Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Bravo !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Belle chute, mais Danton a mal fini...
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure générale, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, tout au long de cette session budgétaire, nos débats auront fait apparaître la profondeur des divergences qui séparent désormais le Gouvernement et la Haute Assemblée.
Je remercie l’ensemble des orateurs qui viennent de s’exprimer et j’adresse un merci tout particulier à ceux qui ont tenu à soutenir ce projet de loi de finances rectificative.
Il convient de prendre l’exacte mesure des divergences que j’évoquais.
À la suite du président Marini, dont je salue, une fois encore, la clairvoyance et la lucidité, je voudrais, madame la rapporteure générale, rappeler quelques faits qui parlent d’eux-mêmes.
Tout d’abord, en matière d’anticipation, je ne peux croire que la Haute Assemblée cède ainsi aux illusions rétrospectives.
Madame la rapporteure générale, la prévision est un art difficile.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. C’est vrai !
M. Patrick Ollier, ministre. Je le dis à François Patriat, ainsi qu’à Jean-Vincent Placé, au printemps dernier, l’immense majorité des observateurs français et étrangers prévoyait une reprise, personne ne peut le nier, et les chiffres de croissance du premier trimestre le confirmaient, c’est un fait que personne ne peut contester non plus.
Mais il y a eu la crise, une crise certes française, mais aussi européenne et mondiale. Or le propre des crises, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est d’être soudaines et brutales. Oui, l’été dernier, nous sommes entrés dans une période de turbulences auxquelles il faut faire face.
L’honneur de ce gouvernement, madame la rapporteure générale, c’est d’avoir mesuré, en toute lucidité, l’ampleur de cette crise et d’avoir pris immédiatement toutes les décisions qui s’imposaient. Je remercie la majorité présidentielle qui les a soutenues.
Dans l’histoire récente de notre pays, une attitude aussi responsable est rare ; elle est si rare qu’elle mérite d’être signalée, nul ne peut le contester.
Philippe Marini a dit une chose très vraie, à savoir qu’un projet de loi de finances rectificative est un exercice de vérité, de réactivité face à une situation imprévisible. Nous sommes exactement dans ce cas-là !
Nul ne peut le contester, la stratégie de ce gouvernement est marquée du sceau de la constance, d’abord dans les objectifs.
Les objectifs pour 2011 et 2012 étaient très clairs : réduire le déficit public à 5,7 % en 2011 et à 4,5 % en 2012. Malgré les circonstances, ces objectifs restent intangibles et sont notre ligne de mire.
La stratégie du Gouvernement est ensuite marquée du sceau de la constance dans la méthode. Celle-ci repose d’abord et avant tout sur les économies en dépenses, et ce collectif démontre l’importance des efforts que nous avons engagés.
Pour la première fois depuis 1945, les dépenses de l’État baissent. Là aussi, c’est un fait, mais je ne vous ai pas entendus en parler. Pourquoi ne pas le reconnaître ?
Pour être concret, quelles sont les sources d’économies ? La réponse est simple : ce sont la baisse des dépenses et les réformes que vous avez combattues point par point qui ont rendu possibles ces économies.
Je pense, par exemple, à la révision générale des politiques publiques engagée dès 2007. Prévoyants, nous l’avons été. Le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique de l’État est l’une des mesures prises qui nous permet aujourd’hui de faire face à la situation.
Je songe à la réforme de la carte militaire, engagée en 2008, à la réforme de la carte judiciaire, que nous avons menée en 2009, et, bien sûr, à la réforme des retraites, sur laquelle vous souhaitez revenir, mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, mais sans la moindre crédibilité, comme l’a justement souligné Francis Delattre.
Dans la perspective de la campagne présidentielle qui s’annonce, espérons que le candidat socialiste clarifiera bientôt sa position : comptez-vous, oui ou non, revenir, comme vous vous y êtes engagés, à la retraite à 60 ans ?
M. Yves Daudigny. Nous nous sommes déjà exprimés sur ce sujet !
M. Patrick Ollier, ministre. Ces réformes, vous les avez toutes combattues ; vous n’en avez voté aucune ! C’est votre droit le plus strict, nul ne le conteste. Toutefois, le combat que vous avez mené contre ces réformes ne vous autorise pas aujourd’hui à critiquer les principes d’action que traduit ce projet de loi de finances rectificative, par lequel le Gouvernement entend précisément adapter le budget de la France au contexte de crise.
Mme Marie-France Beaufils. On en voit les conséquences !
M. Patrick Ollier, ministre. Madame Beaufils, il faut être cohérent dans le temps. Je viens d’évoquer une série de réformes accomplies depuis 2007 ; nous sommes à présent en 2011. Vous combattez cette politique, soit ! Mais vous ne pouvez pas défendre l’inverse de ce que vous souteniez hier : dans ce cas, il aurait fallu nous appuyer naguère. C’est la logique.
M. Éric Bocquet. Bien sûr que non !
M. Patrick Ollier, ministre. Vous ne pouvez pas à la fois combattre ces réformes et nier qu’elles nous permettent aujourd’hui de réaliser des économies que je qualifierai d’historiques. Dans ce domaine également, la crédibilité est du côté du Gouvernement.
Monsieur Collin, cette crédibilité est le fruit de cinq ans d’actions et de réformes qui nous permettent de réduire, pour la première fois, la masse salariale de l’État hors dette et pensions. C’est dire le travail qu’il a fallu accomplir !
Les efforts que nous avons consentis en 2011 et auxquels nous nous préparons pour 2012 s’inscrivent dans la droite ligne de cette politique rigoureuse. Ils atteignent 52 milliards d’euros, dont plus de la moitié consiste en des réductions de dépenses.
Voilà quelques instants, lors de la discussion générale, certains orateurs ont évoqué les dispositions votées par le Sénat dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012, notamment les nombreuses taxes que vous avez créées, à hauteur, me semble-t-il, de 40 milliards d’euros.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Non !
Mme Marie-France Beaufils. Non, 30 milliards d’euros !
M. Patrick Ollier, ministre. Ce sont les chiffres que j’ai lus dans la presse, madame la rapporteure générale, pardonnez-moi si je me trompe...
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il ne faut pas lire le journal, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. Patrick Ollier, ministre. Quoi qu’il en soit, l’adoption de telles taxes ferait peser 20 milliards d’euros de charges supplémentaires sur les entreprises. Je reviendrai sur ce point.
Le Gouvernement fait également preuve de constance en matière de recettes : en effet, notre stratégie est encore et toujours d’opérer des prélèvements ciblés dans un esprit de justice. Deux exemples l’illustrent.
Premièrement, la majoration exceptionnelle de l’impôt sur les sociétés ne concerne que les grandes entreprises.
Monsieur Foucaud, je précise que les sociétés réalisant plus de 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires contribueront à hauteur de 50 % du produit de cette majoration. Il s’agit bien des grands groupes que vous mentionniez tout à l’heure ! Vous devriez non seulement reconnaître cette réalité, mais aussi approuver l’action du Gouvernement en la matière. D’ailleurs, à mes yeux, vous auriez dû voter ces dispositions, qui répondent au constat que vous dressez. Je vous lance donc un appel à la cohérence.
Cette mesure n’est en aucun point comparable à la hausse générale de l’impôt sur les sociétés que vous avez adoptée lors de l’examen du projet de loi de finances, et qui aboutirait à augmenter de 50 % l’imposition de toutes les entreprises, y compris les PME – je le souligne ! – que, pour notre part, nous souhaitons protéger.
Deuxièmement, la hausse du prélèvement forfaitaire libératoire ne concerne, par définition, que les ménages percevant des revenus du capital et relevant des plus hautes tranches du barème de l’impôt sur le revenu. Voilà la vérité !
Dans ce domaine, également, la constance et la crédibilité sont de notre côté. En effet, cette augmentation vient parachever notre effort historique de rapprochement de la fiscalité du capital et du travail. Elle s’ajoute à la hausse des prélèvements sociaux sur les revenus du capital, à la refonte du régime des plus-values immobilières et à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, dont l’assiette comprend à la fois les revenus du capital et ceux du travail. Voilà la vérité !
Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, telle est la réalité des mesures que nous proposons, aux antipodes de l’image que vous en donnez ! Ces mesures sont tout simplement sans précédent. Les leçons de justice fiscale, comme le soulignait Francis Delattre, nous sommes donc en mesure de les donner – j’en suis persuadé et je suis du reste en train de le démontrer – non de les recevoir.
Je le rappelle à François Marc comme à François Fortassin ainsi qu’à Jean-Vincent Placé : les principes d’équité et de progressivité sont au cœur de notre politique fiscale. Le plafonnement des niches en matière d’impôt sur le revenu a été décidé par le Gouvernement. Il a ainsi mis un terme aux mécanismes d’optimisation fiscale, qui, en 2000 – alors que M. Jospin était au pouvoir –, permettaient à un ménage percevant 1 million d’euros de ne pas verser le moindre centime au titre de l’impôt sur le revenu ; aujourd’hui le même ménage acquitte au moins 340 000 euros.
M. François Marc. C’est n’importe quoi ! Qui paye de telles sommes ?
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur Marc, vous semblez étonné : je le répète, cette situation correspond à l’époque où M. Jospin était Premier ministre !
Monsieur le rapporteur pour avis, vous savez que le Gouvernement veille à ce que la création du nouveau taux de TVA ne déséquilibre aucun secteur. C’est la raison pour laquelle nous avons confié à Pierre-François Racine une mission de suivi consacrée exclusivement à la filière du livre.
De plus, c’est pour lui permettre d’appliquer cette mesure dans de bonnes conditions que nous différons de deux mois, pour ce seul secteur, l’entrée en vigueur du nouveau taux. Il s’agit là d’un geste très fort qui exprime la détermination du Gouvernement à prendre en compte sa situation très particulière.
J’espère que vous approuvez cette mesure, monsieur le rapporteur pour avis.
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. J’ai précisément déclaré le contraire !
M. Patrick Ollier, ministre. De surcroît, je vous rappelle que, sous l’impulsion du Président de la République, nous avons créé le label « librairie indépendante », assorti d’une exonération de cotisation économique territoriale ; nous aurons l’occasion d’aborder de nouveau ce sujet, comme les autres points que vous avez évoqués, lors de l’examen des articles de ce collectif budgétaire.
Madame la rapporteure générale, les différents textes que le Sénat a examinés relèvent donc de la même stratégie et des mêmes principes : constance et réactivité.
Monsieur Marc, je vous l’affirme : le Gouvernement a pris les décisions qui s’imposaient chaque fois qu’elles étaient nécessaires. Comme l’a parfaitement souligné M. le président de la commission des finances, si nous n’avions pas agi, vous n’auriez pas manqué de nous le reprocher, et en quels termes ! (M. François Marc s’exclame.) Nous ne vous en avons pas laissé l’occasion, ce qui ne vous empêche pas de formuler des critiques... (M. le président de la commission des finances manifeste son approbation.) C’est légitime, on ne peut pas vous en vouloir !
À l’évidence, les circonstances imposaient au Gouvernement d’agir ; c’était notre responsabilité, et nous y sommes restés fidèles.
Madame la rapporteure générale, on ne peut pas prétendre en permanence redresser les finances publiques tout en rejetant le moindre engagement contraignant à ce sujet : c’est impossible !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Mais le Gouvernement n’a pas pris le moindre engagement !
M. François Marc. Ne nous attribuez pas tous les torts !
M. Patrick Ollier, ministre. Vous aurez tout loisir de vous entretenir de ce sujet avec Mme la ministre du budget au cours de ce débat : lors de l’examen des articles, elle vous détaillera l’ensemble des engagements contraignants pris par le Gouvernement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans la crise que nous traversons aujourd’hui, les mots ne suffisent plus, seuls les actes comptent.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Justement !
M. Patrick Ollier, ministre. Précisément, madame la rapporteure générale, c’est vous qui, tout à l’heure, parliez des observateurs internationaux, des marchés, des agences, etc. Ces acteurs ne jugent que les actes ; ils ne se contentent plus des paroles depuis belle lurette. Or le Gouvernement s’honore de prendre avec courage et réactivité les mesures qui répondent aux attentes de ces observateurs, pour ne pas dire à celles des marchés !
Passer aux actes, c’est également instituer la règle d’or,…
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Laquelle ?
M. Patrick Ollier, ministre. … cette disposition qui fait consensus dans l’Europe tout entière. Madame la rapporteure générale, en Allemagne, en Espagne et dans d’autres pays de l’Union européenne, les socialistes – dont les convictions sont aussi sincères que les vôtres – se sont unis aux forces politiques de droite pour adopter la règle d’or. Je regrette que, en France, nous ne parvenions pas à un consensus républicain, dans l’intérêt de notre pays, dans l’intérêt de la protection des Français et de la France, et ce dans un contexte aussi difficile sur les plans européen et mondial.
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. Vous l’avez réclamé, M. Ollier l’a fait !
M. Patrick Ollier, ministre. Un tel consensus honorerait notre Parlement, notre démocratie, si, pour une fois, nous parvenions à dépasser les clivages partisans et à nous accorder, dans l’intérêt national, sur la règle d’or !
Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, je n’ai pas la prétention de vous lancer un quelconque appel. Toutefois, je souligne que le monde entier nous regarde, que les marchés nous observent et qu’ils analysent vos réactions, car ils savent que nous souhaitons adopter une semblable règle d’or. Je ne cesserai de vous répéter qu’il serait bon que vous acceptiez d’accomplir un effort, à l’image de vos amis socialistes des pays voisins, qui ont déjà entrepris une semblable démarche.
Partout en Europe, les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, ont pris conscience de la nécessité d’apporter des réponses nationales et européennes à la crise ; or, alors même que l’Europe est en train de se rassembler, vous semez la division en remettant en cause des avancées qui unissent les membres de la zone euro autour de ce bien commun qu’est la monnaie unique.
M. François Marc. Le déficit, c’est vous ! (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx proteste.)
M. Vincent Eblé, rapporteur pour avis. À présent, c’est la faute de la gauche !
M. Patrick Ollier, ministre. Je songe tout particulièrement à l’accord du 9 décembre dernier : lorsque vingt-six des vingt-sept États membres de l’Union européenne parviennent à s’entendre, en partie sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne – et j’en suis très fier –, ne peut-on pas considérer qu’un progrès exceptionnel a été accompli ? Pourquoi ne pas le reconnaître ? pourquoi ne pas s’engager avec enthousiasme dans la voie du consensus européen ? Ce serait bon pour la France, pour l’Europe et pour notre monnaie unique, l’euro !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !
M. Patrick Ollier, ministre. C’est pourquoi je salue le souci exprimé par Aymeri de Montesquiou de parvenir à un consensus national, auquel j’appelle également, monsieur le sénateur. Mesdames, messieurs les sénateurs, dans les circonstances exceptionnelles que nous traversons, nous pouvons faire fi de nos divergences,…
M. Aymeri de Montesquiou. Tout à fait.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Absolument !
M. Patrick Ollier, ministre. … et nous accorder sur une règle de conduite qui occulte, quelques mois durant, nos divergences. Elles reparaîtraient assez rapidement ensuite, au cours de la campagne présidentielle, j’en suis bien conscient ! Mais, d’ici là, nous aurions pu marcher quelque temps côte à côte pour sauver l’Europe, l’euro et notre pays.
Monsieur de Montesquiou, vous avez raison d’appeler au consensus. Sachez que le Gouvernement est prêt à appuyer tout effort en ce sens, mais encore faut-il que les conditions nécessaires soient réunies. J’espère très sincèrement que tel sera le cas et que la Haute Assemblée sera présente à ce rendez-vous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Bravo !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 195.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances rectificative pour 2011 (n° 160, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Éric Bocquet, auteur de la motion.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’appel à l’union nationale face à la crise qui vient d’être lancé, les propos que je tiendrai seront quelque peu différents.
Selon les experts, le déficit public des pays de la zone euro s’élèvera, en 2012, aux alentours de 4 % de leur produit intérieur brut. Au Japon et aux États-Unis, ce déficit atteindrait même 9 % du PIB. La réduction des déficits n’est donc pas une priorité absolue, et encore moins le Graal de la gestion financière !
Ainsi, très récemment, au mois d’août, l’économiste Henri Sterdyniak, de l’Observatoire français des conjonctures économiques, commentant les politiques budgétaires actuellement en vigueur en Europe, écrivait ceci : « Les pays européens ne peuvent pas vivre en permanence dans l’angoisse des agences de notation. Cela reviendrait à dire que ces agences auraient un droit de regard perpétuel sur les politiques économiques. La bonne stratégie est de faire la politique économique que nous jugeons bonne et de compter sur la Banque centrale européenne, la BCE pour maintenir des taux d’intérêt relativement bas. La BCE doit dire que, si nécessaire, elle achètera des titres de la dette publique. Aujourd’hui, des pays qui sont hors zone euro, comme le Royaume-Uni, les États-Unis, le Japon, ont des déficits et des dettes publics plus importants que la zone euro mais ont des taux d’intérêts beaucoup plus bas. »
Bien évidemment, je ne me livrerai pas à l’exégèse du discours de l’un de ces économistes « atterrés » qui n’ont, bien entendu, pas l’oreille de l’Élysée, de Bercy et de Matignon. Je relèverai malgré tout quelques points.
Tout d’abord, depuis la semaine dernière, les tenants de l’actuelle politique gouvernementale laissent croire à qui veut bien l’entendre que l’Europe a pour ainsi dire été refondée par l’accord entre les deux partenaires du couple franco-allemand, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel.
Une telle lecture des faits appelle plusieurs observations.
Premièrement, elle nie l’évidence, c’est-à-dire le fait que la démocratie apparaît bel et bien comme le cadet des soucis des auteurs de l’accord, puisque les politiques budgétaires de tous les pays de la zone euro et de l’Union européenne se trouveront ainsi placées sous tutelle.
M. Éric Bocquet. D’ailleurs, les gouvernements de ces États sont nommés sans l’avis des citoyens.
Ce faisant, ces pays seront placés sous tutelle tant de la Commission européenne, qui, au demeurant, n’est jamais apparue comme la quintessence de l’institution démocratique – de fait, elle reste sourde aux aspirations des peuples et largement sujette aux pressions des lobbies les plus divers –, que de la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE, devenant, par un jeu institutionnel pour le moins ahurissant, le juge en dernier ressort des politiques économiques et budgétaires des États !
Deuxièmement, cet accord ne remet nullement en question les dispositions du traité de l’Union européenne relatives à la place et au rôle de la Banque centrale européenne.
Par un stupéfiant retournement dialectique dont la logique nous échappe quelque peu, la BCE garde ainsi comme objectif fondamental la lutte contre l’inflation, et, à cette fin, elle conserve toute latitude pour limiter la création monétaire, assurant de fait la « sécurité » des moyens de paiement, c’est-à-dire le maintien du monopole réel des banquiers sur ces derniers. On croit rêver !
À ce titre, la BCE se trouve autorisée à prêter, au taux défiant toute concurrence de 1 %, aux banques privées toutes les liquidités dont elles pourraient avoir besoin pour réaliser leurs règlements interbancaires. En revanche, il est toujours interdit à la Banque centrale européenne de prêter de l’argent pour financer, en premier ressort, les politiques publiques des États membres de la zone euro et, singulièrement, toute politique d’investissement public susceptible de créer les conditions de la croissance.
L’Espagne, la Grèce ou l’Italie sont autorisées à rester aux prises avec les retards et handicaps économiques de certaines de leurs régions les moins développées, la BCE ne bougera pas d’un pouce pour y remédier !
Dans le même ordre d’idées, les États ne peuvent solliciter la BCE pour répondre aux nécessités de leurs choix budgétaires et économiques, notamment s’ils ont le mauvais goût d’être à l’origine de déficits budgétaires temporaires ou conjoncturels. Mais quel progrès la construction européenne a-t-elle donc accompli dans ces circonstances ?
Résumons-nous : la BCE prête à une banque privée au taux de 1 %. La même banque privée, pour ne pas laisser cette somme dormir dans un coin sans rapporter un peu d’argent, décide de participer à l’adjudication de titres de dette publique d’un des pays de la zone euro. Elle réalise ainsi une opération pour compte propre, si tant est que nous ayons bien compris le procédé.
Comme la France, malgré son triple A, emprunte à un taux proche de 3,3 %, on voit tout de suite la marge qui peut ainsi se dégager de l’opération. Il en est de même des titres de dette publique d’autres pays, titres qui peuvent tout aussi bien changer de mains en tant que de besoin.
C’est donc, dans les faits, à une nouvelle poussée de fièvre spéculative que devrait conduire l’accord issu du dernier Conseil européen. C’est bien là la méthode du docteur Diafoirus, qui infligeait la saignée à ses patients déjà anémiés !
Comme nous l’avons indiqué, cet accord a justifié et validé les options prises par les politiques en œuvre dans l’Euroland, à savoir l’austérité à tous les étages !
Ces « serrages de ceinture » généralisés ont d’ailleurs eu des conséquences précises sur un plan plus directement politique : en Irlande, le gouvernement en place a été balayé par les électeurs au printemps dernier.
En Espagne, le gouvernement de M. Zapatero a été battu aux élections.
En Grèce ou en Italie, les premiers ministres en place, autant par incapacité à tenir leur programme que par usure, ont été débarqués et remplacés par des « techniciens », issus d’ailleurs des structures de conseil d’une célèbre banque américaine, Goldman Sachs, pour ne pas la nommer ; en Slovénie, le parti social démocrate au pouvoir a subi un revers électoral et ce sont d’autres forces de gauche qui ont obtenu la majorité.
En Allemagne, tous les scrutins régionaux qui se sont déroulés cette année ont conduit au recul de la CDU de la Chancelière Angela Merkel et à la quasi-disparition de son allié proeuropéen et libéral, le FDP.
Au Portugal, le parti au pouvoir a été battu par l’opposition de droite, mais celle-ci est désormais confrontée à un puissant mouvement social contre la politique d’austérité qu’elle entend mener dans le pays.
Quant à la politique d’austérité mise en œuvre par le gouvernement de droite danois, elle a également été sanctionnée par les électeurs, qui ont préféré choisir un gouvernement composé de partis progressistes.
Ainsi, partout sur le territoire de l’Union européenne, le sort des urnes a été contraire aux attentes des tenants actuels de l’austérité.
Je pourrais presque inviter les parlementaires de l’opposition sénatoriale à voter notre motion pour s’épargner cette destinée, mais là n’est pas le sujet !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Nous devons faire notre travail jusqu’au bout !
M. Éric Bocquet. Il convient de rompre clairement avec la politique et les plans d’austérité menés en France et dans la plupart des pays de la zone euro. D’ailleurs, s’il fallait une preuve de la nécessité de cette mesure, elle résiderait très exactement dans l’examen de la situation des pays aujourd’hui frappés par ces plans.
La Grèce, qu’on a voulu affubler du bonnet d’âne européen, connaît cette année une récession plus grave encore que celle qu’elle avait dû affronter jusqu’alors.
Nous avions, en son temps, rejeté le plan européen relatif à ce pays, au motif, précisément, qu’il ne lui permettait pas de se remettre dans le bon chemin. Les faits semblent malheureusement nous donner raison !
La situation de l’Irlande n’est pas meilleure ; quant à la Hongrie, l’appauvrissement de sa population est particulièrement significatif.
Et l’on dit désormais que près d’un ménage français sur six renonce à se chauffer, en raison de la hausse continue des prix de l’énergie domestique !
Le débat sur le projet de loi de finances pour 2012 a été l’occasion, pour la nouvelle majorité sénatoriale, de faire valoir un certain nombre de propositions alternatives face à la volonté dogmatique de réduire les dépenses publiques, volonté utilisée, pour l’heure, pour justifier les choix gouvernementaux.
Mes chers collègues, permettez-moi, à ce stade, de rappeler un certain nombre de faits.
Comment pouvons-nous continuer à lever un impôt sur le revenu dont le produit, proche de 60 milliards d’euros, subit des mesures correctrices atteignant au moins 40 milliards d’euros et bénéficiant d’abord et avant tout aux revenus les plus élevés, en particulier aux revenus financiers ?
Comment pouvons-nous continuer à tolérer un impôt sur les sociétés rapportant péniblement, les bonnes années, 50 milliards d’euros, alors que 110 milliards d’euros environ, soit deux fois plus, sont utilisés pour en « corriger » l’application ?
Un impôt dont nous abandonnons les deux tiers du produit, ce n’est plus un impôt à 33 %, c’est un impôt à 10 % !
Comment, au moment où les comptes publics sont dans le rouge, pouvons-nous accepter qu’un allégement de l’impôt de solidarité sur la fortune de 2 milliards d’euros soit encore accordé, d’autant que cela vient s’ajouter à l’exonération des biens professionnels et à quelques autres niches venant « miter » cet indispensable impôt ?
Comment pouvons-nous accepter le maintien du dispositif « heures supplémentaires », dont le coût s’avère d’autant plus élevé qu’il est devenu un obstacle à la création d’emplois, notamment d’emplois intérimaires ?
Comment pouvons-nous accepter que persiste un dispositif d’allégement général des cotisations sociales, dont le coût est également très élevé, et qui, depuis dix ans, a ouvert tout grand la « trappe à bas salaires », dans laquelle des millions de travailleurs ont été jetés, sans respect ni pour leurs droits ni pour leurs compétences et qualifications ?
Ces questions, mes chers collègues, nous y avons répondu au cours du débat budgétaire pour 2012. Elles seront, quoi qu’il arrive, au cœur du débat politique des mois à venir. C’est bien parce que notre pays souffre d’un déficit résultant d’abandons successifs et massifs de recettes, qu’il s’agisse de l’impôt sur les sociétés, de l’impôt sur le revenu des plus riches, de la taxe professionnelle ou de la participation des entreprises au financement du développement local, que nous devons changer totalement de braquet !
La dette publique, mes chers collègues, n’est pas due à un excès de dépenses publiques, aux effectifs pléthoriques de la fonction publique ou à je ne sais quelle dérive des dépenses sociales ; elle résulte bel et bien de décennies de cadeaux fiscaux – ils ont été particulièrement importants au cours de ces dernières années –, qui ont entraîné une diminution des recettes, alors que les besoins sociaux s’accroissaient.
Des années de politique libérale ont laissé aux plus riches, aux grands groupes, des sommes toujours plus considérables à leur libre disposition. Qu’en ont-ils fait ? Nous avons un niveau de dette publique rarement égalé en temps de paix, des déficits publics dont ni le montant ni le niveau n’avaient encore été atteints sous la ve République, un déficit de notre commerce extérieur d’une ampleur également inégalée, et il faudrait continuer, faire comme si de rien n’était et laisser ceux qui ont usé et abusé de l’argent public laissé à leur discrétion continuer de le gaspiller ?
Au moment où les conditions de réalisation du nouveau ministère de la défense en formule « PPP », ou « partenariat public-privé », et l’attribution de ce marché au groupe Bouygues nourrissent désormais les doutes les plus sérieux, on comprend que le gaspillage des deniers publics doit effectivement cesser !
Une réforme fiscale de grande ampleur est la condition sine qua non du redressement de nos comptes. Or, force est de le constater, elle ne figure aucunement dans ce collectif, qui ne comporte que des mesures de portée conjoncturelle, faussement présentées sous couvert d’équité, en faisant évidemment abstraction de ce que je viens de rappeler de notre histoire fiscale récente.
La question de la dépense publique est également au cœur d’un projet réellement alternatif de gestion budgétaire. En effet, nous ne souffrons aucunement d’un trop haut niveau de dépenses publiques.
Au risque d’en étonner certains, je me permets tout de même de vous rappeler, mes chers collègues, qu’il est heureux, pour nos banquiers, nos compagnies d’assurance, nos commerçants, qu’il existe dans notre pays une population de plusieurs millions de fonctionnaires. Comment feraient-ils s’il n’y avait cette population disposant d’un revenu assuré, versé de manière régulière ?
Je me demande, dans les mêmes termes, ce que ferait l’État lui-même, notamment du point de vue de la régularité de ses propres ressources fiscales.
J’irai même au bout de cette réflexion. Certains se sont gaussés d’une proposition visant à créer 60 000 postes nouveaux dans l’éducation nationale, dont le coût serait prétendument « insupportable » pour les deniers publics. Mais les vingt années passées par 60 000 jeunes diplômés en attente de ces emplois sur les bancs de nos écoles, collèges, lycées et universités, combien cela coûte-t-il à la nation ?
Telles sont donc les raisons qui nous conduisent à vous demander, mes chers collègues, de voter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)