M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteure de la commission, madame la rapporteure de la délégation, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, c’est la troisième fois cette semaine que nous nous retrouvons pour parler d’égalité entre les hommes et les femmes, et je m’en réjouis.
Je vous remercie de vous saisir une nouvelle fois de cette question essentielle qu’est l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. J’y vois un signe fort de votre volonté, comme d’ailleurs de celle de vos collègues députés, d’encourager de nouvelles initiatives afin de faire progresser cette égalité de manière concrète.
Un constat s’impose et, à cet égard, je partage le diagnostic qui a été fait par les trois oratrices précédentes, tout particulièrement celui de Claire-Lise Campion et de Brigitte Gonthier-Maurin, auquel sont venues s’ajouter les observations de Michelle Meunier. Je vais redire à mon tour les chiffres car, plus on les martèle, plus on en pénètre l’opinion publique.
Mme Michelle Meunier, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. C’est vrai !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Comme l’indiquent les données pour 2006 de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, les salaires des femmes sont inférieurs de 27 % à ceux des hommes, tous temps de travail confondus. En prenant en compte uniquement les salaires des travailleurs à temps complet, le salaire net annuel moyen d’une femme était, dans le secteur privé ou semi-public, inférieur de 19,2 % à celui d’un homme en 2008.
Un tel constat au XXIe siècle est inacceptable, pour vous, mesdames, messieurs les sénateurs, comme pour le Gouvernement. C'est pourquoi nous devons faire en sorte que l’égalité salariale entre les hommes et les femmes devienne une réalité de la vie de nos concitoyennes mais aussi, il faut le dire, de nos concitoyens.
M. Alain Gournac. Oui !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Nous pensons que, pour cela, il faut d’abord se concentrer sur la mise en œuvre des textes existants, et ils sont nombreux.
Nous le savons, le principe de l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes est inscrit dans le code du travail depuis 1972. Oui, c’est bien la loi du 22 décembre 1972, il y a donc quarante ans, qui a introduit le principe « à travail égal, salaire égal ».
Ensuite, en 1983, on a rendu obligatoire l’élaboration d’un rapport de situation comparée dans les entreprises d’au moins cinquante salariés.
En 2010, la négociation sur l’égalité professionnelle au niveau des branches a gagné en qualité bien qu’elle continue à baisser en quantité. Ainsi, cinquante-quatre accords de branche évoquent la problématique de l’égalité professionnelle, contre soixante-quinze en 2009, trente-quatre en 2008 et vingt-quatre en 2007. Trente-sept accords de branche traitent spécifiquement de ce thème, contre trente-quatre en 2009, dix-neuf en 2008 et neuf en 2007.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Sur combien d’entreprises ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je partagerai volontiers le constat de Michelle Meunier : les partenaires sociaux ne se sont pas vraiment saisis de cette question, pourtant capitale.
Il s’agit du quatrième thème de négociation au niveau de la branche. Nous avons constaté que le nombre d’accords déclaratifs était en diminution et qu’un réel effort était fait dans la programmation d’actions concrètes en matière d’égalité professionnelle et salariale.
Le constat est donc en demi-teinte. Entre 2007 et 2010, la part des accords étendus faisant l’objet d’une réserve de la part de l’administration a diminué de moitié : en 2007, 86 % des accords étaient étendus avec réserve, contre seulement 46 % en 2010. Toutefois, en 2011, la direction générale du travail a refusé l’extension de deux accords de branche qui se contentaient de rappeler les dispositions légales.
N’oublions pas le rôle joué par le réseau des présidents de commissions mixtes paritaires, qui apporte un soutien en fournissant des précisions sur le thème de l’égalité professionnelle et salariale aux branches négociant sur le sujet.
Au niveau de l’entreprise, plus de 2 124 accords ont été signés en 2010 par les délégués syndicaux ou les salariés mandatés, ce qui place l’égalité professionnelle au sixième rang des thèmes de négociation. Le nombre d’accords est assez variable suivant les années, avec 2 522 accords en 2009, 1 723 en 2008 et 1 214 en 2007. Les évolutions se font donc avec une assez grande amplitude selon les années.
La loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, qui a été évoquée par les trois oratrices précédentes, institue, à compter du 1er janvier 2012, une pénalité financière pour les entreprises d’au moins 50 salariés qui ne sont pas couvertes par un accord collectif - un accord d’entreprise et non de branche -, ou, à défaut d’accord, par un plan d’action relatif à l’égalité professionnelle.
Cette pénalité, qui constitue un mécanisme unique en Europe, peut atteindre jusqu’à 1 % des rémunérations et gains versés aux travailleurs salariés ou assimilés.
Les modalités de contrôle du dispositif prévues par le décret d’application du 28 octobre 2011 ont été précisées dans une circulaire du même jour.
Première étape, l’autorité administrative, c'est-à-dire l’inspecteur ou le contrôleur du travail, vérifie l’existence d’un accord ou, à défaut, d’un plan d’action d’une entreprise entrant dans le champ d’application de la pénalité.
Lors du contrôle de l’entreprise, l’agent doit vérifier que l’accord ou le plan d’action intégré au rapport contient effectivement des objectifs de progression, des actions permettant de les atteindre et des indicateurs chiffrés de suivi. Selon la taille de l’entreprise, cela porte sur deux ou trois des huit domaines d’actions suivants : embauche, formation, promotion professionnelle, qualification, classification, conditions de travail, rémunération effective, articulation entre vie professionnelle et vie familiale.
Deuxième étape, l’entreprise dispose de six mois pour négocier ou compléter son accord collectif sur l’égalité professionnelle ou, à défaut d’accord, pour établir ou améliorer son plan d’action. Ces documents sont transmis à l’inspecteur ou au contrôleur du travail par lettre recommandée avec accusé de réception. Cette période permet de donner le temps à l’entreprise de mettre en place des actions efficaces, opérationnelles et suivies en faveur de l’égalité.
Troisième étape, pour les entreprises qui n’auraient pas régularisé la situation, c’est la DIRECCTE, sur la base des éléments transmis par l’inspecteur du travail, qui fixe le taux de la pénalité. Le taux de 1 % est un maximum et il sera possible de moduler en fonction de la situation objective de l’entreprise.
À ce jour, il est trop tôt pour faire une évaluation du dispositif, qui n’est entré en vigueur, je le rappelle, que le 1er janvier dernier.
En matière d’égalité salariale entre les femmes et les hommes, il y a donc eu des avancées réelles.
Cela étant, je l’ai dit devant la délégation, l’enjeu aujourd’hui n’est pas d’élaborer de nouvelles lois. Nous avons un corpus législatif qui est l’un des plus complets, sinon le plus complet parmi ceux des pays comparables au nôtre.
J’en viens à la proposition de loi, qui est composée d’un article unique comportant quatre alinéas.
Le deuxième alinéa prévoit de sanctionner l’absence d’accord collectif en faveur de l’égalité salariale. Ainsi, toute entreprise qui ne serait pas couverte, à compter du 1er janvier 2013, par un accord visant à définir et programmer les mesures permettant de supprimer les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes se verrait ôter le bénéfice des allégements et exonérations de cotisations sociales prévus par le code de la sécurité sociale, ainsi que des réductions d’impôt prévues par le code général des impôts.
Cet alinéa fixe donc une obligation de conclure un accord, sans possibilité de passer par un plan unilatéral. À défaut d’accord, la totalité des exonérations serait supprimée.
Je tiens à dire qu’une telle sanction serait inconstitutionnelle au regard des principes de liberté conventionnelle et de proportionnalité des sanctions.
Par ailleurs, un tel dispositif est redondant, puisque la proposition de loi ne supprime pas pour autant la pénalité de 1 % de la masse salariale issue de la loi portant réforme des retraites pour les entreprises non couvertes à compter du 1er janvier 2012 par un accord ou un plan d’action.
À la différence du dispositif issu de la loi portant réforme des retraites qui exige – je l’ai rappelé – que les accords aient un contenu précis pour satisfaire à l’obligation légale, la proposition de loi est silencieuse sur ce point. Ainsi, un accord purement déclaratif pourrait exonérer l’entreprise de la suppression des cotisations, ce qui n’est pas le cas pour la pénalité de 1 %.
Le dispositif est également redondant, car le délit d’entrave est toujours dans notre panoplie, qui punit d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende le non-respect de l’obligation annuelle de négocier sur l’égalité entre les femmes et les hommes prévue à l’article L. 2243-2 du code du travail.
En outre, le mécanisme de conditionnalité des allégements de charges prévu par la proposition de loi reposerait en pratique sur la déclaration par l’employeur du non-respect de son obligation de négocier sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, au plus tard lors de la remise du tableau récapitulatif adressé aux URSSAF l’année suivante.
Il ferait reposer sur les inspecteurs des URSSAF la charge du contrôle du respect d’obligations du code du travail et nécessiterait la mise en place d’une procédure complexe d’échanges entre les services des unités territoriales qui enregistrent les accords, les services de l’inspection du travail compétente pour contrôler le respect des obligations légales et les services des URSSAF.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’entre dans les détails techniques, mais il faut bien mesurer, me semble-t-il, le poids des obligations qui seraient imposées aux entreprises.
Enfin, le poids des allégements et exonérations sociales variant fortement selon les secteurs – faible dans l’industrie, élevé dans les services, notamment dans le commerce – et la taille de l’entreprise, la sanction risquerait de se révéler inadaptée par rapport à l’objectif visé et source d’une rupture d’égalité injustifiable.
Le quatrième alinéa de la proposition de loi prévoit la mise en place d’une pénalité financière de 1 % de la masse salariale pour toute entreprise qui n’aurait pas transmis à l’inspecteur du travail le rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes accompagné de l’avis des institutions représentatives du personnel.
Aujourd’hui, les entreprises de 300 salariés et plus doivent, conformément aux dispositions de l’article L. 2323-57 du code du travail, soumettre pour avis aux institutions représentatives du personnel un rapport écrit sur la situation comparée des femmes et des hommes. Le fait de ne pas respecter cette obligation est constitutif du délit d’entrave et donc puni, comme je le disais, d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 euros.
En application de l’article L. 2323-58 du code du travail, les entreprises de 300 salariés et plus doivent transmettre à l’inspection du travail le rapport de situation comparée, modifié, le cas échéant, pour tenir compte de l’avis motivé du comité d’entreprise, dans les quinze jours qui suivent cet avis. Cette absence de transmission par l’entreprise ne fait l’objet d’aucune sanction.
Outre son caractère manifestement disproportionné, la sanction proposée apparaît également redondante par rapport au mécanisme de pénalité issu de la loi portant réforme des retraites, les plans d’actions élaborés par les entreprises devant figurer dans les rapports de situation comparée transmis à l’inspection du travail.
Le Gouvernement ne peut donc souscrire à ce texte, même s’il reconnaît la nécessité d’aller de l’avant, car les inégalités touchant encore les femmes sont une réalité.
Cela a été rappelé, les emplois à temps partiel concernent majoritairement les femmes.
En 2009, alors que 30,1 % des femmes salariées travaillaient à temps partiel, seuls 6,7 % des hommes salariés étaient dans cette situation. Depuis 1980, comme je le rappelais hier devant la délégation, la part des femmes parmi les travailleurs à temps partiel est toujours supérieure à 80 %.
Le temps consacré aux tâches domestiques est de 3 heures et 48 minutes pour les femmes et de 1 heure et 59 minutes pour les hommes. En vingt ans, la participation des hommes a augmenté de quelques minutes, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter, car tout progrès est bon à prendre ! Mais, disons-le, messieurs, il y a là d’évidentes marges de progression…
L’accès aux postes à responsabilités demeure difficile pour les femmes. Le rapport de situation comparée ne serait élaboré que dans 45 % des cas.
Les inégalités, donc, ne manquent pas, et elles touchent chaque sphère de la vie.
Pour y remédier, je suis convaincue depuis fort longtemps qu’il faut aborder la question de l’égalité entre les femmes et les hommes de manière globale, afin d’apporter des réponses favorisant l’égalité.
Le Gouvernement s’est mobilisé sur cette question. Nous avons fait voter la loi Copé-Zimmermann de janvier 2011 pour féminiser les conseils d’administration et de surveillance des grandes entreprises. Cette loi ne concerne que peu de femmes, certes, mais sa valeur symbolique est importante et les résultats sont au rendez-vous. S’agissant des entreprises concernées, le taux de féminisation est passé de 10,5 % en 2009 à 20,8 % en 2011, et ce alors que les mesures de coercition ne sont pas encore entrées en application ! Voilà un phénomène d’autoréalisation que nous devons à l’exemplarité de ce texte.
Accompagner les entreprises vers l’égalité professionnelle, c’est aussi faire en sorte que les femmes puissent créer leur entreprise. Là encore, l’État s’engage. Dans cette perspective, nous avons créé un fonds de garantie pour la création, la reprise et le développement des entreprises à l’initiative des femmes afin de leur permettre d’accéder aux crédits bancaires.
Ce fonds, doté de 3,6 millions d’euros en 2011 et de 4,7 millions d’euros en 2012 – j’ai voulu cette augmentation de 30 % de ses crédits – par le Fonds de cohésion sociale géré par la Caisse des dépôts et consignations, est en pleine croissance.
Alors que, en 2008, ce sont 744 garanties qui avaient été accordées, leur nombre a doublé en 2011 : ces 1 501 garanties représentent 1 961 emplois créés.
C’est précisément pour encourager ce type d’initiatives que je viens de signer avec la Caisse des dépôts et consignations l’accord-cadre en faveur de l’entreprenariat féminin.
Mais si nous voulons que les femmes puissent créer leur entreprise, il faut leur permettre de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale. C’est pourquoi le Président de la République a décidé de lancer un plan de développement de la garde d’enfants afin de créer 200 000 solutions de garde. Les objectifs quantitatifs de ce plan sont tenus et nous les aurons donc atteints à la fin du quinquennat.
Nous devons bien sûr encourager les initiatives, récompenser les entreprises et les organismes qui s’engagent en faveur de l’égalité professionnelle.
Le « Label Égalité » apporte une réponse concrète non seulement aux attentes des salariés en matière d’égalité professionnelle, mais également aux enjeux de performance économique et sociétale. Les entreprises comme les salariés l’ont bien compris. À ce jour, ce sont 47 organismes, regroupant plus d’un demi-million de salariés, qui bénéficient de ce label, né en 2004.
Pour le Gouvernement, il s’agit aussi de diffuser très tôt auprès des enfants, garçons et filles, une culture de l’égalité. Nous le savons bien, les stéréotypes de genre s’enracinent très précocement dans les mentalités et ils ont la vie dure, comme l’ont rappelé les oratrices qui m’ont précédée. Diffuser une culture de l’égalité à l’école, c’est tout l’objet de la convention interministérielle sur l’égalité entre les filles et les garçons.
Il faut aussi associer les médias à la démarche. C’est pourquoi j’ai pérennisé en 2011 la commission sur l’image des femmes dans les médias, présidée par Michèle Reiser. Cette dernière m’a remis en décembre dernier un rapport très intéressant dans lequel elle souligne la nécessité de continuer à dénoncer les stéréotypes pour mieux les combattre.
Dans la même perspective, j’ai confié à Chantal Jouanno une mission sur l’hypersexualisation des filles, notamment dans la publicité. Je lirai avec beaucoup d’attention ses recommandations pour mieux sensibiliser les parents et la communauté éducative de l’enfant à cette question.
Enfin, je vais signer, le 6 mars prochain, la charte sur le respect de l’image de la personne humaine dans la publicité avec l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité.
Il importe de diffuser une culture de l’égalité dans la fonction publique aussi. L’État doit jouer un rôle exemplaire pour briser le « plafond de verre ». Je veux saluer ici l’engagement de François Sauvadet sur le sujet : la mesure qu’il porte a été adoptée, à la quasi-unanimité, par l’Assemblée nationale. Il s’agit d’instaurer progressivement, d’ici à 2018, un quota de 40 % de femmes parmi les hauts fonctionnaires, actuellement très majoritairement des hommes.
Plus largement, l’État a conçu un plan d’action interministériel pour l’égalité entre les femmes et les hommes qui sera officiellement présenté le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale de la femme.
Ce plan vise à garantir l’égalité à tous les niveaux et dans toutes les politiques. En effet, la question de l’égalité est de la responsabilité non seulement des pouvoirs législatif et exécutif, mais aussi, bien entendu, de l’ensemble du corps social !
Pour ma part, comme je l’ai d'ailleurs dit aux organisations syndicales, avec lesquelles j’ai eu des échanges approfondis, je serais tout à fait favorable à l’accession du principe de parité à la qualité de critère de représentativité dans le dialogue social.
À ce sujet, Michelle Meunier a cité des chiffres édifiants sur la faible représentation des femmes dans les organisations syndicales.
Après tout, beaucoup d’organismes représentatifs participant à la gestion de la Nation pourraient s’imposer ce que nous nous sommes imposé, ce que le corps politique s’est lui-même imposé !
Mme Catherine Génisson. Ce que certains partis se sont imposé, voulez-vous dire !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Au risque de tempérer l’optimisme de Michelle Meunier, je dois dire que je n’ai pas rencontré un franc succès en évoquant ce point devant les organisations syndicales : ces dernières ont estimé qu’il n’y avait, globalement, pas de problème.
Mme Catherine Génisson. C’est vrai !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. À l’heure où nous voulons que l’égalité entre les femmes et les hommes existe non plus seulement dans les principes, mais aussi dans les faits, j’ai la profonde conviction que la solution n’est pas d’ajouter une nouvelle loi aux textes qui existent déjà.
M. Roland Courteau. Mais si !
M. Jean-Jacques Mirassou. Une loi, c’est un marqueur !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Nous le savons, il faut gagner la bataille des esprits pour faire advenir une révolution des mentalités.
Pour cela, il faut développer nos politiques publiques,…
Mme Catherine Génisson. Il n’y en a plus !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. … pour les rendre toujours plus ambitieuses et, ainsi, changer concrètement les comportements. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’évidence, dans cet hémicycle, nous partageons tous le même constat sur la situation d’inégalité salariale entre les femmes et les hommes et nous souhaitons tous, à l’instar des auteurs de la présente proposition de loi, voir enfin l’écart de rémunération se réduire, mieux, disparaître.
En effet, force est de constater que, si les textes sur l’égalité salariale se succèdent, les écarts de rémunération entre les hommes et les femmes, eux, restent stables depuis la fin des années quatre-vingt-dix.
Alors que le taux d’activité des femmes entre quinze et soixante-quatre ans est de 84 %, un homme touchait, en 2010, un salaire brut supérieur en moyenne de 26 % à celui de son homologue féminine, à poste équivalent. Surtout, plus inquiétant, les derniers chiffres de l’INSEE montrent un creusement de l’écart de revenu pour les vingt-cinq à cinquante-cinq ans, tranche d’âge sensible, car c’est dans ces années-là que les femmes doivent gérer l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle.
Cette tendance est alarmante.
Certes, la crise économique que nous traversons est d’une extrême gravité. Certes, les entreprises souffrent et doivent s’adapter. Mais nous devons faire preuve d’une très grande vigilance afin que les ajustements, quand ils touchent à la gestion des ressources humaines, ne se fassent pas au détriment des catégories les plus fragiles, dont les femmes font malheureusement encore trop souvent partie.
Comme le disait Édouard Herriot, « il est plus facile de proclamer l’égalité que de la réaliser ». (M. Alain Gournac approuve.)
En la matière, il faut bien, hélas ! s’y résoudre, les déclarations de bonnes intentions et les incitations ne peuvent à elles seules produire un résultat probant : l’exemple de la loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, dite « loi sur la parité », nous le rappelle.
Mme Catherine Génisson. Eh oui !
Mme Catherine Morin-Desailly. Lorsque les mesures incitatives peinent à produire leurs effets, vient le temps où la coercition s’impose. Les auteurs de la proposition de loi dont nous débattons s’inscrivent dans cette démarche.
Cette coercition, nous en avions envisagé la nécessité dès 2006. Lors de l’examen au Sénat de la loi du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, j’avais déposé, avec les membres de mon groupe, un amendement visant à ce qu’une contribution assise sur les salaires soit applicable aux entreprises qui n’auraient pas satisfait, à l’issue d’un délai de cinq ans, à l’engagement de négociations sérieuses et loyales prévues à l’article L. 132-27-2 du code du travail.
En effet, une nouvelle intervention du législateur, visant à mettre en place un mécanisme coercitif en cas d’échec des négociations, me paraissait alors inutilement lourde, puisque nous pouvions, dès 2006, inscrire, en quelque sorte par précaution, une possibilité de sanction dans la loi. Hélas ! les faits nous ont donné raison.
Nous avons dressé un bilan plutôt pessimiste, à l’occasion de la question orale avec débat sur le sujet dont notre groupe avait obtenu l’inscription à l’ordre du jour du 20 décembre 2010 de la Haute Assemblée. D'ailleurs, je regrette que les précédents orateurs n’aient pas mentionné cette étape utile dans la réflexion, notamment pour notre délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes.
À l’époque, j’avais déjà dénoncé l’absence de progrès en matière d’égalité salariale et fait des propositions pour relancer une dynamique en la matière. Ces propositions rejoignent au demeurant celles que formule aujourd'hui notre délégation.
Les chiffres du rapport d’information que vient de publier cette dernière confirment ce constat. Si un rapport de situation comparée est bien établi par 45 % des entreprises de plus de 400 salariés, son contenu n’est vraiment intéressant et force de propositions que dans, au mieux, 15 % des cas ; 37 accords de branche traitent spécifiquement de l’égalité professionnelle et seulement 2 000 entreprises déclarant un délégué syndical ont signé un accord collectif abordant la question de l’égalité professionnelle.
Du reste, le Gouvernement a pris acte de cet échec puisqu’il a jugé bon, lors de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites, de proposer un mécanisme de sanction. C’est l’objet de l’article 99 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, lequel prévoit d’instituer une sanction financière à l’encontre de toutes les entreprises d’au moins 50 salariés qui n’auraient pas conclu d’accord d’égalité professionnelle (Mme Michèle André marque son scepticisme.) ou, à défaut d’accord, défini un plan d’action pour obtenir l’égalité professionnelle.
Nous attendions beaucoup de ce dispositif. Toutefois, force est de constater que l’économie en a été fortement compromise par le décret d’application.
Ainsi, en vertu du décret du 7 juillet 2011 et de la circulaire du 28 octobre 2011, les entreprises pourront encore disposer d’un délai de six mois après la constatation de la carence pour se mettre en conformité avec la loi. La sanction sera modulable en fonction des « efforts constatés », l’entreprise pouvant même en être totalement dispensée par l’autorité administrative si celle-ci le juge opportun.
Mme Michèle André. Et voilà !
Mme Catherine Morin-Desailly. De plus, le nombre d’indicateurs sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise est abaissé à trois, ce qui, bien sûr, réduit considérablement la portée du texte.
J’y suis d’autant plus sensible que j’ai fait adopter dans la loi portant réforme des retraites un amendement réécrivant la description du plan d’action et mettant en exergue le fait qu’il soit « fondé sur des critères clairs, précis et opérationnels » et qu’il détermine « la définition qualitative et quantitative des actions permettant de les atteindre et l’évaluation de leur coût ».
Cet amoindrissement de la portée de la loi est regrettable et préoccupante. Il nous amène, à l’instar des auteurs de la présente proposition de loi, à considérer qu’il faut corriger cette dérive.
Toutefois, la solution qui nous est proposée offre elle aussi matière à interrogation. En effet, le présent texte nous semble à la fois incohérent sur le plan juridique et inadapté.
Comme l’a rappelé Mme la ministre, cette proposition de loi se présente sous la forme d’un article unique comprenant deux parties, correspondant à deux dispositifs. Notons d'ailleurs que le premier d’entre eux reprend un amendement d’origine communiste, adopté - je m’en souviens, car j’étais présente -, à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 ; c’est Mme Pécresse qui, ce jour-là, représentait le Gouvernement dans l’hémicycle. Les décrets d’application étaient alors en cours d’élaboration.
Or, dans la rédaction actuelle du texte, l’articulation de ces deux dispositifs semble quelque peu problématique.
Les deux premiers alinéas proposent, ni plus ni moins, la suppression des allégements de charges pour les entreprises non couvertes par un accord relatif à l’égalité salariale. Vous en conviendrez, il s’agit là d’une véritable bombe atomique pour les entreprises !