M. Francis Delattre. Comme Papandréou ?
M. François Rebsamen. … ce que le Président de la République est parvenu à faire, sans rompre le lien avec nos amis allemands.
Je dois le dire à nos collègues qui ont des doutes à ce sujet, ce traité ne comporte sur le niveau de la dépense publique aucune contrainte autre que celle que la France s’est fixée à elle-même pour retrouver l’indispensable équilibre de ses finances, condition même du redressement du pays, car la réduction de l’endettement exorbitant que vous nous avez légué, mes chers collègues, est la condition incontournable de l’indépendance de la France.
Nicolas Sarkozy voulait faire inscrire la règle d’or dans la Constitution, après s’en être lui-même allègrement affranchi dès 2007, dès son élection. Il était même prêt à l’imposer à marche forcée juste avant l’élection présidentielle.
Aujourd’hui, ce carcan n’existe pas. La souveraineté du Parlement en matière de finances publiques reste intacte et la règle d’or ne figure pas dans notre Constitution.
M. Francis Delattre. Dommage !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Personne n’a jamais su dire ce qu’est la règle d’or !
M. François Rebsamen. C’est vrai !
La règle d’or, disais-je, n’avait pas à figurer dans la Constitution. D’ailleurs, le traité le réaffirme, dans son article 3, paragraphe 2. Et la jurisprudence créée par l’arrêt de la Cour de Karlsruhe le confirme, puisqu’elle reconnaît clairement que la liberté de décision du Bundestag est totale en matière budgétaire.
Plus largement, ce qui me paraît marquer la rupture avec le traité Merkel-Sarkozy – que certains ont cru pouvoir appeler le traité « Merkozy », ce que je ne me permettrai pas de faire –, ce qui, en tout cas, en change la nature, c’est son inscription dans un paquet global qui consacre la réorientation européenne voulue et obtenue par François Hollande.
Nous ne sommes donc plus dans la logique de Nicolas Sarkozy qui disait, lors d’une émission de télévision pendant la campagne : « Le traité, seulement le traité, rien que le traité ». Et il aurait pu ajouter : « Tout le traité. ».
M. Francis Delattre. Parlons-en du traité ! Vous n’en avez même pas changé un point-virgule !
M. François Rebsamen. Allez-y ! Mais laissez-moi parler !
Nous nous inscrivons dans une autre démarche, une approche nouvelle, beaucoup plus globale, de l’avenir européen.
Dans le cadre de cette démarche, je commencerai par évoquer la sortie de crise. Après les dix-neuf sommets européens, qui se soldaient par des communiqués triomphants, des cris de victoire, des satisfecit, on s’aperçoit qu’en trois ans, aucune réponse définitive n’a été apportée – même si ce n’est pas facile – à la grave crise subie par la zone euro.
Pour la première fois, des mesures concrètes, immédiates, sont sorties du Conseil européen de juin. Il faut maintenant les mettre en œuvre.
Beaucoup ont dû être surpris d’apprendre la possibilité pour la BCE d’intervenir de manière durable pour venir en aide aux États de la zone euro. Et son président a annoncé qu’il allait racheter de la dette de manière illimitée pour éviter la spéculation. Ces mesures sont, me semble-t-il, le fruit des négociations menées par François Hollande, car elles ont permis de desserrer l’étau de ce que vous aimez, l’orthodoxie libérale qui empêchait toute intervention de la BCE, mais ce n’est qu’une étape.
De nombreux collègues ont mentionné la mobilisation de 120 milliards d’euros en faveur de la croissance. Cela représente, pour notre pays, des investissements supplémentaires mobilisables, jusque-là disponibles et inutilisés, de quelque 20 milliards d’euros, sans compter les effets indirects des investissements dans les pays voisins qui, faut-il le rappeler, sont les premiers consommateurs de produits français.
Ensuite, sur le moyen terme, il faut, d’ici à la fin de 2013, continuer la mobilisation des fonds structurels, notamment les fonds régionaux, dont la gestion – cela fera plaisir aux décentralisateurs que vous êtes – sera confiée aux régions, comme elles le demandaient depuis 2004.
M. Michel Delebarre. Très bien !
M. François Rebsamen. Cela va permettre, nous n’en doutons pas, d’optimiser l’utilisation et la pertinence de ces fonds, grâce à la proximité avec les besoins de terrain.
M. Francis Delattre. Cela change tout !
M. François Rebsamen. Cela change tout, en effet !
La recapitalisation de la BEI, qui va démultiplier sa capacité de prêt, permettra de financer des projets d’avenir, dans le domaine de l’innovation, de la recherche ou de la transition énergétique. De plus, nous espérons beaucoup des project bonds pour garantir des émissions obligataires destinées à financer des investissements dans le domaine des infrastructures, des télécommunications, de l’énergie et des transports. D’ailleurs, la première phase pilote mise en place à l’issue du Conseil européen de juin représente un investissement de 4,5 milliards d’euros.
Alors, ce pacte de croissance est-il, comme je l’ai entendu, une coquille vide ? Non ! Il s’agit du creuset d’une relance de l’économie des États européens, du creuset d’un retour à terme à la croissance et à l’emploi ; et ce retour, nous le voulons ! C’est, enfin, le creuset d’un espoir pour les peuples d’Europe, avec la fin de l’austérité programmée et l’éloignement du spectre de la récession !
À ces mesures de court et moyen terme viennent s’ajouter de nouvelles perspectives pour une Europe plus intégrée, plus solidaire et – les socialistes y sont très attachés – plus sociale : la mise en œuvre de l’Union bancaire, l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés et la création, enfin, d’une taxe sur les transactions financières pour laquelle le Président de la République plaidait déjà – cela intéresse surtout nos collègues socialistes – lors du congrès du parti socialiste de Dijon, en 2003. Onze pays sont prêts aujourd’hui à la lancer, comme le président François Hollande l’a annoncé hier avec le chancelier autrichien Werner Faymann. Aujourd’hui, on vient d’apprendre de la bouche du Premier ministre que M. Rajoy s’y joignait. Vous le voyez, c’est ainsi que l’on fait avancer l’Europe !
À cette taxe s’ajoutent d’autres mesures : la réciprocité commerciale indispensable dans les échanges mondiaux, ce qu’on appelle maintenant le « juste échange », la coordination des politiques économiques – à condition qu’elles ne soient pas uniquement libérales, car tel n’est pas le but poursuivi – et le développement de mécanismes financiers de solidarité.
Voilà, mes chers collègues, le contexte dans lequel s’inscrit la ratification de ce traité. On est loin de la simple logique comptable qui prévalait sous la précédente présidence.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est vrai !
M. François Rebsamen. Certes, on peut jouer sur les mots, on peut dire qu’il ne s’agit pas stricto sensu d’une renégociation, mais d’un rééquilibrage. L’essentiel est là : c’est une nouvelle vision européenne qui résulte de ce paquet européen global, une avancée décisive vers l’Europe que les socialistes ont toujours défendue, sociale et solidaire.
Aujourd’hui, quel choix s’offre à nous, collectivement ? Rejeter ce traité ?
Ce serait remettre en cause l’euro et ce serait, pour le coup – je le dis à mes amis du groupe CRC –,...
M. Charles Revet. Ils n’entendent pas !
M. François Rebsamen. ... plonger l’Europe dans une crise irréversible et dans une instabilité qui ferait le jeu des spéculateurs (Protestations sur les travées du groupe CRC), une crise sans débouché politique qui aboutirait sûrement à la fin de l’Union monétaire.
Ce serait affaiblir la voix de la France et assurer le triomphe des tenants du repli sur soi et du retour en arrière.
Ce serait faire reculer de vingt ans la construction européenne. Il faut en être conscient et en mesurer les conséquences : il n’existe pas de plan B en réponse à un rejet du traité !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin et M. Pierre Laurent. Si, la réorientation !
Mme Éliane Assassi. Nous l’avons déjà proposée !
M. François Rebsamen. L’autre choix, c’est de voter la ratification de ce traité pour ce qu’il est : un passage obligé, une étape nécessaire,...
Mme Éliane Assassi. Un mal nécessaire !
M. François Rebsamen. ... qu’il faut franchir avant d’en aborder d’autres qui nous mèneront vers l’Europe que nous voulons tous : une Europe qui soutienne la croissance, l’emploi, la solidarité ; une Europe qui offre enfin à ses citoyens un espoir et un avenir.
On oublie parfois, et je souhaite le rappeler à nouveau, comme l’a déjà fort bien fait Daniel Reiner, que l’idéal européen est né au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, qui avait vu le continent européen se déchirer sous l’effet de l’idéologie barbare du nazisme. Cette guerre de 1939 succédait à celle, meurtrière, de 1914, elle-même précédée par celle de 1870 : trois guerres qui ont privé les peuples d’Europe de leurs enfants, de leur jeunesse, de leurs forces vives ; trois guerres dont les cicatrices ont perduré d’une génération à l’autre ; trois guerres qui ont divisé des populations voisines dont les convergences étaient bien plus importantes et nombreuses que les différences. Les « pères de l’Europe » ont constamment gardé à l’esprit cette vocation première de la construction européenne : la paix. Gardons-nous en cet instant de l’oublier !
Choisissons de nous rassembler pour qu’à l’Europe de la paix vienne s’ajouter l’Europe de la prospérité retrouvée, de la croissance et de l’emploi.
Le groupe socialiste, cela ne vous surprendra pas, votera donc ce traité, pour franchir une nouvelle étape vers de nouvelles perspectives européennes de croissance et d’emploi.
Au moment où l’Europe, quoi qu’en pensent certains, regarde ce qui se passe au Parlement français, à Paris, à l’Assemblée nationale hier et au Sénat aujourd’hui, permettez-moi, mes chers collègues, de citer Milan Kundera : « Après avoir été longtemps le cerveau de l’Europe, Paris est encore aujourd’hui la capitale de quelque chose de plus que la France ». Réfléchissons-y ! (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.)
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très belle citation !
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, en introduction de mon intervention et en écho à la déclaration du Premier ministre, je me permettrai, à mon tour, de citer les paroles d’un homme politique français qui fut un grand Européen et dont les propos ne devraient pas manquer de nous faire réfléchir face à la situation actuelle de l’Europe : « Tant qu’on n’aura pas saisi corps à corps l’idée même de souveraineté, tant qu’on n’aura pas répandu et accrédité la conviction que les souverainetés nationales sont limitées, qu’elles peuvent et doivent être subordonnées à des règles d’organisation collective, il n’y aura pas plus d’Europe rationalisée que d’Europe pacifiée ».
Quelques années plus tard, le même homme politique précisait sa pensée quant à une nécessaire unification de l’Europe en déclarant : « [...] celle-ci suppose la mise en place d’organismes supranationaux dont les décisions s’imposent aux États en matière douanière, financière, monétaire, industrielle [...] » ; il ajoutait également : « l’établissement de plans communs de production et d’échange, la création d’organismes communs de contrôle, d’exécution, et peut-être de gestion ».
Monsieur le ministre délégué, vous l’aurez sans doute reconnu... Il ne s’agit ni de Jean Monnet, ni de Robert Schuman, ni de Jacques Delors : cet homme, c’était Léon Blum, dans des écrits et discours qui remontent respectivement à 1930 et à 1948, pour la dernière citation !
En comparaison avec la clarté de ces propos, on comprend que les citoyens aient aujourd’hui du mal à voir le cap que l’Europe est supposée suivre.
Depuis trop longtemps, nous nous sommes contentés de construire l’Europe en réaction aux événements et aux crises, en repoussant sans cesse au lendemain les mesures impliquant des choix et des arbitrages plus profonds. Des erreurs majeures ont ainsi été commises. Je n’en évoquerai que deux.
La première erreur de l’Europe a été de signer, depuis les années quatre-vingt, une multitude d’accords de libre-échange qui ont ouvert le marché unique bien au-delà du raisonnable...
M. Bruno Retailleau. Ça, c’est sûr !
M. André Gattolin. ... et sans totale réciprocité de la part de nos partenaires extra-européens. Avant ces accords successifs, une partie des droits de douane perçus à l’entrée de l’Union abondaient directement son budget. En remplacement de cette ressource propre, nous avons dû faire appel à un renforcement des contributions nationales, ce qui n’a fait qu’accroître les marchandages en tout genre entre les États membres, et a limité d’autant la nécessaire croissance du budget de l’Union. On a ainsi grandement contribué à affaiblir ce qui était, et reste toujours, la principale puissance économique et commerciale de la planète.
La seconde erreur majeure a été d’instaurer une monnaie commune sans se doter de véritables instances de cohésion et de régulation à la fois économique et financière. L’euro était supposé protéger nos économies de la spéculation. Hélas, nous sommes loin d’avoir atteint cet objectif ! L’euro devait être un pas de plus vers une Europe plus unie, mais il paie aujourd’hui, ainsi que les citoyens européens, l’absence de véritable gouvernance économique de l’Europe. Nous payons aujourd’hui le prix de la non-fédéralisation de l’Europe !
Dans cette optique, il est indispensable de renforcer cette Union économique et monétaire en la dotant d’une véritable dimension fédérale.
Cela passe notamment par une extension du mandat de la BCE, afin de lui permettre de venir en aide aux États en difficulté, dans la lignée et le prolongement, notamment, de son nouveau programme de rachat d’obligations.
Cela passe par l’activation, dès cette semaine, du mécanisme européen de stabilité pour soutenir l’Espagne et éviter un terrible effet domino sur les autres économies.
Cela passe aussi par une supervision bancaire intégrée au niveau européen.
Cela doit également passer par une véritable convergence des États membres en matière fiscale.
Comme l’a évoqué le Premier ministre dans sa déclaration, la poursuite de cette convergence fiscale est une impérieuse nécessité. Nous ne pouvons que l’approuver.
Depuis plus de trente ans, les écologistes et les fédéralistes réclament une harmonisation fiscale en Europe. À l’heure où une partie importante de l’économie se dématérialise et où les consommateurs peuvent de plus en plus facilement se jouer des frontières pour procéder à leurs achats, ce ne sont pas seulement des emplois qui se délocalisent à présent, dans les services comme dans l’industrie, mais c’est aussi le produit de la vente effectuée sur un territoire qui est capté par quelques oasis fiscales surgies au cœur même de l’Union européenne. À l’heure où il nous est demandé une rigueur financière sans précédent, de telles pratiques ne sont plus acceptables.
À terme, et une fois la convergence opérée, nous pourrions imaginer qu’une part de l’impôt sur les sociétés aille directement abonder le budget de l’Union européenne.
Le lancement d’une coopération renforcée pour la mise en place d’une taxe sur les transactions financières a été annoncé hier. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette nouvelle. Là encore, il s’agit d’une politique que les écologistes, notamment au sein du Parlement européen, soutiennent depuis une quinzaine d’années ! J’y vois un signe que l’Europe a bel et bien enclenché une évolution que nous espérons salutaire.
Il ne faudrait cependant pas s’arrêter trop tôt en chemin. Le budget européen, que le gouvernement précédent espérait diminuer, équivaut aujourd’hui à 1 % seulement du PIB de l’Union. Pour redonner à l’Union l’élan dont elle a besoin, il conviendrait de faire passer, via la mise en place de nouvelles ressources propres, ce budget aux alentours de 5 % à 7 % du PIB à l’horizon 2025, soit l’équivalent de ce qu’a pu accomplir aux États-Unis, de 1932 à 1945, le président Franklin Delano Roosevelt. L’Europe pourra alors se constituer en puissance budgétaire autonome, capable de faire valoir l’intérêt général européen sur les intérêts nationaux trop souvent divergents.
Monsieur le ministre délégué, l’Union européenne commence doucement à se réveiller. Mais, trop souvent encore, on entend dire qu’elle est insuffisamment démocratique, alors que la démocratie se trouve au fondement même du projet européen.
Pour rendre l’Europe fidèle à elle-même et approfondir les pistes que j’ai évoquées, je ne vois qu’une possibilité : renforcer le pouvoir politique, parlementaire et citoyen sur les orientations de l’Union, à l’échelle du continent comme à celle des États membres.
Nous devons mieux penser l’articulation entre un Parlement européen renforcé et les parlements nationaux, lier davantage, sur ces questions, nos exécutifs au législatif. Bref, il faut politiser l’Europe, donner à la politique européenne l’occasion de se déployer à la fois vers les citoyens et sur une base transnationale. C’est là un vaste mais impérieux chantier pour lequel, si vous êtes résolu à vous y engager, vous aurez le plein soutien des écologistes.
En guise de post-scriptum, je vous rappelle la devise de l’Union européenne : « Unie dans la diversité ». Vous l’aurez compris, les écologistes sont divers, parfois même très divers (Sourires.), lorsqu’il s’agit de ratifier un traité tel que le TSCG. Nous sommes néanmoins unis dans notre vision et notre volonté d’agir quotidiennement en faveur d’une Europe authentiquement fédérale. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, depuis quatre ans, l’Europe s’efforce de faire face à la crise, une crise globale à la fois financière, bancaire, économique et budgétaire. Ces crises se succèdent et s’alimentent mutuellement, et nous poussent légitimement à nous interroger sur les failles de notre modèle européen. Ces failles sont bien sûr des révélateurs. Elles doivent nous obliger à adopter de nouvelles solutions et ces solutions existent.
Tout d’abord, le pacte budgétaire que le Sénat s’apprête à examiner constitue l’une des réponses au problème de la crise budgétaire européenne. Le groupe UMP l’approuvera. C’est en effet, mot pour mot, le texte négocié et finalisé par le précédent Président de la République.
Ensuite, il faudra aussi prendre les décisions concrètes et douloureuses pour sa mise en œuvre. C’est là tout l’enjeu de la loi organique. Nous serons donc vigilants sur la force de son contenu.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Très bien !
Mme Fabienne Keller. La réduction du déficit public dès l’an prochain et le rétablissement de l’équilibre budgétaire d’ici à cinq ans sont des conditions sine qua non du bon équilibre de la zone euro.
Monsieur le ministre délégué, si le gouvernement que vous représentez ne parvenait pas à tenir ses engagements de réduction des déficits, les marchés réagiraient avec force, nous ne pourrions plus emprunter dans des conditions favorables et les difficultés s’enchaîneraient en une spirale infernale. Si la France échouait à se redresser, c’est très probablement la zone euro qui serait tout entière en difficulté et les perspectives européennes seraient alors bien sombres.
Autant dire que, depuis la fin de la dernière guerre, jamais la France n’a été autant au pied du mur. Nous pourrions résumer la situation par une expression familière : « ça passe ou ça casse ».
C’est au nom de cet intérêt qui nous transcende, de sa responsabilité, mais aussi de sa cohérence, que le groupe UMP votera avec conviction et sans hésitation la ratification du traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire.
Ce traité est le fruit d’un accord intergouvernemental signé le 2 mars 2012 par vingt-cinq chefs d’État sur vingt-sept. Après plus de deux années de crise de la dette dans la zone euro, afin d’éviter tout nouveau dérapage, l’Union européenne a ainsi décidé de se doter d’un nouvel outil pour une gestion plus rigoureuse des finances publiques, encadrée par des règles communes strictes et contrôlée par les autres États membres de l’Union.
Nous voterons la mise en place de ce nouvel outil d’autant plus facilement que, comme d’aucuns l’ont rappelé avant moi, ce traité a été signé par le précédent Président de la République, et qu’il n’a pas été modifié depuis, malgré la promesse de François Hollande de le renégocier.
Permettez-moi, à ce propos, de commenter quelque peu longuement la fameuse « réorientation vers la croissance » qui avait été promise par François Hollande.
Vous le savez, ce n’est qu’un document annexé, sans valeur juridique aucune. En outre, cette réorientation repose essentiellement sur le déblocage de 55 milliards d’euros de fonds structurels non encore utilisés, mais qui existent depuis fort longtemps, avec un effet de levier de 45 milliards d’euros. Sur ces fonds structurels déjà prévus – il ne s’agit donc pas d’une nouvelle orientation –, la France recevra au mieux 5 milliards d’euros.
Dans le même temps, votre gouvernement, monsieur le ministre délégué, propose de ponctionner le double, soit 10 milliards d’euros, sur les entreprises dans le projet de budget 2013, alors que, je le rappelle, un alourdissement de 3 milliards d’euros de la fiscalité des entreprises a déjà été voté dans le collectif budgétaire de juillet. Et ne parlons pas de la hausse, encore plus importante, des prélèvements sur les particuliers, hausse qui va fortement freiner la consommation,…
Mme Bernadette Bourzai. Et celle de la TVA alors ?
Mme Fabienne Keller. … alors que celle-ci demeure un des derniers soutiens de notre faible croissance.
M. Claude Haut. Vous n’êtes pas arrivés à la soutenir !
Mme Fabienne Keller. La part des mesures récessives est donc bien supérieure aux quelques fonds qui seront éventuellement débloqués en France en faveur de la croissance.
M. Alain Richard. Il faudrait donc refaire du déficit !
Mme Fabienne Keller. Il est donc inexact de parler d’une politique en faveur de la croissance, mais il est encore temps, monsieur le ministre délégué, de réduire la pression fiscale annoncée et de faire un effort plus important sur les économies de dépenses, par exemple à proportion de la moitié de la réduction du déficit recherchée, comme le préconise la Cour des comptes.
Le Gouvernement dit avoir permis la réorientation de la politique européenne. Permettez-moi, monsieur le ministre délégué, de rappeler les noms des acteurs qui ont opéré les grands changements.
L’union bancaire résulte d’une initiative de Michel Barnier, notre commissaire,…
M. Charles Revet. Eh oui !
Mme Fabienne Keller. … comme d’ailleurs le règlement EMIR et la directive MIFID, qui apportent des éléments très structurants en vue d’une meilleure régulation des marchés financiers.
L’intervention de la BCE a été adaptée à la situation grâce à l’initiative de son président, Mario Draghi.
Quant à la taxe sur les transactions financières – à l’instauration de laquelle onze pays européens se sont dits prêts hier à œuvrer dans le cadre d’une coopération renforcée –, elle a fait l’objet de plusieurs discussions au plus haut niveau lors du G 20 de novembre 2011 sous l’impulsion, très forte et très politique, du précédent Président de la République.
En outre, il convient de rappeler qu’en février 2012 l’actuelle majorité n’avait pas voté le mécanisme européen de stabilité. Je citerai, si les Verts m’y autorisent, Daniel Cohn-Bendit,…
M. Jean-Vincent Placé. Bien sûr !
Mme Fabienne Keller. … qui déplorait alors l’« hypocrisie de la gauche française, Verts compris ».
M. Michel Delebarre. Elle est méchante, hein ?...
M. Charles Revet. Non ! C’est un simple constat !
Mme Fabienne Keller. Baignés dans une actualité économique et sociale européenne morose et pessimiste, les Français ont le sentiment que l’organisation et le mode de fonctionnement de l’Union européenne sont inefficaces et ne sont plus adaptés pour les protéger des crises successives.
Nous le constatons tous sur le terrain, les règles européennes qui influent directement sur la vie des Français souffrent d’un manque de visibilité et de légitimité démocratique. Nos concitoyens comprennent de moins en moins les contraintes imposées par l’Europe. Elles deviennent à leurs yeux, au fur et à mesure que la crise s’aggrave, de plus en plus discutables… notamment parce qu’elles ne sont pas assez discutées !
Les citoyens européens ont l’impression que l’Europe se construit sans les consulter. Tous, et parmi eux les Français, demandent une Europe plus démocratique et plus légitime, dans laquelle ils se sentiraient mieux pris en compte et représentés.
Il est donc nécessaire, mes chers collègues, de sortir du paradoxe d’un Parlement européen très soucieux de démocratie – je veux en témoigner ici –, mais qui peine à faire entendre la voix des citoyens qu’il a la charge de représenter.
La construction européenne est inaboutie. Avec, d’un côté, l’échelon national, de l’autre, l’échelon européen, nous sommes pris entre deux difficultés : notre échelon national est légitime, mais il ne possède plus les leviers et les compétences pour faire face à la crise d’une ampleur inégalée que nous connaissons ; l’échelon européen est outillé pour résoudre la crise, mais, faute de légitimité démocratique, il est bien souvent rejeté par les peuples.
Nous sommes à la croisée des chemins et devons faire un choix.
Première voie possible, nous retournons à une gestion économique et politique nationale : ce ne serait ni souhaitable ni efficace. La France est grande, mais le monde change. La Chine, le Brésil, les États-Unis, l’Inde, le Japon sont autant de puissances politiques intégrées, aux pouvoirs politique et économique forts. La France est-elle armée pour lutter à moyen et long terme contre ces puissances ? Évidemment, non !
Seconde voie, nous décidons d’aller vers une plus grande intégration, non seulement économique, mais aussi et surtout politique et sociale, au niveau européen. Cette voie, qui a été évoquée par plusieurs de mes collègues siégeant sur diverses travées, fait, me semble-t-il, l’objet d’un véritable consensus, mais il nous faut maintenant avancer dans sa direction. Si l’Europe se voit conférer par le TSCG de nouveaux pouvoirs pour surveiller les budgets nationaux comme pour imposer des mesures d’austérité et des réformes, elle devra aussi participer à une véritable union politique, avec un Parlement européen et un Président de l’Europe forts.
Nous devrions approfondir l’idée d’un Parlement à « 17 + », c’est-à-dire d’un lieu démocratique réunissant les députés européens et des délégations des parlements nationaux des pays de la zone euro, auxquels pourraient s’adjoindre les autres États membres qui souhaiteraient s’associer à cette première étape vers l’intégration politique et sociale.
Autre suggestion de ma part, à l’échelon non plus européen mais national cette fois, le Sénat pourrait également assurer sa part en construisant un lieu de débat et de rencontre, non seulement entre les niveaux européen et national – pratique qui existe déjà –, mais aussi avec les acteurs de terrain, les maires et les représentants des collectivités territoriales notamment.
Ce lieu servirait de cadre pour aborder des problématiques qui nous concernent tous. Je pense, par exemple, à la mise en œuvre des directives européennes dans le domaine de l’environnement : souvent difficile, car mal acceptée sur le terrain, elle pourrait être facilitée grâce à des discussions plus approfondies et à une meilleure prise en compte des réalités.
Ce moment historique de la construction européenne appelle le retour d’une véritable démocratie européenne, qui ne soit pas seulement celle des scrutins, mais aussi celle des esprits et des consciences.
C’est en développant le sentiment d’appartenance que nous pourrons résoudre ensemble le problème de la crise de confiance à l’égard de l’Europe. Pour que chacun puisse se sentir vraiment intégré et pour que nous puissions partager une communauté de destin, il nous faut aussi partager des valeurs communes et même, j’ose le dire, un idéal.
Strasbourg,… (Ah ! sur les travées de l’UMP et de l’UCR.) Strasbourg et son histoire ont toute leur place dans cette quête. Strasbourg, presque évoquée tout à l’heure, de manière subliminale, par François Rebsamen, n’est pas seulement le symbole de la paix entre la France et l’Allemagne. C’est aussi le symbole de la capacité, à un moment historique, quelques années après un drame inouï, de construire une nouvelle vision partagée, un nouvel avenir, de reconstruire le dialogue, d’ouvrir la voie à la négociation et aux concessions entre deux pays qui étaient des « ennemis héréditaires ».
Strasbourg n’est pas seulement le symbole d’une histoire. C’est surtout l’incarnation d’une méthode profondément européenne : la construction d’un projet partagé, de perspectives communes qui permettent de dépasser les difficultés actuelles et de rassembler les Européens autour d’une vision d’avenir.
Or l’Europe manque de vision. L’Europe, telle que nous la connaissons, celle de la CEE puis de l’UE, et de l’euro, repose sur des fondements réglementaires et économiques, reléguant au second plan les dimensions politiques et symboliques. On parle souvent du rêve américain. Il nous faut proposer un rêve européen,…