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Nomination de membres de délégations
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le groupe socialiste et apparentés a présenté les candidatures de Mme Bernadette Bourzai pour siéger au sein de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, et de Mme Renée Nicoux pour siéger au sein de la délégation sénatoriale à la prospective.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame Mme Bernadette Bourzai membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, et Mme Renée Nicoux membre de la délégation sénatoriale à la prospective.
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Démission d'un membre d'une mission commune d'information et candidature
M. le président. Mes chers collègues, je vous informe que Mme Michèle André a démissionné de la mission commune d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation.
Le groupe socialiste et apparentés a présenté la candidature de Mme Christiane Demontès pour la remplacer.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, de notre règlement, cette candidature a été affichée.
Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
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Simplification du droit et allègement des démarches administratives
Rejet d'une proposition de loi en nouvelle lecture
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives (proposition n° 320, rapport n° 366).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, est-il encore nécessaire de rappeler l’importance cruciale de la simplification du droit, et de l’allégement des démarches administratives, pour donner un nouveau souffle à l’économie française ?
Il existe dans notre pays des éléments de compétitivité qui sont autant de points forts. Le prix de l’électricité avec le nucléaire en est un, et c’est d’ailleurs pourquoi le Gouvernement est attentif à ce que l’on ne revienne pas sur cet avantage. En revanche, des éléments sont clairement identifiés comme étant des points faibles.
Vous savez à quel point la question du coût du travail est une priorité gouvernementale. Je ne vais pas vous citer toutes les réformes qui ont été mises en œuvre depuis quatre ans, la dernière étant le transfert d’une partie des charges qui pèsent sur les entreprises pour partie vers la TVA et pour partie vers la CSG sur les produits financiers.
Reste un élément de compétitivité absolument essentiel sur lequel notre pays est nettement en retard par rapport à beaucoup d’autres, c’est le coût du travail. Depuis quatre ans, nous essayons de rattraper ce retard.
Au Salon des entrepreneurs, j’étais aux côtés du Président de la République, nous avons rencontré beaucoup de chefs d’entreprise. D’après les dernières enquêtes d’opinion, leur jugement sur l’action du Gouvernement est positif et même très positif, ce dont je me réjouis. Le sondage effectué pour le Salon montre même que, parmi les critères proposés, ceux qui ont justement trait à la simplification marquent le plus une progression de la satisfaction.
Le mouvement engagé dans notre pays avec, depuis quatre ans, un soutien permanent de la majorité, a permis de réels progrès.
J’en reviens aux éléments clairement identifiés comme étant des points faibles.
L’OCDE souligne que « l’impôt papier » nous coûte chaque année de 3 % à 4 % de PIB, mesdames, messieurs les sénateurs.
Selon le dernier rapport du Global Competitiveness Report, nous occupons le 116e rang mondial sur 142 en termes de complexité administrative.
Enfin, les chefs d’entreprise perdent environ cinquante jours par an en moyenne à régler les problèmes de paperasserie administrative.
La simplification doit donc être prioritaire dans l’action de la puissance publique. Aussi, monsieur le président de la commission, je m’étonne à nouveau du refus obstiné de la majorité sénatoriale de discuter ce texte. J’ai eu l’occasion de vous le dire à l’occasion de l’examen en première lecture. J’espérais alors vous convaincre et j’avais tout fait pour essayer d’y parvenir.
Tant d’acteurs économiques attendent depuis des mois et des mois que ce texte aille jusqu’à son terme…Et songez que 90 % des entrepreneurs jugent la charge administrative contraignante.
Pourtant, vous vous êtes évertués à refuser d’examiner cette proposition de loi et, tout à l’heure, vous défendrez une motion allant, malheureusement, dans le même sens
Je le regrette d’autant plus que, sur un certain nombre de points, j’aurais souhaité défendre des amendements du Gouvernement, afin que l’on puisse aller au fond des choses sur des sujets importants et qui suscitent beaucoup d’attentes.
Le 29 avril, j’avais annoncé quatre-vingts mesures, chiffrées par le cabinet indépendant Ernst & Young à un milliard d’euros rendu aux acteurs économiques, sans que cela coûte un centime aux finances publiques. Vous aviez l’occasion de vous associer à un dispositif permettant d’alléger la charge qui pèse sur les acteurs économiques, ce qui, honnêtement, ne devrait être l’affaire ni de la droite, ni de la gauche !
Les acteurs économiques attendent qu’on leur simplifie la vie, qu’on libère leur énergie, mesdames, messieurs les sénateurs. Cette crise économique répétitive, multiforme, contre laquelle ils doivent se battre depuis quatre ans, suscite une attente extrêmement forte. Ils ont du mal à comprendre que, par dogmatisme, par « technocratisme » parfois, on refuse d’entrer dans cette logique de la simplification. C’est sans doute dû à une méconnaissance des fonctionnements de notre économie.
Pour être allé à trois reprises la semaine dernière à la rencontre des acteurs économiques sur notre territoire, je dois dire que le refus du Sénat d’examiner ce texte suscite beaucoup d’incompréhension de leur part.
Je souhaite que le rapporteur de la commission des lois du Sénat, Jean-Pierre Michel, qui avait salué un certain nombre des dispositions du texte, même s’il s’était montré critique sur d’autres, nous dise quels sont les points qu’il soutient. Alors que notre pays est à quelques encablures d’une échéance essentielle, l’élection présidentielle, et que nombre de positions sont prises par les uns et par les autres, il serait utile qu’il se prononce, afin d’éclairer nos compatriotes sur l’attitude de chacun.
En la matière, l’immobilisme est un mauvais coup porté à l’économie française, un mauvais service rendu aux acteurs économiques.
Sur des dispositifs aussi importants que la définition des professions libérales, souvenez-vous, monsieur le président de la commission des lois, j’avais souhaité introduire un amendement. Je l’ai finalement fait à l’Assemblée nationale. Là encore, il s’agit d’un dispositif extrêmement attendu.
M. André Reichardt, à qui j’avais confié une mission, a bien voulu, en relation avec l’ensemble des personnes intéressées, travailler sur ce sujet si important de la qualification professionnelle de l’artisan. Son travail avait permis de mettre au point un amendement allant justement dans le sens de la qualification des artisans. C’est un sujet qui est cher à M. Raffarin, notre président de séance, et qui est également l’objet de grandes attentes de la part des artisans de notre pays. Mais, là encore, le Sénat n’a malheureusement pas souhaité se prononcer sur ce sujet, puisqu’il a refusé d’examiner l’amendement !
Je déplore que le Sénat ne se prononce pas sur des sujets aussi importants que la simplification du bulletin de paie ou « l’armoire numérique sécurisée ». Celle-ci permettra au chef d’entreprise, qui doit chaque année remplir en moyenne soixante-dix déclarations destinées à l’ensemble des administrations, de fournir une fois pour toutes les informations. Pensons aux acteurs économiques, notamment aux TPE et aux artisans qui se trouvent confrontés à la nécessité de transmettre soixante-dix fois les mêmes informations sur leur entreprise ! Grâce à ce texte, ils n’auront plus qu’à le faire une seule fois.
Un autre dispositif, auquel je tiens tout particulièrement, est l’amélioration du dispositif du rescrit social. Il est très important, compte tenu des difficultés qu’a posées sur le terrain, pour des raisons parfaitement explicables, la mise en œuvre d’une réforme décidée avant 2007, la création du régime social des indépendants, le RSI. Outre la réorganisation du RSI que nous avons opérée, le rescrit social permettra aux acteurs économiques de surmonter définitivement ces difficultés.
Vous le voyez, ce texte aurait dû nous rassembler, mesdames, messieurs les sénateurs.
En conclusion, je déplore encore la propension de certains à susciter des polémiques là où elles n’ont pas lieu d’être, à un moment où chacun a en tête l’échéance présidentielle. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Ainsi, certains se répandent dans les médias pour faire croire que l’État serait aujourd’hui en train de choisir la future direction de l’entreprise Veolia, alors que tous les responsables politiques, qu’ils soient de droite ou de gauche, savent que, s’agissant d’une entreprise privée, seul le conseil d’administration est à même d’en décider. J’y vois là un autre signe d’une certaine incapacité à comprendre le fonctionnement des entreprises.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Quel rapport cela a-t-il avec le texte en discussion ?
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Cela a tout à voir avec ce texte, car ce « petit coup médiatique », comme je n’hésiterai pas à le qualifier, orchestré ce matin autour de Veolia est motivé par le dogmatisme et est le fruit d’une forme de perversion idéologique selon laquelle la technocratie aurait tout pouvoir de décision sur l’entreprise et le monde économique. Il n’en est rien, et pour une fois que vous avez le moyen de prendre une décision qui va dans le sens de ce qu’attendent les entreprises, c’est-à-dire leur simplifier la vie, libérer les énergies, vous refusez de le faire !
Le constat que, au nom du Gouvernement, je suis malheureusement obligé de faire, c’est qu’il y a dans cet hémicycle ceux qui comprennent, et qui veulent défendre les entreprises de notre pays à un moment où notre devoir à tous, de droite comme de gauche, est de soutenir la croissance et l’emploi, et ceux qui, pour des raisons idéologiques, préfèrent entraver cette action.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Aïe, aïe, aïe !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Peut-être y aura-t-il un sursaut, mais j’y crois peu, l’ayant en vain espéré tout au long de la première lecture. Je doute évidemment que ce sursaut puisse se produire à l’occasion de la nouvelle lecture,…
M. Jean-Claude Lenoir. Hélas !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. … et je le regrette profondément pour les acteurs économiques de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes donc invités à nous prononcer en nouvelle lecture sur la proposition de loi dite « proposition de loi Warsmann » relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives.
Vous vous souvenez que, lors de la précédente lecture, nous avons adopté une motion tendant à opposer la question préalable, pour toute une série de raisons que je ne rappellerai pas ici, qui tiennent au fond de ce texte, à son caractère hétérogène, hétéroclite, ainsi qu’à la méthode employée, le recours à la procédure accélérée, qui ne nous a pas permis un examen approfondi.
La commission mixte paritaire s’est tenue – si l’on peut dire, tant elle a été courte ! – le 18 janvier dernier et elle a d’emblée constaté qu’il y avait un désaccord sur ce texte, sans même d’ailleurs que les rapporteurs des deux assemblées aient eu à s’exprimer.
L’Assemblée nationale a réexaminé le texte et y a introduit un certain nombre d’articles additionnels, en totale contravention avec la règle de l’entonnoir, qui interdit l’adoption de dispositions nouvelles à ce stade. Je reviendrai tout à l’heure sur les conséquences de cette initiative de l’Assemblée nationale.
Le rapporteur de l’Assemblée nationale, M. Étienne Blanc, a cru bon d’émailler son rapport de critiques désagréables à l’endroit du Sénat, au motif que notre assemblée, en votant une motion tendant à opposer la question préalable, aurait fait preuve de « frilosité » devant un texte particulièrement novateur.
M. Jean-Claude Lenoir. C’est la vérité !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je dois rappeler que le Sénat sait aussi être novateur à ses heures. J’en veux pour preuve le rapport de Mme Escoffier et de M. Détraigne La Vie privée à l’ère des mémoires numériques, mais beaucoup d’autres ont été remis par des sénateurs de droite et de gauche rassemblés.
Mme Nathalie Goulet. C’est très bien !
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ces critiques, totalement infondées, sont fort déplaisantes pour le Sénat.
Donc, en commission des lois, j’ai proposé à nos collègues commissaires de voter une nouvelle fois une motion tendant à opposer la question préalable, car il n’y a aucune raison aujourd’hui de modifier le point de vue que nous avions en première lecture. Les raisons qui justifient notre position se sont même aggravées, compte tenu des dispositions adoptées par l’Assemblée nationale. L’aggravation se traduira par la saisine du Conseil constitutionnel, qui ne manquera pas de relever tous les cavaliers que contient ce texte et de les censurer.
Monsieur le secrétaire d’État, les entreprises, les PME qui attendraient ce texte…
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … avec fébrilité, auront le texte voté par l’Assemblée nationale et vraisemblablement censuré par le Conseil constitutionnel !
J’ajoute simplement que, en commission des lois, les sénateurs de la majorité et de l’opposition, notamment deux d’entre eux, et non des moindres – comme vous pouvez le constater à la lecture du compte rendu contenu dans mon rapport – se sont élevés, d’une part, contre le recours à la procédure accélérée sur les textes de ce genre et, d’autre part, sur la nature même de ces textes.
« Il faut en finir avec les textes de ce genre : la simplification du droit est nécessaire, mais doit passer par des lois plus ciblées, centrées sur un domaine ou un code. Les propositions de loi Warsmann ont pris des dimensions invraisemblables, et multiplient les cavaliers, au mépris de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. » Ainsi s’exprimait Patrice Gélard lors de l’examen de ce texte en commission.
Mes chers collègues, tout est dit et j’espère que vous voterez la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le secrétaire d’État, les interventions que vous avez faites avant ce débat et les divers propos que j’ai entendus à propos du comportement de la majorité sénatoriale qui a voté la question préalable appellent de ma part une remarque, une boutade que vous prendrez pour telle.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le secrétaire d’État, c’est en monarchie que seul le monarque - fût-il élu ou candidat…- peut faire de la polémique et de l’idéologie. Comme nous sommes en démocratie, permettez que ce ne soit pas le cas !
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Lors de la première lecture de cette nouvelle proposition de loi dite de simplification – la énième sur laquelle nous sommes appelés à nous prononcer –, nous avons fait le choix raisonné d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable.
En effet, notre groupe – mais nous n’étions pas les seuls – a dénoncé les dérives encourues du fait de ce type de loi et déjà bien connues, car nous avons maintenant une certaine expérience de ces textes qui, sous couvert de simplification, modifient en réalité le droit. Nous avons regretté l’absence d’une délimitation stricte des réels objectifs de ces lois – cela vaut pour celle-là comme pour d’autres – qui nous aurait certainement évité ces dérives, et nous aurait permis de traiter réellement de la simplification du droit, objectif auquel on peut souscrire.
Ce n’était pas le cas du texte-fleuve de M. Warsmann comme des autres propositions de loi qui l’ont précédé, émanant d’ailleurs souvent, je dois le remarquer, du même député Warsmann.
Les critiques à l’Assemblée nationale n’ont pas manqué, de votre part, monsieur le secrétaire d’État, et de la part de nos collègues de la majorité présidentielle. Évidemment, Jean-Luc Warsmann, député de la majorité présidentielle, a quant à lui fait valoir qu’il avait déposé sa proposition de loi au motif que les dispositions qu’elle contenait faisaient consensus… Le doute subsiste puisque la motion a été adoptée, mais je peux vous assurer qu’un certain nombre de ces dispositions ne faisaient pas du tout consensus !
M. Étienne Blanc, outre les critiques que vient de rappeler M. le rapporteur, nous reproche également notre « manque de sincérité ». Vous-même, monsieur le secrétaire d’État, avez affirmé avoir vécu un « épisode surréaliste » – où le surréalisme ne va-t-il pas se nicher ? – montrant du doigt une nouvelle majorité sénatoriale qui refuse de débattre de l’allègement des charges administratives qui pèsent sur les acteurs économiques.
Oui, nous avons adopté la motion tendant à opposer la question préalable, mais ce faisant nous n’avons pas empêché la discussion sur des dispositions nécessaires et urgentes.
Simplement, nous avons remarqué que le Gouvernement, tout occupé à légiférer au rythme des faits divers – et nous en savons quelque chose à la commission des lois ! –, a, durant tout le temps où il a été majoritaire, ignoré les PME, dont il prétend aujourd’hui rapidement soulager le quotidien. C’est bien entendu tout à fait louable, mais vous nous imposez donc en procédure d’urgence une proposition de loi qui compte 150 articles et qui touche à la quasi-totalité de nos codes. En matière d’allègement des PME, on fait mieux !
Les prétendues simplifications figurant dans cette proposition sont en réalité des réformes de fond, personne ici ne peut honnêtement le nier. Seul un article sur cinq à peu près opère une véritable simplification, tout le reste est innovation, ou, pour mieux dire, régression !
En réalité, loin de se contenter de réduire le poids des normes qui pèsent sur les entreprises, ces lois visent davantage à contourner la prohibition des cavaliers législatifs. Ces propositions de loi, qui sont sans cesse amendées, jusqu’à comporter comme en l’espèce 150 articles, sont donc le véhicule idéal pour des projets qui visent souvent à répondre aux nombreuses pressions de lobbies – nous en avons fait l’expérience - ou, comme c’est le cas de celle-ci, à une pression non moins directe du MEDEF, si tant est que l’organisation patronale dénommée « MEDEF » ne soit pas le lobby des lobbies…
En effet, sous couvert de la crise, la tentation de modifier encore le droit du travail au détriment des salariés est forte – la crise a bon dos, de ce point de vue ! – et, ici, se manifeste encore clairement. Accédant à une revendication du MEDEF, le Gouvernement profite de ce véhicule législatif pour promouvoir les accords qui s’imposeraient à tous les salariés.
L’article 40 gomme ainsi la distinction entre ce qui relève de la « modification du contrat de travail » et le « changement des conditions de travail », afin de permettre aux entreprises, dans une logique d’individualisation, d’appliquer sans difficulté un accord de modulation du temps de travail et d’imposer aux salariés des périodes hautes et basses sans leur accord.
Ainsi, la proposition de loi Warsmann anticipe le programme du candidat Nicolas Sarkozy sur les accords d’entreprise, programme d’ailleurs conforme aux propositions du MEDEF, parues ces derniers jours, plus précisément celles de l’Union des industries et métiers de la métallurgie, l’UIMM, qui consistent à faire prévaloir le contrat individuel sur l’accord collectif et autres dispositions du même genre.
Et c’est très opportunément au moment du lancement de la campagne de Nicolas Sarkozy que le MEDEF fait ces propositions…
Voilà à quoi servent les lois fourre-tout du député Warsmann !
La majorité à l’Assemblée nationale ne s’est pas embarrassée des promesses du chef de l’État, qui s’était engagé à passer par la concertation pour toute réforme du droit social. Nicolas Sarkozy avait pourtant donné deux mois aux syndicats et au patronat pour aboutir à un accord sur ce point. La loi ne devait intervenir qu’après cet éventuel accord. Or, avant même le début de ce délai de deux mois, intervient la proposition de loi Warsmann anticipant, en quelque sorte, cet accord.
La négociation est très mal partie puisque, logiquement, les organisations salariales se sont montrées hostiles au principe de ces accords. En effet, le salarié ne serait plus tenu de donner son accord individuel lorsqu’il est procédé à une modification de son contrat de travail, ce qui concrètement lui laisserait le choix entre la flexibilité ou la porte ! Quelle belle chose que l’innovation…
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez offert aux salariés de négocier leur régression sociale et de supporter le coût de la crise. Face aux contestations qui se sont élevées, vous tentez le coup de force en modifiant l’architecture du droit du travail par le biais d’un article introduit dans un texte fourre-tout.
Pour répondre au reproche de manque de sincérité qui a été adressé aux sénateurs de notre majorité, je voudrais, moi, dénoncer le fait que l’on utilise le Parlement pour faire passer des régressions insupportables au regard du droit du travail, en catimini, au mépris de ce dialogue social que vous aimez vanter par ailleurs, au mépris des acteurs du dialogue social, des femmes et des hommes bien réels, eux.
Cette proposition de loi en est la parfaite illustration.
Pour nous, le Parlement doit légiférer en toute transparence : nous rejetons donc ce type de texte. La sincérité voudrait que la simplification du droit se fasse à droit constant ; or, c’est tout le contraire ici.
Procéder à d’innombrables modifications de fond sans concertation ni étude d’impact, en procédure accélérée, c’est participer à l’abaissement du rôle du Parlement. De ce point de vue, le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable sert avant tout à affirmer la dignité du Parlement.
Il est vrai que certaines dispositions contenues dans cette proposition de loi pourraient être utiles, mais, il faut le dire, la plupart d’entre elles sont complexes…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … et mériteraient de faire l’objet d’une réelle concertation qui prendrait en compte les droits des salariés.
Peut-être devrions-nous, majorité et opposition, actuelles et futures, tirer les leçons de cette question préalable et nous atteler à changer de méthode pour réfléchir davantage aux textes, mieux les rédiger et les élaborer dans le respect des règles démocratiques, pour éviter d’avoir à y revenir ensuite avec des lois de « simplification ». Tel est mon souhait pour l’avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je n’aurai peut-être pas cet après-midi le talent du président de notre groupe, Jacques Mézard, qui avait réussi, lors de la première lecture le 10 janvier dernier, à faire sourire et même rire lorsqu’il avait évoqué le présent véhicule législatif…
Je reprendrai seulement la citation empruntée à Renaud Denoix de Saint Marc qui déclarait en 2005, alors vice-président du Conseil d’État : « L’action politique a pris la forme d’une gesticulation législative. […] La loi doit être solennelle, brève et permanente. Aujourd'hui elle est bavarde, précaire et banalisée. »
Mme Anne-Marie Escoffier. Oui, monsieur le secrétaire d'État, la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui est bavarde, précaire et banalisée. Comment ne pas regretter que les mesures utiles, voire indispensables qu’elle comporte soient noyées dans un chaos de dispositions arrivées tels de véritables cavaliers et de ce fait perdent toute cohérence ?
Le RDSE, qui avait adopté la motion tendant à opposer la question préalable lors de la première lecture et qui fera de même aujourd'hui, n’a pas choisi, contrairement à ce que d’aucuns ont prétendu, une posture de « promotion de l’immobilisme législatif ».
Sur les travées de notre nouvelle majorité, nous avons su manifester depuis suffisamment longtemps notre volonté de légiférer dans l’intérêt général, au service de tous nos concitoyens, sur les sujets les plus arides, les plus difficiles, mais toujours répondant à une véritable attente. Nous aurions examiné favorablement ce texte s’il était venu jusqu’à nous dans des conditions convenables.
Faut-il rappeler les circonstances dans lesquelles ce texte est né, comment il a été « fabriqué » et « externalisé » ? Faut-il rappeler les incohérences déjà relevées, comme l’introduction de dispositions relatives à la vie des entreprises sans débat de fond avec les organisations salariales représentatives ? Faut-il rappeler que les sujets les plus hétéroclites s’acoquinent dans ce texte sans logique, du moins sans logique apparente, comme les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux qui côtoient le statut des agences de presse et l’immunité pour les membres de la MIVILUDES ?
Au milieu de toutes ces dispositions, certaines, nous voulons bien l’admettre, étaient attendues. Mais que n’ont-elles été examinées auparavant, dans une procédure qui aurait laissé à chaque assemblée le temps de travailler convenablement, sereinement, en prenant le temps de consulter qui de droit ?
Qui nous fera croire que les dispositions destinées à dynamiser le fonctionnement des entreprises, celles qui visent à simplifier la vie sociale des entreprises, à corriger les dispositifs fiscaux, comptables et douaniers, ne pouvaient pas, ne devaient pas être activées depuis bien longtemps, favorisant en cela même cette compétitivité des entreprises dont on parle tant aujourd'hui ? Effet de mode ? Effet de manche ? Pourquoi en cette fin de législature ?
Qu’y a-t-il de si urgent aujourd'hui à réviser les procédures d’autorisation de la petite hydroélectricité, alors que le Grenelle de l’environnement est en panne ? La même question peut être posée à propos du « contrat vendanges », de la filière forestière, du poids et des dimensions des véhicules ou encore des transferts de débits de boissons.
Je pourrais citer de la sorte les dispositions abracadabrantes de cette proposition de loi - oui, abracadabrantes, monsieur le secrétaire d’État - pour montrer, comme l’ont fait mes collègues, leur caractère touffu et hétéroclite. Mais à quoi bon ?
Pour conclure mon propos, monsieur le secrétaire d'État, je vous dirai, si vous en aviez douté une seconde, que je suis, bien des élus de mon département le savent, un farouche défenseur du monde de l’entreprise, du monde de l’économie. Je suis toute disposée à travailler, comme il faut et quand il faut, sur des textes qui ne donneront pas le sentiment d’avoir été adoptés par opportunité et dans le seul intérêt de quelques-uns.
Dans le respect de la tradition républicaine et humaniste de mon groupe, vous me trouverez toujours aux côtés de ceux qui défendent avec détermination et conviction les vertus et les principes de notre démocratie. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)