M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon, pour la réplique.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le ministre, nous prenons acte de votre réponse.
Cela étant, je ne peux que souscrire aux propos de mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, qui, voilà quelques instants, vous invitait à examiner de beaucoup plus près le verdict du tribunal de Turin et, surtout, à en tirer les enseignements.
Il me semble que les victimes et leur famille attendent plus que des déclarations d’intention : elles souhaitent que justice leur soit enfin rendue et que l’on arrête de les victimiser une nouvelle fois en leur réclamant le remboursement de ce que d’aucuns appellent un « trop-perçu ».
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite revenir sur le sujet de l’amiante et associer à ma question ma collègue sénatrice du Nord, Michelle Demessine, qui, comme moi, est mobilisée aux côtés des victimes.
Il faut dire que notre région, le Nord – Pas-de-Calais, est, malheureusement, particulièrement concernée : sur ce territoire, tout le monde connaît au moins un proche concerné par l’amiante et les cancers qu’il provoque. Les victimes subissent ce poison dans leur corps et dans leur âme. Des salariés meurent chaque année du fait de leur travail parce que les lobbies patronaux ont retardé l’interdiction de l’amiante jusqu’en 1976, alors que ses effets nocifs étaient connus depuis 1905. Telle est la réalité !
S’il est impossible de revenir sur le passé, il importe aujourd’hui que les personnes concernées soient indemnisées dans les meilleures conditions ; c’est d’ailleurs la raison même de l’existence du FIVA.
C’est aussi pourquoi les victimes et les associations ne peuvent comprendre ni les décisions rendues par la cour d’appel de Douai ni les actions en remboursement engagées par le FIVA. Cette situation est d’autant plus incompréhensible que les actions récursoires que devrait logiquement engager le FIVA contre les employeurs ne sont que trop rares. Or comment ne pas faire le lien entre l’évolution à la baisse des indemnités versées aux victimes par le Fonds et le manque de dynamisme dans les actions engagées à l’encontre des employeurs ? Le sentiment que le Fonds applique deux poids et deux mesures suscite, à juste titre, la colère des victimes, qui sont également attentives à ce qui se passe en Italie.
Monsieur le ministre, vous venez de rappeler que vous avez demandé à la direction du FIVA un examen des dossiers au cas par cas. Si cette démarche constitue un premier pas dans la prise en compte des souffrances des victimes, elle n’est pourtant pas suffisante. La preuve en est : peu après votre annonce, le FIVA déposait de nouveaux recours.
Ma question est donc double et s’adresse à vous en tant que ministre de tutelle du FIVA.
Premièrement, quand allez-vous enfin demander au FIVA qu’il renonce aux actions en cours, ainsi qu’à celles qu’il pourrait engager, et qu’il adopte le principe d’une remise gracieuse au bénéfice des victimes déjà condamnées, seul moyen de régler le problème d’une manière humaine ?
Deuxièmement, qu’entendez-vous faire pour que le FIVA se retourne désormais plus régulièrement et avec plus de détermination contre les employeurs qui sont les vrais responsables de la situation que vivent les malades ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Monsieur le sénateur, vous avez parlé des actions récursoires du FIVA contre les entreprises : sachez que 1 900 actions sont actuellement engagées, pour un montant de 26 millions d’euros par an. Je ne peux donc pas laisser dire que le FIVA n’engage pas d’actions récursoires !
Pour le reste, j’ai eu l’occasion de répondre, à l’Assemblée nationale, à une question d’actualité portant sur ce sujet. On m’a reproché d’outrepasser mon rôle en intervenant auprès du FIVA pour que tous les cas soient examinés individuellement.
Permettez-moi de vous faire observer qu’il faudrait également examiner comment ces personnes ont pu se retrouver dans une telle situation, car elles ont été accompagnées dans leurs démarches par des associations et ont eu recours aux services de conseils. Or elles se trouvent aujourd’hui dans une situation difficile. Aucun aspect du problème n’est donc à négliger.
Par ailleurs, quand vous dites que le FIVA aurait engagé des recours contre les victimes de l’amiante, il s’agit simplement de la notification des décisions de la Cour de cassation, comme je l’ai dit tout à l’heure, et de rien de plus !
J’ai eu l’occasion d’expliquer à des parlementaires appartenant à diverses sensibilités politiques, dont Mme Demessine faisait partie, que nous étudiions comment traiter au mieux ces dossiers : l’étalement du remboursement des doubles indemnisations et les recours gracieux ne sont ni impossibles ni interdits. C’est donc sur ces bases que nous travaillons aujourd’hui.
Pour le reste, vous ne pouvez pas faire l’économie d’un examen au cas par cas et le FIVA travaille dans cet état d’esprit. Je tiens à réaffirmer que ses membres ont les mêmes conceptions que moi – je crois même pouvoir dire : que nous – en la matière.
Enfin, s’agissant des actions récursoires, elles sont exercées à l’encontre des entreprises concernées, et c’est normal !
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour la réplique.
Mme Annie David. Monsieur le ministre, nous entendons bien votre réponse : les situations doivent être examinées au cas par cas, la justice est indépendante et ses décisions doivent être respectées. Dans votre précédente réponse, vous avez évoqué les listes des entreprises reconnues comme ayant exposé leurs salariés à l’amiante, il me semble bien que ces listes sont désormais closes et que de nouvelles entreprises ne pourront pas y être inscrites.
En abordant la question des actions récursoires, mon groupe a souhaité relancer la discussion sur la responsabilité des employeurs et revenir sur la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010, qui a reconnu le principe d’une indemnisation intégrale des préjudices subis par les victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, dès lors que la faute inexcusable de l’employeur est reconnue.
Monsieur le ministre, sans doute serait-il temps d’engager, de nouveau, une réflexion sur cette réparation intégrale, en revenant, il est vrai, sur la loi de 1898. Cette loi, en instituant une présomption de responsabilité de l’employeur, a permis d’instaurer ce régime d’indemnisation forfaitaire. Il me semble que, sans remettre en cause le principe de l’imputabilité de la faute à l’employeur, nous devrions engager une discussion pour aboutir, enfin, à une réparation intégrale des préjudices subis par l’ensemble des victimes du travail, non seulement celles de l’amiante, mais aussi celles d’autres maladies professionnelles.
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a plus d’un siècle, la loi du 9 avril 1898 créait un régime spécial d’indemnisation des victimes d’accident du travail, élargi en 1919 aux maladies professionnelles, et constituant une énorme avancée pour tous les travailleurs, mais n’ouvrant droit qu’à une indemnisation forfaitaire, donc nécessairement partielle.
Entre-temps, le législateur a ouvert à toute une série de victimes, notamment les victimes d’accidents de la route ou d’erreurs médicales, le droit à une réparation intégrale, qui prend donc en compte tous les préjudices, de la perte de capacité aux pertes financières, en passant par la souffrance physique et morale, la perte de qualité de vie et le préjudice esthétique.
Notre système de réparation est donc profondément injuste pour les victimes du travail. Alors même que le Président de la République a fait de la « valeur travail » un credo, on ne peut demander aux travailleurs de s’engager toujours davantage et les laisser tomber quand ils paient cet engagement de leur santé et de leur vie : toutes les victimes du travail ont droit à une réparation intégrale de leurs préjudices.
Le 18 juin 2010, le Conseil constitutionnel, par un revirement de jurisprudence, a enfin permis aux victimes du travail d’obtenir la réparation intégrale de leurs préjudices, dès lors qu’elles font reconnaître la faute inexcusable de leur employeur. Mais, pour diverses raisons, l’application de cette jurisprudence se heurte, sur le terrain, à de nombreuses difficultés et, de toute manière, elle ne concerne que les cas dans lesquels la faute inexcusable de l’employeur peut être engagée, donc une trop faible part des victimes du travail.
De plus, les personnes malades, atteintes d’une incapacité grave, ou leur famille, doivent multiplier les démarches, mener des combats judiciaires longs et éprouvants, alors qu’elles sont déjà affaiblies physiquement et psychologiquement. Cette situation ne nous paraît pas normale et nous pensons que nous ne pouvons faire l’économie d’une révision de la loi de 1898, sur ce point comme sur d’autres, d’ailleurs.
Le législateur pourrait notamment intervenir pour exiger une réparation intégrale de tous les accidents du travail et des maladies professionnelles, ce qui simplifierait considérablement la vie des accidentés et des malades du travail, qui ont, eux aussi, droit à la sérénité et à la tranquillité. Monsieur le ministre, pourquoi n’avoir pas encore engagé une telle réforme ? (MM. Jean Desessard et Claude Jeannerot applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Madame la sénatrice, tel est bien le sens de la mission confiée à Mme Ruellan, afin de proposer des modifications qui seront intégrées au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, dont vous aurez à débattre à la fin de l’année 2012.
Vous le savez, la demande d’une réparation intégrale des sinistres professionnels est récurrente de la part de nombreux acteurs et elle s’est évidemment avivée, vous avez eu raison de le souligner, depuis la décision rendue le 18 juin 2010 par le Conseil constitutionnel sur notre système de réparation.
Je tiens à préciser la portée de cette décision. Le Conseil constitutionnel a confirmé la constitutionnalité de l’indemnisation forfaitaire des accidents du travail et maladies professionnelles, en émettant une réserve : les victimes et leurs ayants droit peuvent s’adresser au tribunal pour demander à l’employeur, lorsque celui-ci a commis une faute inexcusable, la réparation des dommages que la sécurité sociale ne répare pas. Le Conseil constitutionnel, dans cette dernière hypothèse, reconnaît aux victimes le droit à réparation de tous leurs préjudices, mais ne leur ouvre pas droit à la réparation intégrale de chacun des préjudices. Je m’efforce d’être précis, parce que ce sujet est complexe, même si celles et ceux qui sont directement concernés feront la part des choses, car ils connaissent le sens de chacun de ces mots.
Vous le savez, l’État s’est engagé, avec la CNAM, dans la convention d’objectifs et de gestion pour les années 2009 à 2012, à entreprendre les travaux préalables nécessaires à une rénovation de la réparation des accidents du travail. Mme Rolande Ruellan, ancienne présidente de la sixième chambre de la Cour des comptes, a été désignée le 6 juin dernier pour diriger un groupe de travail qui s’est déjà réuni à trois reprises dans une formation limitée aux administrations et caisses de sécurité sociale intéressées. Ce groupe de travail sera étendu, en avril, aux partenaires sociaux et à la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, la FNATH, qui ont d’ores et déjà désigné leurs représentants, afin que ce travail ne prenne pas le moindre retard. (Mme Sophie Primas applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, pour la réplique.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse ; cela dit, j’ajouterai deux remarques.
D’une part, le groupe de travail auquel vous faites allusion n’est composé pour l’instant, selon nos informations, que de représentants de l’administration. Un certain nombre de partenaires sociaux qui avaient souhaité y être associés ne le sont pas et nous avons l’impression que ce travail s’engage très lentement, puisqu’ils n’ont reçu aucune information.
D’autre part, en ce qui concerne les réparations dues en cas de faute inexcusable de l’employeur, de multiples exemples montrent que, de fait, l’obtention d’une indemnisation intégrale est actuellement très aléatoire, car il est extrêmement difficile de savoir qui paie : les CPAM sont censées faire l’avance des frais, mais elles refusent de le faire pour la totalité de l’indemnisation ; il faut alors se retourner contre l’employeur, alors que les victimes, à ce stade, ont déjà derrière elles plusieurs années de procédure. J’y insiste donc : même quand la faute inexcusable de l’employeur est reconnue, il est extrêmement difficile d’obtenir que l’indemnisation intégrale soit appliquée.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est aujourd’hui plus que vraisemblable que les risques liés à l’utilisation de produits phytosanitaires aillent bien au-delà des seules maladies respiratoires et affections cutanées. En effet, depuis plusieurs années, tous les travaux scientifiques convergent.
Selon une étude réalisée par l’université de Harvard en 2006, confirmée à plusieurs reprises depuis, une exposition aux pesticides augmente de 70 % le risque de développer la maladie de Parkinson. De même, les premiers résultats relatifs au cancer doivent nous alerter : d’après le rapport de référence de l’INRA sur les pesticides, « des effets cancérigènes, neurotoxiques ou de type perturbateurs endocriniens des pesticides ont été mis en évidence chez l’animal. La question des risques pour l’homme […] est donc posée. » L’étude CEREPHY va même plus loin en soutenant que les sujets les plus exposés encourent un risque plus de deux fois supérieur d’être atteints d’une tumeur cérébrale.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, plusieurs dizaines d’agriculteurs ont déjà obtenu devant les tribunaux la reconnaissance comme maladie professionnelle de la maladie de Parkinson, de leucémies ou de myélomes, du fait d’une exposition aux pesticides.
Réduire de 50 % les quantités de pesticides utilisés par l’agriculture dans les dix ans à venir, selon l’objectif fixé par le Grenelle de l’environnement, constitue certes un objectif louable, mais ne prend pas en compte l’ampleur de ce véritable problème de santé publique.
Monsieur le ministre, le monde agricole, qui paie aujourd’hui un lourd tribut, ne peut plus se contenter de déclarations d’intention. Je souhaite donc savoir quand le Gouvernement va enfin permettre à l’ensemble des trop nombreuses victimes contaminées par des produits phytosanitaires d’être facilement et convenablement indemnisées en procédant au classement de ces pathologies en maladies professionnelles ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – M. Jacques Berthou applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Monsieur le sénateur, il s’avère que le ministre du travail et de l’emploi est aussi le ministre de la santé. En ce qui concerne les questions que vous avez soulevées, il ne me semble pas possible de les hiérarchiser les unes par rapport aux autres.
Votre question appelle une double réponse. Tout d’abord, il ne m’a pas échappé que vous faisiez allusion à la réparation des préjudices subis, puisque vous avez mentionné une décision de justice qui a fait l’objet de nombreux commentaires. Des procédures particulières sont effectivement engagées sur la question du classement en maladie professionnelle et sur celle de la réparation.
Ensuite, comme je pense à l’ensemble des Français qui peuvent être exposés à ces risques – ce n’est pas parce que je suis élu dans un département agricole que cet aspect m’aurait échappé, loin s’en faut ! –, je considère que cette décision de justice doit nous inciter à réfléchir à la prévention du risque chimique, notamment celui qui résulte de l’emploi de produits phytosanitaires. Cette question fait partie des cibles prioritaires de la deuxième édition du plan Santé au travail, qui concerne les années 2010 à 2014.
Les questions relatives à la réparation et aux procédures judiciaires sont au cœur de l’actualité, mais nous n’avons pas attendu la décision de justice à laquelle vous avez fait allusion pour envisager la mise en œuvre de la prévention : tout le secteur de l’agriculture est bien concerné par cette dimension. Si nous pouvons être plus efficaces encore dans ce domaine, nous avons le devoir d’agir et cette mission intéresse non seulement le ministre du travail, mais aussi le ministre de la santé. (Mme Catherine Troendle et Mlle Sophie Joissains applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet, pour la réplique.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le ministre, je ne peux que souscrire à vos propos relatifs à l’amélioration de la prévention : vous avez raison et la volonté que vous avez exprimée est aussi la nôtre.
Cependant, ces risques n’étaient pas connus en d’autres temps – et il n’y a pas si longtemps encore ! – et la politique de prévention est très récente. Je souhaitais donc insister auprès de vous pour que celles et ceux qui n’ont malheureusement pas pu bénéficier de cet effort de prévention et se trouvent, du coup, victimes de maladies graves soient indemnisés convenablement et selon des procédures qui ne soient pas trop compliquées, afin que cette indemnisation puisse intervenir dans les meilleurs délais. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – MM. Claude Jeannerot et Jean Besson applaudissent également.)
M. Robert Tropeano. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aider les victimes à obtenir une juste et légitime compensation du préjudice subi dans le cadre de leur activité professionnelle constitue bien entendu un impératif auquel nous devons répondre.
Mon propos se situe en amont de l’indemnisation proprement dite. En effet, pour indemniser, encore faut-il reconnaître la maladie.
Si les accidents du travail connaissent un recul, le nombre de maladies professionnelles déclarées et reconnues a augmenté ces dix dernières années. Cette reconnaissance a néanmoins des limites.
Il existe, de longue date, une sous-déclaration des accidents du travail et plus encore des maladies professionnelles. Les raisons en sont multiples, comme le manque d’information des salariés ou la formation insuffisante des médecins traitants et hospitaliers, qui ne font pas suffisamment le lien entre les pathologies et l’activité professionnelle du patient.
La médecine du travail joue un rôle majeur dans le diagnostic, la prévention ou encore la déclaration d’une maladie professionnelle, mais elle doit rompre son isolement, tout en étant confrontée à une situation particulièrement tendue, dans cette branche, en matière de démographie médicale.
La réforme adoptée cet été constitue une réponse à plusieurs de ces inquiétudes, en plaçant notamment le médecin du travail au centre d’une équipe pluridisciplinaire. Elle était très attendue.
Deux décrets d’application viennent d’être publiés, monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer quels sont les premiers retours et comment s’engage cette réforme sur le terrain ?
Par ailleurs, le dernier rapport Diricq a souligné l’insuffisance de la formation des futurs médecins en ce qui concerne la connaissance des pathologies professionnelles, compte tenu du faible nombre d’heures qui y est consacré au cours des six années d’études. Comment pensez-vous inciter les universités à améliorer cette formation ?
Enfin, l’assurance maladie a mis en place en 2011 une offre de services en ligne pour aider les médecins à repérer, à déclarer les maladies professionnelles et à orienter les patients. Des formations continues spécialisées sont proposées. Des expérimentations de repérage dans le domaine des cancers professionnels, notamment des cancers de la vessie, ont lieu dans plusieurs régions. Il est sans doute encore trop tôt pour évaluer ces dispositions. Nul doute que le résultat sera très intéressant en matière de déclaration et de reconnaissance des maladies professionnelles. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Madame le sénateur, en matière de sous-déclaration des maladies professionnelles, la solution porte avant tout, même si elle n’est pas la seule, sur la formation et l’information des médecins. Il s’agit, vous l’avez rappelé, de l’une des préconisations du rapport Diricq de juillet 2011.
Plusieurs actions ont déjà été entreprises. La Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS, a réalisé deux campagnes d’information auprès des médecins traitants – en 2008 sur les maladies professionnelles et en 2011 sur les troubles musculosquelettiques, dits TMS, et la prévention de la désinsertion professionnelles – et une large campagne médiatique nationale sur les TMS de 2008 à 2010, sur mon initiative.
Elle a développé, dans le cadre de la formation professionnelle conventionnelle, des modules de formation sur les risques professionnels à destination des médecins : 185 formations ont ainsi été dispensées entre 2007 et 2009 à environ 3 000 participants.
La Caisse régionale d’assurance maladie d’Île-de-France, la CRAMIF, a mis en place un outil internet à l’attention des médecins traitants. Celui-ci ayant porté ses fruits, il a été repris en mai 2011 sur le site « ameli.fr » de la CNAMTS.
Enfin, la Haute Autorité de santé a publié, en janvier 2009, des recommandations relatives au contenu et à la tenue du dossier médical au travail, afin d’améliorer les pratiques professionnelles des médecins du travail.
Telles sont les premières pistes sur lesquelles nous avons agi. Elles sont réelles et consistantes. Faut-il aller plus loin ? Certainement !
Les décrets d’application de la loi du 20 juillet 2011 sur la réforme de la médecine du travail ont été publiés le 31 janvier 2012. Cette réforme était attendue et les décrets étaient, eux aussi, attendus. Je pense que nous disposons des outils pour faire évoluer et moderniser la médecine du travail. Ces décrets précisent les missions des services de santé au travail interentreprises, notamment celles du médecin du travail, en définissant aussi – c’était très attendu ; vous aviez été nombreux à intervenir ici même au cours du débat – les actions et les moyens des différents membres de l’équipe pluridisciplinaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.
Mme Catherine Deroche. Il est vrai que les dispositions mises en place par la CNAMTS vont porter leurs fruits. Pour ma part, je suis dans l’attente des résultats, notamment en ce qui concerne le repérage des cancers professionnels.
Quant à la médecine du travail, nous souhaitions que les décrets d’application soient publiés rapidement tant la situation est tendue dans certains services médicaux interentreprises. Certaines entreprises ne parviennent pas à remplir leurs obligations. C’est également le cas de certaines collectivités locales qui, comme dans mon département, n’assurent plus le suivi de leurs agents du fait des difficultés rencontrées par les services de médecine du travail. (Mlle Sophie Joissains applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson.
Mme Catherine Génisson. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur les mesures envisagées pour lutter contre les risques psychosociaux en entreprise. Ces risques d’origines variées mettent en jeu l’intégrité physique et la santé mentale des salariés et induisent un fonctionnement perturbé de l’entreprise.
Conscient d’un problème qui n’est pas sans lien avec la pression exercée à la suite du « travailler plus », vous avez donné une première impulsion, le 9 octobre 2009, en présentant un plan d’action d’urgence pour la prévention du stress au travail, un deuxième plan « Santé au travail » devant pérenniser le premier.
Pourtant, l’état des lieux demeure inquiétant. La culture du résultat, de la performance et les systèmes de management reposant sur des injonctions paradoxales et ne privilégiant que l’exécution à court terme au détriment d’activités créatrices se développent dans une rupture croissante avec toute notion d’humanité, le tout étant souvent étroitement lié à une situation économique où la finance et la course à la compétitivité ont pris le pas sur l’industrie.
La tension générée est souvent pathogène, mais, hélas ! la découverte du burn out ne se réalise que quand celui-ci est bien avancé, souvent quand il est déjà trop tard.
Est-il utile de rappeler les 107 suicides qui ont fait l’objet d’une reconnaissance au titre des accidents du travail durant la période 2008–2009 ?
Comment supporter la vague de suicides, sur le lieu de travail et en dehors, chez France Télécom, Renault, Pôle emploi ? Récemment, dans le Nord – Pas-de-Calais, un jeune inspecteur du travail de trente-deux ans a mis fin à ses jours, huit mois après la tragédie qui a touché un inspecteur du travail dans un autre département.
Trois cents agents de contrôle de l’Inspection du travail viennent de se réunir pour demander au Gouvernement la reconnaissance de ces deux suicides en accident de service, pour que soit établi le lien entre la dégradation de leurs conditions de travail et ces actes désespérés, ainsi que pour ouvrir la voie à une indemnisation des familles.
L’entreprise est dorénavant souvent perçue comme une « machine à broyer » l’individu. Il y a urgence à renverser la situation. « Travailler mieux », tel est l’esprit qui doit soutenir une véritable politique active en matière de prévention, la souffrance au travail constituant un véritable problème de santé publique.
L’accord du 20 novembre 2009 constitue un premier engagement, comme la circulaire du 21 juin 2011 et la reconnaissance, le 7 février dernier, de la tentative de suicide de l’inspecteur du travail comme accident de service.
Cependant, tout cela est bien insuffisant. Le métier n’est pas qu’une source de rémunération ; il est partie prenante de l’épanouissement personnel, de l’intégration et du lien social.
Aussi, je vous demande, monsieur le ministre, quelles mesures concrètes vous entendez prendre pour établir le lien entre la dégradation des conditions de travail et les pathologies de souffrance au travail, avec l’indemnisation qu’il sous-tend.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Madame le sénateur, nous poursuivons au Sénat les échanges que nous avons eus à l’Assemblée nationale.
Il est dangereux, pour ne pas dire aussi douloureux, de pratiquer l’amalgame entre des situations très différentes, dans les diverses entreprises et administrations que vous avez évoquées.
Une sénatrice du groupe UMP. Bravo !
M. Xavier Bertrand, ministre. Je me suis rendu dans des entreprises concernées par la question du suicide sur le lieu de travail : si les choses avaient été simples, les représentants des organisations syndicales que j’ai rencontrés me l’auraient dit. Certains avaient reconnu s’être trouvés en contact avec une personne qui s’était suicidée quelques jours après sans avoir détecté quoi que ce soit. Vous êtes très avertie de ces questions de santé, madame le sénateur, et vous savez donc bien que rien n’est plus difficile que de prévenir de tels actes et de prendre en compte de telles situations.
Vous avez développé tout un amalgame sur la finance, etc. Or les changements dans l’organisation du travail liés aux trente-cinq heures – je ne suis pas le seul à le dire – ont également généré du stress. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Je le dis sans passion…