M. Francis Delattre. Mais sans Goulag !
M. Pierre Laurent. La refondation démocratique de l’Union européenne doit être le combat de la France. Commençons par renforcer le rôle des parlements nationaux et du Parlement européen et par doter les citoyens de nouveaux outils d’intervention.
Le traité qu’il va nous être demandé de ratifier tourne le dos à ces trois objectifs. L’article 3 instaure la fameuse « règle d’or », applicable au budget de la Nation, de la sécurité sociale et des collectivités locales.
À la règle inapplicable, et d’ailleurs inappliquée depuis Maastricht, des 3 % du PIB s’ajoute dorénavant celle du non-dépassement de 0,5 % de déficit structurel.
Les États signataires acceptent de surcroît de se soumettre à un « mécanisme de correction ». C’est ainsi que le « projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques », que nous examinerons dans quelques jours, prévoit la création d’un Haut conseil des finances publiques, une instance dont l’unique fonction sera de mettre sous surveillance les budgets publics, singulièrement ceux des collectivités locales, ce que le Président de la République a omis de le dire aux élus réunis ici voilà quelques jours lors des états généraux de la démocratie territoriale.
C’est au nom de cette règle d’or, et par anticipation, que vous décrétez déjà un « choc budgétaire » de 30 milliards d’euros en 2013, avant d’autres « chocs » à venir, de même ampleur, voire d’ampleur supérieure, dont les deux tiers seront payés par les citoyens.
S’agissant de la sécurité sociale, les économies prévues, déjà très importantes, vont amplifier l’augmentation des inégalités d’accès aux soins et des « reste à charge » pour les plus fragiles, donc la fragilisation de l’hôpital public.
Les collectivités locales, quant à elles, ne verront pas la couleur des compensations des transferts de compétences, et la baisse des dotations dépassera, on le sait, les 2 milliards d’euros. Comment, dans ces conditions, revitaliser les territoires ruraux et les quartiers populaires ?
Pour couronner le tout, les budgets et les projets de réforme économique devront être visés par la Commission européenne avant d’être examinés par les parlements nationaux, et des corrections pourront être demandées.
Le texte prévoit enfin, à l’article 8, qu’un État, même seul, peut en attaquer un autre devant la Cour de justice de l’Union Européenne et réclamer des sanctions financières contre lui s’il estime que des engagements ne sont pas respectés. Bel état d’esprit : la délation en lieu et place de la solidarité !
La perspective européenne que dessine ce traité, c’est un « fédéralisme autoritaire » au service des plus puissants, à commencer par l’Allemagne.
D’ailleurs, Angela Merkel est déjà à l’initiative pour la prochaine étape : une nouvelle centralisation de la « gouvernance économique ».
Ce traité, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre délégué, n’a pas été renégocié, comme l’avait promis François Hollande. Le texte signé en mars par Nicolas Sarkozy est intact. (Marques de satisfaction sur les travées de l'UMP.)
M. Charles Revet. Et voilà !
M. Pierre Laurent. Le volet « croissance » obtenu au mois de juin dernier ne fait absolument pas le poids.
D’abord, juridiquement, il n’aura pas de valeur, tandis que la loi du traité, elle, s’imposera. Les sommes évoquées, 120 milliards d’euros, constituent une goutte de croissance dans un océan d’austérité ; à titre de comparaison, je rappelle que la totalité des plans d’austérité imposés dans les pays européens atteint 440 milliards d’euros sur cinq ans. De surcroît, les sommes concernées seront conditionnées à des mesures dites « de compétitivité ».
Cela explique-t-il le soudain engouement qu’on perçoit ces jours-ci pour un « choc de compétitivité » de 30 milliards à 40 milliards d’euros contre les salaires ? Une mesure qui n’a jamais figuré dans les 60 engagements de François Hollande, mais qui correspond exactement au contenu du « paquet emploi » de M. Barroso, un arsenal de déréglementation du droit du travail et d’écrasement des salaires.
Voila pourquoi il n’existe pas de majorité populaire, ni de majorité de gauche pour soutenir ce traité !
M. Jean Besson. Ce n’est pas vrai !
Mme Éliane Assassi. Bien sûr que si !
M. Pierre Laurent. Vous ne le ratifierez qu’avec la droite, qui endosse sans complexe l’héritage empoisonné de Nicolas Sarkozy. Nos collègues de droite suivront à la lettre les recommandations de Laurence Parisot : « On ne doit pas se poser la question de la ratification du traité européen : il faut le signer des deux mains. » Pour notre part, nous garderons le cap du changement. (Rires sur les travées de l'UMP.)
Je vous lance un ultime appel. Ne ratifiez pas ce traité ! Consultez les Français, si vous êtes si sûrs de la majorité qui existe à gauche dans le pays ! Envoyez un signal aux citoyennes et aux citoyens, aux forces politiques, sociales et syndicales, et aux mouvements de résistance, qui, sur notre continent, sont prêts à relever le défi de la réorientation de l’Europe !
Mme Éliane Assassi. Exactement ! Allez, un peu de courage !
M. Pierre Laurent. Prenez l’initiative – nous faisons cette proposition au gouvernement de la France – de convoquer au nom de notre pays des états généraux de la refondation européenne, en créant un processus citoyen et démocratique pour redéfinir les objectifs de l’Union européenne !
Tôt ou tard, les forces de gauche, si elles veulent réussir une politique de changement, devront se rassembler pour mener une telle réorientation. Soyez assurés que, pour notre part, nous ne ménagerons aucun de nos efforts pour continuer à travailler à ce rassemblement ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Jean-Pierre Chevènement applaudissent également.)
Un sénateur de l’UMP. C’est cohérent !
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet après-midi, après avoir entendu M. le Premier ministre, ainsi que les présidents de commission ou leurs représentants, nous devrions tous être satisfaits.
En effet, au moment où nous parlons, l’Europe devrait être un sujet non plus de clivage, mais de rassemblement, au même titre que les valeurs républicaines.
Et pourtant, monsieur le Premier ministre – je m’adresse à lui même s’il a quitté l’hémicycle puisque c’est lui qui a ouvert ce débat, mais je compte sur vous, monsieur le ministre, pour lui transmettre mon propos –, si vous employez nos mots, vous ne dites pas la même chose que nous.
M. Charles Revet. C’est bien le problème !
M. François Zocchetto. L’Europe est un engagement là où vous n’en faites qu’une nécessité, une contrainte. Vous invoquez l’urgence, vous invoquez la crise pour justifier votre position sur le pacte budgétaire. Ce n’est pas cela qu’il faut faire aujourd’hui.
Après un demi-siècle de construction européenne, nous avons le sentiment de subir, une fois de plus, alors que nous devrions adhérer en bloc à un projet.
Je comprends votre embarras, car nous n’avons pas la même définition de l’Europe. D’ailleurs, nous n’avons pas non plus la même conception de l’engagement.
Souvenons-nous : n’est-ce pas vous, monsieur le Premier ministre, qui appeliez au référendum pour ratifier le traité de Lisbonne ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il avait raison !
M. François Zocchetto. N’est-ce pas vous qui aviez refusé de voter la ratification du traité de Lisbonne au Congrès ?
N’est-ce pas vous, encore, qui avez refusé de voter la règle d’or constitutionnelle, voilà à peine plus d’un an ?
M. Jean Bizet. Eh oui !
M. François Zocchetto. N’est-ce pas vous, enfin, qui n’avez pu empêcher l’ensemble des parlementaires socialistes de s’abstenir lors de la ratification du traité portant création du Mécanisme européen de stabilité, en février dernier, ce qui n’est pas si ancien ?
M. Jean-Jacques Mirassou. Et le vase de Soissons !
M. François Zocchetto. De mauvais esprits pourraient penser que, si vous n’avez qu’une parole, c’est pour la reprendre souvent. (Sourires sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
Face à un tel changement d’attitude, nous attendons une explication. Nous sommes nombreux à hésiter, monsieur le Premier ministre : avez-vous eu une subite révélation ou vous livrez-vous simplement à un triste exercice de récupération politique ?
M. Jean-Jacques Mirassou. Petit bras !
M. François Zocchetto. Il n’est pas interdit de penser qu’en montant les marches de Matignon vous ayez eu une subite révélation sur l’état de la France et de l’Europe, et sur la façon dont tourne le monde dans lequel nous vivons. Si tel était le cas, je pourrais m’en féliciter et me dire que, après tout, cela peut arriver à tout le monde.
M. Michel Delebarre. Cela vous arrivera peut-être un jour !
M. François Zocchetto. Malheureusement, je crains qu’il ne s’agisse plutôt d’un exercice de politique classique. D’ailleurs, monsieur le Premier ministre, ne nous avez-vous pas expliqué tout à l’heure que, avant ce gouvernement, il n’y avait pas de politique européenne ?
Mais alors, quid du Fonds européen de stabilité financière, de la mise en place du Mécanisme européen de stabilité…
M. Jean-Jacques Mirassou. Quelle stabilité, justement !
M. François Zocchetto. … et de toutes les tentatives pour créer des mécanismes de convergence ? S’agissait-il d’illusions ? Toutes les rencontres qui ont eu lieu ces dernières années ne relevaient-elles que de simples plans de communication ?
Vous avez également affirmé que M. Hollande avait arraché de façon héroïque à l’Allemagne un pacte de croissance. Regardons les choses d’un peu plus près.
D’abord, que sont 120 milliards d’euros…
M. Jean-Pierre Sueur. C’est pas mal…
M. François Rebsamen. C’est moins que le déficit que vous nous laissez !
M. François Zocchetto. … quand la Banque centrale européenne a injecté plus de 1 000 milliards d’euros dans l’économie européenne ? Que sont 120 milliards d’euros quand, je le rappelle, le plan de relance américain de 2009 s’élevait à 1 700 milliards d’euros !
Ces 120 milliards d’euros, rapportés au nombre d’habitants en Europe, représentent 133 euros par personne !
M. Alain Néri. Et la dette que vous avez laissée, combien par Français ?
M. François Zocchetto. Encore faut-il préciser que la moitié de cette somme sera liée à un effet de levier bancaire, purement virtuel.
Force m’est aussi de rappeler, même si cela ne vous plaît pas, que ce plan de 120 milliards préexistait à l’installation de votre gouvernement.
Autrement dit, tout cela ne présente pas d’intérêt : c’est du pur habillage !
En réalité, vous vous êtes rendu compte que le président Nicolas Sarkozy, que nous n’avons pas toujours soutenu, il s’en faut, n’avait pas tout à fait tort en matière de politique européenne ! Vous vous êtes rendu compte que la croissance économique ne se décrétait pas. Vous vous êtes rendu compte, enfin, que nos partenaires européens, et l’Allemagne au premier chef, se refuseraient à financer avec leurs propres deniers une politique budgétaire conjoncturelle dispendieuse et inutile simplement pour nous offrir le luxe de ne pas accomplir les réformes structurelles dont notre pays a tant besoin.
Comme je vous l’ai dit, nous n’avons pas la même conception de l’engagement.
M. Alain Néri. Heureusement !
M. François Zocchetto. Vous vous étiez engagé à renégocier le traité. Or vous vous apprêtez à faire ratifier le traité signé par Nicolas Sarkozy. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UCR, ainsi que sur celles de l'UMP.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ils ont raison !
M. François Zocchetto. Et à la virgule près !
La majorité ne s’y est pas trompée puisque même vos alliés écologistes – à demi-mot, mais nous réussissons à lire entre les lignes – et communistes – eux, de façon très claire – refusent de participer à cette pantomime.
Et je n’ai pas besoin de vous rappeler qu’il n’y a de consensus à ce sujet ni parmi les parlementaires socialistes ni même au sein du Gouvernement !
M. François Rebsamen. Idem à l’UMP !
M. François Zocchetto. Alors, vous vous tournez secrètement vers le centre et la droite de cet hémicycle !
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Oh, le centre…
M. François Zocchetto. Vous le faites du bout des lèvres, parfois avec un soupçon de dédain. Vous vous targuiez, hier encore, de ne pas avoir besoin de notre soutien !
M. Daniel Raoul. Gardez-le !
M. François Zocchetto. Ah oui ? Sans nous, je me demande bien comment le traité serait ratifié au Sénat !
Laissez-nous prendre toute la mesure – je ne dis pas : nous réjouir – de cet instant : le Gouvernement va faire ratifier un traité aussi important grâce à l’appui de parlementaires qui ne font pas partie de la majorité…
M. Daniel Raoul. Vous n’êtes pas obligés !
M. Didier Guillaume. Ce n’est pas de la politique politicienne !
M. François Zocchetto. Nous, les centristes, nous demandons depuis de nombreuses années un véritable « saut » fédéraliste en Europe. Nous n’avons cessé d’affirmer que le Pacte de stabilité et de croissance, dont on nous rebat les oreilles depuis un moment, n’était qu’un pacte de menteurs et de tricheurs (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.), que la France n’a d’ailleurs jamais respecté.
Certes, ce traité est une étape. Il y en aura d’autres, qui sont d’ailleurs déjà en préparation. La presse s’en fait l’écho, les autorités européennes se sont penchées sur la suite des événements. Je regrette, monsieur le Premier ministre, que vous soyez le seul à ne pas nous parler de ce qui va arriver concrètement. Y aura-t-il d’autres pactes de croissance, par exemple ?
En réalité, au-delà des apparences et des mises en scène médiatiques, vous êtes bien isolé en Europe. En février dernier, le plan proposé par David Cameron et Mario Monti, qui n’ont pourtant pas la même sensibilité politique,…
M. Jean-Jacques Mirassou. Deux fameux gauchistes, tout de même ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. François Zocchetto. … prévoyait d’aller plus loin dans l’intégration du marché unique.
En mai dernier, la Commission européenne a proposé un plan pour l’emploi en Europe, qui demande avant tout des réformes structurelles de la législation du travail. Bref, toutes les contributions qui ont été apportées depuis un an par nos partenaires vont dans le sens inverse des mesures que vous avez prises ou annoncées ces derniers mois.
Pour notre part, nous pensons que la crise ne pourra être surmontée qu’avec l’Europe. L’Europe exige maintenant que nous prenions nos responsabilités. La coopération économique et budgétaire n’a pas de sens lorsqu’on s’applique à faire croire qu’il n’y aura rien de contraignant à l’avenir. Elle n’a pas de sens lorsqu’on s’échine à faire croire à l’opinion que l’on peut changer les règles du jeu à sa guise.
M. François Rebsamen. N’est-ce pas ce que Sarkozy a fait en 2007 ?
M. François Zocchetto. Monsieur le Premier ministre, nous souhaiterions que vous nous expliquiez comment vous allez harmoniser le prochain projet de loi de finances avec le traité.
Nous souhaiterions que vous nous expliquiez comment redonner de la compétitivité à l’industrie européenne, en particulier à l’industrie française. Avez-vous des mesures concrètes à nous annoncer sur le coût du travail, sur la flexibilité ?
Nous souhaiterions que vous nous disiez comment vous allez protéger le modèle social européen en l’appuyant sur des réformes structurelles. Je pense, notamment, au problème du financement de la protection sociale.
Nous souhaiterions que vous nous disiez comment vous comptez harmoniser la fiscalité en Europe.
M. François Rebsamen. Comme vous ne l’avez pas fait !
M. François Zocchetto. Nous souhaiterions que vous nous disiez quelle est votre conception de la gouvernance européenne à un moment où la démocratie est en panne, où nos concitoyens s’éloignent de l’Europe et où le manque cruel d’exécutif européen est flagrant aux yeux de tous.
C’est un poste bien difficile, aujourd’hui, que celui de Premier ministre, lorsqu’il s’agit d’évoquer les questions européennes !
M. Michel Delebarre. C’est pour ça qu’on ne vous l’a pas confié ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. François Zocchetto. À trop vouloir mettre en scène un volontarisme de façade, vous ne parviendrez pas à dissimuler l’échec de la renégociation promise aux Français par François Hollande lors de la campagne présidentielle.
À trop vouloir vous arroger le bénéfice de travaux menés par vos prédécesseurs, quels qu’ils soient, vous ne faites que lever le voile sur les failles internes de votre majorité.
À trop vouloir réécrire l’histoire, vous allez en perdre la mémoire.
Monsieur le Premier ministre, il ne suffit pas de crier « l’Europe ! » à hue et à dia pour être européen. Il ne suffit pas de prendre l’air grave pour être pris au sérieux.
Monsieur le Premier ministre, force est de constater que nous ne pouvons pas vous féliciter pour la fidélité de vos engagements passés. Quoi qu’il en soit, nous saluons, c’est vrai, votre sens de la continuité de l’État, qui vous conduit à nous demander aujourd’hui de ratifier un traité dont vous n’êtes ni l’inspirateur, ni le coauteur, ni le signataire.
Évidemment, si cette déclaration politique avait été suivie d’un vote – c’est un leitmotiv chez nous, car nous aimons les déclarations politiques soient suivies d’un vote –, nous ne l’aurions pas votée.
M. Jean Bizet. Exactement !
M. François Zocchetto. Pour autant, bien qu’il s’agisse en fait d’une pièce qui est jouée devant nous et devant les Français, les sénateurs centristes ne se défileront pas. Ils resteront fermes sur leurs convictions européennes.
M. Michel Delebarre. Cela change !
M. François Zocchetto. Nous voterons donc avec enthousiasme la ratification du traité qui sera discuté à la suite de ce débat.
Jean-Marc Ayrault l’a souligné tout à l’heure, à une autre époque, la tactique l’aurait emporté sur l’intérêt national. Eh bien, effectivement, pour nous, aujourd’hui et demain, ce ne sera pas le cas ! (Applaudissements sur de nombreuses travées de l'UCR, ainsi que sur celles de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe RDSE, très majoritairement, votera le traité budgétaire européen. (Très bien ! et applaudissements sur de nombreuses travées du groupe RDSE et du groupe socialiste.) Cela correspond à la conviction des radicaux que je représente.
Une autre parole s’exprimera par les voix de Jean-Pierre Chevènement, de Pierre-Yves Collombat…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !
M. Jacques Mézard. … et de Robert Hue.
Nous les respectons parce que l’expression libre est la tradition de notre groupe, parce qu’elle repose sur de réelles convictions, qui ne plient pas au gré des échéances électorales et des sondages d’opinion.
L’Europe, c’est la chance de la France. Essayons de la vivre avec optimisme.
On ne saurait contester aux radicaux leur attachement viscéral à la République, à la Nation. Notre histoire en est le gage, elle se confond avec elles. Tant de nos voix ont fait retentir ici cet attachement.
On ne saurait contester davantage aux radicaux leur constance à construire l’Europe, Maurice Faure en fut la noble illustration en 1957.
De notre longue histoire – trop longue pour certains ! – nous avons retiré la certitude que l’avenir de la Nation française est dans l’Europe, au cœur de l’Europe, ce cœur que nous devons faire battre pour faire en sorte que les Européens ne se battent plus entre eux.
La construction européenne est constamment un combat : elle exige de la persévérance, de l’acharnement ; elle n’est pas un long fleuve tranquille, elle se complique à chaque élargissement. C’était une performance à six pays ; à vingt-sept pays, demain davantage, tout est difficile, et des avancées sont parfois impossibles en l’état des règles institutionnelles.
Certaines décisions ne furent point adéquates ; certaines orientations doivent être revues. Force est de constater qu’une monnaie unique sans corrélation avec des économies nationales trop diversifiées justifie de nouvelles évolutions, que les différences entre les pays d’Europe du Nord et les pays d’Europe du Sud s’aggravent. Or cet écart qui se creuse est facteur de risques considérables pour l’Europe. De même, l’accumulation de directives et de normes européennes doit être stoppée.
En dépit de toutes ces difficultés, notre devoir est de continuer d’avancer. Mes chers collègues, il ne faut pas moins d’Europe, mais plus d’Europe et mieux d’Europe !
M. François Rebsamen. Très bien !
M. Jacques Mézard. Soyons clairs, c’est l’affaire et le devoir des partis de gouvernement, de ceux qui ont vocation à assumer la responsabilité de l’exécutif. À nos yeux, les grandes réorientations en matière européenne nécessitent le plus large consensus, nos voisins allemands l’ont compris depuis longtemps !
Pour nous, radicaux, voter le traité budgétaire avec nos collègues de l’opposition ne pose aucun problème, car ce vote est utile à la République.
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. Jacques Mézard. Quant à la solidarité gouvernementale, monsieur le ministre délégué, il y a ceux qui la proclament et ceux qui la pratiquent. Ce ne sont pas toujours les mêmes ! (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
Je constate que ceux qui contestent aujourd’hui le TSCG ont, depuis plus de soixante ans, rejeté tous les traités européens et se sont constamment opposés à la construction européenne sous toutes ses formes. Leurs opinions sont respectables, mais nous ne les partageons pas.
Nous déplorons que l’Europe soit systématiquement désignée comme le responsable de tous les maux nationaux, car c’est injuste et dangereux. Instiller constamment dans l’opinion publique, dans l’esprit de nos concitoyens, que chacun de leurs problèmes a une origine dans les oukases de Bruxelles, peut s’avérer électoralement payant – c’est d’ailleurs souvent le cas ! –, mais nous considérons qu’un tel discours est contraire à l’intérêt de nos concitoyens et de la nation.
Il est révélateur que ce discours anti-européen fasse le lit de tous les populismes, que l’extrême droite en fasse constamment le terreau de ses pousses mortifères, en cristallisant les problèmes sans proposer de solutions.
La crise frappe l’Europe depuis cinq ans. Son origine a trop vite été oubliée : les événements consécutifs à la crise des subprimes aux États-Unis. Encore une fois, l’Europe est à un tournant. D’aucuns peuvent penser que ce traité est un moyen de prolonger l’agonie d’un système. Pour notre part, nous considérons qu’il est au contraire le moyen de permettre à l’Europe de faire face aux difficultés immédiates et de relancer sa construction.
Quels sont les arguments des détracteurs de ce traité ? En vérité, aucun d’entre eux ne résiste à une analyse objective de ce texte. Quant à ceux qui prônent comme solution la sortie pure et simple de l’euro, ils prônent en fait la catastrophe.
Mme Françoise Laborde. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Certains estiment que ce traité est un carcan de règles budgétaires absolument inédit, qui va entériner la toute-puissance de la rigueur et nous enfermer à jamais dans une spirale récessive. Certes, un risque existe, mais nous pensons justement qu’il sera évité grâce au traité.
En fait, nombre de règles contenues dans le TSCG sont déjà présentes dans le droit européen, comme l’a d’ailleurs justement souligné le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 août 2012. Il a également confirmé que le traité budgétaire ne remettait pas en cause les conditions essentielles de la souveraineté nationale, ni la souveraineté budgétaire du Parlement. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe a fait la même analyse et jugé que le TSCG, tout comme le traité instituant le mécanisme européen de stabilité, le MES, déjà ratifié par la France, respectait pleinement les prérogatives du Bundestag, soit dit en passant plus larges que celles du Parlement français.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très juste !
M. Jacques Mézard. Ce traité ne nécessite donc pas de révision constitutionnelle ; il n’est pas non plus irréversible.
D’ailleurs, cher président Placé, vos collègues allemands de Die Grünen, l’ont, eux, bien compris, si j’en crois un document qu’ils ont publié le 15 juin.
Le communiqué de presse de votre homologue au Bundestag, publié le jour du vote du TSCG et du MES, a confirmé que son groupe parlementaire les voterait, compte tenu notamment des avancées obtenues au Sommet européen des 28 et 29 juin 2012, en particulier le pacte pour la croissance et pour l’emploi, pour l’adoption duquel, il faut le souligner, le Président de la République a dû mener un véritable bras de fer avec la Chancelière Merkel. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE – Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
M. Jean-Pierre Plancade. C’est bien de le rappeler !
M. Jacques Mézard. Que contient le TSCG de plus que le « six-pack », ensemble de cinq règlements et une directive, entré en vigueur le 13 décembre 2011, qui a profondément réformé le pacte de stabilité et de croissance de 1997, déjà revu en 2005, lequel détaillait les règles de discipline budgétaire auxquelles les États membres de l’Union européenne devaient se conformer ?
Depuis le traité de Maastricht, les États sont dans l’obligation d’avoir un déficit inférieur à 3 % de leur PIB et une dette inférieure à 60 % de ce même PIB. Ces règles trop rigides, sans véritable justification économique à nos yeux, ont souvent été contournées et ont d’ailleurs fait l’objet, de la part de l’ancien président de la Commission européenne, Romano Prodi, d’une appréciation critique.
Aujourd’hui, ce pacte, même révisé, n’est pas une panacée. En revanche, le TSCG contient une règle selon nous plus intelligente et plus protectrice, comme l’ont souligné nombre d’économistes. En effet, la vraie nouveauté, c’est qu’il définit une « règle d’or » : à moyen terme, les déficits structurels ne devront pas dépasser 0,5 % du budget, contre 1 % depuis la révision du pacte de stabilité et de croissance de 2005.
Vous l’avez rappelé, prendre en compte le déficit structurel plutôt que le taux effectif laisse d’importantes marges de manœuvre, tout en garantissant la soutenabilité de nos finances publiques. D’aucuns, et nous pouvons l’entendre, craignent un effet récessif. Il faut y être attentif, ce qui nécessite de réorienter la politique européenne vers la croissance.
M. Jean Besson. Bien !
M. Jacques Mézard. Cette notion permet en effet de faire la distinction entre les phénomènes conjoncturels ou les mesures exceptionnelles et la partie structurelle du déficit qui doit, seule, être limitée. Mes chers collègues, prendre en compte le déficit structurel permet notamment d’éviter les politiques économiques pro-cycliques, qui contribuent à aggraver la situation dans les périodes de récession.
La règle des 0,5 % de déficit structurel autorise une certaine souplesse. D’ailleurs, la France n’aura pas de difficulté à la respecter, puisque, comme l’ont souligné plusieurs économistes, l’objectif que s’est fixé le Gouvernement de revenir à l’équilibre, c’est-à-dire à un déficit effectif nul, d’ici à 2017, est encore plus strict.
En outre, le TSCG, comme le pacte de stabilité, prévoit que les États peuvent s’écarter temporairement de l’encadrement des déficits en présence de circonstances exceptionnelles.
Réduire notre déficit et notre dette est un impératif. Nous le savons et nous devons le faire, d’abord, parce que le retour progressif à l’équilibre est le seul moyen de ne pas tomber dans une dépendance à l’égard des marchés financiers, ensuite, parce que, comme l’a formulé la présidente de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale, « c’est aussi un devoir moral : nous ne pouvons pas faire supporter aux jeunes générations le poids du surendettement de leurs aînés ».
Le TSCG, qui n’est pas une fin en soi, n’inaugure donc pas l’ère de l’austérité. Il contient surtout un principe : l’encadrement du déficit et de la dette des États, qui devrait être une évidence pour chacun d’entre nous et qui, d’ailleurs, fait partie des engagements du Président de la République.