M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Comme Mme la rapporteure générale, qui a été très éloquente, je ne suis pas favorable à ces amendements.
Je soulignerai que ces propositions, d’une part, soulèveraient beaucoup plus de difficultés qu’elles ne semblent le faire, notamment parce qu’elles impliqueraient une réforme du régime des cessions de titres ainsi que de celui des cessions de fonds de commerce. Par ailleurs, elles entraîneraient, d’après nos estimations, un coût de 35 millions d'euros.
Le Gouvernement demande donc le retrait de ces amendements, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
M. le président. Madame Escoffier, l'amendement n° 169 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Anne-Marie Escoffier. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 169 rectifié bis est retiré.
Madame Des Esgaulx, l'amendement n° 31 rectifié ter est-il maintenu ?
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, je voudrais permettre à Mme Goulet, qui en est cosignataire, de s’exprimer.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je suis effectivement cosignataire de l’amendement de Mme Des Esgaulx, dont par ailleurs l’objet est le même que celui de l’amendement n° 129 rectifié de nos collègues François Zocchetto et Hervé Marseille ; nous sommes donc dans la même situation qu’avec les amendements nos 32 rectifié ter et 130 rectifié que nous avons examinés tout à l'heure.
Si j’interviens, c’est pour souligner que, au-delà de la question du déplafonnement, ces amendements visent à mettre fin à une sorte d’acrobatie juridique consistant à changer de forme de société pour bénéficier d’un régime fiscal plus favorable. Il était donc important de les déposer. Toutefois, l’éclairage que vient de donner Mme la rapporteure générale sur la disposition adoptée par les députés, laquelle évitera cette pratique totalement artificielle, doit, me semble-t-il, conduire à leur retrait.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je retire en effet mon amendement, monsieur le président !
M. le président. L'amendement n° 31 rectifié ter est retiré.
L'amendement n° 63 rectifié, présenté par M. Miquel et les membres du groupe Socialiste, Apparentés et groupe Europe Écologie Les Verts rattaché, est ainsi libellé :
Après l’article 13
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Le 3° du II de l’article L. 541-10-1 du code de l’environnement est ainsi rédigé :
« 3° Les publications de presse, au sens de l’article 1er de la loi n°86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse répondant aux dispositions de l’article 17 de l’annexe 2 du code général des impôts et présentant un intérêt dépassant de façon manifeste les préoccupations d’une catégorie de lecteurs. »
II. – Le I s’applique à partir du 1er janvier 2012.
La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. La discussion de cet amendement nous ramène à un sujet longuement débattu à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, voilà quelques jours.
Il s’agit d’étendre le périmètre de la REP, la responsabilité élargie du producteur, sur les papiers imprimés et à usage graphique aux publications de presse, à l’exception – importante – de la presse d’information politique et générale.
Lors des débats sur le projet de loi de finances, nous étions nombreux à considérer qu’il fallait améliorer et augmenter le recyclage du papier en France, notamment au travers d’une responsabilité élargie du producteur.
Mme Nathalie Goulet. Nous devrions déposer moins d’amendements ! (Sourires.)
M. Yannick Botrel. Pour mémoire, la responsabilité élargie du producteur est un instrument de politique environnementale destiné à responsabiliser les producteurs sur la fin de vie de leurs produits.
Notre collègue David Assouline nous avait très justement fait remarquer qu’une taxe touchant le livre et la presse serait particulièrement mal vécue par le milieu professionnel, qui souffre déjà de la crise et de la révolution numérique. L’amendement avait donc été retiré.
Nous ne voulons bien évidemment pas accabler ce secteur. Chaque semaine, nous apprenons les difficultés économiques d’un nouveau quotidien. France-Soir a ainsi décidé de l’abandon du support papier au profit d’une version 100 % numérique et La Tribune, deuxième quotidien national d’information économique, a connu des difficultés financières telles qu’elles ont donné lieu à une mise sous protection de la justice et à l’annonce, par la direction du journal, d’une demande de placement en redressement judiciaire. Pis, ces deux exemples ne sont que la partie visible de l’iceberg.
De même, il n’est pas question d’affecter le secteur du livre.
Les dispositions que nous vous proposons d’adopter aujourd'hui prennent en compte les opinions qui ont pu s’exprimer précédemment et pourraient difficilement, me semble-t-il, être plus consensuelles.
En effet, l’amendement tend à maintenir hors de la taxe les publications de la presse d’information politique et générale. Il vise donc principalement les magazines, qui continuent, eux, à engranger des bénéfices.
La soumission des magazines à la REP est d’autant plus légitime que ceux-ci utilisent des papiers particulièrement lourds à recycler. Or la gestion des déchets est entièrement financée par les contribuables. Cette éco-contribution pourrait inciter les groupes de presse à recourir à du papier plus écologique et à mettre en place une véritable filière du recyclage.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, j’avais voté l’amendement que nous avait présenté M. Miquel et, conformément au vœu de la commission, j’avais appelé le Sénat à adopter cette disposition.
Le champ du présent amendement est moins large, mais, comme la commission, je reste bien sûr favorable à la mesure proposée, car qui peut le plus peu le moins ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Le Gouvernement est tout à fait défavorable à cet amendement, et cela en raison des arguments que vous venez vous-même de développer, monsieur Botrel.
Vous affirmez ne pas vouloir accabler la presse non plus que le livre, mais, en instituant une taxe supplémentaire dans la situation actuelle, au prétexte d’ailleurs que le secteur des magazines serait florissant, vous aggravez bel et bien la crise générale de la presse !
L’éco-contribution, qui est de 38 euros par tonne, pèserait naturellement sur l’activité des sociétés concernées.
La mesure aurait par ailleurs une lourde incidence fiscale. En effet, en cas de non-versement de l’éco-contribution à laquelle le secteur serait nouvellement soumis, la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, recouvrée par l’administration des douanes et fondée sur la même assiette que l’éco-contribution, serait appliquée à un tarif, beaucoup plus élevé, de 120 euros la tonne.
Enfin, un tel élargissement de l’assiette ne peut être envisagé qu’après une importante concertation avec les professionnels du secteur.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Cela dure depuis dix ans !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs de la majorité sénatoriale, permettez-moi en outre de dire que, à titre personnel – dans une vie antérieure, j’ai eu une carte de presse pour avoir collaboré à divers magazines –, je ne souhaite vraiment pas que l’on affaiblisse encore un peu plus la presse écrite française !
Je vous demande donc de réfléchir…
M. François Marc. On a réfléchi !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Nous avons eu trois semaines pour le faire !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. … et de bien vouloir retirer cet amendement, dont je serais, sinon, obligé de demander le rejet.
M. le président. Monsieur Botrel, l'amendement n° 63 rectifié est-il maintenu ?
M. Yannick Botrel. En présentant l’amendement, j’ai eu l’occasion de dire, à la suite de Gérard Miquel, que les dispositions proposées épargnaient la presse d’information politique et générale, seuls les magazines étant concernés.
Vous avez vous-même indiqué dans votre réponse, monsieur le secrétaire d'État, que l’incidence de ces dispositions serait de 120 euros par tonne, ce qui corrobore peu ou prou les chiffres que M. Miquel a donnés et représente en fait un coût de 4 ou 5 centimes d’euro par magazine.
Sur la base de ces éléments, on ne peut prétendre que notre amendement serait préjudiciable à une presse qui n’est pas d’information, mais de loisirs.
Pour les raisons que j’ai développées dans mon intervention précédente, s’agissant notamment du poids des charges induites pour les collectivités, je maintiens donc cet amendement, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Roland Courteau. Il ne s’agit pas de polémique, mais de logique !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. … mais je m’étonne de la distinction que vous tracez, monsieur Botrel, entre la presse d’information et la presse de loisirs. Au nom de quoi faudrait-il taxer davantage la seconde ? Et où tracer la frontière ? Une telle distinction soulève des problèmes politiques et moraux non négligeables.
Dans une démocratie, il importe de protéger la presse dans son ensemble et, pour ma part, je me garderai de m’ériger en censeur fiscal à l’encontre de ce qui ne serait pas de l’information ! Permettez-moi donc de suggérer que ce type de distinctions pose de réels problèmes.
L’objectif du Gouvernement est de protéger la presse ; le bon sens est de ne pas alourdir ses charges et d’éviter aussi de nous engager sur des chemins de traverse qui me paraissent hautement périlleux. Pourquoi être contre la presse de loisirs ? Où est le mal et, je le répète, où tracer la frontière ?
Je demande donc de nouveau le retrait de cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel, pour explication de vote.
M. Yannick Botrel. Un mot de M. le secrétaire d'État me fait réagir : il ne s’agit pas du tout d’être « contre » la presse de loisirs, ni de s’en prendre à quelque support que ce soit, en tant que média ou vecteur d’informations !
La distinction que nous opérons vise clairement un type de production écrite qui suscite des dépenses considérables pour les syndicats de traitement des déchets, donc pour les collectivités. Aucune raison objective ne justifie que ce soient les contribuables qui supportent le coût de l’élimination de ces publications. Toutefois, je le répète, il ne s’agit pas ici de s’en prendre à la presse en tant que telle.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Mes chers collègues, vous le savez, je suis une partisane acharnée de la suppression des aides à la presse tant que la déontologie n’est pas totalement respectée, et chaque année – sauf celle-ci –, je dépose des amendements lors de l’examen des crédits consacrés aux médias pour que ces aides perdent leur caractère systématique.
Néanmoins, j’estime que cette proposition soulève divers problèmes, notamment parce qu’elle crée une rupture d’égalité entre les supports.
Le rapport Cardoso évaluait l’année dernière à environ un milliard d’euros le montant des subventions publiques à la presse, et tout cela pour trouver dans celle-ci des informations non vérifiées et parfois diffamatoires – j’en sais quelque chose… Dès lors, oui pour un contrôle, oui pour le recyclage, mais non à la rupture d’égalité.
Je ne pourrai donc pas voter cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Francis Delattre, pour explication de vote.
M. Francis Delattre. Je veux souligner que la presse est organisée en groupes au sein desquels ce sont très souvent des revues qui permettent aux journaux d’information de survivre. Attaquer la rentabilité ou l’équilibre de l’ensemble du groupe, c’est donc attaquer aussi la presse d’information.
Les suppléments divers et variés, notamment de télévision, que vise l’amendement assurent du point de vue commercial la survie des groupes, qui sont très peu nombreux à faire seulement du « people », par exemple. Ils sont donc les garants de la diversité. Je le répète, ce sont justement les revues non politiques, dites « de loisirs », qui font vivre la presse d’information politique et générale.
Taxer davantage ces revues alors que peu de groupes connaissent la réussite économique, c’est porter à ces derniers un mauvais coup. Je ne crois pas que ce soit très opportun.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances rectificative, après l'article 13.
Article 13 bis (nouveau)
I. – Le code de commerce est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 225-209-1, il est inséré un article L. 225-209-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 225-209-2. – Dans les sociétés dont les actions ne sont pas admises aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d’initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, l’assemblée générale ordinaire peut autoriser le conseil d’administration ou le directoire, selon le cas, à acheter les actions de la société, pour les offrir ou les attribuer :
« – dans l’année de leur rachat, aux bénéficiaires d’une opération mentionnée à l’article L. 225-208 du présent code ou intervenant dans le cadre des articles L. 3332-1 et suivants du code du travail ;
« – dans les deux ans de leur rachat, en paiement ou en échange d’actifs acquis par la société dans le cadre d’une opération de croissance externe, de fusion, de scission ou d’apport ;
« – dans les cinq ans de leur rachat, aux actionnaires qui manifesteraient à la société l’intention de les acquérir à l’occasion d’une procédure de mise en vente organisée par la société elle-même dans les trois mois qui suivent chaque assemblée générale ordinaire annuelle.
« Le nombre d’actions acquises par la société ne peut excéder :
« – 10 % du capital de la société lorsque le rachat est autorisé en vue d’une opération prévue aux deuxième ou quatrième alinéas du présent article ;
« – 5 % du capital de la société lorsque le rachat est autorisé en vue d’une opération prévue au troisième alinéa du présent article.
« L’assemblée générale ordinaire précise les finalités de l’opération. Elle définit le nombre maximal d’actions dont elle autorise l’acquisition, le prix ou les modalités de fixation du prix ainsi que la durée de l’autorisation, qui ne peut excéder douze mois.
« Le prix des actions rachetées est acquitté au moyen d’un prélèvement sur les réserves dont l’assemblée générale a la disposition en vertu du deuxième alinéa de l’article L. 232-11 du présent code.
« À défaut d’avoir été utilisées pour l’une des finalités et dans les délais mentionnés aux deuxième à quatrième alinéas du présent article, les actions rachetées sont annulées de plein droit.
« L’assemblée générale ordinaire statue au vu d’un rapport établi par un expert indépendant, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, et sur un rapport spécial des commissaires aux comptes faisant connaître leur appréciation sur les conditions de fixation du prix d’acquisition.
« Le prix des actions ne peut, à peine de nullité, être supérieur à la valeur la plus élevée, ni inférieur à la valeur la moins élevée figurant dans le rapport d’évaluation de l’expert indépendant communiqué à l’assemblée générale.
« Le conseil d’administration peut déléguer au directeur général ou, en accord avec ce dernier, à un ou plusieurs directeurs délégués les pouvoirs nécessaires pour réaliser ces opérations. Le directoire peut déléguer à son président ou, avec son accord, à un ou plusieurs de ses membres les pouvoirs nécessaires à l’effet de les réaliser. Les personnes désignées rendent comptent au conseil d’administration ou au directoire de l’utilisation faite de ce pouvoir dans les conditions prévues par ces derniers.
« Les commissaires aux comptes présentent à l’assemblée ordinaire annuelle un rapport spécial sur les conditions dans lesquelles les actions ont été rachetées et utilisées au cours du dernier exercice clos.
« Les actions rachetées peuvent être annulées dans la limite de 10 % du capital de la société par périodes de vingt-quatre mois. En cas d’annulation des actions achetées, la réduction de capital est autorisée ou décidée par l’assemblée générale extraordinaire qui peut déléguer au conseil d’administration ou au directoire, selon le cas, tous pouvoirs pour la réaliser.
« Par dérogation aux dispositions du dixième alinéa, les actions rachetées mais non utilisées peuvent, sur décision de l’assemblée générale ordinaire, être utilisées pour une autre des finalités prévues au présent article.
« En aucun cas, ces opérations ne peuvent porter atteinte à l’égalité des actionnaires. » ;
2° Le dernier alinéa de l’article L. 225-209 est supprimé ;
3° Aux premier et second alinéas de l’article L. 225-211 et au premier alinéa de l’article L. 225-213, la référence : « et L. 225-209-1 » est remplacée par la référence : « à L. 225-209-2 » ;
4° À l’article L. 225-214, après la première occurrence du mot : « à », est insérée la référence : « L. 225-209-1 et ».
II. – Le 6° de l’article 112 du code général des impôts s’applique aux rachats d’actions opérés en application de l’article L. 225-209-2 du code de commerce.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mme Bricq, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. L’article 13 bis, introduit à l’Assemblée nationale, autorise les sociétés non cotées à racheter leurs propres actions.
Tout d’abord, on peut noter que cette question relève du droit des sociétés et que le lien avec la loi de finances est assez fictif. Néanmoins, l’article contient une disposition fiscale, donc nous ne nous déroberons pas au débat qu’elle appelle.
Plusieurs arguments de fond ont conduit la commission des finances à adopter cet amendement de suppression.
En premier lieu, les sociétés non cotées peuvent d’ores et déjà racheter leurs actions pour les distribuer à leurs salariés. Sur ce point, l’article 13 bis ne change rien au droit existant.
En deuxième lieu, il ne nous paraît pas opportun d’octroyer les mêmes facultés de rachat d’actions aux sociétés cotées et non cotées. Les sociétés cotées sont en effet soumises à des contraintes spécifiques en termes de transparence et d’information qui ne sont pas applicables aux sociétés non cotées.
En troisième lieu, cet article vise peut-être à fluidifier la circulation du capital entre les actionnaires, notamment dans le cas des groupes familiaux. Il peut s’agir, par exemple, de conforter la structure familiale de l’actionnariat et d’éviter l’intrusion d’un tiers dans la société. Cependant, ne soyons pas naïfs, un groupe familial peut aussi être le lieu de désaccords, voire de conflits violents entre actionnaires. La presse, que nous venons d’évoquer, s’en fait parfois l’écho.
De ce point de vue, cet article est très insatisfaisant. En effet, il ne prévoit pas d’égalité entre les actionnaires lors du rachat des actions. En d’autres termes, il pourrait conduire à des montages destinés à conforter certains actionnaires au détriment d’autres, donc à modifier subrepticement l’équilibre des pouvoirs au sein de la société.
Je m’étonne que le Gouvernement ait soutenu cet article à l’Assemblée nationale,...
M. Jean-Pierre Caffet. Oui !
M. François Marc. C’est incroyable !
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. ... alors que, à la suite de la consultation publique menée durant l’été 2010, il avait délibérément choisi de ne pas présenter ce dispositif lors de l’examen de la loi de régulation bancaire et financière.
M. François Marc. Tout à fait.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Il est donc pour le moins surprenant que ce sujet réapparaisse maintenant, de surcroît avec une rédaction qui protège moins les actionnaires que celle qui a été soumise à consultation en 2010.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à supprimer cet article.
M. François Marc. C’est une boulette du Gouvernement !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. À dire le vrai, madame la rapporteure générale, je ne comprends pas la véhémence de vos critiques. (Marques de surprise sur les travées du groupe socialiste-EELV.)
M. Jean-Pierre Caffet. Mme la rapporteure générale, véhémente ?
M. François Marc. Il fallait venir hier ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Caffet. Francis Delattre est autrement plus véhément ! (M. Francis Delattre s’exclame.)
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Je parlais de la véhémence de ses propos...
Le rachat de ses propres actions par une société, qu’elle soit ou non cotée, présente des avantages, tant pour l’entreprise que pour ses actionnaires, dès lors qu’il répond à des objectifs légitimes et s’inscrit dans un cadre préservant les principes de transparence, d’intégrité et d’égalité de traitement des actionnaires.
Tel est bien l’objet de cet article. Premièrement, il associe les dirigeants ou les salariés au capital de l’entreprise, sans dilution des autres actionnaires. Deuxièmement, il fluidifie la circulation des actions entre actionnaires, notamment en cas de déséquilibre temporaire entre la demande et l’offre d’actions. Troisièmement, il assure aux actionnaires minoritaires devant faire face à un besoin urgent de trésorerie la liquidité de leurs titres. Quatrièmement, il fait entrer un nouveau partenaire industriel ou financier en temps voulu, sans dilution des autres actionnaires. Cinquièmement, enfin, il rend possible le financement d’une acquisition ou d’un rapprochement par cession de titres, ce qui permet à l’entreprise d’éviter une sortie de trésorerie.
Dès lors que le dispositif garantit l’égalité des actionnaires et qu’il est transparent, il est nécessaire à la dynamique de notre économie. Par ailleurs, les modalités d’encadrement sont suffisamment strictes. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement y a été favorable lors de son examen à l’Assemblée nationale.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement de suppression.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Nous venons de prendre connaissance des conclusions de la conférence des présidents : elles prévoient que nous examinerons prochainement une proposition de loi relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives. Cette disposition ne trouverait-elle pas plus opportunément sa place dans un tel texte, qui contient justement un certain nombre de mesures sur le droit des sociétés ? Cela nous laisserait le temps d’évaluer ce dispositif, qui présente un lien ténu avec le présent projet de loi de finances rectificative pour 2011.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale.
Mme Nicole Bricq, rapporteure générale de la commission des finances. Je vais rebondir sur l’argument de Mme Goulet : il s’agit très clairement ici d’un cavalier budgétaire ! Cet article n’a rien à voir avec une loi de finances, quelle qu’elle soit.
En fait, la disposition fiscale prévue ici énonce une évidence en forme de pléonasme en indiquant que la loi fiscale applicable s’applique.
Je rappelle que c’est le Haut Comité de place qui a procédé à cette consultation publique en 2010. En outre, cette disposition ne figurait pas dans la loi de régulation bancaire et financière. Certes, le ministre a changé depuis lors, mais c’est l’argument qui avait été avancé par le Gouvernement.
Monsieur le secrétaire d'État, comme nous, vous êtes attaché à la transparence dans les entreprises cotées et à l’intégrité du marché. Si des contraintes fortes pèsent sur les sociétés cotées, sous le contrôle de l’Autorité des marchés financiers, il n’en est plus question pour les sociétés non cotées ; cela rompt l’égalité entre actionnaires. En outre, il convient d’être attentif à l’égalité entre les entreprises et de faire en sorte que la puissance publique leur garantisse d’égales conditions de concurrence et les mêmes chances de développement.
Monsieur le secrétaire d'État, le Gouvernement n’a pas raison !
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour explication de vote.
M. Philippe Adnot. Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite que vous leviez un doute. Mme la rapporteure générale affirme que ce texte est susceptible de rompre l’égalité entre les actionnaires d’une société. Or vous soutenez exactement le contraire. Où est la vérité ?
Si c’est vous qui avez raison, monsieur le secrétaire d'État, je tiens à attirer l’attention de mes collègues de la majorité sénatoriale sur un point. Que ce soit la gauche ou la droite qui arrive au pouvoir demain, nous devrons tous faire face à cet enjeu : permettre à ces sociétés de grandir, de gagner des parts de marché, de créer de la richesse, afin qu’elles deviennent des entreprises de taille intermédiaire, des ETI. Comment le pourront-elles si nous ne sommes pas capables de leur donner les moyens de croître et, un jour, d’être cotées ?
Chers collègues, c’est peut-être vous qui aurez, demain, l’obligation de créer les conditions leur permettant d’évoluer, de conquérir des parts de marchés, de s’organiser, de se racheter, de se restructurer. Il faut donc arrêter de voter comme des soldats ! Mettons fin à cette logique d’affrontement entre deux camps et votons ce texte qui se présente à nous : il sera utile à tous !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Je souscris tout à fait aux propos de Philippe Adnot. Ce que j’ai exposé au nom du Gouvernement n’est rien d’autre que du bon sens économique.
Bien évidemment, je suis animé du même souci de transparence que Mme la rapporteure générale – comment pourrait-il en être autrement, du reste ? – et d’égalité entre les actionnaires, notamment d’égalité de traitement.
Ce dispositif ne peut faire partie d’un texte général sur la simplification administrative : il a toute sa place dans un projet de loi de finances rectificative, qui tend à accroître les marges de manœuvre de notre économie.