M. le président. La parole est à M. Yves Rome.
M. Yves Rome. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dans la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, ainsi que dans différents rapports, nos collègues Hervé Maurey et Philippe Leroy dressent un bilan préoccupant de la politique mise en œuvre depuis quelques années pour l’aménagement numérique de notre territoire. Si nous partageons un grand nombre de leurs critiques, nous considérons que ce texte demeure, malheureusement, dans le giron du programme national, par trop libéral, monsieur le secrétaire d’État.
M. Yves Rome. En premier lieu, pour atteindre les objectifs ambitieux de couverture en très haut débit, il est impératif de « réviser les modalités du modèle de déploiement retenu », des parties entières du territoire, ce constat a été maintes fois rappelé, étant « non desservies ou de façon insatisfaisante ».
S’agissant du haut débit, si plus de 98 % des Français ont accès à des services ADSL, le taux de couverture tombe, selon l’ARCEP, à 77 % seulement pour les connexions bénéficiant d’un débit supérieur ou égal à 2 Mbits, seuil minimum pour un haut débit correct, alors même que le triple play nécessite, par exemple, un débit d’au moins 8 Mbits pour offrir un service confortable. Or actuellement, 48 % des lignes ADSL seulement bénéficient de plus de 10 Mbits.
Si les territoires ruraux sont les premiers lésés, les quartiers urbains mais peu denses connaissent le même sort. Des inégalités de couverture sont donc manifestes. Et qu’en sera-t-il demain ? Si nous devons absolument faire le choix de la fibre pour l’avenir, nous savons bien que la construction de ce nouveau réseau prendra du temps – dix ans, selon les plus volontaristes, vingt ans selon le programme actuel, véritable écran de fumée ! Il exigera par ailleurs – faut-il le souligner ? – entre 20 et 40 milliards d’euros, selon les estimations.
Au-delà des inégalités constatées dans les zones denses, la fracture numérique ne cesse de se creuser entre les territoires, laissant des secteurs entiers non couverts. La politique menée ces dernières années est très largement responsable de cette situation.
Vous l’avez vous-même longuement détaillé, monsieur le secrétaire d’État, le PNTHD fait la part belle aux opérateurs privés, au détriment des collectivités territoriales, lesquelles devraient pourtant être au cœur de l’aménagement numérique de notre territoire.
Les « intentions d’investissement » des opérateurs privés sont bien peu contraignantes : elles n’engagent ces opérateurs en rien, ni sur le plan financier ni en termes de calendrier. D’ailleurs, leur abandon ne peut pas être sanctionné, alors même – ce fait a également été souligné – qu’ils empêchent dans le même temps les collectivités territoriales d’agir.
L’écrémage du territoire est donc mis en œuvre, et il n’est plus supportable pour bon nombre de collectivités, en proie à la plus grande incertitude financière et juridique : elles ne doivent pas être condamnées à assumer un rôle de supplétif par rapport à l’initiative privée, dans les zones les moins denses et donc les plus coûteuses à couvrir ! Au surplus, ces collectivités territoriales ont acquis ces dernières années une véritable expertise en matière de très haut débit. En prise directe avec les attentes sociales sur l’accès aux usages, nombre d’entre elles bénéficient déjà des acquis de leur engagement dans des politiques locales et volontaristes de réseaux d’initiative publique.
À cet égard, et en tant que président de l’association des villes et des collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel, l’AVICCA, dont M. Leroy est le secrétaire général et qui regroupe plus de 200 collectivités locales – agglomérations, syndicats mixtes, départements, régions – je ne peux que me féliciter du niveau de compétence que les collectivités ont atteint et du fort potentiel qu’il leur reste encore à déployer, à condition, bien entendu, que l’on donne aux élus locaux les moyens d’agir.
Or, comme le souligne M. Maurey lui-même, le FANT reste un « fonds sans fonds » (Sourires.), un panier percé ou une coquille vide, si vous me permettez cette accumulation de métaphores. Quant au Fonds pour la société numérique, le FSN, doté de 900 millions d’euros, il n’offre aucune visibilité au-delà d’une période de trois ans. Ce faisant, il insécurise au plus haut point les projets de collectivités, enserrées dans le carcan du cadre actuel.
Monsieur le secrétaire d’État, cette situation n’est plus acceptable. De plus, elle contredit vos ambitions comme celles du Président de la République.
La présente proposition de loi tente de pallier ces incohérences.
M. Yves Rome. Toutefois, si nous partageons assez largement le diagnostic de nos collègues Hervé Maurey et Philippe Leroy, nous considérons cependant que le texte qui nous est présenté ne vise pas à changer le modèle ultralibéral,…
M. Bruno Retailleau. Ultralibéral ?
M. Pierre Hérisson. Il ne faut pas exagérer !
M. Yves Rome. … retenu pour l’organisation du déploiement du très haut débit en France.
Cette proposition de loi se contente de réviser le dispositif existant en corrigeant ses défauts les plus visibles. Certes, monsieur le rapporteur, c’est un progrès particulièrement significatif. Néanmoins, nous souhaitons évidemment aller beaucoup loin, car, si nous ne changeons pas rapidement de paradigme ou, pour être plus clair, de modèle, nous ne parviendrons pas à respecter les engagements ambitieux que nous nous sommes collectivement fixés.
À l’origine de 25 % de la croissance et de plus de un million d’emplois créés, le numérique est un levier économique majeur qu’il serait temps de considérer comme tel, surtout dans le contexte de la crise que nous traversons : oui, aujourd’hui et encore davantage demain, le numérique constitue et constituera la ligne de front de la compétition économique.
À cet égard, nous ne sommes pas sans ressources : nous devons nous montrer capables de tirer les enseignements de plus de dix ans d’expérience fructueuse, bâtie autour du modèle mis en œuvre pour le déploiement du haut débit, dont vous-même soulignez la qualité, monsieur le secrétaire d’État.
Or ce résultat a été atteint parce que l’on a reconnu la place éminente des collectivités territoriales dans le déploiement du haut débit. Nous le devons d’ailleurs à nos précurseurs, notamment ceux qui ont pris l’initiative d’insérer ce qui allait devenir l’article L.1425-1 du code général des collectivités territoriales, autorisant les réseaux d’initiative publique, qui ont su marier fort judicieusement initiative publique et initiative privée, notamment dans le cadre des délégations de service public, et jouant ainsi un rôle d’aiguillon incontestable, pour l’opérateur historique mais aussi pour les opérateurs alternatifs.
C’est la raison pour laquelle nous vous proposons d’amender ce texte. Dans cette perspective, deux lignes de force sont à privilégier : premièrement, encadrer plus strictement les engagements des opérateurs privés, en vue d’une véritable obligation de complétude de leur réseau de desserte ; deuxièmement, conforter le rôle des collectivités territoriales.
Mais, au-delà de ces aménagements, des choix essentiels restent à opérer pour ce qui concerne le statut de la boucle cuivre, le mode d’alimentation des aides publiques ou la complémentarité de solutions alternatives au très haut débit, notamment par l’usage du satellite et de la téléphonie mobile, à titre prudentiel, afin de ne pas retarder le déploiement de la fibre, car telle est notre ambition.
Certaines questions ne peuvent pas être tranchées en l’état actuel de la réflexion collective : elles le seront en temps voulu. Si en effet le financement du FANT constitue un enjeu central, mieux vaut définir au préalable les besoins d’investissement en fonction des rôles respectifs qui seront dévolus aux opérateurs privés et aux collectivités publiques.
Ce qui est certain, c’est qu’un système péréquateur et pérenne devra être privilégié pour corriger au plus vite les inégalités engendrées par les choix idéologiques d’un gouvernement qui manque parfois de souffle.
M. Yves Rome. Monsieur le secrétaire d’État, si des analyses pertinentes sont à l’origine du texte que nous examinons aujourd’hui, ayons la sagesse d’interroger les solutions qui nous sont proposées aujourd’hui sous l’angle de leur efficience et de les amender à juste titre.
Les termes du débat sont posés, témoins de la prise de conscience collective de l’enjeu considérable que représente le très haut débit pour nos territoires et notre place dans la compétition économique. Ne nous arrêtons pas en route. Préparons le terrain d’un autre modèle d’aménagement numérique, cohérent, pérenne et solidaire. Donnons à nos territoires les moyens d’exercer leur expertise et engageons avec eux, dans le cadre d’un nouveau pacte de confiance et de croissance, ce vaste chantier d’avenir : le numérique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger.
M. Yves Krattinger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après ces interventions brillantes et pertinentes, je vais essayer de développer devant vous une vision concrète, partagée par de nombreux élus locaux, de la question que nous abordons aujourd’hui.
Il faut en être conscient, la situation de départ est extrêmement défavorable pour les territoires ruraux.
Je retiendrai trois indicateurs : la couverture, le dégroupage, les infrastructures.
En termes de couverture, les foyers situés en zones blanches sont en nombre supérieur à la moyenne nationale. Ainsi, dans mon département, 27 % de la population ne peut disposer d’une connexion à un débit nominal de 2 Mbits par seconde et 55 % de cette même population est inéligible à un débit de 8 Mbits par seconde.
En termes de dégroupage, il existe peu d’opérateurs dégroupeurs en milieu rural, ce qui constitue un frein au déploiement de l’offre triple play pour les foyers non dégroupés.
En termes d’infrastructures, celles des zones rurales, telles que les nœuds de raccordement d’abonnés, les sous-répartiteurs, sont de petite taille, voire de très petite taille. L’évolution et l’entretien sont difficiles ; les multiplexeurs sont des obstacles à l’ADSL et les NRA ne sont pas opticalisés.
Quant au contexte économique et réglementaire, le modèle est figé et fonctionne « à l’envers » d’une logique de péréquation.
En effet, les zones d’appel à manifestations d’intentions d’investissement répondent, d’une part, à une logique d’écrémage et, d’autre part, à une logique de profits, ce qui se révèle contraire à l’aménagement équilibré du territoire et à la réduction de la fracture numérique.
Les opérateurs privés investissent en zones denses, comme le démontre la situation désormais établie des appels à manifestations d’intentions d’investissement. Aucune perspective d’investissement privé n’est prévue en zones non denses dans les infrastructures à très haut débit ou pour la résorption des zones blanches de l’ADSL.
Il n’y a pas de péréquation entre les zones denses rentables, lesquelles sont préemptées par les opérateurs, et les zones rurales non rentables, qui sont laissées aux collectivités, ce qui amplifie la fracture numérique ville-campagne.
La cible « 100 % FTTH » est totalement hors de portée pour les territoires ruraux.
Il est donc impossible de déployer directement la fibre optique dans toutes les zones cibles FTTH, avec pour conséquence non négligeable que se superpose le coût des technologies cibles pérennes – FTTH, 4G – et celui des solutions d’attente – WiFi, WiMax, montée en débit des points de raccordement mutualisés –, ce qui conduit à une facture plus lourde pour les collectivités rurales.
Après la fracture, la facture ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
Dans ces conditions, quelle approche pouvons-nous retenir ?
Il s’agit de rechercher une voie plus réaliste et plus crédible vers le très haut débit, en associant un mix de technologies additionnant FTTH, montée en débit, radio et 4G, et en « prenant la main » sur l’aménagement numérique, avec pour ambition de déclencher un effet de levier et de reconfigurer l’écosystème de l’aménagement numérique.
Quel scénario d’action pouvons-nous retenir, par ordre croissant d’interventionnisme dans le temps ?
La première hypothèse, privilégiée par certains pour le moment, est de ne rien faire, de « laisser faire », et donc de laisser monter le mécontentement. Il n’y aura alors aucun investissement privé, compte tenu des « engagements » en zones denses. C’est évidemment inenvisageable pour les élus des territoires, en raison des enjeux économiques – les entreprises se tournent vers eux –, des usages des services publics et des besoins des foyers. Les collectivités sont donc en quelque sorte contraintes d’agir.
La deuxième hypothèse consiste à agir en complémentarité, c’est-à-dire en complémentarité du réseau de l’opérateur historique, seul présent en ruralité.
La collectivité densifie alors le réseau optique de collecte - et uniquement celui-là - et améliore les infrastructures existantes par l’opticalisation de nœuds de raccordement d’abonnés, les NRA, l’effacement de multiplexeurs et l’installation, à ses frais, de nœuds de raccordement d’abonnés-point de raccordement mutualisé.
Ce scénario a cela de singulier qu’il est très favorable à l’opérateur historique en territoire rural, car, sans investir, celui-ci prescrit les évolutions, garde sa clientèle sur un réseau captif – c’est ce que l’on constate partout aujourd’hui - et prolonge durablement la vie du réseau de desserte en cuivre, lequel reste très lucratif et rentable, ce qui permet ensuite à l’opérateur d’investir ailleurs.
En revanche, ce scenario n’est pas favorable aux opérateurs alternatifs : ils ne viendront pas davantage sur ce réseau, car les conditions économiques, quasi inchangées, restent pénalisantes – tous les tarifs le prouvent.
Quant à l’objectif de résorption des zones blanches et de montée en débit, il n’y a pas d’ambition THD ou FTTH. À ce jour, il n’existe pas de stratégie FTTH ou 4G chez l’opérateur historique, en dehors des zones AMII, c’est-à-dire d’appel à manifestations d’intentions d’investissement.
On n’apporte pas non plus de réponse aux besoins en THD des services publics – universités, hôpitaux, grosses collectivités – ou de certaines entreprises, qui demandent un catalogue de services plus large et des prestations moins chères. En tant qu’élus, nous sommes, chaque semaine, confrontés à ce genre de questions.
Pour résumer la situation actuelle, cette solution maîtrisée permet de répondre à l’urgence dans les zones blanches du haut débit, mais sa portée et son ambition sont limitées, de sorte qu’elle ne tiendra pas dans le temps.
La troisième hypothèse consiste à aller plus loin et de « prendre la main » pour piloter les évolutions du schéma directeur territorial d’aménagement numérique, le SDTAN.
Dans ce cas, la collectivité devient opérateur d’infrastructures par la construction de réseaux de collecte et de desserte et la location longue durée de fourreaux ou de fibres, principalement à France Télécom et, occasionnellement, à Réseau ferré de France ou à des gérants de sociétés d’autoroutes, sous réserve de l’existence de capacités suffisantes.
Elle peut offrir à des opérateurs de services alternatifs des conditions économiques intéressantes en termes de prix de location ou de couverture.
Dans cette hypothèse, différentes préoccupations doivent être prises en compte.
On peut ainsi retenir un scénario en « complémentarité », c’est-à-dire ne pas prévoir de construction lorsqu’une infrastructure existe et est disponible : quand on n’a pas les moyens de faire, autant se limiter au strict nécessaire.
On peut également poser la question des moyens des collectivités pour mettre en œuvre leur stratégie THD et FTTH sur la collecte et la desserte fixe et mobile. On peut aussi poser la question des moyens pour les opérateurs alternatifs ; élaborer des offres de services THD à des administrés par des opérateurs ; enfin, élaborer des stratégies de couverture radio, voire 4G, lesquelles sont développées par un autre opérateur que je n’ai pas cité jusqu’à présent.
Mais que faut-il constater ?
La collectivité joue alors un rôle d’« éclaireur » de marché et n’a aucune garantie de succès a priori : des opérateurs loueront-ils des fibres ? Elle ne le sait pas ! Des entreprises feront-elles confiance à ces nouveaux opérateurs ? Elle ne le sait pas !
De surcroît, la collectivité peut avoir à acquérir des compétences, ce qui se révélera peut-être difficile et même très coûteux.
Il est également difficile de concevoir que, en 2012, la collectivité doive louer en permanence à l’opérateur historique des infrastructures pour une bonne partie financées par le contribuable dans les années soixante-dix et quatre-vingt, et ce pour pallier l’absence de programme THD des opérateurs privés en zones non denses.
Enfin, le risque n’est pas nul de devoir supporter la concurrence de France Télécom-Orange, puisqu’il me faut le citer, qui réagira a posteriori par une baisse de ses tarifs pour concurrencer le nouveau réseau et garder ses parts de marché.
Voilà l’équation incertaine à laquelle sont confrontés les territoires ruraux, et tout particulièrement les conseils généraux, qui se trouvent au cœur des solutions en préparation, sans avoir la certitude de disposer des moyens financiers permettant d’assurer les orientations qui leur sont imposées.
Vous le voyez, mes chers collègues, l’avenir du déploiement du très haut débit dans les zones rurales de notre pays suscite de très nombreuses interrogations ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Daniel Dubois, Pierre Camani et Yves Rome estiment que le Gouvernement ne surveille pas suffisamment les opérateurs et se demandent comment il peut les amener à respecter leurs engagements.
Je leur réponds que nous menons deux actions : d’une part, nous les incitons à investir, ce qui passe par un cadre législatif et réglementaire stable, notamment sur le plan fiscal ; d’autre part, nous prévoyons une sanction adaptée en cas de retard. Tous les ans, le Gouvernement veille au respect des engagements pris et il attend d’ailleurs la réponse des opérateurs pour la fin du mois de février.
Selon Joël Labbé, il faut alimenter dès aujourd’hui le Fonds d’aménagement numérique des territoires. Je rappelle que 900 millions d’euros ont été mobilisés par le Gouvernement et que ces crédits permettront de financer des projets durant plusieurs années, le déploiement de la fibre optique dans les zones rurales constituant une priorité du Gouvernement.
Mireille Schurch, Pierre Camani et Yves Krattinger viennent à l’instant de poser la question du très haut débit et de la péréquation. Nous devons nous concentrer sur les zones de carence de l’initiative privée, à l’exclusion des autres, en veillant à la sécurité juridique des dispositifs mis en place. En effet, la Commission européenne et l’Autorité de la concurrence ont déjà précisé qu’il ne saurait y avoir d’aides d’État, sauf dans les zones non rentables.
Il faut donc éviter les situations de superposition de deux réseaux sur un même territoire, ce qui ne serait de toute façon pas raisonnable – Bruno Retailleau l’a souligné –, car cela engendrerait une dépense inutile et remettrait en cause l’équilibre économique du réseau d’initiative publique. Au contraire, nous devons nous concentrer sur les zones de carence de l’investissement privé, en nous appuyant sur la péréquation organisée par le Programme national très haut débit et sur l’appétence des foyers ruraux pour la fibre optique, laquelle compensera le coût plus élevé des prises.
Mireille Schurch et Jean-Michel Baylet ont évoqué notre prétendu retard en matière numérique. Je le redis, nous sommes le premier pays européen en nombre de foyers éligibles au très haut débit, avec près de 6 millions de foyers raccordés, et le deuxième pays européen en nombre d’abonnés au très haut débit, avec 600 000 abonnés environ. À titre de comparaison, l’Allemagne ne compte que 150 000 foyers abonnés et le Royaume-Uni, 4 500.
L’Europe est certes, de manière générale, en retard sur l’Asie, mais la France n’y occupe pas moins la place de leader.
L’hypothèse de l’opérateur unique mutualisé évoquée par Jean-Michel Baylet ne me semble pas souhaitable.
Premièrement, elle aurait pour conséquence de revenir sur la concurrence dans le secteur, alors même que celle-ci a permis la baisse des prix et l’innovation. Je ne m’attarderai toutefois pas sur la concurrence, n’ayant pas envie de réveiller les ardeurs de certains d’entre vous… (Sourires.)
Un opérateur de réseau unique en situation de monopole ne serait d’ailleurs aucunement incité à investir. Le Royaume-Uni en fournit un bon exemple : ce pays a choisi de séparer son opérateur de réseau des fournisseurs d’accès à Internet, et seuls 4 500 foyers sont abonnés, contre plus de 600 000 en France.
M. Bruno Retailleau m’a interrogé très précisément sur le décret relatif à la connaissance des réseaux, qui avait été adopté, il le sait bien, le 12 février 2009. Le Conseil d’État l’avait partiellement annulé ; la loi du 22 mars 2011 a redéfini une base légale. Le Gouvernement a élaboré un nouveau projet et vient d’achever l’ensemble des consultations obligatoires, notamment celle de l’ARCEP et de toutes les commissions consultatives. Le nouveau décret sera donc publié dans les prochains jours.
M. Raymond Vall a souligné le problème des opérateurs OTT, qui utilisent les réseaux sans contribuer à leur financement. C’est une préoccupation partagée par le Gouvernement. Nous avons d’ailleurs chargé le Conseil national du numérique de formuler des propositions sur ce sujet. Les taxes sur Internet proposées jusqu’à maintenant pénalisaient les acteurs français de l’internet, mais pas les grands fournisseurs de services comme Google et Facebook. La réflexion est en cours.
Je partage nombre des propos de M. Léonard sur l’objectif, mais pas sur les moyens qu’il propose pour l’atteindre.
Je dirai à Yves Rome qui a parlé de « modèle ultralibéral » que nous, nous ne voulons pas tomber dans « l’ultra-dirigisme » ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. Yves Rome. Il n’y a pas de danger !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Vous le voyez, nous nous retrouverons au moins sur ce point… (Sourires.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Cela n’arrivera pas !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Si, au contraire, puisque nous condamnons les uns et les autres les « ultra » ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Teston a souligné qu’il fallait soutenir les projets intégrés. C’est juridiquement possible, mais ce n’est pas économiquement judicieux. Je prendrai l’exemple du conseil général de l’Ain, qui a déployé un réseau de 55 000 prises de fibre optique, mais aucun opérateur national ne s’est raccordé à ce réseau, car la collectivité territoriale l’a déployé en duplication avec les opérateurs privés. Résultat ? Seuls 3 800 foyers se sont abonnés, soit la moitié du taux de pénétration national.
M. Yves Rome estime que le haut débit et le numérique se sont développés en France essentiellement grâce aux collectivités territoriales.
M. Yves Rome. Oui !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Je suis tout à fait en désaccord avec cette affirmation. Je ne dis pas qu’elles n’y ont pas contribué, elles ont clairement participé à l’aménagement numérique du territoire, mais ce sont essentiellement la concurrence et les investissements privés dans le dégroupage qui ont permis le décollage de l’internet à haut débit en France.
M. Claude Bérit-Débat. Grâce à qui ?
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. D’ailleurs, tous les pays qui n’ont pas mis en place des dispositifs du même type sont en retard.
Je vous remercie tous d’avoir participé, avec beaucoup d’énergie et de technicité, à ce débat utile. Il vous permettra d’entrer plus avant, ce soir, dans la discussion des articles de cette proposition de loi avec Éric Besson, et je sais toute votre impatience ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.