M. François Marc. Nous ferons ces comparaisons !
Mme Valérie Pécresse, ministre. J’en viens à la troisième mesure : en 2012 et en 2013, nous maintiendrons le barème de l’impôt sur le revenu à son niveau de 2011. Cet effort que nous demanderons aux Français est juste,…
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. À d’autres !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … car il pèsera essentiellement sur les foyers les plus aisés : d’abord, parce que leurs revenus augmentent plus vite ; ensuite, parce que les 10 % de ménages qui gagnent le plus sont aussi ceux qui acquittent près des trois quarts du produit de l’impôt sur le revenu. Ce sont donc avant tout ces ménages qui seront concernés par cette mesure. (Marques de scepticisme sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Celle-ci, vous le savez, entraîne mécaniquement le gel des barèmes de l’impôt de solidarité sur la fortune et des droits de succession et de donation. Là encore, ces dispositions sont applicables jusqu’au retour du déficit public à 3 % du PIB ; elles se traduiront par des recettes supplémentaires de 1,7 milliard d’euros en 2012 et de 3,4 milliards en 2013. Tant que la France n’aura pas entamé son désendettement, les foyers qui gagnent le plus verseront donc une contribution supplémentaire à la réduction des déficits.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’équité nous a également conduits à exclure du champ de la nouvelle TVA à 7 % – le nouveau taux réduit, égal à celui de l’Allemagne – les produits alimentaires, l’énergie, ainsi que les biens et services destinés aux personnes handicapées.
Vous le savez – et c’est la quatrième mesure majeure de ce collectif –, nous créons donc un nouveau taux réduit de TVA, au rendement de 1,8 milliard d’euros, dans le cadre de la convergence fiscale franco-allemande. Mais en limitant le champ de ce nouveau taux, nous évitons qu’il ne touche le pouvoir d’achat des Français les plus modestes ou les plus fragiles ; …
M. François Marc. C’est faux !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … c’est la raison pour laquelle l’Assemblée nationale a maintenu à 5,5 % le taux applicable aux cantines scolaires.
Le Gouvernement a également veillé, mesdames, messieurs les sénateurs, à ne déséquilibrer aucun des secteurs économiques concernés par ce nouveau taux. Avec Frédéric Mitterrand, j’ai ainsi confié une mission sur la filière du livre à Pierre-François Racine, qui vient de nous remettre ses premières conclusions : afin de permettre à la transition de se faire dans de bonnes conditions, le Gouvernement vous proposera un amendement décalant de deux mois l’entrée en vigueur du taux à 7 % pour le livre.
Face à une crise exceptionnelle, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons plus que jamais le devoir de tenir un discours de vérité. Prétendre, comme certains le font trop souvent, que l’on pourrait combler nos déficits sans faire le moindre effort, c’est mentir aux Français. Le désendettement est une exigence collective et une nécessité d’intérêt national : ce n’est pas facile, mais chacun, aujourd’hui, est appelé à y prendre sa part.
Ce collectif budgétaire, mesdames, messieurs les sénateurs, nous permet également d’intensifier encore la lutte contre toutes les fraudes, car, aujourd’hui plus que jamais, nul ne doit pouvoir se soustraire à l’effort d’intérêt national et je sais que vous y êtes particulièrement sensibles.
Depuis près de quatre ans, le Gouvernement a fait de cette lutte une priorité absolue. Notre stratégie est clairement répressive, car c’est le seul moyen de faire reculer toutes les fraudes, qu’elles soient sociales, fiscales ou douanières. Avec pas de moins de soixante mesures prises pour mieux repérer et mieux réprimer, nous nous sommes donné toutes les armes pour remporter ce combat. Vingt-trois de ces mesures concernent plus spécialement la fraude et l’évasion fiscale : nous avons ainsi consacré le droit de communication, qui permet au fisc d’avoir accès aux informations sur les transferts bancaires à l’étranger. Nous avons également créé le fichier des évadés fiscaux, mis en place la police fiscale ou bien encore renforcé la lutte contre la fraude dite « au carrousel » de TVA.
Ce combat contre la fraude, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes en train de le gagner : en 2010, grâce au contrôle fiscal, 16 milliards d’euros sont revenus à leur juste place, c’est-à-dire dans les caisses de l’État, soit un milliard d’euros de plus qu’en 2009. Année après année, nous ne cessons de faire mieux : le nombre de comptes bancaires à l’étranger déclarés a triplé entre 2007 et 2010. À elle seule, la cellule de régularisation créée en 2009 a rapporté à l’État 1,2 milliard d’euros de droits et pénalités, qui viennent s’ajouter aux 16 milliards d’euros que je mentionnais à l’instant.
Nous conduisons la lutte contre la fraude au nom des principes républicains. C’est pourquoi nous refusons toute mesure d’amnistie, comme nous refusons de nous engager dans le dispositif proposé par l’Association des banques étrangères en Suisse, dénommé « plan Rubik », parce que cela nous aurait conduits à transiger avec nos principes : les contribuables ne seraient même plus tenus de déclarer les comptes qu’ils détiennent en Suisse. Aux yeux du Gouvernement, ce n’est tout simplement pas acceptable.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Voilà une bonne nouvelle !
Mme Valérie Pécresse, ministre. Avec ce collectif, nous poursuivons nos efforts et, grâce aux nouvelles armes qu’il offre à notre police fiscale, nous allons resserrer encore l’étau sur les grands fraudeurs, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises.
Sur l’initiative du Gouvernement, l’Assemblée nationale a ainsi porté de trois ans à dix ans le délai de prescription en matière d’avoirs détenus à l’étranger, quel que soit le pays. En 2008, ce délai avait été allongé pour les seuls paradis fiscaux. Aujourd’hui, nous devons aller plus loin : même si nous avons signé des conventions d’assistance administrative avec trente-six pays, je constate que, lorsque nous formulons une demande, la réactivité n’est pas toujours au rendez-vous. Je souhaite donc que l’administration dispose de tout le temps nécessaire en cas de suspicion de fraude sur des avoirs à l’étranger. Face à des montages souvent complexes, le temps doit être l’allié et non plus l’ennemi de notre police fiscale. Or, aujourd’hui, ses agents ne peuvent intervenir que pour les soupçons de fraude liés à un paradis fiscal : dès qu’un État sort de la liste en signant une convention, la mobilisation de la police fiscale n’est plus possible. Grâce à ce collectif budgétaire, elle disposera désormais d’un délai de trois ans pour poursuivre son enquête. Ce délai nous permettra d’apprécier la réalité et l’efficacité, dans la durée, de la coopération entre les services.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce collectif budgétaire vient parachever l’effort de réduction des déficits publics engagé depuis trois ans. Par deux fois, le 24 août et le 7 novembre, nous avons démontré que la détermination de la France à tenir ses engagements était inébranlable, et cette fermeté fait aujourd’hui toute notre crédibilité.
Je le dis au Sénat : avec la crise, quelque chose a changé. Plus un seul pays au monde ne peut faire du redressement des finances publiques un objectif de second ordre. La dépense facile est un luxe que nous ne pouvons plus nous permettre. C’est pourquoi la règle d’or…
M. Marc Daunis. Il y avait longtemps !
Mme Valérie Pécresse, ministre. … s’impose aujourd’hui comme une évidence pour toutes les nations européennes. Toutes les forces politiques doivent prendre la mesure de ce changement.
M. Éric Doligé. Même le PS !
Mme Valérie Pécresse, ministre. J’ai déjà eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle, la règle d’or n’est ni de droite ni de gauche, elle est d’intérêt général, tout simplement.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Elle est de bon sens !
Mme Valérie Pécresse, ministre. La France serait plus forte si, sur toutes les travées de cet hémicycle, on reconnaissait que le retour à l’équilibre budgétaire nous oblige tous. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
En France comme en Europe, l’heure n’est plus aux divisions, l’heure n’est plus aux calculs : face à une crise exceptionnelle, chacun doit écouter sa conscience et se hisser à la hauteur des circonstances. Ce collectif budgétaire vous offre à nouveau l’occasion de nous rejoindre sur le chemin du désendettement : j’espère que la Haute Assemblée, fidèle à sa tradition d’indépendance et de liberté d’esprit, saura la saisir ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. Marc Daunis. N’en doutez pas !
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, je souhaiterais aborder trois sujets : le patchwork budgétaire, les confirmations que nous apporte ce projet de loi de finances rectificative et, cela me semble nécessaire après le Conseil européen de la semaine dernière, la déclaration adoptée le 9 décembre par les chefs d’État ou de gouvernement européens.
En ce qui concerne le patchwork budgétaire, il faut constater que la liste des textes financiers pour 2012 qui se succèdent, dont ce collectif devait être la dernière pièce, n’est pas close : nous avons en effet appris aujourd’hui, par ce qu’il est convenu d’appeler une « fuite organisée », qu’il serait question d’examiner un projet de loi de finances rectificatives dès janvier 2012.
M. Jean-Pierre Caffet. Encore !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je ne sais pas s’il s’agira du plan Fillon III, mais il est déjà annoncé.
Le Gouvernement a avancé l’objectif d’un déficit budgétaire correspondant à 4,5 % du produit intérieur brut à la fin de l’année 2012. Il s’agit d’un minimum, sans lequel la capacité du gouvernement issu des élections du printemps à franchir la marche suivante – c’est-à-dire de passer de 4,5 % du PIB à 3 % à la fin de 2013 – serait remise en cause. Je rappelle que jamais, par le passé, on n’a observé une baisse du déficit de 1,5 point en une seule année. Il faut garder ces chiffres en tête.
Les modalités de mise en œuvre de la trajectoire pluriannuelle des finances publiques se caractérisent par une succession d’improvisations. Pourtant, en avril, nous avons eu un débat sur le programme de stabilité européen : à cette occasion, nous avons invité le Gouvernement à présenter plusieurs hypothèses – c’est vous-même, monsieur le président de la commission des finances, qui aviez formulé cette demande – justement de façon à anticiper des évolutions moins favorables. Le Gouvernement ne nous a pas écoutés. Il aurait pu se rattraper en juillet, lors du débat d’orientation des finances publiques pour 2012 : il ne l’a pas fait. Il faut croire que le Gouvernement estime que ces exercices sont purement formels, puisqu’il n’en tire aucun enseignement et préfère multiplier les textes financiers et les plans.
Le Gouvernement a donc justifié tout et son contraire et, en particulier, des mesures dont la logique est celle du rendement. C’est ainsi qu’il a brisé le tabou de la hausse de la TVA depuis le 7 novembre, puisqu’il nous propose, dans ce collectif, de faire passer le taux réduit de 5,5 % à 7 %.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ce même gouvernement a aussi fait tomber le tabou des hausses généralisées de la fiscalité : il proclamait encore, le 26 octobre, qu’il ne procéderait jamais à de telles hausses ; or il nous propose, dans ce projet de loi de finances rectificative, de ne pas revaloriser l’ensemble du barème de l’impôt sur le revenu.
Monsieur le ministre, prétendre que ceux qui vont payer ne figurent pas parmi les plus fragiles relève de la galéjade : avec le gel du barème, ceux qui ne paient pas actuellement d’impôt sur le revenu pourront entrer dans la première tranche du barème. Ce sont donc bien les couches les plus modestes qui seront touchées par cette mesure.
Les argumentaires du Gouvernement, de plan en plan, sont à géométrie variable. Lorsque le Sénat nouveau – on parle du vin nouveau, on peut bien parler du Sénat nouveau ! – a proposé de revoir l’assiette de l’impôt sur les sociétés ou d’accroître certains prélèvements sur les entreprises, le Gouvernement l’a accusé de mettre en péril l’activité et de pénaliser la croissance. Mais, miraculeusement, le même argument ne vaudrait pas lorsque le Gouvernement propose une série de mesures allant d’une surtaxe sur les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 250 millions d’euros, à la réintégration des heures supplémentaires dans le calcul des allégements généraux sur les bas salaires.
Lorsque le Sénat nouveau a proposé d’améliorer la progressivité de la taxation des revenus du capital, en soumettant les dividendes au barème de l’impôt sur le revenu, le Gouvernement a opposé l’argument du coût de trésorerie. Or que constate-t-on à la lecture l’article 13 de ce projet de loi de finances rectificative ? L’augmentation à 24 % du taux du prélèvement libératoire sur les dividendes, qui n’améliore en rien la progressivité, représente le même coût de trésorerie ! Les députés, instruits par le débat au Sénat, ont d’ailleurs ramené le taux du prélèvement libératoire à 21 %.
Le Gouvernement a vilipendé pendant toute la session budgétaire – et Mme la ministre vient encore de le faire – la gauche sénatoriale, qu’il accuse de vouloir taxer à outrance. Cet argument n’est pas recevable quand ce même gouvernement décide 43 milliards d’euros de hausses de prélèvements obligatoires en 2010, 2011 et 2012 !
Ce projet de loi de finances rectificative pour 2011 confirme plusieurs constats.
Malheureusement, la trajectoire des finances publiques retenue par le Gouvernement n’est pas crédible : l’évolution des dépenses publiques n’est plus de 0,5 %, mais de 0,4 %...
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il faut faire des économies !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Autrement dit, alors que notre politique budgétaire a besoin de crédibilité, alors que la Commission européenne et le Conseil européen nous reprochent déjà, chaque année, de ne pas être assez précis sur les objectifs affichés en matière de dépenses, le Gouvernement choisit d’exposer la France à leur critique aggravée en retenant une hypothèse fantaisiste au regard des tendances passées, y compris celles des trois dernières années, et tout aussi peu documentée que par le passé. On nous annonce des réductions de dépenses, mais les projets de budget qui nous sont présentés successivement n’en portent pas la trace.
Le plan Fillon présente la faiblesse d’être « vendu » comme un plan plus exigeant en matière de baisses de dépenses que de hausses de prélèvements et de reposer, en réalité, sur des déclarations d’intention concernant les dépenses. Il n’explique pas comment il compte réaliser ces réductions de dépenses et renvoie à l’après-2012.
Le Gouvernement occulte un phénomène incontesté et incontestable : la baisse de la croissance et la possibilité d’un troisième plan Fillon. À cette fin, le Gouvernement utilise la réserve de précaution comme un « matelas » de 8 milliards d’euros de crédits susceptibles d’être annulés à tout moment. Cette réponse est surprenante et inquiétante, pour des raisons juridiques, pratiques et politiques.
Quelles sont les raisons juridiques d’abord ? Le Gouvernement semble considérer comme un détail le fait que la réserve de précaution n’ait pas été créée pour l’usage qu’il compte en faire. Aucun gouvernement n’est obligé de dépenser l’intégralité des crédits votés ; en revanche, il est interdit de dépasser les plafonds de dépense et la loi organique relative aux lois de finances a prévu, pour aider les gouvernements à respecter les plafonds, la mise en place d’une réserve de précaution. Autrement dit, cette réforme n’a pas été conçue pour faire des économies, mais pour empêcher les dérapages.
J’en viens aux raisons pratiques. Chaque année, la quasi-totalité des crédits mis en réserve est dépensée. En 2010, seuls 3 % de ces crédits ont été économisés : appliqué à 2012, ce taux permettrait d’envisager 240 millions d’euros d’économies. En imaginant que le Gouvernement déploie tous ses efforts et porte le taux d’économie à 10 %, on obtiendrait, au mieux, 800 millions d’euros d’économies. Mais, au vu de la pratique des années précédentes, il semble difficilement envisageable d’annuler l’intégralité de la réserve. Il s’agit donc d’un artifice que le Gouvernement utilise à son profit – du moins le croit-il !
J’en arrive à la raison politique. La majorité gouvernementale serait-elle prête à accepter que 8 milliards d’euros soient économisés en cours d’exercice par une simple décision réglementaire, sans que le Parlement ait son mot à dire ? Quand j’observe les difficultés auxquelles le Gouvernement a été confronté pour accroître de 1,5 milliard d’euros, dans le projet de loi de finances pour 2012, le montant des économies, je me demande si tout cela est bien réaliste. Ces 8 milliards d’euros seraient économisés sans que le Parlement se prononce. Voilà pourquoi il a beaucoup insisté sur la non-existence d’un plan Fillon III. Cette habileté ne l’exonère pas de la vérité.
Le déficit de l’État se réduit de 53 milliards d’euros en 2011, soit 7 milliards d’euros de moins que les 60 milliards d’euros sur lesquels le Gouvernement avait fondé sa communication en début d’année. Cependant, la présentation des chiffres est biaisée par la sortie des comptes des 35 milliards d’euros du grand emprunt, soit 92% de la baisse du déficit, qui ne se reproduira évidemment pas l’année prochaine.
Dans ce projet de loi de finances rectificative, dont le volume a été multiplié par trois par l’Assemblée nationale, nous trouvons, plus encore que d’habitude en cette fin de législature, une multitude de dispositions relatives aux recettes, qui touchent à tous les aspects de notre vie économique. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles, en particulier pour ce qui concerne les dispositions relatives au contrôle fiscal et à la lutte anti-fraude.
Je voudrais consacrer la fin de mon intervention à la déclaration adoptée par les chefs d’État et de Gouvernement à l’issue du Conseil européen du 9 décembre dernier. Cette déclaration comporte trois volets, que je voudrais commenter.
Il convient d’abord de ne pas trop s’emballer. La réaction des marchés a d'ailleurs été prudente : une légère hausse, suivie d’une baisse. Les analystes ont compris qu’il s’agissait avant tout d’un emballage.
Le volet consacré à la croissance et à la coordination des politiques économiques a été singulièrement oublié. Il figure « pour ordre » dans le texte final mais n’apporte rien de neuf. Le président du Conseil européen devra remettre en mars 2012 un rapport sur « la manière d’approfondir encore l’intégration budgétaire », il est donc peut-être « permis d’espérer ».
Toutefois, sur les perspectives de mutualisation des dettes et de soutien à la croissance, en d’autres termes sur tout ce qui aurait pu indiquer une direction ou une vision pour l’Europe au-delà de la discipline budgétaire, l’accord est muet.
Ensuite, il y a les mesures à prendre dans l’immédiat pour faire face, le cas échéant, aux difficultés de financement que pourraient rencontrer des États de la zone euro – tout le monde pense aux risques qui pèsent sur l’Espagne et l’Italie.
Cet accord nous apprend que la question de l’effet de levier, c’est-à-dire la capacité d’intervention dont dispose l’Europe, n’est toujours pas réglée.
D’un côté, on nous indique que les deux dispositifs décidés le 27 octobre seront mis en œuvre, même si l’effet de levier que l’on en attend est bien inférieur aux prévisions initiales. D’un autre côté, on reporte au mois de mars 2012 le débat sur le plafond global de 500 milliards d’euros du Fonds européen de stabilité financière, le FESF, et du futur Mécanisme européen de stabilité, le MES.
Nous apprenons aussi que la règle de l’unanimité pour la prise des décisions du futur Mécanisme européen de stabilité va être assouplie. Une majorité de 85 % pourra s’appliquer, mais malheureusement dans des cas très restreints.
Nous apprenons enfin que l’entrée en vigueur du MES va être anticipée à la mi-2012, au lieu de 2013. Cela pose trois questions.
Première question : quand le traité relatif au MES sera-t-il soumis aux assemblées, car la mi-2012, c’est demain ?
Ma deuxième question porte sur le contexte, diplomatique notamment. Le Gouvernement confirme-t-il que le Royaume-Uni ne s’oppose pas à la révision de l’article 136 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, nécessaire à la mise en place du Mécanisme européen de stabilité ?
Ma troisième question est d’ordre budgétaire. La France doit contribuer à hauteur de 16 milliards d'euros environ au capital du MES. Cette opération est neutre sur le solde maastrichtien, mais évidemment pas sur le déficit budgétaire et sur notre endettement. La France va payer par tranches, mais il faudra, selon l’accord, accélérer les versements. Comment l’échéancier de ces versements sera-t-il programmé ? C’est sans doute la raison pour laquelle la « fuite » organisée à laquelle j’ai fait allusion tout à l’heure évoque un plan Fillon, un nouveau collectif budgétaire qui interviendrait au début de l’année 2012 : est-ce pour libérer la première tranche de ce financement ?
J’aborderai, pour finir, ce que la déclaration du 9 décembre qualifie de « nouveau pacte budgétaire ».
La mise en œuvre du schéma retenu le 9 novembre nous imposerait deux règles de fonctionnement : le pacte de stabilité et de croissance, conséquence du traité de Maastricht, et la fameuse règle d’or, qui devient une règle de platine, si j’ai bien compris Mme la ministre tout à l’heure.
Concernant le pacte de stabilité et de croissance, cela signifie l’application de sanctions automatiques que le Gouvernement a déclaré refuser, et une modification profonde du processus budgétaire national.
Les projets de loi de finances devront être soumis à la Commission européenne. Si la Commission constate des écarts avec la trajectoire, elle demandera un projet de plan budgétaire révisé. Elle pourra en tout état de cause venir présenter son avis sur le budget devant les parlements nationaux.
Le projet de règlement de la Commission indique que l’avis serait rendu dans les quinze jours suivant la présentation des projets de loi de finances, c'est-à-dire, pour nous, vers le 15 octobre. À cette date, l’Assemblée nationale a déjà bien entamé l’examen de la première partie. Que se passerait-il s’il fallait l’ajuster ? Doit-on désormais s’attendre à un plan complémentaire chaque année au début du mois de novembre ? Nous devions déjà articuler deux lois financières, un collectif de fin d’année et un décret d’avance qui devient régulier à cette époque ; il nous faudrait maintenant intégrer les corrections demandées par la Commission européenne ! C’est une modification profonde du processus budgétaire national.
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. La troisième nouveauté est que les hypothèses économiques sur lesquelles sont construits les budgets nationaux devront être élaborées de manière indépendante.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Vous devriez y être très favorable !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. J’ai interrogé plusieurs fois différents membres du Gouvernement sur la manière dont nous allions traiter cette question en France : je n’ai jamais reçu de réponse.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Le principe doit vous convenir !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Le projet de règlement de la Commission prévoit aussi un conseil budgétaire indépendant. Il importe à la représentation nationale de savoir comment le Gouvernement l’envisage.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Et vous, comment l’envisagez-vous ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Au vu du renforcement du rôle de la Commission européenne, on est donc loin de l’« intergouvernemental » proclamé à longueur de déclarations par le Président de la République.
Quant à la fameuse règle d’or, il faut en dire quelques mots.
Le Gouvernement s’est placé dans une impasse en acceptant une règle contraire à tout ce qu’il a préconisé au printemps dernier lorsque nous débattions de la révision constitutionnelle. La règle qui figure dans la déclaration du 9 décembre est la règle allemande, exprimée en termes de solde structurel. Elle avait été jugée au printemps politiquement inexplicable et économiquement impraticable – il n’y a qu’à voir à ce sujet les travaux de la commission Camdessus.
M. Roland Courteau. En effet !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est cette règle que nous devrions transcrire dans notre droit, selon des modalités dont la Cour de justice de l’Union européenne devrait vérifier qu’elle est bien conforme à l’esprit du futur accord intergouvernemental.
Il s’agit ni plus ni moins d’un pilotage automatique des finances publiques de la France.
Une règle en termes de solde structurel et non de solde nominal, un objectif d’équilibre plutôt qu’une définition de la trajectoire laissée au législateur national, une correction automatique des écarts au lieu de l’entière appréciation par le juge constitutionnel : tous les principes de la réforme que vous avez votée, monsieur le président de la commission des finances, chers collègues de la majorité, en juillet 2011, sont rendus caducs par le nouveau pacte budgétaire européen. Le Gouvernement va donc devoir proposer une autre règle que celle qu’il a fait voter au Parlement. Il ne répond pas à la question posée et, pour se sortir de l’impasse, il déplace le débat sur le terrain de la politique intérieure, comme Mme la ministre vient encore de le faire,…
M. Roland Courteau. Et voilà !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. … en faisant valoir que les socialistes ne jouent pas le jeu. Cela lui évite de décliner ses propositions, et il espère tenir sur cette ligne jusqu’aux élections. Cela ne trompera personne !
Nous entrons dans une période où, plus encore qu’à l’accoutumée, le Gouvernement s’ingéniera à mettre en scène une réalité politique virtuelle, …
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est vous qui êtes dans le virtuel !