M. Jean Louis Masson. Sous prétexte de contribuer à la réduction des déficits budgétaires, ce projet de loi organique fait passer les remboursements de l’État aux candidats à l’élection présidentielle de 50 % à 47,5 % du plafond des dépenses. En pratique, cela aura une incidence très limitée sur les comptes publics, puisque l’effort ne porte que sur 2,5 %. Son seul but est de donner bonne conscience aux grands partis politiques, dont les dépenses démesurées pour l’élection présidentielle sont mal comprises par nos concitoyens, surtout en période de crise économique. Cette économie est donc purement symbolique et n’a aucun intérêt. Il aurait été préférable d'effectuer une économie réelle, en prévoyant par exemple un abattement d'un tiers à la fois sur les dépenses et sur les recettes.
Par ailleurs, une réduction du remboursement des dépenses de campagne sans baisse corrélative du plafond des dépenses autorisées revient à augmenter l'écart de moyens entre les candidats riches, ceux qui sont issus des grands partis et qui bénéficient de financements abondants et de soutiens, qu’ils soient ou non transparents d’ailleurs, et les candidats pauvres, ceux qui ne peuvent compter que sur leurs propres moyens pour se présenter et qui sont donc tributaires des remboursements de l’État. Ce problème fondamental est apparu de façon récurrente dans toutes les réformes qui ont été adoptées récemment.
Ce projet de loi organique aggravera ces distorsions. En effet, personne n'empêchera le candidat du parti socialiste ou le candidat de l'UMP de dépenser quasiment l’intégralité des dépenses autorisées, si le plafond n’est pas modifié. En revanche, la réduction du remboursement de l’État aura pour conséquence de pénaliser ceux qui ne disposent pas d’une structure importante pour les aider.
Si l'on avait voulu réduire le remboursement des dépenses de campagne tout en évitant de tels effets, il aurait fallu réduire tout proportionnellement, c’est-à-dire baisser aussi le plafond des dépenses autorisées. C'était d'ailleurs la logique du financement des campagnes électorales. Il s’agissait non pas tant de fixer un plafond, quel qu’en soit le montant, que de prévoir que l'État prenait à sa charge la moitié des dépenses autorisées, afin d'éviter des écarts trop importants entre les candidats qui disposent de moyens et ceux qui en ont moins. Cela permettait également de prévenir les financements occultes.
Il s'agit donc, avec ce projet de loi organique, d'une rupture avec la logique qui avait été instituée à l'époque, ce que je trouve tout à fait regrettable.
Si ces remarques valent pour ce projet de loi organique tel qu’il a été présenté par le Gouvernement, elles valent encore plus pour le texte qui nous a été proposé par les membres de la majorité sénatoriale. Si l'on opte pour la proportionnalité au nombre de suffrages obtenus, les candidats que l'on peut qualifier d'« institutionnels » et dont la probabilité d'obtenir de bons résultats est forte seront en droit d’espérer un remboursement plus important et organiseront, par conséquent, une campagne plus soutenue que les candidats outsiders qui disposeront de beaucoup moins de moyens. Cela aboutira à geler l'avantage qui est donné aux grands par rapport aux petits.
Or, dans une véritable démocratie, ce qui est important, c'est que chacun dispose des mêmes moyens pour faire valoir ses idées et les défendre. Si l’on donne plus aux uns qu'aux autres, ainsi que le prévoient les modifications apportées au texte initial par la majorité sénatoriale, on risque d’accentuer davantage encore les distorsions entre les candidats.
Pour toutes ces raisons, j’ai déposé cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cette motion. Le système que nous avons préconisé nous paraît plus juste au regard des précisions que j'ai apportées tout à l'heure, notamment en ce qui concerne les effets de seuil.
La comparaison qui est sans cesse établie entre petits et grands candidats ne correspond pas du tout à la philosophie qui anime les membres de la commission des lois : un candidat se mesure au nombre de suffrages qu'il a obtenus à l'issue des élections.
En outre, je veux répondre à la remarque qui a été formulée à l'encontre des grands partis, pour reprendre l'expression de M. Masson. On ne peut tout de même pas reprocher à certains partis de disposer d'une légitimité qu’ils tirent du soutien que leur apportent nos concitoyens lors des différentes élections ! Une telle argumentation saurait difficilement être acceptée d'un point de vue juridique : la légitimité s'acquiert par les suffrages et c'est par les suffrages que l'on peut ensuite l'assumer. Par conséquent, il n’est pas admissible de nier le caractère démocratique d'un grand parti : cela reviendrait à nier le principe même de la démocratie, qui est fondé sur la majorité.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable, pour les raisons que j’ai déjà évoquées.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 14, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 96 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 1 |
Contre | 339 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Masson, d'une motion n° 15.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, le projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture après engagement de la procédure accélérée, relatif au remboursement des dépenses de campagne de l’élection présidentielle (n° 305, 2011-2012).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Jean Louis Masson, auteur de la motion.
M. Jean Louis Masson. En 1962, le général de Gaulle, lorsqu’il a proposé l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, a, pour des raisons évidentes, chargé les maires et autres grands élus d’une mission essentielle, mais ingrate : celle de trier et d’éliminer les candidatures dites « farfelues ». Or rien n’est plus subjectif que de déterminer les critères d’un candidat présentable ou qui ne serait pas « farfelu ».
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Cela se discute !
M. Jean Louis Masson. C’est d’ailleurs, en substance, ce que pensait le général de Gaulle, lorsqu’il déclarait, au conseil des ministres du 2 octobre 1962 : « Ou bien les élus accordent une véritable investiture, et il faut y aller carrément [...] en procédant à une véritable élection préalable par collège restreint. Ou bien on renonce à ce système, on adopte le suffrage universel dans toute son ampleur et alors, il ne doit pas y avoir de condition préalable. »
Cette vision gaulliste de la sélection pré-présidentielle est confirmée par Alain Peyrefitte, lequel, dans son ouvrage C’était de Gaulle, rappelle : « Une forte majorité des ministres demandait 500 ou 1 000 signatures au moins... Le Général répugnait à s’engager dans cette voie, de peur de reconstituer la force des partis. Il aurait souhaité au contraire réduire à zéro le nombre de “ parrains ” imposés. »
En 1965, pour être admis au premier tour, un candidat devait être présenté par au moins 100 élus habilités à parrainer. (Mme Françoise Férat s’exclame.) Mais, conformément à la volonté du fondateur de la Ve République, la publication du nom des « parrains » n’était pas requise.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Un peu d’histoire !
M. Jean Louis Masson. Le déroulement des trois premières élections présidentielles au suffrage universel direct de 1965, 1969 et 1974 a cependant fait apparaître des problèmes d’organisation liés à la multiplication anarchique des candidatures.
Cela a conduit le Conseil constitutionnel, par une déclaration du 24 mai 1974, à proposer un filtrage plus strict. Il a fait alors observer que la présentation d’un candidat à l’élection du Président de la République était un acte politique grave et qu’il importait de l’entourer de toute la solennité nécessaire.
La réforme souhaitée a été réalisée par la loi organique n° 76–528 du 18 juin 1976, laquelle a imposé, pour être désormais candidat, d’avoir obtenu 500 signatures émanant d’au moins 30 départements ou territoires d’outre-mer, sans que plus de 50 proviennent d’un même département ou territoire. Cette loi organique a aussi prévu la publication du nom des signataires des parrainages, dans la limite du nombre requis pour la validité de la candidature.
Les remarques et recommandations du Conseil constitutionnel ont pu, à l’époque, sembler salutaires. Cependant, à l’expérience, elles se sont révélées contre-productives, car leurs effets induits ont été contraires au but recherché.
C’est ce que je vais maintenant expliquer en évoquant successivement les menaces sur le pluralisme démocratique, puis l’atteinte au principe du secret du vote et, enfin, les pressions sur les parrains potentiels.
Premièrement, cette procédure porte en elle des menaces sur le pluralisme démocratique.
Le troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution de 1958 dispose que : « Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret. »
Si comme le dit le Conseil constitutionnel, « la présentation d’un candidat à l’élection du Président de la République est un acte politique grave », il convient de s’interroger sur cette publication des parrainages. Au fur et à mesure des élections présidentielles, la publication a fait passer le parrainage du statut d’acte administratif pris en vertu d’une prérogative personnelle à une apparence de soutien politique, ce que certains assimilent à une sorte de vote public.
Cette publication des parrainages suscite donc un malaise grandissant chez les élus locaux habilités à présenter un candidat, leur signature étant souvent assimilée par les médias à un soutien, et non considérée comme ce qu’elle est, c’est-à-dire un simple acte administratif. Ceux-ci éprouvent dès lors les plus grandes difficultés à expliquer à leurs administrés qu’une éventuelle décision de présenter un candidat constitue non pas une adhésion partisane, mais une caution démocratique destinée à permettre la participation de tous les courants d’opinion à l’élection présidentielle.
L’article 4 de la Constitution indique, quant à lui : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la nation. »
Or, à la suite des problèmes constatés lors de l’élection présidentielle de 2007, la feuille de route adressée par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, au Premier ministre, en novembre 2007, lui demandait de faire sorte « que le processus de désignation des candidats à l’élection présidentielle garantisse que tous les courants significatifs d’opinion [puisent] avoir un candidat ».
Hélas ! en la matière, cet engagement du Président n’a eu aucune suite. L’une des preuves indiscutables du détournement de la finalité des parrainages apparaît dans les propos récents du secrétaire général de l’UMP : celui-ci a en effet exigé que les élus de son parti ne donnent leur parrainage pour l’élection présidentielle de 2012 à aucun autre candidat que celui de l’UMP.
Un sénateur du groupe socialiste. Heureusement !
M. Jean Louis Masson. Comme je l’ai dit tout à l’heure, Mme Aubry, pour le PS, a agi de manière tout aussi menaçante et contraignante.
M. Jean-Marc Todeschini. C’est normal !
M. Jean Louis Masson. Or le fait de lier la présentation d’un candidat à une adhésion partisane est totalement contraire à l’esprit de la loi de 1962 qui vise seulement à écarter les candidatures fantaisistes et certainement pas à exercer une sélection en fonction des appartenances politiques.
M. Bernard Piras. Chacun est libre !
M. Jean Louis Masson. Deuxièmement, la publicité des parrainages porte atteinte au secret du vote
La publication de la liste des parrainages des candidats à l’élection présidentielle porte atteinte, je l’ai déjà dit, au secret d’une partie du processus électoral et, partant, à la liberté du vote. Je le répète : il ne sert à rien que le vote soit secret pour empêcher les pressions sur les électeurs si, dans le même temps, la publication des parrainages permet des pressions pour écarter certaines candidatures.
L’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 fixe le principe d’égalité des citoyens devant la loi. Il est rédigé ainsi : « La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
La collecte des parrainages crée des déséquilibres qui violent le principe d’égalité devant l’élection, que je viens d’évoquer. Il est indéniable, en effet, que les grandes formations politiques ou les présidents sortants disposent d’un avantage sur les autres candidats, car les grands partis bénéficient de réseaux d’élus locaux affiliés, lesquels forment un appareil partisan.
Une étude IPSOS publiée en 2006 par le Courrier des maires indiquait déjà : « la course aux signatures pose un réel problème démocratique ».
Au fur et à mesure que l’élection se rapproche, les 40 000 élus, essentiellement des maires, susceptibles de parrainer un candidat font donc l’objet de toutes les sollicitations : plus que leur intention de parrainage dans l’absolu, c’est leur intention de parrainer un petit candidat qui suscite l’intérêt.
Ainsi, en 2002, 17 815 parrains potentiels avaient parrainé un candidat, dont près de la moitié avaient fait porter leur choix sur l’un de ceux que l’on appelait les « gros » candidats, en l’occurrence MM. Jospin, Chirac, Bayrou et Hue, représentant les quatre grands partis institutionnels de l’époque.
La plupart des douze autres candidats avaient tout juste recueilli les 500 signatures nécessaires et, parmi ceux-ci, M. Le Pen.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Vous recommencez ! J’espère que ce n’est pas de la nostalgie…
M. Jean Louis Masson. Le candidat pourtant arrivé second au premier tour n’avait réuni que 537 parrainages, et ce après une prise de conscience générale de l’injustice que son absence aurait occasionnée pour la démocratie française.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Pour ma part, j’ai tendance à penser que c’est sa présence au second tour qui a posé un grave problème démocratique !
M. Jean Louis Masson. Ce chiffre coupe court à toutes les insinuations de certains responsables de grands partis politiques, selon lesquelles les plaintes de M. ou Mme Le Pen sur les difficultés qu’ils ont rencontrées ou rencontrent aujourd’hui pour obtenir les parrainages seraient en fait une forme de chantage pour faire parler d’eux.
Ce n’est en effet pas du tout le cas. En 2002, M. Le Pen n’avait recueilli que 537 parrainages…
Mme Françoise Férat. C’est assez !
M. Jean-Marc Todeschini. Peut-être ne les avait-il pas tous déposés ?
M. Jean Louis Masson. … et à une semaine du délai limite, le seuil des 500 parrainages n’était pas encore atteint.
Est-il normal de constater qu’un candidat qui a finalement réuni 20 % des suffrages aurait pu être privé du droit de participer à l’élection présidentielle, alors que des personnes représentant 1 % ou 2 % des suffrages ont pu concourir ?
En 2006, selon l’étude IPSOS précédemment citée, seulement 33 % des maires avaient l’intention d’apporter leur signature à un candidat pour l’élection présidentielle, dont 20 % à un candidat qui ne devrait pas avoir de difficulté à recueillir les 500 signatures – les quatre que j’évoquais tout à l’heure – et 13% à un candidat susceptible de peiner pour les obtenir. En d’autres termes, à peine plus d’un maire sur dix avait l’intention de parrainer un candidat en dehors du système des quatre partis dominants de l’époque.
En 2007, le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, présidé par Édouard Balladur, que l’on a appelé « la commission Balladur »,…
Mme Françoise Férat. Quelle précision !
M. Jean Louis Masson. … a proposé la suppression du système des parrainages au profit d’un collège d’environ 100 000 élus, composé des parlementaires, des conseillers régionaux et généraux, des maires et des délégués des conseils municipaux.
Ce collège aurait été soumis à une obligation de vote, à bulletin secret, au chef-lieu de chaque département. Je regrette, une fois de plus, que M. Sarkozy n’ait pas donné suite à cette proposition d’une commission dont il était pourtant l’initiateur, alors qu’il s’était engagé, en 2007, à faire évoluer le système des parrainages.
Un sénateur du groupe socialiste. C’était une promesse !
M. Jean-Marc Pastor. Une de plus !
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Il avait fait beaucoup de promesses !
M. Jean Louis Masson. Oui, mais on aurait pu espérer que celle-là au moins soit tenue !
M. Jean Louis Masson. Troisièmement, j’évoquerai les pressions inadmissibles sur les élus et je reprendrai quelque peu ce que j’ai dit tout à l’heure.
Les « parrainages » peuvent agir aussi comme un moyen de pression ou de chantage contre un adversaire politique qui est, politiquement, un concurrent potentiel. Les « grands candidats » n’ont aucun problème puisqu’ils bénéficient du relais de leurs élus locaux dont le nombre est très nettement supérieur aux cinq cents signatures obligatoires. Ils ont donc ensuite tout loisir de donner des directives strictes pour empêcher les candidatures qui leur feraient de l’ombre.
Les « petits candidats », qui ne disposent pas de ces réseaux d’influence, ont eux l’impérieuse obligation de prospecter pour recueillir les signatures indispensables. C’est donc que la candidature n’est pas tout à fait libre et qu’elle favorise les grands, les puissants et les riches au détriment des petits. Pis, sur le terrain, les « petits » candidats semblent constituer une sorte de déstabilisateur que manipulent les grands partis. Un des « jeux » pratiqués est le suivant : la gauche accorde des signatures à des « petits » candidats de droite : Marie-France Garaud en 1981 et Philippe de Villiers en 1995. La droite adopte la même tactique en sens inverse, avec Arlette Laguiller de 1974 à 2007 et Dominique Voynet en 1995 ou Olivier Besancenot en 2007.
Comme le relève un article du Figaro – qui n’est pas suspecté d’être subversif (Sourires.) –, les preuves ne manquent pas : « Les grandes formations politiques tentent de faire obstacle à des candidatures qui bénéficient d’une audience importante au niveau national. L’exemple le plus révélateur est celui du candidat du Front national, Jean-Marie Le Pen.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Encore ?
M. Jean Louis Masson. Celui-ci n’a pu se présenter lors de l’élection présidentielle de 1981 faute de “parrains”.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. En 1962, pendant la guerre d’Algérie non plus !
M. Jean Louis Masson. En 1995, il est à peine arrivé à réunir quelques dizaines de signatures en plus des cinq cents nécessaires.
M. Bernard Piras. Il ne les a pas publiées !
M. Jean Louis Masson. Pourtant M. Le Pen avait obtenu 15 % des suffrages exprimés au premier tour. »
Alexis de Tocqueville disait : « c’est dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la portée du peuple. Sans institutions communales, une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de la liberté ». Or les maires de grandes villes sont presque tous politisés au profit des grands partis dominants.
Les petites communes représentent donc la soupape démocratique pour les candidats qui n’appartiennent pas à ces structures politiques dominantes et « institutionnelles ». Les maires de ces petites communes offraient jusqu’à présent, par leur diversité, une certaine garantie contre la politisation excessive de la vie politique, notamment à l’échelon local.
M. Jean Louis Masson. Toutefois, ils appréhendent maintenant d’exercer leur parrainage en raison du caractère public de celui-ci.
C’est d’autant plus vrai que le processus de décentralisation et l’obligation d’appartenir aux structures intercommunales ont aggravé la dépendance des petites communes et, par voie de conséquence, les pressions possibles qui s’exercent sur leurs maires. (Mme Françoise Férat s’exclame.) De la sorte, ces maires sont placés sous la dépendance d’exécutifs locaux de collectivités de plus grande taille, lesquels n’hésitent pas à pratiquer un véritable chantage aux subventions. (Exclamations sur plusieurs travées.)
M. Bruno Sido. Non !
M. Jean Louis Masson. Dès lors, les candidats des partis politiques bénéficiant de milliers d’élus, non seulement sont dispensés de cette recherche des parrainages qui nécessite des moyens considérables, mais en plus, utilisent leur surplus de parrainages pour orienter politiquement des candidatures parasites (M. Jean-Marc Todeschini s’exclame.) ou pour assécher le vivier des parrains potentiels en empêchant ainsi d’autres candidats d’atteindre le seuil des cinq cents signatures.
M. Bruno Sido. On l’avait compris, ce n’est pas la peine de le redire !
M. Jean Louis Masson. C’est particulièrement grave et antidémocratique.
En conclusion (Ah ! sur plusieurs travées de l’UMP)…
J’ai tout mon temps jusqu’à ce soir, et je l’utiliserai !
M. Bernard Piras. En l’occurrence, vous avez dépassé le temps qui vous était imparti !
M. Jean Louis Masson. En conclusion, disais-je, je déplore l’énorme problème juridique que pose l’article 3 de la loi du 6 novembre 1962 en raison de la publicité des parrainages. (M. Jean-Marc Todeschini s’exclame.) Il est donc totalement surréaliste que le Gouvernement se borne à proposer une modification microscopique de cet article 3 sur un sujet différent et d’un intérêt très limité.
En réduisant de seulement 2,5 % les dépenses de campagne remboursées par l’État, on veut mettre en œuvre une mesure dérisoire par rapport au gouffre du déficit budgétaire. Il est, en revanche, impensable de feindre d’ignorer dans le même temps l’ampleur du problème que le système des parrainages pose à la démocratie. Face au constat de cette incohérence, je propose donc que le dossier soit renvoyé à la commission.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Pour ne plus avoir à y revenir lors de l’examen des amendements, – M. Masson ne m’en voudra pas, malgré le plaisir que nous avons à l’écouter – je précise que la commission a émis un avis défavorable d’abord pour des raisons que j’ai déjà résumées lors du précédent débat puisque les arguments étaient les mêmes.
Ensuite, parce que la question soulevée, qui est importante, est sans rapport avec l’objet du texte, à la différence des amendements présentés par la commission, monsieur le ministre.
Enfin, je le répète et je crois que nous partageons tous ce point de vue, parce que le parrainage est un acte politique. La Constitution, en tout cas la loi organique du 6 novembre 1962 l’a conçu comme tel. On y parle non pas de parrainage, mais bien de présentation de candidature ou de proposition de candidature effectuée par les élus au suffrage universel que sont les maires. Par conséquent, leur responsabilité est nécessairement engagée par la décision d’apporter un soutien à tel ou tel candidat à travers l’acte de le présenter. On peut tenter de le dissocier, mais cela me semble difficile du point de vue de la clarté et de la transparence que vous évoquez.
J’ajoute que le nombre de « parrains » potentiels – puisque vous employez le terme « parrains » – est de près de 42 000. Si l’on ne parvient pas à trouver 500 signatures sur 42 000, on peut évidemment accuser le système, mais on peut sans doute aussi s’interroger sur les raisons pour lesquelles, sur 42 000 signataires potentiels, il n’y en a même pas 500 qui acceptent d’apporter leur signature et leur soutien.
Il peut y avoir la pression des « gros » partis, qui sont, je le rappelle, l’émanation du suffrage universel. Il peut y avoir aussi une interrogation légitime de certains parrains potentiels, présentateurs ou élus concernés, sur la question de savoir s’il est normal qu’ils apportent ou non, en leur âme et conscience et eu égard à leurs convictions, leur soutien.
Dans ce cas-là, me direz-vous, pourquoi limiter à 42 000 le nombre des parrains ? On pourrait évidemment ouvrir la désignation à l’ensemble de nos concitoyens. Votre argumentation contre la limitation actuelle et la publicité du nombre de parrains serait plus forte si vous disiez : ouvrons le parrainage à l’ensemble de nos concitoyens ! Or ce n’est pas ce que vous faites : vous voulez effectivement que nos concitoyens puissent éventuellement y être associés, mais à condition que cela soit de manière limitée et que, là encore, aucune publicité n’entoure cette désignation ou ce soutien.
La démocratie, c’est la clarté et la transparence ! Si l’on conteste le système actuel des parrainages, alors ouvrons à nos concitoyens, comme pour les référendums d’initiative populaire, le droit de choisir et de soutenir un candidat : le nombre de signatures pourrait atteindre cinq cent mille, un million… Là le débat pourrait être engagé, mais il le serait sur des bases démocratiques.
L’idée qu’il faille assurer la publicité simplement parce que des pressions seraient exercées sur les parrains potentiels ne me paraît pas recevable ni en l’état de notre droit ni en l’état de notre vie politique.
Donc, pardonnez-moi de vous le dire, votre vision est tout de même un peu caricaturale. Que ceux qui ont du mal à obtenir des parrainages s’interrogent sur leur politique, leur programme, leur attitude, et peut-être amélioreront-ils leur score en la matière ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. Monsieur Masson, vous présentez ici une motion tendant au renvoi à la commission.
J’ai le sentiment, monsieur le rapporteur, que ce texte a été amplement discuté en commission.
M. Gaëtan Gorce, rapporteur. Oui !
M. Philippe Richert, ministre. Je ne suis pas persuadé que son renvoi à la commission donnera un résultat différent de celui que la commission nous a présenté, d’ailleurs dans un sens qui n’est pas tout à fait celui que je souhaitais le cas échéant, mais il me paraît difficile d’imaginer que le renvoi à la commission changera fondamentalement l’approche du Sénat, en tout cas de la majorité sénatoriale.
Il me paraît donc tout à fait légitime d’émettre un avis défavorable sur cette motion tendant au renvoi à la commission.
Ensuite, sur le reste, je le répète, il y a sans doute matière à discussion. M. le rapporteur a donné des éléments de réponse qui me paraissent mériter un approfondissement, ils ont en tout cas l’intérêt de rappeler le lien politique entre le parrainage et le candidat qui se présente à l’élection présidentielle.
Pour ce qui me concerne, je veux bien accepter un débat, mais très franchement, à trois mois de l’élection présidentielle, sous prétexte que tel candidat n’a pas réussi à obtenir le nombre de parrainages suffisant afin de pouvoir se présenter en toute sérénité, cela pose deux questions.
La première – et je partage le point de vue de M. le rapporteur –, c’est que les candidats ont aussi le devoir de s’interroger parfois sur les raisons pour lesquelles ils n’arrivent pas à obtenir le nombre de signatures nécessaires pour se présenter.
On ne peut pas durant toute l’année expliquer que les élus ne sont pas à la hauteur de leur tâche et ensuite – comme un journal aujourd’hui le présente en caricature – leur demander de vous apporter leur soutien. Un certain nombre de ces candidats potentiels devraient de temps à autre s’interroger sur la façon dont ils traitent, durant toute l’année et parfois pendant cinq ou six ans, les élus.
La seconde question, c’est que l’on ne peut pas décider un tel changement à trois mois d’une élection présidentielle. Il est inimaginable que, parce que tel ou tel candidat n’arrive pas à obtenir satisfaction, dans le cadre de la loi, on la modifie simplement pour que les candidats potentiels n’aient plus à justifier ces parrainages.
Voilà pourquoi il me semble que ce débat, s’il doit avoir lieu – et je pense qu’il doit avoir lieu –, ne peut pas se dérouler maintenant. C’est la raison pour laquelle j’ai émis un avis défavorable sur cette motion tendant au renvoi à la commission et je serai de nouveau amené à émettre des avis défavorables sur les amendements, sans revenir systématiquement sur les arguments que j’ai déjà développés.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 15, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants afin de permettre les derniers préparatifs de la retransmission, par Public Sénat et par France 3, des questions cribles thématiques ; nous les reprendrons à dix-sept heures précises.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures.)
M. le président. La séance est reprise.