Mme la présidente. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette réforme ne peut évidemment être l’arbre qui cache la forêt ! Tout le monde le reconnaît, la fonction publique est aujourd’hui mise à mal et les agents publics sont en souffrance, victimes qu’ils sont d’une politique qui, depuis des années, tend à les dénigrer, à les stigmatiser.
Quand ce ne sont pas les fonctionnaires qui sont pointés du doigt, c’est l’idée même de service public qui est attaquée, certains n’hésitant pas à considérer qu’il serait urgent d’en finir avec les services publics existants pour concentrer les moyens de l’État sur les seules fonctions régaliennes. Limiter ainsi le champ des services publics constitue à l’évidence une négation de la construction historique et sociale de notre pays, et témoigne aussi d’un refus de reconnaître les besoins nouveaux de nos concitoyens.
Le groupe CRC ne partage pas l’idée qu’il y aurait aujourd’hui trop de services publics et qu’il serait nécessaire, pour libérer l’initiative, de réduire la dépense publique utile, de diminuer le rôle que jouent les acteurs publics, en les sacrifiant au profit du secteur marchand. Il suffit de regarder partout autour de nous, d’observer les situations dramatiques dans lesquelles vivent nos concitoyens, pour s’apercevoir qu’il nous faut au contraire être imaginatifs afin de renforcer l’efficacité des services publics
Si l’on suivait les recommandations de ces apprentis sorciers, l’éducation nationale, par exemple, ne relèverait plus d’une mission de service public et pourrait être confiée aux collectivités territoriales, voire transférée au secteur privé.
À l’opposé de cette logique, nous sommes convaincus qu’il faut renforcer et développer le service public de l’enseignement.
Mes chers collègues, les services publics sont, aujourd'hui plus que jamais, pertinents et utiles. Ils sont constitutifs du bouclier social dont nous avons besoin pour faire face à la crise.
Pourtant, la majorité présidentielle n’a de cesse d’organiser progressivement leur privatisation. Cela prend la forme d’un transfert des missions du public vers le privé, y compris s’agissant de missions pourtant présentées comme régaliennes. Ainsi, il y a maintenant plus d’agents privés de sécurité que de policiers en service !
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Christian Favier. Cela passe aussi par la transformation des établissements et des services publics en de véritables entreprises.
On impose en effet aux services publics une logique de performance et de rentabilité financière, étrangère à l’impératif de satisfaction des besoins, on y applique les mêmes méthodes de management que dans les entreprises privées, avec les effets désastreux que l’on sait sur la santé et les conditions de vie des agents.
La réalité, c’est que les personnes recrutées pour accomplir les missions publiques, qui, hier, étaient des fonctionnaires, sont aujourd’hui considérées comme de véritables variables d’ajustement. Conséquence : la précarité gagne chaque jour du terrain, particulièrement dans la fonction publique territoriale, victime d’un double mouvement de décentralisation et de réduction des ressources des collectivités.
Au total, il y aurait, selon le dernier recensement, près de 900 000 agents publics en situation de précarité, ce qui représente environ 16,5 % des agents de la fonction publique.
M. Christian Favier. Il faut dire que les employeurs publics, qui devraient pourtant être exemplaires en matière de travail et de respect des droits, agissent parfois comme les pires patrons !
Chacun garde ainsi en mémoire le cas de cette postière de Haute-Garonne, employée par La Poste des années durant avec pas moins de 56 CDD successifs, ou encore celui de cette jeune femme, recrutée par l’ANPE, puis par Pôle emploi, en CDD depuis douze ans !
Le constat est clair : les trois versants de la fonction publique connaissent une précarisation jamais atteinte jusqu’à présent. Si rien n’est fait, s’il n’est pas définitivement mis un terme à l’application de cette logique comptable, la précarité deviendra progressivement la norme.
Certains, à l’UMP, veulent d’ailleurs l’accroître encore en proposant la fin de la sécurité de l’emploi dans la fonction publique.
C’est dans ce contexte que nous sommes appelés à nous prononcer sur ce projet de loi présenté comme la transposition de l’accord signé le 31 mars 2011 par six organisations syndicales sur huit. Je dis « présenté », car le Gouvernement a profité de l’occasion pour introduire des dispositions, notamment les titres III et IV, qui n’étaient bien évidemment pas contenues dans le protocole d’accord et qui n’ont pas grand-chose à voir avec le sujet !
Pour ce qui est des dispositions relatives à la précarité dans la fonction publique, il faut reconnaître qu’elles sont pour l’essentiel conformes au contenu du protocole.
Ce protocole est une étape importante. Il est le fruit d’une négociation entamée voilà deux ans, sur l’initiative des organisations syndicales. Après deux ans d’échanges, il est le résultat d’un compromis, comme l’est aussi, par voie de conséquence, le projet de loi, lequel pourra indiscutablement constituer, sur le plan individuel, une réponse à certaines situations de précarité subies par les agents.
Je pense en particulier aux agents recrutés en CDD et qui pourront demain bénéficier d’un CDI. Cette transformation de contrat, qui pourrait concerner 100 000 agents, comme vient de le rappeler M. le ministre, est une avancée. Qui pourrait refuser à ces agents aujourd’hui en situation très précaire le bénéfice, demain, d’une sécurisation de leur parcours professionnel ?
Pour autant, le recours à des contrats à durée indéterminée pour des emplois permanents de la fonction publique, que la loi autorisera donc désormais, nous inquiète.
La CDIsation de ces emplois jusqu’à présent occupés par des fonctionnaires constitue une étape supplémentaire du démantèlement du statut ; cela, nous ne pouvons l’ignorer.
Nous regrettons aussi que les conditions de titularisation ou de CDIsation ne permettent pas à tous les agents publics de sortir de la logique du « précariat ». Je pense notamment à ceux et surtout à celles, puisque les femmes sont plus souvent concernées, qui accomplissent des services à temps très partiel, c'est-à-dire selon une quotité inférieure à 50 %.
Le recours aux temps partiels dans la fonction publique n’est pas une fatalité. Je suis persuadé, pour avoir expérimenté cette voie et avoir vu des communes le faire, qu’une autre gestion de l’emploi et des carrières peut permettre d’assurer aux agents un travail à plein-temps, mobilisant l’ensemble de leurs compétences et leur permettant tout à la fois de vivre mieux leur travail et de vivre mieux du fruit de leur travail.
Dans mon département, qui compte 8 000 agents, les contractuels ne représentent ainsi que 5 % des effectifs, soit un taux très inférieur à la moyenne nationale. Pour autant, nos services fonctionnent bien !
Enfin, comment ne pas regretter que ce projet de loi ne constitue pas un véritable plan de titularisation ?
Toutes celles et ceux qui remplissent les conditions de la titularisation ne seront pas titularisés puisque le nombre de postes ouverts correspondra aux besoins recensés par les services, et non pas au nombre d’agents titularisables. Il y a là un manque d’ambition évident.
Il ne pourrait d’ailleurs pas en être autrement sans sortir de la logique de la RGPP, dont les conséquences en termes d’emplois sont désastreuses. En 2013, dans la seule fonction publique d’État, 100 000 emplois seront supprimés du seul fait de l’application de la règle du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux.
Pourtant, la pertinence des services publics comme moyens mis au service de l’intérêt général, pertinence dont nous sommes pour notre part convaincus, exigeait du Gouvernement qu’il titularise tous les agents publics.
En ne proposant qu’une titularisation très partielle, vous poursuivez, monsieur le ministre, dans la même direction, celle de la réduction à tout crin de la dépense publique. Vous continuez à ne considérer les services publics que comme des coûts, alors qu’ils sont la richesse de notre pays et constituent des investissements pour la société de demain.
Du fait de ces insuffisances, plus des deux tiers des agents concernés ne bénéficieront ni de la titularisation ni de la CDIsation. Nous sommes donc bien loin des précédents plans de titularisation dont avaient pris l’initiative Michel Sapin et, il y a un peu plus longtemps, Anicet Le Pors.
S’agissant des mesures destinées à endiguer à l’avenir le recours aux emplois contractuels, nous doutons de leur efficacité. Comment pourraient-elles avoir de réels effets quand les obligations dont il est fait mention dans le projet de loi ne sont assorties d’aucune sanction ?
De la même manière, monsieur le ministre, vous avez considéré que les agents recrutés en CDD dont le contrat a été renouvelé deux fois devaient pourvoir prétendre à un CDI. C’est certes positif pour les agents, mais sans pour autant être pleinement satisfaisant. En effet, certains employeurs seront tentés de recruter systématiquement des agents publics différents, toujours en CDD, pour accomplir une mission qui relèverait en réalité d’un poste permanent.
Sans doute aurait-il été utile de prévoir un mécanisme fondé à la fois sur le contrat de l’agent, comme cela est le cas, et sur le poste lui-même, en associant les organisations syndicales, notamment au travers des comités techniques.
Vous le constatez, mes chers collègues, ce projet de loi ne nous satisfait pas complètement, car il ne rompt pas avec la conception rabougrie de la fonction publique que nous rejetons. C'est la raison pour laquelle notre groupe a déposé de nombreux amendements, ayant notamment pour objet d’assurer une meilleure prise en compte des personnels en situation de handicap, qui ont été évoqués par les deux orateurs précédents, en favorisant et en accélérant leur titularisation.
Vous considérez, monsieur le ministre, la fonction publique comme un problème et ne voyez en elle qu’une dépense qu’il faut contenir.
M. Christian Favier. Nous, nous la considérons comme un « bien universel », qu’il faut consolider et développer, en même temps que comme une chance pour notre pays.
Pour autant, le groupe CRC ne peut se résoudre à priver les agents concernés – hélas ! trop peu nombreux à notre avis, je le répète – de mesures qu’ils attendent à titre personnel, ce qui le conduira à s’abstenir.
Les organisations syndicales ont annoncé que ce projet de loi n’était qu’une étape et qu’elles continueraient à se mobiliser pour sortir tous les agents publics contractuels de la précarité dans laquelle ils sont enfermés. Nous partageons leur analyse et nous serons, bien sûr, à leurs côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur le banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Bourquin.
M. Christian Bourquin. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, je vous salue, mais c’est aussitôt pour apostropher M. le ministre, que je salue aussi, bien sûr ! (Sourires.)
M. Francis Delattre. Ça commence bien !
M. Christian Bourquin. Monsieur le ministre, on ne peut pas dire que, durant le mandat présidentiel qui s’achève, les agents de la fonction publique aient été bien traités ! Et ils sont 5 millions à partager à peu près ce constat.
M. Christian Bourquin. Croyez-moi, je suis, moi aussi, à leurs côtés !
Il y a eu beaucoup de défiance envers les fonctionnaires de ce pays. Or ils ne sont pas une variable d’ajustement, ils ne sont pas un coût !
M. Francis Delattre. Surtout à Montpellier !
M. Christian Bourquin. Ils font ce beau métier où l’intérêt général est la règle. Ils sont le visage de cette fonction publique qui est au service de nos concitoyens.
Je tenais à le dire pour éviter toute confusion sur nos positions, monsieur le ministre.
Le caractère relativement consensuel du projet de loi que nous examinons ne doit pas nous conduire à en minimiser l’importance. Ce texte vient en effet modifier de nombreux points de la législation en vigueur concernant les recrutements et les nominations dans les trois fonctions publiques : la fonction publique d’État, la fonction publique hospitalière et la fonction publique territoriale.
À ce titre, il ne fait aucun doute qu’il aurait mérité deux lectures dans chaque assemblée. Vous comprendrez donc que je déplore le choix opéré par le Gouvernement de recourir à la procédure accélérée.
M. Christian Bourquin. Le Sénat va assurément modifier ce texte, notamment en intégrant certaines dispositions inscrites dans la proposition de loi déposée par notre collègue Hugues Portelli.
Nous allons aussi être amenés à examiner quelques amendements gouvernementaux, déposés sur le tard, qui annoncent et accompagnent la réforme de l’encadrement supérieur territorial sur laquelle travaillent depuis plus de deux ans les services de la DGCL, la direction générale des collectivités locales, et de la DGAFP, la direction générale de l’administration et de la fonction publique.
M. Christian Bourquin. Ce que je vous reproche, monsieur le ministre, ce n’est en effet pas cela : c’est le comportement qu’a eu pendant cinq ans la majorité à laquelle vous appartenez à l’égard de ce sens de l’intérêt général supérieur qui fait la richesse de la France !
M. Francis Delattre. C’est un bon ministre !
M. Jean-Claude Carle. Un très bon ministre !
M. Christian Bourquin. Ça, c’est vous pour qui le dites ! Moi, je ne le dis pas ! (Sourires.)
M. Christian Bourquin. Monsieur le ministre, revenons à l’essentiel !
Un de vos amendements porte sur le partage en deux du cadre d’emploi des ingénieurs territoriaux ; il confie au président du CNFPT, le Centre national de la fonction publique territoriale, le traitement de la promotion interne des cadres d’emplois supérieurs à l’échelle nationale. Il s’agit de mettre fin à une injustice qui voyait la possibilité de cette promotion interne limitée aux plus grandes collectivités.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous alerter cependant à ce sujet que je connais plutôt bien, étant moi-même ingénieur territorial depuis trente-cinq ans et ayant été membre du conseil d’administration du CNFPT pendant dix ans.
Mme Catherine Tasca, rapporteur. Voilà au moins un avis éclairé !
M. Christian Bourquin. Là, je ne vous entends plus, chers collègues de l’UMP ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Carle. Mais si : félicitations ! (Sourires sur les mêmes travées.)
M. Francis Delattre. Dix ans seulement ? (Même mouvement.)
M. Christian Bourquin. Les conséquences de cet amendement, s’il était adopté en l’état, seraient lourdes pour le CNFPT.
En effet, puisqu’il sera chargé de l’organisation de concours et d’une formation initiale d’un an pour les ingénieurs en chef, le CNFPT va devoir faire face à de nouvelles dépenses alors même que votre majorité, monsieur le ministre, a réduit ici même, en juillet dernier, ses ressources de 10 %.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Christian Bourquin. Je veux parler de celles qui sont tirées du 1 % de la masse salariale acquitté par les collectivités territoriales au bénéfice de la formation.
Comment pouvez-vous prétendre que vous aimez la fonction publique territoriale quand vous réduisez son champ d’intervention sur la formation des agents ?
M. Roland Courteau. Bonne question !
M. Christian Bourquin. Le CNFPT est loin d’être opposé à l’exercice de cette nouvelle mission ; il s’y est même préparé : en témoigne le rapport qu’il a commandé sur la formation initiale des élèves ingénieurs en chef, qui a été présenté à son conseil d’administration l’année dernière.
Toutefois, l’organisation d’un tel concours et la formation initiale des futurs lauréats à l’Institut national des études territoriales, l’INET, installé à Strasbourg, ont un coût : il faut recruter des formateurs, rémunérer les stagiaires, prendre en charge des frais de déplacement…
Or il ne vous a pas échappé, mes chers collègues, même à vous qui siégez à droite, que le CNFPT est vent debout contre la baisse de 10 % de ses recettes. Cette mesure, qui a été adoptée par le biais d’un amendement sénatorial au cours de la discussion du premier projet de loi de finances rectificative pour 2011, le conduit à réduire son offre de formation plutôt qu’à l’augmenter !
Mme Nathalie Goulet. Ils ont acheté un immeuble !
M. Christian Bourquin. Parlez de ce que vous connaissez, s’il vous plaît !
Le président du CNFPT, notre collègue député François Deluga, a entrepris de solliciter les maires et les présidents des conseils généraux et régionaux ainsi que d’intercommunalités afin qu’ils fassent voter par leur conseil municipal ou leur assemblée une délibération appelant au retour du « 1 % formation ».
M. Francis Delattre. Tout le monde doit faire des efforts !
M. Christian Bourquin. Monsieur le ministre, à ce jour, il a reçu 6 600 délibérations ! (Mme Gisèle Printz s’exclame.) Voilà qui ne doit pas nous laisser insensibles, nous qui, ici, représentons les collectivités territoriales.
Il est rare de trouver un sujet sur lequel, au-delà de tout clivage politique, les collectivités se mobilisent de la sorte. C’est même historique !
Par ces actes administratifs votés par leurs assemblées délibérantes, communes, départements, régions et établissements publics de coopération intercommunale de France marquent leur profond attachement au service public de la formation. Il en est de même pour les associations d’élus.
La voix de ces élus – que je devine dominante – mérite d’être entendue.
C’est pour cela, monsieur le ministre, que, au nom de tous mes collègues, à l’exception de quelques-uns (L’orateur désigne les travées de l'UMP, d’où s’élèvent alors des protestations.),…
M. Roland Courteau. Oui, là-bas !
M. Christian Bourquin. … je vous demande de permettre, pour 2013, le rétablissement à 1 % du taux de la cotisation inscrite à l’article 12-2 de la loi du 26 janvier 1984.
Mme Nathalie Goulet. Vendez votre immeuble !
M. Christian Bourquin. À moins de trois mois d’échéances électorales majeures pour notre pays, je ne puis croire, monsieur le ministre, que vous restiez insensible à la mobilisation historique des élus locaux.
M. David Assouline. Ils sont insensibles !
M. Christian Bourquin. Le groupe RDSE, fort de dix-sept élus, soutiendra le projet de loi dans le texte de la commission, dans la mesure où les dispositions qu’il contient constituent un progrès par rapport à la situation actuelle.
M. Christian Bourquin. Je vous vois opiner, monsieur le ministre : vous approuvez donc cette décision. Mais je vous invite surtout à prendre en compte la sollicitation relative au retour du « 1 % formation » que j’ai tenu à porter jusqu’à vous. Son rétablissement est nécessaire à la survie et à l’avenir des millions d’hommes et de femmes qui assument, dans nos collectivités, des fonctions de service public. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Francis Delattre. Ce n’est pas ce que dit M. Migaud !
M. Jacques Mézard. Peut-être, mais il n’est pas député ! Il est président de la Cour des comptes !
M. Francis Delattre. Justement !
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, depuis son adoption, en 1983, le statut général de la fonction publique pose dans son article 3 le principe selon lequel les emplois permanents pour l’exécution du service public administratif sont occupés par des fonctionnaires.
Alors même que cette règle fait la spécificité du statut de la fonction publique, le législateur avait déjà, à l’époque, admis une dérogation en permettant le recrutement d’agents contractuels. En effet, il est très vite apparu que le modèle statutaire ne pourrait répondre efficacement aux besoins auxquels devait faire face l’administration. Lorsque ceux-ci sont occasionnels, le recours à l’emploi de contractuels s’impose.
La flexibilité qu’offre cette modalité de recrutement conduit la fonction publique à employer des contractuels dans des emplois permanents, parfois même dans le cadre de contrats à durée indéterminée. Ainsi, au 31 décembre 2009, près de 150 000 agents non titulaires étaient recensés dans la fonction publique d’État, 200 000 dans la fonction publique territoriale, près de 130 000 dans la fonction publique hospitalière.
La contractualisation n’est donc plus un phénomène négligeable. Si cette formule rencontre un tel succès, c’est en majeure partie grâce à l’adaptabilité et à la souplesse qu’elle offre, notamment dans ses modalités d’exercice, c’est aussi parce qu’elle répond au contexte de recherche de mobilité et d’alternative aux modèles traditionnels d’administration.
Dans cette perspective, la loi du 3 août 2009 visait à garantir une mobilité entre les statuts et à faire en sorte que l’administration organise et offre aux agents les moyens matériels suffisants pour la mettre en œuvre dans de bonnes conditions.
À l’heure de la recherche d’efficacité et d’efficience, les techniques de management éprouvées par le secteur privé doivent être adaptées aux exigences du secteur public. Ces méthodes, issues du monde de l’entreprise, permettent également d’enrichir l’univers de la fonction publique. Celle-ci a trop souvent souffert de critiques tendant à la qualifier d’immobile et de conservatrice. Il est donc indispensable de la faire passer d’un monde clos à un univers ouvert.
En outre, le rapprochement entre le secteur privé et le secteur public permet un apport mutuel qui, nous en sommes tous persuadés dans cette enceinte, sera bénéfique à ces deux sphères que l’on oppose, à tort, trop souvent. Chacun doit tirer bénéfice des expériences de l’autre.
Il faut également souligner que, au sein même de la fonction publique, la « CDlsation » que prévoit ce projet de loi permettra de mettre fin aux disparités qui existent entre les fonctionnaires et les agents contractuels, dont la situation est à l’évidence précaire.
C’est pourquoi il était nécessaire de rendre ses lettres de noblesse au contrat. Pour satisfaire à cet objectif, le Gouvernement a organisé une longue phase de réflexion, au cours de laquelle différentes consultations ont été menées. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, les différentes étapes de ce processus. Ce projet de loi est donc le fruit d’un véritable effort de recherche de consensus parmi les acteurs sociaux, ce dont le groupe UMP se félicite.
Ce texte tient compte des difficultés concrètes auxquelles les agents contractuels sont confrontés quotidiennement.
Aujourd’hui, la fonction publique désire jouer à armes égales avec le secteur privé pour se poser en véritable acteur du système économique.
Le contrat a longtemps été décrié, car il était signe de précarité. Toutefois, il s’agissait davantage d’une situation incertaine qui résultait de l’emploi de contrats à durée déterminée que de la forme contractuelle en elle-même.
Le recours au contrat à durée déterminée est utile à l’administration pour répondre à des besoins occasionnels. En revanche, lorsqu’il s’agit de besoins permanents, il est nécessaire de passer à des contrats à durée indéterminée.
Or, mes chers collègues, beaucoup d’entre nous ont été alertés par des témoignages d’agents qui, au bout de nombreuses années de bons et loyaux services, ont vu leurs contrats à durée déterminée ne pas être renouvelés. Il s’agit d’abus ; la principale cause de cette situation tient au manque de clarté qui entoure les conditions de renouvellement de ces contrats et qui, désormais, ne doit plus être toléré.
M. André Reichardt. Ce projet de loi fait donc œuvre de clarification, plus particulièrement sur ce point-là.
En outre, on oppose souvent le contrat au concours et aux valeurs qui y sont attachées, notamment l’égalité républicaine : le concours serait le seul mode de recrutement garantissant une égalité parfaite entre les candidats. Pourtant, l’étude des rapports des jurys des grands concours administratifs montre que, malgré une relative amélioration, l’accès aux très grandes écoles reste bien réservé à une élite sociale.
M. André Reichardt. Aussi la titularisation et la CDlsation permettent-elles de résoudre cette injustice sociale puisqu’elles récompensent les plus méritants, ceux qui capitalisent une expérience et un solide bagage professionnel. Le dispositif de sélection doit être davantage professionnalisé pour permettre à ces agents de valider leurs compétences, fruits de leur expérience acquise, et c’est bien de cela qu’il s’agit avec ce projet de loi.
Il est donc indispensable de sécuriser la situation des agents contractuels qui n’ont pas pu transformer leurs CDD en CDI.
Souvent, monsieur le ministre, on nous reproche de prendre des demi-mesures en matière d’emploi. Les dispositions de ce texte en sont un parfait contre-exemple !
En effet, pour la fonction publique d’État, le modèle bénéficiera à près de 26 000 agents actuellement en CDI ou en CDD qui répondraient à la condition d’ancienneté nécessaire pour être éligible au nouveau dispositif.
Pour la fonction publique hospitalière, si l’évaluation des personnels éligibles est plus complexe, on peut considérer que 60 000 équivalents temps plein travaillé répondent aujourd’hui à des besoins permanents et seront donc concernés demain.
Pour la fonction publique territoriale, 48 000 agents ont été recrutés sur des CDD de trois ans au maximum renouvelables. Ces situations pourraient ouvrir droit à un CDI.
Par ailleurs, le bilan de la sécurisation de l’emploi de ces agents contractuels se révèle très satisfaisant.
Tout d’abord, d’un point de vue juridique, le projet de loi garantit une plus grande transparence dans les conditions d’obtention d’un CDI. Il substitue ainsi à la notion imprécise de « contrats successifs » des critères clairs de reconduction des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée, notamment en imposant que la CDlsation intervienne auprès du même employeur et à un niveau hiérarchique similaire ou inférieur. Le contrat à durée indéterminée sera ainsi rendu plus largement accessible, conformément aux objectifs de la directive européenne du 28 juin 1999.
Sur le plan financier, ensuite, nous nous félicitons de la mise en œuvre d’un dispositif qui offrira une meilleure sécurité à nos agents tout en limitant les coûts supplémentaires.
En outre, et c’est important par les temps qui courent, l’impact global sera globalement neutre en termes d’emplois, dans la mesure où la titularisation comme la CDIsation n’auront pas de conséquences notables sur l’évolution du nombre d’équivalents temps plein travaillé dans les ministères. Le respect des plafonds d’emplois sera donc garanti, à l’exception des cas de titularisation d’agents employés en CDD à temps incomplet, mais cela devrait rester marginal.
Enfin, cela n’affectera en rien le nombre de postes ouverts au titre des autres voies de recrutement dans les corps de fonctionnaires concernés. Cela n’aura pas d’impact non plus sur la situation des agents titulaires des corps d’accueil ni sur la gestion de ces corps.
En définitive, ces dispositions auront un effet globalement neutre sur l’emploi public. En revanche la sécurisation de celui-ci se trouvera améliorée, et ce n’est pas rien dans la période que nous vivons !
Monsieur le ministre, avant de conclure, permettez-moi de coiffer un instant ma casquette de représentant de la région Alsace pour m’assurer que cette loi s’appliquera bien en Alsace-Moselle où, particularité du droit local oblige, les professeurs d’enseignement religieux, catholique ou protestant, sont des contractuels en CDI. Ces professeurs pourront-ils bénéficier de ces dispositions relatives au concours de titularisation, dit « concours réservé » et aux examens professionnels ?
Je souhaite également attirer votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que la loi du 26 janvier 2004 et le décret du 17 février 1995 permettent à tout fonctionnaire territorial de bénéficier d’une mise en disponibilité pour convenance personnelle pour une durée maximum de trois ans renouvelables, dans la limite de dix ans sur l’ensemble de sa carrière. Certaines communes se trouvent ainsi confrontées au problème du remplacement de leurs agents en disponibilité. Les emplois concernés restent vacants et il n’est pas envisageable de fermer ces postes puisque le statut de la fonction publique territoriale impose à l’administration de réintégrer l’agent mis en disponibilité. Cela engendre un problème de gestion prévisionnelle des emplois, en particulier pour les petites communes.
Ce dispositif ne permet ni de créer des emplois pérennes pour le personnel remplaçant ni de lui offrir, comme à tout fonctionnaire territorial titulaire, une évolution de carrière. Il est donc la porte ouverte à une nouvelle précarisation, contre laquelle il faut également lutter.
Monsieur le ministre, ne serait-il pas envisageable, pour les communes de moins de 5 000 habitants, par exemple, de ramener de dix à trois ans – en tout cas, moins de dix ans – le temps maximal de mise en disponibilité sur l’ensemble de la carrière ?
On pourrait également envisager de limiter, dans ces mêmes communes, le nombre de mises en disponibilité à un certain pourcentage du personnel total, afin que ces collectivités – je connais des exemples dans mon département – n’aient pas à subir les désagréments que j’ai décrits.
Monsieur le ministre, je suis convaincu que le présent projet de loi contribue pleinement à l’évolution du statut de la fonction publique. Il concilie sécurisation de l’emploi, élément traditionnel et constitutif du statut de la fonction publique, et adaptabilité, réactivité, éléments novateurs que la « CDIsation » va contribuer à promouvoir.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous appelle à soutenir ce texte, qui fait de la fonction publique un acteur économique à part entière, dont le rôle doit continuer d’évoluer. Car notre modèle d’administration n’est pas mort : au contraire, sa construction est en marche ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)