’amendement n° 3, il va nous fournir une nouvelle occasion de démontrer que nous sommes soucieux de simplification et que nous entendons les préoccupations des chasseurs : sans plus entrer dans le détail, j’émets un avis favorable sur cet amendement.
M. Ladislas Poniatowski. Merci !
M. le président. Quel est, maintenant, l’avis de la commission sur l’amendement n° 3 ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. La commission émet un avis favorable sur l’amendement n° 3.
Par ailleurs, elle rectifie l’amendement n° 53 en en supprimant le II pour éviter que ce texte ne devienne sans objet en cas d’adoption de l’amendement n° 3.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 53 rectifié, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, et ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
ou, à Paris, du préfet de police
Quel est l’avis du Gouvernement sur cet amendement ainsi rectifié ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 5, modifié.
(L'article 5 est adopté.)
Articles 6 et 7
(Suppressions maintenues)
Section 2
Dispositions spéciales relatives aux collectionneurs d’armes
Article 8
(Non modifié)
I. – Après l’article L. 2337-1 du code de la défense, il est inséré un article L. 2337-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 2337-1-1. – I. – Les personnes physiques et morales qui exposent dans des musées ouverts au public ou dont l’objet est de contribuer, par la réalisation de collections, à la conservation, à la connaissance ou à l’étude des matériels et des armes peuvent, à leur demande, se voir reconnaître la qualité de collectionneur d’armes en vertu d’un agrément délivré par l’autorité compétente de l’État.
« L’agrément ne peut être accordé que si l’auteur de la demande remplit les conditions prévues au I et aux 1° et 2° du III de l’article L. 2336-1.
« II. – L’agrément reconnaissant la qualité de collectionneur permet d’acquérir et de détenir des armes de la catégorie C ainsi que leurs munitions.
« Cette qualité est attestée par la délivrance d’une carte du collectionneur d’armes où sont inscrites les armes détenues par son titulaire. Un décret en Conseil d’État fixe la durée de la validité de la carte, ainsi que les conditions de sa délivrance et de son renouvellement. »
II. – Dans un délai de vingt-quatre mois à compter de la promulgation de la présente loi, les personnes physiques et morales détenant des armes relevant de la catégorie C qui déposent une demande d’agrément et remplissent les conditions fixées au I et aux 1° et 2° du III de l’article L. 2336-1 du code de la défense et par le décret en Conseil d’État mentionné au II de l’article L. 2337-1-1 du même code sont réputées avoir acquis et détenir ces armes dans des conditions régulières.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 57, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. - Après l'article L. 2337-1 du code de la défense, il est inséré un article L. 2337-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 2337-1-1. - I. - Peuvent obtenir une carte de collectionneur d’armes délivrée par l'autorité compétente de l'État les personnes physiques qui :
« 1° Exposent dans des musées ouverts au public ou contribuent, par la réalisation de collections, à la conservation, à la connaissance ou à l'étude des armes ;
« 2° Remplissent les conditions prévues au I et aux 1° et 2° du III de l'article L. 2336-1 ;
« 3° Produisent un certificat médical dans les conditions prévues au 3° du III de l’article L. 2336-1 ;
« 4° Justifient avoir été sensibilisées aux règles de sécurité dans le domaine des armes.
« II. - Peuvent obtenir une carte de collectionneur d’armes délivrée par l'autorité compétente de l'État les personnes morales :
« 1° Qui exposent dans des musées ouverts au public ou dont l’objet est contribuer, par la réalisation de collections, à la conservation, à la connaissance ou à l'étude des armes ;
« 2° Dont les représentants remplissent les conditions prévues au I et aux 1° et 2° du III de l'article L. 2336-1 ;
« 3° Dont les représentants produisent un certificat médical dans les conditions prévues au 3° du III de l’article L. 2336-1 ;
« 4° Dont les représentants justifient avoir été sensibilisés aux règles de sécurité dans le domaine des armes.
« III. – La carte de collectionneur permet d'acquérir et de détenir des armes de la catégorie C.
« IV. - Un décret en Conseil d'État fixe la durée de la validité de la carte ainsi que les conditions de son renouvellement. Il détermine également les modalités d'application du 4° des I et II et les conditions de déclaration des armes. Il précise les collections qui, en raison de leur taille et de la nature des armes qu'elles comportent, doivent faire l’objet de mesures tendant à prévenir leur vol. »
II. - Dans un délai de six mois à compter de l'entrée en vigueur du présent article, les personnes physiques et morales détenant des armes relevant de la catégorie C qui déposent une demande de carte de collectionneur et remplissent les conditions fixées aux I et II de l'article L. 2337-1-1 sont réputées avoir acquis et détenir ces armes dans des conditions régulières.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Cet amendement vise à encadrer la création du statut du collectionneur d'armes. Il subordonne la délivrance de la carte de collectionneur au respect de nouvelles exigences afin de répondre aux préoccupations exprimées par le Gouvernement, par le rapporteur et par certains sénateurs lors de la réunion de commission. Il s'agit de trouver un meilleur équilibre entre sécurité publique et droits des collectionneurs, afin que le statut de collectionneur ne soit détourné de ses finalités.
Quatre nouvelles exigences sont ainsi posées:
Premièrement, la carte de collectionneur ne pourra être délivrée que si un certificat médical datant de moins d'un mois atteste que l'état de santé physique et psychique du demandeur est compatible avec l'acquisition et la détention d'une arme.
Deuxièmement, la carte de collectionneur ne pourra être délivrée que si le demandeur justifie avoir été sensibilisé aux règles de sécurité dans le domaine des armes. En effet, une arme n’est pas un objet de collection comme un autre, même si un collectionneur n’a pas vocation à pratiquer le tir. La sensibilisation, définie par décret en Conseil d'État, ne devra pas être trop exigeante ni s'apparenter à une véritable formation. Je souhaiterais d’ailleurs connaître, sur ce point, la position du Gouvernement.
Troisièmement, la carte de collectionneur n'ouvre pas droit à la détention de munitions opérationnelles.
Quatrièmement, les titulaires de la carte devront respecter certaines mesures tendant à prévenir le vol de la collection si cette dernière est qualitativement et quantitativement importante. Un décret en Conseil d'État précisera les mesures de sécurité à mettre en œuvre : alarmes, armoires-fortes, pièce sécurisée, démontage et séparation des pièces avant un transport de la collection, notamment. Ce décret devra s'attacher à trouver un juste équilibre entre l'impératif de sécurité publique et les droits des collectionneurs. À titre d'exemple, il ne serait pas opportun de prévoir des mesures de sécurité pour de petites collections, rassemblant par exemple une dizaine d’armes.
M. le président. L’amendement n° 21 rectifié, présenté par M. Gilles, Mlle Joissains, Mmes Lamure et Sittler, MM. Milon et Cléach, Mme Giudicelli, M. Pierre et Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 2
Après le mot :
peuvent
Rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
demander un agrément délivré par l’autorité compétente de l’État leur reconnaissant la qualité de collectionneur.
II. - Après l'alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les décisions de refus d'agrément sont motivées en fait et en droit.
III. - Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« II. – La carte de collectionneur permet d'acquérir et de détenir l’ensemble des armes de la catégorie C ainsi que certaines armes définies par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre de la défense.
IV. - Alinéa 5
1° Première phrase
Après les mots :
carte du collectionneur d'armes
insérer les mots :
ou de matériels et la tenue d'un registre
2° Après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
La durée de la validité de la carte est de cinq ans pour les armes et à vie pour les matériels.
V. - Alinéa 6
1° Après les mots :
de la présente loi
insérer les mots :
et de son décret d’application
2° - Après les mots :
de la catégorie C
insérer les mots :
ainsi que certaines armes définies par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre de la défense
Cet amendement n’est pas soutenu.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 57 ?
M. Philippe Richert, ministre. Je dois le dire, à titre personnel, je suis très sensible à ce sujet et je me plais à indiquer que le Gouvernement a entendu les demandes des collectionneurs.
Le nombre d’armes et de matériels anciens accessibles au titre de la collection va considérablement augmenter avec les changements de millésime opérés à l’article 2.
Parallèlement, un statut du collectionneur a été envisagé. Le Gouvernement a participé à la réflexion sur sa mise en œuvre, notamment en lien avec votre collègue Gérard César, auteur d’un rapport sur ce thème.
Les questions demeurent nombreuses et le sujet reste complexe. Néanmoins, je tiens à saluer le travail réalisé par votre rapporteur pour tenter de définir des critères objectifs permettant de faire bénéficier du dispositif ceux pour lesquels il est prévu et d’en prévenir le détournement.
La rédaction proposée rendra plus facile la mise en place de cette nouvelle carte de collectionneur, en partenariat avec les associations de collectionneurs.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. En conséquence, l'article 8 est ainsi rédigé.
Chapitre III
Dispositions relatives aux saisies administratives, aux peines complémentaires et aux sanctions pénales
Section 1
Des saisies administratives
Article 9
I. – À la seconde phrase du II de l’article L. 2336-4 du code de la défense, le nombre : « 22 » est remplacé par le nombre : « 21 ».
II. – (Non modifié) L’article L. 2336-5 du même code est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « soumise au régime de l’autorisation ou de la déclaration » sont remplacés par les mots : « des catégories B, C et D » ;
2° À la première phrase du cinquième alinéa, le nombre : « 22 » est remplacé par le nombre : « 21 » ;
3° Au huitième alinéa, les mots : « soumises au régime de l’autorisation ou de la déclaration » sont remplacés par les mots : « des catégories B, C et D ». – (Adopté.)
Section 2
Des peines complémentaires restreignant la capacité d’acquérir et de détenir des armes à la suite d’une condamnation pénale
Article 10
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° L’article 131-16 est complété par un II ainsi rédigé :
« II. – Lorsqu’elles sont prévues pour la répression d’une contravention de quatrième ou de cinquième classe punissant des faits de violence volontaire contre les personnes, le prononcé des peines complémentaires mentionnées aux 2°, 3° et 4° du I est obligatoire.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer les peines encourues, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. » ;
2° À la première phrase de l’article 131-43, après la référence : « 11° », sont insérés les mots : « du I » ;
3° (nouveau) À la première phrase du premier alinéa de l’article 132-34, après la référence : « 4° », sont insérés les mots : « du I ».
II. – (Non modifié) Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° À la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article 41-3, après les références : « 1° à 5° », sont insérés les mots : « du I » ;
2° Au premier alinéa de l’article 546, après la référence : « 1° », sont insérés les mots : « du I ».
III. – (Non modifié) Au second alinéa de l’article 3 de la loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, après la référence : « 8° », sont insérés les mots : « du I ».
IV (nouveau). – À l’article L. 321-6 du code de la route, après la référence : « 5° », sont insérés les mots : « du I ».
V (nouveau). – À l’article 18 de la loi du 21 avril 1832 relative à la navigation du Rhin, après la référence : « 10° », sont insérés les mots : « du I ».
M. le président. L'amendement n° 37, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. L’article 10 présente un risque d’inconstitutionnalité au regard des principes de proportionnalité et de nécessité des peines. Les peines complémentaires automatiques risquent en effet d’être jugées disproportionnées en matière contraventionnelle. Au demeurant, des peines complémentaires pourront être prononcées par les juridictions chaque fois que celles-ci le jugeront nécessaire.
J’ajoute que des instructions de réquisitions en ce sens pourront être adressées aux parquets par le ministère de la justice.
C’est ce qui a conduit le Gouvernement à demander la suppression de l’article 10.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Favorable.
M. le président. En conséquence, l'article 10 est supprimé et l’amendement n° 30 n’a plus d’objet.
Pour l’information du Sénat, je rappelle que cet amendement, présenté par M. César, était ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
de quatrième ou
Article 11
L’article 221-8 du code pénal est complété par un II ainsi rédigé :
« II. – En cas de condamnation pour les infractions prévues à la section 1 du présent chapitre, le prononcé des peines complémentaires prévues aux 2°, 5° et 6° du I est obligatoire. La durée des peines prévues aux 2° et 6° du I est portée à quinze ans au plus.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée lorsque l’infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
M. le président. L'amendement n° 62, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
lorsque l'infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit
par les mots :
lorsque la condamnation est prononcée par une juridiction correctionnelle
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 11, modifié.
(L'article 11 est adopté.)
Article 12
L’article 222-44 du code pénal est complété par un II ainsi rédigé :
« II. – En cas de condamnation pour les infractions prévues aux sections 1, 3, 3 bis, 3 ter et 4 du présent chapitre, le prononcé des peines complémentaires prévues aux 2° et 6° du I est obligatoire. La durée de la peine prévue au 2° du I est portée à quinze ans au plus.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée lorsque l’infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
M. le président. L'amendement n° 38 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
pour les infractions prévues aux sections 1, 3, 3 bis, 3 ter et 4
par les mots :
pour les crimes ou pour les délits commis avec une arme prévus aux sections 1, 3, 3 ter et 4
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Afin de respecter les exigences constitutionnelles de proportionnalité et de nécessité des peines, il convient, en matière d’atteinte aux personnes, de réserver le caractère obligatoire des peines d’interdiction de détention d’arme et de confiscation d’arme aux crimes ou aux délits commis avec une arme.
Dans les autres cas, comme ceux de violences simples ou de harcèlement moral, ces peines doivent demeurer facultatives. La justice pourra toutefois continuer de les appliquer, dans le respect du principe de proportionnalité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Favorable.
M. le président. L'amendement n° 63, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
lorsque l'infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit
par les mots :
lorsque la condamnation est prononcée par une juridiction correctionnelle
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Amendement de précision.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 12, modifié.
(L'article 12 est adopté.)
Article 13
(Supprimé)
Article 14
L’article 224-9 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le 3° est abrogé ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – En cas de condamnation pour les infractions prévues au présent chapitre, le prononcé de la peine complémentaire d’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de dix ans au plus, une arme soumise à autorisation est obligatoire.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée lorsque l’infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
M. le président. L'amendement n° 64, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
lorsque l'infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit
par les mots :
lorsque la condamnation est prononcée par une juridiction correctionnelle
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Amendement de précision.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 14, modifié.
(L'article 14 est adopté.)
Article 15
L’article 225-20 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le 5° est abrogé ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – En cas de condamnation pour les infractions prévues par les sections 1 bis, 2, 2 bis, 2 ter et 2 quater du présent chapitre, le prononcé de la peine complémentaire d’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de dix ans au plus, une arme soumise à autorisation est obligatoire.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée lorsque l’infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
M. le président. L'amendement n° 39, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 1 à 4
Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :
L’article 225-20 du même code est complété par un II ainsi rédigé :
« II. - En cas de condamnation pour les infractions prévues par les sections 1 bis, 2 et 2 ter du présent chapitre, le prononcé de la peine complémentaire prévue au 3° est obligatoire, et la durée de l’interdiction est portée à dix ans au plus. »
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Cet amendement a pour objet de réserver les peines d’interdiction de détention d’arme et de confiscation d’arme aux faits les plus graves : proxénétisme, traite d’êtres humains ou exploitation de la mendicité. Il s’agit, cette fois encore, de respecter les exigences constitutionnelles de proportionnalité et de nécessité des peines.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Cet amendement vise à exclure du dispositif de peine complémentaire obligatoire les condamnations pour recours à la prostitution de mineurs ou de personnes vulnérables, ainsi que les condamnations pour l’exploitation de la vente à la sauvette. Il est vrai que ces infractions, quoique très répréhensibles, ne révèlent pas nécessairement un comportement incompatible avec la détention d’une arme.
Aussi paraît-il préférable, dans ces cas-là, de laisser au juge la possibilité d’apprécier, en fonction des circonstances de l’espèce, l’opportunité de prononcer une peine complémentaire relative aux armes.
L’avis de la commission est donc favorable.
M. le président. L'amendement n° 65, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
lorsque l'infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit
par les mots :
lorsque la condamnation est prononcée par une juridiction correctionnelle
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Amendement de précision.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 15, modifié.
(L'article 15 est adopté.)
Article 16
(Supprimé)
Article 17
L’article 311-14 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le 3° est abrogé ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – En cas de condamnation pour les infractions prévues au présent chapitre, le prononcé de la peine complémentaire d’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation est obligatoire.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée lorsque l’infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
M. le président. L'amendement n° 40, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 1 à 4
Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :
L’article 311-14 du même code est complété par un II ainsi rédigé :
« II. - En cas de condamnation pour vol commis avec violence ou pour vol puni d’une peine criminelle, le prononcé de la peine complémentaire prévue au 3° est obligatoire. »
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Toujours dans le souci de respecter les principes constitutionnels de proportionnalité et de nécessité des peines, il convient de réserver le caractère obligatoire des peines d’interdiction de détention d’arme et de confiscation d’arme aux vols commis avec violence ou punis d’une peine criminelle.
Dans les autres cas, comme ceux de vols simples, cette peine doit demeurer facultative.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Favorable.
M. le président. L'amendement n° 66, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
lorsque l'infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit
par les mots :
lorsque la condamnation est prononcée par une juridiction correctionnelle
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Amendement de précision.
M. le président. Je mets aux voix l'article 17, modifié.
(L'article 17 est adopté.)
Article 18
L’article 312-13 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le 3° est abrogé ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – En cas de condamnation pour les infractions prévues au présent chapitre, le prononcé de la peine complémentaire d’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation est obligatoire.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée lorsque l’infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
M. le président. L'amendement n° 67, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
l'infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit
par les mots :
la condamnation est prononcée par une juridiction correctionnelle
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Amendement de précision.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 18, modifié.
(L'article 18 est adopté.)
Article 19
(Non modifié)
L’article 321-9 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le 7° est abrogé ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – En cas de condamnation pour les infractions prévues au présent chapitre, le prononcé de la peine complémentaire de confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition est obligatoire.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée lorsque l’infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 41, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 321-10 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque les peines complémentaires prévues pour ces crimes ou délits sont obligatoires, elles doivent également être obligatoirement prononcées contre la personne condamnée pour recel, sauf décision spécialement motivée de la juridiction, s’il s’agit d’une juridiction correctionnelle, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Il s’agit d’appliquer la même restriction qu’auparavant, cette fois dans les cas de recel : le caractère obligatoire des peines d’interdiction de détention d’arme et de confiscation d’arme doit être réservé aux cas dans lesquels le bien recelé provient d’un crime ou d’un délit pour lequel cette peine complémentaire était également obligatoire.
M. le président. L'amendement n° 68, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
l'infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit
par les mots :
la condamnation est prononcée par une juridiction correctionnelle
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Amendement de précision.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 41 ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Avis favorable.
M. le président. Je vous fais observer, monsieur le rapporteur, que l’amendement n° 68 deviendra sans objet si l’amendement n° 41 est adopté.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Dans ce cas, monsieur le président, l’amendement n° 68 sera satisfait.
M. le président. En conséquence, l'article 19 est ainsi rédigé et l’amendement n° 68 n’a plus d’objet.
Article 20
L’article 322-15 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le 3° est abrogé ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – En cas de condamnation pour les infractions prévues au présent chapitre, le prononcé de la peine complémentaire d’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation est obligatoire.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée lorsque l’infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
M. le président. L'amendement n° 42, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 1 à 4
Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :
L’article 322-15 du même code est complété par un II ainsi rédigé :
« II. - En cas de condamnation pour les crimes ou délits prévus aux articles 322-6 à 322-11, le prononcé de la peine complémentaire prévue au 3° est obligatoire.
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Pour les raisons que j’ai déjà exposées, il convient de réserver le caractère obligatoire des peines d’interdiction de détention d’arme et de confiscation d’arme aux destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes. Dans les autres cas, ces peines doivent demeurer facultatives.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Favorable.
M. le président. L'amendement n° 69, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
l'infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit
par les mots :
la condamnation est prononcée par une juridiction correctionnelle
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Amendement de précision.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 20, modifié.
(L'article 20 est adopté.)
Article 21
L’article 324-7 du code pénal est ainsi modifié :
1° Les 2° et 7° sont abrogés ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – En cas de condamnation pour les infractions prévues aux articles 324-1 et 324-2, le prononcé des peines complémentaires suivantes est obligatoire :
« 1° L’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de dix ans au plus, une arme soumise à autorisation ;
« 2° La confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est le propriétaire ou dont il a la libre disposition.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée lorsque l’infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
M. le président. L'amendement n° 35, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Il convient de supprimer la disposition rendant obligatoire les peines d’interdiction de détention d’arme et de confiscation d’arme pour les délits de blanchiment. Cette peine doit demeurer facultative s’agissant d’infractions qui n’ont, à de très rares exceptions près, aucun rapport avec des faits commis avec une arme. C’est au juge qu’il appartient d’apprécier l’opportunité de la prononcer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Favorable.
M. le président. En conséquence, l'article 21 est supprimé et l’amendement n° 70 n’a plus d’objet.
Pour l’information du Sénat, je rappelle que cet amendement, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, était ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer les mots :
l'infraction pour laquelle la condamnation est prononcée est un délit
par les mots :
la condamnation est prononcée par une juridiction correctionnelle
Article 21 bis (nouveau)
L’article 431-7 du code pénal est ainsi modifié :
1° Les 2° et 3° sont abrogés ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – En cas de condamnation pour l’une des infractions prévues par les articles 431-5 et 431-6, le prononcé des peines complémentaires suivantes est obligatoire :
« 1° L’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation ;
« 2° La confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. » – (Adopté.)
Article 22
L’article 431-11 du code pénal est ainsi modifié :
1° Les 2° et 3° sont abrogés ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – En cas de condamnation pour l’infraction prévue à l’article 431-10, le prononcé des peines complémentaires suivantes est obligatoire :
« 1° L’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation ;
« 2° La confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. » – (Adopté.)
Article 23
L’article 431-26 du code pénal est ainsi modifié :
1° Les 2° et 4° sont abrogés ;
2° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – En cas de condamnation pour les infractions prévues à la présente section, le prononcé des peines complémentaires suivantes est obligatoire :
« 1° L’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de dix ans au plus, une arme soumise à autorisation ;
« 2° La confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
M. le président. L'amendement n° 43, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 1 à 6
Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :
L’article 431-26 du code pénal est complété par un II ainsi rédigé :
« II. - En cas de condamnation pour les délits prévus aux articles 431-24 et 431-25, le prononcé de la peine complémentaire prévue aux 2° et 4° est obligatoire et la durée de l’interdiction est portée à dix ans au plus. »
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Il s’agit à nouveau de limiter le caractère obligatoire des peines d’interdiction de détention d’arme et de confiscation d’arme, en le réservant aux délits commis avec une arme.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 23, modifié.
(L'article 23 est adopté.)
Article 23 bis (nouveau)
L’article 431-28 du code pénal est ainsi modifié :
1° Le 2° est abrogé ;
2° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé:
« En outre, en cas de condamnation pour l’infraction prévue par le premier alinéa, le prononcé de la peine complémentaire d’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation est obligatoire. Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. » – (Adopté.)
Article 24
L’article 433-24 du code pénal est ainsi rédigé :
« Art. 433-24. – En cas de condamnation pour les infractions prévues à l’article 433-8, le prononcé des peines complémentaires suivantes est obligatoire :
« 1° L’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de dix ans au plus, une arme soumise à autorisation ;
« 2° La confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition ;
« 3° Le retrait du permis de chasser avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant trois ans au plus.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. » – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 24
M. le président. L'amendement n° 72, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 24
Insérer un article additionnel ainsi rédigé : Au début du premier alinéa des articles 131-16, 221-8, 222-44, 224-9, 225-20, 311-14, 312-13, 321-9, 322-15, 324-7, 431-7, 431-11 et 431-26 du code pénal est ajoutée la mention : "I. - ".
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination. Toutefois, monsieur le président, il convient de le rectifier en supprimant la référence aux articles 131-16, 321-9 et 324-7 du code pénal, afin de tenir compte des votes que nous venons d’émettre.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 72 rectifié, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, et ainsi libellé :
Après l'article 24
Insérer un article additionnel ainsi rédigé: Au début du premier alinéa des articles 221-8, 222-44, 224-9, 225-20, 311-14, 312-13, 322-15, 431-7, 431-11 et 431-26 du code pénal est ajoutée la mention : "I. - ".
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 24.
Section 3
Renforcement des sanctions pénales
Article 25
La seconde phrase du huitième alinéa de l’article L. 2339-1 du code de la défense, tel qu’il résulte de la loi n° 2011-702 du 22 juin 2011 relative au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité, est complétée par les mots : « , ainsi qu’au représentant de l’État dans le département ou, à Paris, au préfet de police. »
M. le président. L'amendement n° 46 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après le septième alinéa de l’article L. 2339-1 du code de la défense, tel qu’il résulte de la loi n° 2011-702 du 22 juin 2011 relative au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les procès-verbaux des infractions constatées aux prescriptions du présent titre sont transmis au représentant de l’État dans le département ou, à Paris, au préfet de police. »
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Pour que les nouvelles dispositions soient correctement appliquées, il paraît nécessaire que le préfet soit informé de toute infraction à la législation sur les armes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Favorable.
M. le président. En conséquence, l'article 25 est ainsi rédigé.
Article 26
(Non modifié)
Le chapitre IX du titre III du livre III de la deuxième partie du code de la défense est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa du I de l’article L. 2339-2 est ainsi rédigé :
« Est puni d’un emprisonnement de sept ans et d’une amende de 100 000 € quiconque, sans respecter les obligations résultant des I, II et III de l’article L. 2332-1, se livre à la fabrication ou au commerce de matériels, armes, munitions et de leurs éléments essentiels, ou exerce son activité en qualité d’intermédiaire ou d’agent de publicité à l’occasion de la fabrication ou du commerce de matériels, armes, munitions et de leurs éléments essentiels. » ;
2° L’article L. 2339-3 est ainsi modifié :
a) Au 1° du I, la référence : « des II et III de l’article L. 2332-1, » est supprimée ;
b) Après le I, il est inséré un I bis ainsi rédigé :
« I bis. – Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende si les infractions prévues au I sont commises en bande organisée. » – (Adopté.)
Article 27
Le premier alinéa de l’article L. 2339-4 du code de la défense est ainsi rédigé :
« Est punie d’un emprisonnement de trois ans et d’une amende de 45 000 € la cession, à quelque titre que ce soit, par un fabricant ou commerçant, détenteur de l’une des autorisations mentionnées à l’article L. 2332-1, d’une ou plusieurs armes ou munitions des catégories A1, B, C ainsi que d’une ou plusieurs armes ou munitions de catégorie D mentionnées au second alinéa du VI de l’article L. 2336-1, en violation du même article L. 2336-1 ou de l’article L. 2337-4. » – (Adopté.)
Article 28
Après l’article L. 2339-4 du code de la défense, il est inséré un article L. 2339-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 2339-4-1. – Est punie d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 7 500 € toute personne, titulaire de l’une des autorisations de fabrication ou de commerce d’armes et de munitions mentionnées à l’article L. 2332-1, qui :
« 1° Ne tient pas à jour le registre spécial dans lequel sont enregistrés, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État, les matériels mis en fabrication, en réparation, en transformation, achetés, vendus, loués ou détruits ;
« 2° Dans le cas d’opérations d’intermédiation, ne tient pas à jour le registre spécial dans lequel sont enregistrés, dans des conditions fixées par le même décret en Conseil d’État, le nom des entreprises mises en relations ou des autres participants à l’opération d’intermédiation, ainsi que le contenu de ces opérations ;
« 3° En cas de cessation d’activité, ne dépose pas auprès de l’autorité administrative compétente les registres spéciaux mentionnés aux 1° et 2° ou n’en assure pas la conservation pendant un délai et dans des conditions fixés par le même décret en Conseil d’État ;
« 4° Cède à un autre commerçant ou fabricant autorisé un matériel, une arme, un élément essentiel ou des munitions des catégories A1, B ou C ou une arme, un élément essentiel ou des munitions de catégorie D mentionnés au second alinéa du VI de l’article L. 2336-1, sans accomplir les formalités déterminées par le même décret en Conseil d’État ;
« 5° Vend par correspondance des matériels, armes, munitions et leurs éléments essentiels sans avoir reçu et conservé les documents nécessaires à leur inscription sur le registre spécial mentionné au 1° du présent article. » – (Adopté.)
Article 29
Le premier alinéa de l’article L. 2339-5 du code de la défense est ainsi rédigé :
« Sont punies d’un emprisonnement de trois ans et d’une amende de 45 000 € l’acquisition, la cession ou la détention, sans l’autorisation prévue à l’article L. 2332-1, d’une ou de plusieurs armes des catégories A1 ou B, de munitions ou de leurs éléments essentiels en violation des dispositions des articles L. 2336-1, L. 2337-3 ou L. 2337-4. » – (Adopté.)
Article 30
(Non modifié)
Après l’article L. 2339-5 du code de la défense, il est inséré un article L. 2339-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 2339-5-1. – Sont punies de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 30 000 € l’acquisition, la cession ou la détention d’une ou de plusieurs armes ou munitions de la catégorie C en l’absence de la déclaration prévue au V de l’article L. 2336-1.
« Sont punies d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 15 000 € l’acquisition, la cession ou la détention d’une ou de plusieurs armes ou munitions de catégorie D en violation des obligations particulières mentionnées au second alinéa du VI du même article L. 2336-1.
« Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée. »
M. le président. L'amendement n° 44, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
ou au II de l’article L. 2337-3.
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Cet amendement vise à assurer la cohérence des sanctions en cas de non-déclaration d’une arme de catégorie C, que celle-ci ait été achetée auprès d’un armurier ou d’un particulier.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Favorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 30, modifié.
(L'article 30 est adopté.)
Article 31
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 45, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
La section 3 du chapitre IX du titre III du livre III de la deuxième partie du code de la défense est complétée par deux articles L. 2339-8-1 et L. 2339-8-2 ainsi rédigés :
I - « Art. L. 2339-8-1 - Est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende le fait de frauduleusement supprimer, masquer, altérer ou modifier de façon quelconque les marquages, poinçons, numéros de série, emblèmes ou signes de toute nature apposés ou intégrés sur des matériels mentionnés à l’article L. 2331-1, des armes ou leurs éléments essentiels afin de garantir leur identification de manière certaine suivant les modalités fixées par un décret en Conseil d’État, ou de détenir, en connaissance de cause, une arme ainsi modifiée.
II - « Art. L. 2339-8-2 - I. – Est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 75 000 € l’acquisition, la vente, la livraison, ou le transport de matériels, d’armes et de leurs éléments essentiels mentionnés à l’article L. 2331-1 dépourvus des marquages, poinçons, numéros de série, emblèmes ou signes de toute nature apposés ou intégrés sur les matériels, les armes ou leurs éléments essentiels, nécessaires à leur identification de manière certaine suivant les modalités fixées par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 2339-8-1, ou dont les marquages, poinçons, numéros de série, emblèmes ou signes de toute nature auraient été supprimés, masqués, altérés ou modifiés .
« II. – Les peines peuvent être portées à dix ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende si les infractions mentionnées aux I ou II sont commises en bande organisée.
« III. – La tentative des délits prévus au présent article est punie des mêmes peines. »
III - L’article L. 2339-11 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 2339-11. – Est puni d'un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 euros l'usage, par une personne non qualifiée, du poinçon mentionné à l'article L. 2332-8-1.
Les contrefaçons d'un poinçon d'épreuve et l'usage frauduleux des poinçons contrefaits sont punis d'un emprisonnement de cinq ans et d'une amende de 75 000 euros. »
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Cet amendement a pour objet de réintroduire des dispositions réprimant la suppression, l’altération ou la modification des marquages des armes.
M. le président. L'amendement n° 71, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le code de la défense est ainsi modifié:
1° La section 3 du chapitre IX du titre III du livre III de la partie 2 est complétée par un article L. 2339-8-1 ainsi rédigé:
« Art. L. 2339-8-1. - Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende le fait de frauduleusement supprimer, masquer, altérer ou modifier de façon quelconque les marquages, poinçons, numéros de série, emblèmes ou signes de toute nature, autres que ceux visés à l'article L. 2339-11, apposés ou intégrés sur des matériels mentionnés à l'article L. 2331-1, des armes ou leurs éléments essentiels afin de garantir leur identification de manière certaine suivant les modalités fixées par un décret en Conseil d'État, ou de détenir, en connaissance de cause, une arme ainsi modifiée. » ;
2° L'article L. 2339-11 est ainsi modifié:
a) au premier alinéa, le montant : « 3 750 euros » est remplacé par le montant : « 30 000 euros » ;
b) au second alinéa, le montant : « 3 750 euros » est remplacé par le montant : « 75 000 euros ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Je retire mon amendement au profit de celui, plus précis, qu’a présenté le Gouvernement.
M. le président. L’amendement n° 71 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 45.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 31 est rétabli dans cette rédaction.
Article 32
L’article L. 2339-9 du code de la défense est ainsi rédigé :
« Art. L. 2339-9. – I. – Quiconque, hors de son domicile et sauf les exceptions résultant des dispositions des articles L. 2338-1 et L. 2338-2, est trouvé porteur ou effectue sans motif légitime le transport de matériels de guerre, d’une ou plusieurs armes, de leurs éléments essentiels ou de munitions, même s’il en est régulièrement détenteur, est puni :
« 1º S’il s’agit de matériels de guerre mentionnés à l’article L. 2331-1, d’armes, de leurs éléments essentiels ou de munitions des catégories A1, A2 ou B, d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 75 000 € ;
« 2º S’il s’agit d’armes, de leurs éléments essentiels ou de munitions de la catégorie C, d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 € ;
« 3º S’il s’agit d’armes, de munitions ou de leurs éléments de la catégorie D soumis à enregistrement, d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 15 000 €.
« II. – Si le transport d’armes est effectué par au moins deux personnes ou si deux personnes au moins sont trouvées ensemble porteuses d’armes, les peines sont portées :
« 1° S’il s’agit de matériels de guerre mentionnés à l’article L. 2331-1, d’armes, de leurs éléments essentiels ou de munitions des catégories A1, A2 ou B, à dix ans d’emprisonnement et 500 000 € d’amende ;
« 2° S’il s’agit d’armes, de leurs éléments essentiels ou de munitions de catégorie C, à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende ;
« 3º S’il s’agit d’armes, de munitions ou de leurs éléments de catégorie D soumis à enregistrement, à deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 23 rectifié est présenté par M. Gilles, Mlle Joissains, Mmes Lamure et Sittler, MM. Milon et Cléach, Mme Giudicelli, M. Pierre et Mme Garriaud-Maylam.
L'amendement n° 31 est présenté par M. César.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. - Après l'alinéa 1
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 2339–9. - I. - En dehors notamment du cas de changement de domicile du propriétaire de l'arme qui constitue un motif de transport légitime, le permis de chasser accompagné de la validation de l'année en cours ou de l'année précédente, la licence de tir en cours de validité délivrée par une fédération sportive ayant reçu délégation du ministre chargé des sports au titre de l'article L. 131–14 du code du sport ou la carte de collectionneur d'armes ou de matériels délivrée en application de l'article L. 2337–1–1 du code de la défense valent titre de transport légitime pour les matériels et les armes régulièrement détenus.
« Dans le cadre d'une manifestation sportive ou culturelle ou d'une action de chasse, la licence de tir en cours de validité, la carte de collectionneur d'armes ou de matériels ou le permis de chasser accompagné de la validation de l'année en cours vaut titre de port légitime.
II. - Alinéas 3 et 7
Après la référence :
A2
insérer les mots :
non neutralisés
Ces amendements ne sont pas soutenus.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 4 est présenté par MM. Mirassou et Sueur, Mme Klès, MM. Carrère et Patriat, Mme Herviaux, MM. Bérit-Débat et Camani, Mme Cartron, MM. Courteau et Daunis, Mmes Durrieu et Espagnac, MM. Fauconnier, Guillaume, Krattinger, Labazée et Mazuir, Mme D. Michel et MM. Navarro, Néri, Rebsamen et Sutour.
L'amendement n° 8 est présenté par M. Poniatowski et les membres du groupe UMP.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Compléter cet article par deux alinéas ainsi rédigés :
« III. – Le permis de chasser accompagné de la validation de l’année en cours ou de l’année précédente, la licence de tir en cours de validité délivrée par une fédération sportive ayant reçu délégation du ministre chargé des sports au titre de l’article L. 131-14 du code des sports ou la carte de collectionneur d’armes à feu délivrée en application de l’article L. 2337-1-1 du code de la défense valent titre de transport légitime pour les armes des catégories B, C et D régulièrement détenues.
« Le permis de chasser vaut titre de port légitime d’armes pour leur utilisation en action de chasse. »
Ces deux amendements identiques sont affectés de deux sous-amendements eux-mêmes identiques, portant respectivement le n° 47 et le n° 74, présentés par le Gouvernement et ainsi libellés :
I. – Au premier alinéa (III) du texte proposé (par les amendements identiques nos 4 et 8)
1° Supprimer les mots :
le permis de chasser accompagné de la validation de l’année en cours ou de l’année précédente
2° Remplacer les mots :
pour les armes des catégories B, C et D régulièrement détenues
par les mots :
des armes qu’elles permettent d’acquérir régulièrement
II. – Rédiger ainsi le dernier alinéa du texte proposé (par ces amendements) :
« Le permis de chasser accompagné de la validation de l’année en cours ou de l’année précédente vaut titre de transport et de port légitime des armes qu’il permet d’acquérir pour leur utilisation en action de chasse ou pour toute activité qui y est liée. »
La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour présenter l’amendement n° 4.
M. Jean-Jacques Mirassou. Cet amendement a pour objet de préciser explicitement que, dès l’instant où le porteur d’une arme a les moyens objectifs de prouver qu’il détient celle-ci en toute légalité, il est autorisé à la transporter. Cela signifie en particulier, pour les chasseurs, que le permis de chasser vaut titre de port légitime d’arme en vue de son utilisation en action de chasse.
Nous voulons ainsi éviter toute interprétation subjective de la notion de transport « sans motif légitime ».
M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski, pour présenter l'amendement n° 8.
M. Ladislas Poniatowski. Nos collègues députés qui ont élaboré cette proposition de loi ont manqué de vigilance lorsqu’ils ont rédigé cet article, au point que celui-ci pose de sérieux problèmes pour le transport de quelque arme que ce soit.
Or toute personne titulaire d’un permis de chasser peut légalement posséder une arme destinée à cette activité. Par conséquent, qu’elle soit en action de chasse ou non, elle doit pouvoir transporter cette arme. En effet, il peut lui arriver de devoir conserver son arme dans sa voiture entre deux jours de chasse. Dès lors que le permis de chasser vaut titre de port légitime d’arme, qu’on n’aille pas l’enquiquiner !
Le même raisonnement s’applique aux tireurs sportifs. Ceux-ci participent à des compétitions qui les conduisent à se déplacer d’un pays à un autre. Dans la mesure où, là aussi, leur licence de tir vaut titre de transport de leur arme, les tireurs doivent être libres de se déplacer avec celle-ci d’un lieu de compétition à un autre sans être contraints de la remiser dans leur club entre deux épreuves.
Liberté, liberté chérie… Qu’on nous laisse vivre ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le ministre, pour présenter les sous-amendements identiques nos 47 et 74.
M. Philippe Richert, ministre. Ces deux sous-amendements identiques visent à préciser les conditions du port et du transport des armes de chasse.
Afin de répondre aux nombreuses interrogations des détenteurs d’armes, le Gouvernement souhaite, lui aussi, clarifier les règles juridiques applicables en la matière.
M. Ladislas Poniatowski. Très bien !
M. Philippe Richert, ministre. S’agissant du tir sportif, ces deux sous-amendements identiques n’ont d’autre objet que de reconduire les dispositions actuellement en vigueur.
Les collectionneurs seront soumis au même régime.
S’agissant des armes de chasse, il vous est proposé de considérer que le permis de chasser vaut titre légitime de transport et de port, en action de chasse ou dans un contexte lié.
Dans tous les cas, le titre vaudra pour les armes qu’il est permis aux chasseurs d’acquérir, et non pour une autre catégorie d’arme. Cela évitera que le dispositif ne soit détourné tout en sécurisant les détenteurs légaux. Ainsi, la déambulation avec une arme sur la voie publique en dehors de toute action de chasse ou d’activité liée – par exemple une visite chez un armurier pour faire vérifier ou réparer son arme – continuera à être légitimement réprimée.
Autrement dit, il restera impossible de se promener rue de Vaugirard avec ses armes de chasse ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Même si c’est pour aller chasser le canard dans le jardin du Luxembourg ? (Nouveaux sourires.)
M. Philippe Richert, ministre. Ces précisions éviteront ainsi certains dérapages, toujours possibles, car on ne peut exclure de trouver, même chez les chasseurs – qui, dans leur immense majorité, respectent les règles –, quelques contrevenants.
Le Gouvernement émet un avis favorable sur les deux amendements identiques sous réserve de l’adoption des deux sous-amendements identiques qu’il a déposés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Les amendements identiques nos 4 et 8 visent à indiquer expressément qu’un chasseur titulaire d’un permis de chasse, un tireur sportif ou un collectionneur d’armes ont un droit acquis au transport et au port de l’arme qu’ils détiennent pour exercer leur activité, sans qu’ils soient contraints de démontrer l’existence d’un « motif légitime » pour justifier le port ou le transport de leur arme en dehors de leur domicile.
Je comprends bien l’objectif visé par les auteurs de ces amendements : il s’agit d’épargner d’éventuelles tracasseries inutiles à des personnes qui détiennent légalement une arme et ne l’utilisent que dans le cadre d’une activité précisément encadrée.
Toutefois, tels qu’ils sont rédigés, ces amendements soulèvent une difficulté importante : en effet, s’ils étaient adoptés dans leur rédaction actuelle, ils auraient pour conséquence d’instaurer une quasi-immunité pénale pour toutes les personnes qui sont en possession d’un permis de chasse, d’une licence de tir ou d’une carte de collectionneur.
Les sous-amendements présentés par le Gouvernement apportent un certain encadrement en précisant que ces titres valent titre de transport légitime s’agissant des seules armes qu’ils permettent d’acquérir régulièrement.
Corrélativement, le permis de chasser serait considéré comme un titre de port ou de transport légitime pour les seules armes destinées à être utilisées dans le cadre de la chasse.
Les sous-amendements du Gouvernement m’apparaissent donc comme un minimum, même si leur adoption ne règle pas toutes les questions liées au port ou au transport d’une arme dans un contexte totalement dépourvu de lien avec une quelconque activité et pouvant présentant un danger pour la sécurité publique.
La commission émet un avis favorable sur ces deux amendements identiques sous réserve de l’adoption des deux sous-amendements du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski, pour explication de vote sur les sous-amendements nos 47 et 74.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le ministre, j’aimerais que vous nous apportiez une précision propre à lever tout doute.
Le permis de chasser vaut, pour les armes qu’il permet d’acquérir, titre de transport « pour leur utilisation en action de chasse »…
M. Ladislas Poniatowski. … ou « pour toute activité qui y est liée ».
M. Ladislas Poniatowski. Ce point est important, car, en dehors des périodes de chasse, notamment au printemps, de nombreux ball-traps sont organisés partout en France, en milieu rural. C’est l’occasion pour les chasseurs de s’entraîner. Dans ce cadre, ils sont amenés à transporter leurs armes et des munitions.
Aussi, monsieur le ministre, confirmez-vous que l’expression « pour toute activité qui y est liée » couvre ce cas de figure et que les chasseurs pourront librement, sans encourir le moindre risque juridique, transporter leur arme ?
Les tireurs sportifs sont dans une situation quelque peu différente dans la mesure où ils exercent leur activité toute l’année.
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour explication de vote.
Mme Odette Herviaux. Monsieur le ministre, le transport des armes destinées au tir sportif ne met aucunement en danger le public compte tenu des précautions dont doivent s’entourer leurs possesseurs : les armes en question sont obligatoirement démontées, placées dans une mallette verrouillée et les munitions doivent être transportées séparément.
Il ne faut pas avoir toujours une vision négative de la détention et du transport des armes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Je partageais les interrogations de notre collègue Ladislas Poniatowski et je prends acte des précisions apportées par M. le ministre.
M. le président. Je mets aux voix les sous-amendements identiques nos 47 et 74.
(Les sous-amendements sont adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 et 8, modifiés.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 32, modifié.
(L'article 32 est adopté.)
Article 32 bis
I. – Le chapitre IX du titre III du livre III de la deuxième partie du code de la défense est complété par une section 9 ainsi rédigée :
« Section 9
« Peines complémentaires applicables aux personnes physiques
« Art. L. 2339-19. – En cas de condamnation pour les infractions prévues au présent chapitre, le prononcé des peines complémentaires suivantes est obligatoire :
« 1° L’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation ;
« 2° La confiscation d’une ou de plusieurs armes dont le condamné est propriétaire ou dont il a la libre disposition ;
« 3° Le retrait du permis de chasser avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant cinq ans au plus.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer ces peines, en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. »
II (nouveau). – La section 2 du chapitre III du titre V du livre III de la deuxième partie du code de la défense est complétée par un article L. 2353-14 ainsi rédigé :
« Art. L. 2353-14. – En cas de condamnation pour une infraction prévue par la présente section, le prononcé de la peine complémentaire d’interdiction de détenir ou de porter, pour une durée de cinq ans au plus, une arme soumise à autorisation, est obligatoire.
« Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur. » – (Adopté.)
Article 32 ter (nouveau)
Le premier alinéa de l’article L. 2336-6 du code de la défense est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Un fichier national automatisé nominatif recense :
« 1° Les personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes en application du IV de l’article L. 2336-4 et des huitième et neuvième alinéas de l’article L. 2336-5 ;
« 2° Les personnes condamnées à une peine d’interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation ou condamnées à la confiscation d’une ou de plusieurs armes dont elles sont propriétaires ou dont elles ont la libre disposition en application des articles du code pénal et du code de la défense qui les prévoient. » – (Adopté.)
Article 33
Au deuxième alinéa de l’article 321-6-1 du code pénal, les mots : « , ou qu’elles » sont remplacés par les mots : « ou les délits et crimes en matière d’armes et de produits explosifs prévus par les articles L. 2339-2, L. 2339-3, L. 2339-5, L. 2339-8, L. 2339-10, L. 2341-4, L. 2353-4 et L. 2353-5 du code de la défense. Il en est de même lorsqu’elles ». – (Adopté.)
Article 34
(Non modifié)
Au 12° de l’article 706-73 du code de procédure pénale, après la référence : « L. 2339-2 », sont insérées les références : « L. 2339-3, L. 2339-5 ». – (Adopté.)
Chapitre IV
Entrée en vigueur et dispositions transitoires et de coordination
Article 35 A
(Non modifié)
Les articles 1er à 9 et 25 à 32 bis de la présente loi entrent en vigueur à l’expiration d’un délai de dix-huit mois à compter de sa promulgation.
M. le président. L'amendement n° 61, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après la référence :
32 bis
insérer les mots :
et 35
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Cet amendement vise à préciser que les dispositions de coordination prévues à l'article 35 ne doivent pas entrer en vigueur avant celles qu'elles visent.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 35 A, modifié.
(L'article 35 A est adopté.)
Article 35
I. – L’article L. 2332-1 du code de la défense est ainsi modifié :
1° Au I, les mots : « 1re, 2e, 3e, 4e catégories » sont remplacés par les mots : « catégories A1, A2 ou B » ;
2° Au premier alinéa du II, les mots : « des 1re, 2e, 3e et 4e, 5e ou 7e catégories, ainsi que des armes de 6e catégorie » sont remplacés par les mots : « essentiels des catégories A1, A2, B, C ainsi que des armes de catégorie D » ;
3° À la première phrase du premier alinéa du III, les mots : « éléments, des 5e et 7e catégories, ainsi que les armes de 6e catégorie énumérées » sont remplacés par les mots : « éléments essentiels, des catégories C ou D énumérés ».
II. – L’article L. 2332-2 du même code est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « des 1re, 2e, 3e, 4e, 5e ou 7e catégories, ainsi que des armes de 6e catégorie » sont remplacés par les mots : « essentiels des catégories A1, A2, B, C ainsi que des armes de catégorie D » ;
2° À la première phrase du dernier alinéa, les mots : « des 1re, 2e, 3e, 4e, 7e catégories, ainsi que des armes de 6e catégorie » sont remplacés par les mots : « essentiels des catégories A1, A2, B, C ainsi que des armes de catégorie D » ;
3° Les deux dernières phrases du dernier alinéa sont remplacées par une phrase ainsi rédigée :
« Un décret en Conseil d’État énumère les armes de catégories C et D et leurs éléments essentiels ainsi que les munitions de toute catégorie qui, par dérogation au premier alinéa, peuvent être directement livrés à l’acquéreur dans le cadre d’une vente par correspondance ou à distance. »
III. – À l’article L. 2332-6 du même code, les mots : « quatre premières catégories » sont remplacés par les mots : « catégories A1, A2 et B ».
IV. – Au premier alinéa de l’article L. 2332-10 du même code, les mots : « quatre premières catégories » sont remplacés par les mots : « catégories A1, A2 et B ».
V. – L’article L. 2335-1 du même code, tel qu’il résulte de la loi n° 2011-702 du 22 juin 2011 relative au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité, est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa du I, les mots : « des 1re, 2e, 3e, 4e et 6e catégories » sont remplacés par les mots : « des catégories A1, A2, B et C » ;
2° Au II, les mots : « 1re ou 4e catégories » sont remplacés par les mots : « catégories A1 ou B » ;
3° Au premier alinéa du III, les mots : « quatre premières catégories » sont remplacés par les mots : « catégories A1, A2 et B » ;
4° Au second alinéa du même III, les mots : « des quatre premières catégories » sont remplacés par les mots : « des catégories A1, A2 et B » ;
V bis (nouveau). – Le V de l’article L. 2335-3 et le VI de l’article L. 2335-10 du même code, tels qu’ils résultent de la loi n° 2011-702 du 22 juin 2011 précitée, sont ainsi modifiés :
1° Au premier alinéa, les mots : « quatre premières catégories » sont remplacés par les mots : « catégories A1, A2 et B » ;
2° Au second alinéa, les mots : « des quatre premières catégories » sont remplacés par les mots : « de catégories A1, A2 et B ».
VI. – Au premier alinéa de l’article L. 2336-2 du même code, les mots : « des 1re, 2e, 3e, 4e catégories ainsi que des armes de 6e catégorie » sont remplacés par les mots : « essentiels des catégories A1, A2 et B ainsi que des armes de catégorie D ».
VII. – Le premier alinéa de l’article L. 2336-3 du même code est ainsi modifié :
1° Les mots : « des 1re et 4e catégories » sont remplacés par les mots : « catégories A1 et B » ;
2° Les mots : « des 5e et 7e catégories » sont remplacés par les mots : « de catégorie C ».
VIII. – (Non modifié) L’article L. 2337-1 du même code est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « des 1re et 4e catégories » sont remplacés par les mots : « essentiels de catégorie B » ;
2° Au deuxième alinéa, les mots : « des 5e et 7e catégories » sont remplacés par les mots : « essentiels des catégories C et D ».
IX. – (Non modifié) Au premier alinéa de l’article L. 2337-4 du même code, les mots : « 1re ou de la 4e catégorie » sont remplacés par les mots : « catégorie B ».
X. – (Non modifié) Le premier alinéa de l’article L. 2338-1 du même code est ainsi modifié :
1° Les mots : «1re, 4e et 6e catégories » sont remplacés par les mots : « catégories B, C et D » ;
2° Les mots : « constitutifs des armes des 1re et 4e catégories » sont remplacés par les mots : « essentiels des armes de catégorie B ».
XI. – (Non modifié) Au premier alinéa de l’article L. 2339-8 du même code, les mots : « de la 1re, 4e ou 6e catégorie » sont remplacés par les mots : « des catégories B ou D ».
XII. – À la fin du premier alinéa de l’article L. 2339-10 du même code, les mots : « des 1re à 6e catégories » sont remplacés par les mots : « des catégories A1, A2, B, C et D ».
XIII (nouveau). – Au premier alinéa de l’article L. 2353-13 du même code, les mots : « la 1re catégorie » sont remplacés par les mots : « la catégorie A1 ».
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 32, présenté par M. César, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 2, 13, 15, 16, 18 et 19
Après la référence :
A2
insérer les mots :
non neutralisés
II. – Alinéas 3, 6, 7 et 32
Après la référence :
A2
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
non neutralisés, B, C ainsi que des armes de catégorie D limitativement énumérées par décret en Conseil d’État » ;
III. – Alinéa 4
Remplacer le mot :
énumérés
par les mots :
limitativement énumérées par décret en Conseil d’État ».
IV. – Alinéas 9, 26, 29 et 31
Après la référence :
D
insérer les mots :
limitativement énumérées par décret en Conseil d’État
V. – Alinéas 10 et 11
Après la référence :
A2
Rédiger ainsi la fin de ces alinéas :
non neutralisés ou B
VI. – Après l’alinéa 19
Insérer deux paragraphes ainsi rédigés :
… – L’article L. 2335–11 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011–702 du 22 juin 2011 relative au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité, est complété par un 6° ainsi rédigé :
« 6° Le transfert d’armes et de matériels, conservés à titre de collection, concerne une manifestation culturelle au sein de l’Union européenne, tels une commémoration, un tournage cinématographique, une convention internationale. »
… – Le second alinéa du I de l’article L. 2335–17 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011–702 du 22 juin 2011 relative au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité, est complété par les mots : « , notamment en faveur des collectionneurs d’armes et de matériels anciens ».
IX. – Alinéa 20 :
Après la référence :
A2
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
non neutralisés et B ainsi que des armes de catégorie D limitativement énumérées par décret en Conseil d’État ».
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 24 rectifié, présenté par M. Gilles, Mlle Joissains, Mmes Lamure et Sittler, MM. Milon et Cléach, Mme Giudicelli, M. Pierre et Mme Garriaud-Maylam, est ainsi libellé :
I. – Alinéas 2, 10, 11, 13, 15, 16, 18, 19 et 20
Après la référence :
A2
insérer les mots :
non neutralisés
II. – Alinéas 3, 6 et 7
Après la référence :
A2
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
non neutralisés, B, C ainsi que des armes de catégorie D limitativement énumérées par décret en Conseil d’État » ;
III. – Après l’alinéa 19
Insérer deux paragraphes ainsi rédigés :
… – L’article L. 2335–11 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011–702 du 22 juin 2011 relative au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité, est complété par un 6° ainsi rédigé :
« 6° Le transfert d’armes et de matériels, conservés à titre de collection, concerne une manifestation culturelle au sein de l’Union européenne, tels une commémoration, un tournage cinématographique, une convention internationale. »
… – Le second alinéa du I de l’article L. 2335–17 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011–702 du 22 juin 2011 relative au contrôle des importations et des exportations de matériels de guerre et de matériels assimilés, à la simplification des transferts des produits liés à la défense dans l’Union européenne et aux marchés de défense et de sécurité, est complété par les mots : « , notamment en faveur des collectionneurs d’armes et de matériels anciens ».
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 51 rectifié, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 13
Remplacer les mots :
et C
par les mots :
ainsi que les matériels des catégories C et D figurant sur une liste fixée par un décret en Conseil d’État
II. - Alinéa 25
Remplacer les mots :
essentiels de catégorie B
par les mots :
essentiels des catégories A1 et B
III. - Alinéa 26
Remplacer les mots :
essentiels des catégories C et D
par les mots :
essentiels des catégories C et D figurant sur une liste fixée par un décret en Conseil d’État
IV. - Alinéa 27
Remplacer les mots :
catégorie B
par les mots :
catégories A1 et B
V. - Alinéa 29
Remplacer les mots :
catégories B, C et D
par les mots :
catégories A1, B, ainsi que des armes des catégories D figurant sur une liste fixée par un décret en Conseil d’État
VI. - Alinéa 30
Remplacer les mots :
de catégorie B
par les mots :
des catégories A1 et B
VII. - Alinéa 31
Remplacer les mots :
des catégorie B ou D
par les mots :
des catégories A1, B ainsi que des armes de la catégorie D figurant sur une liste fixée par un décret en Conseil d'État
VIII. - Alinéa 32
Après les mots :
et D
insérer les mots :
figurant sur une liste fixée par un décret en Conseil d'État
IX. - Compléter cet article par cinq alinéas ainsi rédigés :
XIV. - Au 4° de l’article 421–1 du code pénal, les mots : « à l’exception des armes de la 6ème catégorie » sont remplacés par les mots : « à l’exception des armes de la catégorie D définies par décret en Conseil d’État ».
XV. - Aux deuxième et troisième alinéas de l’article 11–5 de la loi n° 83–629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité, les mots : « sixième catégorie » sont remplacés par les mots : « la catégorie D figurant sur une liste fixée par un décret en Conseil d’État ».
XVI. - Au premier alinéa de l'article 1er de la loi n° 85–706 du 12 juillet 1985 relative à la publicité en faveur des armes à feu et de leurs munitions, les mots : « de la première catégorie (paragraphes 1, 2 et 3) et des quatrième, cinquième et septième catégories telles qu'elles sont définies par l'article premier du décret n° 73–364 du 12 mars 1973 relatif à l'application du décret du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions » sont remplacés par les mots : « des catégories A1, B ainsi que les armes des catégories C et D figurant sur une liste fixée par un décret en Conseil d’État ».
XVII. - Au I de l'article 3 de la loi n° 92–1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane, les mots : « de la première catégorie figurant sur une liste fixée par décret acquises à titre personnel, aux armes et munitions non considérées comme matériels de guerre, mentionnées à l’article 1er du décret-loi du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre» sont remplacés par les mots : « de la catégorie A figurant sur une liste fixée par décret acquises à titre personnel, aux armes des catégories A1, B, C et D mentionnées à l’article L. 2331–1 du code de la défense ».
XVIII. - Au 4° de l’article 398–1 et aux onzième et vingtième alinéas de l’article 837 du code de procédure pénale, les mots : « de la 6ème catégorie » sont remplacés par les mots : « des catégories C et D ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. C’est un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 35, modifié.
(L'article 35 est adopté.)
Article 35 bis
(Non modifié)
La présente loi est applicable dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. – (Adopté.)
Article 35 ter
Les armes détenues par les particuliers à la date de la promulgation de la présente loi sont soumises aux procédures d’autorisation, de déclaration ou d’enregistrement prévues par celle-ci à compter de la survenance du premier des événements suivants :
a) Leur cession à un autre particulier ;
b) L’expiration de l’autorisation pour celles classées antérieurement dans l’une des quatre premières catégories.
Les armes dont l’acquisition et la détention n’étaient pas interdites avant la promulgation de la présente loi et qui font l’objet d’un classement en catégorie A1 doivent être remises aux services compétents de l’État. Un décret en Conseil d’État peut toutefois prévoir les conditions dans lesquelles les services compétents de l’État peuvent autoriser les personnes physiques et morales à conserver les armes acquises de manière régulière dans le cadre des lois et règlements antérieurs. L’autorisation a un caractère personnel et devient nulle de plein droit en cas de perte ou de remise de ces armes aux services de l’État.
M. le président. L'amendement n° 48, présenté par M. Lefèvre, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 1
Remplacer les mots :
la promulgation
par les mots :
la publication des mesures réglementaires d'application
II. - Alinéa 4, première phrase
a) Remplacer le mot :
promulgation
par les mots :
publication des mesures réglementaires d'application
b) Compléter cette phrase par les mots :
dans un délai de trois mois à compter de cette publication.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Antoine Lefèvre, rapporteur. Amendement de précision.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 35 ter, modifié.
(L'article 35 ter est adopté.)
Article 36
(Non modifié)
Les charges qui pourraient résulter de l’application de la présente loi pour l’État sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 36
M. le président. L'amendement n° 33, présenté par M. César, est ainsi libellé :
Après l’article 36
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le chapitre VIII du titre III du livre III de la deuxième partie du code de la défense est complété par un article L. 2338-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 2338-4. – I. – Pour des raisons tenant à la sécurité publique, sauf pour les cas prévus aux articles L. 2338-1, L. 2338-2, L. 2338-3 et au I de l’article L. 2339-9, une personne qui porte une arme en public dans un lieu public doit être titulaire d’une autorisation de port d’arme. La personne titulaire d’une telle autorisation doit la conserver sur elle et la produire sur injonction des services de police ou de gendarmerie.
« 1° Une autorisation de port d’arme est délivrée à la personne qui :
« 2° Remplit les conditions d’octroi de l’autorisation d’acquisition et de détention d’armes ;
« 3° Rend vraisemblable qu’elle a besoin d’une arme pour se protéger ou pour protéger des tiers ou des choses contre un danger ;
« – A réussi un examen de tir qui atteste qu’elle connaît les dispositions légales et le maniement de l’arme considérée.
« III. – L’autorisation de port d’armes est délivrée par le service de la préfecture territorialement compétente pour une durée maximale de cinq ans.
« IV. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’octroi de l’autorisation de port d’arme. »
Cet amendement n'est pas soutenu.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, je constate que vous n’avez pas répondu aux questions que je vous ai posées au sujet des armes à impulsion électrique, Taser et flash-ball. Cela fait dix ans que je mène cette bataille !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous m’avez répondu qu’il s’agissait d’armes non pas létales, mais sublétales. Je connais cette subtile distinction qui conduit à dire que ces armes ne sont mortelles que pour certaines personnes. Il reste que, lorsqu’on les emploie, on ne sait pas si les personnes susceptibles d’être atteintes font partie de celles pour lesquelles elles sont létales. Donc, elles peuvent être mortelles. Mais c’est également le cas d’autres armes qui peuvent être mortelles et qui ne le sont pas si l’on tire à côté !
J’ajoute que de nombreuses études ont démontré leur possible dangerosité, en raison sans doute de la complexité de leur maniement. Se pose, dès lors, la question de leur emploi par la police. C’est pourquoi mon groupe réclame, avec d’autres, qu’elles ne puissent être utilisées au cours de rassemblements compte tenu des accidents très graves, voire mortels, qui se sont produits dans de telles circonstances.
Pour cette raison, je serais bien évidemment tentée de ne pas voter ce texte, mais je ne voudrais pas qu’on puisse considérer que mon groupe s’oppose à la réglementation des armes.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous le voterons donc, mais nous poursuivrons notre combat afin que la sagesse l’emporte s’agissant de l’emploi de ces armes à impulsion électrique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Je reprends à mon compte les propos de notre collègue Nicole Borvo Cohen-Seat. Je crois en effet, monsieur le ministre, que vous avez été trop catégorique votre réponse ; or cela ne vous ressemble pas.
Les armes à impulsion électrique sont bien « létales », selon le terme consacré, pour ceux qui ont, si j’ose dire, de la « ferraille » dans le corps : par exemple un pacemaker, tout simplement !
M. Jean-Pierre Plancade. Ces armes-là peuvent tuer, et j’aimerais vraiment que le Gouvernement y réfléchisse.
Cela étant dit, comme je l’ai annoncé lors de la discussion générale, le groupe du RDSE se réjouit non seulement de l’excellent travail accompli par la commission et par son rapporteur, mais aussi de la compréhension dont le Gouvernement a fait preuve et de la qualité de chacune des interventions dans cet hémicycle. Nous voterons donc cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Sur les travées du Sénat se trouvaient aujourd’hui des parlementaires avertis, maîtrisant parfaitement le sujet en débat. Les diverses interventions nous ont d’ailleurs permis de constater que cette question est complexe et qu’elle mérite, partant, une attention particulière.
À ce titre, je reviens sur une remarque que j’ai formulée lors de la discussion générale : pas à pas, méthodiquement, nous sommes parvenus à satisfaire des revendications ou des demandes émanant des 2 millions de personnes qui détiennent et utilisent des armes en toute légalité.
Nous avons réussi à prendre, par la définition de sanctions appropriées, des mesures qui sont de nature à dissuader ceux qui, pour telle ou telle raison, seraient tentés de détenir des armes dans des conditions illégales et, surtout, d’en faire usage.
Toutefois, il ne faudrait pas que nos débats sèment la confusion dans les esprits, au sein de l’opinion publique ou chez des personnes moins averties que nous. À mes yeux, concernant l’acquisition et l’usage des armes, le travail législatif que nous venons d’accomplir est allé le plus loin possible.
Pour conclure, je souligne que ce texte permet de répondre à des attentes exprimées de longue date. Le groupe socialiste-EELV le votera. Ce texte a fourni au Sénat l’occasion de démontrer une fois de plus qu’il savait accomplir, en l’espèce à la suite de l’Assemblée nationale, un travail tout à fait pertinent et de grande qualité.
M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Je souhaite à mon tour exprimer brièvement ma satisfaction.
Premièrement, en matière de transposition, nous serons – pour une fois ! – exemplaires : de fait, la France ne fait pas toujours figure de bon élève à cet égard, transposant parfois les directives européennes avec de nombreuses années de retard. Concernant la classification des armes, le délai s’élève à trois ans ; je me réjouis que nous soyons ainsi dans la moyenne quant au temps de transposition.
Deuxièmement, je me félicite que nous ayons rendu hommage, en tant que parlementaires, au bon travail de concertation mené entre le Gouvernement – deux ministères – et tous les acteurs concernés par ce délicat problème des armes, notamment les chasseurs, évoqués à plusieurs reprises au cours de ce débat, les tireurs sportifs, les membres des clubs de ball-trap, sans oublier, bien sûr, les armuriers.
Troisièmement, je souligne qu’il était urgent de voter ce texte : de fait, le travail réalisé par l’Assemblée nationale était incomplet ; il laissait même peser des menaces sur l’acquisition d’un certain nombre d’armes et sur le transport de certaines autres. Il me semble que ce que le Sénat a fait sera de nature à rassurer les personnes concernées.
Quatrièmement, enfin, nous venons d’étudier ce texte et d’adopter un grand nombre de mesures pénales très utiles avec une rapidité incroyable. Nous étions, il est vrai, nombreux à défendre les groupes dont nous avons entendu les représentants, les chasseurs et les tireurs sportifs, notamment. Mais nous nous sommes armés – passez-moi l’expression ! –d’un bon instrument pour lutter contre la délinquance, le trafic et le banditisme. Ce faisant, nous avons fait œuvre très utile.
Le groupe UMP votera, bien sûr, en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux, pour explication de vote.
Mme Odette Herviaux. Je me réjouis par avance du vote, probablement unanime, de cette proposition de loi. Je suis d’autant plus satisfaite que, au cours de ce débat, on a systématiquement fait une claire distinction entre, d’une part, les personnes qui possèdent ou souhaitent détenir une arme légalement, afin de l’utiliser dans le cadre de leurs loisirs et, de l’autre, celles qui en font malheureusement un usage tout à fait illégal, dans le cadre d’activités délinquantes.
Même si la formule est un peu galvaudée, je crois qu’il n’est pas inutile de la répéter : ce n’est pas l’arme en elle-même qui est dangereuse, c’est l’utilisation que les êtres humains en font.
Dès lors, les personnes qui se conforment à une certaine éthique dans l’utilisation de ce matériel, pour le loisir ou pour le sport, et par conséquent les professionnels qui travaillent dans ce domaine – notamment les armuriers – méritent également notre entière attention : il ne faut pas laisser croire au grand public, chaque fois que survient, hélas, un événement dramatique, que les armes sont partout, que toute personne possédant une arme est nécessairement une sorte de cow-boy en puissance !
À mon sens, il était donc nécessaire d’opérer cette mise au point.
Mes chers collègues, je prendrai un exemple que je connais bien, celui du tir sportif : je vous assure qu’en pratiquant cette discipline les jeunes apprennent la maîtrise de soi, la patience et la rigueur. Ils accordent ainsi une grande attention à leurs gestes et, ce faisant, prennent conscience du risque et du danger ; ils ne se laissent donc pas manipuler par les jeux vidéos ou les autres medias évoqués tout à l'heure, qui tendent à présenter la destruction de la vie d’autrui comme un acte presque banal.
M. Ladislas Poniatowski. Et que ces jeunes nous rapportent des médailles des jeux Olympiques de Londres !
Mme Catherine Troendle. Parfaitement !
Mme Odette Herviaux. Je me félicite d’autant plus de cette belle unanimité qu’elle n’est pas si fréquente.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, au commencement de cette séance, nous avons évoqué le sort du policier blessé à Vitrolles, qui était entre la vie et la mort. Je suis malheureusement au regret de vous annoncer qu’Éric Lales, gardien de la paix à la brigade anti-criminalité d’Aix-en-Provence, vient de décéder des suites de ses blessures.
Cet exemple illustre combien ce texte est utile, car il doit nous permettre de lutter plus efficacement contre cette forme de criminalité qui est à l’origine de la mort de ce policier.
En même temps, ainsi que ceux qui viennent de s’exprimer l’ont rappelé, il nous fallait prendre en compte ceux qui emploient des armes en toute légalité, comme ces personnes que vous avez évoquées, madame Herviaux, et qui ne doivent pas pâtir du renforcement de cette lutte contre la délinquance. (Mme Odette Herviaux acquiesce.)
Le travail qui a été effectué, d’abord par les trois députés auteurs de la proposition de loi, puis par l’Assemblée nationale, ensuite par le Sénat – et il faut ici saluer la part qu’y a prise M. le rapporteur –, mais aussi dans le cadre des nombreux contacts noués entre le Gouvernement, la fédération des chasseurs, les représentants de tous ceux qui pratiquent le tir sportif, ainsi que les collectionneurs, dont il convient de définir le statut, nous a permis d’avancer progressivement, dans un constant souci d’écoute mutuelle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il s’agit d’un sujet particulièrement sensible, nous le savons : nous devons donc nous féliciter du consensus qui s’est dégagé entre le Gouvernement, les deux chambres du Parlement et l’ensemble des acteurs concernés. Si nous sommes conscients de la nécessité d’avancer encore comme des limites auxquelles nous nous heurtons, nous ne pouvons que nous réjouir de ce résultat.
Je tiens à remercier le Sénat de la célérité dont il a su faire preuve au cours de cette discussion puisque de très nombreux articles et amendements ont pu être examinés en un court laps de temps. Mais après tout, comment s’en étonner quand il était clair pour chacun que c’était l’intérêt général qui était en jeu ? Et c’est bien l’intérêt général que, ce matin, ensemble, nous avons défendu ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. À l’unanimité !
5
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application de la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, et en application de l’article L. 332-3 du code de la recherche et du décret n° 70-878 du 29 septembre 1970, la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire a émis un vote unanime – seize voix pour – en faveur de la nomination de M. Bernard Bigot aux fonctions d’administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; ils seront repris à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
M. le président. La séance est reprise.
6
Droit de vote et d’éligibilité des étrangers
Discussion d'une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France (proposition n° 329 [1999-2000], texte de la commission n° 143, rapport n° 142).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en inscrivant cette proposition de loi constitutionnelle à l’ordre du jour de votre Haute Assemblée, vous invitez le Gouvernement à défendre sa conception de la citoyenneté française. L’occasion m’est apparue suffisamment importante pour que je livre mes convictions au Sénat.
Ce débat s’attache en effet à l’organisation de notre République et à notre vision de la France. Pour moi, il n’y a pas de thème plus fondamental.
C’est un débat où les clivages n’obéissent pas nécessairement aux frontières partisanes, ce qui doit nous conduire à écouter les arguments de chacun.
Enfin, c’est un débat ancien...
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. François Fillon, Premier ministre. ... et récurrent. Depuis 1981, il ressurgit avant chaque élection, avant d’être inhumé aussitôt après. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est faux ! Il ne ressurgit pas avant chaque élection !
M. François Fillon, Premier ministre. Permettez-moi tout d’abord de dire un mot sur la méthode utilisée aujourd’hui. Je la réprouve, car elle crée un brouillage démocratique qui affaiblit la cohérence politique de nos institutions. (Très bien ! sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
Je connais la tradition parlementaire qui veut que le Sénat reste saisi des textes émanant de l’Assemblée nationale même lorsque celle-ci est renouvelée. Un tel usage est utile pour assurer une certaine continuité de l’action législative. En revanche, il n’a certainement pas été conçu pour exhumer une proposition de loi vieille de plus de dix ans. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. Roland Courteau. À qui la faute si elle a plus de dix ans ?
M. François Fillon, Premier ministre. Depuis lors, l’Assemblée nationale a été renouvelée deux fois, et le Sénat l’a été dans son intégralité.
M. Jean-Pierre Michel. Et il est passé à gauche !
M. François Fillon, Premier ministre. Cette initiative n’a donc plus le moindre lien avec la représentation nationale actuelle, ce qui pose un problème au regard de la clarté démocratique. (M. Alain Gournac acquiesce.)
Je récuse donc la méthode employée.
Toutefois, ce qui m’importe avant tout, c’est de vous livrer ma conception de la France, car elle diverge de celle qui s’exprime dans cette proposition de loi constitutionnelle.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. François Fillon, Premier ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis plus de deux siècles, depuis que la nationalité française existe dans notre droit avec le code civil napoléonien, la citoyenneté en est indissociable.
Du lien entre nationalité et citoyenneté découle le lien entre nationalité et droit de vote.
Des cinq régimes républicains que la France a connus tout au long d’une histoire mouvementée, aucun n’a remis en cause ce socle de notre cohésion ! Aucun n’a vu dans son abolition une conquête ou un progrès légitimes !
Parce que voter, c’est participer à l’exercice de la souveraineté nationale. C’est aussi participer à la vie de notre République, que notre Constitution définit comme le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Or il n’y a qu’un seul peuple : le peuple français ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Desessard. Non !
M. François Fillon, Premier ministre. Comme la République, la citoyenneté française est une et indivisible. Elle n’est ni locale ni nationale.
Pour exercer la plénitude des droits civiques, un ressortissant étranger doit faire le choix et se montrer digne d’acquérir la nationalité française.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. François Fillon, Premier ministre. La nationalité française ouvre des droits spécifiques. Ainsi, la qualité de fonctionnaire, pour l’exercice de fonctions de souveraineté ou d’autorité, est réservée aux Français. On conçoit mal que des ressortissants étrangers rendent la justice « au nom du peuple français ».
La nationalité française comporte aussi des obligations particulières. On nous propose aujourd’hui d’ouvrir une brèche dans cet édifice, où s’équilibrent les droits et les devoirs. Et cette brèche ne peut que déstabiliser les repères.
Au nom de quoi le droit de désigner les conseillers municipaux ou d’être élu au sein d’un conseil municipal ne serait-il plus un attribut de la citoyenneté française ?
Plusieurs sénateurs du groupe CRC. C’est déjà le cas !
M. François Fillon, Premier ministre. Aucune des raisons avancées ne justifie, à mes yeux, ce travail de sape d’un des fondements de notre République. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Vives protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Soignez le vocabulaire !
M. François Fillon, Premier ministre. On nous dit tout d’abord que les Français n’ont déjà plus le monopole du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales, puisque les ressortissants de l’Union européenne en disposent, sous réserve de réciprocité et dans les conditions prévues par la Constitution.
Mais pourquoi avons-nous fait le choix historique d’élargir ainsi notre droit de vote aux Européens ? Parce que nous voulions qu’émerge une citoyenneté européenne,...
Mme Éliane Assassi. Elle n’existe pas !
M. François Fillon, Premier ministre. ... une citoyenneté ancrée dans les traités, sous le sceau d’un accord entre des pays ayant explicitement décidé d’établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens.
M. Robert Hue. C’est discriminatoire !
M. François Fillon, Premier ministre. Cet objectif d’unir nos peuples ne peut pas être avancé pour tous les étrangers issus de pays, certes amis, mais qui n’appartiennent pas à l’aventure collective qui distingue l’Europe au sein du monde.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils vivent une autre aventure collective avec la France !
M. François Fillon, Premier ministre. J’entends ensuite que la reconnaissance de ce droit aux étrangers non communautaires serait nécessaire à leur intégration.
Pensez-vous vraiment que vous êtes intégré parce que vous votez ou parce que vous pouvez voter ? (Non ! sur les travées de l’UMP. – Oui ! sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV. )
Croyez-vous que les pays qui ont élargi leur droit de vote aux étrangers aient résolu leurs problèmes d’intégration ?
Mme Samia Ghali. Oui !
M. François Fillon, Premier ministre. Songeons au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas, où – on peut le voir – ce droit est loin d’apaiser toutes les difficultés liées à l’intégration, qui, dans ces sociétés, sont aussi vives, sinon plus encore, que dans la nôtre ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
S’intégrer, c’est d’abord remplir des devoirs, avant de disposer de plus de droits. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
S’intégrer, c’est s’insérer économiquement et socialement ; c’est respecter, épouser, assimiler la culture du pays d’accueil.
Pour moi, le droit de vote est la conséquence d’un parcours individuel. C’est l’aboutissement d’un parcours d’adhésion à notre communauté nationale.
M. Roger Karoutchi. Bien sûr !
M. François Fillon, Premier ministre. Le droit de vote n’est pas une condition ! Il n’est pas un préalable !
Au fond, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi constitutionnelle prend les choses à l’envers.
Quitte à choquer certains d’entre vous, je veux dire que ce sont aux étrangers de faire l’effort de s’ancrer dans la République, car la République, elle, fait tous les jours la preuve de son ouverture. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR. – Vives protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
Mme Christiane Demontès. Parlons-en !
M. François Fillon, Premier ministre. L’honneur de la France, c’est de récompenser un chemin d’intégration par l’octroi de la nationalité française.
Mme Samia Ghali. Dix ans d’attente !
M. François Fillon, Premier ministre. Ce n’est pas de récompenser l’étranger qui, de manière somme toute légale et légitime, travaille et paye ses impôts.
Au demeurant, l’absence de droit de vote ne signifie nullement que l’étranger soit privé de sa capacité à participer à notre vie sociale.
M. Roland Courteau. Si !
M. François Fillon, Premier ministre. Rien n’est plus faux et plus injuste que de présenter notre pays comme fermé, suspicieux ou xénophobe.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sont les étrangers qui le pensent !
M. François Fillon, Premier ministre. Les étrangers qui le souhaitent peuvent participer à la vie de la cité, dans le cadre associatif, dans l’entreprise, dans les comités de quartiers. Je ne peux que les encourager à le faire, car c’est le signe d’une volonté d’intégration.
À l’évidence, un étranger qui réside de longue date en France, qui respecte nos lois et qui s’investit n’aura aucune difficulté à obtenir la nationalité française. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Christiane Demontès. C’est faux !
M. François Fillon, Premier ministre. S’il ne le souhaite pas, c’est parce qu’en son for intérieur, il ne se sent pas entièrement partie prenante du peuple français.
Dans ce cas, il est tout à fait normal qu’il ne puisse pas désigner les représentants d’une collectivité de la République.
M. Roger Karoutchi. Bien sûr !
M. François Fillon, Premier ministre. J’ajoute que le choix de devenir Français n’est pas exclusif. Notre patriotisme n’est pas fondé sur les origines. Il n’est pas sectaire. Il admet parfaitement que chacun puisse conserver dans son cœur plusieurs attaches.
La personne qui devient française n’est pas automatiquement contrainte à renoncer à sa nationalité d’origine, puisque notre droit admet le cumul de nationalités.
Il n’y a donc aucune forme de déchirement dans le choix d’accéder à la nationalité française. Il y a là simplement, et c’est fondamental, l’expression d’un désir d’être Français.
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. François Fillon, Premier ministre. Chaque année, plus de 130 000 personnes décident d’acquérir la nationalité française. Pour eux, c’est très souvent un moment important, émouvant, solennel.
Dans les nombreuses cérémonies d’acquisition de la nationalité française que j’ai présidées, j’ai pu voir, comme vous, la joie et la fierté dans les yeux des personnes naturalisées au moment de la remise du document officiel.
M. Roger Karoutchi. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Michel. Sortez les mouchoirs !
M. François Fillon, Premier ministre. Cette joie, cette fierté, c’est un cadeau que leur fait la France en les accueillant en son sein, mais c’est aussi un cadeau que ces étrangers font à la France en rejoignant son destin ! (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
Cette proposition de loi ne rend pas justice à tous nos compatriotes qui ont fait l’effort de s’assimiler pour acquérir la nationalité française.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Honteux !
M. François Fillon, Premier ministre. Ceux qui entreprennent la démarche de demander la nationalité disent souvent que l’une de leurs motivations est de participer à notre vie politique.
En d’autres termes, eux-mêmes perçoivent et respectent le lien intime qui existe entre citoyenneté et droit de vote. C’est donc qu’ils sont sensibles aux principes régissant l’existence de notre communauté nationale. Pourquoi devrions-nous renoncer à cette donnée, que les étrangers sont les premiers à ressentir comme importante ?
Mais il y a plus grave.
Dissocier le droit de vote de la nationalité française, c’est prendre le risque de communautariser le débat public.
M. Jacky Le Menn. C’est vous qui le dites !
M. François Fillon, Premier ministre. Nous perdrions beaucoup si nous voyions fleurir des listes de candidats se réclamant de leur nationalité étrangère pour briguer des voix.
M. Roland Courteau. C’est le contraire qui se produira !
M. François Fillon, Premier ministre. Il n’est sans doute pas de pire ferment du communautarisme que l’onction du suffrage universel donnée à des candidatures qui seraient tentées de miser sur leur caractère ethnique. Je reconnais qu’il n’y a là rien d’automatique, mais je ne suis pas prêt à courir un tel risque. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
On me rétorque que ces personnes payent des impôts et des cotisations sociales en France et qu’il est donc normal qu’elles puissent décider de l’utilisation qui en sera faite.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elles contribuent plus qu’elles ne reçoivent !
M. François Fillon, Premier ministre. Telle n’est pas ma conception de la citoyenneté.
Pour tout dire, cette vision censitaire et finalement utilitariste de la participation démocratique me paraît choquante.
Pour faire fonctionner nos services publics, dont tout le monde bénéficie, y compris les ressortissants étrangers, il est naturel que tous ceux qui en ont les moyens payent des impôts.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et que faites-vous de nos citoyens du lac Léman qui ne payent plus d’impôt en France ?
M. François Fillon, Premier ministre. Participer aux destinées d’une collectivité publique ou désigner ceux qui en seront chargés, cela n’a rien à voir !
Une commune n’est pas une entreprise dont on serait actionnaire en acquittant ses impôts. En clair, le droit de vote ne s’achète pas ; il se gagne par la volonté du cœur et de l’esprit. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. Roland Courteau. Des mots !
M. François Fillon, Premier ministre. L’argument qui met en valeur la contribution économique des étrangers pour légitimer leur droit de vote se heurte en outre à une profonde contradiction.
M. Louis Nègre. Bien sûr !
M. François Fillon, Premier ministre. En effet, pourquoi le réserver aux communes ? Les impôts locaux bénéficient aussi aux départements et aux régions. Alors pourquoi n’avez-vous pas proposé d’ouvrir le droit de vote aux élections cantonales et régionales ?
Plusieurs sénateurs des groupes CRC et socialiste-EELV. Cela viendra !
M. François Fillon, Premier ministre. Allons plus loin dans l’absurde. Les étrangers payent à l’État la TVA et, souvent, l’impôt sur le revenu. Faut-il leur donner le droit de vote aux élections législatives pour qu’ils puissent décider de l’usage qui en sera fait ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
De proche en proche, avec un tel raisonnement, c’est la citoyenneté française qui disparaîtrait.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle a déjà disparu !
M. François Fillon, Premier ministre. Certains en appellent aux exemples étrangers pour justifier leur proposition.
Que nous montrent de telles comparaisons ? Qu’il n’y a pas de modèle unique et que chaque État se détermine en fonction de son histoire,…
M. Roland Courteau. La France est lanterne rouge !
M. François Fillon, Premier ministre. … mais surtout de sa propre conception de la citoyenneté, celle qu’il croit la mieux à même de garantir la cohésion nationale !
Les Allemands, les Autrichiens ou les Italiens ont fait le même choix que nous.
Les Britanniques n’ont ouvert ce droit qu’aux ressortissants du Commonwealth, en raison de leur histoire commune.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Parce que, nous, nous n’avons pas d’histoire commune avec les autres pays ? C’est incroyable ! Honteux !
M. François Fillon, Premier ministre. Et même dans les pays qui sont souvent mis en avant par les tenants du droit de vote des étrangers, les situations sont extrêmement diverses.
Droit de vote sous réserve de réciprocité : c’est le cas de l’Espagne et du Portugal. Droit de vote sans éligibilité : c’est le cas de la Belgique. Droit de vote assorti de conditions strictes d’accès à la nationalité, en particulier un droit du sol extrêmement restrictif, voire inexistant : c’est le cas des Pays-Bas, de la Suède, de l’Irlande ou encore de l’Espagne.
La France se distingue par un droit de la nationalité ouvert, avec une large place accordée au droit du sol et une naturalisation possible à partir de cinq années de résidence régulière. Nous avons toujours veillé à préserver cet équilibre.
Le Gouvernement a seulement entrepris de renforcer les exigences qui dépendent de la motivation et de la volonté des postulants,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas ce que disait le candidat Sarkozy !
M. François Fillon, Premier ministre. … à savoir l’intégration et la maîtrise de la langue française.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour l’accession à la nationalité, nous sommes, selon les années, le premier ou le deuxième pays derrière le Royaume-Uni en valeur absolue, loin devant l’Allemagne.
Rapporté à la population étrangère, le nombre d’acquisitions de la nationalité en France est supérieur à ce qu’il est dans la plupart des pays ayant ouvert le droit de vote aux étrangers. Voilà la réalité ! Elle est très loin des caricatures dans lesquelles certains se complaisent. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vous qui caricaturez !
M. François Fillon, Premier ministre. Enfin, on nous nous oppose l’argument selon lequel les élections locales seraient d’une autre nature que les élections nationales. (Oui ! sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Ce n’est pas ma conception de la République et de son organisation. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
Pour moi, les collectivités locales ne sont pas dissociables de l’État et de la nation.
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
M. François Fillon, Premier ministre. Il n’y a pas, d’un côté, la stricte gestion locale et, de l’autre, la gestion nationale.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour preuve, les électeurs européens...
M. François Fillon, Premier ministre. Les deux forment des entités politiques, avec des enjeux politiques qui sont loin d’être anodins !
Les collectivités territoriales de la République participent aussi à l’expression de la souveraineté nationale.
Une compétence est décentralisée lorsque le Parlement estime qu’il s’agit du meilleur échelon de décision publique. Mais ce n’est pas parce qu’une compétence est décentralisée que les étrangers devraient mécaniquement être admis à participer à son exercice.
Pour moi, les élections municipales sont des élections politiques pleines et entières. Elles sont d’une essence différente des scrutins professionnels, universitaires ou sociaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis venu vous exprimer mon opposition à cette proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Nous aussi !
M. François Fillon, Premier ministre. Je le fais au nom des enjeux qu’elle reflète et qui, d’une certaine manière, la dépassent.
Qu’est-ce qui est en jeu ? C’est notre relation à la France, c’est notre unité, c’est notre égalité devant nos droits et devoirs !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec les agences de notation, ce qui est en jeu, c’est la souveraineté nationale !
M. François Fillon, Premier ministre. Face au relativisme, face à l’individualisme, c’est un combat qui n’est jamais définitivement gagné. (M. Jean-Pierre Raffarin applaudit.)
Ne soyons pas naïfs : il existe dans notre pays des ferments de division.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous les entretenez !
M. François Fillon, Premier ministre. Et comme vous tous ici, je ressens honte et colère lorsque je vois La Marseillaise sifflée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Didier Boulaud. La Marseillaise ne vous appartient pas !
M. François Fillon, Premier ministre. Je ressens de la tristesse lorsque notre pays est moqué. Et je suis inquiet devant l’expression radicale des appartenances ethniques ou religieuses.
Tous ces comportements sont les signes d’une société qui a besoin de raffermir ses repères historiques, civiques et moraux.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec des boucs émissaires !
M. François Fillon, Premier ministre. Dire cela, ce n’est pas assouvir je ne sais quelles obsessions passéistes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
La France n’a jamais cessé d’être en mouvement, et toute son histoire est tendue vers l’objectif d’un rassemblement qui n’est jamais allé de soi ! (Mme Christiane Demontès s’exclame.)
Depuis dix siècles, la volonté d’unir nos différences et de nous forger un destin collectif s’est imposée sur nos particularismes et nos vieux penchants pour la division.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les vôtres !
M. François Fillon, Premier ministre. Transcendant nos provinces, nos origines, nos religions, nous sommes depuis le début une nation fondée sur la volonté d’être précisément... une nation !
Et, plus que cela, nous sommes devenus une nation de citoyens, ce qui, au demeurant, nous impose plus de devoirs que de droits, plus de civisme que d’égoïsme, plus d’adhésion que d’indifférence. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
Depuis le fond des âges, la France a accueilli et assimilé des générations d’étrangers qui ont apporté leur concours au développement de notre pays.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y a eu des exceptions !
M. François Fillon, Premier ministre. Il est naturel de vouloir que nos valeurs soient les leurs, et il est généreux de leur offrir la possibilité d’entrer pleinement dans notre famille nationale.
Nous sommes une nation d’intégration. Nous ne sommes pas une nation mosaïque !
L’intégration signifie que l’étranger qui veut fondre son destin personnel dans notre destin collectif adopte la France, et que, dès lors, la France l’adopte comme l’un des siens. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.) Mais, pour qu’il y ait intégration, encore faut-il que l’étranger qui rejoint notre communauté nationale sache et sente que celle-ci est animée par une foi commune !
Et cela, c’est un message pour nous, peuple français, qui avons trop souvent l’art de nous dévaloriser, de nous déprécier, alors que nous avons tellement d’atouts, et, si souvent, tant de noblesse dans nos élans. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est vous qui nous dépréciez !
M. François Fillon, Premier ministre. En République, l’amour et le service de la France ne relèvent pas d’une doctrine d’État.
Chacun est responsable de ce qu’il reçoit et de ce qu’il donne à la nation. Chacun est porteur d’un héritage historique et culturel qu’il se doit de respecter et de prolonger avec fidélité et courage.
Cette exigence est valable pour les Français, qui sont les premiers concernés par le sort de la nation, mais elle l’est aussi pour les étrangers qui nous rejoignent. Pour eux, comme pour nous, être français ou choisir de devenir français, c’est d’abord adhérer à un pacte !
Avec une telle proposition de loi constitutionnelle, la gauche s’engage dans une voie dangereuse avec légèreté. Elle prend le risque de vider la nationalité et la citoyenneté française de leur substance, et ce au moment précis où notre pays est face aux épreuves de la mondialisation et doit se rassembler autour de ses valeurs et de ses objectifs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les Français ont besoin de repères clairs et stables.
Or, fractionner le droit de vote, c’est prendre le risque de morceler notre pacte national.
M. Alain Gournac. Oui !
M. François Fillon, Premier ministre. C’est prendre le risque d’affaiblir l’intégration.
C’est prendre le risque de sectionner l’un des chaînons de l’unité républicaine.
Voilà pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, nous devons tous ensemble veiller à protéger l’un des principes de la République française : pas de vote sans citoyenneté, et pas de citoyenneté sans adhésion à la nation ! (Mmes et MM. les sénateurs de l’UMP, suivis de plusieurs sénateurs de l’UCR, se lèvent et applaudissent très longuement. – Vives protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le Premier ministre, je tiens à intervenir, parce que vous avez mis en cause la méthode en vertu de laquelle nous sommes aujourd'hui saisis de ce texte.
M. Éric Doligé. Il y a de quoi !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je m’étonne que le chef du Gouvernement puisse remettre en cause le fait que le Sénat ait inscrit à l’ordre du jour un texte adopté par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC. – Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Troendle. Il y a dix ans !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et alors ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur le Premier ministre, vous savez très bien qu’il s’agit du fonctionnement normal de nos institutions.
M. Éric Doligé. C’est de la combine !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pour parler très clairement, ceux qui constituent aujourd'hui la majorité de ce Sénat ont pris un engagement moral voilà trente ans.
M. Éric Doligé. C’est du Guérini dans le texte !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pendant trente ans, nous avons dit que le droit de vote des étrangers aux élections locales ne pouvait pas être adopté en raison de la majorité du Sénat.
Maintenant que la majorité du Sénat a changé, il était un devoir pour nous, eu égard à cet engagement moral, d’inscrire ce texte à l’ordre du jour. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Roger Karoutchi. Il fallait faire un référendum !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous le faisons en vertu des principes et des valeurs qui sont les nôtres.
M. Alain Gournac. Pourquoi François Mitterrand ne l’a-t-il pas fait ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur le Premier ministre, en citant l’histoire de la République, vous avez, semble-t-il, oublié que la Première République avait adopté des textes fondant la citoyenneté non pas sur la nationalité, mais simplement sur le fait qu’il y avait des êtres humains.
Enfin, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen a été adoptée par des républicains, sans condition ni réciprocité, en vertu de valeurs universelles de fraternité qui sont les nôtres et en vertu desquelles nous déposons aujourd'hui ce texte devant le Sénat. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Mme Esther Benbassa, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. « J’avoue ne pas être outrageusement choqué par la perspective de voir des étrangers, y compris non communautaires, voter pour les scrutins cantonaux et municipaux.
M. Roger Karoutchi. Cantonaux ? C’est nouveau !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. « À compter du moment où ils paient des impôts, où ils respectent nos lois,…
M. Éric Doligé. Cela n’a rien à voir !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Laissez-moi terminer : je vous lis une déclaration de M. Sarkozy ! (Rires et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Je reprends :
« À compter du moment où ils paient des impôts, où ils respectent nos lois, où ils vivent sur notre territoire depuis un temps minimum, par exemple de cinq années, je ne vois pas au nom de quelle logique nous pourrions les empêcher de donner une appréciation sur la façon dont est organisé leur cadre de vie quotidien. » Voilà ce que qu’écrivait Nicolas Sarkozy à la page 214 de son livre Libre ! (Nouveaux rires ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Jean-Pierre Raffarin. La gauche applaudit Sarkozy ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Puis, le 30 octobre 2005, il affirmait à propos du droit de vote des étrangers : « Je crois que c’est un facteur d’intégration. »
« Vouloir priver des étrangers qui travaillent, vivent, font vivre, et payent leurs impôts, de toute forme de citoyenneté et de toute participation à notre vie démocratique, n’a d’autre sens qu’une ségrégation » C’est ce qu’écrivait Éric Besson à la page 65 de Pour la Nation. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Le même ajoutait : « Étendre le droit de vote aux élections locales aux ressortissants des pays qui furent colonisés par la France, qui sont des pays francophones, qui ont appartenu à notre République, et qui sont aussi ceux qui entretiennent avec elle les liens les plus profonds et anciens, constituerait un signal fort du maintien de cette grande tradition républicaine d’accueil et d’intégration. »
« Je voudrais, mes chers collègues, appeler votre attention sur le fait que nous sommes dans le dernier peloton des pays européens à devoir encore accorder le droit de vote aux résidents étrangers. » Telles sont les déclarations de M. Gilles de Robien en 2000, lorsque l’Assemblée nationale examinait la présente proposition de loi constitutionnelle.
M. Jean-Pierre Caffet. Il y en a encore beaucoup ?
Mme Esther Benbassa, rapporteure. J’en ai encore quelques-unes... (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste scandent « Encore ! »)
« Un authentique décentralisateur ne peut pas être opposé à un débat sur le droit de vote aux élections municipales pour les étrangers résidant depuis plusieurs années dans une commune. Ce pourrait être un signe de la France à leur endroit. » Ce sont les mots de M. Jean-Pierre Raffarin, dans Pour une nouvelle gouvernance. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC. – M. Jean-Pierre Raffarin se lève et salue ironiquement.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n’avez qu’une parole à droite !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Et je terminerai par la phrase suivante : « Donc, vous voyez, c’est simplement oser l’audace et l’imagination. » C’est ce qu’affirmait Brice Hortefeux le 26 octobre 2006 ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Pierre Caffet. Même lui !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Eu égard aux quelques citations que je viens de vous lire, je devrais être convaincue qu’aucun de nous ne saurait voir d’objection à ce que notre Haute Assemblée se prononce unanimement…
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. … en faveur du droit de vote et d’éligibilité des étrangers non communautaires aux élections municipales. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Qui donc a dit que nous n’étions pas d’accord ?
Mme Christiane Demontès. Eux ! (Mme Christiane Demontès désigne les sénatrices et sénateurs UMP.)
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Et pourtant, ce sont d’autres discours que l’on entend désormais. L’exclusivisme nationaliste actuellement en vogue m’évoque parfois des temps moins généreux que ceux, en tout cas, de 1793, lorsqu’un révolutionnaire prétendait faire citoyens français tous ceux qui « respirent sur le sol de la République ».
M. Bruno Retailleau. Robespierre !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. On avait alors élu plusieurs députés étrangers à la Convention nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Roger Karoutchi. Et on les a guillotinés ensuite...
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Car – faut-il le rappeler ? – les concepts de nationalité et de citoyenneté apparaissent comme distincts, au début de la Révolution. Il n’était pas alors nécessaire d’être Français pour pouvoir participer à l’exercice de la citoyenneté que représentait le vote. Et l’article 4 de Constitution de l’an I disposait que pouvait être admis à l’exercice des droits de citoyen français « tout étranger » qui serait « jugé par le corps législatif avoir bien mérité de l’humanité ». De l’humanité, pas de la nation !
Peu à peu s’imposent le caractère exclusivement national de la citoyenneté et l’idée selon laquelle les droits associés à la citoyenneté sont fondés sur l’appartenance de l’individu qui en jouit à une communauté politique nationale incarnée par l’État-nation. Le XIXe siècle est celui de la montée des nationalismes, où la nationalité apparaît comme le critère, sinon le principal, du moins le premier, de la citoyenneté, ainsi que le reflète la Constitution du 4 novembre 1848, dont l’article 25 dispose que sont « électeurs, sans condition de cens, tous les Français âgés de vingt et un ans, et jouissant de leurs droits civils et politiques ».
C’est le traité de Maastricht, en 1992, qui permettra à la France de renouer avec son ancienne tradition d’ouverture. Non seulement ce traité autorise les citoyens ressortissants des États membres de l’Union européenne à voter aux élections locales et européennes dans leur pays de résidence, mais il distingue aussi la nationalité de la citoyenneté. Ce « statut fondamental » des ressortissants de l’Union européenne crée ce que l’on peut appeler une citoyenneté européenne, parallèlement à la souveraineté nationale.
La ratification du traité de Maastricht nécessitait une modification de la Constitution, rendue effective par la révision constitutionnelle du 25 juin 1992, qui a introduit un nouvel article 88-3 dans la Constitution.
Rappelons-le, la Constitution a été modifiée à plusieurs reprises pour que soient réalisées des réformes considérées comme fondamentales et décisives : droit de vote des femmes, abolition de la peine de mort, parité femmes-hommes, etc. C’est la volonté politique qui a permis de telles avancées.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Aujourd’hui, il est temps que nous ayons cette volonté pour ajouter une nouvelle page à l’histoire de notre nation (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV) et rendre par là même indirectement hommage aux étrangers ou fils d’étrangers qui contribuèrent à sa gloire. Nous avons eu et nous aurons besoin de ces étrangers. Ayons l’audace de le dire en posant un acte fort. Ayons l’audace de miser sur cette ouverture, promesse de richesse.
Le texte visant à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France, adopté par les députés et transmis au Sénat au mois de mai 2000, s’inscrit dans la continuité de l’octroi du droit de vote aux étrangers communautaires.
Une étude de législation comparée, conduite par les services du Sénat sur douze pays européens et la Suisse, montre que seuls deux pays dénient tout droit de vote aux élections locales aux résidents étrangers.
M. Louis Nègre. L’étude porte sur douze pays ! Pas sur les vingt-sept !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. La présente proposition de loi constitutionnelle ne vise pas à modifier l’article 3 de la Constitution ; elle tend à créer un nouvel article au sein du titre XII consacré aux collectivités territoriales.
Ce choix vise aussi à montrer que les droits ainsi conférés aux étrangers ne remettent pas en cause la souveraineté nationale, qui découle, elle, de l’article 3, relatif au titre Ier : De la Souveraineté. Cette interprétation a d’ailleurs été confirmée par la décision du Conseil constitutionnel du 9 avril 1992, dite Maastricht 1.
Pour compléter le dispositif prévu par l’article 1er du texte dont nous débattons aujourd’hui, nous avons introduit un article 2 visant à supprimer le mot « seuls » des dispositions prévues par l’article 88-3 de la Constitution.
M. Éric Doligé. Reprenez les citations de Nicolas Sarkozy ; c’est plus agréable et plus clair !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. De nombreux arguments militent en faveur de l’ouverture du droit de vote et d’éligibilité aux étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne. Ils peuvent être regroupés en quatre thématiques.
Premièrement, il est nécessaire de reconnaître l’existence d’une citoyenneté plurielle, conséquence de la pérennité de l’établissement de certains étrangers sur le sol français. Cette pérennité est indéniablement source d’implication dans la vie collective à l’échelle locale.
Deuxièmement, l’équité impose de ne pas traiter différemment deux catégories d’étrangers : ceux qui sont issus des États membres de l’Union européenne et ceux qui sont issus des pays tiers. En effet, comment justifier que les premiers puissent voter en France quand ils n’y sont établis que depuis quelques mois, tandis que les seconds restent exclus de toute participation à la vie civique, même lorsqu’ils résident chez nous depuis plusieurs décennies ?
Troisièmement, s’exprime la volonté de renforcer la portée de la démocratie.
Quatrièmement, enfin, il faut garantir la dignité des personnes concernées par ce nouveau droit.
À ces arguments s’ajoute le fait que l’octroi de ce droit répond aux aspirations profondes de ceux qui en seront bénéficiaires. Il est, en outre, approuvé par maints élus locaux, qui ont marqué leur soutien en mettant en place des « votations citoyennes » et en souscrivant à l’Appel de Strasbourg en faveur de l’ouverture du droit de vote aux étrangers pour les élections municipales.
Quant à la proposition de loi constitutionnelle qui vous est aujourd'hui présentée, mes chers collègues, elle semble également recueillir le soutien de l’opinion. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Charles Revet. Cela m’étonnerait !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Selon une enquête BVA réalisée pour le journal Le Parisien et datée du lundi 28 novembre 2011, 61 % des Français – c’est un chiffre record – sont favorables au fait que les étrangers non européens puissent participer aux élections municipales.
M. Roland Courteau. C’est exact !
MM. Philippe Dallier et Louis Nègre. Référendum !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Contrairement aux craintes que M. le ministre de l’intérieur avait exprimées au printemps dernier dans le magazine Le Point, au vu des sondages, les Français paraissent donc bien « mûrs sur le sujet ».
Craindre que les étrangers non communautaires prendraient d’assaut nos mairies au cas où ils accéderaient au droit de vote et d’éligibilité – et certains font mine d’y croire ! – suppose de surévaluer les conséquences effectives de l’arrivée de ces nouveaux électeurs sur les équilibres ordinaires du corps électoral.
Certes, les arguments avancés pour contester l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux étrangers non communautaires ne vont pas manquer. On peut d’ailleurs en identifier trois principaux.
Tout d’abord, a été avancé l’argument d’un prétendu « modèle républicain », liant, de manière indissoluble, la citoyenneté à la nationalité. Il ne semble pourtant plus avoir de raison d’être depuis l’insertion de l’article 88-3 dans la Constitution, c’est-à-dire depuis que les ressortissants de l’Union européenne participent aux élections municipales. Il n’est pas légitime de lier citoyenneté et nationalité dans la mesure où ces notions répondent à deux questions très différentes, qui n’ont d’ailleurs pas de véritable lien logique entre elles.
En effet, alors que la nationalité s’attache à la question : « Qui suis-je ? », la citoyenneté semble, quant à elle, constituer une réponse à la question : « Que faire ensemble ? » (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. En d’autres termes, la nationalité est attachée à la personne, alors que la citoyenneté relève d’une logique collective.
Ensuite, pour démontrer leur intégration dans la vie publique française, condition essentielle à l’obtention du droit de vote, les étrangers non européens devraient recourir à la naturalisation, ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre.
Non seulement cet argument se heurte aux mêmes objections que le précédent, mais surtout il méconnaît la dureté des conditions actuelles de naturalisation.
M. Roland Courteau. Absolument !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Certes, ce ne fut jamais facile. Cela l’est, hélas ! encore moins aujourd'hui.
À cet égard, je pense à cette Toulousaine – c’est un cas parmi tant d’autres –, mère de quatre enfants, vivant sur notre sol depuis trente-cinq ans, qui a déposé une demande de naturalisation, mais à qui notre administration s’obstine à opposer un refus absurde et scandaleux. (Huées sur les travées du groupe socialiste-EELV et sur plusieurs travées du groupe CRC.) Pensons à ces gens-là et envoyons-leur enfin un message d’accueil et d’ouverture clair, net et généreux. Accordons-leur le droit de vote ; ils sont déjà de fait nos concitoyens.
Enfin, l’octroi du droit de vote aux étrangers non européens favoriserait la montée du « communautarisme ».
Les enquêtes sociologiques menées sur le sujet, ainsi que les précédents étrangers, démontrent pourtant l’inverse.
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. L’ouverture du droit de vote aux ressortissants étrangers pour les élections locales a, en pratique, pour effet de conduire à une meilleure prise en compte des intérêts des « minorités » par la classe politique, mais aussi, à terme, à une plus forte présence de ces « minorités » au sein de la direction des partis politiques et des parlements. Tous les partis – de gauche, comme de droite – sont concernés par la question.
Ces deux évolutions favorisent une meilleure intégration des « minorités » au sein de la vie politique nationale, et font donc barrage à une éventuelle tentation communautariste. Dans le secret de l’isoloir, l’attache « communautaire » ne compte plus et toute pression éventuelle est réduite à néant. (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Chacun, chacune vote en son âme et conscience. Est-ce que les ouvriers votent massivement pour des candidats ouvriers, les juifs pour des juifs, les femmes pour des femmes ?
De surcroît, les parents étrangers qui voteront encourageront leurs enfants français à l’exercice d’une pleine citoyenneté, en leur donnant l’exemple. Ils fabriqueront des citoyens, et non des sujets repliés sur leur communauté ou leur religion « d’origine ».
Par ailleurs, je tenais à préciser que la clause de réciprocité prévue par l’article 88-3 de la Constitution pour les ressortissants des États membres de l’Union européenne n’a évidemment pas lieu d’être pour les étrangers non communautaires. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Roger Karoutchi. Pourquoi ?
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Elle répond à un contexte particulier.
M. Louis Nègre. N’importe quoi ! Ce que vous dites ne ressemble à rien !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Dès lors que tous les États membres de l’Union européenne ont, par définition, ratifié le traité de Maastricht de 1992, cette réciprocité est forcément réalisée.
M. Didier Boulaud. Et voilà ! CQFD !
M. Ladislas Poniatowski. Votre argumentation est très faible !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. L’insertion d’une clause similaire dans le texte que nous discutons aujourd’hui aurait pour effet de vider la réforme de son contenu.
En outre, de nombreux États extérieurs à l’Union européenne ne sont pas des démocraties et n’organisent aucune élection, même à l’échelon local. Il serait donc impossible d’établir une réciprocité avec eux, et donc d’ouvrir le droit de vote et d’éligibilité à leurs ressortissants.
Le droit de vote, en tant que droit fondamental, ne peut être conditionné aux relations existant entre la France et des États tiers.
Vous l’aurez tous compris, mes chers collègues, notre commission des lois est évidemment favorable à l’adoption de cette proposition de loi constitutionnelle. Si elle emporte, comme je l’espère, vos suffrages, notre pays s’honorera d’avoir ajouté une belle page à son histoire de démocratie et d’accueil. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Ma conviction présente est le fruit d’une réflexion scrupuleuse, qui s’enracine aussi dans mon expérience.
Élevée loin de la France dans un amour inconditionnel pour ce pays, pour sa langue et ses idéaux, dans l’amour d’une France qui avait su réhabiliter le capitaine Dreyfus – on oubliait, dans ma famille, qu’elle l’avait condamné ! –,…
M. Roger Karoutchi. Quel rapport ?
Mme Esther Benbassa, rapporteure. … j’ai été moi-même une étrangère, une immigrée.
Et comme Apollinaire voilà presque un siècle – lui aussi était un étranger, un immigré –, je tiens pour un « honneur » que « la grande et noble nation française » m’ait accueillie « comme un de ses enfants ».
Le pays des droits de l’homme ne peut, aujourd’hui pas plus qu’hier, manquer à la mission qui est la sienne. Avec tant d’autres, Montesquieu (Exclamations sur les travées de l’UMP.) – j’espère au moins que vous le respectez ! – nous montre la voie. Dans De l’Esprit des lois, il écrivait simplement : « L’amour de la république, dans une démocratie, est celui de la démocratie : l’amour de la démocratie est celui de l’égalité. » (Mesdames, messieurs les sénateurs sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC se lèvent et applaudissement longuement.)
M. le président. Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de nous avoir délivré un tel message et de nous avoir rappelé les fondamentaux, qui sont importants lorsqu’on participe aux travaux législatifs au Sénat.
Je salue l’ensemble de mes collègues, mais je voudrais m’adresser tout particulièrement à Mme la rapporteure.
Madame, je rends hommage à votre sincérité, dont personne ne doute sur aucune de ces travées, et au symbole que vous représentez au regard de ce que vous avez dit ; comme vous vous en doutez, mon propos sera différent. Enfin, je vous félicite d’avoir réussi le tour de force de faire applaudir par la gauche aussi bien Nicolas Sarkozy qu’Éric Besson ou notre collègue Jean-Pierre Raffarin. (Sourires et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Ladislas Poniatowski. Il manquait juste Claude Guéant !
M. Bruno Retailleau. J’ai moins goûté l’allusion à 1793 et à la période terroriste de la Révolution française, qui est, à mes yeux, une ombre portée sur les grands idéaux de 1789 ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Je fais par exemple référence à la loi des suspects !
M. Jean-Jacques Mirassou. Thermidorien !
M. Bruno Retailleau. Cette proposition de loi constitutionnelle a la saveur de l’air du temps. Elle emprunte aussi au vocabulaire de la générosité et des droits de l’homme. Elle touche à l’ADN de notre pacte républicain, à la signification du droit de vote et, donc, au lien entre la nationalité et la citoyenneté. Bien sûr, elle nous amène aussi à nous interroger sur le modèle d’intégration des nouveaux citoyens français.
C’est justement parce qu’elle fait appel à des enjeux qui, pour moi, sont essentiels, au sens étymologique du terme, que je voudrais écarter d’emblée un certain nombre de préjugés, d’idées fausses, afin de mettre en lumière les véritables motivations cachées du dépôt de cette proposition de loi constitutionnelle.
Première idée fausse : puisque les autres le font, nous devrions nous précipiter pour en faire autant. Mais depuis quand l’imitation est-elle une ambition politique ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Les pays étrangers ont des traditions différentes qui correspondent à des expériences historiques. M. le Premier ministre nous en a d’ailleurs fait la démonstration.
Dans les pays nordiques, le droit de vote à l’échelon local compense le fait que l’accès à la naturalisation est extrêmement difficile.
D’autres pays ont, du fait de leur singularité nationale, une conception différente de la citoyenneté. Je pense au Royaume-Uni, où le droit de vote des étrangers concerne seulement les ressortissants des pays de la grande communauté du Commonwealth, qui ont d’ailleurs le même souverain. De même, le Portugal accorde le droit de vote aux ressortissants des pays lusophones, comme le Brésil.
Deuxième idée fausse : il y aurait une rupture d’égalité avec les ressortissants des pays européens. Non ! Pour les ressortissants communautaires, il existe un traité international fondé sur la réciprocité.
M. Didier Boulaud. Le traité de Maastricht !
M. Bruno Retailleau. C’est important : sans traité, pas de réciprocité ; et sans traité, ni réciprocité, pas de citoyenneté pour les ressortissants européens ! C’est précisément cette singularité de la construction européenne qui justifie la différence de traitement entre les étrangers communautaires et les autres.
Troisième idée fausse : le droit de vote se justifierait par le fait de payer l’impôt. Or ce n’est évidemment pas l’impôt qui justifie le droit de vote !
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
M. Bruno Retailleau. La contrepartie de l’impôt, ce sont des services publics. La contrepartie du droit de vote, c’est la citoyenneté. Et, chez nous, la contrepartie de la citoyenneté, c’est la nationalité !
Et je n’aurai même pas besoin de faire référence au suffrage censitaire pour étayer ma démonstration !
J’en viens aux motivations de cette proposition de loi constitutionnelle.
Je vois derrière ce texte une arrière-pensée et une dérive idéologique préoccupante.
En effet, le calendrier choisi, ainsi qu’une curieuse coïncidence m’amènent à déceler une arrière-pensée derrière une telle démarche.
En dehors d’une période préélectorale, une telle proposition de loi constitutionnelle aurait gagné en force et en sincérité.
M. Roger Karoutchi. Évidemment !
M. Bruno Retailleau. Mais pourquoi vouloir la présenter à quelques mois de l’élection présidentielle, alors que les élections municipales sont prévues pour 2014 ?
M. Yannick Vaugrenard. Parce que nous sommes majoritaires !
M. Bruno Retailleau. Il est vrai que, depuis 1981, vous n’aviez pas la majorité au Sénat. Mais vous auriez pu décider d’organiser un référendum. M. le président de la commission des lois, qui est un excellent juriste, le sait bien !
Malheureusement, certains ont peut-être la volonté d’instrumentaliser un débat pour jeter de l’huile sur le feu, à la vieille façon mitterrandienne ! (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP.)
J’évoquais aussi une coïncidence. En l’occurrence, le dépôt de ce texte intervient après la publication d’une note intitulée Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? émanant du think tank Terra Nova.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cette contribution n’engage pas le parti socialiste ! C’est le papier d’un club qui en publie des centaines !
M. Bruno Retailleau. On y lit précisément que le PS doit opérer une rupture stratégique pour compenser la perte d’un électorat populaire, notamment ouvrier, et s’appuyer ainsi sur les minorités.
M. Louis Nègre. C’est clair !
M. Bruno Retailleau. En effet !
Voilà donc coïncidence qui me semble pour le moins curieuse. En fait, tout cela me paraît cousu de fil rose ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Et, sur le fond, cette proposition de loi constitutionnelle relève d’une dérive idéologique préoccupante au regard non seulement de notre pacte républicain, mais aussi de notre modèle d’intégration.
Car, loin d’un petit aménagement, nous sommes en présence, me semble-t-il, d’une rupture radicale et historique, qui ne favorisera pas une meilleure intégration. En effet, elle créera deux classes de citoyens. Tandis que des citoyens de première classe auront accès aux grandes décisions nationales, qui ont d’ailleurs des conséquences sur la vie quotidienne des nationaux comme des étrangers, des citoyens de deuxième classe en seront exclus. Nous aurons une citoyenneté coupée en deux, au rabais !
Mes chers collègues, la vraie générosité républicaine consiste non pas à concéder du bout des lèvres une petite citoyenneté locale, mais à proposer aux étrangers de devenir de vrais citoyens français par la voie de la naturalisation,...
M. Jean-Pierre Godefroy. Chiche !
M. Bruno Retailleau. ... dès lors qu’ils souhaitent participer à notre projet collectif ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Je veux le rappeler cet après-midi, dans notre République, la citoyenneté a toujours été, et est encore, le moyen le plus sûr de gérer démocratiquement à la fois la diversité des cultures et de toutes les expériences, y compris religieuses, c’est-à-dire, en fait, d’organiser la diversité dans l’unité !
C’est que qu’entendait Pierre Mazeaud, remarquable ancien président du Conseil constitutionnel, lorsqu’il affirmait : « La citoyenneté ne se transmet pas en pièces détachées. »
Accéder et, surtout, accorder le droit de vote sans demander d’adhérer à nos valeurs de la République, c’est prendre, je le dis après le Premier ministre, le risque d’ouvrir la porte à tous les communautarismes et au vote identitaire dans notre pays. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP – Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Une telle rupture ne servira ni l’intégration ni notre pacte républicain, et ce pour deux raisons.
D’abord, elle dissocie le local et le national. Or il n’y a pas deux peuples, deux France, deux démocraties, l’une locale, l’autre nationale.
M. Alain Gournac. Bien sûr !
M. Bruno Retailleau. La démocratie est française ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Il n’y a pas la France du Parlement, la France du conseil des ministres et la France des conseils municipaux. Nous, sénateurs, symbolisons justement le lien entre le local et le national, un lien qui ne peut pas se diviser. C’est une évidence !
M. Thierry Repentin. Et le traité de Rome ?
M. Bruno Retailleau. Qui peut soutenir que, dans les grandes villes, les élections locales n’ont pas une couleur politique, n’ont pas encore un lien entre la politisation nationale et la seule gestion locale ? Dissocier le local et le national, c’est finalement avoir une certaine vision féodale de la France, alors que la République française est une et indivisible ! (Approbations sur les travées de l’UMP. – Vives protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Surtout, cette proposition de loi constitutionnelle constitue, sans en avoir l’air, une remise en cause de notre modèle républicain, puisqu’elle fissure le lien constitutif entre la citoyenneté, la souveraineté et la nationalité, lien qui figure à l’article 3 de la Constitution.
Notre loi fondamentale ne traduit pas uniquement une organisation institutionnelle. Elle prône aussi un modèle civique singulier et, finalement, une conception française du « vivre ensemble ».
Aujourd’hui, on croit découvrir un problème nouveau. Mais, dans notre histoire, à chaque génération, la question s’est posée de faire vivre ensemble des individus issus de collectivités historiques et culturelles très différentes. La réponse française est invariablement, pour reprendre le beau titre du livre de Dominique Schnapper, La Communauté des citoyens.
M. David Assouline. Et pas la communauté des nationaux !
M. Bruno Retailleau. Nous touchons là au cœur du problème. Vous confondez encore des réalités très différentes : le corps politique et la société, l’homme et le citoyen. Mais la différence entre ces notions, c’est l’existence ou non d’un lien civique, d’un lien politique.
Selon moi, et vous partagerez peut-être cette approche-là, notre tâche, à nous les politiques, est de répondre à la question suivante : comment, à partir d’individus aussi différents, peut-on former ou développer ce que vous avez, monsieur le Premier ministre, appelé à Royaumont un « être collectif » ?
Oui, il existe une conception française du vivre ensemble fondée sur l’exigence plutôt que sur le hasard ! Et cette conception, c’est une conception généreuse de la citoyenneté, car la France n’est pas une île. Elle n’a jamais été une notion de nature géographique, elle n’est pas une race, ni une religion. C’est d’abord par la volonté que l’on devient français, et non par la couleur de peau, par la religion ou par son statut social. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Ce qui nous distingue, c’est cette volonté de devenir français, de prendre en partage un héritage et surtout un destin commun, et la volonté d’adhérer aux valeurs de la République, qui est aussi une promesse d’égalité.
C’est précisément la citoyenneté qui, dans cet espace symbolique du politique, réalise concrètement cette égalité, là où tous les citoyens sont égaux en droits. C’est en cela que la conception française du « vivre ensemble » et de la citoyenneté est universaliste. Elle s’adresse à tous et à chacun.
En banalisant le droit de vote, vous exprimez une autre conception de la nationalité, radicalement différente. Pourquoi ne pas l’accepter ? Vous prenez le risque de diluer la citoyenneté et d’affaiblir le sentiment d’appartenance au moment où, en raison de la mondialisation et de la crise, il faudrait, au contraire, renforcer l’unité nationale pour faire face à l’adversité.
M. Roger Karoutchi. Exactement !
M. Bruno Retailleau. Écoutez ce que nous disait Philippe Séguin voilà quelques années.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Philippe Séguin était favorable au droit de vote des étrangers aux élections locales ! (M. le Premier ministre le conteste.)
M. Bruno Retailleau. Comme il le soulignait à juste titre, ce n’est pas en poussant la logique de dilution de la citoyenneté à son terme que l’on confortera le sentiment d’appartenance à une seule et même République.
La citoyenneté de résidence que vous proposez dénature la citoyenneté républicaine. D’abord, cela n’a pas de sens de vouloir une citoyenneté locale ; la France n’est pas une mosaïque de cités, ni un État cité. Mais, surtout, le contenu que vous donnez à la citoyenneté de résidence est un contenu économique et social, et de moins en moins politique.
En fait, vous définissez la résidence, la citoyenneté par la seule matérialité des conditions d’existence. Mais, mes chers collègues, les seules conditions matérielles d’une existence ne suffisent pas à assumer et à développer un lien civique entre les hommes.
Entre les deux conceptions du corps politique, entre la communauté des résidents, des contribuables, des consommateurs et des producteurs, et l’autre communauté, celle que nous voulons, la communauté des citoyens, il faut choisir. C’est cette deuxième conception qui est la nôtre, parce que nous ne sommes pas, et la France ne sera jamais, un simple État marchand !
En fait, derrière une telle proposition, on voit bien poindre une double tentation.
Première tentation, celle de l’affaiblissement du lien civique, donc de l’effacement du politique. Et, derrière cette dépolitisation des citoyens, il y a le dessein post-démocratique de tout ramener aux seules activités de la société civile et du marché. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Seconde tentation, celle de l’idée post-nationale, qui voudrait que la figure de l’État-nation soit dépassée, ringarde. Ce qui se cache derrière ce texte, c’est la vision aimable d’une « société civile mondiale » !
Nous sommes tous attachés à l’unité du genre humain. Mais l’humanité n’est pas un corps politique ! La preuve, c’est qu’elle est incapable de se gouverner elle-même.
Pour le moment, on n’a pas trouvé meilleur véhicule que la nation pour l’exercice concret de la démocratie. (M. Roger Karoutchi approuve.)
M. Robert Hue. Il est en train de glisser !
M. Bruno Retailleau. Dans le monde, de multiples exemples nous montrent que la démocratie ne peut pas émerger sans corps politique constitué.
Je rejoins Albert Camus lorsqu’il écrivait ceci : « Pour trouver la société humaine, il faut passer par la société nationale.
Un sénateur du groupe socialiste-EELV. Front national !
M. Bruno Retailleau. « Pour préserver la société nationale, il faut l’ouvrir sur une perspective universelle. » C’est précisément notre conception. C’est aussi, selon moi, le sens profond de la République et de la France.
Mme Christiane Demontès. Qu’en pense M. Guéant ?
M. Bruno Retailleau. En effet, le modèle républicain est parvenu plus qu’aucun autre, et de manière incomparable, à articuler le particulier et l’universel.
Et la France, mes chers collègues, constitue cet effort permanent de dépassement des différences, de synthèse fragile, mais ô combien précieuse, de ce qu’il y a de plus singulier dans chaque homme et ce qu’il y a de plus universel dans tous les hommes ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, suppression des allégements Fillon, travail du dimanche, abrogation du conseiller territorial, réécriture intégrale de la réforme de l’intercommunalité...
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela n’a rien à voir !
M. François Zocchetto. ... et maintenant, en toute logique, instauration du droit de vote et d’éligibilité pour les étrangers... (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Inutile d’aller beaucoup plus loin pour comprendre le caractère à la fois idéologique, mais surtout manipulateur de la présente proposition de loi constitutionnelle ! (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Madame la rapporteure, il n’est pas question de mettre en cause votre sincérité, ni vos convictions. Elles sont réelles, et nous les respectons.
Mais personne n’est dupe dans cet hémicycle ! Chacun comprend parfaitement les raisons pour lesquelles la majorité sénatoriale a décidé d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de ce jeudi 8 décembre.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Parce qu’il y a eu un changement de majorité !
M. François Zocchetto. Je le dis clairement, votre démarche est avant tout motivée par une logique politicienne. Nous entrons tout juste dans une période de campagne électorale et ce n’est pas un hasard si vous avez décidé d’utiliser le Sénat pour relancer l’un de vos vieux combats idéologiques.
M. Roland Courteau. C’est vous qui le dites !
M. François Zocchetto. C’est même un vieux serpent de mer ! Chacun se souvient de la promesse parfaitement explicite de François Mitterrand, alors candidat à l’élection présidentielle, promesse qui n’a jamais été tenue alors qu’elle pouvait l’être.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Un peu comme le pouvoir d’achat pour Nicolas Sarkozy...
M. François Zocchetto. Il faut dire que le tollé suscité par l’annonce d’un texte en 1983 obligea le gouvernement de l’époque à y renoncer.
M. Jean-Claude Peyronnet. Depuis, les choses ont tout de même bougé !
M. François Zocchetto. Comme vous avez cité tout à l’heure plusieurs personnes, il convenait de ne pas oublier François Mitterrand !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ni François Bayrou, qui est, lui aussi, favorable au droit de vote des étrangers !
M. François Zocchetto. Je tiens à ce que ma position soit parfaitement claire.
M. Roland Courteau. Elle l’est !
M. François Zocchetto. Je suis hostile à cette proposition de loi constitutionnelle tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, je viens de le dire, l’inscription de ce texte à notre ordre du jour n’est pas anodine. Elle participe d’une logique d’ensemble consistant à utiliser le Sénat – vous avez le droit de le faire, mais nous avons le droit de le dénoncer ! – pour poser les jalons de la campagne présidentielle du candidat du parti socialiste.
Mais le sujet dont nous débattons aujourd’hui va bien au-delà. Il a vocation à raviver – c’est ce qui m’inquiète – la flamme de l’extrémisme, que nous réprouvons, en évoquant un thème de prédilection de certains partis que vous prétendez combattre. Chers collègues socialistes, communistes et écologistes, je me demande parfois si vous n’êtes pas satisfaits de voir aujourd’hui le spectacle de la manifestation du Front national devant les grilles du Sénat : si c’est le cas, dites-le ! (Applaudissements sur quelques travées de l’UMP.)
M. François Rebsamen. Scandaleux !
M. David Assouline. Des arguments bas de gamme !
M. François Zocchetto. Notre groupe regrette profondément une telle initiative. Dans le contexte de grave crise que nous connaissons, cette démarche a pour seul effet de dresser les Français les uns contre les autres, alors que notre responsabilité d’acteurs de la vie publique devrait nous inciter à les rassembler plutôt qu’à les diviser.
Certains ont affirmé que le Président de la République et le Gouvernement et le chef de l’État auraient décidé d’utiliser cette thématique pour bien marquer un clivage politique.
M. David Assouline. C’est le cas !
M. François Zocchetto. Mais qui est à l’origine du débat d’aujourd’hui ? Nicolas Sarkozy ? Tel ou tel membre du Gouvernement ? Non ! C’est bien le groupe socialiste-EELV du Sénat ! Il s’agit donc bien d’une initiative politicienne de la gauche ! On est en droit de s’interroger : les socialistes espèrent-t-ils récupérer ainsi des bataillons d’électeurs qu’ils pensent acquis à leur cause lors des prochaines élections municipales grâce à l’adoption d’une telle loi constitutionnelle ?
Mme Catherine Tasca. Ce n’est pas le but !
M. François Zocchetto. Sur le fond, la modification introduite par cette proposition de loi constitutionnelle entre fondamentalement en contradiction avec notre conception de la citoyenneté et de la nationalité. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Pour moi, et c’est ce qui nous sépare, le droit de vote et d’éligibilité reste un attribut indissociable de la nationalité. Un étranger résidant depuis un certain temps sur notre territoire a un moyen de s’intégrer pleinement à la communauté nationale : il lui suffit de demander la nationalité française.
M. Louis Nègre. Bravo !
M. François Zocchetto. Comme cela a déjà été souligné, le changement qui nous est proposé conduirait à un droit de vote, mais surtout d’éligibilité à deux vitesses : on pourrait être élu conseiller municipal, mais pas maire ou maire-adjoint. On pourrait être président d’une communauté de communes ou d’agglomération, mais pas conseiller général ou conseiller régional.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est déjà le cas pour les résidents communautaires !
M. François Zocchetto. Nous sommes hostiles à ce type de découpage, qu’il s’agisse du droit de vote ou d’éligibilité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il existe pour les Européens !
M. François Zocchetto. Cela conduirait à créer, et Bruno Retailleau l’a dit tout à l’heure, deux catégories de citoyens.
M. Roland Courteau. Pour les Européens, c’est pareil !
M. François Zocchetto. Cette interprétation n’est pas nouvelle ; j’espère que vous nous en donnerez acte. Le groupe centriste avait déjà défendu dans cet hémicycle une telle conception de la nationalité et de la citoyenneté voilà quelques mois quand il avait été question de combattre l’extension de la déchéance de nationalité.
Mais allons au bout de la logique proposée par la majorité sénatoriale. Pourquoi se limiter aux seules élections municipales ? Après tout, la vie locale, c’est aussi les politiques menées par les départements et les régions. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?
Parce que l’on se heurte, et vous le savez bien, à un problème de fond. Qu’est-ce qui serait alors du ressort du droit de vote accordé aux nationaux ? L’élection des parlementaires et du Président de la République ! Ce n’est, certes, pas rien, mais comment dissocier à ce point l’exercice de la démocratie ?
Je le répète, il n’est pas possible de saucissonner la citoyenneté et ses attributs.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ça a été fait pour les Européens !
M. François Zocchetto. Cela fait partie des fondamentaux de notre République. La souveraineté est la même, qu’elle s’exerce à l’occasion des élections municipales ou des autres élections prévues par notre Constitution.
Nous, centristes, sommes profondément attachés à la décentralisation, dont l’échelon de base est la commune. Pour nous, les élections municipales ne sont pas des élections moins importantes que les autres.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourtant, c’est ce que vous avez fait pour les Européens !
M. François Zocchetto. Le texte qui nous est ici proposé ne pourrait pas conduire à l’élection de maires étrangers, comme certains l’ont peut-être maladroitement laissé entendre...
Mais serait-il conforme à la logique de nos institutions qu’un conseil municipal soit composé majoritairement de personnes de nationalité étrangère ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et comment cela serait-il possible ? Ça n’a pas été le cas avec les résidents européens !
M. François Zocchetto. Dites-moi donc ce qui est prévu pour les communautés de communes et d’agglomération !
Quoi de plus naturel que de vouloir participer pleinement à la vie de la cité par le biais des élections municipales lorsque que l’on réside dans un pays depuis des années, voire des dizaines d’années ? Sur ce point, nous sommes tous d’accord.
Mais cette participation est possible, mes chers collègues, et il n’est pas nécessaire de modifier notre Constitution pour l’autoriser ! Cela s’appelle la naturalisation. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Roland Courteau. Ça prend combien de temps ?
M. François Zocchetto. Peut-être y aurait-il des améliorations ou des simplifications à apporter aux procédures de naturalisation telles qu’elles existent aujourd’hui. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Une réflexion sur ce sujet serait sans doute opportune. Nous serions les premiers à participer activement à un débat portant sur ces questions. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)
Nous saluons d’ailleurs les innovations récemment introduites lors des cérémonies de remise des décrets de naturalisation. Malheureusement, ce n’est pas un débat sur l’accession à la nationalité que vous nous proposez aujourd’hui.
Pour moi, l’accès à la nationalité pour ceux qui remplissent les conditions fixées par la loi est la seule vraie réponse. Notre pays, M. le Premier ministre l’a très bien dit tout à l’heure, est parfaitement prêt à accueillir de nouveaux nationaux.
M. Jean-Claude Peyronnet. Paroles !
M. François Zocchetto. Chaque jour, des étrangers demandent à devenir français. Nous avons fait le choix d’un accès à la nationalité large et ouvert. C’est l’une des richesses de notre pays et une tradition presque bicentenaire.
Ces nouveaux Français peuvent participer pleinement à la vie politique de notre pays. Et tant mieux ! Ils peuvent voter et être élus non seulement conseillers municipaux, mais aussi conseillers généraux, conseillers régionaux, députés ou sénateurs et – pourquoi pas ? – se présenter à l’élection présidentielle !
Dans mon esprit, les choses sont donc très claires. Soit on décide de jouir de tous les droits et devoirs attachés à la nationalité, auquel cas il convient de se tourner vers la naturalisation ; soit on n’est pas prêt à franchir ce pas, ce qui est parfaitement respectable, et on ne bénéficie pas du droit de vote dans notre pays, ni pour les élections municipales ni pour les autres scrutins.
Je le rappelle tout de même, au-delà du droit de vote, il existe bien d’autres moyens pour les étrangers qui le désirent de participer activement à la vie locale de notre pays, en s’investissant notamment dans le secteur social, économique ou associatif.
Certains font référence au droit de vote et d’éligibilité des ressortissants européens.
MM. Roland Courteau et Jean-Claude Peyronnet. Eh oui !
M. François Zocchetto. Depuis l’introduction de l’article 88-3 dans la Constitution, notre loi fondamentale prévoit la possibilité d’accorder le droit de vote et d’éligibilité aux citoyens de l’Union européenne, mais sous réserve de réciprocité, ce qui n’est pas anodin. Cette faculté a été instaurée par la révision constitutionnelle du 25 juin 1992 et s’inscrit dans un projet bien plus large de citoyenneté européenne.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La citoyenneté européenne n’existe pas pour l’instant ! Il faudrait une égalité de droits de tous les citoyens !
M. François Zocchetto. Ainsi, le traité de Maastricht a introduit, au sein du traité de Rome, une nouvelle partie relative à la « citoyenneté de l’Union ». Il a donc instauré, au niveau européen, une nouvelle citoyenneté supranationale conférant, dans l’État membre de résidence, des droits de vote et d’éligibilité pour les élections municipales.
On voit bien dès lors toute la spécificité des dispositions issues de l’article 88-3 de la Constitution. Cela me conduit à une conclusion parfaitement opposée à celle de Mme la rapporteure, Esther Benbassa, qui écrit dans son rapport que « la différence de traitement qui existe aujourd’hui entre les étrangers européens et les autres étrangers n’est plus compréhensible ».
Pourquoi ne serait-elle plus « compréhensible » ? À mon sens, au contraire, nos concitoyens comprennent parfaitement que l’Europe constitue une communauté de territoire, une histoire, un destin commun. Ils savent également que nous ne partageons avec les étrangers non communautaires ni le même passeport commun ni la même souveraineté.
Nous avons beaucoup plus de proximité avec les Européens qu’avec les habitants des autres continents. (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.) Permettez-moi de rappeler ici ce que déclarait très justement notre collègue Philippe Bas lors de nos passionnants débats au sein de la commission des lois : « L’Union européenne, ce n’est plus tout à fait l’étranger. »
En outre, si le système proposé par le texte se rapproche de celui proposé à l’article 88-3 de la Constitution, il s’en écarte sur un point fondamental : la réciprocité.
En effet, mes chers collègues, avec votre proposition de loi constitutionnelle, un étranger pourrait voter en France aux municipales, mais rien ne garantirait qu’un Français vivant dans le pays d’origine de cet étranger pourrait en faire autant. N’y a-t-il pas là une incohérence ? Voire une injustice ? C’est en tout cas ce que penseraient la plupart de nos concitoyens.
Avec tous les sénateurs de mon groupe, je réaffirme que ce débat a lieu aujourd’hui dans un climat parfaitement inadapté. On ne modifie pas une règle fondamentale de notre démocratie, de notre République, en quelques heures de débat, et à quelques mois seulement de l’élection présidentielle. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Par ailleurs, l’objection selon laquelle il est peu convenable d’exhumer des textes que la représentation nationale ne reconnaît plus comme siens, même s’il n’existe pas de délai de péremption en la matière, a, me semble-t-il, de la valeur.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. D’un point de vue constitutionnel, elle n’en a aucune !
M. François Zocchetto. Les constitutionnalistes devront sans doute se pencher sur le sujet !
En conclusion, la quasi-totalité des membres du groupe de l’Union centriste et républicaine voteront contre cette proposition de loi constitutionnelle. Aucun d’entre eux ne votera pour. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)
M. Roland Courteau. Ça me stupéfie...
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas ce qu’a dit M. Borloo !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est avec une certaine émotion que je prends la parole au nom de mon groupe sur le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales des étrangers non-ressortissants de l’Union européenne résidant en France.
Cette question se pose depuis trente ans dans notre pays. J’ose le dire : en la matière, il n’y a pas de date de péremption !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
Mme Éliane Assassi. Les parlementaires communistes portent cette exigence démocratique de manière constante depuis plus de vingt ans, par le biais de propositions de loi ou d’amendements ou par le recours à la procédure de discussion immédiate, comme ce fut le cas au mois de janvier 2006.
Pour mémoire, je rappelle qu’une première proposition de loi constitutionnelle relative au droit de vote et à l’éligibilité des étrangers aux élections municipales avait été déposée à l’Assemblée nationale le 13 décembre 1988 et au Sénat le 5 avril 1990.
Depuis lors, chaque fois qu’un texte de loi nous en a « offert » l’occasion, nous avons déposé des amendements tendant à attribuer de nouveaux droits politiques aux étrangers, mais toujours en vain, en raison de l’ancrage à droite de la Haute Assemblée.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. Il a fallu attendre le 3 mai 2000 pour que l’Assemblée nationale, à l’époque majoritairement à gauche, adopte une proposition de loi constitutionnelle instituant le droit de vote et d’éligibilité des étrangers.
Ce texte, issu de quatre propositions de loi similaires, dont celle de mon ami Bernard Birsinger, à qui je tiens à rendre ici un hommage ému et appuyé, n’a malheureusement jamais été inscrit à l’ordre du jour du Sénat.
Mme Marie-France Beaufils. C’est la réalité !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Voilà le problème !
Mme Éliane Assassi. Aujourd’hui, nous nous apprêtons, plus de dix ans après l’Assemblée nationale, à adopter un texte accordant enfin le droit de vote et d’éligibilité aux résidants étrangers non communautaires.
Si ce texte est adopté, il ne s’appliquera pas immédiatement. Il devra de nouveau être soumis à l’Assemblée nationale, puis faire l’objet d’un référendum. Mais nous nous réjouissons tout de même de son examen, rendu possible par le basculement à gauche du Sénat. (Applaudissements sur certaines travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
La reconnaissance d’un tel droit est, certes, une mesure symbolique du changement de majorité, mais il s’agit bel et bien d’une avancée démocratique importante, d’une étape supplémentaire vers plus d’égalité, d’un indéniable facteur d’intégration.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Éliane Assassi. En effet, nous ne pouvons plus continuer à écarter du droit de vote et d’éligibilité les milliers de résidents étrangers qui participent activement, depuis plusieurs années, à la vie de la cité et à la vie associative, syndicale, culturelle, éducative de notre pays.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Absolument !
Mme Éliane Assassi. Ne votent-ils pas d’ores et déjà aux élections prud’homales et à celles qui sont organisées au sein des entreprises ? N’élisent-ils pas les représentants des parents d’élèves aux conseils d’écoles ? Faut-il rappeler qu’ils bénéficient depuis 1981 du droit d’association ? (M. Roland Courteau acquiesce.)
Faut-il rappeler aussi que la plupart d’entre eux sont originaires de nos anciennes colonies et qu’ils ont contribué, et contribuent aujourd’hui encore, au développement économique et à la richesse de notre pays ?
Mme Marie-France Beaufils. Tout à fait !
Mme Éliane Assassi. Nous ne pouvons plus les considérer comme des travailleurs « de passage en France », censés retourner dans leurs pays d’origine.
Ces étrangers, qui sont venus en France dans les années soixante et soixante-dix pour répondre aux besoins en main-d’œuvre, y ont construit toute leur vie, privée, familiale et sociale. Ils ont eu des enfants en France, qui sont français, qui ont le droit de vote et qui ne comprennent pas pourquoi leurs parents en sont exclus.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Éliane Assassi. L’exclusion de la vie politique locale des parents ne peut que rejaillir sur ces jeunes. C’est pourquoi je crois que l’octroi du droit de vote aux résidents étrangers devrait aussi avoir un effet bénéfique sur la participation de leurs enfants aux élections.
On le voit, il est grand temps que l’ensemble des habitants de nos villes puissent participer à la vie civique. Il s’agit d’un enjeu majeur !
Nul n’ignore combien l’exercice de la citoyenneté peut être un facteur essentiel d’intégration dans la société française et, par là même, un levier d’émancipation. Cela doit permettre, contrairement à ce que prétend la droite, de lutter contre le communautarisme et le repli sur soi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur certaines travées du groupe socialiste-EELV.)
Mme Christiane Demontès. Exactement !
Mme Éliane Assassi. Car c’est précisément en divisant les gens et stigmatisant certaines populations, comme le fait la droite à longueur de temps,...
M. Louis Nègre. Nous ne stigmatisons personne !
Mme Éliane Assassi. ... que l’on favorise le communautarisme.
Mme Christiane Demontès. Exactement !
Mme Éliane Assassi. Brandir l’argument du danger du communautarisme, c’est refuser de reconnaître que l’on n’a pas pris les mesures permettant de lutter contre le repli sur soi, c’est-à-dire celles qui favorisent la participation à la vie de la collectivité.
Mme Marie-France Beaufils. Très bien !
Mme Éliane Assassi. À mes yeux, l’exercice du droit de vote constitue la garantie d’une citoyenneté participative, active et d’une construction partagée entre les différents habitants d’un territoire, afin que tous vivent ensemble, de manière égale et solidaire. (M. Roland Courteau acquiesce.)
Le présent texte permettra également de mettre un terme à une discrimination criante entre les étrangers communautaires et les étrangers non communautaires.
Depuis la ratification du traité de Maastricht, vous le savez, les ressortissants de l’Union européenne ont la possibilité de participer aux élections municipales sans condition de durée de résidence. Il est contraire au principe d’égalité que tous les étrangers présents sur notre sol n’aient pas les mêmes droits, alors même que les élections municipales les concernent tout autant.
Comment justifier en effet que des habitants d’une même ville qui se côtoient, qui fréquentent les mêmes lieux, dont les enfants vont dans les mêmes écoles, n’aient pas les mêmes droits selon qu’ils sont d’origine communautaire ou extracommunautaire ? Comment justifier qu’un ressortissant européen récemment établi sur notre sol puisse voter et être élu, alors même qu’un salarié algérien ou marocain résidant en France depuis plusieurs dizaines d’années ne le peut pas ? C’est injustifiable et fortement injuste. (Applaudissements sur certaines travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Claude Peyronnet. Exact !
Mme Éliane Assassi. N’en déplaise à certains, nous avons autant de liens, si ce n’est plus, avec nos anciennes colonies qu’avec les pays de l’Union européenne.
Mme Éliane Assassi. Si ! C’en est visiblement un sur certaines des travées de l’opposition sénatoriale ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
Je rappelle que la plupart des pays membres de l’Union européenne ont déjà accordé, totalement ou partiellement, le droit de vote à leurs résidents étrangers. La France, comme l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie, reste à la traîne sur cette question fondamentale, dont la mise en œuvre apparaît de plus en plus incontournable.
La population est acquise à ce principe. Les sondages montrent en effet qu’une majorité des personnes interrogées, entre 59 % et 61 % d’entre elles, sont favorables au droit de vote et d’éligibilité des étrangers non communautaires en France.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Éliane Assassi. La société française a aujourd’hui l’occasion de franchir une étape importante vers un renforcement de la démocratie et de permettre ainsi au plus grand nombre d’accéder à la citoyenneté.
Certains élus locaux y sont également favorables. J’en veux pour preuve les votations citoyennes organisées par des municipalités un peu partout en France, notamment dans mon département, la Seine-Saint-Denis, et qui ont fait l’objet d’un large débat public. Des milliers de personnes se sont ainsi prononcées majoritairement en faveur de l’octroi du droit de vote aux étrangers non communautaires.
De nombreuses associations et mouvements prônent également depuis de longues années l’égalité des droits en la matière.
Malgré toutes ces initiatives, malgré l’évolution positive de la société, le pouvoir en place reste sourd à ce qui constituerait pourtant une réelle avancée en matière de démocratie et de citoyenneté.
Monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, une telle reconnaissance serait un signal fort adressé à toute une partie de nos concitoyens qui restent mis à l’écart d’un droit aussi fondamental que celui de voter, fût-ce pour désigner des représentants locaux.
La droite refuse cette avancée. Elle s’y était pourtant ralliée, en 2005, à la suite de Nicolas Sarkozy, alors président de l’UMP ; mais une fois élu Président de la République, il s’y est à nouveau déclaré défavorable, comme en 1997.
M. Alain Gournac. Comme François Mitterrand !
Mme Éliane Assassi. Cela a été rappelé, de nombreuses personnalités politiques de tous bords, y compris de droite et du centre, se sont prononcées en faveur du droit de vote des étrangers.
M. Pascal Clément, alors qu’il était garde des sceaux, indiquait ainsi en 2006, en réponse à notre demande de discussion immédiate sur le droit de vote des étrangers : « Lorsque nous sentirons, les uns et les autres, que le débat est mûr, alors – mais je ne veux pas présumer de l’évolution de la société française –, peut-être le gouvernement du moment déposera-t-il, non pas incidemment mais avec une volonté forte, un projet en ce sens sur le bureau des assemblées parlementaires. »
Je pense qu’aujourd’hui, la société française a évolué : elle est mûre ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.) Malgré les tergiversations et les voix discordantes qui se font entendre en son sein, la droite fait bloc contre cette réforme. J’en veux pour preuve les trois motions de procédure déposées sur ce texte, ainsi que votre présence, monsieur le Premier ministre, comme celle des ministres de l’intérieur, de la justice et des relations avec le Parlement.
Votre présence, monsieur le Premier ministre, est légitime. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Vous auriez pu lui interdire de venir...
Mme Éliane Assassi. Elle me laisse toutefois perplexe. D’ordinaire, en effet, vous ne vous déplacez guère, y compris lorsque nous examinons des textes qui concernent des dossiers cruciaux. (Protestations sur les travées de l’UMP.) Et vous venez encore moins depuis le changement de majorité au Sénat, qui vous reste à l’évidence en travers de la gorge. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.) De même que, d’habitude, vous ne daignez pas non plus répondre à nos questions d’actualité, comme celles portant sur la casse de l’industrie automobile.
M. Jean-Pierre Michel. Ce n’est pas son problème !
Mme Éliane Assassi. Pour inédite que soit votre présence dans notre hémicycle à l’occasion de l’examen d’une proposition de loi, certes de nature constitutionnelle, mais déposée et discutée, je le rappelle, dans le cadre de la semaine sénatoriale d’initiative, elle a selon moi plus d’un sens.
Vous voulez instrumentaliser le thème des étrangers dans la perspective des prochaines élections et, aussi, recadrer vos troupes, qui sont divisées sur la question.
M. Roger Karoutchi. Nous n’avons pas besoin de le faire !
Mme Éliane Assassi. Ne parlez pas trop vite, monsieur Raffarin ! (MM. Jean-Pierre Raffarin et Karoutchi s’exclament.) Je voulais dire « monsieur Karoutchi ». Cela étant, ça pourrait aussi s’appliquer à M. Raffarin ; après tout, c’est bonnet blanc et blanc bonnet ! (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV. – Mouvements divers sur les travées de l’UMP.)
En outre, monsieur le Premier ministre, votre présence vise à adresser un signal à la droite populaire et à lancer un appel du pied à l’attention des électeurs du Front national.
L’ensemble des arguments qui motivent votre refus relèvent avant tout, et au choix, du mensonge, de la mauvaise foi, de la démagogie, voire de la xénophobie. Tout y est ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Dallier. Des leçons !
Mme Éliane Assassi. Cessez de prétendre que les étrangers n’ont qu’à demander la naturalisation pour pouvoir voter ! Vous le savez pertinemment, et pour cause, c’est vous qui avez réformé à plusieurs reprises le code de la nationalité,…
Mme Marie-France Beaufils. Tout à fait !
Mme Éliane Assassi. … il est très long et très difficile – et c’est peu dire – d’accéder à la nationalité française (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.) tant les conditions de naturalisation ont été durcies.
J’ajoute que le raisonnement mis en avant par la droite selon lequel la citoyenneté serait indissociable de la nationalité n’est pas fondé dès lors que le traité de Maastricht opère d’ores et déjà une distinction entre nationalité française et citoyenneté européenne.
Mme Christiane Hummel. Vous l’avez déjà dit !
M. Philippe Dallier. Ça fait trois fois que vous nous le dites !
Mme Éliane Assassi. En l’occurrence, s’agissant d’élections locales, il convient de retenir la notion de « citoyenneté de résidence », qui permet à chacun d’être pleinement citoyen là où il vit.
Par ailleurs, arrêtez de laisser croire que les étrangers vont devenir maires. C’est un mensonge !
M. Claude Bérit-Débat. Guéant !
Mme Éliane Assassi. Je condamne à cet égard les propos particulièrement choquants tenus par M. Guéant (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.), qui stigmatise, une fois n’est pas coutume, le département de la Seine-Saint-Denis et sa population qui connaît de graves souffrances dues aux choix politiques du Président de la République et de son gouvernement.
Au lieu de remédier aux vrais problèmes de nos concitoyens, à juste titre inquiets par rapport à l’emploi, au pouvoir d’achat, à la protection sociale, à l’éducation,…
M. Alain Gournac. Donneurs de leçons !
Mme Éliane Assassi. … la droite dans son ensemble s’emploie à attiser toutes les peurs en ces temps de crise sociale, financière et économique.
M. Alain Gournac. On a peur ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Mme Éliane Assassi. Quoi que vous disiez, les arguments que vous employez favorisent la montée de l’extrême droite,…
M. Rémy Pointereau. Démagogie !
Mme Éliane Assassi. … qui trouve ses racines dans la « mal-vie » de nos concitoyens.
M. Roland Courteau. Bravo !
M. Alain Gournac. Démago !
Mme Éliane Assassi. Mais, comme j’ai l’habitude de vous le dire, faites attention, les électeurs préfèrent toujours in fine l’original à la copie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Je vous le dis tout net : non, le présent texte ne prévoit pas que des résidents étrangers soient élus maires, adjoints au maire, ou soient désignés grands électeurs pour élire les sénateurs. Non, l’ouverture du droit de vote aux résidents non communautaires ne va pas remettre en cause la souveraineté nationale de notre pays. C’est le Gouvernement lui-même qui s’en charge, mieux que quiconque, lui qui est précisément en train de brader notre souveraineté nationale (C’est faux ! sur plusieurs travées de l’UMP.) en se soumettant aux exigences des marchés financiers et des agences de notation ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
Un sénateur de l’UMP. C’est terminé !
Mme Éliane Assassi. De plus, il faut cesser les amalgames douteux et dangereux opérés par la droite entre la religion et la nationalité, à l’instar de ceux qui ont été proférés en commission des lois par un élu de l’opposition sénatoriale, amalgames visant essentiellement les hommes et les femmes de confession musulmane.
Pour conclure, je voudrais dire que chaque fois que le droit de vote a été élargi, que ce soit lorsque le droit de vote censitaire a été supprimé, lorsque le droit de vote a été accordé aux femmes (Mme Corinne Bouchoux applaudit.), lorsque l’âge requis afin de pouvoir voter a été abaissé, lorsque le droit de vote a été accordé aux étrangers communautaires, c’est la démocratie qui en a été renforcée. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Exact !
M. Alain Gournac. Oh là là !
Mme Éliane Assassi. La France, terre d’accueil, pays des droits de l’homme, dont l’histoire reste marquée par la Révolution française, qui avait une conception très ouverte de la citoyenneté, s’honorerait d’inscrire dans sa Constitution que le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales est accordé aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France.
M. Rémy Pointereau. Vous avez dépassé votre temps de parole de deux minutes !
Mme Éliane Assassi. En résumé, les sénatrices et les sénateurs du groupe CRC…
M. Alain Gournac. Vive les communistes !
Mme Éliane Assassi. … voteront la présente proposition de loi constitutionnelle, ne serait-ce que pour une seule raison : rendre justice à toutes celles et à tous ceux qui vivent et travaillent en France,…
M. André Reichardt. Oh là là !
Mme Éliane Assassi. … qui ont, à juste titre, des devoirs ici, mais auxquels on refuse ici l’accès à des droits fondamentaux, dont celui d’être électrice et électeur ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, que chacun d’entre nous s’imagine un instant être aujourd'hui un étranger résidant en France devant un écran de télévision ! Quel que soit notre vote personnel, le présent débat appelle le respect qui leur est dû, dans la tradition des principes de la République des droits de l’homme, à laquelle nous sommes tous, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, profondément attachés.
Il ne faudrait point, au fil des ans, conclure que lorsque l’élection présidentielle entre dans un hémicycle, c’est la qualité du travail législatif qui est atteinte. Et ce message s’adresse aux deux côtés de notre honorable assemblée.
Je ne veux pas dire que le moment choisi pour examiner la proposition de loi constitutionnelle est inopportun. Y a-t-il réellement un bon moment pour étudier des textes majeurs concernant de grands enjeux ? Certes, il est d’usage de prétendre que les textes importants devraient être soumis au Parlement dans le mois suivant l’élection présidentielle, durant cette période d’état de grâce qui fait souvent perdre le lien avec les réalités de terrain, mais ce n’est ni possible, ni raisonnable.
Constatons simplement qu’il est habituel que les débats de société reviennent périodiquement sur le devant de la scène, avant d’être officiellement tranchés par une loi nouvelle ; il est également habituel que tel ou tel parti politique remette de tels sujets à l’ordre du jour au moment lui paraissant stratégiquement opportun.
Monsieur le Premier ministre, il en est de même des gouvernements, et nombre de projets de loi sont déposés plus en fonction des échéances électorales que par rapport à l’intérêt immédiat de nos concitoyens. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Roland Courteau. C’est bien vrai !
M. Jacques Mézard. Et nous sommes tous concernés !
Je ne suis pas sûr que ce soit très positif pour le fonctionnement de notre République, mais cela constitue une utilisation parfaitement régulière du processus démocratique.
En revanche, si l’on prend le soin de relire les discours des uns et des autres, de tous bords, tenus au fil des ans, on s’aperçoit, sans trop de surprise, qu’il est courant de brûler ce que l’on a adoré et d’adorer ce que l’on a brûlé… Mais là encore, on peut toujours dire, ce qui est souvent, ou parfois, vrai : la société évolue et la loi doit en tenir compte. Merci, monsieur le garde des sceaux d’opiner ! (M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, s’exclame.)
Le groupe RDSE ne se laissera pas enfermer dans un clivage manichéen. En son sein, la liberté de vote est un principe et les opinions qui s’expriment sont respectées. Une majorité de ses membres voteront cette proposition de loi constitutionnelle. D’autres ne prendront pas part au vote, tel notre collègue Jean-Pierre Chevènement (Ah ! sur plusieurs travées de l’UMP.), ou ne la voteront pas.
L’opinion de chacun de mes collègues est respectable et fondée sur une conviction personnelle découlant tant de l’attachement à des principes fondamentaux que de l’expérience de terrain. Je me dois aussi de rappeler que, voilà presque douze ans, la première proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale sur le vote des étrangers aux élections locales le fut par Roger-Gérard Schwartzenberg et les députés du PRG. La question fondamentale est de savoir si le droit de vote des étrangers aura ou non un impact positif sur le fonctionnement de notre République, sur le quotidien de ses habitants, sur le lien social, voire sur son image.
En tout cas, ce qui est détestable, c’est la stigmatisation des étrangers, d’où qu’elle vienne. Mes chers collègues, l’étranger résidant en France n’est pas un matériel électoral à utiliser au gré des majorités successives.
M. Philippe Dallier. C’est bien vrai !
M. Jacques Mézard. Il a droit au respect que l’on doit à chaque être humain. Mais il a aussi des devoirs, dont le premier est de respecter la loi de la République qui l’accueille. (Très bien ! sur plusieurs travées de l’UMP.)
À gauche comme à droite, il en est qui se réjouissent de faire de ce thème un débat « clivant »,…
M. Rémy Pointereau. À gauche !
M. Jacques Mézard. … comme s’il était opportun d’approfondir le fossé entre les habitants de ce pays, de cultiver la notion de rupture.
M. Alain Gournac. Pas du tout !
M. Jacques Mézard. Loin de nous l’idée de rechercher un consensus mou ! Essayons simplement de considérer que, dans un pays comme le nôtre, il est primordial de ne pas exclure, primordial de faciliter le rassemblement, la cohésion sociale, et l’expérience de ces dernières décennies démontre que ni les uns ni les autres n’y ont vraiment réussi.
Tout en restant à l’écart du battage médiatique, je crois que la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons a plus d’avantages que d’inconvénients, bien qu’il ne faille point balayer ces derniers d’un revers de main. Je crois que ce texte a plus de vertus de rassemblement qu’il ne présente de risques de division.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacques Mézard. Mais soyons clairs : votre rapport, madame Benbassa, n’a pu nous convaincre en aucune façon.
M. Alain Gournac. Oh non !
M. Jacques Mézard. En effet, partir d’un postulat en le déclinant en vérités révélées, n’entendre pratiquement que les arguments en faveur de sa propre thèse – j’aurais aimé que soient consultées, par exemple, les associations d’élus –, insérer quelques raccourcis historiques et des éléments partiels de législation comparée, pour nous, madame, pour reprendre vos propos récents, ce n’est ni sage ni juste.
M. Philippe Dallier. Très bien !
M. Jacques Mézard. Vous condamniez hier dans cet hémicycle une nouvelle religion : le laïcisme.
M. Alain Gournac. Oui !
M. Jacques Mézard. Nous ne voudrions pas, nous, que ce texte devienne le vecteur de quelque communautarisme que ce soit, que nous combattrons toujours, d’où qu’il vienne. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’UCR.)
Les arguments de ceux qui rejettent le principe du droit de vote des étrangers doivent être examinés. Au-delà des sondages, nombre de nos concitoyens les partagent, même si souvent ils s’arrêtent trop au symbole sans examiner la réalité du texte et du problème en cause.
Nous connaissons tous l’édit de Caracalla de 212, qui – faut-il le rappeler ? – excluait du droit de cité les esclaves et les barbares, la constitution de 1791 et celle de 1793, notamment leurs articles 5 et 6, et n’oublions pas d’ailleurs la réaction de Robespierre face à la présence de l’étranger Payne.
M. Roger Karoutchi. Exactement !
M. Jacques Mézard. Ces références historiques font partie de notre patrimoine, mais n’ont guère de rapport avec la situation actuelle.
M. Bruno Retailleau. Absolument !
M. Alain Gournac. Bravo !
Mme Christiane Hummel. Voilà !
M. Jacques Mézard. De quoi s’agit-il ? De permettre aux étrangers résidant sur le territoire français depuis au moins cinq ans, en situation régulière, payant l’impôt, de voter aux élections locales sans leur donner la possibilité de devenir maire ou adjoint, donc officier de police judiciaire, et sans interférer sur l’élection des grands électeurs sénatoriaux. Tel est l’objet de notre débat de ce jour.
Je constate, sans aucune intention polémique, qu’une telle autorisation paraissait recevoir l’aval d’élus de toutes sensibilités, dont l’actuel chef de l’État avant qu’il ne remplisse ces fonctions. J’ai sous les yeux ses déclarations, fort claires, du 25 octobre 2005, mentionnant toutefois « à titre personnel ». Il déclarait encore, le 24 avril 2008, sur TF1 et France 2 : « À titre intellectuel, oui, mais je n’ai pas la majorité pour le faire passer, donc ce n’est pas un projet que je soumettrai... ». On peut parfaitement comprendre et respecter cette évolution, mais ne point la partager.
Nous pensons, majoritairement, que ce droit de vote est un moyen de rassembler, de mieux faire comprendre, au niveau local, que la gestion de nos communes est l’affaire de tous ceux qui y résident régulièrement, de contribuer à sortir de cette exclusion de fait les habitants, certes de nationalité étrangère, mais qui rencontrent les mêmes problèmes que les autres. N’est-ce pas la sagesse de mieux les associer à la vie de la commune, de mieux les entendre, mais aussi et surtout de les associer aux responsabilités, aux décisions et aux conséquences des décisions ?
La concentration des populations immigrées dans des quartiers aujourd’hui considérés comme difficiles est de notre fait à tous, de toutes les majorités qui se sont succédé, de notre absence de volonté politique commune à mettre en place une réelle politique de mixité sociale, y compris par le biais des organismes de logement social. Les usines à gaz des programmes de politique de la ville ont montré leur inefficacité. L’urbanisme, le logement sont des domaines dans lesquels nous avons trop failli, malgré, par exemple, les avancées des programmes de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU ; ils sont devenus une vraie priorité et ont des conséquences dans tous les secteurs, en premier dans ceux de l’éducation et de la santé.
N’oublions pas davantage que parmi le nombre d’étrangers résidents non communautaires, une très forte proportion est issue de l’Afrique du Nord et de nos anciennes colonies. (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.) Est-il convenable d’oublier cette facette de notre histoire, quel que soit le bilan que l’on puisse en tirer ?
J’ai entendu ce matin un éminent ministre, ici présent, déclarer, sur France 2, que la différence entre la France et l’Angleterre, où tous les ressortissants du Commonwealth peuvent voter, était que la reine demeurait le souverain de ces derniers. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre de l’intérieur, que cette argumentation est pour le moins spécieuse :…
M. Roland Courteau. Ah oui !
M. Jacques Mézard. … heureusement que la Communauté française créée à l’aube de la Ve République n’existe plus !
L’inquiétude relative au risque communautariste, que vous avez également exprimée, monsieur le ministre, constitue un argument plus fort. Le risque existe, et il convient de le combattre ; nous avons pour cela la loi, le respect de l’ordre public.
Vous posez notamment la question des piscines et des cantines : vous ne voulez pas – je vous comprends – que le communautarisme impose la réservation des lignes d’eau et les menus, et vous avez raison. Profondément laïcs, nous n’acceptions pas le régime unique du poisson le vendredi, ce n’est pas pour nous faire imposer la cuisine hallal ! (Rires sur plusieurs travées de l’UMP.)
Si des dérives apparaissent, les préfets, représentants de l’État – vous savez leur donner des instructions –…
M. Jean-Jacques Mirassou. Ça oui !
M. Jacques Mézard. … peuvent et doivent y mettre bon ordre. Ils disposent du contrôle de légalité, du déféré préfectoral, et la notion d’ordre public a heureusement encore un sens, il suffit de vouloir l’appliquer.
Je n’entrerai pas dans le débat, instrumentalisé par les uns et par les autres, sur le Front national, que chaque côté a malheureusement utilisé, selon les périodes.
M. Roland Courteau. Non, non, non !
M. Alain Gournac. Vous vous en servez à chaque élection !
M. Jacques Mézard. Nous devons nous déterminer non par rapport à des thèses extrémistes, mais par rapport à nos concitoyens, en réfléchissant également, de manière sereine, aux dangers populistes du scrutin proportionnel.
Je conclurai par une citation d’Aristote : « Le courage est un juste milieu par rapport aux choses qui inspirent confiance et à celles qui inspirent de la crainte ». Soyons donc courageux, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV, ainsi que sur plusieurs travées du groupe UMP. – Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)
M. François Rebsamen. Monsieur le président, mes chers collègues, je salue la présence du Premier ministre, du ministre de l’intérieur, du garde des sceaux et du ministre chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, nous n’avons pas l’habitude de vous voir aussi nombreux dans cet hémicycle, et votre présence nous honore.
On pourrait imaginer que celle-ci est le signe d’un rassemblement républicain autour du vote d’un texte s’inscrivant dans le long chemin de la construction de notre démocratie. Je crains malheureusement qu’il n’en soit rien !
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. François Rebsamen. Pour notre part, sénatrices et sénateurs du groupe socialiste-EELV, nous abordons ce débat avec sérénité, et dans le respect des positions des uns et des autres quand elles sont sincères et fondées sur des convictions personnelles.
Quel est l’objet de notre débat ? Peut-être faut-il le rappeler, puisqu’on entend des déclarations enflammées… Il s’agit de permettre aux étrangers en situation régulière – je le précise à votre attention, monsieur le ministre de l’intérieur – résidant en France de voter aux élections municipales. Ils pourront être élus au conseil municipal, mais ne pourront pas occuper les fonctions de maire ou d’adjoint au maire, ni faire partie du collège électoral sénatorial.
Pourquoi avons-nous repris cette proposition de loi constitutionnelle ? Pour une raison simple : nous pensons que, parce qu’ils vivent en France depuis des années et des années, parce qu’ils ont souvent contribué – vous devriez tous le rappeler – à créer la richesse de notre pays, parce que leurs enfants grandissent ou ont grandi avec les nôtres dans nos communes, parce qu’ils participent à la vie de nos cités, qu’ils y paient des impôts, les étrangers non communautaires en situation régulière doivent pouvoir voter aux élections municipales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et sur plusieurs travées du groupe CRC.) Voilà ! C’est assez simple !
Nous souhaitons créer une citoyenneté nouvelle, une citoyenneté de résidence qui renforce le lien avec la République française.
M. Roger Karoutchi. Qu’est-ce que c’est, une citoyenneté de résidence ?
M. François Rebsamen. Ce nouveau droit s’inscrit – cela a été rappelé – dans le long chemin de la construction de notre démocratie ; il constitue la suite logique des acquis obtenus par les étrangers, souvent après de longs et difficiles efforts, en matière de démocratie sociale. Celle-ci est heureusement – ou malheureusement – en avance sur les droits politiques : un salarié étranger peut aujourd'hui devenir délégué du personnel, membre d’un comité d’entreprise ou électeur aux prud’hommes,…
M. Roland Courteau. Oui, c’est vrai !
M. François Rebsamen. … sans que nul ne s’en offusque.
M. Claude Bérit-Débat. Effectivement !
M. François Rebsamen. Du reste, comme cela a également été rappelé, il suffit de lire les études des historiens pour constater que des Français de plus en plus nombreux, et maintenant, nous dit-on, une majorité d’entre eux, sont favorables au vote des étrangers non communautaires lors des élections locales.
M. Roland Courteau. Exact !
M. François Rebsamen. Pourquoi ? Parce qu’on ne peut plus refuser l’intégration citoyenne que permet le vote aux élections locales ! Cette citoyenneté de résidence recréera du lien social entre tous ceux qui vivent sur notre sol.
Je vous écouté avec intérêt, monsieur le Premier ministre. Vous avez affirmé que nous ressortions cette proposition avant chaque élection, créant ainsi un « brouillage démocratique ». C’est faux, et vous le savez ! Cette proposition a été enterrée par l’ancienne majorité sénatoriale il y a près de douze ans…
M. François Fillon, Premier ministre. C’est pour cela qu’il est scandaleux de la reprendre maintenant !
M. François Rebsamen. … et, depuis lors, elle n’avait jamais été réintroduite dans le débat démocratique comme elle l’est aujourd'hui. Je pourrais même vous répondre que c’est l’actuel Président de la République qui, par ses déclarations à la fin de l’année 2005, a relancé le débat sur cette proposition, en faveur de laquelle il s’était alors prononcé.
Accorder aux étrangers non communautaires le droit de vote aux élections locales, ce serait remettre en cause la souveraineté nationale, ce serait – vous l’avez dit, monsieur le Premier ministre – « ouvrir une brèche qui ne peut que déstabiliser les repères », ce serait un travail de sape d’un des fondements de notre République. Non, il n’en est rien !
M. Roland Courteau. Très bien ! Il faut arrêter de caricaturer notre proposition !
M. François Rebsamen. Cela voudrait-il dire, monsieur le Premier ministre, que les étrangers non communautaires ne respectent pas les droits de la République ?
M. Roland Courteau. Très bien !
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Il y a aussi des devoirs !
M. François Rebsamen. Il n’est de pire ferment de communautarisme que le refus de la reconnaissance d’une citoyenneté de résidence ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Je me demande si, en réalité, ceux qui s’opposent avec une telle force, en accord avec leurs convictions – je les respecte –, à notre proposition ne manquent pas de confiance en la force de notre République, en sa capacité intégratrice.
M. Claude Dilain. C’est vrai !
M. François Rebsamen. Ne doutez pas des principes de notre République : liberté, égalité, fraternité ! Ne doutez pas de sa capacité à intégrer !
Monsieur le Premier ministre, vous nous avez permis de discerner – sans doute était-ce votre but – des différences fondamentales entre la gauche et la droite, deux choix pour le pays, deux hiérarchies des valeurs.
Avec un certain professionnalisme, vous mettez notre société sous tension par vos prises de position. Vous le faites toutefois avec talent, ce qui n’est pas le cas de votre ministre de l’intérieur (M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, sourit.), qui développe quotidiennement un antagonisme primaire entre l’Étranger et nous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Roland Courteau. Bien envoyé !
M. François Rebsamen. La recherche du bouc émissaire se fait toujours dans les périodes de crise et de souffrance sociale, rencontrant alors un écho toujours alarmant parmi les plus désorientés de nos concitoyens. (M. Alain Gournac s’exclame.)
De grâce, monsieur le ministre de l’intérieur, cessez de déformer nos positions ! Non, le parti socialiste ne joue pas son avenir sur la mise en scène du vote des étrangers ! Vous nous accusez de faire en sorte que « tous les étrangers qui se trouvent en situation irrégulière en France puissent participer aux élections municipales…
Mme Éliane Assassi. Ils ne pourraient pas le faire, puisqu’ils n’ont pas de papiers !
M. François Rebsamen. … en considérant que les étrangers ou les enfants d’étrangers » – je vous signale que beaucoup de ces enfants d’étrangers sont Français (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV. – M. Alain Gournac s’exclame.) – « se porteraient plus facilement sur le parti socialiste que sur la droite ».
M. Alain Gournac. Non, ils réfléchissent !
M. François Rebsamen. Les dernières élections municipales vous ont pourtant démontré que nous n’en avions pas besoin ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Francis Delattre. Il s’agit des prochaines !
M. François Rebsamen. Vous avez évoqué la remise en cause du lien entre le droit de vote et la nationalité. Cependant, les citoyens de l’Union européenne peuvent déjà participer aux élections locales même s’ils ne possèdent pas la nationalité française.
Vous nous avez également dit que les étrangers devaient demander leur naturalisation s’ils voulaient voter aux élections françaises. Malheureusement, texte après texte, vous avez durci les conditions de recevabilité des demandes de naturalisation, au point que – toutes les organisations auditionnées par le Sénat l’ont indiqué – la procédure instaurée en 2010, qui relève des préfectures et non plus de la sous-direction des naturalisations, constitue un obstacle à l’acquisition de la nationalité française (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin applaudit également.) ainsi qu’une source importante d’inégalités de traitement selon les préfectures.
M. Roland Courteau. Il fallait le rappeler !
M. François Rebsamen. Des cas ont été cités : des étrangers non communautaires résidant dans notre pays depuis vingt ans n’arrivent pas à acquérir la nationalité française par naturalisation ! (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe socialiste-EELV.)
Mme Samia Ghali. C’est vrai !
M. François Rebsamen. Vous avez essayé de faire peur, en évoquant un afflux de voix de nature à détourner le scrutin. Vous êtes allés jusqu’à compter 4 millions de personnes concernées ! Nous n’avons pas les mêmes chiffres : selon notre évaluation, le nombre de votants potentiels se situe entre 1,6 million et 1,8 million. Là encore, de grâce, n’attisez pas les peurs ! (M. Philippe Dominati s’exclame.)
Surtout, – je veux le dire avec une forme de solennité – ne nous faites pas de procès d’intention. (M. Philippe Dallier s’exclame.) Nous aussi, nous avons des convictions. Ce sont ces convictions qui nous ont amené à défendre cette proposition de loi constitutionnelle aujourd'hui, et non au mois de février, ce que nous aurions pu faire.
M. Roger Karoutchi. En février ?
M. François Rebsamen. Nous défendons cette proposition de loi constitutionnelle aujourd'hui parce que, la majorité sénatoriale venant de changer, notre devoir était de reprendre ce texte voté par l’Assemblée nationale en l’an 2000, qui emportait toute notre conviction. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. François Rebsamen. Pour clore mon propos, je veux vous dire, monsieur le Premier ministre, que je me refuse à croire que votre gouvernement souhaite faire de ce texte un instrument destiné à encourager les peurs collectives, au premier chef la peur de l’autre quand celui-ci est un étranger ! (Exclamations et rires sur les travées de l’UMP.)
M. David Assouline. C’est bien ce que vous faites !
M. Philippe Dominati. C’est vous ! Vous avez choisi le moment ! Vous le faites exprès !
M. François Rebsamen. Aujourd'hui, la gauche sénatoriale, dans sa grande diversité – j’ai apprécié les propos de notre collègue Jacques Mézard –, est fière de pouvoir examiner cette proposition de loi constitutionnelle qui fonde un nouveau droit, en accord avec nos valeurs mais aussi avec tous ceux qui partagent une certaine conception de la République : une République qui rassemble, une République sûre d’elle-même, une République fidèle à ses valeurs et à sa tradition d’ouverture et d’accueil ! Nous ne voulons pas d’une république morcelée, nous voulons la France que nous aimons, celle des droits de l’homme, celle des étrangers qui aiment la France ! (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste-EELV se lèvent et applaudissent longuement. – Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC ainsi que M. Jean-Pierre Plancade applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Béchu. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. Christophe Béchu. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la rapporteure, mes chers collègues, dans ce débat qui nous occupe aujourd’hui, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est brandie comme un étendard par ceux qui nous expliquent que le pays des droits de l’homme devrait, pour rester fidèle à sa tradition de tolérance et d’universalisme, adopter cette proposition de loi constitutionnelle ouvrant aux étrangers non communautaires le droit de vote aux élections municipales.
Qu’il me soit permis, au nom de cette même Déclaration et en vertu de cette même tolérance, de souhaiter, au début de ce propos, que ne soient pas caricaturés ceux qui ne partagent pas cette opinion.
Mme Christiane Hummel. Bravo !
M. Christophe Béchu. On peut être parfaitement républicain sans être favorable au droit de vote des étrangers aux élections locales (Mmes Isabelle Debré et Catherine Troendle ainsi que M. Jacques Gautier applaudissent.), on peut y être opposé sans être suspecté de racisme ou de complaisance avec les thèses de l’extrême droite.
Mme Christiane Hummel. Très bien !
M. Christophe Béchu. Je n’accepte pas le raccourci qui présenterait les défenseurs de ce texte comme détenteurs d’une sorte de monopole du cœur républicain…
M. Roland Courteau. On connaît la formule !
M. Christophe Béchu. … ou comme plus humanistes que nous.
Je suis républicain, je suis humaniste (Ah ? sur les travées du groupe socialiste-EELV.), tout en étant défavorable à cette proposition de loi pour au moins six raisons.
Premièrement, ce texte pose des problèmes de forme.
Deuxièmement, il intervient à un moment clairement inapproprié.
Troisièmement, il est soutenu par des arguments discutables et réversibles.
M. Roland Courteau. C’est vous qui le dites !
M. Christophe Béchu. Quatrièmement, il s’appuie sur une analyse de droit comparé incomplète et tronquée. (M. David Assouline s’exclame.)
Cinquièmement, il remet en cause la citoyenneté européenne,…
M. Roland Courteau. Non !
M. Christophe Béchu. … au mieux en l’édulcorant, au pire en la vidant de sa substance.
Sixièmement, enfin, il repose sur une vision qui méconnaît l’importance de la naturalisation comme voie privilégiée d’intégration pour les étrangers. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
Sur la forme, je ne développerai pas les arguments ; d’autres le feront avec plus de talent lors de l’examen des motions de procédure, mais l’artifice choisi d’exhumer un texte datant de dix ans incite pour le moins à s’interroger sérieusement...
Sur le moment choisi, mes chers collègues, on voit bien que l’objectif est d’abord politique. (M. François Patriat s’exclame.) Comme il n’y a aucune chance que ce texte puisse aboutir avant l’élection présidentielle, le présenter maintenant vise non pas à obtenir son application, mais bien à tenter d’en faire un marqueur électoral pour cette échéance. (Très bien ! sur plusieurs travées de l’UMP.)
Or, c’est à la fois assez paradoxal quand on prétend dans le même temps vouloir travailler au renforcement du vivre ensemble, et assez contradictoire avec une vision démocratique et institutionnelle qui confère à l’élection présidentielle précisément le rôle d’être le rendez-vous majeur de détermination de notre pacte républicain. C’est dans la campagne que ce débat aura sa vraie place, mais ni ici ni maintenant.
Problème de forme, problème de moment, problème surtout de justification.
Ainsi, on nous explique que le droit de vote accordé aux étrangers non communautaires serait une avancée démocratique et républicaine, un vecteur de cohésion sociale, un moyen de mettre fin à la discrimination entre Européens et non-Européens.
À mes yeux, tous ces arguments sont profondément critiquables, mais ils sont surtout réversibles.
Si une avancée démocratique ne se mesure qu’en nombre de votants potentiels supplémentaires, c’est un peu court. Dans ce cas, on pourra tout justifier par le nombre : donnons le droit de vote dès seize ans,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mettons-les en prison dès seize ans…
M. Christophe Béchu. … accordons aux parents autant de bulletins qu’ils ont d’enfants mineurs, car après tout, les décisions prises pour l’équilibre des retraites ou des comptes publics les concernent.
Si c’est une avancée républicaine au nom de l’égalité, la République a bon dos, et l’égalité est bien démonétisée.
J’affirme que la République est trop précieuse pour être présentée ou érigée comme une ligne de démarcation entre nous.
J’affirme aussi qu’elle grandit quand on rappelle qu’elle est une exigence quotidienne, pas une facilité de langage mise à toutes les sauces.
La République se défend et, en l’occurrence, je considère que ceux qui veulent donner le droit de vote aux étrangers, loin de la renforcer, l’affaiblissent en réalité.
Car en République, on ne traite pas tout le monde de la même manière. On traite de la même manière ceux qui sont en situation comparable.
M. Bruno Retailleau. Bien sûr !
M. Christophe Béchu. Ainsi, un impôt progressif n’est pas égalitaire, mais il est profondément républicain. Ainsi, la fragilité de certains de nos compatriotes justifie des traitements différenciés sur le plan juridique, reposant sur des suppléments de droit ou des minorations de devoir. À l’inverse, l’exemplarité républicaine exige plus de ceux qui ont davantage reçu.
Il est donc totalement faux de présenter ce texte comme un surplus d’égalité. C’est un contresens absolu de la notion même d’égalité ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Si l’on voit dans ce texte un vecteur de cohésion sociale, j’ai bien peur, là aussi, que l’on ne se trompe lourdement.
N’y a-t-il plus de problèmes d’intégration dans les pays qui pratiquent cette extension du droit de vote ? Le communautarisme aurait-il disparu d’Angleterre sans que l’on nous ait prévenus ? Les pays du Nord ne seraient-ils pas confrontés à une forte poussée de l’extrême droite lors des élections, y compris locales ?
M. Michel Savin. Exactement !
M. Christophe Béchu. Je n’ai jamais rencontré d’immigré me disant qu’il souhaitait, pour s’intégrer, avoir le droit de vote aux élections locales.
M. Bruno Retailleau. Moi non plus !
M. Christophe Béchu. J’en ai reçu qui étaient confrontés à des problématiques sociales ou à des cas de discrimination ; j’en ai rencontré qui souhaitaient la naturalisation, mais je n’en ai jamais vu qui réclame le droit de vote ou qui s’en plaigne. Et comme je conçois volontiers de n’être pas représentatif, je dois dire, pour étayer mon propos, que cette revendication n’a jamais donné lieu à d’autres formes d’action que des tribunes d’intellectuels dans des journaux réputés, ou des « votations citoyennes » dans 75 communes sur 36 000, votations qui n’ont pas plus de légitimité qu’une quelconque pétition.
Et que l’on ne vienne pas nous expliquer que ce serait un moyen de donner davantage de dignité aux étrangers non communautaires ! En effet, si la dignité est attachée au droit de vote, comment la conditionner à une durée de résidence ? Comment même la conditionner à une régularité du séjour ?
La dignité est due à tout être humain,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et les sans-papiers ?
M. Christophe Béchu. … majeur ou mineur, régulier ou irrégulier. Mais, pour autant, la dignité ne donne pas d’autre droit que celui d’être respecté, secouru et protégé. Elle n’entraîne aucune obligation de conférer des droits analogues à ceux des nationaux.
En réalité, on peut très bien soutenir que le fait de donner le droit de vote aux étrangers non communautaires aux élections municipales non seulement ne renforcera pas la cohésion sociale, mais pourrait même encourager le communautarisme. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) En effet, sans même que cette mesure ait été votée, on assiste à des dérives locales sur le territoire national.
M. Roland Courteau. C’est faux !
M. Christophe Béchu. Quand la maîtrise de notre langue est imparfaite, quand certains quartiers se replient sur eux-mêmes,…
Mme Samia Ghali. La faute à qui ?
M. Christophe Béchu. … quand on réserve des créneaux à la piscine, le communautarisme guette déjà.
Mme Samia Ghali. La faute à qui ? À vous ! (Mme Samia Ghali désigne les sénatrices et sénateurs de l’UMP.)
M. Christophe Béchu. Si la modification du corps électoral devait demain encourager, ici ou là, des prises de distances grandissantes avec la laïcité, nous serions alors dans l’obligation de durcir la législation dans ce domaine, alors même que les plus ardents défenseurs de ce texte comptent parfois parmi les plus farouches opposants à un renforcement des textes sur la laïcité...
M. Alain Fauconnier. Pas vous !
M. Christophe Béchu. Problème de forme, problème de moment, problème de justification, problème aussi dans l’analyse de droit comparé pour soutenir cette proposition de loi.
En effet, la note de droit comparé que vous produisez en annexe du rapport est légère, partiale et incomplète. Sur treize pays étudiés, seuls trois dénient le droit de vote aux étrangers lors des élections locales ; mais pourquoi n’en avoir examiné que treize ? Si l’échantillon avait été plus vaste, cette proportion aurait été bien supérieure. On décrit un bloc de dix pays accordant ce droit, mais certains d’entre eux l’assortissent de conditions de réciprocité tellement sévères qu’elles vident ce droit de sa substance. En réalité, seuls cinq pays l’appliquent dans les conditions où vous l’envisagez.
De plus, une étude de droit comparé complète aurait mis le droit de vote en perspective des conditions requises pour acquérir la nationalité. Je trouve choquant de dépeindre notre pays comme fermé et hostile. Si telle était la réalité, comment expliquer que nous soyons le deuxième pays au monde, et le premier en Europe, en ce qui concerne le nombre de demandes d’asile ? (Tout à fait ! sur plusieurs travées de l’UMP.)
Problème de forme, problème de moment, problème de justification, problème de comparaison tronquée, problème ensuite au regard de la citoyenneté européenne. (Mme Christiane Demontès s’exclame.)
Il est inconcevable de décrire la situation actuelle comme une discrimination entre Européens et non-Européens. C’est méconnaître l’essence même de la construction européenne. Le droit de vote accordé aux Européens est le résultat d’un processus politique volontariste, progressif et réciproque. Il s’inscrit dans un projet continental, avec une communauté de destin librement choisie.
Si discrimination il y a, ce sera à l’issue de l’adoption de cette proposition de loi, puisque les Européens ne pourront voter qu’en cas de réciprocité alors que les non-Européens ne se verront pas soumis, dans votre projet, à quelque réciprocité que ce soit... (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Un sénateur de l’UMP. Ça c’est vrai !
M. Christophe Béchu. Problème de forme, de moment, de justification, de comparaison, de cohérence européenne, et enfin problème au regard de la notion même de citoyenneté.
Mes chers collègues, avec solennité, je veux vous dire que ce texte instaure une citoyenneté de résidence qui sera en quelque sorte une citoyenneté de seconde zone. Or je suis trop attaché à la citoyenneté pour souhaiter un tel édifice, qui, pour reprendre les termes de Jean-Pierre Chevènement, aboutit à saucissonner la citoyenneté.
Ce texte repose sur une phrase répétée en boucle comme une évidence : « Celui qui travaille en France et qui paie ses impôts en France doit pouvoir voter ».
Mme Esther Benbassa, rapporteure. C’est Sarkozy qui l’a dit !
M. Christophe Béchu. Convenons ensemble que celui qui travaille en France et qui paie ses impôts en France, en respectant nos règles et nos valeurs, doit pouvoir…
M. Roland Courteau. Voter !
M. Christophe Béchu. … devenir Français.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Christophe Béchu. En fait, c’est bien là le cœur du sujet. Il y a ceux qui pensent que le droit de vote n’est pas attaché à la nationalité et qu’il est un droit gratuit, associé à rien, et ceux qui considèrent que la moindre des choses pour participer aux choix qui engagent nos collectivités locales, comme notre pays, c’est de le vouloir (Mme Éliane Assassi et M. Roland Courteau s’exclament.), en choisissant de lier son destin à celui de la France, en choisissant de rejoindre la nation, ses droits et ses devoirs,…
M. Roland Courteau. Vous n’avez pas l’impression d’en faire trop ?
M. Christophe Béchu. … en manifestant par la naturalisation (Mme Éliane Assassi s’exclame de nouveau.)…
M. Rémy Pointereau. Du calme !
M. Christophe Béchu. … le désir d’appartenance à une communauté qui dépasse nos identités multiples.
Mme Éliane Assassi. Et ceux qui sont morts pour la France ?
M. Christophe Béchu. Je ne doute pas, moi non plus, de la sincérité de Mme la rapporteure, ainsi que de celle de certains des promoteurs de ce texte. Mais cette sincérité ne suffit pas à me convaincre. Ce texte est contraire à nos convictions sur l’importance de notre pacte républicain et national. Il s’oppose à notre vision de ce qui est souhaitable, et même de ce qui est juste. (Mme Éliane Assassi et M. Jean-Pierre Godefroy s’exclament.) Rien, ni sur la forme ni sur le fond, ne me permet d’envisager une autre position que celle de voter résolument contre ce texte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (M. Michel Teston applaudit.)
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, messieurs les ministres, madame la rapporteure, mes chers collègues, aujourd’hui notre assemblée est appelée à se prononcer sur un sujet majeur pour la cohésion de notre pays : l’établissement de droits et devoirs égaux pour l’ensemble des habitants des villes et villages de France.
En cette période difficile, où chacun doute pour son avenir, sa famille, son travail, son logement, où beaucoup ne peuvent plus se soigner, vivant dans la précarité, où l’on doute de l’action collective, réaffirmer qu’en France l’origine de chacun n’est pas un obstacle à la vie commune, à une fraternité partagée est fondamental pour éviter de tomber dans la spirale du doute, de la peur de l’autre, de la fermeture, et in fine du déclin.
Plus encore que de coutume, travailler à la cohésion de notre société et à l’intégration de tous ceux qui la composent est un devoir essentiel.
La force symbolique de la disposition que nous proposons ce soir au Sénat d’adopter constitue, sans être une solution miracle, un outil important pour y parvenir.
Pour qu’il soit utile, ce débat ne saurait être l’occasion d’excès de langage, de simplification ou d’intoxication, comme celle dont s’est rendu coupable M. le ministre de l’intérieur lorsqu’il dénonçait la perspective de maires étrangers en Seine-Saint-Denis.
Ce sont des propos mensongers que je ne vous imagine pas avoir tenus sans lire notre proposition de loi, qui fait sept lignes.
M. Bruno Retailleau. Ce n’est pas ce qu’il a dit !
M. Jean-Yves Leconte. Ce sont des propos dangereux pour l’ordre public, puisqu’ils stigmatisent des personnes vivant parfois depuis des dizaines d’années sur notre territoire (M. Éric Doligé s’exclame.) et montent les habitants de notre pays les uns contre les autres sur la base d’une hypothèse fallacieuse.
Cette quatre-vingtième proposition de François Mitterrand a trente ans.
M. Philippe Dominati. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ?
M. Jean-Yves Leconte. Aujourd’hui, pour la première fois, nous avons la majorité au Sénat. (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Fiers de cette nouvelle configuration politique, nous nous mettons sur le champ à la tâche en proposant aujourd’hui l’adoption d’un texte voté par l’Assemblée nationale voilà dix ans.
Ensuite, dans la foulée des échéances électorales de l’année prochaine, il sera alors possible de finaliser cette réforme, dans la perspective des élections municipales de 2014.
Pourquoi aujourd’hui pouvons-nous faire cette réforme ?
M. Rémy Pointereau. Pour faire de la politique !
M. Jean-Yves Leconte. Certains nous disent que, dans notre tradition, le droit de vote à toutes les élections doit découler de la nationalité. Cet argument est bien téméraire lorsqu’on se rappelle de la tradition jusqu’en 1944 : l’absence de droit de vote pour les femmes françaises. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Roger Karoutchi. De Gaulle !
M. Jean-Yves Leconte. N’avaient-elles pas la nationalité ? Étaient-elles vraiment citoyennes avant ?
Ensuite, il y a l’Europe.
Le traité de Maastricht a introduit la citoyenneté européenne et les droits qui en découlent.
Avec l’instauration du droit de vote aux élections municipales en France pour les ressortissants européens, la notion de citoyenneté de résidence a été établie dans notre pays.
Dans plusieurs pays européens, il a cependant été remarqué que la citoyenneté de résidence n’avait de sens que lorsqu’elle était élargie à l’ensemble des habitants des municipalités. Ainsi sont-ils aujourd'hui plus de dix-huit pays à avoir accordé aux étrangers – bien sûr dans des conditions différentes – le droit de vote aux élections locales.
M. Roland Courteau. Il faut le rappeler !
M. Jean-Yves Leconte. Soulignons d’ailleurs que l’établissement de ce droit n’a pas toujours été le fait de majorités de gauche. (M. Roland Courteau opine.)
Qu’est-ce que la citoyenneté de résidence ? C’est la possibilité de participer à la gestion de son espace de vie quotidienne, de sa ville, de son quartier.
Est-elle liée à la nationalité ? Non, car avez-vous l’impression de perdre votre nationalité lorsque vous allez à l’étranger ou même lorsque vous vous y installez ? Lieu de vie et nationalité sont bien deux choses différentes !
Pourquoi devons-nous aujourd'hui accorder aux étrangers le droit de vote aux élections locales ?
Le défi de la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale a conduit notre pays à faire appel à de très nombreux étrangers, parfois issus de pays en cours de décolonisation. Il leur a été accordé, logiquement, progressivement des droits sociaux identiques aux Français. Mais les droits politiques n’ont pas suivi.
Les enfants, souvent nés en France, sont Français, mais les parents restent étrangers. Au nom de quoi ces personnes qui auront travaillé, vécu en France, donné leurs enfants à la France resteraient-elles aux portes de nos bureaux de vote ?
De quel droit leur refusons-nous de participer à la gestion de nos villes et de nos villages alors qu’ils vivent avec nous depuis vingt, trente ou quarante ans ? Pourquoi un tel apartheid politique ? En mesurons-nous les conséquences ?
Que penser d’un Français, né de parents étrangers, qui n’aura jamais vu ses parents mettre un bulletin dans l’urne ?
Je pense à ces personnes en larmes, dans les villes qui ont lancé des expériences de vote ouvert à tous leurs habitants, parce que la votation citoyenne était pour elles la première occasion de mettre un bulletin dans une urne.
Et que dire du témoignage de cette femme qui, ayant été tenue à l’écart de tout vote, de toute vie civique, n’avait pu apprendre à ses enfants comment exercer leurs droits de Français ? Elle n’avait tout simplement pas eu les moyens de leur enseigner un des actes majeurs de l’exercice de la citoyenneté ! Comment transmettre le civisme à ses enfants dans de telles conditions ?
Reconnaître des droits aux parents, c’est aussi dans ce cas reconstruire une autorité parentale contestée par ceux qui refusent tout droit aux étrangers. La question de l’autorité parentale est encore plus aiguë lorsque les enfants français de parents étrangers doivent faire face à la stigmatisation des étrangers, c’est-à-dire de leurs parents. De telles attitudes disqualifient à jamais leurs auteurs pour parler d’intégration ou d’ordre public.
L’absence de droit de vote pour les parents est un handicap pour l’intégration des enfants. Je vous renvoie ici aux faibles taux de participation électorale dans les endroits à forte population étrangère.
De nombreux passages de Libre, le livre écrit en 2005 de M. Sarkozy,…
M. Roger Karoutchi. Ah ! très bien !
M. Jean-Yves Leconte. … ont été cités dans ce débat.
M. Éric Doligé. Il faut nous lire toutes les pages !
M. Jean-Yves Leconte. Eh bien, monsieur le ministre de l’intérieur, je vais vous faire une confidence : « libre » du Front national, « libre » de votre politique, « libre » de sa charge, voilà comment nous pourrions mieux apprécier M. Sarkozy !
Est-il possible de gérer démocratiquement une commune si le corps électoral est tronqué d’une partie, parfois supérieure à 20 %, de ses habitants ? C’est tout simplement impossible, et voilà pourquoi un nombre croissant de villes mettent en place des conseils consultatifs visant à faire participer l’ensemble des habitants à la gestion de leur commune.
M. Rémy Pointereau. C’est bien, ça !
M. Jean-Yves Leconte. Les villes de Strasbourg, Aubervilliers Creil, Grenoble, Toulouse, Paris, Les Ulis, Saint-Denis et Roubaix se sont ainsi regroupées dans le réseau COFRACIR, le Conseil français de la citoyenneté de résidence.
Voilà pourquoi nous voulons cette réforme, pourquoi nous la soutenons !
J’aimerais répondre maintenant à quelques-uns des arguments avancés par certains de ses adversaires.
« S’ils veulent voter, qu’ils deviennent Français. » L’argument ignore la différence entre la citoyenneté de résidence et la nationalité, et il ignore à quel point il est difficile aujourd'hui d’acquérir la nationalité française.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Jean-Yves Leconte. En effet, combien de naturalisations effectives par rapport aux nombreuses demandes ?
Croyez-vous qu’un étranger, vivant en France depuis trente ans, dont les enfants sont Français, obtiendrait la nationalité française ? Dans la plupart des cas, non !
M. Roger Karoutchi. Pourquoi ?
M. Jean-Yves Leconte. Pour les préfectures aujourd’hui, tout est prétexte à un refus. Depuis le fichage orwellien des étrangers – jusqu’à leurs visites médicales sont désormais enregistrées ! –, l’État dispose de moyens sans précédents pour refuser une naturalisation sous les prétextes les plus fallacieux.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Jean-Yves Leconte. Alors comment faire ? On dit : « Qu’ils deviennent Français ! », mais en réalité on les repousse, favorisant l’exclusion, les renvoyant à leur communauté ? Ce n’est pas sérieux. Utiliser cet argument aujourd’hui, c’est méconnaître la situation des étrangers dans notre pays et la difficulté d’obtenir une naturalisation.
Que dire de la situation de cette femme algérienne à qui la préfecture a demandé confirmation de l’assentiment de son mari lorsqu’elle déposait sa demande de naturalisation ? Est-ce le fonctionnement normal d’une République irréprochable, monsieur le ministre ?
Reconnaître une citoyenneté locale, ce n’est pas reconnaître une nationalité. (Protestations sur les travées de l’UMP.) Une nation, ce n’est pas un ensemble d’hommes et de femmes qui partagent une nostalgie ou communient dans un même livre. Une nation, c’est comme une œuvre d’art qui, grâce à ses matières, ses couleurs, ses mouvements, ses contradictions, acquiert son sens, sa vie, sa signification.
Mme Christiane Hummel. C’est beau…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Oui, c’est très beau !
M. Jean-Yves Leconte. La relation entre chaque individu et sa communauté nationale n’a rien à voir avec son lieu de vie. Et un État, fût-il l’État de résidence, ne saurait s’ingérer dans cette relation sans violer une intimité et des origines.
La naturalisation doit être l’aboutissement d’un projet d’intégration à notre communauté nationale. Elle ne saurait être un outil pour la reconnaissance de droits permettant d’être mieux intégré à sa ville. Curieuse conception de la nationalité que de la rabaisser à un moyen d’obtenir des droits...
La peur du communautarisme ? Eh bien, au risque de vous surprendre, je dirai que, oui, il faut avoir peur du communautarisme,…
M. Roger Karoutchi. Ah !
M. Jean-Yves Leconte. … car il existe aujourd'hui.
Il existe, car l’exclusion, la stigmatisation des origines et des croyances, les discriminations conduisent beaucoup d’habitants de notre pays, Français ou non, à se détourner d’une République qui n’existe souvent plus que dans les mots pour se retourner vers les derniers espaces de solidarité qui restent.
Quand la communauté prend la place de la République, c’est le communautarisme qui pointe. (M. Claude Dilain applaudit.) Mais qui faut-il blâmer ? La République qui démissionne ou la communauté qui reste ?
Outil d’intégration, outil pour mieux définir une politique de la ville en meilleure adéquation avec les besoins de ses habitants, la reconnaissance d’une citoyenneté de résidence est un moyen de lutte contre le communautarisme. Il n’est, bien sûr, pas suffisant pour tout résoudre, mais c’est un outil puissant et symbolique que nous devons utiliser.
Si malgré tout, des listes communautaires apparaissaient et avaient du succès ?...
M. Roger Karoutchi. Ah !
M. Jean-Yves Leconte. Eh bien, mes chers collègues, n’ayez pas peur ! Pensez à la force d’une République renouant avec ses valeurs. N’y a-t-il pas de meilleur outil d’intégration que la participation à la vie de la cité ?
C’est avec fierté que nous constatons qu’une large majorité de Français est aujourd'hui favorable à cette évolution, qui n’a que trop tardé.
M. Bruno Retailleau. Les sondages ne sont pas des suffrages !
M. Jean-Yves Leconte. Mes chers collègues, je vous propose de dédier ce débat et notre vote à tous les étrangers qui ont fait la France, à ceux qui, souvent venus d’Afrique du Nord ou de l’Ouest, ont répondu à l’impératif de la reconstruction…
M. Bruno Retailleau. Cela n’a rien à voir !
M. Jean-Yves Leconte. … et largement contribué aux Trente Glorieuses, sans se préoccuper de quoi l’avenir serait fait pour eux,…
M. Éric Doligé. Amalgame !
M. Jean-Yves Leconte. … à ceux qui se sont engagés, battus et sont morts pour notre pays,…
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Jean-Yves Leconte. … à ceux dont le ralliement au général de Gaulle a permis à la France de se trouver dignement du côté des vainqueurs.
M. Éric Doligé. Vous êtes un démagogue !
M. Jean-Yves Leconte. Je pense…
M. Éric Doligé. Il pense !
M. Jean-Yves Leconte. … aux Africains, aux Polonais de la première armée du général de Lattre de Tassigny, aux Francs-tireurs et partisans – main-d’œuvre immigrée, aux Arméniens, Espagnols, Italiens, Hongrois,…
M. Bruno Retailleau. Et alors ?...
M. Jean-Yves Leconte. … Polonais, Roumains du groupe de Missak Manouchian, exécutés pour notre liberté.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Jean-Yves Leconte. C’est à eux que nous devons ce débat, et c’est pourquoi nous devons aborder celui-ci avec confiance ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, j’écoute ce débat avec beaucoup d’attention, parce que nous sommes tous concernés, et un peu d’équilibre ne nuit pas.
Puisque nous sommes dans les citations, je citerai Jaurès.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste-EELV. Ah !
M. Roger Karoutchi. « À celui qui n’a rien, la patrie est son seul bien. »
M. Roland Courteau. Et alors ?
Mme Éliane Assassi. Il avait raison !
M. Roger Karoutchi. Et, puisque l’orateur précédent nous appelait à nous souvenir des soldats de la Seconde Guerre mondiale, je vais vous dire que, si j’ai moi la chance d’être né Français, mon père lui a fait cette guerre et c’est à ce titre, pour faits d’armes, qu’il a été naturalisé ensuite.
Mme Éliane Assassi. Ils ne l’ont pas tous été !
M. Roger Karoutchi. Celui-là l’a été.
Mme Samia Ghali. Il a eu de la chance !
M. Jacky Le Menn. Il y en a qui attendent toujours !
M. Roger Karoutchi. Mes chers collègues, la nation est le fondement de la République. S’il n’y a pas de nation, il n’y a plus de République et, à cet égard, madame Benbassa, il y a clairement une différence entre nous.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. En effet !
M. Roger Karoutchi. Vous avez dit que la nationalité relevait de l’individuel, la citoyenneté du collectif. Quant à M. François Rebsamen, il estime qu’il y a une citoyenneté de résidence (Effectivement ! sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.) qui doit l’emporter sur le reste…
M. François Rebsamen. Au niveau local !
M. Claude Bérit-Débat. C’est une interprétation !
M. Roger Karoutchi. Mes chers collègues, je vous ai écoutés avec attention, merci d’en faire autant !
Croyez-vous sincèrement que les gens, qu’ils soient de droite ou de gauche, car il n’y a pas de différence à cet égard, se sentent concernés par une citoyenneté de résidence, alors que nous sommes en pleine crise économique, financière, sociale, identitaire ?
Qu’est-ce qu’être Français en 2011 ? (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Qu’est-ce que la France aujourd'hui, dans l’ensemble européen et dans le monde ? Faut-il accepter la mondialisation ou faut-il une démondialisation ? Que va devenir l’Europe ? J’écoute et j’entends les questions qui se posent, à gauche comme à droite, car elles traversent nos groupes et nos partis politiques, et voilà où se situe le débat, dans les zones rurales comme dans les zones urbaines, en Île-de-France comme ailleurs. Oui, qu’est-ce qu’être Français en 2011 ? (Mme Éliane s’exclame de nouveau.)
On nous parle du traité de Maastricht. Moi, j’ai fait campagne contre,…
M. Bruno Retailleau. Moi aussi !
M. Gérard Larcher. On avait raison !
M. Roger Karoutchi. … mais aujourd'hui il y a une réciprocité européenne en même temps que le sentiment que la France ne peut pas, hors de l’Europe, exister seule. C’est une réalité. En revanche, croyez-vous que l’on puisse avoir actuellement une République fragmentée…
Mme Éliane Assassi. Elle l’est déjà !
M. Roger Karoutchi. … et remettre en cause les fondements de la nation en prétendant que le droit de vote est attaché à une citoyenneté de résidence ? La vérité est que non ! (M. Bruno Retailleau applaudit.)
Mme Éliane Assassi. Hors sujet !
M. Roger Karoutchi. Je vous ai écoutés !
Je suis d’accord avec Mme Benbassa lorsqu’elle dit qu’il faut s’honorer de toutes celles et de tous ceux qui, étrangers dans le passé, apportent aujourd'hui leur contribution à notre pays. C’est l’honneur de nos assemblées, celui de l’État et de la République de faire en sorte que non seulement ils aient été intégrés mais qu’ils puissent aussi nous représenter,…
M. Michel Savin. Très bien !
M. Roger Karoutchi. … et être des représentants français comme les autres, autant que les autres, plus que les autres !
Pour autant, c’est par la nationalité, et donc par la naturalisation, que cela passe. J’entends dire que la naturalisation est difficile. Peut-être… mais chaque année notre pays procède à 130 000 naturalisations : c’est un des pays sinon le pays d’Europe qui naturalise le plus et qui, en proportion de sa population, est la terre d’asile la plus recherchée…
Mme Éliane Assassi. Mais il y a des pays où les étrangers ont le droit de vote !
M. Roger Karoutchi. … et qui a le plus vocation à intégrer.
Il y a bien sûr des difficultés, et je ne confonds pas intégration et respect de l’étranger qui travaille et vit ici, mais il faut qu’il y ait un vrai débat sur notre système d’intégration. Voyons pourquoi le modèle social, le modèle républicain n’intègre plus aussi bien que par le passé. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV. – Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme Samia Ghali. La faute à qui ?
M. Roger Karoutchi. Je vous le dis, vous vous trompez de combat ! Posons-nous les bonnes questions : comment mieux intégrer et profiter de l’apport de toutes celles et ceux qui pourraient devenir Français ? En défendant le droit de vote des étrangers, vous donnez au contraire le sentiment qu’il n’y a pas besoin d’intégrer la nation française pour en être partie prenante. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
C’est une erreur ! La nation, je vous le rappelle, mes chers collègues, était une idée de gauche. J’ai entendu beaucoup parler du XIXe et du XXe siècle, mais qui a dit que c’était la nation qui était souveraine ? Les révolutionnaires !
M. Bruno Retailleau. Et Jaurès !
M. Roger Karoutchi. Les monarques, eux, niaient la nation pour mettre en avant leur légitimité divine.
Une nation existe, et c’est cette nation qui est le creuset de la République et fait la force de la France. Croyez-vous sincèrement que ce moment de doute, où la légitimité de chacun de nos actes est une véritable interrogation, soit un moment bien choisi pour remettre en cause le droit de vote ?
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste-EELV. C’est le moment pour cette loi !
M. Roger Karoutchi. C’est plutôt le moment de rassembler la nation !
Le droit de vote, c’est le droit de voter à toutes les élections et d’être un Français à part entière, parce qu’il n’y a pas de nationalité de deuxième ordre dans une véritable nation.
D’aucuns s’étonnaient tout à l’heure d’un ton léger que certains votent et d’autres non. Mais aucune nation n’est supérieure aux autres ! C’est un honneur que les Tunisiens qui vivent en France aient participé aux élections législatives qui se sont déroulées en Tunisie : c’est bien !
Mme Éliane Assassi. Ne mélangeons pas tout !
M. Roger Karoutchi. À quel titre pouvons-nous réclamer qu’ils soient dans la nation française ou de nationalité française ? La nation, c’est quelque chose qui appartient à chaque peuple et ce peuple a le droit d’intégrer, de s’ouvrir, d’être tolérant, d’être respectueux.
Je vous le dis : c’est un mauvais débat, c’est un mauvais combat. La République vaut mieux que cela ! (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Vincent Placé. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, allais-je dire, mais il est parti, monsieur le ministre, vous qui êtes resté,…
M. Pierre Charon. On n’est pas au Club Med !
M. Jean-Vincent Placé. … madame la rapporteure et chère Esther, mes chers collègues, il était temps ! Le droit de vote des étrangers aux élections locales, les écologistes le défendent, sans failles, depuis longtemps. Déjà, en 2000, mon ami Noël Mamère était le rapporteur de ce texte à l'Assemblée nationale.
M. Éric Doligé. Quelle référence ! Quel souvenir !
M. Jean-Vincent Placé. Aujourd’hui, c’est Esther Benbassa qui assume cette fonction au Sénat. Je salue le travail remarquable qu’elle a accompli avec culture,…
M. Éric Doligé. Culture OGM !
M. Jean-Vincent Placé. … conviction, dignité, enthousiasme.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Et cœur !
M. Jean-Vincent Placé. C’est avec une grande fierté que je soutiens aujourd’hui, au nom de l’ensemble des écologistes, cette proposition de loi constitutionnelle hautement symbolique, qui s’inscrit dans l’histoire de notre pays.
Après le droit de vote des femmes,...
Mme Catherine Troendle et M. Roger Karoutchi. C’est de Gaulle !
M. Jean-Vincent Placé. ... qui a été fortement critiqué et ralenti au Sénat – certes, ce n’étaient pas les mêmes sénateurs qui siégeaient et les intentions politiques étaient différentes, mais la dimension religieuse y avait une grande part –, après le droit de vote des citoyens intracommunautaires, nous avons enfin l’opportunité d’accorder le droit de vote aux étrangers résidant en France, comme le rappelait ma collègue Samia Ghali, pour qu’enfin il n’existe plus, en France, de citoyens de « seconde zone ».
Certaines et certains n’hésitent pas à instrumentaliser ce débat à des fins bassement politiciennes (Rires sur les travées de l’UMP.),...
M. Éric Doligé. C’est un comique !
M. Jean-Vincent Placé. ... n’hésitant pas à stigmatiser nombre de nos concitoyennes et concitoyens. À croire que, pour eux, et manifestement pour certains d’entre vous, mes chers collègues de l’opposition, les étrangers n’ont qu’un droit, celui d’avoir des devoirs. (Oh non ! sur les mêmes travées.)
Mme Catherine Troendle. Absolument pas !
Mlle Sophie Joissains. C’est scandaleux !
M. Jean-Vincent Placé. Je n’en dirai pas davantage. La « préférence nationale », nous la laissons à d’autres, notamment à Mme Le Pen qui vous a fait le plaisir de venir vous soutenir dans votre opposition devant la Haute Assemblée tout à l’heure ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
Un sénateur de l’UMP. Caricature !
M. Éric Doligé. C’est un mauvais début !
M. Jean-Vincent Placé. Attendez la fin !
Profondément attachés à la lutte contre les discriminations, les écologistes estiment qu’il est urgent de mettre un terme à cet apartheid politique. (Mlle Sophie Joissains s’exclame.)
Toutes ces femmes et ces hommes vivent en France, contribuent à créer la richesse nationale, s’acquittent de leurs impôts, participent à la vie locale, comblent le trou de la sécurité sociale que vous contribuez à creuser encore et encore.
Mlle Sophie Joissains. C’est le retour du vote censitaire !
M. Jean-Vincent Placé. Peut-on encore avoir, en France, des « sous-citoyens » honteusement écartés des urnes, alors que, comme l’ont rappelé le président Rebsamen et plusieurs orateurs, ils sont membres des conseils d’école, délégués du personnel ou encore investis dans un syndicat ou une association, et même comptabilisés pour déterminer le nombre de conseillers municipaux de leur mairie ?
M. Bruno Retailleau. Il faut leur donner le droit de vote national, alors !
M. Jean-Vincent Placé. En 2011, c’est tout simplement injuste et absurde ! Nous sommes l’un des derniers pays en Europe à n’accorder aucun droit politique aux ressortissants non communautaires. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Rémy Pointereau. C’est faux !
M. David Assouline. Si, c’est vrai !
M. Jean-Vincent Placé. Ce sujet mérite amplement d’être envisagé avec un peu de hauteur – et non pas… avec bassesse, allais-je dire, mais c’eût été excessif – car il dépasse tous les clivages et fait appel, avant tout, à notre amour de la République et des valeurs de la France des droits de l’homme et du citoyen qu’en tant que sénatrices et sénateurs nous défendons tous ici.
Au-delà des valeurs d’intégration sociale et d’égalité partagées par l’ensemble de la gauche, les écologistes sont favorables au droit de vote des étrangers, car il favorisera la démocratie locale, à laquelle nous sommes extrêmement attachés comme outil indispensable du développement durable.
M. Jean-Vincent Placé. À vrai dire, pour aller jusqu’au bout de mon raisonnement, M. Karoutchi le sait, je souhaite même que nous allions plus loin et que, à terme, nous étendions le droit de vote aux étrangers à toutes les élections locales, comme le proposait Nicolas Sarkozy en 2005,…
M. Éric Doligé. Il n’a pas dit cela !
M. Bruno Retailleau. Et aux élections nationales ?
M. Jean-Vincent Placé. … et nous aurons, je l’espère, l’occasion d’en reparler dans les années à venir.
Ce texte représente donc un premier pas positif et ambitieux.
M. Bruno Retailleau. Pourquoi pas aux élections nationales ?
M. David Assouline. On va en parler !
M. Jean-Vincent Placé. Pour conclure, mes chers collègues, pour le jeune parlementaire que je suis, c’est une très grande fierté et un immense honneur de vivre ce moment important. Vous le voyez peut-être, je ne suis ni Coréen ni national.
M. Francis Delattre. Ni modeste ! (Plusieurs sénateurs de l’UMP s’esclaffent.)
M. Jean-Vincent Placé. Je ne l’ai jamais revendiqué, cher ami ! (Sourires.)
Je suis Français, patriote et fier de l’être.
M. Éric Doligé. Et alors ?
M. Pierre-Yves Collombat. C’est un peu ringard, non ?
M. Jean-Vincent Placé. Je m’inscris à cet égard dans les principes et valeurs portés par un grand ministre centriste,…
M. Rémy Pointereau. Edgar Faure !
M. Jean-Vincent Placé. … républicain et humaniste, qui a écrit en 1984 un magnifique ouvrage…
M. Yves Pozzo di Borgo. … Bernard Stasi !
M. Jean-Vincent Placé. … L’Immigration, une chance pour la France.
M. Pierre-Yves Collombat. Tout à fait !
M. Jean-Vincent Placé. C’est pour cela que, au-delà de la majorité sénatoriale que je sais unie et rassemblée – j’ai aussi apprécié, avec quelques nuances, l’excellent discours de Jacques Mézard (Sourires sur les travées de l’UMP.), je lance un appel sincère, amical et franc à nos collègues démocrates, centristes, radicaux, républicains, mais aussi gaullistes sociaux – vous le savez, monsieur Karoutchi, le Premier ministre et vous-même en faisiez partie avec Philippe Séguin – : inscrivez-vous dans la belle tradition humaniste de Bernard Stasi.
Je vous invite au courage de la liberté et de la conviction. Ayez le courage non pas de dire oui à la majorité sénatoriale, mais de dire oui à une conception qui, j’en suis sûr, nous est commune, celle de la France éternelle,...
M. Roger Karoutchi. Il n’y a pas de France éternelle !
M. Jean-Vincent Placé. ... belle, généreuse et accueillante, et donc plus forte et plus rayonnante.
Mes chers collègues, vive la France et vive la République ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV. – Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.
Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le président, monsieur le ministre, chère Esther, mes chers collègues, je crois que la France n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle porte la tête haute en assumant sa diversité, comme nous avons pu le voir aujourd'hui à cette tribune.
Je suis fière de notre pays, quand il est capable de porter au plus haut sommet de l’État des hommes dont le nom à consonance étrangère rappelle leur origine diverse. Mais, ces dernières années, notre grand pays a eu tendance à se replier sur lui-même, à avoir peur de l’autre, à oublier tous les fils des autres nations qu’il avait accueillis. On pensera ici à Pablo Picasso, Jorge Semprun ou Romain Gary, qui ont su mieux que quiconque contribuer au rayonnement de la France, ou encore à Émile Zola, Robert Badinter, Françoise Giroud, Serge Gainsbourg et Coluche : ils sont la France. (Plusieurs sénateurs de l’UMP s’exclament.)
M. Éric Doligé. Ils sont Français !
Mme Frédérique Espagnac. Ne vous inquiétez pas, messieurs, j’y viens !
On pensera aussi, plus modestement, aux gens que l’on croise dans nos cités, sur les chantiers, dans les usines, dont certains ont, comme mon arrière-grand-père, fui des régimes autoritaires et trouvé en France une terre d’accueil.
La question du droit de vote des étrangers aux élections municipales est intimement liée à notre histoire, à nos paradoxes. C’est un sujet que les forces progressistes revendiquent collectivement depuis 1981. Il n’était que temps d’inscrire cette proposition de loi constitutionnelle à l’ordre du jour d’un Sénat de gauche, cher monsieur Mézard.
Face aux critiques et caricatures lancinantes, nous devons aujourd’hui affirmer qu’accorder le droit de vote des étrangers aux élections municipales, c’est avoir conscience que l’épanouissement de chacun est lié à la promotion du groupe. Nous vivons actuellement sous le règne d’une défiance généralisée : peur de l’avenir économique, social, peur de l’autre, de la différence. Il est grand temps de « refaire société » comme le dit Pierre Rosanvallon.
Le droit de vote des étrangers, qui place l’égalité comme condition première de notre « vivre ensemble », s’inscrit dans ce mouvement inéluctable de justice contre lequel il sera difficile de lutter plus longtemps. En participant à la vie de tous les jours, en payant les charges qui leur incombent, ces « étrangers » sont déjà des citoyens auxquels ce statut est dénié. Or, nous le savons, l’inscription dans la cité présuppose l’égalité.
Alors qu’est donnée aux étrangers communautaires la possibilité de voter, ceux qui ont tant donné à la France en sont privés ! M. le Premier ministre a avancé l’argument selon lequel la nationalité serait la condition sine qua non de la citoyenneté. Or, en effet, monsieur Karoutchi , depuis le traité de Maastricht de 1992, qui a institué une citoyenneté de l’Union européenne avec un droit de vote municipal et européen pour les ressortissants des États membres, une rupture entre la nationalité et la citoyenneté s’est opérée.
Mme Christiane Demontès. C’est vrai !
M. François Rebsamen. Très bien !
Mme Frédérique Espagnac. Les pourfendeurs du droit de vote des étrangers se trompent de débat et d’époque : ils devraient avoir en mémoire que les femmes de nationalité française n’étaient pas des citoyennes de 1848 à 1944.
Un sénateur de l’UMP. Ça n’a rien à voir !
Mme Frédérique Espagnac. On ne peut plus continuer à soutenir que ne sont citoyens que ceux qui font allégeance pleine et entière en acquérant la nationalité, sans risquer de paraître bien loin de la réalité quotidienne de nos territoires.
Certains pensent que les Français ne seraient pas prêts, M. Accoyer l’affirmait voilà peu. Pourtant, ils sont 61 % à le vouloir et 75 % des jeunes y sont favorables. Il est grand temps que les élus de la nation que nous sommes et surtout le Gouvernement se remettent à prêter attention à ce que cherche à nous dire le peuple français. Ne pensez-vous pas que les descendants d’étrangers se sentiraient enfin pris en compte si le droit de vote était accordé à leurs parents, si la République leur donnait la place qu’ils méritent, en leur disant que, demain, ils pourront aller s’inscrire sur les listes électorales et que leur voix sera enfin écoutée ?
Le coup de semonce de l’automne 2005 n’aura donc pas servi. Depuis dix ans, ces gouvernements attisent les haines en faisant régner la peur entre les différentes catégories de population. Ils se permettent de penser qu’il suffirait d’un kärcher pour régler des décennies de frustration. Selon moi, le mal est plus profond et le droit de vote serait un élément de réponse au ressentiment d’une partie de notre population à l’égard d’une société qui semble ne pas lui offrir les moyens de construire son existence. Je crois profondément que, dans certaines parties de notre territoire, un bulletin de vote serait bien plus efficace qu’un escadron de CRS. (Exclamations sur les travées de l’UMP.) J’assume !
Entre les stigmates d’une mondialisation démesurée, d’un côté, et la difficile construction européenne, de l’autre, il reste un espace : celui du local. Cette notion, aux contours imprécis, est un univers concret, un territoire de possibilités. C’est l’espace du quotidien et du cadre de vie. C’est un lieu de carrefour, de rencontres, de circulations d’idées. La démocratie locale est propice à la cohésion sociale : le logement, l’école, les équipements collectifs sont autant de problèmes concrets, partagés par tous les habitants, quelle que soit leur nationalité.
Certains s’y opposent en agitant les chiffons rouges du communautarisme, du fondamentalisme. Cependant, loin des constructions symboliques et autres fantasmes identitaires, cette proposition de loi constitutionnelle ne souhaite qu’une chose : donner la possibilité aux étrangers résidant en France depuis plusieurs années de pouvoir voter aux élections municipales. Elle exclut l’accès des étrangers aux fonctions de maire ou d’adjoint ainsi que leur participation à d’autres élections pour l’instant. En rien, le droit de vote ne s’apparenterait à un repli identitaire, au contraire !
Ces gens participent déjà, comme le disait Jean-Vincent Placé, aux élections des comités d’entreprise, aux élections prud’homales, aux élections de parents d’élèves ; ils siègent aux conseils d’administration des caisses de sécurité sociale, des offices d’HLM, etc. Certaines municipalités ont même commencé à associer la population étrangère à la vie politique locale par le biais de différentes structures à caractère consultatif. Le succès que rencontrent ces dispositifs souligne la volonté des étrangers de prendre part à la cité. Il y a donc là une forme d’hypocrisie dont nous nous rendons coupables en refusant d’y remédier.
Ne nous y trompons pas : cette question n’est pas un enjeu électoral pour le parti socialiste (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.),…
M. Philippe Dallier. Mais non, voyons !
Mme Catherine Procaccia. C’est quoi, alors ?
Mme Frédérique Espagnac. … qui proclame ce droit depuis des décennies. Mais elle l’est bel et bien pour le Gouvernement, qui se doit de ratisser des voix à la droite des contours de la majorité gouvernementale. Il y a ceux qui n’ont pas voulu voir depuis de nombreuses décennies que la France avait évolué. Et il y a ceux qui se battent pour la promotion d’une intégration aboutie et accomplie. Je préfère faire partie de ceux-là.
M. Éric Doligé. Vous avez dépassé votre temps de parole depuis déjà deux minutes !
Mme Frédérique Espagnac. À ceux qui nous accusent d’instrumentalisation – je pense à M. Zocchetto –, je répondrai en citant cette phrase prononcée en 1990 par François Mitterrand, qui n’a pourtant jamais franchi le pas de cette question essentielle.
M. Éric Doligé. À quelle heure terminez-vous ?
Mme Frédérique Espagnac. Un peu de respect, merci !
François Mitterrand disait ceci : « C’est comme si vous reprochiez aux socialistes du XIXe siècle et du XXe siècle d’avoir “agité en permanence” les droits de la femme, les droits de l’enfant, le droit à la retraite, le droit au repos, le droit à la sécurité sociale. Ils les ont agités, en effet, jusqu’au moment où ils ont eu gain de cause. » C’est ce que nous ferons !
Enfin, permettez-moi de souligner que le mot « vote » vient du latin votum, qui signifie « émettre un vœu ». Lorsque l’on ne peut plus émettre de vœu, que nous reste-t-il ? Trop peu de chose, en effet !
N’ayons plus peur de l’autre ! La France s’est toujours nourrie de ses différences, en les rassemblant puis en les sublimant, pour porter haut et fort un message de liberté, d’égalité et de fraternité.
C’est ce triptyque républicain qui fonde ma conviction.
Plusieurs sénateurs de l’UMP. C’est fini !
Mme Frédérique Espagnac. Je salue le travail de ceux qui ont repris cette proposition de loi au Sénat.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Frédérique Espagnac. Je conclus, monsieur le président.
Le train de l’histoire de l’intégration est en marche !
Fille de France, petite-fille d’Espagne, je veux, dans cet hémicycle, être la porte-parole de la jeunesse et défendre ses aspirations.
Il nous faut faire le pari de l’avenir. M. le Premier ministre est parti, mais il parlait tout à l’heure de faire honneur à la France (Exclamations sur les travées de l’UMP.) : pour ma part, je ne comprends pas que le Président de la République se renie, en s’opposant aujourd’hui à un droit qu’il défendait hier. (Brouhaha sur les mêmes travées.)
M. Roger Karoutchi. C’est fini !
Mme Frédérique Espagnac. En cette période de crise, à chacun sa règle d’or pour la France ! Si la vôtre se dessine comme celle des marchés, la nôtre est celle des hommes ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV. – Mmes Éliane Assassi et Marie-France Beaufils applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Roger Madec.
M. Roger Madec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il aura donc fallu attendre dix longues années pour que la représentation nationale se saisisse de nouveau de la question fondamentale du droit de vote des résidents étrangers non communautaires aux élections municipales. Dix années pendant lesquelles ce droit n’a cessé de recueillir un assentiment toujours plus large parmi nos concitoyens. En effet, près de 61 % des Françaises et des Français sont favorables à ce droit.
Le choix que chacune et chacun d’entre nous, en conscience, va faire aujourd’hui peut engager le Sénat sur la voie de la modernité et faire honneur à notre universalisme démocratique.
L’ouverture du droit de vote des résidents étrangers non communautaires aux élections municipales, est un acte décisif dans le progrès des libertés individuelles. Notre pays est un creuset d’origines, de cultures et de destins,…
M. Claude Bérit-Débat. Eh oui !
M. Roger Madec. … que chaque habitant, qu’il soit ou non citoyen, porte en partage. C’est l’héritage de notre Révolution, c’est notre Histoire ! Ce doit être notre réalité aujourd’hui !
Les résidents étrangers participent à la création de notre richesse nationale, sans qu’il leur soit permis de rejoindre notre destin national. Comment admettre que l’on puisse payer l’impôt sans avoir le droit d’en contrôler l’usage ? Et comment pourrions-nous l’accepter ?
M. Roland Courteau. Très juste !
M. Roger Madec. Il est de nouveau temps, pour reprendre les mots de l’un de ses plus grands serviteurs, parlant de « millions d’hommes sur la terre », que la France soit « prête à leur parler le langage qu’ils ont appris à aimer d’elle ».
Il est dans la nature d’une grande nation de concevoir de grands desseins : n’est-il pas de plus noble devoir, pour l’habitant d’un pays, que de participer à l’élaboration de sa vie publique ?
Nous ne pouvons, par rapport à nos voisins européens, supporter le moindre déficit démocratique. Rappelons que treize d’entre eux ont déjà accordé ce droit. Comment, demain, nos discours pourraient-ils être entendus si nous ne tranchons pas enfin la question ?
Nous ne pouvons tolérer que les résidents étrangers en France soient systématiquement masqués dans « l’angle mort » de notre démocratie. Ce sont environ 1,8 million d’hommes et de femmes qui, par leur présence, leur travail, leur culture, contribuent à façonner notre destin collectif. Chaque habitant de ce pays doit savoir ce qui le relie à la communauté nationale : un lien inaltérable et sacré, la République !
Par notre vote, nous permettrons à la France d’aller enfin à la rencontre de celles et ceux qui sont aussi ses enfants. Monsieur le ministre, vous avez osé affirmer que nous favoriserions ainsi un vote fondamentaliste ou, tout au moins, communautaire.
Un sénateur de l’UMP. C’est vrai !
M. Roger Madec. Comme j’ai beaucoup de respect pour votre fonction, je dirai que ces propos relèvent, au mieux, du fantasme, au pire, de la mauvaise foi !
Comme toujours, à l’heure des choix cruciaux, la droite joue sur les peurs (MM. Jacques Legendre et Roger Karoutchi s’exclament.), l’intolérance et la division. Tout est bon en cette période préélectorale pour séduire et pour flatter les instincts les plus vils.
M. Roger Karoutchi. C’est faux !
M. Philippe Dallier. Gardez vos leçons, merci !
M. Roger Madec. Ce qui sort du suffrage universel, c’est un mouvement puissant et souverain contre le communautarisme, puisqu’il associe chacun au destin de tous. Il s’agit d’un instrument d’ouverture, et non de repli.
Notre démocratie a construit, au fil des mandats et des législatures, une citoyenneté sociale pour les étrangers vivant en France. Cette citoyenneté n’a pas dévoyé le destin des comités d’entreprise, des directions syndicales, des conseils d’administration des collèges, des lycées, voire des conseils d’école, des CROUS, les centre régionaux des œuvres universitaires et scolaires, et des conseils d’administration des caisses d’assurance maladie : au contraire, elle l’a enrichi. (M. Jean-Vincent Placé opine.)
M. Roland Courteau. C’est sûr !
M. Roger Madec. Je suis maire du XIXe arrondissement de Paris depuis plus de seize ans. Il s’agit d’une véritable ville de 187 000 habitants. Et je ne suis pas fier de constater que près de 50 000 personnes sont exclues des choix décisifs de la vie locale !
Vous pouvez continuer à retarder la reconnaissance de cette destinée commune. Ce n’est pas à votre honneur !
Le candidat Nicolas Sarkozy était favorable à ce droit de vote, mais, aujourd’hui, le Président de la République le refuse. Voilà encore une manifestation de votre incapacité à comprendre le pays et de votre volonté farouche de vous retrancher derrière vos préjugés.
M. François Rebsamen. Très bien !
M. Roger Madec. J’ai entendu les arguments sur le calendrier, qui ne serait pas approprié. Toutefois, mes chers collègues de l’opposition sénatoriale, c’est vous qui aviez la maîtrise du calendrier avant nous ! Pendant dix ans, vous aviez la majorité au Sénat et la logique démocratique aurait voulu que cette proposition de loi constitutionnelle soit inscrite à l’ordre du jour (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est fort juste !
Mme Christiane Demontès. Très bien !
M. Roger Madec. … même si vous étiez contre. Votre devoir était de l’inscrire à l’ordre du jour.
De grâce, ne nous opposez pas l’argument selon lequel les étrangers voulant voter n’ont qu’à se faire naturaliser (Mme Christiane Demontès s’exclame.), car nous voyons tous, dans nos permanences, des personnes le souhaitant qui n’y arrivent pas !
M. Claude Bérit-Débat. Tout à fait !
M. Roger Madec. Monsieur le ministre, depuis que vous avez réformé cette procédure et confié ce pouvoir régalien au préfet, les choses sont encore plus compliquées. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Roger Madec. Si l’on n’est pas ingénieur ou informaticien, on a peu de chances d’être naturalisé dans un délai raisonnable. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)
Aujourd’hui peut-être, demain à coup sûr, la communauté nationale, dont nous sommes les représentants, ouvrira bien grand les bras à toutes celles et tous ceux qui construisent avec nous le destin de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, plusieurs d’entre vous se sont émus de l’opportunité et du calendrier de cette proposition de loi constitutionnelle.
Force est de constater que le parti socialiste, avec une régularité d’horloger, depuis 1981, opportunément et systématiquement, remet cette question à l’ordre du jour, à la veille de chaque grande échéance électorale. (Marques de dénégation sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Mme Christiane Demontès. Ce n’est pas vrai !
M. Jean Desessard. C’est bon signe !
M. Claude Guéant, ministre. … ce fut le cas avec ce texte même que vous avez choisi d’inscrire à votre ordre du jour, et qui fut adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 3 mai 2000.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pour ce qui est des dates, c’est exact !
M. François Patriat. J’y étais !
M. Claude Guéant, ministre. Monsieur Rebsamen, je me permets de souligner que c’est non pas le Gouvernement, mais votre majorité qui remet ce point à l’ordre du jour.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Roland Courteau. Oui !
M. Claude Guéant, ministre. Ne nous dites pas que vous n’avez pas pu le faire avant. Il est vrai que François Mitterrand, Président de la République, après l’avoir inscrit dans les 110 propositions lorsqu’il était candidat, a estimé que les Français n’étaient pas prêts pour le droit de vote des étrangers et qu’il ne fallait donc pas le soumettre au vote.
Mme Catherine Tasca. C’était il y a trente ans !
M. François Patriat. Il a aboli la peine de mort !
Mme Christiane Demontès. Que disait M. Sarkozy en 2005 ?
M. Claude Guéant, ministre. Ce choix est, du reste, révélateur, il faut que les Français le sachent, de votre sens des priorités. Ils sont prévenus : alors même que l’Europe traverse une crise sans précédent, que tant d’autres sujets tenant aux conditions de vie quotidienne de nos compatriotes, à leur emploi, à notre économie,…
M. Roland Courteau. Bla-bla-bla !
M. Claude Guéant, ministre. … à l’accès au logement, à la question des choix énergétiques, à leur sécurité quotidienne sont en jeu, c’est au droit de vote des étrangers que va votre priorité ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Pierre Godefroy. Vous oubliez qu’on vient de voter le budget !
M. Claude Guéant, ministre. Je n’oublie pas qu’au soir des élections sénatoriales les principaux responsables du parti socialiste ont immédiatement déclaré à la télévision qu’on allait enfin pouvoir passer à cette priorité, qui s’imposait par rapport à toutes les autres.
Cette question touche à l’essence même de la République française, elle touche à l’essence de ce qui fait la nation.
Un sénateur de l’UMP. Exactement !
M. Claude Guéant, ministre. À ce titre, elle ne doit pas être prise à la légère, traitée comme une question électoraliste.
Monsieur Béchu, vous avez raison de souligner qu’on peut être en même temps républicain et hostile au droit de vote des étrangers aux élections locales. J’ajoute que l’on peut ne pas partager les idées du parti socialiste, tout en étant profondément républicain ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Pierre Godefroy. L’inverse est vrai aussi !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je ne conteste pas ce point, monsieur le ministre !
M. Claude Guéant, ministre. C’est souvent contesté, monsieur Sueur ! Voilà pourquoi je me permets de l’affirmer ! Il ne s’agit pas de vous, car, je le sais, vous êtes un vrai républicain.
Le Gouvernement, M. le Premier ministre l’a réaffirmé avec force tout à l’heure, est résolument hostile à cette proposition de loi constitutionnelle,…
Mme Éliane Assassi. On avait compris !
M. Claude Guéant, ministre. … d’abord pour des raisons tenant à la conception de notre droit.
Comme l’ont rappelé les sénateurs de la majorité gouvernementale, dans notre pays, depuis des siècles, la nationalité va de pair avec la citoyenneté : on vote parce que l’on est citoyen et on est citoyen parce que l’on est Français !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sauf pour les Européens !
M. Claude Guéant, ministre. Les socialistes – c’est la vision que leurs représentants nous ont exposée – veulent, au contraire, dissocier l’appartenance à la nation française de l’exercice de la souveraineté, en créant une citoyenneté de résidence.
Mme Marie-France Beaufils. C’est vous qui bradez la souveraineté !
M. Claude Guéant, ministre. C’est faire fi de l’essence même de nos institutions et de notre tradition républicaine, Roger Karoutchi l’a dénoncé de façon brillante tout à l’heure.
Mme Samia Ghali. Il ne faut pas exagérer, tout de même !
M. Claude Guéant, ministre. Je le répète, on vote parce que l’on est citoyen et on est citoyen parce que l’on est Français !
Mme Éliane Assassi. Et les Européens ? Votre démonstration ne tient pas !
M. Claude Guéant, ministre. On est citoyen non pas parce que l’on habite la France, mais parce que l’on partage le destin de la France. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat lève les bras au ciel.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Les étrangers contribuent au destin de la France !
M. Claude Guéant, ministre. Vous me permettrez, monsieur Madec, de dire que réduire le partage du destin de la France au fait de payer des impôts me semble étonnamment réducteur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les citoyens du lac Léman, qui ne paient pas d’impôts, eux, votent bien en France ! (Exclamations sur les mêmes travées.) C’est la vérité !
M. Claude Guéant, ministre. J’y viens, madame Borvo Cohen-Seat !
Vous affirmez que le traité de Maastricht aurait ouvert « une brèche » dans ce lien historique entre nationalité et citoyenneté. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
Au contraire, dans sa décision du 9 avril 1992, le Conseil constitutionnel le confirme, en soumettant l’adoption du traité à la modification de la Constitution en considérant que « seuls les nationaux français ont le droit de vote et d’éligibilité pour la désignation de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale de la République ».
D’aucuns arguent du fait qu’accorder ce droit serait une question de justice et mettrait fin à « l’apartheid politique », pour reprendre les mots de M. Placé,…
Mme Bariza Khiari. Il a raison !
M. Claude Guéant, ministre. … dans lequel se trouveraient les non-ressortissants de l’Union Européenne, par rapport aux ressortissants de l’Union.
Non, les étrangers se trouvant dans notre pays ne sont pas des citoyens de seconde zone, comme j’ai pu l’entendre à plusieurs reprises, car, tout simplement, ils ne sont pas des citoyens.
Mme Samia Ghali. Ils ne sont pas des citoyens ? Mais c’est grave ! Ce sont des extraterrestres ?
Mme Éliane Assassi. Ils paient des impôts !
M. Claude Guéant, ministre. Ils habitent dans notre pays, c’est vrai, mais ils n’en sont pas citoyens. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
M. Roland Courteau. Vous les traitez de sous-citoyens !
M. Claude Guéant, ministre. J’ajoute qu’ils ne sont pas non plus des sous-citoyens, comme cela a également été dit.
Le principe d’égalité, auquel vous vous référez, n’a jamais empêché de traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes.
Cette différence, c’est celle de la citoyenneté européenne, reconnue, au travers du traité de Maastricht, faut-il le rappeler, par le peuple français, qui s’est prononcé par la voie du référendum. À cet égard, je voudrais saluer la démonstration de M. Zocchetto sur ce point.
Il s’agit non pas d’un concept subjectif, mais bien d’un concept juridique. C’est l’aboutissement de la communauté de destin qui lie les Européens depuis 1957.
La citoyenneté européenne est conditionnée à la possession de la nationalité de l’un des États membres ; elle englobe donc la citoyenneté française. C’est pour cette unique raison que les citoyens européens ont un traitement différent des étrangers non européens. Il s’agit d’un choix politique construit et profond.
De surcroît, votre proposition introduit une étrange distorsion, certains l’ont souligné, entre européens et non européens. En effet, les premiers ne peuvent exercer leur droit de vote que sous condition de réciprocité, mais vous dispensez les seconds d’une telle condition. Vous introduisez donc une nouvelle discrimination et, à vrai dire, vous donnez aux étrangers extracommunautaires des droits supérieurs à ceux des étrangers citoyens de l’Union européenne. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Oh !
M. François Patriat. C’est la meilleure ! Vous poussez le cynisme à son comble !
M. Roland Courteau. Vous avez vu ça où, monsieur le ministre ?
M. Claude Guéant, ministre. Pour ce faire, vous invoquez notamment, mesdames, messieurs les sénateurs de la gauche, le renforcement de la cohésion sociale et de l’intégration qu’entraînerait l’octroi du droit de vote et d’éligibilité.
Notre vision de l’immigration et de l’intégration n’est pas celle-là.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On s’en est aperçu !
M. Claude Guéant, ministre. Notre politique, c’est de faire en sorte que les étrangers qui vivent dans notre pays et sont admis à y résider s’intègrent,
Mme Samia Ghali. Ils sont intégrés !
M. Claude Guéant, ministre. … qu’ils s’y sentent bien et que, dans le même temps, les Français soient à l’aise dans leurs relations avec eux.
Pour cela, comme certains l’ont rappelé, notamment Mme Assassi, mais je ne tire pas les mêmes conclusions qu’elle des informations qu’elle a données à la Haute Assemblée, les étrangers non communautaires ont d’ailleurs la plénitude des droits sociaux, au même titre que les Français, afin d’assurer leur participation à la vie économique et sociale de notre pays. (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Ils bénéficient des mêmes prestations de sécurité sociale, ils participent aux élections professionnelles, ils peuvent être délégués syndicaux,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce fut un long combat syndical !
M. Claude Guéant, ministre. … membres de comités d’entreprise ou bien électeurs aux prud’hommes.
Au terme du processus d’intégration, que la jouissance de ces droits favorise, un étranger peut, s’il le souhaite, obtenir le droit de vote et d’éligibilité, en devenant Français.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On en reparlera !
M. Claude Guéant, ministre. Cela suppose, bien sûr, qu’il adhère aux valeurs qui sont les nôtres. Cela suppose aussi, et je revendique cette exigence supplémentaire, qu’il parle le français. (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Après tout, quoi de plus normal qu’un Français parle le français ?
Mme Samia Ghali. Les étrangers le parlent, ne vous inquiétez pas !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et mieux que les Anglais en général !
Mme Éliane Assassi. Surtout quand ils sont en France depuis quarante ans !
M. Luc Carvounas. Que disait M. Sarkozy en 2005 ?
M. Claude Guéant, ministre. Il est paradoxal de vouloir donner une tranche de citoyenneté, je dis bien « une tranche de citoyenneté », à quelqu'un qui n’émet pas le souhait de devenir Français et de se lier à notre communauté de destin, alors qu’il en a la possibilité.
Cela n’empêche pas, monsieur Mézard, je vous rejoins tout à fait, que nous avons tous le devoir de respecter toutes les personnes de nationalité étrangère admises et accueillies chez nous et de faire en sorte qu’elles vivent à l’aise dans notre pays.
Mme Samia Ghali. C’est très gentil de votre part, monsieur le ministre…
M. Claude Guéant, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en viens à un autre point qui a été évoqué : oui, il existe bien, aux yeux du Gouvernement, des risques communautaristes intrinsèques à une telle proposition.
M. Roger Karoutchi. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Non !
M. Claude Guéant, ministre. La commune gère des questions essentielles, dont on ne peut minorer l’importance. Vous proposez de soumettre la gestion des services publics à des personnes, qui, parce qu’elles n’appartiennent pas à la nationalité française, n’en partagent pas forcément les valeurs.
M. David Assouline. Tous ceux qui sont présents sur notre territoire doivent respecter nos valeurs !
M. Claude Guéant, ministre. La citoyenneté, comme la souveraineté, ne se divise pas. M. Retailleau a tout à l’heure insisté sur ce sujet.
Comment peut-on banaliser ainsi, au sein de ce que Clemenceau appelait le « Grand conseil des communes de France », les décisions de la vie locale ? Comme si participer à la vie locale dans les élections municipales était de peu d’importance.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas ce que nous disons !
M. Claude Guéant, ministre. Les communes de France sont aussi porteuses des grands principes de la République et elles les mettent en œuvre dans les décisions qu’elles prennent.
Mme Éliane Assassi. Et alors ?
M. Jean-Pierre Godefroy. Justement, a fortiori !
M. Claude Guéant, ministre. Imaginons ce qui pourrait se passer sur plusieurs sujets, que certains d’entre vous, notamment M. Béchu, ont déjà mentionnés.
Prenons un débat sur les cantines scolaires : ne risquerait-il pas d’aboutir à des règles relatives au fonctionnement des cantines et à l’alimentation des enfants qui soient contraires au principe de laïcité ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. David Assouline. C’est n’importe quoi !
M. Jean-Pierre Godefroy. Les maires gèrent ces problèmes au quotidien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Moi-même j’ai longtemps mangé du poisson le vendredi !
M. Claude Guéant, ministre. Évoquons les délibérations susceptibles d’être prises en matière de fréquentation des piscines : ne court-on pas le danger d’avoir un règlement contraire à l’égalité des droits entre les hommes et les femmes ?
M. Philippe Esnol. Vous ne connaissez pas les réalités locales, monsieur le ministre !
Mme Éliane Assassi. Il n’est même pas élu !
M. Claude Guéant, ministre. Je le dis solennellement, offrir la possibilité d’une représentation communautaire au sein des conseils municipaux ouvre la voie au communautarisme. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Éliane Assassi. Ça, c’est raciste !
Mme Samia Ghali. Rejoignez donc Marine Le Pen ! (Oh ! sur les travées de l’UMP.)
M. Luc Carvounas. La chasse aux voix de l’extrême droite est ouverte !
M. Claude Guéant, ministre. Par ailleurs, je voudrais réfuter un certain nombre d’affirmations qui ont été lancées tout à l’heure par différents intervenants, en particulier par MM. Rebsamen et Leconte.
Jamais je n’ai dit que la proposition de loi constitutionnelle débattue aujourd'hui pouvait se traduire par l’élection de maires étrangers. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Si, vous l’avez dit !
Mme Éliane Assassi. À la radio !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Partout !
M. Claude Guéant, ministre. Je sais lire, en l’occurrence sept lignes, et je répète ce que je viens de dire ! J’ai simplement fait allusion à un accord passé entre le parti socialiste et les Verts, lequel prévoit expressément le droit de vote et d’éligibilité des étrangers.
M. Michel Savin. Oui !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Aux élections municipales !
M. Claude Guéant, ministre. Référez-vous donc à ceux qui ont déjà travaillé sur la question, vous vous apercevrez que M. Mamère, dans le rapport qu’il a déposé lors de la discussion de la proposition de loi constitutionnelle en 2000, a bien évoqué d’autres étapes à venir.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas dans le texte d’aujourd'hui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Mamère n’est pas sénateur !
M. Claude Guéant, ministre. Pour prendre une référence plus actuelle, je citerai M. Placé, qui, tout à l’heure, n’a pas démenti le fait que d’autres étapes étaient envisagées.
M. André Reichardt. Exactement !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sont les parlementaires qui votent, ce n’est pas vous, monsieur le ministre !
M. Claude Guéant, ministre. Alors, bien sûr, il y a une petite difficulté dans cette affaire, c’est que je n’avais consulté que le site des Verts pour prendre connaissance de l’accord. Or quand vous consultez aussi celui du parti socialiste (Mme Christiane Demontès s’exclame.), vous découvrez que le texte n’est pas le même : il paraît que c’est tout de même un accord… (Sourires et applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – M. Gérard Larcher lève les bras au ciel. – Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. David Assouline. Ce n’est pas à la hauteur !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. S’il fallait se fier à ce que disent les membres de l’UMP, on en ferait des montagnes !
M. Claude Guéant, ministre. Le risque de communautarisme que je souligne est d’autant plus fondé que, ne l’oublions pas, dans le projet du parti socialiste, il est prévu de régulariser les étrangers qui se trouvent en France en situation irrégulière.
M. Éric Doligé. Ah !
M. David Assouline. Mais vous aussi, vous les régularisez !
M. Jean-Pierre Godefroy. Vous n’êtes pas dans un meeting électoral, monsieur le ministre, vous êtes au Sénat !
M. Claude Guéant, ministre. Cela est écrit et a même fait l’objet d’un vote à l’unanimité lors d’une convention du parti socialiste.
Je le précise, parce que je suis honnête, cette proposition est assortie d’une condition : une telle régularisation se fera sur des critères clairs et transparents.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
Mme Christiane Demontès. Ce n’est pas le sujet !
M. Claude Guéant, ministre. La traduction a été donnée par la première secrétaire du parti socialiste, interrogée sur le sujet. Elle a répondu qu’elle ferait comme M. Zapatero en Espagne, lequel a régularisé tout le monde : 800 000 régularisations. Voilà l’exacte vérité !
M. David Assouline. Ce n’est pas vrai !
M. Michel Berson. Nouveau mensonge !
M. Robert Hue. Ce n’est pas une estrade électorale, monsieur le ministre !
M. Claude Guéant, ministre. On ne peut même pas exclure qu’il n’y ait aucun lien entre les travaux d’une association qui revendique sa proximité avec le parti socialiste, sa qualité de pourvoyeuse d’idées…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ça recommence avec Terra Nova…
M. Claude Bérit-Débat. Vous l’avez pourtant sous-entendu !
M. Claude Guéant, ministre. … mais il n’en est pas moins vrai qu’elle s’érige en inspiratrice d’un certain nombre de ses décisions.
Cela a été dit tout à l’heure, l’association en question a relevé que la classe ouvrière avait déserté peu à peu les rangs du parti socialiste. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Elle en a tiré cette conclusion dans un rapport : le parti doit se saisir d’une nouvelle catégorie de la population, à savoir les étrangers, qui sont censés voter davantage à gauche ; en conséquence, il faut leur faciliter l’accès au vote en commençant, pourquoi pas, par les élections municipales. (Brouhaha continu sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. David Assouline. Approximation !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Guéant est en meeting !
Mme Christiane Demontès. Il est avec l’extrême droite !
M. Robert Hue. Vous n’avez jamais été élu, cela se voit !
M. Pierre Charon. Présidez, monsieur le président, présidez !
M. Claude Guéant, ministre. Le risque de communautarisme, mesdames, messieurs les sénateurs, est réel, et c’est pourquoi le Gouvernement, qui veille au respect de nos principes républicains, s’oppose fermement à cette proposition. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
Le communautarisme ne fait pas partie de la République !
Mme Christiane Demontès. Ce n’est pas la question !
M. Claude Guéant, ministre. J’ai même entendu ce mot à gauche !
Vous invoquez aussi l’argument selon lequel la France serait archaïque,…
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Elle l’est un peu.
M. Claude Guéant, ministre. … voire moins démocratique, car elle n’appliquerait pas ce que nombre de ses voisins font déjà. Cet argument me semble audacieux.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. De l’audace, toujours de l’audace…
M. Claude Guéant, ministre. Beaucoup d’entre vous en ont déjà souligné la limite. Il n’existe pas de modèle unique européen auquel nous devrions nous soumettre.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sauf en matière financière !
M. David Assouline. Sauf la règle d’or !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes mal placés à l’UMP pour affirmer cela !
M. Claude Guéant, ministre. Les choix des pays sont la résultante d’histoires et de traditions politiques extrêmement différentes.
Tout à l’heure, il a bien été montré, sur les travées de la droite, à quel point les études de droit comparé auxquelles vous vous étiez livrés étaient sommaires.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Allons bon !
M. Claude Guéant, ministre. Je dirai, très franchement, que la France n’est pas moins démocratique que l’Irlande parce qu’elle n’accorde pas le droit de vote aux étrangers. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
Il est absurde de classer les démocraties et juger de leur qualité selon un seul critère de ce genre. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
M. Gérard Larcher. Bien sûr !
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement, je le rappelle, a une volonté politique en matière d’immigration, celle de réussir l’intégration.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Allons bon !
M. Luc Carvounas. Kärcher !
Mme Samia Ghali. Ce n’est pas réussi !
Mme Christiane Demontès. Jusqu’à présent, c’est même raté !
M. Claude Guéant, ministre. C’est l’absence de politique d’intégration et l’absence de toute politique de contrôle de l’immigration qui ont abouti à la constitution de véritables ghettos, lesquels ne font pas honneur à notre République.
Mme Christiane Hummel. C’est vrai !
M. Claude Guéant, ministre. Le communautarisme, c’est l’exact opposé des valeurs françaises. La France refuse la juxtaposition de communautés séparées et l’État a le devoir de veiller au respect d’une République une et indivisible.
Le Gouvernement refuse que l’on prenne le risque de voir créées des tensions supplémentaires dans notre pays, de voir remis en cause les principes les plus fondamentaux, les plus structurants de notre vie républicaine. Il rejette l’idée d’instaurer une citoyenneté partielle.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour être citoyen à part entière, il faut être Français : c’est tout simple ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
(M. Jean-Pierre Raffarin remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin
vice-président
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
M. Roger Karoutchi. Pourquoi ?
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Monsieur le ministre, je veux vous poser une question. La réciprocité et le communautarisme sont des thèmes éculés. Quand bien même vous en parlez, il n’y aura pas plus de communautarisme demain qu’il n’y en a maintenant !
M. Roger Karoutchi. Si !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Je tiens d’ailleurs à rappeler à M. Béchu certains de ses propos, qui sont consignés dans mon rapport. Lors de l'examen du texte en commission, voici ce qu’il avait déclaré : « Ne prêtez pas au vote des étrangers des vertus qu’il n’a pas et évitons les phantasmes ! Il n’ouvre pas la porte à tous les communautarismes, pas plus qu’il n’est en soi un moyen d’intégration ».
Je m’aperçois que la droite change d’avis suivant les circonstances. (M. Christophe Béchu fait un signe de dénégation.) La commission s’est réunie il y a dix jours à peine ! Quoi qu’il en soit, je me refuse à répondre à tous ceux qui reprennent ces thèmes éculés, notamment celui de la réciprocité.
M. Roger Karoutchi. Il y a un règlement, monsieur le président !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Monsieur Gérard Larcher, je vous ai écouté, laissez-moi parler ! (Il n’a pas parlé ! et exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.) Disons que je vous ai entendu maintenant ! (Sourires.) Franchement, on se croirait dans une cour de récréation !
Monsieur le ministre, vous ne cessez de répéter que ce n’est pas le moment de discuter du droit de vote des étrangers, au prétexte que la France aurait de nombreux problèmes à affronter. (M. Roger Karoutchi s’exclame.) Monsieur Karoutchi, vous, je vous ai entendu (Nouveaux sourires.), laissez-moi parler, je vous prie !
M. le président. Madame le rapporteur, vous avez la parole.
M. Roger Karoutchi. Pourquoi ?
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Monsieur le ministre, vous nous renvoyez sans arrêt à la loi Ciotti : elle n’est pas sitôt repartie qu’elle nous revient déjà ! Que je sache, 166 mômes que l’on va placer dans les EPIDE, en quoi est-ce le grand problème de la France ? Ce n’est qu’une loi d’affichage !
En revanche, répondez à ma question : pourquoi avez-vous changé d’avis ? Comme le disait la droite voilà trois ou quatre ans à peine, vous avez vous-même affirmé récemment, à l’occasion d’un déplacement à Milan, que vous n’étiez pas contre ce droit de vote, mais que la France n’était pas mûre.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Maintenant, la France l’est puisque 61 % des Français sont d’accord ! (M. Jean-Pierre Michel et Mme Odette Duriez applaudissent. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Dallier. Référendum !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Répondez à ma question, monsieur le ministre !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Madame la rapporteure, je ne vous répondrai que sur un seul point. Je m’inscris totalement en faux contre ce que vous avez dit : non, le communautarisme n’est pas un thème éculé ; oui, il faut avoir cette réflexion à l’esprit, car ce thème reste pleinement d’actualité tant il est grave et lourd de sens pour notre communauté nationale.
Vous avez sans doute lu, puisque vous vous passionnez pour ces questions – à juste titre, parce qu’elles sont tout à fait passionnantes –, le rapport piloté par Gilles Kepel sur la situation de deux communes en Seine-Saint-Denis.
Mme Éliane Assassi. Ah !
M. Claude Guéant, ministre. Je trouve qu’il est extrêmement grave que, dans notre République, puisse poindre le spectre de collectivités qui n’obéissent plus aux lois de la République,…
Mme Christiane Demontès. Et quand le Président de la République parle de Kärcher ?
M. Claude Guéant, ministre. … qui préfèrent être régies par leurs propres lois ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. le président. Nous passons à la discussion des motions.
M. Christophe Béchu. Je demande la parole, monsieur le président.
M. le président. Monsieur Béchu, je vous donnerai la parole tout à l’heure.
M. Christophe Béchu. J’ai été mis en cause, monsieur le président !
M. le président. Les prises de parole pour fait personnel ont lieu en fin de séance, monsieur Béchu. J’ai bien noté votre demande.
Mlle Sophie Joissains. L’attaque a été publique !
M. Christophe Béchu. Je ne demande qu’une minute, monsieur le président.
M. le président. Même pour une minute, je ne puis vous donner la parole en cet instant, mon cher collègue. Le problème, dans ce genre de débats, c’est que les minutes ont facilement tendance à s’accumuler !
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Hyest et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n°1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France (n° 143, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, auteur de la motion.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, même si, bien entendu, cette proposition de loi constitutionnelle a peu de chances d’aboutir,…
M. Gérard Larcher. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. … dans l’immédiat tout du moins,…
M. Éric Doligé. On l’espère !
M. Jean-Jacques Hyest. … et même dans un proche avenir, est-ce bien l'objectif recherché par ses auteurs ?
Mme Christiane Demontès. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Rien n’empêche de débattre de la question ! C’est d’ailleurs ce que nous faisons depuis de nombreuses années.
Personnellement, je déplore l’instrumentalisation de cette question par la majorité de notre assemblée.
Mme Éliane Assassi. Cela a déjà été dit maintes fois !
M. Jean-Jacques Hyest. Oui, mais j’ai le droit de le dire aussi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oh que oui ! Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. Nous pouvons d’ailleurs nous interroger.
Le clivage entre les opinions diverses n’est pas aussi simple qu’il y paraît.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest. En effet, certaines personnalités ont dit qu’elles étaient favorables à ce vote, tandis que d’autres faisaient savoir qu’elles ne l’étaient pas. Personnellement, j’y ai toujours été défavorable, je vous expliquerai tout à l’heure pourquoi.
Mon cher collègue Placé,…
M. Gérard Larcher. Il est parti !
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Il est à la télé !
M. Jean-Jacques Hyest. Je crois vraiment que M. Placé a mal lu l’ouvrage de Bernard Stasi dont je m’honore d’avoir été l’ami fidèle.
Je pense qu’on ne peut pas utiliser des arguments faux, car Bernard Stasi était partisan de favoriser l’acquisition de la nationalité française, et certainement pas pour faire des étrangers des citoyens de seconde zone ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. David Assouline. C’est vrai !
Mme Marie-France Beaufils. Personne n’a parlé de Bernard Stasi !
M. Jean-Jacques Hyest. C’est M. Placé qui l’a cité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On pourrait parler de Philippe Séguin !
M. Jean-Jacques Hyest. Comme beaucoup d’entre vous, je me suis replongé dans une lecture extrêmement intéressante, celle des débats sur l’actuel article 88–3 de la Constitution en 1992, lequel n’a donné lieu à une loi organique d’application qu’en 1998. C’est assez dire que le temps médiatique ne s’accorde pas souvent avec le temps législatif. J’ajoute, bien entendu, qu’aucune proposition de loi constitutionnelle n’a jamais abouti. Aucune ! Cela signifie bien qu’on est dans un autre débat. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
On pourrait m’objecter que l’exception d’irrecevabilité n’est pas pertinente. M. le président de la commission des lois ne m’a pas encore dit : où est l’inconstitutionnalité ? Mais il va bientôt le faire !
S’agissant d’une proposition de loi constitutionnelle, l’exception d’irrecevabilité n’est pas pertinente.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Voilà ! Vous avez tout dit !
M. Jean-Jacques Hyest. Attendez ! Et même si le juge constitutionnel n’a pas à se prononcer sur la conformité à la Constitution d’une norme constitutionnelle,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Voilà !
M. Jean-Jacques Hyest. … il doit le faire obligatoirement sur les lois organiques.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous n’en sommes pas là !
M. Jean-Jacques Hyest. D’où l’importance d’une rédaction précise et claire des dispositions constitutionnelles, sauf à rendre impossible le contrôle par le juge constitutionnel.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Et voilà !
M. Jean-Jacques Hyest. Rien n’empêche, ne vous en déplaise, monsieur le président Sueur, de relever les contradictions qui existent entre la proposition de loi et les autres dispositions constitutionnelles concernant la citoyenneté et le droit de vote.
La règle essentielle dans ce domaine est inscrite à l’article 3 de la Constitution qui précise, dois-je vous le rappeler, que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ou par la voie du référendum. » Plus loin, dans ce même article, on lit surtout que « Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. » On fait ici référence à ce que les anglo-saxons appelleraient les « droits civiques ».
Il apparaît clairement que votre texte, renvoyant, certes, à une loi organique, n’a pas la même exigence que ce qui fait la règle générale pour avoir la qualité d’électeur, ce qui est paradoxal, mais en vous étant calqué sur l’article 88–3, vous n’avez pas défini les règles essentielles et constitutionnelles pour les électeurs étrangers, qui sont imposées pour les citoyens français.
Par ailleurs, et c’est sûrement ce qui nous différencie de votre approche, – vous l’avez très bien rappelé tout à l’heure, monsieur le ministre – c’est la différence existant entre les ressortissants de l’Union européenne et les étrangers – au moins en situation régulière et dont la durée de séjour est suffisante. Car il existe une véritable citoyenneté européenne qui confère à ceux-ci des droits spécifiques et politiques. Madame le rapporteur, vous avez bien cité la décision de 1992.
Il ne s’agit pas seulement de la participation des citoyens européens aux élections municipales, il s’agit, surtout, et je crois que c’est le plus important, de leur participation aux élections au Parlement européen. Je vous renvoie, d’ailleurs, à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en ses articles 39 et 40, qui précisent le droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen des citoyens de l’Union européenne : « dans les mêmes conditions » que les ressortissants de l’État membre où il réside. On exige les mêmes conditions !
L’article 40 répond aux mêmes exigences. La combinaison de la conformité du droit de vote des étrangers européens à celui des nationaux constituant une exception – d’où le terme « seuls » que vous souhaitez supprimer à l’article 88–3 – au principe de l’article 3, et sous réserve de réciprocité, reconnaît donc bien la spécificité de la citoyenneté européenne, dont les traités successifs ont d’ailleurs affirmé l’existence de droits civils particuliers ; je pense, par exemple, à la liberté de circulation, à la liberté d’installation. Les citoyens européens ont des droits que n’ont pas les autres étrangers. Souhaitez-vous que ces mêmes principes s’appliquent à tous les étrangers, c’est-à-dire qu’ils puissent circuler librement et passer à leur gré toutes les frontières ?
Rien dans votre texte ne précise les mêmes conditions pour être électeur que les citoyens français ou européens, et il nous semble que la loi organique n’est pas la garantie de règles en matière de droit de vote, même s’il s’agit d’élections locales.
Pas d’exigence d’avoir des droits civils et politiques – comment les vérifier, d’ailleurs ? –, pas de réciprocité, même pas la condition de majorité civile, ce qui, vous en conviendrez, est paradoxal !
Je me suis posé une question. L’article 88–3 fait mention d’« une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées. » En effet, cette loi concerne le Sénat en ce sens que, indirectement, même si c’est négativement, cela concerne l’élection des délégués sénatoriaux.
M. Claude Léonard. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Et nous sommes très attachés, du moins je l’espère, à nos prérogatives. Ce qui a été fait pour le texte de 1992 aurait dû être étendu, au nom du parallélisme, puisque votre texte pose les mêmes conditions.
C’est pourquoi, sur le plan de la logique juridique et de la cohérence des dispositions constitutionnelles, votre texte est contradictoire et inapplicable. Mais vous n’en avez sans doute cure.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pas du tout !
M. Jean-Jacques Hyest. En effet, votre objectif n’est pas là puisqu’il est uniquement politicien. (M. Éric Doligé opine et Mlle Sophie Joissains applaudit.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Non ! Ce n’est pas très relevé, comme argument !
M. Jean-Jacques Hyest. Reste une question fondamentale que le rapport de Mme Benbassa étudie un peu, en citant quelques constitutions anciennes alors que la tradition constante de notre pays est de lier citoyenneté et droit de vote. Parmi ces constitutions, il en est qu’il ne faut pas lire complètement, la Constitution votée par la Convention, par exemple. Je le dis, franchement, chaque fois que je la lis, j’en ai froid dans le dos !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je sais !
M. Jean-Pierre Michel. Kaput !
M. Jean-Jacques Hyest. Je vous la lirai, monsieur Michel ! (M. Jean-Pierre Michel s’exclame.) On y disait aussi qu’on pouvait tout de suite, sans jugement, « zigouiller » les hommes libres !
M. Bruno Retailleau. Formidable !
M. Jean-Jacques Hyest. Une période formidable, en effet !
D’aucuns ont fait allusion à quelque chose de très intéressant : tous ceux qui venaient en France et qui s’associaient parce qu’il s’agissait de gens remarquables – il y en a eu heureusement beaucoup dans l’Histoire ! – devenaient automatiquement citoyens français. Je suis tout à fait d’accord pour qu’un grand prix Nobel, désireux de s’installer en France, se voie accorder la nationalité. Cela ne me choque pas du tout ! Telle est en effet notre caractéristique.
La distinction entre les Droits de l’homme et du citoyen que fait le préambule de 1789 implique à la fois le respect de toute personne dans ses droits fondamentaux, mais réserve le droit de vote aux citoyens, détenteurs seuls de la souveraineté, ce que rappelle l’article 3 de notre constitution, après beaucoup d’autres, depuis près de deux siècles.
M. Bruno Retailleau. Exactement !
M. Jean-Jacques Hyest. L’argument pour accorder le droit de vote aux étrangers résidant en France, parce qu’ils paient des impôts et que leurs enfants vont à l’école, ne tient pas.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. C’est vous qui le dites !
M. Jean-Jacques Hyest. Car il peut y avoir des citoyens français qui ne paient pas d’impôts…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les citoyens du Lac Léman, par exemple !
M. Jean-Jacques Hyest. … et qui n’ont pas d’enfants.
M. Éric Doligé. C’est juste ! Il faut les faire voter.
M. Jean-Jacques Hyest. Ceux-là ne votent pas. Qu’est-ce que cela signifie ? Pour être électeur, il ne suffit pas d’avoir des prestations ou de participer à un certain nombre de choses. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
La question pertinente est celle-ci : existe-t-il une citoyenneté locale différente de la citoyenneté ? Toute notre histoire politique a été, tout en admettant les diversités locales, de constituer une nation unique, dont les citoyens sont les acteurs.
On me donne souvent des comparaisons internationales en ce qui concerne le vote des étrangers aux élections locales. D’abord, il n’est pas aussi répandu que vous l’affirmez. Il a même fallu chercher des cantons suisses !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les cantons suisses, c’est très important !
M. Jean-Jacques Hyest. Ensuite, je vous rappellerai que, dans un certain nombre de pays, ce vote des étrangers aux élections locales – et j’en suis profondément troublé – a entraîné du communautarisme (Mme Éliane Assassi s’exclame.) et la montée des extrêmes droites !
M. Éric Doligé. Eh oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et en France, comment l’expliquez-vous, la montée de l’extrême droite ?
M. Jean-Jacques Hyest. Voulez-vous que je vous cite un certain nombre d’exemples en Europe ? (Oui ! sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Jean-Jacques Hyest. Les Pays-Bas,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et vous allez nous faire croire que la montée de l’extrême droite en France, c’est pour les mêmes raisons ?
M. Jean-Jacques Hyest. C’est pareil ! C’est le même processus !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela suffit ! On sait très bien comment s’explique la montée de l’extrême droite en France !
M. Jean-Jacques Hyest. Ne hurlez pas ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Si vous l’encouragez, cela va continuer à monter,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec vous, ça va monter, oui !
M. Jean-Jacques Hyest. … mais c’est peut-être ce que vous cherchez !
Bien souvent, cette participation des étrangers aux élections locales se fait sous réserve de réciprocité, excepté, bien entendu, dans les pays du Commonwealth, héritiers de la colonisation britannique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comme s’il n’y avait pas eu de colonies françaises !
M. Jean-Jacques Hyest. Je le rappelle, nous connaissons bien ce cas spécifique, avec la réintégration de certaines personnes issues de pays antérieurement français dans la nationalité française.
Mme Éliane Assassi. Pas tous !
M. Jean-Jacques Hyest. Puisqu’on y a mis fin, vous le savez fort bien, madame Assassi, et, d’ailleurs, par des gouvernements de gauche ! (Mme Éliane Assassi s’exclame.) Je parle de la réintégration ; c’était autre chose !
Mais ce qui nous différencie profondément d’autres États, c’est notre droit de nationalité.
M. Jean-Jacques Hyest. J’ai relu avec attention les travaux de la commission de la nationalité présidée par Marceau Long – je vous en conseille d’ailleurs la lecture –, parus en 1988, qui sont très éclairants pour notre sujet.
M. Bruno Retailleau. Oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Même si beaucoup d’États européens ont progressivement renoncé au seul « droit du sang », et même si l’opposition entre le droit du sol et le droit du sang n’a jamais été pertinente dans notre droit, il faut convenir que nous avons des conditions d’accès à la nationalité qui demeurent, à l’exception du cas particulier des États-Unis, les plus ouvertes en Europe. On pourra m’objecter que c’est de plus en plus compliqué. Parfois, je regrette la multiplication des obstacles. Il faut, bien sûr, éviter les fraudes mais je pense que notre pays devrait être plus offensif dans ce domaine pour acquérir la nationalité française. C’est toujours ce que j’ai défendu.
M. François Rebsamen. C’est bien !
M. Jean-Jacques Hyest. La nationalité est fondée essentiellement sur l’élection – beaucoup d’auteurs le disent, élire, c’est choisir. En une période où l’intégration des étrangers est plus difficile, pour des raisons sociales et économiques, faut-il renoncer à considérer que les étrangers installés durablement sur notre sol, pour devenir citoyens, peuvent le faire en devenant français ? On ne saucissonne pas la citoyenneté, comme le rappelait récemment le ministre Jean-Pierre Chevènement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le cas pour les Européens !
M. Jean-Jacques Hyest. J’ai expliqué que la citoyenneté européenne existe !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Non, elle n’existe pas !
M. Jean-Jacques Hyest. Ne créons pas, par une réforme mal conçue, une citoyenneté à deux vitesses, l’une purement utilitariste, l’autre, qui est la vraie spécificité de notre pays et sa grandeur depuis de nombreux siècles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. Bruno Retailleau. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, contre la motion.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous connaissons tous les qualités de juriste de Jean-Jacques Hyest.
M. Bruno Retailleau. Elles sont évidentes !
M. Jean-Pierre Sueur. Et nous avons eu beaucoup de sympathie pour lui, en l’occurrence, car, comme il a commencé à dire, à très juste titre, qu’il n’y avait pas de fondement à déférer devant le Conseil constitutionnel une loi constitutionnelle, tout était dit au bout de la troisième minute si bien qu’après, naturellement, il fallait, en quelque sorte, meubler ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Il l’a fait avec sa conviction mais avec des arguments qui étaient quelque peu ébréchés par sa déclaration initiale.
Mes chers collègues, je vais revenir sur cette question, qui a traversé tout le débat, du rapport entre nationalité et citoyenneté, en redisant que dans les sources historiques de notre République, il y a des conceptions de la citoyenneté qui ne sont pas liées à la nationalité.
C’est évident : vous n’aimez pas, je l’ai bien compris, que l’on cite la constitution de l’An I (Mme Joëlle Garriaud-Maylam s’exclame.), qui fait pourtant partie de notre histoire. M. Bruno Retailleau ne l’aime pas non plus.
M. Bruno Retailleau. C’est vrai ! Je n’aime pas la Terreur !
M. Jean-Pierre Sueur Nous pourrions, si vous le voulez, monsieur Hyest, nous en tenir à la Constitution du 3 septembre 1791, qui, comme vous le savez, dispose dans son article 3 que « Ceux qui, nés hors du royaume de parents étrangers, résident en France, deviennent citoyens français, après cinq ans de domicile continu dans le royaume, s’ils y ont, en outre, acquis des immeubles ou épousé une Française […] »
Pour ma part, j’aurais plutôt inversé l’ordre, de sorte que l’on puisse lire : « épousé une Française ou acquis des immeubles » ! (Sourires.)
Quoi qu’il en soit, monsieur Hyest, voici ce que M. Marceau Long, éminent vice-président du Conseil d’État que vous avez vous-même cité, écrit sur la nationalité : « Après 1791, la notion finit par être absorbée par celle de citoyenneté, tant est puissant l’idéal d’universalité et d’internationalisme de l’Assemblée législative ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Et Marceau Long ajoute : « Tout homme fidèle aux idées révolutionnaires, quelle que soit son origine, est digne d’être citoyen ».
M. Bruno Retailleau. C’est le sens de la naturalisation : adhérer à un projet collectif.
M. Jean-Pierre Sueur. La Constitution du 3 septembre 1791 est l’une des sources de notre histoire, de la même manière que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, dont vous savez qu’elle continue à faire partie de notre bloc de constitutionnalité.
Il est vrai, monsieur Hyest, que la proposition de loi constitutionnelle déroge aux articles 3, 24 et 72 de la Constitution, c’est une évidence. Mais vous n’ignorez pas que, dans sa décision du 2 septembre 1992, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il est loisible au pouvoir constituant « d’abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu’il estime appropriée » et qu’« ainsi rien ne s’oppose à ce qu’il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu’elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle », ajoutant que « cette dérogation peut être aussi bien expresse qu’implicite ».
Enfin, monsieur Hyest, puisque vous avez également fait allusion à l’alinéa 5 de l’article 89 de la Constitution…
M. Jean-Jacques Hyest. Pas du tout !
M. Jean-Pierre Sueur. Il m’avait semblé… Disons donc que, dans l’hypothèse où vous vous seriez appuyé sur cette disposition, votre démarche aurait été vouée à l’échec. En effet, dans sa décision du 26 mars 2003, le Conseil constitutionnel a jugé que « le Conseil constitutionnel ne tient ni de l’article 61, ni de l’article 89, ni d’aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle. »
Pour finir tout à fait, mon cher collègue, j’observe que la dernière partie de votre argumentation portait sur une loi organique à venir… Ce n’est pas la question qui se pose aujourd’hui !
À la vérité, comme vous savez bien que rien ne permet de déclarer inconstitutionnelle la présente proposition de loi constitutionnelle, vous vous retranchez derrière une future et éventuelle loi organique… N’ayez crainte ! Comme loi organique, elle sera forcément soumise au Conseil constitutionnel : vos soins et vos soucis auront donc été des précautions inutiles !
Je considère donc, mes chers collègues, qu’il n’y a pas d’argument pour voter la motion de M. Jean-Jacques Hyest tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. Pouvons-nous considérer, monsieur le président de la commission des lois, que vous avez exprimé l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. En quelque sorte, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutient la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Comme vient de le reconnaître M. Sueur, un problème de cohérence existe entre la mesure proposée et d’autres dispositions qui continueraient de figurer dans la Constitution, notamment son article 1er, qui dispose : « La France est une République indivisible ». La France n’est pas une mosaïque de communautés ! (M. David Assouline s’exclame.)
Je veux aussi citer l’article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Dans l’exercice de cette souveraineté, les élections locales ne sont pas distinguées des élections nationales.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, il va de soi que les sénateurs du groupe UMP voteront la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Assurément, la proposition de loi constitutionnelle pose problème : son adoption introduirait des contradictions dans notre Constitution. Ses auteurs entendent modifier celle-ci sur une question fondamentale, au détour d’une mesure présentée habilement et empreinte de bons sentiments. Avec le talent que nous lui connaissons, notre collègue Jean-Jacques Hyest vient de le démontrer.
En plus d’entrer en contradiction avec certaines dispositions de la Constitution, la proposition de loi constitutionnelle porte atteinte aux principes hérités de la longue histoire de la fondation de notre pacte républicain ; elle porte atteinte à notre définition de la Nation et de la citoyenneté.
L’article 1er de notre loi fondamentale, qui figure dans le titre relatif à la souveraineté, dispose en effet, je le cite à mon tour, que la France « est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
Pour en arriver là, il aura fallu aux républicains plus de deux siècles de luttes parfois acharnées. Aujourd’hui, plus personne ne songerait à remettre en cause ce grand principe. Encore faudrait-il ne pas lui porter atteinte…
Or, à nos yeux, la proposition de loi constitutionnelle porte en elle les ferments d’une possible division de notre République.
Comment ne pas voir qu’elle constitue potentiellement un vecteur du communautarisme, ce communautarisme que nous devons combattre à tout prix si nous souhaitons que la République, à laquelle nous sommes tous attachés, ne s’effiloche pas sur des pans entiers du territoire national ?
Nous sommes nombreux sur ces travées à être confrontés, dans nos communes, à l’essor de revendications émanant de catégories d’individus qui, à un titre ou à un autre, s’organisent pour peser sur les choix politiques locaux.
Mes chers collègues, ne nous cachons pas la réalité : l’octroi du droit de vote aux étrangers non communautaires, présenté par ses défenseurs comme un facteur d’intégration, porte au contraire le risque d’encourager le repli identitaire, contraire à l’unité de la République et à ses valeurs.
Dans nos banlieues, la mixité sociale est un enjeu crucial. La ségrégation territoriale y est malheureusement une réalité. Prenons garde qu’elle ne se double d’une ségrégation territoriale à base ethnique. Êtes-vous certains, chers collègues, vous qui parlez d’intégration, que votre projet n’y contribuerait pas ?
Je regrette sincèrement que certains, qui exaltaient et défendaient autrefois la République une et indivisible et ses textes fondateurs, comme la loi de 1905, s’écartent aujourd’hui de cet héritage, prenant le risque de détricoter les fondements de notre pacte républicain…
L’article 3 de la Constitution définit expressément comme électeurs « tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ». La règle est simple, clairement énoncée : pour voter, il faut être Français !
Le droit de voter est la plus haute manifestation de l’appartenance à notre nation. À ce titre, il est indissociable de la citoyenneté et de la nationalité françaises : nous ne sommes manifestement plus, gauche et droite, d’accord sur ce point.
Mais ce choix politique et institutionnel, c’est celui de nos pairs, qui ont consacré la Nation comme seule détentrice de la souveraineté.
Ce choix est au cœur de notre socle républicain et aucun des constituants successifs ne l’a jamais remis en cause. Vous avez changé d’avis : les Français jugeront !
Le droit de désigner les représentants du peuple français, au niveau national comme au niveau local, et ainsi de participer à l’exercice de la souveraineté nationale, ne peut appartenir qu’au peuple français.
Pour obtenir ce droit, un ressortissant étranger doit impérativement embrasser les valeurs de la République et faire le choix de lier son destin à celui de la France, en faisant l’acquisition de la nationalité française.
Vous admettrez, mes chers collègues, qu’il n’y a pas beaucoup de pays au monde, quoi que vous en disiez, dans lesquels l’acquisition de la nationalité soit plus facile qu’elle ne l’est en France, pour celui qui la désire.
Si des étrangers vivant en France depuis longtemps ne souhaitent pas accéder à la nationalité française, c’est leur droit le plus strict ; mais ne venez pas nous dire alors qu’ils sont discriminés… S’ils n’ont pas le droit de vote, c’est parce qu’ils ne veulent pas devenir Français : leur choix est respectable mais, de grâce, ne nous en faites pas le reproche !
Le débat se résume à cette vérité simple : il n’est pas acceptable d’introduire dans notre Constitution, au détour du titre XII consacré aux collectivités locales, une mesure créant de facto différents degrés de citoyenneté. Cette segmentation serait discriminatoire et contraire au principe d’égalité qui prévaut depuis plus de deux siècles ! (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Samia Ghali. Monsieur le président, et le temps de parole ?...
M. Philippe Dallier. En définitive, mes chers collègues, sans même qu’il soit nécessaire de soulever de polémique sur l’opportunité politique purement contextuelle de notre débat – il y aurait pourtant beaucoup à dire –, nous considérons que la présente proposition de loi constitutionnelle est manifestement non conforme à nos principes républicains fondamentaux. Le groupe UMP, qui s’oppose fermement à l’adoption de ce texte, votera la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il va de soi que notre groupe votera contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Manifestations de déception feinte sur les travées de l’UMP.)
Longtemps président de la commission des lois, M. Hyest a combattu avec ironie, il n’y a pas longtemps, une motion déposée par mon groupe tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques, la fameuse « règle d’or ».
Ainsi, la rigueur du juriste qui vaut pour l’abandon de la souveraineté de la France au profit des marchés financiers vaut beaucoup moins lorsqu’il s’agit de reconnaître aux étrangers non communautaires le droit de vote aux élections locales… Dont acte ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
Mais passons sur la forme et voyons la question de fond, celle des rapports entre la nationalité, la citoyenneté et le droit de vote.
Monsieur Hyest, monsieur le ministre, vous avez soulevé le problème des contradictions qui seraient introduites dans la Constitution. Mais vous savez bien, même si vous dites le contraire, que nous ne proposons de modifier ni son article 1er ni son article 3 !
M. Jean-Jacques Hyest. C’est une question de cohérence !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. D’ailleurs, ce n’est pas l’article 3 qui a été visé pour octroyer le droit de vote aux étrangers communautaires.
M. Jean-Jacques Hyest. C’était le traité de Maastricht !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Certes, c’était le traité de Maastricht. Mais vous omettez de dire qu’il n’y a pas de citoyenneté européenne : elle n’est inscrite ni dans notre Constitution ni dans un texte supranational constitutionnel.
Si une telle citoyenneté existait, les citoyens européens disposeraient des mêmes droits sociaux, des mêmes droits économiques, des mêmes droits en matière de justice partout en Europe. Or ce n’est pas le cas. Les juristes qui donnent des leçons de conformité à la Constitution devraient se pencher sur la question…
Nous ne proposons donc pas de modifier le régime de la nationalité : nous voulons rendre égaux, dans la Cité, des résidents qui, aujourd’hui, sont loin de l’être.
Un étranger communautaire propriétaire d’une résidence secondaire dans une ville ou un village de notre pays dispose du droit de vote aux élections locales. Il en va de même pour un citoyen du lac Léman qui possède une résidence secondaire dans notre pays : puisqu’il est Français, il vote bien sûr aux élections locales.
En revanche, un Algérien, un Marocain ou un Tunisien qui habite dans le même village, dont les enfants vont à l’école, qui travaille et paie des impôts – c’est pour le lac Léman que j’ajoute cette précision… – ou qui a pris sa retraite après avoir travaillé, lui dont les fils et les filles sont Français, qui a donné à la France son travail, qui lui a donné des enfants, lui ne peut pas voter pour élire des conseillers municipaux et participer à l’élection du maire ! Trouvez-vous cela juste ? Trouvez-vous cela conforme à l’égalité ? Trouvez-vous que ce problème a quelque chose à voir avec la nationalité ?
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh bien, non !
Pour voter, dites-vous, il faut avoir la nationalité française, et celle-ci serait accordée facilement dans notre pays.
Je vais vous donner un exemple tout à fait édifiant de cette « facilité ». C’est celui d’une femme algérienne - j’ai saisi M. le ministre de l’intérieur de son cas, et je pense qu’il donnera une suite favorable à ma demande – dont le père est mort, ou plutôt a été déclaré mort, le 17 octobre 1961. Cette date vous rappelle sans doute quelque chose…
Cette femme, donc, vient de se voir refuser la naturalisation au motif qu’elle n’a d’autre ressource que celles qui lui sont accordées au titre de l’aide sociale. Pourtant, déjà installée en France en 1961, elle y est restée et y a travaillé pendant des années. Aujourd’hui, son mari est invalide et il est vrai qu’elle ne travaille plus. Mais tout de même…On lui a donc refusé la naturalisation, sans doute en mémoire de son père, cet Algérien qui fut jeté à la Seine…
M. Robert Hue. Il a été noyé !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Chers collègues, voilà comment on accorde la nationalité française ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
Vous évoquez la République ? On ne peut pas occulter l'histoire ! La République est héritière de 1789, que cela vous plaise ou non ! (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.) À cet égard, je vous renvoie au préambule de la Constitution de 1958. Le président de la commission des lois l’a rappelé, la Convention, les constitutions de 1791, de 1793 et de 1795 ont accordé le droit de vote aux résidents étrangers, à partir du moment où ils avaient choisi la France et y résidaient.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est Napoléon qui est revenu sur ce droit, sans que cette décision ait jamais été remise en cause par la suite, à mon grand regret.
Puisque vous aimez vous référer à l'histoire, permettez-moi de vous rappeler que la France a déchu des Français de leur nationalité dès le xive siècle, dont un professeur de philosophie cher à mon cœur, parce qu'ils étaient juifs. Aussi, il faut prendre garde de ne pas trop manier l'histoire à ce propos. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.- Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Alors nous disons non à l’irrecevabilité défendue par M. Hyest. Pour nous, la justice commande que nous adoptions une conception moderne de la citoyenneté, celle à laquelle nous invitait en 1991 le Conseil de l'Europe lorsqu’il engageait les pays européens à accorder aux étrangers résidant sur leur territoire le droit de vote pour les élections locales.
Pour terminer, je ne résisterai pas au plaisir de vous citer M. Longuet, ministre de la République, qui, interrogé hier sur cette question, déclare : « Je souhaiterais qu'on soit très détendu sur ce sujet. C'est la vie locale, les gens sont là, il faut les associer. Si une majorité décidait d’adopter le texte, je ne me ferais pas brûler sur un bûcher en protestation. » (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne sais pas si cette proposition de loi constitutionnelle est conforme ou non à la Constitution dans sa rédaction actuelle. Toujours est-il que ce ne serait pas la première modification, même substantielle, de notre loi fondamentale. Je pense en particulier à l’instauration du quinquennat, qui a changé la nature du régime, qu’on le veuille ou non, ou le droit d’adresse, c’est-à-dire la possibilité offerte au Président de la République de prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès, décidée voilà peu de temps.
En revanche, je crois savoir que, si cette proposition de loi constitutionnelle est adoptée, ce sera la première fois, depuis la Révolution française, à deux exceptions près sur lesquelles je reviendrai, qu'il existera en France une citoyenneté de deux types, à deux vitesses : une citoyenneté nationale de plein exercice et une citoyenneté résidentielle locale.
Tout à l'heure, Jean-Pierre Sueur a évoqué la Révolution, au début de laquelle les étrangers s’étaient vu attribuer le droit de vote.
Je voudrais tout de même rappeler que ce droit était national et local ; il n'existait pas un droit national distinct du droit local. Pour être cohérent, il faudrait donc remplacer la référence nationale par la référence résidentielle.
Les étrangers ne paient-ils que des impôts locaux ? Ne paient-ils aucun impôt national ? À revenu équivalent, paient-ils moins d'impôts que les autres contribuables ?
Je rappelle aussi que, à l’époque, faire le choix de résider en France, c'était alors embrasser la Révolution, c'était combattre la coalition qui tentait de l'abattre. C'était un choix politique, celui précisément dont on espère qu'il guide le choix de ceux qui demandent leur naturalisation, qu’ils parlent ou non français, problème tout à fait subsidiaire à mon sens.
Je rappelle aussi que le suffrage était alors masculin et censitaire, et non universel. On serait alors autorisé à se demander si ce droit de vote n’était pas accordé moins aux citoyens qu’aux bourgeois !
Je voudrais maintenant dire quelques mots des deux exceptions que j'ai évoquées, dont il a été largement question cet après-midi.
Première exception : la situation qui est faite aux étrangers communautaires. Permettez-moi de vous faire observer qu'elle s'explique par l'existence d'un traité en bonne et due forme,…
M. David Assouline. Et alors ?
M. Pierre-Yves Collombat. … grâce auquel, cela ne vous aura pas échappé, nous disposons d'un passeport européen.
Si les étrangers non communautaires devaient être autorisés à voter, ils ne seraient pas exactement dans la même situation, il faut savoir le reconnaître.
En 1992, l’espoir, sans doute fou à la lumière des événements que nous vivons actuellement, était de voir se constituer une nation européenne et, en filigrane, un avenir commun. Peut-on en dire autant aujourd’hui ? Je ne le pense pas.
Seconde exception, moins glorieuse, sur laquelle je ne m’appesantirai pas pour l’instant : le système qui fut en vigueur dans les trois départements d'Algérie, départements français, territoires français, entre 1865 et 1946, voire 1956. Ce système admettait la dualité, que Dominique Schnapper a qualifiée de « monstruosité juridique ». Je passe sur la suite politique.
Le groupe du RDSE, vous le savez, est pluriel ; son expression sera donc diverse. Personnellement, je voterai cette motion.
En revanche, tous les membres du groupe s'interrogent sur l'opportunité de ce débat. Il y a des arguments pour et des arguments contre, mais, franchement – et je m'exprime à titre personnel –, je ne sais pas où l’on va ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.
M. Yves Pozzo di Borgo. François Zocchetto ayant déjà exprimé la position du groupe de l'UCR, je serai bref.
Premièrement, le droit de vote et le droit d'éligibilité restent un attribut de la nationalité par laquelle on devient citoyen, même si, il est vrai, la nationalité française est amenée à s'étendre à la citoyenneté européenne, notamment aux termes du traité de Maastricht. C'est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes contre cette proposition de loi constitutionnelle.
Deuxièmement, et François Zocchetto a eu le courage de le souligner au début de son intervention, dans le contexte difficile que la France vit actuellement, dans cette période de campagne électorale propice à l’exacerbation des tensions, nous considérons que ce débat ne peut qu’avoir des effets déstabilisateurs. Aussi, je regrette que nos collègues socialistes se soient engagés sur ce terrain politicien.
Pour ces raisons, la majorité des membres du groupe de l’UCR considèrent que ce débat est inutile pour le moment et voteront par conséquent cette motion. Seuls six de nos collègues, membres du MODEM de François Bayrou, s'abstiendront.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Nous devons nous prononcer sur une motion tendant à opposer l’irrecevabilité à une proposition de loi constitutionnelle. Comme l’a expliqué Jean-Pierre Sueur, la logique est implacable : il n’est pas possible d’opposer l’irrecevabilité à un texte ayant pour objet de modifier la Constitution.
Aussi, notre groupe votera contre cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi constitutionnelle.
Je rappelle également que la commission a émis un avis défavorable et le Gouvernement un avis favorable.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 62 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 166 |
Contre | 174 |
Le Sénat n'a pas adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Gélard et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n° 2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France (n° 143, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Patrice Gélard, auteur de la motion.
M. Jean Desessard. Voilà qui bouleverse nos habitudes ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Les temps changent, monsieur Desessard. (Nouveaux sourires.)
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, en premier lieu, je souhaite rendre hommage au travail accompli par Mme le rapporteur de la commission des lois, et en particulier à la conviction avec laquelle elle a défendu sa position. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
Mme Christiane Demontès. Bravo !
M. Patrice Gélard. Je dois lui avouer que je suis en parfait désaccord avec elle,…
MM. Gérard Larcher et Roger Karoutchi. Bravo !
M. Patrice Gélard. … mais il n’empêche, je tenais à saluer Mme le rapporteur. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Merci, mon cher collègue.
M. Patrice Gélard. Il y a une quinzaine de jours, j’ai déjà eu l’occasion d’exposer ma typologie des différentes questions préalables.
M. Robert del Picchia. Vous avez été mal compris !
M. Patrice Gélard. Premièrement, la question préalable positive (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP et de l’UCR.) a pour but d’éviter qu’une discussion trop longue ne s’engage ou, en définitive, que des amendements imprévus ne viennent compléter un travail qui n’est pas nécessaire.
MM. Gérard Larcher et Roger Karoutchi. Voilà !
M. Patrice Gélard. Deuxièmement, la question préalable négative, que nous employons le plus souvent, a pour but de manifester un désaccord avec le texte proposé.
M. Roger Karoutchi. Exactement !
M. Patrice Gélard. Or nous sommes présentement placés devant un troisième cas,…
M. Roger Karoutchi. La question préalable « neutre » ! (Rires sur les travées de l’UMP.)
M. Patrice Gélard. … la question préalable pour inopportunité. (Exclamations sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Toujours plus de distinctions !
M. Patrice Gélard. Mes chers collègues, cette procédure nous permet de constater que le texte qui nous est aujourd’hui présenté n’est pas opportun (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.), et qu’il faudrait le remplacer par un autre. Je vais m’efforcer de le démontrer. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. Pierre-Yves Collombat. Ce sera plus difficile !
M. Patrice Gélard. Ce texte est tout d’abord inopportun pour des raisons de procédure.
M. Patrice Gélard. En effet, certains orateurs l’ont précédemment souligné, jusqu’à présent, aucune modification constitutionnelle n’a pu aboutir par la voie parlementaire : les vingt-quatre révisions adoptées depuis 1958 procédaient toutes de l’initiative présidentielle. (M. Jean-Jacques Hyest manifeste son approbation.)
Néanmoins, il existe un précédent qu’il convient de mentionner : celui du quinquennat. (M. Jean-Jacques Hyest acquiesce.)
M. Roger Karoutchi. Malheureusement !
M. Patrice Gélard. Sous la présidence de Georges Pompidou, l’Assemblée nationale et le Sénat ont adopté la révision constitutionnelle portant la durée du mandat présidentiel de sept à cinq ans ; néanmoins, lorsque cette révision a de nouveau été engagée, en 2000, nous n’avons pas eu recours au texte adopté en 1974 ; nous avons repris la procédure à son point de départ.
M. Gérard Larcher. Exactement !
M. Patrice Gélard. Il s’agit d’un précédent important pour ce qui concerne le cas qui nous occupe aujourd’hui.
Comme l’a souligné le Premier ministre, depuis 2000, deux élections présidentielles ont eu lieu, auxquelles se sont ajoutées deux élections législatives ainsi qu’un renouvellement total du Sénat. (M. Gérard Larcher acquiesce.) La représentation nationale n’est donc plus du tout la même qu’il y a onze ans.
Mme Catherine Tasca. Tout a changé !
M. Claude Bérit-Débat. Et ce n’est pas fini !
M. Patrice Gélard. Normalement, en pareil cas, une certaine éthique devrait nous conduire à reprendre l’intégralité de la procédure, même si rien n’y oblige formellement. C’était tout à fait possible : en effet, rien n’interdisait au groupe socialiste de déposer un nouveau texte, et de reprendre de même la procédure à son point de départ.
Mais ce texte est aussi inopportun en raison de la date choisie pour sa discussion : le calendrier n’est pas bon !
On l’a déjà dit et répété plusieurs fois sur ces travées, d’une part, les élections présidentielle et législatives approchent ; d’autre part, on sait pertinemment que cette proposition de loi ne fera pas l’objet d’un vote définitif avant ces échéances électorales. Il s’agit donc d’un coup d’épée dans l’eau, qui masque sans doute d’autres calculs, et de tels calculs ne justifieraient en rien le temps que nous pourrions consacrer à la discussion d’une proposition de loi, importante, certes, mais inopportune. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.).
Ce texte est enfin inopportun en ce qu’il lui manque une réelle étude d’impact. (M. Jacques Mézard manifeste son désaccord.) Or la Constitution et la loi organique imposent qu’une telle étude d’impact soit jointe à chaque projet de loi. Concernant cette proposition de loi, nous disposons, certes, d’une étude comparative, ce dont je remercie M. le rapporteur - ce type de document devrait normalement figurer en annexe de tous les textes de loi - mais elle est incomplète, donc imparfaite, et cette pseudo-étude d’impact ne nous permet pas de tirer de véritables conclusions, je le regrette.
En effet, un certain nombre de pays ont été retenus, d’autres ont été écartés de la comparaison ; j’aurais pourtant souhaité que l’on étudie le cas de la Lituanie,…
M. David Assouline. Le phare du monde, c’est bien connu !
M. Patrice Gélard. … où l’on ne peut voter aux élections locales qu’à condition de parler lituanien.
M. Roger Karoutchi. Qui parle lituanien, ici ? (Sourires.)
M. Patrice Gélard. Il convenait de mentionner ce cas intéressant ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Ensuite, comme cela a été souligné à de nombreuses reprises, les situations diffèrent radicalement d’un pays à l’autre. Certains États privilégient ainsi des relations affectives anciennes, issues de la tradition, comme l’illustrent les relations du Royaume-Uni avec le Commonwealth, de l’Espagne avec les pays hispanophones ou du Portugal avec les pays lusophones.
En outre, cette étude comparative ne mentionne que très partiellement les limitations au droit de vote, qui jouent pourtant un grand rôle dans certains États.
Ce document est donc incomplet, d’autant plus que les données comparatives auraient dû être présentées en regard des conditions fixées par ailleurs dans chaque pays pour l’acquisition de la nationalité.
Au surplus, cette étude d’impact est insuffisante pour ce qui concerne les conséquences d’une telle révision en France.
M. Patrice Gélard. Combien de personnes seraient concernées ? Dans quels territoires les problèmes se cristalliseraient-ils ? Pourquoi n’a-t-on pas étudié le cas des départements d’outre-mer ?
M. Gérard Larcher. Mayotte !
M. Patrice Gélard. Au titre des inconstitutionnalités éventuelles, il est ainsi possible de citer le cas de la Nouvelle-Calédonie, qui échapperait nécessairement à toute disposition de cette nature.
M. Jean-Jacques Hyest. Tout à fait !
M. Patrice Gélard. De surcroît, chacun mesure les conséquences dramatiques qu’entraînerait une telle révision constitutionnelle sur le fonctionnement des institutions locales de Guyane ou de Mayotte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
Mme Catherine Procaccia. Bravo !
M. Gérard Larcher. À Saint-Laurent-du-Maroni !
Mme Éliane Assassi. Il s’agit d’immigration illégale, monsieur Gélard : ne mélangez pas tout !
M. Patrice Gélard. Je vais y venir, madame Assassi.
Enfin, j’évoquerai les nombreux dysfonctionnements juridiques que l’adoption de ce texte entraînerait.
Les premiers ont été mentionnés par M. le ministre et par Jean-Jacques Hyest. (M. le ministre acquiesce.) C’est notamment le cas de l’article 3, de l’article 1er et de l’article 88-3 de la Constitution, qui entrent en contradiction avec la proposition de loi constitutionnelle que nous examinons aujourd’hui.
Dès lors, le problème est le suivant : quel pourra être le contenu de la loi organique ?
Madame le rapporteur, je me suis interrogé sur la raison d’être de votre amendement, qui tend à remplacer les mots « peut être » par le mot « est ». Je rappelle qu’en droit le présent de l’indicatif vaut impératif. Ainsi, en écrivant « le droit de vote et d’éligibilité est assuré » et non plus « peut être assuré », vous signifiez « doit être assuré » !
M. Roger Karoutchi. Bien sûr !
M. Patrice Gélard. Dans ces conditions, comment la loi organique pourra-t-elle encadrer ce droit ?
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà !
M. Patrice Gélard. C’est véritablement une question de fond. M. Alain Richard a répondu : ce cas de figure est prévu, la loi organique fixera les conditions. Certes, et sous le contrôle du juge constitutionnel…
Toutefois, dès lors que vous prévoyez cet impératif, les conditions ne pourront plus porter que sur des points de détail, qui sont bien connus : il s’agit des dispositions relatives aux modalités d’inscription sur les listes électorales ou au remplacement des grands électeurs pour les élections sénatoriales. Et cela s’arrêtera là, puisque le texte qui nous est présenté précise que tous les étrangers ont et doivent jouir du droit de vote.
En conséquence, ce droit ne connaîtrait plus la moindre borne, tandis que le traité de Maastricht encadre celui des citoyens européens, notamment par la clause de réciprocité. Il n’y a plus de condition tenant à ’âge, aux droits civils et politiques ou à la résidence, et le Conseil constitutionnel pourra à peine – et encore ! –fixer quelques limites, au nom du principe de proportionnalité… Mais un tel exercice devient épouvantablement aléatoire.
Dès lors, dans quelle mesure la loi organique pourra-t-elle être adoptée ?
Mes chers collègues, face à de tels dysfonctionnements juridiques, j’estime que le texte qui nous est présenté aujourd’hui n’est pas prêt,...
M. Gérard Larcher. Cet argument est implacable !
M. Patrice Gélard. … et mérite d’être réécrit.
Enfin, je ferai mien un argument avancé à de nombreuses reprises par différents orateurs : cette proposition de loi va à contre-courant de nos principes républicains.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Patrice Gélard. En réalité, en accordant le droit de vote à des personnes qui sont non des citoyens français mais des étrangers – avec toutes les qualités que je leur reconnais pleinement – ce texte porterait atteinte à la théorie de l’État-nation et à la notion de souveraineté : les citoyens du monde remplaceraient dès lors ceux des États, ce qui remettrait en cause les fondements même de notre République ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, contre la motion.
M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, siégeant dans ce qui était alors la majorité sénatoriale, M. Gélard a pris l’habitude de fustiger ceux qui déposaient des motions tendant au renvoi à la commission ou tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité,…
M. Jean-Jacques Hyest. Pas du tout !
M. David Assouline. … en affirmant que ces procédures n’étaient qu’un prétexte et qu’elles n’avaient guère de fondement.
M. Jean-Jacques Hyest. C’était souvent le cas !
M. David Assouline. Eh bien, monsieur Gélard, vous venez de faire la démonstration…
Mme Christiane Demontès. Qu’il sait en faire autant !
M. David Assouline. … que, sitôt dans la minorité, vous usez des méthodes que vous condamniez naguère ! Et avec le sourire, qui plus est, en vous moquant de vous-même dès vos premiers mots, car vous savez que votre argumentation ne tient pas.
M. David Assouline. Monsieur Gélard, je lis dans l’objet de votre question préalable – il fallait bien que vous donniez une justification à cette motion –que ce texte ne saurait être examiné par la Haute Assemblée, puisque la proposition de loi examinée aujourd’hui a été adoptée en 2000 et que, depuis lors, les mandats de députés ont été renouvelés. Tel est donc votre argument principal.
D’ailleurs, M. Fillon l’a également souligné au début de son grand discours liminaire. Le Premier ministre lui-même a en effet reconnu que son reproche est de nature politique, et qu’il ne s’appuie en rien sur le droit : il ne s’agit que d’une considération proprement politique, fondée sur l’opportunité.
Monsieur Gélard, vous semblez suggérer qu’une proposition de loi adoptée devient automatiquement caduque lorsque la chambre qui l’a votée fait l’objet d’un renouvellement. Il est vrai que l’Assemblée nationale considère comme caducs les textes dont elle est saisie dès lors que ses pouvoirs ont expiré. Mais on ne retrouve rien de tel dans notre assemblée !
L’article 28, alinéa 2, du règlement du Sénat impose certes de déclarer caduque toute proposition sur laquelle les sénateurs n’ont pas statué à l’ouverture de la troisième session suivant son dépôt, mais uniquement pour ce qui concerne les textes d’origine sénatoriale, ce qui n’est pas le cas de la présente proposition de loi, puisqu’elle a été transmise par l’Assemblée nationale !
Voilà pour le semblant d’argument juridique que vous avez avancé, que je qualifierai plutôt d’argutie juridique.
En d’autres termes, monsieur Gélard, je ne vois ici aucun motif juridique permettant de donner une suite favorable à votre requête. Ne serait-ce que pour cette simple raison, je peux d’ores et déjà inviter le Sénat à rejeter la motion que vous présentez.
D’ailleurs, vous ne pouvez pas même vous appuyer sur une éventuelle anticipation de la décision du Conseil constitutionnel qui aurait pu estimer, si nous avions proposé un vote conforme, que nous manquions au principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires. (M. Jean-Jacques Hyest proteste.) De fait, nous avons déposé des amendements et la navette va poursuivre son cours tranquillement !
De plus, il s’agit d’une proposition de loi constitutionnelle et non d’une « petite loi », à laquelle il serait possible d’opposer cet argument.
Sur le plan juridique, donc, quel que soit l’angle retenu, l’argument de l’opportunité ne tient pas.
Sur le plan politique, vous vous demandez légitimement pourquoi nous reprenons ce débat onze ans après l’adoption de la proposition de loi par l’Assemblée nationale.
La réponse est toute simple : engagement politique de la gauche pris voilà trente ans, le droit de vote des étrangers n’a pu être réalisé à l’occasion de la première grande alternance de la Ve République que nous avons suscitée, en raison de l’opposition du Sénat conservateur – cette proposition de loi constitutionnelle doit en effet être obligatoirement approuvée par la Haute Assemblée pour poursuivre son chemin. (MM. Claude Dilain et Claude Bérit-Débat applaudissent.)
M. François-Noël Buffet. Et le référendum ?
M. David Assouline. Ce fut l’un de mes premiers engagements, et, avec toute la conviction et la fougue de la jeunesse, je demandai alors que cet engagement soit tenu aux gouvernements successifs de François Mitterrand. Toutefois, le même argument, imparable, m’était systématiquement opposé : le Sénat bloquait !
En 2000, nous avons voulu signifier à l’opinion que l’absence de dépôt d’un projet de loi sur le sujet ne s’expliquait ni par un manque de conviction ni par des atermoiements de notre part. Nous étions majoritaires en 2000 à l’Assemblée nationale ; nous avons donc fait voter une proposition de loi là où nous pouvions tenir nos engagements, à l’Assemblée nationale, texte que le Sénat conservateur a bien évidemment bloqué.
Toutefois, et vous êtes sans doute les mieux placés pour le savoir, chers collègues de l’opposition sénatoriale, le Sénat est depuis peu devenu majoritairement progressiste. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP et de l’UCR.) Et figurez-vous que la majorité sénatoriale a décidé de commencer son mandat en tenant ses engagements, pas sur le seul droit de vote des étrangers, comme vous le prétendez, mais sur toutes les questions, essentielles, symboliques, mais aussi concrètes pour les Français dans leur vie quotidienne, qui témoignent de ce que la gauche défend et promet pour l’avenir de la France.
Parce que nous avons gagné les élections sénatoriales sur la réforme des collectivités territoriales, nous avons tout d’abord voté une proposition de loi abrogeant le conseiller territorial.
Ensuite, en réponse à l’injustice absolue de la politique économique et fiscale du Gouvernement, nous avons débattu durant plus d’un mois sur la sécurité sociale, la santé, l’emploi ou encore la justice fiscale. Nous avons délibéré sur toutes ces questions et, aujourd’hui, les Français perçoivent mieux quel type de société nous voulons et dans quelle direction nous entendons nous diriger, en termes non seulement de justice sociale mais aussi de progrès possibles sur la voie d’une démocratie plus assumée.
Inopportune, cette proposition de loi constitutionnelle ? Au contraire !
Après trente ans d’attente, nous sommes majoritaires au Sénat et nous avons enfin la chance de faire ce que nous avons promis. Peut-être, de votre côté, avez-vous perdu l’habitude, chers collègues de l’opposition sénatoriale, de tenir vos engagements : non seulement vous ne faites jamais ce que vous dites, mais vous allez même parfois jusqu’à faire l’inverse de ce que vous aviez promis, comme le montre l’attitude de M. Sarkozy sur la question du droit de vote des étrangers ! Nous voulons au contraire rendre la parole politique plus crédible.
D’aucuns ont évoqué l’inopportunité politique de la démarche, à la veille de l’élection présidentielle. Quant à M. Guéant, il nous a accusés de vouloir changer le corps électoral pour gagner les prochaines échéances municipales. Il oublie simplement que, depuis de nombreuses années, grâce à la bonne gestion de nos élus locaux,…
Mme Christiane Hummel. Pas partout !
M. David Assouline. … nombreux sur ces travées, nous gagnons les élections locales, et ce sans avoir besoin du vote des étrangers !
M. Claude Léonard. Grâce au clientélisme !
M. Francis Delattre. Cela ne va pas durer !
M. David Assouline. En revanche, il est révélateur que M. Fillon, à la veille de l’élection présidentielle, vienne s’exprimer devant nous sur le droit de vote, et longuement, lui que nous avons attendu en vain quand nous débattions de la réforme territoriale, du budget ou des grandes questions économiques fondamentales pour le pays.
En réalité, M. Fillon est, lui, déjà en campagne électorale, comme en témoignent son grand discours liminaire et le soin qu’il met à diriger le phare de l’actualité sur cette proposition de loi.
M. Bruno Retailleau. Il est tout simplement dans son rôle !
M. David Assouline. Avec ce thème, vous pensez encore pouvoir récupérer votre électorat, qui migre vers le Front national.
Pourtant, examinez l’agenda politique : c’est à une époque où l’on ne parlait pas quotidiennement et à tout propos de l’immigration que le Front national avait considérablement chuté dans les sondages, au lendemain notamment du 21 avril 2002, quand nous avions déployé, nous, un véritable cordon sanitaire républicain, allant même jusqu’à voter pour Jacques Chirac.
M. Claude Léonard. Vous n’aviez pas le choix !
M. David Assouline. À l’inverse, depuis que vous faites voter plus d’une loi sur l’immigration chaque année – six lois en cinq ans ! –, et a fortiori depuis que vous avez lancé le débat sur l’identité nationale, regardez les courbes des sondages : Marine Le Pen monte et Nicolas Sarkozy descend ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) À chaque fois que vous alimentez ces débats, le Front national en récolte les fruits.
Nous aurions pu débattre dans le respect des convictions de chacun et renoncer à toute instrumentalisation du sujet – les étrangers extracommunautaires méritent en effet mieux que cela ! M. Fillon a d’ailleurs posé d’emblée les termes du débat, en s’interrogeant sur le lien entre nationalité et citoyenneté.
Ce débat intellectuel, politique au sens noble du terme, ne manque pas d’intérêt. Il a, du reste, toujours existé, ses lignes évoluant avec l’histoire de la République. Nous avons parlé de l’An I. En revanche, nous avons omis d’évoquer la Commune de Paris, qui nomma un juif de nationalité hongroise, Léo Fränkel, ministre du travail, et un général polonais, Jaroslaw Dombrowski, pour défendre l’honneur de la France et les idéaux universels de la République face aux Versaillais qui voulaient les casser.
Oui, il existe d’autres traditions, mais le débat a été tranché avec Maastricht. Des Espagnols, des Polonais ou des Allemands peuvent désormais voter en France aux élections locales, alors même qu’ils ne sont pas Français et qu’ils ne peuvent pas participer à l’exercice de la souveraineté.
Mme Colette Mélot. Ils sont Européens !
M. David Assouline. Vous avez décidé d’exclure les ressortissants extracommunautaires, alors même que certains ont un passé culturel bien plus important avec la France que les citoyens européens, notamment les étrangers issus des anciennes colonies, ou un présent beaucoup plus complet. Comment expliquer, par exemple, à des étrangers insérés dans le monde du travail, qui résident depuis vingt ans en France et dont les enfants sont Français, qu’ils ne peuvent pas bénéficier des mêmes droits que des ressortissants européens récemment installés ?
M. Bruno Retailleau. Ce n’est pas la même chose !
M. David Assouline. Vous n’avez pas de réponse. Vous êtes prêts à abandonner aux fonctionnaires européens notre souveraineté, singulièrement notre souveraineté budgétaire, au nom d’une pseudo-règle d’or, mais vous refusez d’accorder aux étrangers un droit supplémentaire, qui ne présente aucun lien direct avec la souveraineté nationale.
Au lieu de hurler à la destruction de l’esprit républicain, vous feriez mieux de regarder concrètement la réalité. J’ai toujours été frappé, les dimanches d’élections municipales, de voir tous ces étrangers qui regardent par la fenêtre les autres aller voter. Ces étrangers, qui habitent en France depuis trente ans, qui connaissent par cœur les routes et les écoles de leur commune, représentent plus de 20 % de la population dans certains quartiers. Pensez que leurs enfants, qui vont devenir Français, n’ont jamais connu de ces débats que les Français ont tous quand, réunis autour de la table familiale, ils s’interrogent pour savoir qui vote quoi. Et l’on s’étonne ensuite que ces jeunes ne s’inscrivent pas sur les listes électorales ou n’aillent pas voter ? Mais ce n’est que normal, faute de cette pédagogie familiale.
La citoyenneté, c’est l’intégration ! Il faut que les parents puissent voter pour que les enfants considèrent le suffrage comme un moment important du vivre-ensemble, un acte de dignité. Ce n’est qu’en osmose avec leurs parents que ces enfants français nés de parents étrangers pourront être doublement fiers de porter leur histoire et, forts de leur nationalité française, de faire vivre notre République.
C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adresser ce signe fort non seulement à tous les ressortissants extracommunautaires mais aussi à leurs enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. La commission est défavorable à cette motion.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement soutient sans réserve la motion.
M. Gélard a posé de bonnes questions, notamment sur la cohérence de cette proposition de loi avec d’autres dispositions constitutionnelles et sur la faisabilité d’une loi organique qui viendrait préciser cette modification constitutionnelle.
Plus fondamentalement, sa motion est le reflet du bon sens.
Même si la procédure est régulière – M. Sueur a eu raison de le souligner, et le Premier ministre ne l’a d’ailleurs pas contesté –, il est tout de même assez curieux de voir arriver en discussion, onze ans après son adoption en première lecture par l’autre assemblée, une proposition de loi qui aurait pu être votée bien avant, des dispositions constitutionnelles le permettant tout à fait.
Mais, je le soulignais d’emblée, nos concitoyens ont d’autres priorités aujourd’hui, comme l’emploi, l’Europe ou encore la situation financière.
Nous avons des raisons de penser que cette proposition de loi constitutionnelle s’inscrit dans un objectif politique, pour ne pas dire politicien. La droite n’est d’ailleurs pas la seule à le penser, puisqu’un leader socialiste, Malek Boutih, déclare aujourd’hui que cette proposition de loi n’arrive pas au bon moment et est susceptible de donner du grain à moudre au Front national ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle, pour explication de vote.
Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi constitutionnelle met en cause une tradition politique et juridique vieille de deux siècles.
Il existe dans notre pays un lien consubstantiel entre la nationalité française et le droit de vote.
En effet, notre Constitution est fortement dominée par les principes issus de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui fait partie du bloc de constitutionnalité, et dont l’article III est ainsi rédigé : « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »
Cette proposition de loi conduit à la rupture du lien entre l’appartenance à la Nation et l’exercice de la souveraineté qu’est le droit de vote.
La Constitution de 1958 confirme cette approche dans son article 3, selon lequel « la souveraineté nationale appartient au peuple » et « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ». Et cet article se trouve au sein du titre Ier de la Constitution, intitulé De la souveraineté.
La souveraineté nationale est historiquement au cœur de notre système politique.
Selon le constituant de 1791, la Nation est une entité distincte des individus dans laquelle ces derniers se retrouvent. C’est parce qu’ils appartiennent à cette entité qu’ils sont en droit de peser sur sa destinée.
La Nation, et donc la nationalité, n’est pas l’addition de citoyens, elle est l’expression de la volonté générale, de l’intérêt général.
La souveraineté nationale est avant tout un principe d’identité. Dans l’esprit de nos constitutions, souveraineté et nation servent d’ailleurs de base à ce que l’on appellera plus tard la politique d’intégration.
Elle désigne, en outre, la faculté de créer des règles politiques et de charger un pouvoir de les organiser au sein d’un groupe, en même temps que l’on exprime son identité vis-à-vis de l’extérieur.
Le droit de vote est justifié par le caractère permanent de la nationalité.
L’acquisition du droit de vote doit donc être liée à l’acquisition de la nationalité française. Choisir de devenir Français implique de projeter son destin dans celui de la communauté nationale. S’engager sur la voie de la naturalisation est une démarche positive et porteuse de sens. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Elle repose sur un accord de volonté entre l’individu qui souhaite obtenir la nationalité française et la Nation qui la lui accorde.
Nous devons cependant aussi respecter les étrangers résidant en France qui ne s’engagent pas dans une démarche de naturalisation. Pourquoi, chers collègues ? Parce qu’ils expriment ainsi leur attachement à leur nationalité et ne souhaitent pas, pour cette raison, accéder à la nationalité française et donc à la citoyenneté française.
Il en va différemment des ressortissants européens.
L’article 88-3 de la Constitution dispose : « Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l’Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l’Union résidant en France. » En revanche, ces derniers ne peuvent pas exercer les fonctions de maire ou d’adjoint, ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l’élection des sénateurs.
Cet article n’est pas une exception à l’article 3 de la Constitution, car il est lui-même lié à la condition de nationalité.
Le traité de Maastricht donne, en effet, une dimension politique à la citoyenneté européenne. Cette communauté de destin s’est construite, depuis 1957, étape après étape entre les peuples d’Europe.
La citoyenneté européenne est conditionnée, subordonnée à la possession de la nationalité d’un des États membres. C’est la raison pour laquelle on a pu parler de « citoyenneté de superposition » ou de conséquence.
M. David Assouline. Superposition ?...
Mme Catherine Troendle. Les ressortissants européens ne sont pas des étrangers comme les autres : ils sont citoyens européens et cette citoyenneté européenne englobe la citoyenneté française. Ainsi, c’est parce qu’on est citoyen français qu’en vertu du traité de Maastricht on accède à la citoyenneté européenne qui permet de circuler, de séjourner et de voter aux élections locales, partout dans l’Union.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Circuler et voter, ce n’est pas la même chose !
Mme Catherine Troendle. L’article 88-3 est simplement une mesure de réciprocité.
J’ajoute qu’il ne peut y avoir de discrimination entre ressortissants européens et étrangers non européens tout simplement parce qu’ils sont dans des situations différentes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Lesquelles ?
Mme Catherine Troendle. La jurisprudence du Conseil d’État est constante en la matière : le principe d’égalité n’interdit en rien de traiter différemment des personnes qui se trouvent dans des situations différentes.
Estimant que « pour voter, il faut être Français », tel que l’a rappelé le Président de la République le 23 novembre dernier, nous ne pouvons accepter d’adopter un texte de cette nature. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir voter cette motion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, notre groupe s’opposera sans réserve à cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. Gélard, avec beaucoup d’habileté, a mêlé des questions d’opportunité de date et des questions juridiques.
Mon cher collègue, sur l’opportunité de date, David Assouline a, me semble-t-il, répondu : le Sénat a bloqué pendant des années la possibilité de voter cette proposition de loi. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. David Assouline. La droite ne l’a pas inscrite à l’ordre du jour !
M. Jean-Pierre Michel. La majorité a changé, nous la présentons maintenant. Voilà pour l’opportunité !
S’agissant de l’incohérence juridique, mon cher collègue, vous qui êtes un éminent professeur de droit,…
M. François-Noël Buffet. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Michel. … vous devez savoir que l’article 3 de la Constitution emploie le présent pour les citoyens français qui votent, mais nonobstant ce présent – qui indique une obligation – il y a toute une série de conditions…
M. Jean-Jacques Hyest. Qui sont dans l’article 3 !
M. Jean-Pierre Michel. … qui ne figurent pas seulement dans l’article 3.
Donc, si l’amendement présenté par Mme la rapporteure emploie le présent, cela signifie que c’est une obligation, certes, mais sous réserve que certaines conditions soient remplies, qu’il s’agisse de la durée de résidence ou de l’absence de condamnation, toutes conditions d’ailleurs qui sont applicables aux citoyens français votant aux élections.
Donc, cher collègue Patrice Gélard, malgré toutes vos éminentes qualités, vous avez, me semble-t-il, un peu tiré sur le droit, mais ce sont d’ailleurs les professeurs de droit et les juristes qui le font le plus souvent à l’appui de leurs démonstrations ! (Sourires.)
La vérité, c’est que vous ne voulez pas de ce texte pour des raisons qui vous appartiennent, qui sont purement politiciennes et idéologiques. (Oh ! sur les travées de l’UMP.) Nous voterons donc contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.
M. Yves Pozzo di Borgo. Je rappelle simplement que le groupe UCR votera pour, sauf six de nos collègues, qui ne prennent pas part au vote.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi constitutionnelle.
Je rappelle également que la commission a émis un avis défavorable et le Gouvernement un avis favorable.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 63 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 166 |
Contre | 174 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Portelli et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n°3.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, la proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non-ressortissants de l'Union européenne résidant en France (n° 143, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Hugues Portelli, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Hugues Portelli. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, je ne vous lirai pas ce que j’avais écrit,…
M. Robert del Picchia. C’est dommage !
M. Hugues Portelli. … me contentant d’aborder les questions qui me paraissent essentielles, compte tenu du débat que nous avons ce soir, et sur les motifs de cette motion tendant au renvoi à la commission.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah oui !
M. Hugues Portelli. On a répété à plusieurs reprises dans le débat que, depuis 1789, la conception française de la citoyenneté est étroitement liée à la conception française de la nationalité et donc au droit de vote.
Chers collègues, en France, le droit de suffrage est la conséquence de la création de l’État-nation et non pas l’inverse. En France, en 1789, on a créé l’État-nation et le suffrage a suivi, notamment le suffrage universel. Dire le contraire, c’est affirmer une contrevérité historique ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
En France, en 1789, le citoyen est né en même temps que naissait la Nation. Le citoyen est celui qui appartient à la communauté nationale, qui en partage les valeurs, les devoirs et qui donc bénéficie des droits inhérents.
Dès lors, qu’est-ce que le vote ? Relisez attentivement la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la constitution de 1791, qui ont été rédigées par les mêmes personnes. Quant aux rédacteurs de la constitution de 1793, ils n’étaient plus tout à fait les mêmes que ceux de la constitution de 1791…
M. Roger Karoutchi. C’est sûr !
M. Hugues Portelli. Les rédacteurs de la déclaration de 1789 n’ont jamais parlé du « droit » de vote car, pour eux, le vote était une fonction liée à la qualité de citoyen, et non pas un droit. La citoyenneté vaut alors brevet de capacité électorale.
Petit à petit, le droit de vote a été étendu pour être attribué aux uns et aux autres, mais la conception n’a jamais changé en droit public français, sauf durant la grande période robespierriste, s’agissant précisément du droit de vote des étrangers.
Je le rappelle, le droit de vote des étrangers a été accordé avant 1793 à certains étrangers, tout simplement parce qu’on leur accordait la citoyenneté
On a ainsi accordé la citoyenneté aux amis de la Révolution française…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. Hugues Portelli. … en même temps qu’on retirait leur citoyenneté aux ennemis de la Révolution française, qui étaient des Français. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
Donc, l’attribution ou le retrait de la citoyenneté relevait de critères purement politiques et idéologiques.
Puis ce fut la rédaction de la constitution de 1793, qui n’est jamais entrée en vigueur ; on a placé le document dans une arche sacrée en attendant la fin des hostilités. Malheureusement pour eux, à la fin de la guerre, les rédacteurs de la constitution de 1793 avaient été guillotinés…
M. Roger Karoutchi. Ça leur apprendra !
M. Hugues Portelli. … et on était passé à une autre constitution, celle de 1795, où l’on parlait davantage des devoirs que des droits des citoyens.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y avait le droit de vote des étrangers en 1795 !
M. Hugues Portelli. Robespierre, dans la vision qui était la sienne, avait une conception idéologique du citoyen : l’étranger qui avait le droit d’accéder à la citoyenneté, c’était l’étranger vertueux.
Depuis 1793, tout cela a disparu corps et biens.
Les deux exceptions que l’on nous oppose aujourd'hui, sont, premièrement, les citoyens européens et, deuxièmement, les ressortissants étrangers non européens qui pourraient éventuellement bénéficier de ce droit de vote.
Pour ce qui est des citoyens de l’Union européenne, Patrice Gélard et Jean-Jacques Hyest l’ont bien expliqué tout à l’heure, nous disposons d’un cadre juridique complet, avec d’abord le traité de Maastricht,…
MM. Jean-Jacques Hyest et Patrice Gélard. Oui !
M. Hugues Portelli. … puis le traité de Lisbonne, complété par la charte des droits fondamentaux de l’Union. Ainsi, les citoyens de l’Union européenne sont tous d’abord les citoyens d’États qui ont signé le même traité et appliquent la même charte des droits fondamentaux créant des droits et des devoirs pour chacun des membres de l’Union européenne et donc leurs ressortissants. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas lié à la Nation !
M. Hugues Portelli. Laissez-moi m’exprimer ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’ai le droit de faire des commentaires !
M. Hugues Portelli. Second point d’importance s’agissant des étrangers communautaires, c’est parce que l’on est ressortissant d’un État membre de l’Union européenne que l’on a le droit de vote,…
M. Bruno Retailleau. Absolument !
M. Hugues Portelli. … et non parce que l’on est ressortissant de l’Union européenne ! C’est l’appartenance à un État membre qui fonde le droit de voter aux élections européennes et aux élections locales. Ce n’est donc absolument pas incompatible avec notre droit national relatif à la citoyenneté et au vote.
J’en viens à la question des « extracommunautaires », comme les nomment les autres pays de l’Union européenne.
Il faut le dire clairement, on ne peut pas accorder aux extracommunautaires des droits supérieurs à ceux des communautaires.
M. Gérard Larcher. Eh oui !
M. Hugues Portelli. Si l’on suit le raisonnement des partisans de la proposition de loi, il faudrait au moins prévoir une égalité de traitement entre les citoyens et les non-citoyens de l’Union. Mais cette égalité suppose que soit prévue pour les deux cas l’obligation de réciprocité qui figure dans le Traité et dans la Constitution pour les citoyens des États membres de l’Union européenne,...
M. Jean-Yves Leconte. C’est formel !
M. Hugues Portelli. … ainsi qu’une obligation de résidence principale et d’inscription sur les listes électorales du pays d’origine.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce sera prévu dans la loi organique !
M. Hugues Portelli. La commission des lois aurait dû d’ores et déjà examiner toutes ces questions, et ce pour une raison très simple : quand on procède à une révision constitutionnelle, on doit automatiquement penser à la loi organique qui s’ensuivra.
M. Gérard Larcher. Bien sûr !
M. Hugues Portelli. On ne peut pas se permettre de faire une révision constitutionnelle comme cela, en passant, en se disant que l’on verra bien ce que prévoira la loi organique le jour venu. Il n’est pas possible de procéder ainsi, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission !
M. Hugues Portelli. Pour notre part, nous n’avons jamais travaillé ainsi.
J’en arrive au problème de fond.
Il est vrai que nous avons un désaccord politique et idéologique majeur avec les auteurs de la proposition de loi constitutionnelle, …
Mme Esther Benbassa, rapporteure. C’est vrai !
M. Hugues Portelli. … et ce désaccord, nous l’assumons.
Si nous voulons rester fidèles à notre droit public, aux principes philosophiques qui le fondent et au droit positif qui les traduit, nous ne saurions enraciner le droit de vote dans une vision qui serait non pas politique, mais sociétale.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Hugues Portelli. La conception que nous avons traditionnellement en France, depuis 1789, veut que l’on vote parce que l’on est citoyen, et l’on est citoyen parce que l’on participe à la Nation.
M. Gérard Larcher. Exactement !
M. Hugues Portelli. Ainsi que M. le ministre l’a souligné tout à l'heure, on ne peut pas couper la commune de l’État, et ce pour une raison très simple : en France, la commune est une circonscription de l’État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) De surcroît, les autorités de la commune sont en même temps des agents de l’État : le maire et ses adjoints sont placés sous l’autorité hiérarchique du préfet et du procureur de la République, Noël Mamère le sait bien. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Mme Catherine Tasca. Cela va loin !
M. Robert Hue. Vous avez perdu en route les lois de décentralisation !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Demandez à M. Raffarin !
M. Hugues Portelli. On ne peut donc pas faire n’importe quoi en matière de mariage, de droit électoral, ou d’état civil. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV. ) Tout cela forme un ensemble, un bloc auquel on ne saurait toucher.
Mais si cette proposition de loi constitutionnelle est absolument injustifiée sur le fond, elle est également inopportune. Notre collègue Patrice Gélard s’en est parfaitement expliqué tout à l'heure, mais permettez-moi d’y insister.
Inopportune, cette proposition de loi constitutionnelle l’est au moins à deux titres, d’abord pour une raison d’agenda politique. Pourquoi a-t-on voulu inscrire à tout prix ce texte à l’ordre du jour de nos travaux, alors que la tradition parlementaire veut que l’on n’examine pas un texte de nature électorale au cours d’une année électorale ?
M. Bruno Retailleau. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Nous ne sommes pas pour les traditions !
M. Hugues Portelli. Certes, me direz-vous, les prochaines élections municipales n’auront lieu qu’en 2014. L’argument serait pertinent si nous adhérions à votre conception de la commune, c'est-à-dire si nous pensions que les élections communales n’ont rien à voir avec les autres scrutins qui jalonnent la vie de la Nation.
M. Robert Hue. Qui a dit cela ?
M. Hugues Portelli. Mais c’est une conception que nous ne partageons pas.
Les élections municipales sont, au contraire, étroitement couplées avec les élections sénatoriales et même avec l’élection présidentielle…
M. Robert Hue. Heureusement ! C’est pour cela que nous vous avons battus !
M. Hugues Portelli. … puisque du choix des conseillers municipaux, donc du maire, dépend le parrainage des candidats à l’élection présidentielle.
On ne peut donc pas faire comme si les élections municipales n’avaient rien à voir avec le reste de la vie politique nationale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est ce que vous dites quand vous les perdez !
M. Hugues Portelli. Pour cette première raison de calendrier politique, nous estimons que ce texte n’est ni sérieux ni opportun.
Mme Catherine Tasca. C’est vous qui n’êtes pas sérieux !
M. Hugues Portelli. Mais la proposition de loi constitutionnelle n’est pas non plus opportune du fait des conditions dans lesquelles on nous présente ce texte.
Permettez-moi de vous rappeler, mes chers collègues, ce que disait l’un de nos anciens collègues qui siégeait il y a quelque temps encore sur les travées du CRC et qui avait été, en 1981, secrétaire d’État chargé des immigrés, je veux parler de François Autain.
Interrogé à l’époque sur le droit de vote des travailleurs étrangers aux élections municipales, François Autain avait répondu que c’était totalement prématuré. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Éliane Assassi. Bien sûr, il y a trente ans !
Mme Marie-France Beaufils. C’était il y a trente ans !
M. Hugues Portelli. Vous verrez avec lui ce qu’il en pense ! Mais, à l’époque, ce membre du gouvernement de Pierre Mauroy estimait que le plus important pour les travailleurs immigrés,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Séguin a dit en 2001 que c’était possible !
Mme Éliane Assassi. En 2005, le Président de la République l’a dit aussi !
M. Robert Hue. Eh oui, Sarkozy a dit la même chose !
M. Hugues Portelli. … c’était leur dignité, c’était leur identité, le droit de vote étant une question secondaire, qui n’était pas vraiment d’actualité.
Nous comprenons très bien que vous ayez envie, par esprit de paternalisme, de dire aux travailleurs étrangers ce qu’ils doivent faire et de leur dicter leurs devoirs. Mais c’est à eux qu’il revient de dire s’ils veulent devenir français. Ils doivent le faire librement, …
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Oh !
M. Hugues Portelli. … et ils ont d’ailleurs parfaitement le droit de le faire.
M. Robert Hue. Dans la tradition coloniale !
M. Hugues Portelli. Vous savez parfaitement que le droit de vote est, en France, le corollaire du droit de la nationalité. (M. François Rebsamen s’exclame.)
Pour avoir le droit de vote, il faut être français. Et, pour être français, il suffit d’en faire la demande ! (Non ! sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Yves Leconte. Réveillez-vous !
M. Hugues Portelli. C’est possible dès lors que l’on réside en France et que l’on remplit les critères traditionnels qui prévalent depuis deux siècles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
Votre proposition de loi constitutionnelle n’a qu’une valeur idéologique. Elle ne nous intéresse pas et nous préférons la retravailler tranquillement pour l’examiner le jour opportun. (Mêmes mouvements.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, n’y allons pas par quatre chemins : nous vivons un moment historique ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Le débat de cet après-midi s’inscrit, en effet, dans un long processus, jalonné d’embûches, de chausse-trapes, d’avancées et de reculs.
Ce processus, ouvert par la constitution de 1793, dans la ligne des fondements posés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen un peu plus tôt, a été relancé par le biais de la démocratie sociale, dès 1946, via l’ouverture aux étrangers de l’élection aux comités d’entreprise, et s’est accéléré, partiellement tout du moins, au début des années quatre-vingt-dix, lorsqu’a été accordé le droit de vote aux ressortissants communautaires.
Nous vivons vraiment une journée historique, car nous allons créer un nouveau droit, dans le respect de la tradition qui honore notre République et qui fait d’elle un merveilleux outil au service du progrès, de la liberté et de la conquête de nouveaux droits civiques et politiques pour toutes et pour tous.
Oui, nous allons créer aujourd’hui un nouveau droit, et quel droit ! Nous allons permettre à des hommes et à des femmes qui vivent, travaillent et paient des impôts en France de donner leur avis, de choisir, de participer, bref, d’être enfin considérés comme des citoyens comme les autres.
Peu importe l’origine, peu importe la religion ou l’absence de religion, peu importe la condition sociale, le sexe ou la couleur de peau ! Convenez, chers collègues de l’opposition sénatoriale, que l’institution d’une véritable citoyenneté de résidence, telle que la permet cette proposition de loi, méritait mieux que certains propos entendus dans notre hémicycle, surtout en cette fin d’après-midi !
Avec la motion qu’il a déposée, M. Hugues Portelli nous invite à prendre le temps de la réflexion, afin d’être certains que nous proposons un texte respectant les principes fondamentaux de notre République. Il ne s’agit, ni plus, ni moins, que d’une déclinaison du proverbe : « Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage » !
Nous avons affaire à une motion dilatoire, qui, sous couvert de s’appuyer sur les principes fondamentaux de la République, n’a comme seul objectif que de retarder encore, et encore un peu plus, le vote de cette proposition de loi.
M. Jean-Jacques Hyest. C’est vous qui nous retardez !
Mme Michelle Meunier. Vous le savez, les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat ont déjà eu à débattre de ce sujet à plusieurs reprises.
La commission des lois de l’Assemblée nationale a rendu trois rapports sur la question : ceux de Noël Mamère en 2000, de Bernard Roman en 2002 et de Sandrine Mazetier, plus récemment.
Si, au Sénat, il n’y a pas eu de rapport avant celui de notre collègue Esther Benbassa – je la salue et je la remercie de la qualité de son travail –, c’est tout simplement parce que vous avez refusé, mesdames, messieurs membres de l’opposition sénatoriale, d’ouvrir le débat, notamment en vous opposant à la discussion du texte dont il était demandé l’examen immédiat par M. Jean-Pierre Bel, Mme Marie-Christine Blandin et Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, en janvier 2006.
Si, comme vous le prétendez en soutenant cette motion tendant au renvoi à la commission, le texte comportait une quelconque difficulté au regard des principes fondamentaux de la République, pourquoi ne pas avoir agi de manière constructive en proposant des amendements de fond pour y remédier ?
Ce n’est pas le renvoi à la commission que vous cherchez, monsieur Portelli ! C’est tout simplement le renvoi aux oubliettes de ce texte et du droit qu’il crée, pénalisant ainsi ces milliers de femmes et d’hommes qui veulent qu’on les écoute et qu’on les entende.
Les Françaises et les Français attendent de nous du courage et de l’audace ; ils attendent des réponses et des actes. Il n’est plus urgent d’attendre, il est urgent d’agir ! Aussi, mes chers collègues, je vous propose de rejeter cette motion tendant au renvoi à la commission et, sans plus tarder, d’ouvrir la discussion sur le fond de cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. La commission est défavorable à cette motion tendant au renvoi à la commission.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 3, tendant au renvoi à la commission.
Je rappelle que la commission a émis un avis défavorable et le Gouvernement un avis favorable.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste-EELV.
Il va donc être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 64 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 165 |
Contre | 174 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
7
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Christophe Béchu, pour un rappel au règlement.
M. Christophe Béchu. Monsieur le président, j’aimerais simplement répondre à Mme la rapporteure, qui tout à l’heure m’a cité, et c’était trop d’honneur, expliquant que j’étais coupable d’avoir changé d’avis entre la réunion de commission et la séance publique.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Oh, que de grands mots !
M. Christophe Béchu. En commission, j’ai effectivement dit qu’il fallait faire attention à ne pas fantasmer et que ce texte n’ouvrait pas la porte à tous les communautarismes.
En effet, chers collègues, des communautarismes existent d’ores et déjà dans notre pays, malheureusement, et personne ne prétend que le phénomène va naître avec l’extension du droit de vote et d’éligibilité. Tel est le sens des propos que j’ai tenus en commission.
Quant à ce que j’ai dit à la tribune, cet après-midi, je croyais avoir fait preuve de prudence et de mesure…
M. Roger Karoutchi. Trop !
M. Christophe Béchu. ... en affirmant non pas que cette proposition de loi constitutionnelle allait susciter systématiquement les communautarismes, mais très précisément que, loin de les empêcher, elle risquait de les encourager. D’ailleurs, je maintiens en cet instant que ce texte porte bien en germe le risque d’une montée des communautarismes.
Que l’on ne me fasse donc pas un procès que je ne mérite pas ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Monsieur Béchu, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt-deux heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Décision du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 8 décembre 2011, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi relative à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures juridictionnelles.
Acte est donné de cette communication.
9
Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi et d'une proposition de loi
M. le président. J’informe le Sénat que, en application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi portant réforme des ports d’outre-mer relevant de l’État et diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne dans le domaine des transports, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2011.
J’informe également le Sénat que, en application du même article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du xxe siècle, déposée sur le bureau de notre assemblée.
10
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le jeudi 8 décembre 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution il a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité soulevée dans le cadre d’une requête tendant à l’annulation d’opérations électorales (2011-4538 SEN).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
11
Modification de l'ordre du jour
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 1476 de M. Jacques-Bernard Magner est retirée, à sa demande, de l’ordre du jour de la séance du 20 décembre.
Par ailleurs, la question n° 1516 de M. Maurice Vincent pourrait être inscrite à cette séance.
Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
12
Droit de vote et d'éligibilité des étrangers
Suite de la discussion et adoption d'une proposition de loi constitutionnelle dans le texte de la commission, modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de loi constitutionnelle, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France.
Les trois motions ayant été successivement repoussées, nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
Après l'article 72-4 de la Constitution, il est inséré un article 72-5 ainsi rédigé :
« Art. 72-5. – Le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France. Ils ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d’adjoint, ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l’élection des sénateurs. Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article. »
M. le président. La parole est à M. Louis Nègre, sur l’article.
M. Louis Nègre. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, de nombreux arguments ayant d’ores et déjà été avancés, je limiterai mon intervention à deux points, selon moi essentiels dans le cadre de cette discussion, où sont mis en cause les fondements même de notre République. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Mon premier argument est simple : les dispositions proposées ne sont pas dans la tradition historique de la France.
Chaque pays a une histoire et se doit de la respecter. Après une très courte période d’ouverture à un universalisme débridé, les républiques successives ont lié indissolublement le droit de vote aux élections politiques à la nationalité française. Ce droit de vote, que nous considérons en France comme la plus haute manifestation de l’appartenance à la Nation, constitue la colonne vertébrale de notre système politique depuis deux siècles.
Le traité de Maastricht lui-même, contrairement à ce qui a été dit sur d’autres travées, ne crée pas un précédent, car il pose une double contrainte majeure au droit de vote. D’une part, il suppose l’existence préalable d’un traité entre différents pays ; d’autre part, il institue le principe de réciprocité, sur lequel vous avez été particulièrement discrets, chers collègues.
M. David Assouline. Non !
M. Louis Nègre. On peut le comprendre, car vous êtes bien incapables de citer à ce jour un seul pays qui accepterait d’appliquer le principe que vous défendez.
Mon second argument est fondé sur un constat d’évidence : la France est le pays généreux par excellence, à l’opposé de celui que vous décrivez, qui serait fermé aux étrangers.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Il suffit d’aller voir ce qui se passe dans les préfectures !
M. Louis Nègre. Non, chers collègues, la France est accueillante et ouverte à l’Autre ! Les chiffres sont là, et comme le disait Lénine – j’ai choisi une référence que vous connaissez bien ! –, les faits sont les faits, et les faits sont têtus ! (Protestations lassées sur les travées du groupe CRC.)
Chaque année, la France naturalise 130 000 étrangers, soit 356 personnes par jour en moyenne. Ainsi, chers collègues, depuis que nous avons commencé notre discussion, 120 étrangers sont désormais français !
Oui, la France est ouverte et généreuse. Ceux qui, en signant la Charte des droits et des devoirs du citoyen, ont choisi de devenir français, par un acte volontaire et conscient, et s’engagent à être « fidèles aux valeurs de la France, respecter ses symboles, servir notre pays et contribuer à son rayonnement », sont les bienvenus.
La preuve vivante de cette intégration, elle est ici, au milieu de nous, dans cet hémicycle, et sa présence confirme le bien-fondé de ma thèse. Madame le rapporteur, je tiens à rendre hommage à la sincérité de votre intervention, même si je ne partage pas vos idées. Vous qui nous avez dit être, au départ, une immigrée, vous avez choisi notre pays, vous avez choisi la France, vous ne vous êtes pas contentée d’un droit de vote aux municipales.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Je suis française et sénatrice !
M. Louis Nègre. Vous êtes devenue, sur votre initiative, une citoyenne française à part entière. Aujourd’hui, grâce à notre pays, ouvert et généreux pour les étrangers, je le répète, vous êtes désormais sénatrice de la République, et représentante ès qualités de la France.
M. David Assouline. Et alors ?
M. Louis Nègre. Alors oui, si un étranger veut s’intégrer et partager nos valeurs et le destin de notre pays, il peut le faire sans que nous prenions pour autant le risque de créer une nation mosaïque et de favoriser ainsi les communautarismes et les forces centripètes qui nous menacent.
Comme je viens de le démontrer, la France se révèle le pays le plus généreux de toute l’Europe : elle accueille les étrangers et leur accorde la citoyenneté dès lors qu’ils le souhaitent eux-mêmes.
M. David Assouline. Vous dites des contrevérités !
M. Louis Nègre. Dans ces conditions, chers collègues, on peut se poser la question de savoir ce que cache réellement cette proposition de loi, qui ressort périodiquement à la veille d’élections importantes (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.),…
M. David Assouline. Quand ?
M. Louis Nègre. … ce cadavre exquis constitutionnel que vous n’avez pas pu, rappelez-vous, mettre en application en 1983, car déjà – vous nous l’avez dit tout à l’heure, monsieur Assouline, et je vous ai bien entendu – la société française s’y était vigoureusement opposée.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Mais non !
M. David Assouline. Pas du tout !
M. Louis Nègre. Souvenez-vous des déclarations de M. Cheysson et des élections municipales de 1983 !
Que cherchez-vous réellement à faire ici, chers collègues ? S’agit-il d’anticiper le programme du PS, qui prévoit d’étendre le droit de vote des étrangers à l’ensemble des élections locales ? Souhaitez-vous, comme l’a indiqué le think tank Terra Nova, bénéficier de troupes électorales supplémentaires ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Essayez de varier les arguments !
M. Louis Nègre. Ou bien n’est-ce pas une tactique comme une autre pour essayer de rassembler autour de vous l’escadre de pédalos qui s’égare à tout-va…
Mme Christiane Demontès. Ridicule !
M. Louis Nègre. ... ou encore, tout simplement, pour faire monter, électoralement parlant, le Front national ? (M. le président de la commission des lois proteste.)
M. Robert Hue. Effet de manche !
M. Jacky Le Menn. Cela ne vole pas haut !
M. Louis Nègre. Comme l’a dit le général de Gaulle, si nous sommes tous des enfants du bon Dieu, nous ne sommes pas pour autant des canards sauvages ! (Sourires sur les travées de l’UMP.) La ficelle est un peu grosse, mais nous ne tomberons pas dans ce piège grossier. Nous voterons donc contre cet article, que l’on peut qualifier de « politicien » tant dans son existence que dans son essence. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Éliane Assassi. Tout ça pour ça !
M. Jacky Le Menn. Il est soulagé, maintenant ?...
M. le président. La parole est à M. Abdourahamane Soilihi, sur l'article.
M. Abdourahamane Soilihi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, d’autres ont su le rappeler avant moi, pour voter, il faut être français ! La tradition républicaine, c’est ce lien indissociable entre le droit de vote et la citoyenneté.
Être français ? Chacun, dans cet hémicycle, doit bien mesurer ce que cela signifie dans mon département, à Mayotte, ce que cela signifie dans le cœur de nos compatriotes mahorais, et, au-delà, dans l’ensemble des outre-mer. Oui, que chacun mesure bien, à l’occasion du débat qui nous occupe aujourd’hui, ce que la citoyenneté veut dire, ce que représente pour nos compatriotes de cette France d’au-delà des mers le fait d’être « un citoyen à part entière ».
Monsieur le ministre, lorsque vous entendez, comme à Mayotte ces dernières semaines, nos compatriotes d’outre-mer donner un peu de la voix, descendre dans la rue et manifester, ce n’est pas, croyez-moi, parce que nous serions en quelque sorte les élèves un peu turbulents du fond de la classe : ce n’est jamais pour revendiquer autre chose que notre citoyenneté française.
Le Président de la République l’a bien compris en étant le premier à tenir la parole donnée, en étant le président des promesses tenues à Mayotte, devenue le 31 mars dernier le cent unième département français. Cinquante ans que nous attendions cela !
M. David Assouline. Quel rapport ?
M. Abdourahamane Soilihi. Comment, chers collègues, pourrions-nous, aujourd’hui, partager votre projet ? Comment, surtout, faire comprendre aux Mahorais que les étrangers qui arriveront sur le territoire de leur département auront les mêmes droits qu’eux, sans pour autant avoir la nationalité française ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Ce serait, quelques mois à peine après la départementalisation, leur proposer mécaniquement une citoyenneté au rabais !
Cela reviendrait, très concrètement, à leur expliquer que ce sont les 40 % d’étrangers, en situation régulière ou irrégulière à Mayotte, qui feront leurs élus, voire qui deviendront eux-mêmes nos maires...
Mme Éliane Assassi. Ceux qui n’ont pas de papiers ne votent pas ! Il ne faut pas dire n’importe quoi...
M. Abdourahamane Soilihi. Or les maires jouent un rôle très important à Mayotte.
Je laisse à ceux qui voteront ce texte le soin de venir l’expliquer eux-mêmes aux Mahorais !
Mes chers collègues, l’urgence à Mayotte, dans l’ensemble de nos outre-mer, comme partout en France, ce n’est pas d’accorder le droit de vote aux étrangers, c’est de lutter contre l’immigration illégale ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Louis Nègre. Bravo !
Mme Christiane Demontès. Mais les clandestins ne votent pas !
M. Jacky Le Menn. Non, ils ne votent pas !
M. Abdourahamane Soilihi. Nos concitoyens d’outre-mer nous disent tout leur attachement à la République, à la citoyenneté, eux qui sont en première ligne face à l’immigration illégale, et ils nous disent leur fierté d’être Français. Et vous proposez d’accorder le droit de vote et l’éligibilité aux étrangers ? Quel décalage !
Mme Éliane Assassi. Nous parlons des étrangers en situation régulière !
M. Abdourahamane Soilihi. Je me souviens des mots prononcés par Marie-Luce Penchard, notre ministre de l’outre-mer, le 31 mars dernier, au moment où Mayotte devenait le cent unième département de notre pays : « C’est l’honneur de la France, c’est la fierté de notre pays que de savoir, par-delà les océans, réunir des femmes et des hommes aux histoires et aux cultures différentes dans un projet commun qui nous rassemble tous ».
C’est cela, la République chère au cœur des Français d’outre-mer !
Ces Français d’outre-mer se souviennent que, le 4 février 1794, avec la toute première abolition de l’esclavage, avec l’élection d’ultra-marins à la Convention, la France nous disait ce qu’est la citoyenneté, ce qu’est un citoyen, libre et à part entière. Ce jour-là, à cet instant, ce 16 pluviôse An II, la France, en train d’inventer la République, a fait de l’un de ses fondements les plus précieux, la citoyenneté, un principe universel !
Mes chers collègues, c’est en pensant à nos compatriotes d’outre-mer que je ne pourrai aller dans le sens de ce texte, un texte qui divise, qui discrimine et porte atteinte aux principes qui font notre fierté d’appartenir à la République. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l’article.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis résulte d’une volonté de la majorité sénatoriale de mieux inclure les populations immigrées et de leur présenter l’image d’une République accueillante et apaisée.
Or j’estime que, pour l’intégrer, il ne faut pas seulement connaître la personne, mais aussi la reconnaître, dans toutes ses dimensions. Cela suppose de lui conférer des droits qui iront avec des devoirs.
Oui, la meilleure manière d’inclure des étrangers est de leur permettre de participer à la vie de la Cité. De la sorte, ils ont l’impression de faire partie d’un tout, et non d’être des personnes à part dans notre démocratie.
J’entends bien, chers collègues de la majorité gouvernementale, vos critiques sur le lien entre nationalité et citoyenneté. Il vous a déjà été signifié que ce lien s’était fortement distendu depuis le traité de Maastricht de 1992. (M. Louis Nègre fait un signe de dénégation.) Plus encore, je crois que vous confondez intégration et assimilation.
Pour vous, le vote est la marque de la nationalité. Ainsi ne seraient citoyens que les Français, ce qui implique que les étrangers souhaitant participer à l’exercice démocratique soient progressivement assimilés pour finir par être français.
À l’inverse, nous estimons que l’on doit demander aux étrangers de s’intégrer dans notre système, ce qui implique de partager valeurs et principes, de connaître usages et langue, mais n’impose pas une acculturation complète ni une assimilation parfaite. Nous croyons que la diversité de notre pays fait sa richesse et participe de son dynamisme à l’échelle mondiale. Dans un contexte de « globalisation », c’est bien par le partage, le métissage, que nous serons plus forts, plus à même d’être réceptifs et efficaces face aux mutations économiques et sociales.
L’inclusion des étrangers permet donc l’existence d’une société unie et solidaire, mais encourage également le maintien d’une diversité gage de vitalité pour cette société.
Ce sont l’uniformité et l’homogénéité qui brisent la créativité. La proposition de loi constitutionnelle présentée aujourd’hui assure ainsi un respect de l’étranger dans sa singularité et son inclusion dans la société, par le processus de participation à nos grands moments de démocratie locale.
Nous souhaitons une démocratie plus vivante, facteur d’inclusion.
Mes chers collègues, la liberté, c’est donner aussi à ceux qui vivent sur notre sol ce droit élémentaire de participer à la vie de la Cité. L’égalité, c’est lutter contre tout ce qui l’entrave et qui reste toujours un combat. La fraternité, c’est ce mot du cœur qui se passe de définition.
Au nom de ce triptyque républicain, ce droit de vote marquera d’une manière certaine l’enracinement par l’exercice démocratique comme l’aboutissement d’un enracinement symbolique.
On a beaucoup parlé de communautarisme. Il est vrai que plus on donnera à ces personnes l’impression qu’elles ne sont pas les bienvenues dans notre pays, plus on dira, par exemple, que l’islam est une idéologie à combattre et non une spiritualité, en d’autres termes, plus on continuera la politique actuelle, et plus on donnera de l’eau au moulin de ceux qui souhaitent une plus grande radicalité, qu’ils soient islamophobes ou extrémistes, car les uns se nourrissent des autres.
En la circonstance, le problème réside bien dans notre attitude, et non dans celle des étrangers.
Au lieu de brandir le chiffon rouge du communautarisme, et plutôt que d’attiser les peurs – celles de l’Autre, de l’immigré, que Milan Kundera qualifiait de « grand souffrant », des crises de toute sorte – n’allons pas renoncer, sous prétexte que le pays est en crise, à des avancées démocratiques.
Préférons promouvoir nos valeurs, et notamment faire œuvre de pédagogie pour l’une d’entre elles, à mes yeux cardinale : la laïcité, matrice de nos identités plurielles, et espace de concorde qui nous permet de vivre ensemble au-delà de nos différences.
La citoyenneté de résidence donnera des droits, et nous pourrons alors être plus exigeants quant au respect de ce qui fonde notre pacte républicain.
Mes chers collègues, il ne s’agit pas « de reconnaître des égaux, mais d’en faire ».
Si « la politique, c’est de porter sur soi le destin d’autrui », alors, en votant ce texte, nous porterons sur nous le destin de ceux qui vivent sur notre sol et qui partagent bien souvent une histoire commune, pour construire ensemble un avenir commun.
C’est la raison pour laquelle, comme notre collègue Jacques Mézard, j’en appelle au courage et souhaite que notre Haute Assemblée franchisse une nouvelle étape, assurant aux étrangers cette citoyenneté de résidence qui est gage d’une plus grande inclusion dans notre société, gage de sa vitalité et de son ouverture au monde. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mlle Sophie Joissains, sur l’article.
Mlle Sophie Joissains. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, encore aujourd’hui, la France est le pays qui naturalise le plus au monde.
La vie aux côtés des résidents étrangers s’est organisée, avec l’octroi progressif de nombreux droits participatifs, c’est-à-dire tous les droits, sauf ceux issus du politique. Le problème est ailleurs : l’école, le logement, le travail.
Les droits participatifs sont donnés à tous, mais, pour voter, il faut avoir adhéré aux principes républicains, et souhaiter porter haut les valeurs qui font la France.
Donner ce droit sans contrepartie, c’est le galvauder.
Être résident en France ne signifie pas pour autant adhérer aux valeurs républicaines françaises. On peut aimer un pays de différentes manières.
Dimanche, en regardant la chaîne Public Sénat, j’ai appris qu’une partie importante de la communauté tunisienne résidant en France et ayant conservé sa nationalité d’origine, avait voté à plus de 40 % pour le parti religieux.
Mme Bariza Khiari. Et à 45 % pour la gauche laïque !
Mlle Sophie Joissains. Libre à eux ! Ce n’est pas mon problème. Mais, demain, si vous leur accordez ce droit qu’ils n’ont pas réclamé, que se passera-t-il dans les bureaux de vote ? Adhéreront-ils, pour autant, aux partis républicains, ou même au système républicain ? Je ne le crois pas ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. François Rebsamen. C’est triste d’entendre cela !
Mlle Sophie Joissains. Ce ne sera pas leur faute, ce sera la nôtre. Il faut le savoir !
Je respecte la liberté de chacun, mais, de grâce, gardons le sens du pacte républicain. Ne vulgarisons pas, ne banalisons pas, ne trahissons pas le geste qui traduit l’appartenance à la nation française !
Selon vous, les étrangers non-ressortissants de l’Union européenne seraient victimes d’une injustice et discriminés par rapport aux étrangers européens résidant sur le sol français. Ce n’est pas vrai ! Pas plus qu’il n’existe, dans notre pays, de discrimination entre les Français et les ressortissants des pays étrangers autres qu’européens.
La citoyenneté européenne est supranationale...
M. David Assouline. Elle n’existe pas !
Mlle Sophie Joissains. ... et instaurée par des traités soumis à la condition de réciprocité.
Ces traités, et le droit de vote des citoyens de l’Union européenne aux élections locales qui en découle, sont issus d’un idéal et d’un projet communs qui ont mûri pendant quarante ans. On ne peut donc comparer la situation de ces ressortissants européens avec celle des autres résidents étrangers. Le débat entre États ne peut avoir lieu que sous condition de réciprocité.
La condition de réciprocité inscrite, entre autres, dans l’article 55 de la Constitution, est la condition sine qua non d’un échange sain entre États, de leur égalité dans le cadre de l’application des traités. Sur le plan international, il s’agit de la notion la plus républicaine qui soit.
N’oublions pas qu’en France aucun résident étranger n’est privé de citoyenneté du fait, d’une part, des droits participatifs, que j’estime tout à fait justes et normaux, et, d’autre part, de la possibilité de voter lors des élections nationales organisées dans le pays d’origine. À cet égard, les étrangers votent largement lors des scrutins organisés dans leur pays, bien plus, il faut le savoir, que les citoyens européens dans leur pays de résidence.
Si la France adoptait un jour le dispositif qui nous est soumis aujourd’hui, il lui reviendrait de le faire de façon partagée, en appliquant le principe de réciprocité.
M. François Rebsamen. Au Burkina ?
Mlle Sophie Joissains. À défaut, elle se tirerait une balle dans le pied.
Le droit d’asile facilite l’obtention de la nationalité française. Un esprit révolutionnaire, généreux et magnifique, a inspiré à la France l’adoption de ce principe.
Il en va autrement du droit de vote, apanage de la nationalité : l’accorder à des personnes qui ne font que résider en France reviendrait à dévitaliser la nationalité, à dévaluer le geste même du vote, pour lequel des Français se sont battus avec acharnement, ainsi que des étrangers ayant obtenu la nationalité française. Et nombreux sont ceux qui, de par le monde, se battent encore.
Être Français, c’est s’approprier une histoire, des combats pour la liberté de penser et d’être, pour l’égalité des citoyens, hommes et femmes. La solution ne réside pas dans la faiblesse de la France, elle réside dans sa force, dans sa capacité de rassembler autour des valeurs qui la constituent.
La couleur, l’ethnie, n’ont aucune importance. Ce qui est important, c’est l’amour de la France, l’adhésion aux valeurs qui nous rassemblent.
La Journée défense et citoyenneté, par exemple, est un devoir pour les nationaux. Comment justifier que des résidents étrangers échappent à tout engagement, à toute contrainte, et puissent être élus au sein des conseils municipaux ?
À l’heure où le communautarisme vient traduire un malaise, une douleur sociale, voire sociétale, quelle sera l’attitude du politique pendant les élections ? Nous savons tous ici comment les choses se passent : plus une élection approche, et plus l’arithmétique foudroie les consciences : telle alliance représente tant de voix, telle communauté, tant d’autres voix...
M. David Assouline. Chez vous, peut-être...
M. François Rebsamen. Mais ce n’est pas ainsi que nous calculons !
Mlle Sophie Joissains. Ces calculs pourraient facilement mener les enjeux communautaristes au sein d’une République qui, pour le salut de tous, doit être une et indivisible.
Je ne parlerai pas d’États étrangers pour lesquels cette faille dans le système républicain pourrait constituer une aubaine. Nous sommes en paix, mais nous pourrions ne plus l’être... (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Oui, grâce à l’Europe, cela fait soixante ans que nous sommes en paix. Ce n’est pas rien !
Notre République doit rester forte et généreuse ! Aujourd’hui, alors que notre pays connaît des jours difficiles, la cohésion sociale se fissure quelque peu, çà et là. Personne n’ignore et ne peut raisonnablement ignorer que des thèmes comme celui dont nous débattons provoquent des réactions viscérales et font monter les extrêmes. Ce fut longtemps la stratégie de la gauche, avant qu’elle ne soit prise au piège du 21 avril 2002.
La même stratégie est-elle à l’œuvre aujourd’hui ? C’est possible, mais je n’en suis pas certaine. Je sais que certains d’entre vous sont sincères.
En tout cas, la gauche oublie que, à la suite de ces discussions, qui n’ont d’ailleurs pas lieu d’être, l’anathème est jeté sur le bouc émissaire de toujours et de toutes les civilisations, à savoir l’étranger et, par amalgame, les communautés françaises d’origine étrangère. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Plus lamentable encore, cette démarche a été faite en toute connaissance de cause. C’est non seulement dangereux, mais aussi irresponsable ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quelle honte !
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sur l’article.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’octroi exclusif du droit de vote aux ressortissants nationaux est intimement lié à la définition même de la souveraineté des États-nations. Ce principe est aussi inscrit dans le droit international positif et dans sa jurisprudence.
Certes, madame la rapporteure, vous nous avez cité en exemple un tel octroi aux étrangers lors de la Révolution française, en 1793. Je souhaite néanmoins préciser que la Constitution montagnarde du 24 juin 1793, qui établissait la Première République, ne confiait cette capacité électorale qu’aux étrangers qui remplissaient certaines conditions ou qui étaient jugés par le corps législatif comme « ayant bien mérité de l’humanité ». Cette générosité n’était qu’apparente, car l’allégeance exigée aux principes de la Révolution équivalait au renoncement à toute autre appartenance.
Je veux également rappeler que, en octobre 1793, tous les étrangers appartenant à des États en conflit avec la France furent arrêtés et spoliés de leurs biens.
Dans le contexte du droit international positif, de l’esprit du droit, sur un plan purement juridique, dans la mesure où la citoyenneté découle d’une allégeance à la Nation, le vote des étrangers ne pourrait être légitimé que par l’existence d’une réciprocité, exigence généralement appliquée par nombre de pays ayant accepté le vote des étrangers pour certains scrutins.
Cette condition de réciprocité est d’ailleurs mise en exergue à l’article 88-3 de la Constitution, qui autorise le vote des ressortissants communautaires. Dès lors, comment peut-on envisager d’exiger moins des étrangers non communautaires que de nos concitoyens de l’Union européenne ?
M. François Rebsamen. C’est déjà fait dans dix-huit pays !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Si l’on souhaitait octroyer le droit de vote aux ressortissants extracommunautaires, il faudrait donc négocier avec chaque pays pour que nos compatriotes expatriés qui y résident obtiennent des droits similaires.
Une telle démarche se révélerait extrêmement complexe et coûteuse, puisqu’elle rendrait nécessaire plus de cent cinquante négociations bilatérales, afin que nos expatriés dans les pays concernés puissent y voter. Elle serait, en pratique, impossible dans certains cas, puisque nombre d’États non démocratiques n’organisent aucune élection locale.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. François Rebsamen. Eh oui !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. L’adoption d’une telle clause de réciprocité créerait alors une discrimination injustifiable parmi les étrangers non communautaires. Parfaitement intégrés en France, pourquoi devraient-ils encore être pénalisés par la nature du régime politique de leur pays d’origine ?
Au-delà des apories de la clause de réciprocité, c’est la conception même de la communauté politique qui est en jeu. Cette notion est essentielle pour que le droit de vote ait un sens, pour qu’il ne reste pas purement théorique, pour que lui soit conférée une portée politique réelle.
Or, en pratique, que constate-t-on ? En Finlande, où les ressortissants non communautaires votent depuis déjà quinze ans, la participation des étrangers aux élections municipales est extrêmement faible, puisqu’elle est plus de trois fois inférieure à celle des Finlandais. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
MM. François Rebsamen et David Assouline. Et alors ? N’ayez pas peur !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. La faible identification de ces étrangers à la vie politique locale est le principal argument avancé pour expliquer ce phénomène.
Dès lors, mes chers collègues, est-il bien raisonnable d’octroyer un droit de vote alors que, jusqu’à présent, aucun besoin profondément ressenti n’a été exprimé, ni aucune revendication clairement formulée ?
M. François Rebsamen. Qu’est-ce que vous en savez ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. L’abstention atteint déjà des niveaux alarmants. Ne l’aggravons pas davantage !
Pour éviter un tel écueil, il importe que la capacité à voter s’inscrive dans le cadre soit d’une volonté d’intégration politique poussée, comme dans l’Union européenne, soit de l’appartenance à une communauté culturelle et linguistique.
Cette dimension se trouve d’ailleurs au cœur de la législation de nombre de pays ayant accordé un droit de vote aux étrangers non communautaires. L’Espagne privilégie les ressortissants des pays hispanophones, le Portugal ceux des pays lusophones et le Royaume-Uni ceux du Commonwealth et les Irlandais.
Pour les étrangers extracommunautaires résidant durablement en France, la volonté de rejoindre cette communauté politique devrait alors se traduire par une naturalisation, plutôt que par l’octroi d’un droit de vote déconnecté de l’ensemble des autres droits et devoirs des citoyens. Ce serait la négation de ce qui fait l’essence même de notre citoyenneté, ce lien quasi sacré entre droit de vote et appartenance à la Nation.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La politique ne relève pas du sacré !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Nous voulons que les étrangers établis de longue date sur notre territoire aient envie de rejoindre notre communauté nationale. Or ce ne sera plus le cas si nous bradons le droit de vote et de participation.
Comme l’a indiqué tout à l’heure Roger Karoutchi, la République française vaut bien mieux que cela ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. David Assouline. En tout cas, elle vaut mieux que votre intervention.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l’article.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme d’une longue évolution, le modèle républicain français issu de la Révolution lie nationalité, citoyenneté et droit de vote égal pour tous, s’agissant des élections locales ou nationales. La « cellule de base de la démocratie » communale y est un lieu d’expression politique avant d’être un pourvoyeur de services contre rétribution fiscale.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. Le Sénat, représentant des collectivités territoriales, est non pas le Conseil économique, social et environnemental, mais une assemblée politique.
On nous propose aujourd’hui de renoncer à ce modèle en découplant nationalité et citoyenneté et en créant deux sortes de citoyennetés : une citoyenneté nationale de plein exercice et une citoyenneté résidentielle locale.
Un ensemble politique bâti selon cette logique est en effet possible, puisqu’il en existe. À titre d’exemple, les démocraties issues de la tradition monarchique et/ou impériale entendent assurer la vie en commun non pas d’individus, d’atomes de citoyenneté, mais de communautés, de religions, de cultures différentes.
Ces modèles « multiculturels » assurent-ils mieux que le modèle républicain français la paix publique, la coexistence libre, tolérante et réellement équitable des hommes ? Les émeutes de 2001, les tentatives d’attentat de 2005 au Royaume-Uni, la brutale remise en cause aux Pays-Bas du modèle européen le plus progressiste jusque-là en font douter.
Naturellement, vous l’aurez constaté, mes chers collègues, l’Europe libérale construite autour du marché et d’une bureaucratie juridico-financière dont l’objectif est de se passer du politique et de dissoudre les nations peccamineuses ne voit qu’avantage à la citoyenneté résidentielle. Cette Europe, qui entendait unir les peuples par-delà les nations, est en train de les séparer.
La « déliaison » de la nationalité et de la citoyenneté, la citoyenneté à deux vitesses ont existé – je l’ai brièvement évoqué tout à l’heure – dans trois départements, officiellement français, en Algérie, entre 1865 et 1946, voire 1956. Rappelons-nous, les « indigènes juifs » jusqu’en 1870 et le décret Crémieux, ainsi que les « indigènes musulmans » jusqu’en 1946, pourtant de nationalité française, devaient demander à être « naturalisés » – ce terme était d'ailleurs impropre, puisqu’ils étaient déjà français – pour devenir citoyens. Un système de collèges et de quotas limitait les droits de la minorité d’« indigènes musulmans » admis à participer aux élections locales.
Le système proposé est l’image, en quelque sorte en miroir, de cette « monstruosité juridique », selon l’expression de Dominique Schnapper. Au lieu d’une nationalité sans citoyenneté, on a une citoyenneté résidentielle de deuxième rang, sans nationalité.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Pierre-Yves Collombat. Les bons ou les mauvais sentiments ne font rien à l’affaire, pas plus que les programmes sortis ou remis dans les tiroirs selon l’usage qu’on en veut faire.
Si d’aucuns peuvent s’opposer pour de mauvaises raisons à cette proposition de loi constitutionnelle, on peut en fournir quelques-unes qui sont de principe, et finasser sur ce point n’a jamais réussi à la République. Je crains que la suite de notre discussion ne le montre. Je souhaite sincèrement me tromper, car je comprends que l’on puisse adopter ce type de démarche, afin d’assurer une meilleure intégration, un meilleur vivre-ensemble à tous les étrangers vivant sur notre sol.
Au final, malgré ses ratés et ses errements, le modèle républicain français est autant que les autres, sinon plus, à même de répondre aux défis actuels. C’est non pas en le tordant, mais en respectant sa logique qu’on lui permettra d’y parvenir, autrement dit en ouvrant plus largement l’acquisition de la nationalité française, au lieu de tout faire pour la limiter.
À cet égard, mademoiselle Joissains, la France n’est pas le pays européen qui naturalise le plus grand nombre de personnes ; jusqu’à présent, c’est la Grande-Bretagne.
Monsieur le ministre, si vous modifiiez quelque peu la politique que vous menez en la matière, vous seriez plus crédible !
Nous devons donc nous donner les moyens d’une politique d’intégration effective, au lieu d’en parler et de ne rien faire.
La démarche que je propose est à l’opposé de ce que font Nicolas Sarkozy et son gouvernement, au nom de la défense d’une identité nationale qui n’existe pas, au moment même où, après avoir anéanti la politique de la ville, ils s’apprêtent à abandonner des pans entiers de notre souveraineté et à ouvrir les portes d’un purgatoire économique de longue durée, pas vraiment favorable à l’intégration des moins favorisés. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste-EELV. – M. Bruno Retailleau applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Léonard, sur l’article.
M. Claude Léonard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure actuelle, notre pays a mis en place une législation déjà bien généreuse, puisque les citoyens des vingt-six autres pays membres de l’Union européenne bénéficient du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales.
J’observe cependant que certaines restrictions ont été apportées aux droits qui leur ont été conférés. Ainsi, à l’occasion du dernier renouvellement sénatorial, dans mon département, plusieurs élus issus du Benelux, par exemple, qui font partie des conseils municipaux, n’ont pas pu participer à la désignation des grands électeurs, conformément à une décision du Conseil constitutionnel. Ils en sont encore aujourd'hui frustrés, car ce sont, en quelque sorte, des demi-citoyens.
La population d’une commune proche de mon domicile compte une moitié de citoyens originaires du Benelux. N’est-ce pas une caricature de démocratie que de faire voter la moitié du conseil municipal pour désigner un grand électeur ? C’est pourtant ce qui se passe !
Le texte que nous examinons aujourd'hui va bien au-delà ; il doit nous conduire à nous demander ce que signifient la citoyenneté et l’intégration et ce que souhaitent véritablement les étrangers issus des pays non-membres de l’Union européenne présents sur notre territoire.
La citoyenneté se définit par l’adhésion à un certain nombre de valeurs et par la volonté de se reconnaître dans les institutions et les hommes et les femmes qui les incarnent. C’est le partage d’une histoire commune et sans doute, bien plus encore, l’adhésion à un avenir commun, partagé, collectif.
En France, contrairement à ce qui s’est passé chez certains de nos voisins, y compris les plus proches, la citoyenneté s’est construite autour de l’État-nation, comme nombre d’orateurs l’ont rappelé cet après-midi. Il s’agit d’une réalité historique et sociologique. De ce fait, il n’est pas possible de dissocier la citoyenneté de la nationalité.
Dans ces conditions, il n’est pas souhaitable d’accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non-membres de l’Union européenne, car alors l’un des principes fondateurs de notre République serait remis en cause.
M. Pierre Charon. C’est vrai !
M. Claude Léonard. L’adoption de la présente proposition de loi constitutionnelle conduirait à une fragilisation de la République.
En résumé, l’attribution aux étrangers du droit de vote et d’éligibilité aux élections locales est incompatible avec notre conception de la nationalité et de la citoyenneté. Si ces personnes souhaitent s’investir dans la vie de leur cité, être électeurs et éligibles, rien ne les empêche de solliciter la nationalité française.
Par ailleurs, force est de reconnaître que le modèle français d’intégration se heurte à un certain nombre de difficultés : communautarisation grandissante, structures familiales qui ne sont pas toujours en adéquation avec notre législation (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.), difficultés des jeunes immigrés, même diplômés, à s’insérer dans la vie active.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Nous sommes revenus au XVIIIe siècle !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quels poncifs !
M. Claude Léonard. J’en viens fort logiquement aux souhaits exprimés par ces immigrés.
M. David Assouline. Qu’en savez-vous ?
M. Claude Léonard. Monsieur Assouline, le conseil municipal de votre commune comporte-t-il de nombreux ressortissants de l’Union européenne ?
M. David Assouline. Oui !
M. Claude Léonard. Que veulent donc ces personnes ? Par priorité, avoir un emploi, obtenir un logement décent, pouvoir fonder une famille et bénéficier de la même considération et du même respect que les autres.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est ce que l’on disait pour les femmes !
M. Claude Léonard. Telles sont leurs véritables préoccupations, lesquelles ne comprennent certainement pas l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux élections locales !
Ceux qui veulent aller plus loin et souhaitent s’intégrer encore davantage au sein de la communauté nationale peuvent, comme le font plusieurs dizaines de milliers d’entre eux chaque année, choisir la naturalisation.
Ainsi, en même temps que la nationalité française, ils bénéficieront de tous les attributs politiques qui s’y rattachent et pourront non seulement voter et être élus aux élections locales, mais également participer à ces scrutins essentiels pour l’avenir de notre pays que sont les élections présidentielle et législatives.
Certains, proches de vous, prônent la « démondialisation », mais, vous, vous nous proposez une mondialisation des citoyens à l’intérieur de l’Hexagone. Tirez-en les conséquences et voyez si vous arriverez à mieux gérer vos collectivités !
Pour toutes ces raisons de fond et d’opportunité, il ne me paraît pas souhaitable que la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui soit adoptée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Charon, sur l’article.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste-EELV. Nous parlions d’intégration ; voici la réintégration de Pierre Charon à l’UMP !
M. Pierre Charon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « quand le peuple vote mal, il faut changer de peuple », disait Bertolt Brecht.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Votre citation est erronée !
M. Pierre Charon. C’est ce qu’essaie aujourd’hui de faire la gauche, qui n’arrive plus à parler au peuple et qui se déguise en dame généreuse pour dissimuler le cynisme électoral le plus déshonorant. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Un sénateur du groupe socialiste-EELV. Vous vous y connaissez, en cynisme électoral !
M. Pierre Charon. En effet, je suis bien placé pour en parler !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez mis Brecht à l’envers !
M. Pierre Charon. Non, la citation est correcte.
Au-delà des petits calculs et des simagrées humanistes, le droit de vote et d’éligibilité des étrangers aux élections municipales pose en réalité la question très sérieuse des liens fondamentaux qui lient la souveraineté, l’élection et la démocratie.
Oui, la France accueille sur son territoire des étrangers qui travaillent et participent à la vie quotidienne de leur ville. Oui, tous les hommes et les femmes qui vivent en France sont égaux devant la loi, quelle que soit leur nationalité. Oui, la France est exemplaire dans le respect des étrangers (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous leur permettrez d’en juger !
M. Pierre Charon. … et elle ne saurait rougir des conditions d’exercice de sa démocratie, qui constitue depuis longtemps un modèle pour de nombreux pays.
En ouvrant aux étrangers le droit de participer aux élections municipales, cette proposition de loi constitutionnelle nie tout simplement la souveraineté du peuple français, qui s’exprime par le droit de vote. La première ligne de son exposé des motifs mentionne « l’ensemble de nos concitoyens » pour désigner indistinctement des Français et des étrangers. Je tiens à rappeler à mes chers collègues de la majorité sénatoriale que la citoyenneté est une notion fondamentale de la démocratie et que le souci de précision censé animer le législateur aurait pu inviter les cosignataires de ce texte à ne pas mélanger la citoyenneté française avec l’ensemble, fût-il poétique, des « citoyens du monde ».
Le texte se poursuit ainsi : « Aucun ne doit être laissé à l’écart du plein exercice de son droit d’expression, de sa citoyenneté ». Or les étrangers jouissent bien du plein exercice de leur citoyenneté, mais dans le pays dont ils sont citoyens, comme l’ont montré les Tunisiens vivant en France lors des dernières élections tunisiennes, ainsi que l’a rappelé Roger Karoutchi !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. C’est votre obsession !
M. Pierre Charon. La situation des ressortissants d’un autre pays de l’Union européenne est tout à fait différente, dans la mesure où le droit de vote et d’éligibilité qui leur est accordé constitue une donnée fondamentale de la construction européenne. Cette dernière, qui avance chaque jour sur le chemin de la gouvernance économique, doit s’accompagner d’une intégration démocratique des peuples. Il est donc parfaitement légitime d’incarner dans le vote cette « souveraineté européenne » et de tisser progressivement un espace électoral européen.
En revanche, il est absolument contraire au principe même de la souveraineté d’ouvrir ces droits aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne en s’appuyant sur le simple argument du travail ou de l’acquittement de l’impôt. De fait, travailler ouvre tous les droits relatifs au travail et payer des impôts n’est plus une condition pour exercer le droit de vote depuis 1848, date de la fin du suffrage censitaire rappelée tant de fois cet après-midi.
En tant que sénateur de Paris, je souhaite également insister sur le nombre des ressortissants étrangers vivant dans la capitale. Selon les chiffres de l’application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France, l’AGDREF, 239 456 étrangers séjournent à Paris sous couvert d’une carte de résident ou d’un titre de séjour d’une validité d’un an, ce qui ne représente pas moins de 18 % du nombre total des électeurs.
M. David Assouline. La proposition de loi constitutionnelle prévoit qu’il faut résider dans une commune depuis cinq ans pour pouvoir voter !
M. Pierre Charon. Cet élargissement introduirait donc un déséquilibre majeur dans le corps électoral de la capitale.
Penser que la France sera plus généreuse si elle donne le droit de vote à tout le monde, c’est confondre ouverture et désordre.
M. François Rebsamen. Allez le dire à M. Sarkozy !
M. Pierre Charon. La véritable générosité consiste à respecter le choix de celui qui ne souhaite pas devenir français et d’honorer celui qui décide d’acquérir la nationalité française et de sceller ainsi son destin à celui de la France, en l’investissant de toutes les prérogatives de la citoyenneté.
Le vrai défi qui nous attend, c’est de donner envie aux hommes et aux femmes qui veulent participer à la vie civique de notre pays d’en devenir des citoyens à part entière en adoptant la nationalité française.
C’est cet horizon de respect et de cohésion nationale qui est le nôtre, et je ne puis que déplorer que la gauche utilise aujourd’hui cette triste ficelle ! Mais après tout, nous sommes habitués à cette gauche qui se lève tous les matins en se demandant comment elle va franchir la ligne blanche sans se faire attraper par la patrouille... (Murmures sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourquoi la gauche aurait-elle peur de se faire attraper par la patrouille ? Est-ce M. Guéant qui la poursuit ?
M. Pierre Charon. Chers collègues de la majorité sénatoriale, si l’on va au bout de vos idées et de votre programme, qui propose la régularisation des clandestins via « une procédure simplifiée, s’appliquant à tous de manière égale », on se retrouve d’un seul coup avec tous les clandestins régularisés et munis d’une carte d’électeur. Cela commence à faire beaucoup !
On savait la gauche généreuse avec l’argent des autres, il faut maintenant qu’elle le soit avec les voix des autres ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) En bradant le droit de vote, vous accélérez la communautarisation des territoires français à la seule fin de récupérer quelques réserves électorales.
M. David Assouline. Cessez vos provocations !
M. Pierre Charon. N’avez-vous pas honte de vous rouler dans la démagogie avec la générosité en bandoulière ? (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.) N’avez-vous pas honte de recourir à cette triste ficelle qui vise à faire oublier votre silence sur toutes les questions que se posent les Français ?
M. David Assouline. Et vous, n’avez-vous pas honte de vos échecs ?
M. Pierre Charon. Et puis, il y a le Front national. Ah, vous l’aimez tellement, le Front national, que vous l’avez fait entrer au Parlement ! J’ai connu l’époque où il y avait à l’Assemblée nationale un groupe de plus de trente députés FN, que François Mitterrand poussait de toutes ses forces. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Vous continuez d’ailleurs à rencontrer – il faut le reconnaître – un certain succès en la matière,…
Mme Christiane Demontès. Il y a longtemps que vous n’avez pas besoin de nous pour faire monter le Front national !
M. Pierre Charon. … puisque, grâce à vous, une manifestation organisée par le Front national a eu lieu, cet après-midi, sous les fenêtres du Sénat.
Ne comptez donc pas sur moi pour agiter avec vous ce chiffon rouge, et ne comptez pas sur les sénateurs du groupe UMP pour frémir devant votre mascarade.
M. David Assouline. Vous avez dépassé votre temps de parole de plus d’une minute !
Mmes Éliane Assassi et Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est temps de conclure !
M. Pierre Charon. Je ne voterai évidemment pas cet article, par respect pour les hommes et les femmes qui font le choix de devenir français, ainsi que par souci de préserver la démocratie de la démagogie. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle, sur l’article.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre histoire commune est fondée, depuis la Révolution française, sur l’égalité des citoyens devant la loi et l’unicité de la République. Comment pouvez-vous oser proposer un texte qui crée une telle rupture d’égalité entre les Français et les étrangers qui ne sont pas naturalisés ? En effet, la rupture d’égalité dont vous parlez, c’est dans votre texte qu’elle se trouve !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. On a déjà entendu cela !
M. Jean-Claude Carle. De plus, votre proposition de loi constitutionnelle conduit à rompre le lien entre l’appartenance à la Nation et l’exercice de la souveraineté que constitue le droit de vote. Mes chers collègues, nous ne pouvons y souscrire !
Il n’existe pas, dans notre système républicain, de rupture d’égalité en défaveur des étrangers résidant en France. En matière de protection sociale, la distinction fondatrice du système n’a jamais opposé nationaux et étrangers, mais résidents et non-résidents. Autrement dit, tant pour les cotisations que pour le versement des prestations sociales, le fait générateur est bien de résider et de travailler en France.
Le code du travail dispose que les négociations collectives doivent assurer, dans les entreprises, le respect de l’égalité de traitement entre tous les salariés, qu’ils soient français ou étrangers. De même, les étrangers sont éligibles aux élections professionnelles et peuvent devenir délégués syndicaux. (Mme Christiane Demontès s’exclame.) Rien ne s’oppose, par conséquent, à ce que les étrangers siègent au sein des conseils d’administration.
Enfin, en 1982, l’ensemble des droits associatifs fut reconnu aux étrangers. En matière civile, il n’y a donc plus l’once d’une différence entre un Français et un étranger résidant en France, ce qui honore notre pays.
M. David Assouline. Ils l’ont tous dit !
M. Jean-Claude Carle. Je souhaite rappeler qu’être contribuable n’ouvre droit ni à la nationalité, ni au vote. Le droit fiscal est par principe un droit indépendant. Un citoyen n’est pas un consommateur de service public. A contrario, un étranger résidant en France a accès aux mêmes services publics que les nationaux.
Par ailleurs, votre texte pourrait laisser penser qu’il existe deux ordres distincts d’élections : les scrutins nationaux, d’une part, et les élections locales, d'autre part. Cette conception est erronée ! Comme l’a souligné le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 avril 1992, la désignation des conseillers municipaux a bien évidemment une incidence sur l’élection des sénateurs. Or le Sénat participe, en sa qualité d’assemblée parlementaire, à l’exercice de la souveraineté nationale.
Le Conseil constitutionnel a souligné que l’on ne pouvait pas établir de distinction entre les élections nationales et les élections locales, car le corps politique est unique et toujours composé des mêmes citoyens, « dont l’interchangeabilité garantit, avec la parfaite homogénéité du corps, l’indivisibilité de la souveraineté dont il est titulaire ».
Distinguer deux catégories d’élections et deux corps électoraux distincts, cela revient aussi à nier la double qualité d’un maire, comme vous l’avez justement rappelé, monsieur le ministre. Si le maire est le chef de l’administration communale décentralisée, il n’en est pas moins en même temps le représentant de l’État dans sa commune. À ce titre, il assure la publication et l’exécution des lois et règlements, sous l’autorité des représentants de l’État, dans le département, et des ministres.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est pour cela que les étrangers ne peuvent devenir maires !
M. Jean-Claude Carle. Le maire n’est donc pas seulement, contrairement à ce que vous laissez penser, le président d’un syndicat de citoyens locaux ; il est le représentant de l’État et de la Nation dans sa commune.
M. François Rebsamen. Merci, on le sait !
M. Jean-Claude Carle. Les élections municipales possèdent une véritable dimension politique. La simple résidence ou les intérêts que l’on peut avoir dans telle ou telle opération menée dans la commune ne donnent pas qualité à voter.
En conclusion, mes chers collègues, je rappellerai que, pour obtenir le droit de vote, tout ressortissant étranger doit faire le choix de lier son destin à celui de la France en demandant la nationalité française.
Mme Christiane Demontès. Vous, vous avez fait le choix de l’alliance avec le Front national !
M. Jean-Claude Carle. Contrairement à ce que vous avez affirmé, il n’en résulte ni discrimination ni atteinte au principe d’égalité. Si les étrangers vivant en France ne veulent pas accéder à la nationalité française, donc au droit de voter et d’être élus, ils ne sont pas pour autant privés de citoyenneté, puisqu’ils peuvent voter aux élections organisées dans leur pays d’origine.
Comment ne pas voir que cette proposition de loi constitutionnelle donne de nouveaux instruments aux partisans du communautarisme ? Nous considérons que c’est l’intégration qui constitue une condition d’acquisition de la nationalité française et donc d’obtention du droit de vote et d’éligibilité. Il est préférable que les étrangers intègrent d’abord le corps national avant de prendre part aux procédures démocratiques. C’est le fondement de notre République : pour voter, il faut être Français. Ce droit est la plus haute manifestation de l’appartenance à la Nation.
Je conclurai en citant le propos que m’a tenu l’un de nos compatriotes à l’issue de la cérémonie au cours de laquelle il a acquis la nationalité française : « Monsieur le sénateur, c’est l’un des plus beaux jours de ma vie. » (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, sur l’article.
M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous aimons les débats, en particulier quand ils sont sans tabou. Nous avons donc tout lieu de nous réjouir que ce débat sur le droit de vote des étrangers puisse avoir lieu ce soir au Sénat, car il faut qu’il soit tranché. Comme les autres membres de mon groupe, je le trancherai par la négative. Je le ferai en tant que citoyen français, mais aussi en tant que citoyen européen.
On peut trouver des arguments pour ou contre cette proposition de loi constitutionnelle. Cependant, il existe aussi de faux arguments. Celui selon lequel le droit de vote aux élections locales des ressortissants de l’Union européenne pourrait marquer une étape vers la reconnaissance du droit de vote de tous les étrangers résidant de manière régulière sur notre sol constitue un contresens historique qu’il faut dénoncer.
Mme Éliane Assassi. Il faudrait aussi le démontrer !
M. Philippe Bas. En effet, pour tout citoyen de l’Union européenne, le citoyen d’un autre pays membre de cette union n’est plus tout à fait un étranger : c’est un citoyen qui possède une citoyenneté européenne en plus de sa citoyenneté nationale. Son passeport est à la fois national et européen ; il peut voter tant aux élections européennes, pour élire les députés au Parlement européen, qu’aux élections municipales. Par conséquent, pour chacun d’entre nous, il est un concitoyen d’Europe bien plus qu’un étranger.
Au moment où des négociations très importantes se déroulent à Bruxelles pour renforcer encore ce sentiment d’appartenance européen,…
M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas vrai : il s'agit plutôt de marchandages !
M. Philippe Bas. … il me semble déplorable de vouloir confondre le citoyen européen avec tout citoyen étranger, aussi respectable soit-il.
Je le répète, nous, citoyens d’Europe, élisons tous des députés au Parlement européen. Il faudrait donc, dans la logique de la proposition de loi constitutionnelle, que, au-delà de la suppression du droit de véto de la France au Conseil de sécurité, soit aussi prévue l’élection de députés aux Nations unies pour conforter la citoyenneté du monde, qui seule pourrait justifier le droit de vote des étrangers aux élections locales. (Sourires sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Robert Hue. C’est incroyable !
M. Philippe Bas. Mes chers collègues, il importe au contraire de ne pas banaliser le droit de vote des Européens aux élections locales, démarche toute particulière dont la justification tient au renforcement de l’Union européenne et n’a pas de pendant pour le droit de vote des étrangers. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière, sur l’article.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec l’article 1er du texte dont nous débattons, il nous est proposé d’élargir le corps électoral aux ressortissants non communautaires en balayant notre tradition juridique et politique vieille de deux siècles. Cette proposition appelle de ma part de vives réserves.
Tout d’abord, qu’il me soit permis de contester que le vote des étrangers est une question d’actualité brûlante : il me semble que la situation du moment nous confronte à des problèmes autrement plus urgents que celui-ci.
Je m’interroge donc sur l’opportunité de débattre de ce thème à la veille d’une période électorale, phase dont nous savons tous que la caractéristique première n’est pas la sérénité. De mauvais esprits pourraient même imaginer que ce choix est guidé par des arrière-pensées politiques…
La proposition de loi constitutionnelle dont nous débattons est issue d’un texte vieux d’une dizaine d’années, qui nous est présenté de façon récurrente avant chaque échéance électorale. En 2001, c’était peu avant les élections municipales ; aujourd'hui, c’est avant l’élection présidentielle. La coïncidence n’est évidemment pas fortuite. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Christiane Demontès et M. David Assouline. Et quand c’est Nicolas Sarkozy qui en parle ?
Mme Marie-Thérèse Bruguière. En tout état de cause, cette question, certes non urgente mais néanmoins importante, ne saurait être évacuée en une seule demi-journée, sur la base d’un texte adopté voilà plus de dix ans.
En tant qu’élue locale depuis 1983, il ne m’apparaît pas que la possibilité de voter aux élections locales constitue une revendication forte des populations concernées. Celles-ci, surtout en période de crise, sont nettement plus enclines à se préoccuper d’emploi, de pouvoir d’achat ou d’éducation de leurs enfants.
C’est pourquoi le postulat selon lequel le droit de vote et d’éligibilité serait une aide à l’intégration est erroné. Au contraire, c’est l’intégration qui doit ouvrir les portes de la nationalité française, et c’est cette dernière qui permet d’exercer le droit de vote et d’être éligible.
Non, les étrangers présents chez nous ne sont pas des citoyens de seconde zone du seul fait qu’ils ne participent pas aux élections locales. Ils disposent du droit de vote pour toutes les élections professionnelles et pour toutes les consultations régies par le droit social.
Quant au parallèle entre la situation du contribuable et celle de l’électeur, il me paraît pour le moins surréaliste. Nous ne sommes plus sous un régime censitaire, que je sache ! (Mlle Sophie Joissains applaudit.)
Et ne devrions-nous pas supprimer le droit de vote aux Français non imposables si nous suivions cette logique ? (Mlle Sophie Joissains applaudit.)
Par ailleurs, pourquoi limiter à certaines élections le droit que vous nous demandez d’accorder ? L’article 1er prévoit ainsi d’accorder le droit de vote aux étrangers pour les seules élections municipales, à l’exclusion de toutes les autres consultations. Or le Conseil constitutionnel a estimé, dans sa décision du 18 novembre 1982, que le droit de vote était de même nature, qu’il s’exerce aux élections législatives ou municipales.
Autre question : y a-t-il un pays prêt à donner le droit de vote aux Français ?
M. Robert del Picchia. Non !
Mme Marie-Thérèse Bruguière. La réponse, à ma connaissance, est négative.
Enfin, Pierre Mazeaud avait fait remarquer dès 1982 que, dans un conseil municipal composé d’une majorité d’étrangers, les nationaux constitueraient l’exécutif alors qu’ils seraient minoritaires, avec les conséquences que l’on peut imaginer pour le bon fonctionnement du conseil et la gestion de la collectivité. Beau déni de démocratie en perspective !
Pour toutes ces raisons, il convient de maintenir le lien entre nationalité et droit de vote. Cela se justifie d’autant plus que les conditions de l’obtention de la nationalité française, qui est fondée sur une démarche volontaire, sont larges, de sorte qu’un étranger qui souhaite participer à la vie politique de notre pays peut le faire en accédant à la nationalité française.
Le droit de vote est et doit rester l’apanage de la citoyenneté ; il participe des droits et devoirs constitutifs de cette citoyenneté. Pour ma part, vous l’aurez compris, mes chers collègues, je ne saurais donc apporter ma voix à l’approbation de ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, sur l’article.
Mme Catherine Procaccia. Mes chers collègues, pour ma part, je considère que cette proposition de loi constitutionnelle est incomplète, dans la mesure où elle ne concerne pas les citoyens européens, alors que ceux-ci ne peuvent pas voter aux élections cantonales, qui sont pourtant bien des élections locales.
Les élus européens ne peuvent même pas être maires-adjoints, ce qui me choque. Ils tiennent des bureaux de vote aux cantonales, aux régionales ou encore aux législatives, participant ainsi à ces élections, surveillant leur régularité, mais sans avoir le droit de voter. N’est-ce pas une situation absurde ?
J’ai déjà, à plusieurs reprises, évoqué ce sujet et espéré que les choses évoluent avec la création du conseiller territorial, qui, malgré vous, chers collègues de la majorité sénatoriale, existe toujours pour l’instant.
En juin 2010, j’ai posé une question orale au Gouvernement, qui m’a répondu qu’il fallait d’abord réviser la Constitution. Plus récemment – le 1er octobre dernier, date symbolique pour vous, chers collègues de la majorité sénatoriale –, lors d’un débat sur Public Sénat, j’ai insisté sur la priorité qu’il conviendrait d’accorder au vote des ressortissants communautaires. L’un de nos collègues communistes, que je ne nommerai pas mais qui se reconnaîtra, est convenu alors que leur situation au regard du droit de vote était « une anomalie », qui serait sans doute corrigée dans la présente proposition de loi constitutionnelle, mais je ne vois rien de tel. Pourquoi n’est-ce pas fait ?
Mme Éliane Assassi. Pourquoi ne déposez-vous pas un amendement ?
Mme Catherine Procaccia. Pourquoi les ressortissants communautaires n’ont-ils pas dès le début été autorisés à voter aux élections cantonales et régionales ? Même si vous avez voulu transformer toutes ces élections intermédiaires en enjeux nationaux, il s’agit bien pour moi d’élections de niveau local.
Je lis dans votre texte que les étrangers non ressortissants de l’Union européenne ne pourront pas exercer les fonctions de maire ou d’adjoint. Toutefois, je ne lis nulle part qu’ils ne pourront pas voter aux élections cantonales, régionales ou territoriales. Est-ce que je comprends mal ou cela signifie-t-il que vous faites de la discrimination au détriment des citoyens communautaires ?
Mme Éliane Assassi. Déposez donc un amendement !
Mme Catherine Procaccia. Madame la rapporteure, je sais que vous vouliez que le Sénat vote un texte conforme à celui qu’avait adopté l’Assemblée nationale, mais ce ne sera pas le cas.
Je n’ai jamais été une fanatique de l’Europe et, comme d’autres ici, je n’ai pas voté pour le traité de Maastricht. Toutefois, nous sommes maintenant liés par cet engagement. Aussi ne prenons pas de mesures discriminatoires, voire vexatoires à l’encontre des Européens.
Ce week-end, dans ma commune, qui est située dans le Val-de-Marne – un département dont vous êtes l’élue mais que vous ne connaissez pas, madame la rapporteure (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) –, j’ai entendu certains résidents européens s’étonner de ce que les étrangers non communautaires puissent avoir plus de droits qu’eux, qui sont pourtant intégrés.
Pour terminer, je tiens à dire, puisqu’on l’a évoqué, que l’argument des impôts ne tient pas.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Ce n’est pas moi qui l’ai avancé, mais Nicolas Sarkozy !
Mme Catherine Procaccia. Tout le monde paie des impôts,…
Mme Christiane Demontès. Sauf ceux qui vivent en Suisse !
Mme Catherine Procaccia. … notamment au conseil général et au conseil régional par le biais de la taxe d’habitation. Si l’on estime que payer un impôt local doit donner le droit de vote, pourquoi les ressortissants communautaires ne peuvent-ils pas voter aux élections cantonales et régionales ?
Cette proposition de loi constitutionnelle est donc bien incomplète et discriminatoire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Éliane Assassi. Mais que voulez-vous donc ?
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, sur l’article.
M. André Reichardt. À mon tour, je veux rappeler qu’il existe dans notre pays un lien consubstantiel (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV.) entre la nationalité française et le plus sacré des droits politiques,…
Mme Catherine Tasca. Voilà un vocabulaire bien religieux !
M. André Reichardt. … le droit de vote, ainsi que son corollaire naturel, le droit d’éligibilité.
Cette tradition ne fut aménagée qu’à une seule reprise, en 1992, afin de satisfaire aux engagements internationaux de la France et de permettre aux ressortissants communautaires résidant dans notre pays de participer aux élections municipales et européennes. Cet aménagement s’explique, compte tenu des liens qui nous unissent à nos partenaires européens et de la réciprocité qui régit nos relations.
Une telle imbrication des destins ne se retrouve pas à l’échelon mondial. Il est ainsi peu envisageable que l’ensemble des pays accordent le droit de vote à nos ressortissants dès lors que nous l’aurons offert à tous les ressortissants étrangers sur notre territoire. La réciprocité, pierre angulaire du droit international, ne serait donc pas respectée.
Au-delà, à l’exception de la Constitution du 24 juin 1793, qui n’a, on l’a dit plusieurs fois aujourd'hui, jamais été appliquée, aucun texte fondamental n’a, à ce jour, accordé le droit de vote et d’éligibilité à des ressortissants étrangers.
L’acquisition de ce droit est donc bien liée à celle de la nationalité française. À cet égard, je suis en complet désaccord avec les promoteurs de la proposition de loi constitutionnelle, qui stigmatisent la prétendue « étroitesse d’esprit » de ceux qui présentent la naturalisation comme le meilleur moyen d’accès au droit de vote.
Ce n’est pas être étroit d’esprit, mes chers collègues, que de préférer voir son prochain d’abord intégrer pleinement le corps national, puis prendre part pleinement aux procédures démocratiques !
Récuser la naturalisation comme marche d’entrée dans la citoyenneté, c’est également faire peu de cas de ceux de nos compatriotes, et ils sont plus de 30 000 chaque année, qui se lancent dans cette démarche positive et entrent de plain-pied dans notre roman national.
C’est en effet une chose de conférer un droit nouveau aux étrangers résidant en France ; c’en est une autre d’engager volontairement la démarche de devenir français.
Cette démarche est davantage porteuse de sens. Elle témoigne de l’adhésion à une nouvelle communauté de destin. La France, fidèle à sa tradition d’ouverture, peut s’enorgueillir de ces nouveaux citoyens. Face à de tels exemples, elle ne peut qu’être plus exigeante à l’égard de ceux qu’elle accueille sur son territoire et leur demander, s’ils veulent prendre une part active à la vie politique et électorale, d’entreprendre les démarches nécessaires à leur naturalisation.
C’est là également une part essentielle de notre politique d’intégration, qui concilie fermeté et générosité, monsieur le ministre.
Cette politique ne peut en effet se résumer à faire des gestes en direction des étrangers résidant sur notre sol. Elle doit être accompagnée, qu’on le veuille ou non, d’une volonté d’intégration. En matière politique, bien plus qu’ailleurs, cette volonté doit être fermement exprimée.
Je voudrais également contester la notion de citoyenneté de résidence développée par la majorité sénatoriale.
Le fait de résider dans une commune ne peut fonder en lui-même un droit politique, pas plus d’ailleurs que ne peut le faire le paiement de l’impôt ou l’engagement dans la vie associative, qui par ailleurs est éminemment respectable.
Le droit de vote n’est pas une contrepartie. C’est quelque chose de profond ! L’acquisition de la nationalité, qui témoigne d’un attachement particulier à la France et de la volonté d’entrer dans son histoire, non pour quelque temps, mais pour le reste d’une vie, justifie seul l’octroi du droit de vote.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je voterai, comme mes amis politiques, contre cet article et contre le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, sur l'article.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quel débat singulier ! Et était-il vraiment nécessaire aujourd'hui ?
Nous débattons de problèmes de fond, le rapport entre citoyenneté et nationalité n’étant pas un sujet dérisoire, mais, dans le même temps, nous craignons que le retour de ce débat en cette période ne s’explique par des raisons peu honorables de tactique électorale. Ce n’est pas supportable.
Je ne pense pas non plus que le débat qui a eu lieu aujourd'hui dans la rue entre des manifestants attirés par le sujet qui occupe notre assemblée et défendant des thèses contradictoires ait fait avancer la cause de l’expression des étrangers sur notre sol, ni qu’il ait été souhaitable pour l’image même de la France.
J’ai entendu des propos dont j’ai senti la sincérité, sur quelque travée qu’ils aient été prononcés. D’autres m’ont paru davantage marqués par un effort tactique.
J'ai également entendu quelques remises en cause qui sont, pour nous, inacceptables, car elles touchent à des notions fondamentales. Ainsi, lorsque l’un de mes collègues a rappelé ce matin qu'il n'y avait qu'un peuple français, cela a déclenché des protestations sur vos travées, chers collègues de la majorité sénatoriale. Pourtant, c'est un point capital : le peuple français est un.
Nous sommes là au cœur du débat : pour nous, membres de l’opposition sénatoriale, la France n'est pas seulement un territoire sur lequel on s'installe quand on le souhaite, où l’on prend des responsabilités et où l'on s'exprime aux côtés des nationaux français, alors même que l'on n'a pas fait le choix de devenir un citoyen français et d'appartenir à la nation française.
Vous le savez, je suis depuis longtemps président d'un groupe d'amitié et je m’intéresse également beaucoup à la francophonie. À ce titre, je rencontre bien des étrangers qui ont de nombreux points communs avec nous, par exemple notre culture et notre langue. Si certains d'entre eux ont envie de devenir français, je suis fier que mon pays puisse les accueillir, quelle que soit leur origine, leur race ou leur couleur. Pour autant, ils ne peuvent pas avoir les mêmes droits que les citoyens français ; ils ne le demandent d'ailleurs pas.
Lorsqu’a commencé l'examen de ce texte et que quelques manifestations incongrues (Mme la rapporteure s’exclame.)...
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Elles ne sont pas de même nature !
M. Jacques Legendre. … ont éclaté aux alentours du palais du Luxembourg, je me trouvais en compagnie de quelques amis africains.
Ils ne comprenaient pas ce qui, aujourd'hui, nous poussait à débattre. En effet, ils ont consacré une partie de leur vie à combattre pour quitter ce qui était à l’époque l'Union française, exister par eux-mêmes et devenir des citoyens dans leur État. Ils l’ont fait en conservant des liens d’amitié avec la France, certes, mais aussi en préservant leur souveraineté et en revendiquant leur propre nationalité. Et ils n’ont jamais manifesté le désir particulier d’accorder aux Français résidant sur leur territoire le droit de vote !
Mes chers collègues, il nous faut rester raisonnables. Nous avons de grands efforts à accomplir pour accueillir dans les meilleures conditions les étrangers en situation régulière sur notre territoire. Néanmoins, si la France est un territoire, elle est aussi un peuple, fort d’un projet commun pour ce pays que nous aimons.
Il convient plus que jamais de continuer de distinguer citoyenneté et nationalité, car cela correspond à notre sensibilité profonde. C'est pourquoi je ne voterai pas cet article. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par Mme Troendle et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. Le message de la majorité présidentielle est clair, il a été rappelé par mes collègues au cours de la discussion générale : nous sommes fermement opposés au droit de vote des étrangers aux élections municipales. Les raisons en ont été largement développées depuis le début de l'examen de ce texte et sont sans ambiguïté. Je ne les répéterai donc pas.
C'est pourquoi, mes chers collègues, nous demandons la suppression de votre initiative, qui casserait le lien entre nationalité et citoyenneté, fondement de notre République depuis la Révolution française. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Esther Benbassa, rapporteure. La majorité des membres de la commission soutient l'ouverture du droit de vote et d'éligibilité aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne pour les élections municipales. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Claude Guéant, ministre. Le Gouvernement soutient avec conviction l'amendement de suppression qui vient d'être présenté par Mme Troendle, et cela pour plusieurs raisons.
Premièrement, cette proposition de loi constitutionnelle est une manœuvre politicienne. (Marques d’agacement sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ça recommence !
M. Claude Guéant, ministre. D’aucuns l’ont souligné : il est impossible de discuter de ce texte sans avoir à l'esprit le projet du parti socialiste, qui vise à régulariser les personnes étrangères en situation irrégulière sur notre sol. Il faut donc bien mesurer les effets quantitatifs qu’entraînerait l’adoption de cette proposition de loi constitutionnelle.
Mme Christiane Demontès. Pourquoi Nicolas Sarkozy l’a-t-il proposé en 2005, alors ?
M. Claude Guéant, ministre. Que vous le vouliez ou non, cette initiative n'a qu'un effet – j'espère que ce n'est pas qu'un objet –, faire monter le Front national. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Christiane Demontès. Ce sont les membres de la droite qui ont fait des alliances avec le FN !
M. Claude Guéant, ministre. J'ai cité tout à l'heure les propos pleins de sagesse d'un important responsable socialiste, M. Malek Boutih. Ils ne vous ont manifestement pas convaincus. Je convoquerai par conséquent une personnalité qui jouit d’une plus grande autorité morale au sein du parti socialiste, Lionel Jospin, ancien Premier ministre de la République.
Face à cette possible instrumentalisation, Lionel Jospin déclarait en 1999 : « On a trop reproché à François Mitterrand de jouer avec cela. Moi je ne le ferai pas, je ne prendrai pas ce risque. » C’était une parole de sagesse ! Plus récemment encore, en 2010, dans un entretien au Parisien, s’il se disait « personnellement favorable » à l’octroi du droit de vote aux élections locales pour les « étrangers en France depuis longtemps », M. Jospin ajoutait que ce projet devait être conduit de « façon unanime » : « Il faudrait le faire à ce moment-là de façon unanime, pour que, selon les moments où c’est proposé, on ne taxe pas d'arrière-pensées électorales tel ou tel. »
Or nous pouvons légitimement considérer que de telles arrière-pensées électorales sous-tendent cette proposition de loi constitutionnelle. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
J'espère que les arguments de Lionel Jospin sauront toucher les cœurs socialistes de cette assemblée.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est lui-même qui a accepté que le texte soit déposé à l'Assemblée nationale !
M. Claude Guéant, ministre. Deuxièmement, dans notre pays, personne ne peut être un demi-citoyen. Pierre Charon, Joëlle Garriaud-Maylam, Abdourahamane Soilihi ont insisté sur ce point : il ne peut y avoir que des citoyens à part entière et, pour cela, il faut être Français. Depuis des siècles, le citoyen, c'est un national, comme l’ont rappelé Jean-Claude Carle, Marie-Thérèse Bruguière et Jacques Legendre.
Troisièmement, permettre une représentation communautaire revient à favoriser les préférences communautaires, donc le communautarisme, Sophie Joissains l’a souligné à juste titre. Un conseiller municipal, c'est le représentant de toute une population, ce n'est pas le représentant d'une catégorie de la population.
M. Claude Bérit-Débat. Il n'y a pas de catégories de population !
M. François Rebsamen. C'est une conception bizarre !
M. Claude Guéant, ministre. Quatrièmement, et enfin, ce qui est en jeu dans ce débat, David Assouline l’a rappelé, c'est de savoir quelle société nous voulons pour demain.
À droite, nous souhaitons une société qui intègre ceux qui viennent d'ailleurs et qui sont admis dans notre pays. Nous voulons qu'ils adoptent nos règles de vie, qu'ils se sentent à l'aise avec nous. Nous devons aussi faire davantage pour les y aider.
M. Claude Bérit-Débat. Vous ne faites rien pour cela !
Mme Christiane Demontès. C'est réussi !
M. Claude Guéant, ministre. ... il nous faut maîtriser les flux migratoires. Nous refusons le communautarisme, qui est la juxtaposition des communautés. La loi française prévoit des naturalisations qui permettent, au terme d'un parcours d'intégration, de rejoindre la nationalité française, ainsi que l’a rappelé André Reichardt.
La gauche, elle, souhaite que notre pays accueille davantage d'immigrés. C'est un objectif clairement annoncé. Toutes les discussions qui ont lieu dans cet hémicycle ou à l'Assemblée nationale, par exemple à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, en attestent. La gauche ne cesse d'insister sur la valeur de la différence et sur le droit à la différence.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. N'importe quoi !
M. David Assouline. C'est l'inverse !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Pas du tout !
M. Claude Guéant, ministre. De notre point de vue, mettre l’accent sur les différences, c'est porter atteinte à l'unité nationale, à l'unité républicaine. C’est peut-être le choix de la gauche, mais ce n'est pas le nôtre. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 4.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que l'avis du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 65 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 166 |
Contre | 173 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Mme Catherine Troendle. C'est dommage !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 10 est présenté par Mme Benbassa, au nom de la commission.
L'amendement n° 7 est présenté par MM. Rebsamen, Leconte et Sueur, Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Socialiste, Apparentés et groupe Europe Écologie Les Verts rattaché et du Groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
peut être
par le mot :
est
La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l'amendement n° 10.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Cet amendement vise à renforcer la portée de la proposition de loi constitutionnelle qui, dans sa rédaction adoptée par l'Assemblée nationale au mois de mai 2000, se borne à lever les obstacles constitutionnels à l'ouverture du droit de vote aux étrangers non européens, sans pour autant consacrer pleinement ce droit.
En effet, comme l’ont souligné les professeurs de droit entendus par la commission lors de ses auditions, l’emploi du verbe « pouvoir » n'oblige pas le législateur à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux étrangers non ressortissants d'un État membre de l'Union européenne aux élections municipales, mais lui en donne seulement la faculté. Il semble donc nécessaire d'aller plus loin et d'adopter une formulation plus conforme aux intentions de la commission des lois. Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen, pour présenter l'amendement n° 7.
M. François Rebsamen. Il est retiré, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 7 est retiré.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 10 ?
M. Claude Guéant, ministre. Il a été brillamment montré tout à l’heure par d’éminents professeurs de droit siégeant dans cette assemblée qu’il fallait, au minimum, se réserver un peu de souplesse au stade de l’élaboration de la loi organique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas au point d’entrer en contradiction avec la loi constitutionnelle !
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.) – (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Article 2
(Non modifié)
Dans la première phrase de l’article 88-3 de la Constitution, le mot : « seuls » est supprimé.
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sur l'article.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’étonne de lire, dans le rapport de notre collègue Esther Benbassa, que la différence de droit, en matière de vote, entre les étrangers communautaires et les étrangers non européens constituerait une « asymétrie choquante ».
Je vois là, au contraire, le fondement essentiel de la citoyenneté européenne, telle qu’elle a été consacrée par le traité sur l’Union européenne de 1992, selon lequel est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un État membre.
La loi organique du 25 mai 1998, transposant cette notion en droit français, a permis aux ressortissants européens de voter aux élections municipales depuis 2001. Si nous octroyons aux étrangers non communautaires les mêmes droits que ceux qui sont accordés aux ressortissants des États membres de l’Union européenne, nous diluerons le seul élément qui traduise, sur le plan de la citoyenneté, notre appartenance à l’Union. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
À l’heure où la crise de la zone euro nous montre les limites d’une monnaie unique adossée à une Europe politique bien trop faible, nous devons, plus que jamais, renforcer cette citoyenneté européenne.
Vous me permettrez d’y insister, mes chers collègues, le droit de vote découle avant tout de la nationalité, et non pas de la résidence, a fortiori de la résidence fiscale – c’est un argument encore plus réducteur et dangereux.
L’important, me semble-t-il, est que les nationaux ne résidant pas dans leur pays puissent y jouir de droits politiques. À cet égard, la France a toujours joué un rôle pionnier et elle continuera dans cette voie, l’an prochain, avec l’élection, pour la première fois, de onze députés représentant les Français établis hors de France.
En tant qu’expatrié, bénéficier des droits civiques et politiques dans son pays de nationalité a beaucoup plus de valeur.
Pour dépasser la conception étriquée d’une citoyenneté conditionnée par la résidence et renforcer la dimension civique de la nationalité, il me semblerait opportun, plutôt que d’accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires pour les élections locales françaises, de négocier avec les États étrangers pour qu’ils accordent à leurs expatriés des droits civiques aussi étendus que ceux que la France offre à ses propres ressortissants établis hors de ses frontières.
Nombre d’orateurs ont cité l’Irlande comme un exemple à suivre. Sachez, mes chers collègues, que les ressortissants irlandais habitant hors de leurs frontières n’ont aucun droit de vote dans leur pays de nationalité, et cela en totale conformité avec le droit international ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, sur l'article.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nation française, contrairement à ce que l’on entend aujourd’hui sur les travées de la majorité sénatoriale, n’est pas une entité abstraite.
Elle s’est forgée, au cours des siècles, sur la base d’une histoire commune et d’un avenir partagé. (Brouhaha sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. David Assouline. On a déjà entendu tout cela !
M. André Reichardt. Ce n’est pas une construction intellectuelle. À cet égard, nous estimons que cette proposition de loi s’apparente à une forme d’hérésie constitutionnelle (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.), comme l’a brillamment exprimé notre collègue Jean-Jacques Hyest.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Au bûcher ! Nous serons brûlés comme hérétiques !
Mme Esther Benbassa, rapporteure. C’est l’Inquisition ! (Rires sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. André Reichardt. Les tenants de cette proposition de loi constitutionnelle estiment que, avec la citoyenneté européenne, c’est le concept même du couple citoyen-nation qui s’est effondré et qu’il est donc possible de continuer dans cette voie.
Ceux-là omettent que ce principe figure à l’article 3 de notre Constitution et qu’il remonte à la Révolution française. Ils oublient également les conditions qui ont prévalu lors de la révision constitutionnelle du 25 juin 1992, qui a instauré le droit de vote pour les citoyens.
En effet, ce droit ne fut accordé que sous réserve de réciprocité, un principe qui n’apparaît nullement dans la présente proposition de loi constitutionnelle, alors qu’il devrait en constituer un élément essentiel, étroitement lié à l’engagement de notre pays.
La France – faut-il le rappeler ? – est un pays unitaire : la souveraineté est une et indivisible.
M. David Assouline. Mais oui !
M. André Reichardt. La souveraineté de la Nation est incarnée dans l’État ; elle ne se subdivise pas, ni ne se décompose. Il ne peut y avoir de souveraineté locale, encore moins municipale.
Ne confondons pas souveraineté et organisation administrative. Pour nous, le vote ne peut être dissocié de la nationalité.
Par ailleurs, sur le fond, l’article 2 du texte ne changera rien. Le vote des étrangers non-ressortissants de l’Union européenne ne trouvera ni justification ni légitimité dans le principe d’égalité, ou plutôt, devrais-je dire, d’inégalité, qui est invoqué ici.
Comment imaginer que des États, parfois très éloignés de la démocratie, puissent disposer, demain, par l’intermédiaire de leurs ressortissants résidant en France, d’un moyen de pression sur notre pays ?
Voter, c’est exercer un droit acquis par d’infatigables et permanents sacrifices, par des luttes, des chagrins, des souffrances, de la part d’hommes qui nous ont précédés dans l’histoire. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) C’est cela que notre Constitution consacre aujourd’hui !
Pour toutes ces raisons, notre groupe ne peut accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires, ni aux élections municipales ni aux autres élections dans notre pays.
Nous soutiendrons avec force l’amendement de suppression de l’article 2 de ce texte, qui tend à retrancher de l’article 88-3 de notre Constitution un mot, certes anodin, mais qui réserve le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux seuls citoyens de l’Union européenne résidant en France. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Claude Léonard, sur l’article.
M. Claude Léonard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en marge du rapport présenté par Esther Benbassa sur la présente proposition de loi constitutionnelle, figure une note particulièrement intéressante sur le droit de vote des étrangers ressortissants d’un État non-membre de l’Union européenne aux élections locales dans un certain nombre de pays européens.
On constate, tout d’abord, une multitude de situations : certains pays, à l’instar de la France, n’accordent pas le droit de vote aux étrangers : il s’agit de l’Allemagne, de l’Autriche ou encore de l’Italie. En Allemagne, il y a pourtant une importante communauté d’origine turque et, dans une moindre mesure, de nombreux immigrés originaires des pays de l’ex-Yougoslavie.
D’autres États accordent le droit de vote aux ressortissants de certains pays seulement, sous condition de réciprocité et moyennant une durée minimale de résidence, fixée au cas par cas : c’est le cas, notamment, de l’Espagne et du Portugal. S’agissant du premier État, la réciprocité concerne neuf pays, alors que, pour le second, seuls les immigrés originaires du Brésil et du Cap-Vert sont concernés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sont les anciennes colonies !
M. Claude Léonard. Cela renvoie bien évidemment à la maîtrise de la langue.
Il y a, ensuite, des pays européens qui accordent le droit de vote et d’éligibilité à tous les étrangers ayant résidé de façon continue sur leur territoire pendant une durée minimale : il s’agit de la Belgique, du Danemark, des Pays-Bas, de la Suède, de certains cantons suisses et du Grand-Duché de Luxembourg.
M. David Assouline. Pas seulement, il y en a plus !
M. Claude Léonard. Ne vous en déplaise, ce sont les pères fondateurs de l’Europe !
Je m’arrêterai quelques instants sur la situation du Luxembourg, dont mon département est voisin et qui constitue un cas d’école très intéressant.
M. David Assouline. C’est un paradis ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Intéressant sur le plan fiscal !
M. Claude Léonard. Ce n’est pas faire injure à ce pays ami que d’affirmer que le Luxembourg a choisi son immigration, en accueillant massivement des étrangers d’origine portugaise.
L’intégration de cette communauté s’est relativement bien passée, sauf, justement, au moment où le gouvernement a accordé le droit de vote et d’éligibilité à tous les ressortissants de l’Union européenne, donc, tout naturellement, aux Portugais installés sur le territoire du Grand-Duché. Ces derniers sont, en effet, concentrés dans certains quartiers des villes les plus importantes et dans certaines communes, où ils représentent parfois plus de la majorité des électeurs.
C’est peu dire que, dans ces communes, le fait d’avoir accordé le droit de vote et d’éligibilité à leurs concitoyens d’origine portugaise a provoqué une certaine crispation – le mot est faible – chez les Luxembourgeois d’origine, qui, disons-le franchement, ne se sentaient plus véritablement chez eux. Tout cela, hélas, a débouché sur un sentiment xénophobe.
M. David Assouline. Vous voyez, personne n’est à l’abri !
M. Claude Léonard. Cette expérience, qui concernait pourtant des citoyens issus d’un pays membre de l’Union européenne, devrait nous inciter à la plus grande prudence lorsque nous abordons le sujet du droit de vote et d’éligibilité des ressortissants des pays non-membres de l’Union, compte tenu de l’histoire particulière de la France.
Je persiste à penser, comme je l’ai dit tout à l’heure, que, dans la mesure où, dans notre pays, la citoyenneté s’est construite autour de l’État-nation, il n’est pas possible de dissocier la citoyenneté de la nationalité.
Pour toutes ces raisons, j’estime qu’il n’est ni souhaitable ni possible d’accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux étrangers non-membres de l’Union européenne, installés sur notre sol.
En revanche, rien n’empêche ceux qui souhaitent s’impliquer plus avant dans la vie de leur cité, voire dans la vie politique nationale, de solliciter leur naturalisation et d’acquérir la nationalité française : ce sera, pour eux, un honneur de devenir français – c’est déjà le cas pour plusieurs milliers d’étrangers chaque année – et, pour nous, une très grande joie de pouvoir les accueillir au sein de notre communauté nationale.
Toutes ces considérations me conduiront, ainsi que mes collègues du groupe UMP, à voter contre la présente proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par M. Buffet et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. L’article 1er de la proposition de loi constitutionnelle a été voté et l’article 2 constitue le dernier acte de la pièce jouée ce soir. Par cohérence, nous en demandons la suppression, et cela, tout d’abord, pour rappeler encore une fois, s’il est besoin, que ce texte est d’opportunité électorale. Cela a été dit à plusieurs reprises et personne ne le conteste désormais.
Si la gauche avait voulu en parler avant, la réforme constitutionnelle de 2008 lui permettait d’inscrire ce texte dans une niche parlementaire. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous n’avons pas cessé d’en parler ! Déjà en 2006, nous avions eu une discussion à ce sujet.
M. David Assouline. Chaque fois, vous disiez que ce n’était pas le bon moment !
M. François-Noël Buffet. Si, par ailleurs, elle avait souhaité porter jusqu’au bout ce projet, François Mitterrand, en son temps, avait la possibilité de saisir le peuple français et de lui demander son avis par la voie du référendum. Il ne l’a naturellement pas fait !
M. David Assouline. Et le traité de Maastricht ?
M. François-Noël Buffet. Par ailleurs, notre groupe est intimement convaincu que le droit de vote est lié à la citoyenneté, à la Nation, à la volonté d’être Français, de partager les valeurs de notre pays, ses engagements, son souci de rassemblement, de liberté, d’égalité et de fraternité.
Le droit de vote ne s’achète pas en acquittant une taxe locale, de quelque nature qu’elle soit !
Quand on veut être Français, on demande et on obtient sa naturalisation ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Cet amendement appelle les mêmes commentaires que l’amendement n° 4. Par coordination, la commission lui a donc donné un avis défavorable.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 11 est présenté par Mme Benbassa, au nom de la commission.
L'amendement n° 8 est présenté par MM. Rebsamen, Leconte et Sueur, Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Socialiste, Apparentés et groupe Europe Écologie Les Verts rattaché et du Groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
La première phrase de l'article 88-3 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Les mots : « peut être » sont remplacés par le mot : « est » ;
2° Le mot : « seuls » est supprimé.
La parole est à Mme la rapporteure, pour présenter l’amendement n° 11.
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de coordination tendant à mettre en place, à l’article 88-3 de la Constitution, un dispositif similaire à celui que nous venons d’adopter, par le vote de l’amendement n° 10, pour le futur article 72-5 de la Constitution.
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen, pour présenter l'amendement n° 8.
M. François Rebsamen. Il est retiré, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 8 est retiré.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 11 ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. Cet amendement est assez extraordinaire : s’il est adopté, l’égalité entre les citoyens européens et les étrangers non communautaires sera totale !
M. Bruno Retailleau. Sans réciprocité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais non, puisque les ressortissants communautaires peuvent voter aux élections européennes !
M. Jean-Jacques Hyest. Telle est bien la volonté qui sous-tend cet amendement.
Nous l’expliquons depuis le début de cet après-midi : si des traités permettent de déroger aux dispositions de l’article 3 de la Constitution, c’est justement parce qu’ils ont été ratifiés par les pays européens.
En outre – faut-il le rappeler ? –, non seulement le citoyen européen peut voter aux élections municipales, mais, aux termes de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, il a également la possibilité de voter aux élections au Parlement européen. C’est bien le signe qu’il existe une citoyenneté spécifique.
À partir du moment où la situation de l’étranger non communautaire est assimilée à celle du ressortissant communautaire, tout ce qui figure dans les traités ratifiés par la France n’a, de fait, plus de sens.
M. David Assouline. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà qui est tout de même paradoxal. Pour ma part, étant très attaché à la construction européenne,…
M. François Rebsamen. Justement !
M. Jean-Jacques Hyest. … selon la conception qui a été rappelée à plusieurs reprises dans nos débats, je trouve cet amendement particulièrement regrettable, et je ne le voterai pas ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi constitutionnelle, je donne la parole à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme d’un débat au cours duquel nous avons beaucoup invoqué notre histoire et longuement parlé de citoyenneté.
Il y a lieu de nous en réjouir, car, trop souvent, nombreux sont les Français qui n’ont pas le sentiment d’être regardés comme des citoyens à part entière, au travers des politiques économiques et sociales que mène le Gouvernement.
Mme la rapporteure a excellemment inscrit cette proposition de loi constitutionnelle dans l’histoire de notre République et plusieurs orateurs en ont appelé à l’Histoire, avec un grand H.
Pour ma part, je me bornerai à vous parler du présent et de notre avenir immédiat.
Jusqu’à quand, monsieur le ministre, chers collègues de l’opposition, continuerez-vous de considérer que des étrangers en situation régulière, apportant à notre pays leur force économique et leur renfort démographique, n’ont pas à gagner le droit, limité, de voter sur le territoire de leur commune de résidence ?
Jusqu’à quand refuserez-vous d’admettre que, dans nos communes, dans nos quartiers si souvent stigmatisés et qualifiés de « difficiles », le fait de maintenir des étrangers en lisière de notre vie publique, alors même que beaucoup d’entre eux sont parents d’enfants français, revient à appauvrir notre vie démocratique et à freiner l’intégration de toute une famille ?
Cette proposition de loi constitutionnelle est, certes, une innovation susceptible d’en troubler certains, mais elle marque, surtout, un réel progrès démocratique, de nature à fortifier notre vivre-ensemble, qui, à mon sens, en a bien besoin.
Dans le monde d’aujourd’hui, que vous le vouliez ou non, les flux migratoires réguliers ne peuvent que croître. À nous d’y voir non une menace, mais plutôt une chance d’échanges et de compréhension accrue.
Ce que nous devons réussir, c’est changer profondément le regard de notre société sur l’étranger. Lorsque vous répétez à satiété que celui-ci doit absolument choisir la naturalisation s’il veut participer à l’échelon de base de la vie démocratique, vous niez, de fait, l’importance de la collectivité de proximité, le rôle de la commune dans l’apprentissage de la participation démocratique, et vous faites la preuve de votre incapacité à tisser un lien fort avec toutes ces personnes qui résident durablement chez nous, vivent au milieu de nous et comme nous.
Vous démontrez aussi votre incapacité à faire évoluer nos institutions pour répondre aux évolutions, bien réelles, du monde.
Monsieur le ministre – à travers vous, je m’adresse aussi à la majorité qui vous soutient –, l’histoire jugera de votre conservatisme et de votre acharnement à multiplier les barrières entre notre communauté nationale, à laquelle nous sommes attachés autant que vous, et les étrangers, quand bien même ceux-ci ont choisi de vivre dans notre pays durablement, pacifiquement, régulièrement, sans nier pour autant leur propre nationalité.
Nous voulons, nous, leur offrir cette faculté. C’est pourquoi nous avons soutenu cette proposition de loi constitutionnelle, que nous voterons avec conviction ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Esther Benbassa, rapporteure. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur Buffet, c’est à vous que je m’adresserai en cet instant. À plusieurs reprises, nous avons essayé de débattre avec vous du droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales, notamment en 2006. Vous avez toujours refusé, arguant qu’il fallait le faire plus tard. Eh bien, plus tard, comme vous disiez, c’est aujourd’hui !
Mes chers collègues, je me dois de le dire, le vote de cette proposition de loi constitutionnelle est pour nous un moment important. Au fond, nous allons réparer une discrimination qui existe, sur notre territoire, entre les étrangers communautaires et non communautaires.
Les arguments invoqués sur de prétendues différences entre les uns et les autres ne sont pas convaincants. D’aucuns ont parlé d’une communauté de destin. Mais comment occulter celle qui unit à la France les étrangers non communautaires présents sur notre territoire, dont la plupart sont issus des anciennes colonies françaises ? Si son histoire a été souvent marquée par beaucoup de souffrances, cette communauté de destin existe bel et bien !
La France a fait venir la plupart d’entre eux pour travailler dans les usines,…
M. Jacky Le Menn. Dans les mines !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … pour construire des routes, des logements. Ils ont donné à la France des enfants, des garçons et des filles français qui travaillent dans notre pays après y avoir été scolarisés. Et aujourd’hui, vous affirmez que, contrairement aux Européens, ils n’ont pas de communauté de destin avec les nationaux. Cela ne tient pas, et vous le savez !
L’argument de la langue est également irrecevable, car la plupart d’entre eux sont francophones, soit parce qu’ils sont issus de pays qui parlent largement le français, soit parce qu’ils vivent ici depuis longtemps.
C’est d’ailleurs ce qui avait amené M. Philippe Séguin – contrairement à ce que le Premier ministre a déclaré tout à l'heure –, à affirmer en 2001 qu’il était favorable au vote des résidents francophones aux élections locales.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas vrai !
M. David Assouline. Il l’a dit !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est aussi ce qui fonde le droit de vote aux élections locales, par exemple, au Royaume-Uni et au Portugal, deux pays qui accordent cette faculté aux ressortissants de leurs anciennes colonies.
La citoyenneté européenne est une construction. Peut-être verra-t-elle le jour dans l’avenir mais, aujourd’hui, elle n’existe pas dans les faits.
Comment définir la citoyenneté dans la cité, sinon par le fait d’y résider, d’y travailler, d’y avoir ses enfants à l’école – en un mot, de participer à la vie de la cité ?
Dès 1992, nous avons souligné cette injustice à l’égard de tous ceux qui vivent sur notre sol depuis très longtemps. Les résidents étrangers établis sur notre territoire ont conquis peu à peu, souvent grâce aux luttes syndicales, les droits civils, économiques et sociaux.
Mme Marie-France Beaufils. Absolument !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ces droits ne leur ont pas été octroyés, ils ont été conquis en dépit de ceux qui, peut-être parmi vous, chers collègues de l’opposition – je ne le sais, je n’ose ni le dire ni le penser – s’y opposaient. En tout cas, même si le processus a été long, ils ont effectivement acquis un certain nombre de droits. Et c’est la moindre des choses !
Aujourd’hui, l’opinion publique a évolué. En 2006, quand nous avions souhaité la discussion de cette même proposition de loi constitutionnelle, les enquêtes faisaient ressortir que 63 % des Français étaient favorables au droit de vote des étrangers aux élections municipales. Les enquêtes sont, certes, variables, mais cela ne vous a pas empêchés de vous déterminer souvent par rapport à elles, chers collègues de l’opposition.
Cette tendance a été confirmée depuis lors, malgré la stigmatisation permanente dont les étrangers n’ont cessé d’être l’objet dans notre pays de la part des gouvernements de droite.
Les Français confirment leur accord pour ce droit de vote aux étrangers aux élections municipales chaque fois qu’on leur pose la question. S’ils l’acceptent, c’est parce qu’ils côtoient tous les jours des étrangers qui sont, en effet, très intégrés dans notre pays. S’ils n’ont pas la nationalité, c’est souvent parce qu’ils ne pensaient pas rester en France. Ils y sont demeurés pour des raisons qui ne tiennent pas forcément à eux, mais, quoi qu’il en soit, ils y sont restés.
M. François Rebsamen. Bien sûr !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je le répète, ils ont donné des enfants à notre pays…
M. François Rebsamen. Qui sont français !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … qui sont français, en effet ! S’il arrive qu’ils n’aient pas la nationalité française, c’est parce qu’ils n’ont pas pu l’obtenir. En effet, contrairement à ce que vous voulez faire croire, celle-ci n’est pas si facile à obtenir.
La France, qui n’a pas été à l’avant-garde pour accorder le droit de vote aux femmes, l’est encore moins aujourd’hui pour donner à ces dernières leur place en politique. Malheureusement, il y a même des reculs, que vous favorisez, d’ailleurs, en vous employant à modifier les modes de scrutin qui garantissent la parité entre les hommes et les femmes.
J’ose espérer que, en votant ce texte ce soir, la France rattrapera son retard en matière de droit de vote des étrangers aux élections locales. Ce droit de vote, c’est aussi un signal fort, attendu, contrairement à ce que vous affirmez, par de nombreux jeunes. Faute d’avoir jamais vu leurs parents voter, ceux-ci considèrent la France comme un pays où les étrangers regardent les autres voter. Ces parents qui vivent dans la cité, qui participent à la vie de cette dernière n’ont jamais pu glisser leur bulletin de vote dans l’urne pour élire les conseillers municipaux ou les maires !
M. André Reichardt. Chez eux, si !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes heureux, aujourd’hui, d’avoir contribué à changer cette situation.
M. David Assouline. Très heureux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour cette raison, je crois que nous pouvons être fiers de la nouvelle majorité du Sénat ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 66 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 173 |
Contre | 166 |
Le Sénat a adopté. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC se lèvent et applaudissent longuement.)
13
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, vendredi 9 décembre 2011 :
À neuf heures trente :
1. Suite de la proposition de loi garantissant le droit au repos dominical (n° 794 rectifié, 2010 2011).
Rapport de Mme Annie David, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 89, 2011 2012).
Texte de la commission (n° 90, 2011-2012).
À quinze heures et le soir :
2. Proposition de loi relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle (n° 54 rectifié, 2011-2012)
Rapport de Mme Bariza Khiari, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 151, 2011-2012)
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le vendredi 9 décembre 2011, à minuit.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART