Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Tasca, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le législateur est appelé à valider les termes d’un accord négocié entre le Gouvernement et les organisations syndicales.
En effet, le présent projet de loi, déposé sur le bureau du Sénat le 7 septembre 2011, vise d’abord et principalement à transposer dans la loi les stipulations du protocole signé le 31 mars 2011 portant sécurisation des parcours professionnels des agents contractuels dans les trois versants de la fonction publique : accès à l’emploi titulaire et amélioration des conditions d’emploi.
Monsieur le ministre, ce projet de loi apparaît comme une éclaircie dans un contexte très sombre de dénigrement systématique des fonctionnaires et de réduction drastique des effectifs, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques. Il ne saurait occulter les difficultés croissantes que les services publics rencontrent dans leur fonctionnement en raison des suppressions de postes.
La commission des lois a abordé avec pragmatisme l’examen d’un projet de loi qui se présente comme essentiellement technique et apporte des réponses concrètes à des situations d’injustice et de précarité, mais dont l’efficacité dépendra de la réalité de sa mise en œuvre et du nombre de postes ouverts à la titularisation.
Par un mouvement pour ainsi dire naturel, des dispositions se sont greffées sur le projet de loi qui répondent à des difficultés d’importance inégale.
C’est ainsi que des retouches sont apportées à la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, ainsi qu’à la loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique.
En outre, le vivier de recrutement des juridictions administratives et financières est élargi. Je rappelle d’ailleurs que les projets de réforme de ces dernières, attendus depuis plusieurs années, n’ont pas abouti à ce jour.
Le présent projet de loi est, en quelque sorte, le dernier train de la législature. Il constitue donc l’ultime opportunité de modifier ou de compléter les statuts de la fonction publique pour conforter leur cohérence et la bonne marche des institutions publiques.
C’est dans cet esprit que, suivant son rapporteur, la commission des lois a examiné le projet de loi. Par réalisme, elle en a adopté les différentes parties, tout en regrettant une hétérogénéité qui n’est pas de bonne pratique législative. Elle a décidé de s’en tenir au périmètre ainsi fixé, afin de conserver à l’ensemble une certaine cohérence sans anticiper des réformes qui méritent de faire l’objet d’un débat spécifique.
Au cœur du texte se trouve un nouveau plan de résorption de la précarité qui fragilise de nombreux agents non titulaires. Malgré les efforts passés et la titularisation de dizaines de milliers d’entre eux, qui ne furent que des améliorations fugitives, la situation antérieure est réapparue. Le recours commode aux non-titulaires comme variable d’ajustement d’effectifs tendus ne se tarit pas : beaucoup trop sont maintenus dans la précarité, alors même qu’ils contribuent à assurer durablement le fonctionnement normal du service public.
Votre rapporteur observe que ce quinzième plan s’accompagne d’une sécurisation pour les « recalés » par la « CDIsation » et de plusieurs mesures destinées principalement à renforcer l’accès au CDI introduit par la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique.
Approuvant dans son ensemble l’esprit du double volet consacré aux contractuels – plan de titularisation et réforme du régime juridique des contrats –, la commission des lois, tout en lui apportant des corrections techniques, en a renforcé les garanties sur plusieurs points.
Le dispositif spécifique de titularisation arrêté au terme de la concertation conduite par le Gouvernement repose sur un équilibre que les partenaires sociaux, dans leur très grande majorité, ont accepté. Le fait est suffisamment rare pour être souligné et soutenu ; la commission n’entend pas altérer cet équilibre.
Pour la première fois depuis que, en 2010, il a rénové le cadre légal du dialogue social, le législateur est appelé à donner force de loi aux conclusions fructueuses d’un accord.
En conséquence, en dehors de diverses rectifications destinées à préciser le projet de loi et à assurer sa cohérence dans l’ordonnancement juridique ainsi que sa lisibilité, la commission n’a adopté, pour l’essentiel, que quatre modifications.
Par cohérence, tout d’abord, elle a intégré dans le calcul de l’ancienneté requise les services accomplis soit pour assurer le remplacement de fonctionnaires momentanément absents ou autorisés à exercer leurs fonctions à temps partiel soit pour pourvoir à un emploi temporairement vacant.
Ensuite, elle a fondé le droit d’accès à l’emploi titulaire sur la réalité des services accomplis par le candidat. À cette fin, elle a distingué deux cas : les agents en CDI seront titularisés dans un corps ou dans un cadre de même niveau que celui correspondant aux fonctions qu’ils exerceront au 31 mars 2011 ; les agents en CDD accéderont à la catégorie dans laquelle ils auront exercé le plus longtemps s’ils ont quatre ans d’ancienneté ou, si leur ancienneté est supérieure, à la catégorie la plus élevée, quelle que soit la durée pendant laquelle ils auront exercé les fonctions correspondantes.
En outre, pour tenir compte de la diversité des employeurs territoriaux, la commission leur a offert la faculté de confier l’examen de la recevabilité du dossier d’un candidat pour le cadre d’emplois ouvert par le recrutement auquel il se présente à la commission d’évaluation professionnelle mise en place pour conduire les sélections professionnelles. Le choix ainsi donné à l’autorité territoriale devrait faciliter la mise en œuvre du dispositif de titularisation, notamment dans les petites collectivités.
Enfin, la commission a étendu le bénéfice du dispositif aux contractuels des administrations parisiennes ainsi qu’aux personnels des établissements qui seraient exclus du bénéfice des dérogations à l’emploi titulaire. Elle a aussi sécurisé pour l’avenir la situation de ces agents et de ceux des institutions sous le même régime dérogatoire qui réintégreraient, au gré des aléas de l’architecture administrative et institutionnelle, le droit commun de l’emploi statutaire.
Les clarifications apportées au régime des contrats pour prévenir les effets pervers des modalités actuelles du renouvellement des contrats et de leur transformation en CDI méritent d’être approuvées dans leur principe : en resserrant leurs conditions d’emploi, le texte présenté aujourd’hui au Parlement devrait écarter, à l’avenir, les abus les plus criants.
Les rapprochements opérés entre les trois versants de la fonction publique ainsi que la réaffirmation du principe essentiel de l’emploi titulaire permettront de conforter le statut alors que, dans le même temps, la place du CDI y est élargie. Certes, la « CDIsation » est le moyen de lutter contre la précarité, mais elle ne doit pas devenir une voie parallèle de recrutement dans les services publics.
Je demeure cependant prudente sur les résultats escomptés. Seule la pratique permettra de mesurer les effets du système. Il n’en reste pas moins que les modifications proposées devraient limiter les détournements du mécanisme et sécuriser davantage la situation des personnels concernés.
C’est pourquoi la commission des lois n’a déposé sur ce second volet, traduction fidèle de l’axe 2 du protocole d’accord du 31 mars 2011, que des amendements destinés à préciser, assouplir, clarifier et compléter les mesures proposées.
Elle a notamment porté de trois à quatre mois la durée des interruptions entre deux contrats qui autorise la prise en compte des services discontinus dans le calcul de la durée de la condition de six ans pour donner accès au CDI. Cet élargissement devrait notamment sécuriser la situation de nombreux contractuels de l’éducation nationale.
Le titre III du projet de loi comporte des dispositions destinées principalement à renforcer la mobilité des fonctionnaires dans l’esprit qui a présidé au vote de la loi du 3 août 2009.
La commission est favorable à ces assouplissements, qui renforceront la possibilité, pour les fonctionnaires, de conduire des parcours professionnels diversifiés, sous réserve que soient apportées au texte proposé plusieurs harmonisations, précisions et actualisations afin d’en conforter la cohérence juridique.
La commission a notamment voulu clarifier la faculté nouvelle d’une mise à disposition de fonctionnaires à l’étranger auprès d’entités fédérées assurant des missions qui, en France, sont confiées à l’État.
Sur proposition du Gouvernement, elle a ajusté ponctuellement les lois statutaires pour tenir compte, d’une part, de la suppression du paritarisme au Conseil supérieur de la fonction publique de l’État en adaptant sa composition lorsqu’il siège en tant qu’organe supérieur de recours – là, le paritarisme est évidemment nécessaire – et, d’autre part, de la disparition des sièges préciputaires au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale en ce qui concerne la composition des conseils régionaux d’orientation placés auprès du délégué régional du Centre national de la fonction publique territoriale.
Par ailleurs, la commission des lois a retenu l’institution de commissions consultatives paritaires pour les contractuels des collectivités territoriales, disposition proposée par notre collègue Hugues Portelli.
Elle a complété le projet de loi en adoptant un ensemble de mesures d’harmonisation et d’ajustements ponctuels proposées par le Gouvernement.
Elle a tiré les conséquences de la réforme des retraites de 2010. Elle a ainsi prévu un dispositif transitoire pour les fonctionnaires territoriaux en congé spécial et a aligné l’âge d’ouverture des droits à retraite des agents publics ayant la qualité de travailleur handicapé sur celui du régime général d’assurance vieillesse. Elle a aussi abaissé de trois à un mois la durée du sursis de l’exclusion temporaire des fonctions dans la fonction publique territoriale pour l’aligner sur celle des deux autres versants. Elle a fixé au 16 juin 2011, date d’entrée en vigueur du décret classant en catégorie B les personnels du corps des permanenciers auxiliaires de régulation médicale, la date d’effet de leur intégration. Elle a enfin prolongé de trois ans, jusqu’au 31 décembre 2016, la période durant laquelle les fonctionnaires de La Poste peuvent demander leur intégration dans l’un des corps ou cadres d’emplois des trois fonctions publiques : d'État, territoriale et hospitalière.
La commission des lois a complété le volet consacré aux juridictions administratives et financières avec la volonté de renforcer leurs moyens de travail et de faciliter ainsi l’exercice de leurs missions. Il s’agit principalement d’élargir leurs viviers de recrutement, notamment pour pallier le tarissement progressif des promotions de l’École nationale d’administration décidé par le Gouvernement.
L’ensemble de ces dispositions, celles que contenait initialement le projet de loi comme les ajouts de la commission, reprennent pour partie, et parfois bien au-delà des clivages partisans, les mesures, d’une part, d’un avant-projet de loi de 2008 consacré aux juridictions administratives – ce texte n’a jamais été déposé devant le Parlement – et, d’autre part, du projet de réforme des juridictions financières, déposé au mois d’octobre 2009 à l’Assemblée nationale, mais dont l’examen n’a pas dépassé le stade de la commission.
Je me réjouis que la commission des lois du Sénat, en adoptant à l’unanimité le texte modifié, ait suivi la position de son rapporteur et approuvé l’élargissement de l’accès au Conseil d’État des conseillers de tribunaux administratifs et de cours administratives d’appel par la voie du tour extérieur ou encore par l’affectation de magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel au Conseil d’État, auprès de la mission d’inspection des juridictions administratives.
De plus, il me semble que la pérennisation du concours dit « complémentaire » de recrutement de membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, provisoire, mes chers collègues, depuis 1977, était devenue indispensable.
Les propositions du Gouvernement de détacher des militaires et des professeurs titulaires des universités dans le corps des magistrats des chambres régionales des comptes et d’aligner la durée des incompatibilités applicables à ces magistrats sur le régime des autres fonctionnaires, soit trois ans, semblent justifiées.
La commission est toutefois allée plus loin. Elle a rendu obligatoire chaque année la nomination au Conseil d’État d’un second maître des requêtes choisi parmi les membres des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel. Elle a instauré la qualité de maître des requêtes en service extraordinaire. Elle a pérennisé le recrutement complémentaire de conseillers des chambres régionales des comptes. Elle a facilité la mobilité des présidents de tribunaux administratifs et cours administratives d’appel en limitant à sept le nombre d’années qu’ils peuvent passer à la tête d’une même juridiction. Sur proposition avisée de notre collègue Michel Delebarre, elle a consacré le statut de magistrat administratif des membres des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel. Elle a diversifié le vivier des recrutements effectués par la voie du tour extérieur au grade de conseiller référendaire à la Cour des comptes. Elle a assorti de garanties supplémentaires les détachements dans le corps des chambres régionales des comptes.
Bref, par le texte qu’elle a adopté, la commission des lois s’est efforcée d’organiser plus efficacement encore les moyens humains dont disposent les juridictions administratives et financières.
Je regrette, cependant, qu’il n’ait pas été possible d’examiner ces dispositions dans le cadre de textes spécifiquement consacrés à ces juridictions.
Sans pour autant donner quitus au Gouvernement de sa politique conduite dans le domaine de l’emploi dans la fonction publique, je souhaite, tout comme M. le ministre, que le texte que nous examinons aujourd’hui, très attendu, fasse l’objet d’un examen serein.
M. Michel Delebarre. Très bien !
Mme Catherine Tasca, rapporteur. Compte tenu de l’ensemble de ces observations, je vous invite, mes chers collègues, à concrétiser l’accord du 31 mars 2011.
Je veux le souligner une fois encore, la traduction par la représentation nationale dans un texte législatif d’un accord obtenu grâce à une très forte participation des organisations syndicales constitue un événement marquant dans l’histoire du dialogue social dans la fonction publique, comme dans celle du Parlement.
M. Roland Courteau. Bien dit !
Mme Catherine Tasca, rapporteur. Tout au long de l’examen du présent projet de loi, j’ai été inspirée par la conviction que telle était d’ailleurs l’attente de ces organisations.
M. Christian Bourquin. Bravo !
Mme Catherine Tasca, rapporteur. Je forme le vœu que l’ensemble des dispositions qui vous sont proposées, mes chers collègues, améliorent l’environnement statutaire et les conditions d’emploi de ces milliers d’agents publics qui, dans les administrations de l’État, dans les collectivités locales, dans les hôpitaux, assurent chaque jour le bon fonctionnement de nos services publics.
Pour l’heure, la commission des lois soumet à la délibération du Sénat le texte qu’elle a établi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la pédagogie, c’est l’art de la répétition. C’est pourquoi je vais répéter à cette tribune quelques-uns des motifs de satisfaction soulignés par Mme le rapporteur de la commission des lois, dont je voudrais saluer le travail et le sens du consensus.
Je signalerai néanmoins les limites du présent projet de loi et l’importance de certains points, qu’il ne faut pas perdre de vue.
Tout d’abord, ce texte scelle un dialogue social bienvenu, même s’il intervient trop rarement dans notre pays. On peut cependant voir dans son examen une conséquence des échéances électorales qui doivent avoir lieu dans trois mois…
Oui, ce texte va réduire la précarité ! Or, il faut le dire, jusqu’à ce jour, l’État n’a pas toujours été un bon employeur. Bien qu’il se veuille exemplaire, il a souvent donné un mauvais exemple. J’en veux pour preuve les emplois précaires détenus par des centaines de milliers de personnes, le temps partiel subi, les conditions de travail dégradées, une mobilité imposée, l’impossibilité pour le contractuel de savoir si son contrat sera renouvelé ou non ou pour les enseignants de savoir s’ils retrouveront ou non un poste à la rentrée suivante.
Au-delà des chiffres qui ont été cités tout à l’heure, je veux insister sur une réalité. Dans la fonction publique, autour des 800 000 personnes exerçant un emploi précaire gravitent 4 millions de personnes, qui, elles aussi, connaissent la précarité. Contrairement à ce que l’on peut penser, la précarité affecte non seulement l’industrie, le secteur des services, mais aussi les services de l’État et des collectivités territoriales.
Certes, nous ne pouvons que saluer les avancées qui nous sont proposées, telle la résorption de cette poche de précarité devenue extrêmement importante au fil des ans. Nous ne pouvons que louer le souci de mieux définir le CDI applicable dans la fonction publique, afin de disposer d’une loi plus lisible, plus sûre, de contrats harmonisés, de conditions de renouvellement plus claires et de garanties de passage d’un CDD à un CDI.
Ainsi que l’a signalé Mme le rapporteur, sur tous ces points, les syndicats souhaitent – ils nous l’ont fait savoir – que la représentation nationale prenne acte des accords qui ont été trouvés. Nous ne pouvons que les entendre.
Pour autant, il nous semble important de ne pas remettre en cause le statut de la fonction publique, si malmené ces dernières années par des mesures ultralibérales, dissimulées derrière des expressions telles que « management » ou « nouvelle gestion des ressources humaines » ; malheureusement, la réalité n’est pas à la hauteur de ce que laissent entendre les mots !
Nous tenons à souligner l’attachement des écologistes au maintien du statut de la fonction publique, et nous sommes très satisfaits que, aujourd’hui, un certain nombre de personnes exerçant des fonctions au service de l’État ou des collectivités territoriales puissent quitter la précarité et bénéficier d’une situation plus digne, plus stable.
Pour l’avenir, nous ne sommes pas favorables à la casse systématique de la fonction publique, telle que l’organise notamment une RGPP aveugle, qui supprime mécaniquement un emploi sur deux, ce qui conduit ensuite à recruter des personnels précaires pour « boucher les trous », c'est-à-dire en fait pour assurer des missions du service public que des fonctionnaires en nombre insuffisant ne sont plus en mesure de remplir eux-mêmes.
Le texte que nous discutons aujourd’hui ne doit pas masquer la question très importante du statut de la fonction publique et du fonctionnement des services publics dans notre pays.
Autrement dit, la posture dogmatique que traduit la RGPP nous semble devoir être revue et, à cet égard, le présent projet de loi nous paraît extrêmement important.
Les écologistes demandent l’arrêt de l’hémorragie, notamment dans l’éducation nationale. Lorsque nous retournons dans nos départements, nous entendons parler de dizaines d’emplois supprimés. On supprime des emplois et l’on demande ensuite à Pôle Emploi de trouver des enseignants pour les embaucher sur des contrats précaires ! Monsieur le ministre, il y a quelque chose qui ne va pas dans cette logique ! L’éducation nationale exige, comme l’ensemble de la fonction publique, une autre façon de fonctionner !
Nous ne sommes pas favorables au démantèlement du service public que nous voyons actuellement se dessiner. Même si le présent projet de loi donne de nombreux motifs de satisfaction, il ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Nous voulons des services publics de qualité et une fonction publique de qualité. Même si nous nous réjouissons pour toutes les personnes à qui ce texte va permettre de sortir de la précarité, par une « CDIsation » ou par l’accès à la fonction publique via des concours adaptés, les mesures prises aujourd'hui ne doivent en aucun cas faire oublier ce qui se passe actuellement en France.
Nous aimerions également qu’une réflexion réellement approfondie soit menée sur les deux points suivants.
Tout d'abord, nous pouvons faire beaucoup mieux en matière d’égalité hommes-femmes dans la fonction publique. Comme l’a souligné Mme le rapporteur, en dépit des avancées notables prévues par le projet de loi, la situation reste préoccupante, l’État étant loin d’être exemplaire et les collectivités territoriales pouvant, elles aussi, faire des progrès.
Il faut également prendre en considération un problème que ce projet de loi ne traite pas, à savoir le fait que, lorsqu’une personne signe un CDI pour un poste de catégorie A, elle peut travailler à plein-temps, tandis que la personne qui a enchaîné plusieurs CDD et signe un CDI pour un poste de catégorie B ou C ne pourra travailler, dans certains ministères, qu’à 70 % du temps. Cela signifie que les plus précaires sont punis deux fois et sont obligés de trouver un emploi complémentaire pour vivre dignement alors qu’ils sont au service de l’État. Il me paraît indispensable de s’atteler aussi à cette question.
Le second point sur lequel nous souhaitons qu’on approfondisse la réflexion est l’emploi des personnes en situation de handicap. La commission des lois a essayé, sous la conduite d’un certain nombre de nos collègues, d’apporter des améliorations, mais elles nous paraissent très modestes, car nous pouvons faire beaucoup mieux.
Le système actuel est complètement ubuesque. Certaines normes sont inapplicables : un collègue a cité ce matin, de manière très pertinente, le cas des personnels de sécurité et des pompiers, chez qui un certain nombre de postes doivent être réservés à des personnes en situation de handicap, alors qu’il faut, pour être pompier, être en parfaite santé et, par exemple, avoir au moins 8/10 à chaque œil… On comprend bien pourquoi !
Tant que nous ne saurons pas réformer ce système qui comporte des injonctions complètement contradictoires – et c’est aussi ici que cela peut se faire –, nous ne parviendrons pas à favoriser davantage l’accès à l’emploi stable des personnes en situation de handicap.
Nous pensons donc que ce projet de loi, même s’il est intéressant, ne va pas assez loin. Il faut faire beaucoup plus, il faut faire beaucoup mieux ! En tout cas, concernant l’égalité hommes-femmes et l’emploi des personnes en situation de handicap, ce texte nous semble beaucoup trop modeste et nous laisse sur notre faim.
Le dernier sujet que je souhaitais aborder est la formation.
Nous prenons acte de l’accord très important qui permettra de « déprécariser » un certain nombre de personnes. Toutefois, nous pensons qu’il est aussi très important de ne pas négliger l’effort de formation de ces personnes qui, pour certaines, subissent un véritable traumatisme parce qu’elles ont enchaîné des contrats, ont été malmenées, ont vécu des situations stressantes et angoissantes.
Mme Corinne Bouchoux. Offrir une formation digne de ce nom à ces personnels constitue à nos yeux une priorité absolue. Or, en l’état, le projet de loi n’insiste peut-être pas assez sur cet effort de formation qui nous semble essentiel.
Vous le savez, nous appelons de nos vœux un autre mode de fonctionnement de la société, nous promouvons d’autres valeurs : c’est un peu notre « touche » particulière. Aussi, vous n’en serez pas surpris, nous souhaitons que la gestion des ressources humaines dans la fonction publique devienne plus « écologique », plus saine, nous aimerions que les personnes précaires ne soient plus jamais traitées comme elles l’ont été ces dernières années.
Mme Corinne Bouchoux. Ce projet de loi doit donc être le dernier de ce type. Chaque fois qu’une loi est votée, on dit que c’est la dernière fois, que l’on ne recommencera pas…
Nous estimons que ce projet de loi doit prendre réellement en compte la question des personnels les plus précaires, notamment les catégories B et C, celle de l’emploi des femmes, celle des personnes en situation de handicap, celle de la formation tout au long de la vie, et répondre de manière plus ambitieuse à la question de la promotion dans la fonction publique.
Selon les rapports dernièrement publiés, les hommes profitent beaucoup plus que les femmes des formations professionnelles, de la formation continue. Qui pis est, d’après les statistiques les plus récentes, l’État tend à faire moins bien dans ce domaine que certaines grandes entreprises privées !
Il serait donc souhaitable que, à la faveur de ce projet de loi, nous prenions la mesure des efforts considérables que doivent faire les employeurs publics envers leurs personnels : il faut que ceux-ci fassent preuve au moins de la même vertu que celle que nous attendons des entreprises privées.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce projet de loi marque une étape nécessaire dans la reconsidération du travail précaire dans la fonction publique – les syndicats ont beaucoup insisté sur ce point. Nous prenons acte des avancées réalisées, mais nous regrettons certaines limites.
Nous sommes extrêmement attachés à une fonction publique de qualité. Indépendamment du contexte actuel de contrainte budgétaire, que nous mesurons bien – nous sommes réalistes ! –, nous pensons que certains secteurs ne devraient pas être sacrifiés : nous avons parlé de la formation, mais nous pouvons aussi mentionner les hôpitaux ou d’autres secteurs, dans lesquels nous ne pourrons plus nous contenter de voir des personnels précaires jouer les bouche-trous.
Nous avons besoin d’une fonction publique de qualité si nous voulons des services publics de qualité. Il faut y mettre le prix, y compris en arbitrant entre certaines priorités, et la représentation nationale a toute légitimité pour aborder cette question.
Nous espérons vivement que, sur tous ces sujets, notamment sur les personnes en situation de handicap et les personnels les plus précaires, nos remarques seront prises en compte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, comme cela vient d’être rappelé, le présent projet de loi fait suite à une intense concertation entre les partenaires sociaux, menée au printemps 2009 et à l’automne 2010.
Cette concertation a permis l’établissement d’un diagnostic partagé par tous sur la situation des agents contractuels dans la fonction publique et a démontré l’existence d’un large consensus sur l’opportunité d’une réforme du cadre législatif et réglementaire qui leur est applicable. Cette réforme concerne l’ensemble des agents contractuels : ceux de la fonction publique d’État comme ceux des fonctions publiques territoriale et hospitalière.
Une négociation a eu lieu entre l’ensemble des partenaires sociaux et les représentants des employeurs territoriaux et hospitaliers. Elle s’est déroulée dans un cadre juridique nouveau, fixé par la loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique.
Le 31 mars 2011, cette négociation a abouti à la signature d’un protocole d’accord. Largement consensuel, ce dernier a été signé par six organisations syndicales représentatives de la fonction publique – UNSA, CGT, FO, CFDT, CGC, CFTC. Les deux premiers titres du présent projet de loi visent à transposer les stipulations de cet accord.
Ce processus est donc exemplaire : d’abord la concertation, puis la législation. La méthode est logique, et la démarche adoptée en ce domaine par le Gouvernement est la bonne.
Cette démarche doit être saluée, car les étapes de négociation n’ont pas été sacrifiées à l’urgence qu’il y avait, d’une part, à fournir une réponse aux situations de précarité observables sur le terrain et, d’autre part, à prévenir la reconstitution de situations de précarité à l’avenir, en encadrant mieux les cas de recours au contrat. Tels étaient d’ailleurs les deux principaux axes du protocole signé le 31 mars dernier.
Il est important de rappeler que les agents non titulaires représentent aujourd’hui près de 16,8 % des effectifs de l’ensemble de la fonction publique, soit quelque 900 000 agents. En effet, le recours aux contractuels n’a cessé de se développer ces dernières années.
S'agissant des collectivités territoriales, l’accroissement et la diversification de leurs compétences, consécutifs à la décentralisation, ont entraîné un recours croissant aux agents non titulaires : de nouveaux métiers doivent être exercés par nos collectivités, au niveau tant communal et intercommunal que départemental, et les employeurs territoriaux ont donc dû recruter dans des domaines particuliers, très spécialisés, où il est difficile, voire parfois impossible de disposer de fonctionnaires possédant les qualifications nécessaires. Comme cela est précisé dans l’étude d’impact, la majorité des non-titulaires sont recrutés pour des besoins très spécifiques.
Le titre Ier du projet de loi vise à répondre aux situations de précarité subies par certains agents qui bénéficient d’une solide expérience professionnelle auprès de leur employeur mais qui n’ont pu, pour diverses raisons, ni accéder à l’emploi titulaire ni bénéficier d’une transformation de leur contrat en CDI.
Le projet de loi prévoit ainsi qu’un CDI sera obligatoirement proposé aux contractuels justifiant notamment d’une ancienneté de service de six années. Cette mesure est destinée aux agents qui ne pourraient pas accéder à l’emploi titulaire, mais également à ceux qui ne le souhaiteraient pas. La situation de ces agents sera stabilisée grâce à cette transformation de leur contrat en CDI, avec toutes les garanties que cela leur offrira au quotidien.
Le présent projet de loi traduit donc une approche responsable et juste, qui prend en compte le fait que, depuis 2007, l’État demande aux fonctionnaires des efforts considérables, sans précédent, notamment à travers la RGPP ou le gel du point d’indice.
Ce projet de loi permettra de mettre un terme à quantité de situations abusives pour les fonctionnaires Nous sommes convaincus que ce texte, issu d’un dialogue fructueux avec les partenaires sociaux, atteindra son objectif et permettra de réduire efficacement la précarité qui fragilise les agents contractuels et compromet la pérennité du service public dans certaines branches.
Je tiens, enfin, à saluer le travail important réalisé en commission des lois, ainsi que l’excellent rapport de notre collègue Catherine Tasca. Elle a conduit une réflexion de fond, et la plupart des aménagements introduits lors de l’examen du projet de loi en commission étaient les bienvenus.
Je demeure plus réservé s'agissant des dispositions relatives au recrutement au sein des juridictions administratives et financières. En effet, la relation entre cette question et l’objet initial du projet de loi déposé par le Gouvernement n’est vraiment pas manifeste…
Enfin, je ne peux manquer de regretter que, malgré l’annonce contenue dans l’intitulé du projet de loi, où il est aussi question de « la lutte contre les discriminations », ce texte ne résolve pas les difficultés rencontrées par les personnes en situation de handicap. Je note néanmoins avec une grande satisfaction que la commission des lois s’est engagée à aborder cette très importante question de manière volontariste et constructive.
Sous réserve de ces quelques observations, une très large majorité du groupe UCR votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UCR, de l'UMP, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe socialiste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)