Mme Catherine Morin-Desailly. Il s’agit d’un amendement qu’a souhaité déposer notre collègue Jean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis de la commission de la culture pour le cinéma.
La redevance pour création de bureaux a été établie dans le cadre de la politique d’aménagement du territoire, afin de rechercher un équilibre entre les constructions de locaux d’habitation et les locaux professionnels. Le champ d'application de cette redevance entrée en vigueur le 1er janvier 2011 est d'ailleurs le même que celui de la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux en Île-de-France, taxe et redevance ayant des objectifs de politique publique similaires.
Toutefois, bien qu’exonérés de cette dernière taxe, les établissements de spectacle cinématographique seraient désormais soumis à la redevance pour création de bureaux, alors même qu’ils ne participent pas, contrairement aux locaux professionnels et à certaines grandes surfaces commerciales, à la diminution du nombre de locaux d’habitation dans les zones urbaines, comme nous pouvons tous l’observer dans nos territoires.
À l’inverse, ces établissements contribuent à la structuration des zones d’habitation, en ce qu’ils sont des lieux de culture et d’échanges. Les salles de cinéma sont d'ailleurs souvent le seul lieu d'offres culturelles, là où elles sont fort heureusement encore implantées.
Par ailleurs, au-delà de la construction de nouveaux établissements, dont le coût sera renchéri de 10 %, tous les travaux de rénovation à surface égale d’un cinéma existant entraîneront le paiement obligatoire de cette redevance. La grande majorité des cinémas d’Île-de-France étant visés par ce texte du fait de leur statut juridique, une telle taxation constitue un frein majeur à la nécessaire rénovation, déjà bien entamée, du parc de salles et à son maintien sur l’ensemble du territoire de l’Île-de-France.
Dans un souci de cohérence entre la taxe annuelle sur les bureaux d’Île-de-France et la redevance pour création de bureaux, dont les objectifs sont, je le répète, identiques, il est proposé, par cet amendement que j’ai souhaité cosigner, d'exonérer de la redevance pour création de locaux à usage de bureaux, de locaux commerciaux et de locaux de stockage, prévue à l’article L. 520-1 du code de l’urbanisme, les opérations de création, reconstruction ou extension de salles de cinéma, bien évidemment à la condition que ces salles ne soient pas installées sur le même site qu'un centre commercial soumis aux autorisations d'exploitation commerciale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, et ce pour trois raisons.
Premièrement, il s’agit de créer une nouvelle niche.
Deuxièmement, je souhaite rappeler que, l’année dernière, nous avons mis en place, sur l’initiative conjointe de M. Marini, alors rapporteur général, et de M. Dallier, un montage qualifié, on s’en souvient, de « fusée à trois étages ».
La loi de finances rectificative pour 2010 puis la première loi de finances rectificative pour 2011 du 29 juillet 2011 ont aménagé la redevance perçue en région d’Île-de-France à l’occasion de la construction, de la reconstruction ou de l’agrandissement des locaux à usage de bureaux, des locaux commerciaux et des locaux de stockage, une partie de cette redevance devant contribuer à résorber ce qu’il est convenu d’appeler la « bosse de l’ANRU ».
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Cela a bien fonctionné !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je ne veux pas opposer les salles de cinéma aux programmes de réhabilitation nombreux et importants engagés par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, qui avait du mal à gérer le pic de dépenses résultant de ces programmes. Je ne propose donc pas de détricoter ce qui a été fait avec beaucoup de difficultés l’année dernière, même si je n’étais pas, à l’époque, favorable à un tel montage.
Troisièmement, la redevance pour création de bureaux, propre à l’Île-de-France – et comment imaginer qu’une élue de la Seine-Maritime puisse en vouloir à cette région ? – n’est due qu’une seule fois, au moment de la création des surfaces. On ne peut donc pas la comparer à la taxe annuelle sur les locaux de bureaux, dont les établissements de spectacles cinématographiques sont exonérés.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Madame Morin-Desailly, le Gouvernement est également défavorable à cet amendement.
Les établissements de spectacle cinématographique sont déjà avantagés par rapport aux autres locaux, puisque, comme vous l’avez parfaitement expliqué, ils sont exonérés non pas de la redevance pour création de bureaux, mais de la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux.
L’adoption de cet amendement aurait pour conséquence une perte de recettes non pas pour l’État, mais pour la région d’Île-de-France. Compte tenu de la situation de nos finances publiques, ce ne serait pas raisonnable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 122 rectifié quater.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 87, présenté par M. Foucaud, Mme Beaufils, M. Bocquet et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 12
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 1er de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat est abrogé.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Nous avons déjà défendu un amendement similaire à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances initiale pour 2012.
Il s’agit de supprimer ce qui nous semble constituer un frein à une véritable reconnaissance de la qualification des salariés, à savoir le dispositif « heures supplémentaires » mis en place par la loi TEPA, dont on nous disait à l’époque qu’il permettrait d’améliorer le pouvoir d’achat des salariés. Si ces derniers ont ainsi pu, conformément au slogan désormais fameux, « travailler plus pour gagner plus », une telle mesure n’a certainement pas créé les conditions d’une amélioration des niveaux de salaire.
En revanche, nous venons de le voir, les dispositions annoncées dans le cadre de ce collectif, notamment le gel du barème de l’impôt sur le revenu, risquent d’avoir des incidences sur le pouvoir d’achat.
Le dispositif des heures supplémentaires n’a pas permis de redonner une vraie dynamique économique à nos entreprises. Si des mesures doivent être prises pour relancer l’activité économique, il convient de se tourner vers d’autres solutions, comme nous l’avons évoqué au cours de l’examen du projet de loi de finances pour 2012.
Nous souhaitons une vraie reconnaissance du travail des salariés, par le biais une revalorisation réelle de leur pouvoir d’achat. C’est bien l’évolution des salaires et non un dispositif fondé sur l’exonération des heures supplémentaires qui permettra d’atteindre un tel objectif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il s’agit d’un amendement de principe pour la gauche de cet hémicycle, c'est-à-dire la majorité sénatoriale, car il est insupportable d’encourager des heures supplémentaires qui sont décidées non pas par le salarié, mais par l’employeur. L’heure supplémentaire coûtant moins cher que l’heure normale, l’employeur est incité à y avoir recours, et ce au détriment de l’emploi.
Nous faisons une fois encore référence à l’excellent rapport d’information de nos collègues députés Jean Mallot et Jean-Pierre Gorges – l’un est de gauche, l’autre de droite –, qui ont montré comment les primes et les treizièmes mois ont été transformés par les employeurs en heures supplémentaires, pour ne plus payer de cotisations sociales.
Au final, l’employé ne travaille pas plus, mais l’entreprise profite d’une baisse des charges salariales, ce qui est particulièrement injuste. Un tel dispositif, loin de favoriser le pouvoir d’achat, créé au contraire une sorte d’effet d’aubaine pour l’entrepreneur.
Par conséquent, dans un contexte où le chômage, déjà particulièrement important, ne cesse de croître, il s’agit d’une mesure anti-emploi.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Le Gouvernement est extrêmement défavorable à cet amendement, dont l’adoption constituerait une atteinte grave – je pèse mes mots – au pouvoir d’achat des Français les plus modestes.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je viens de vous démontrer le contraire !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Non, madame la rapporteure générale, mais peut-être pourriez-vous me laisser vous en apporter la démonstration, comme je l’ai fait pour vous ?...
De 2008 à 2010, 9 millions de salariés ont bénéficié chaque année de l’exonération des heures supplémentaires, qui ont permis aux ménages de réaliser un gain moyen annuel de près de 500 euros. Au cours du troisième trimestre 2011, 181 millions d’heures supplémentaires ont été effectuées, ce qui correspond à une augmentation de 1,1 %.
Je viens d’évoquer le pouvoir d’achat des Français,…
M. Michel Vergoz. Et le pouvoir d’achat des chômeurs ?
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. … mais je veux surtout inviter chacun d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, à faire, comme moi, trois déplacements par semaine sur tout le territoire de notre pays, dans vos départements. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Vergoz. On le fait et on le fera !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Je vais à la rencontre des acteurs économiques, et notamment des plus petits d’entre eux, les artisans.
J’ai rencontré, voilà quelques jours, un ébéniste, qui, alerté par des rumeurs de suppression de l’exonération des heures supplémentaires, m’a instamment demandé, devant ses ouvriers et un certain nombre d’élus, de gauche comme de droite, de ne pas supprimer ce dispositif, qui lui permet de faire face, le cas échéant, à un surcroît de demandes, et ainsi de tirer la croissance de son entreprise. Ses ouvriers, pour leur part, redoutent, avec l’abandon des heures supplémentaires défiscalisées, une baisse de leurs salaires. (M. Michel Vergoz proteste.)
C’est que, mesdames, messieurs les sénateurs, nos compatriotes écoutent nos débats, qu’ils se déroulent dans cet hémicycle ou ailleurs. Je veux profiter de la tribune que m’offre l’examen de cet amendement pour dire combien le Gouvernement est attaché au dispositif relatif aux heures supplémentaires et décidé à le maintenir. J’ai bien compris que la majorité sénatoriale souhaite le supprimer, mais le pays mesurera bien que tel n’est pas le cas du Gouvernement et de la majorité actuelle.
Pourquoi, en effet, abroger un dispositif ayant notamment permis, au pire moment de la crise, en 2009, aux plus petites entreprises, les artisans, qui sont l’âme de notre pays et de vos départements, de continuer à embaucher, tirant ainsi le pays vers le haut ? Si ces très petites entreprises n’avaient pas bénéficié d’une telle mesure, elles auraient été, à la seconde même, fragilisées.
Je veux le redire, l’adoption de l’amendement qui vous est proposé, mesdames, messieurs les sénateurs, aurait pour conséquence de restreindre le pouvoir d’achat de nos compatriotes.
M. Michel Vergoz. Parlez-en aux chômeurs !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Allez expliquer votre position dans les usines et auprès des artisans ! Rendez visite aux salariés de ces petites entreprises ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
Adopter cet amendement, c’est jouer contre l’emploi, je viens de le démontrer, et contre la croissance. Je ne voudrais pas troubler la sérénité de nos débats, mais même s’il m’est pénible d’évoquer de nouveau cette vieille idée du partage de travail que vous défendez, je vois dans la suppression du dispositif d’exonération des heures supplémentaires ici proposée la traduction de cette conception, qui ne correspond malheureusement pas à la réalité, selon laquelle le travail se partagerait.
M. Michel Vergoz. C’est la demande qui conditionne les heures supplémentaires !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. En soutenant que le partage du travail, qui n’est pas autre chose que la réduction du salaire des ouvriers et des employés (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV.), permettra de donner du travail aux autres, vous commettez une erreur d’analyse économique, que vous avez déjà faite par le passé et qui vous a été reprochée par le monde ouvrier et par les employés. Visiblement, vous n’avez toujours pas compris, puisque vous proposez de revenir à cette logique !
M. David Assouline. Pourquoi n’abrogez-vous pas les 35 heures ?
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Madame la rapporteure générale, non, le dispositif des heures supplémentaires n’empêche pas les entreprises d’embaucher ! Quelle erreur d’analyse économique !
C’est au contraire quand vous donnez la possibilité aux entreprises de répondre à la demande de manière souple et de payer mieux les salariés, comme le permet ce dispositif, que vous produisez plus, ce qui créé de la croissance, et donc de l’emploi.
M. Michel Vergoz. On ne peut pas produire s’il n’y a pas de demande !
M. David Assouline. Pourquoi n’abrogez-vous pas les 35 heures ?
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Cette différence d’analyse illustre un clivage profond entre la majorité sénatoriale et la majorité du pays.
M. David Assouline. On verra au printemps quelle sera la majorité dans le pays !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Je le répète, l’objet de cet amendement est contraire non seulement à l’intérêt des salariés, mais aussi à la croissance et à l’emploi dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre, pour explication de vote.
M. Francis Delattre. Nous sommes effectivement, avec cet article, au cœur d’un véritable clivage.
Depuis le début de la séance – c’est un premier marqueur –, le groupe socialiste se rallie assez volontiers aux amendements présentés par le groupe communiste. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Chers collègues, c’est un constat !
M. Alain Néri. C’est l’union de la gauche ! Et c’est mieux que l’alliance avec le Front national !
M. Francis Delattre. Or je ne crois pas que vous retrouverez les voix des ouvriers grâce au présent amendement.
M. Alain Néri. On verra cela au mois de mai prochain !
M. Francis Delattre. Les ouvriers vous ont quitté. Chers collègues, nous ne vivons pas tous dans les beaux quartiers parisiens… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Nous, nous vivons avec les ouvriers et les salariés, dans nos communes. Nous les écoutons et nous les entendons un peu mieux que vous, me semble-t-il.
En réalité, cette mesure est un placebo appliqué au désastre que furent les 35 heures pour la compétitivité de notre pays.
M. Alain Néri. C’est du rabâchage !
M. Francis Delattre. Non !
M. Michel Vergoz. Vous n’aviez qu’à les supprimer, les trente-cinq heures ! (Mme Gisèle Printz applaudit.)
M. Francis Delattre. Cette réforme est encore très présente dans l’esprit de ceux qui se lèvent à six heures du matin pour aller travailler et, visiblement, ceux-là, vous ne les fréquentez plus beaucoup.
M. Michel Vergoz. Arrêtez les provocations !
M. Francis Delattre. Comment pouvez-vous prétendre que la défiscalisation des heures supplémentaires est un effet d’aubaine alors que neuf millions de salariés en bénéficient, dont, je le souligne, de nombreux enseignants ? Je pense d’ailleurs que cette clientèle risque aussi de vous faire défaut lors des prochaines élections. (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Ce n’est pas une clientèle !
M. Alain Néri. Soyez respectueux des électeurs !
M. Francis Delattre. La défiscalisation des heures supplémentaires a un double objet.
En premier lieu, elle vise à rendre un peu de flexibilité aux entreprises. En effet, la vie des entreprises dépend des marchés, des commandes. Et pour s’adapter, elles ont besoin de flexibilité.
En second lieu, elle a contribué à améliorer le pouvoir d’achat et, de ce point de vue, elle a été plébiscitée. Et de qui a-t-elle augmenté le pouvoir d’achat ? Des riches ? Non ! De ceux qui gagnent en moyenne moins de 1 500 euros par mois. Voilà le public des neuf millions de bénéficiaires ! Voilà ceux que nous défendons !
M. David Assouline. On verra pour qui ils vont voter !
M. Francis Delattre. Vous n’avez de cesse de nous le répéter, nous devons veiller à ce que les mesures que nous prenons ne cassent pas le peu de croissance qui nous reste. Mais vous, en supprimant la défiscalisation des heures supplémentaires, vous assénez un coup fatal à la croissance.
M. Alain Néri. En matière de baisse de la croissance, vous êtes un spécialiste.
M. Francis Delattre. Pour notre part, nous allons bien entendu voter contre l’amendement no 87, une disposition qui illustre parfaitement les nouveaux clivages qui nous séparent. En fait, vous êtes de moins en moins le peuple et, par un fait de l’histoire étonnant, nous le sommes de plus en plus.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !
M. Alain Néri. On verra cela au mois de mai prochain !
M. le président. La parole est à M. Edmond Hervé, pour explication de vote.
M. Edmond Hervé. Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de livrer deux éléments à votre réflexion.
Une enquête de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, que vous connaissez bien, montre, d’une part, qu’il existe des inégalités au sein du monde des employés entre ceux qui peuvent faire des heures supplémentaires et ceux qui n’ont pas cette possibilité, et, d’autre part, que l’exonération des heures supplémentaires a principalement bénéficié à des entreprises qui recouraient déjà aux heures supplémentaires.
Dans un souci d’objectivité, monsieur le président de la commission des finances, je rappelle que, dans cette même enquête, l’effet des heures supplémentaires sur la croissance du produit intérieur brut est évalué à 3 milliards d’euros, pour un coût de… 4,4 milliards d’euros ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. Roland Courteau. C’est clair !
M. Jean-Pierre Caffet. Moi, j’ai un chiffre de 4,9 milliards d’euros.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. Je remercie M. Hervé d’avoir rappelé ces chiffres.
Il ressort de mes rencontres avec les salariés et des visites que j’effectue dans de nombreuses entreprises – sans doute ne visitons-nous pas les mêmes, monsieur le secrétaire d'État – que les heures supplémentaires imposées et la détérioration des conditions de vie familiale sont les conséquences les plus fréquentes de la défiscalisation des heures supplémentaires ; Nicole Bricq le rappelait tout à l’heure.
Dans les faits, un certain nombre de salariés n’ont pas le choix. Ils sont le plus souvent contraints de faire des heures supplémentaires, car leurs revenus sont très modestes.
Le problème qui se pose tient en réalité au coût horaire du travail et au niveau des salaires, qui n’a pas évolué.
Monsieur Delattre, puisque vous avez évoqué les enseignants, permettez-moi de rappeler que le ministère de l’éducation nationale est celui qui recourt le plus aux heures supplémentaires. Je comprends que vous ne vouliez pas que l’on revienne sur leur défiscalisation. Toutefois, mes chers collègues, bien souvent, les heures supplémentaires ne répondent pas à un choix des enseignants. En réalité, elles sont le seul moyen dont les établissements disposent pour être en mesure de répondre aux besoins de la scolarité des enfants.
Monsieur le secrétaire d’État, si vous décidiez de transformer ces heures supplémentaires en postes, ce sont au moins 7 000 enseignants qui pourraient rapidement trouver une affectation. Et ils seraient sans doute plus disponibles que ceux qui se voient imposer des heures supplémentaires. Au lieu de cela, vous avez supprimé quelque 14 000 postes.
En fait, comme vient de le rappeler Edmond Hervé, et c’est une question de fond, la défiscalisation des heures supplémentaires constitue surtout un allégement de charges pour des entreprises qui demandaient déjà des heures supplémentaires à leurs salariés.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Caffet. Mes chers collègues, nous connaissions tous la fable Le Savetier et le financier. Grâce à M. le secrétaire d’État, l’œuvre de La Fontaine s’enrichit d’une nouvelle fable : Le Financier et l’ébéniste. (Sourires sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Dans cette fable, les heures supplémentaires réalisées par l’ébéniste procurent spontanément de la croissance pour le financier et sont donc créatrices d’emplois.
Or, tout le monde le sait, il n’en est rien. En fait, vous commettez une erreur de raisonnement, monsieur le secrétaire d’État. Vous considérez que l’heure supplémentaire crée de l’emploi ou de la croissance. Mais ce qui crée de la croissance et, éventuellement, de l’emploi – en effet, il peut y avoir croissance sans création d’emplois –, c’est seulement la demande qui est adressée à l’entreprise.
M. Michel Vergoz. Voilà !
M. Jean-Pierre Caffet. C’est ensuite qu’intervient le partage du travail dû à la demande entre les heures légales, normales, et les heures supplémentaires. Ainsi vont les choses dans le domaine économique, monsieur le secrétaire d'État.
Soutenir que l’heure supplémentaire a, par définition, la vertu fantastique de créer de la croissance et de l’emploi relève de l’absurde ou de la fable.
Comme l’a rappelé notre collègue Edmond Hervé, l’effet des heures supplémentaires sur la croissance du PIB est de 3 milliards d’euros, pour un coût plus proche, selon moi, de 4,9 milliards que de 4,4 milliards d’euros, mais tel est bien l’ordre de grandeur.
Ces chiffres ne sont pas tirés de n’importe quel document, ils ne sont pas une invention du parti socialiste : ils figurent dans un rapport du Gouvernement au Parlement.
En d’autres termes, dans un rapport qu’il a remis au Parlement, le Gouvernement a écrit noir sur blanc que la défiscalisation des heures supplémentaires coûtait près de 5 milliards d’euros pour un surcroît de croissance de 3 milliards d’euros. Il est regrettable qu’il n’en tienne pas compte.
Néanmoins, cette défiscalisation provoque aussi un effet d’aubaine, même s’il est largement nié. Entre avril 2007 et avril 2008, le nombre des heures supplémentaires a augmenté de 34 %, alors même que nous connaissions déjà un ralentissement de la croissance. Si ce n’est pas un effet d’aubaine, expliquez-moi ce que c’est !
Monsieur Delattre, cet effet d’aubaine ne profite pas aux salariés, qui n’en peuvent mais et qui sont obligés d’accepter de faire les heures supplémentaires demandées par leur employeur. (Protestations sur les travées de l’UMP et de l’UCR.)
M. Francis Delattre. On en a besoin des entreprises ! Ce sont elles qui emploient et font la croissance !
M. Jean-Pierre Caffet. Comme le montrent les chiffres que je viens de citer, l’effet d’aubaine profite aux entreprises, l’augmentation du nombre des heures supplémentaires étant sans rapport avec la croissance.
Permettez-moi enfin d’évoquer un autre rapport, rédigé à l’Assemblée nationale par des députés membres de la majorité et de l’opposition, qui concluait à la fois à l’effet d’aubaine et aux effets négligeables, voire nuls, et peut-être même récessifs, de la défiscalisation des heures supplémentaires sur la croissance. Et les auteurs du rapport écrivaient qu’il était urgent de supprimer…
M. Francis Delattre. Les 35 heures ! (Exclamations.)
M. Jean-Pierre Caffet. Mais pourquoi ne pas l’avoir fait, monsieur Delattre ? Pourquoi, au cours des dix dernières années, ne pas avoir déposé une proposition de loi comprenant un article unique fixant la durée légale du temps de travail à 40 heures, ou même, pourquoi pas, à 42 heures ? Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? Vous avez eu dix ans pour cela ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.)
M. David Assouline. Parce que la majorité est attachée aux 35 heures !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous avons déjà eu ce débat lors de la discussion de la première partie de la loi de finances.
Il est bien évident que chacun va rester sur ces positions. Il me semble donc vain de s’agresser mutuellement.
M. Jean-Pierre Caffet. Ce n’est pas nous qui avons commencé !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Certes, cher collègue, mais comme le disait ma grand-mère, le plus intelligent des deux, c’est celui qui arrête le premier. (Sourires.) C’est là un bon principe pour la vie en société.
Chacun gardera ses convictions sur l’existence, ou non, d’un effet d’aubaine. Pour ma part, je pense que l’impact de la mesure sur le pouvoir d’achat est très significatif. Vous avez un avis contraire. Il existe toute une littérature sur ces sujets.
Je vois qu’il s’agit, pour chacun, de soutenir, une troisième fois, la position prise d’abord lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, puis lors de l’examen de la première partie du projet de loi de finances. Nos échanges sont déjà gravés dans le marbre, si je puis dire, de nos procès-verbaux, et consignés avec l’extrême fidélité dont fait preuve la direction du compte rendu intégral.
Dans ces conditions, plutôt que d’insister sur ce sujet, mieux vaut avancer dans l’examen du projet de loi de finances rectificative.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Je reconnais là votre sagesse, monsieur le président de la commission des finances. Toutefois, vous le savez, je mets, au quotidien, beaucoup de passion dans mon travail.
Monsieur Caffet, je vous invite à rencontrer l’ébéniste de Barquet, dans l’Eure. Vous constaterez que nous sommes très loin de la fable. Je vous invite à vous entretenir avec lui, à discuter avec ses ouvriers, et vous pourrez vous rendre compte que, comme c’est le cas pour la très grande majorité des artisans, ce que j’ai dit est malheureusement vrai.
M. le président. La parole est à M. Michel Vergoz, pour explication de vote.
M. Michel Vergoz. Monsieur le secrétaire d'État, je voudrais, en cet instant, apporter mon témoignage, car, étant chef d’entreprise dans la vie professionnelle, je ne peux plus tolérer d’entendre de tels propos !
M. Jean-Louis Carrère. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Caffet. Absolument !
M. Michel Vergoz. Voilà des semaines que les membres du Gouvernement se succèdent au micro pour asséner des éléments de langage que nous devrions prendre pour des vérités révélées au prétexte qu’ils ont été fournis par l’Élysée ou je ne sais quelle autre instance de pouvoir.
Je suis de la Réunion, et je n’ai pas fait 10 000 kilomètres pour supporter, chaque semaine, de telles affirmations !
Je suis bien placé pour vous le dire, un chef d’entreprise embauche dès lors que son carnet de commandes est rempli, quand il y a, comme on dit, du business et que tout tourne. Un ami, responsable d’une grande surface à la Réunion, me confiait ainsi : « Si j’ouvre une cinquième caisse, c’est tout simplement parce qu’il y a trop de monde qui fait la queue et que je ne peux pas me le permettre, si je veux garder ma clientèle. Peu m’importent alors les questions de subventions, de niches fiscales ou d’exonérations sociales ! » Monsieur le secrétaire d'État, c’est aussi simple que cela !