M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.
M. Georges Labazée. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, le texte que nous propose cet après-midi Gérard Roche vise à apporter une nouvelle ressource au financement de l’allocation personnalisée d’autonomie, afin de mieux compenser les dépenses départementales en la matière. Tous les orateurs qui se sont succédé à cette tribune l’ont relevé.
Preuve de ce diagnostic partagé et écouté, le Président de la République a lui-même fait mention du contexte, cet effet de ciseaux que subissent lesdites collectivités, dans son allocution prononcée à la Sorbonne à l’occasion des états généraux de la démocratie territoriale : « Je connais les difficultés des départements, pris en tenailles entre les dépenses qui augmentent régulièrement, la dépendance, le handicap, le RSA – surtout en cette période – et des recettes qui stagnent ou qui diminuent. »
Les récents chiffres publiés par l’Assemblée des départements de France sont clairs. Les départements représentent environ un tiers des dépenses des collectivités locales. Sur les 70 milliards d’euros de dépenses, 16 milliards correspondent aux principales politiques transférées ou créées depuis 2 000 : l’APA, la PCH, le RMI, le RSA. Elles ont progressé de 4,6 % en 2011, notamment en raison du vieillissement de la population, et la crise actuelle laisse prévoir une nouvelle progression l’an prochain.
Les allocations de solidarité relèvent-elles de l’effort des départements ou de la solidarité nationale ? La question a été posée à plusieurs reprises, madame la ministre déléguée. Sur le fond, nous sommes d’accord, mais je doute que l’État reprenne, dans les années qui viennent, l’intégralité de ces prestations ou allocations universelles.
Dans le même temps, les compensations versées par l’État au titre de ces prestations stagnent à 8,6 milliards d’euros. Hors aide sociale, la progression des dépenses réelles de fonctionnement devrait atteindre 2 % en 2012, dont 3 % de plus pour les dépenses de personnel.
Pendant des années, les conseils généraux ont vu leurs budgets « sauvés » par les droits de mutation qui, en 2011 encore, ont représenté 13 % de leurs recettes de fonctionnement, c’est-à-dire 8,6 milliards d’euros. Cependant, depuis la fin du premier trimestre de la présente année, la situation s’est inversée. Une enquête réalisée sur soixante-quatorze départements montre, en juin dernier, une baisse de 33 % des droits de mutation. Dans le même ordre d’idées, les ventes de carburant, qui servent d’assiette à la taxe perçue par les départements, ont baissé de 2 %.
Face à la volatilité de leurs ressources compte tenu de la conjoncture économique très défavorable, du vieillissement de la population et de l’extension du champ du handicap reconnu par la société, l’inquiétude est grande quant au dynamisme de l’évolution de ces dépenses à la charge des départements.
Chers collègues, après ce bref aperçu de la situation financière de nos départements, je recentre mon propos sur l’APA.
Les chiffres ont été donnés, je ne les rappellerai pas. Trois propositions de loi identiques déposées par le groupe socialiste, par le CRC-SPG et le RDSE avaient été l’occasion de lancer un cri d’alarme, comme vous l’avez indiqué en commission, monsieur le rapporteur. Examinées par le Sénat en décembre 2010, ces propositions de loi ont pourtant été rejetées par la majorité sénatoriale d’alors.
En juin 2011, les départements de la Seine-Saint-Denis et de l’Hérault voyaient leur question prioritaire de constitutionnalité examinée par le Conseil constitutionnel. Ce dernier jugeait que le mécanisme de compensation financière de l’APA ne portait pas atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Les voies du Conseil sont parfois impénétrables, surtout au regard de cette décision… Quoi qu’il en soit, le Conseil a émis deux réserves. La première impose au pouvoir réglementaire d’ajuster le taux de charges nettes d’APA par rapport au potentiel fiscal, assurant que chaque département peut bénéficier d’un concours qui évite que ne soit entravée sa libre administration. La seconde, dans le cas où l’augmentation des charges nettes d’APA ferait obstacle à la réalisation de cette garantie de ressources, renvoie aux pouvoirs publics le soin de modifier les modalités de financement du concours pour en permettre l’augmentation.
Madame la ministre déléguée, voilà un bon devoir de vacances pour vous et vos collaborateurs en 2013 !
Outre le diagnostic d’asphyxie des finances départementales, je ne peux que partager avec les auteurs de la proposition de loi le constat de la nécessité d’une évolution législative concernant le financement des aides sociales.
Force est de constater que le mode de financement issu des lois de 2001 et de 2004, maintes fois évoqué, est aujourd’hui insuffisant et inadapté. Initialement, le projet de loi de 2001 prévoyait le versement de l’APA par la sécurité sociale. Ce sont les départements qui ont souhaité assurer cette prestation, en vertu de leur proximité avec les populations concernées. Une telle demande était légitime, mais les mécanismes visant à garantir la moitié du financement par l’État n’ont pas été mis en place à ce moment-là, ce qui a conduit à la situation que nous appréhendons aujourd'hui.
L’ADF, dans sa sagesse pluraliste, préconise, d'ailleurs, la création d’une « loi de finances des collectivités territoriales », sorte de troisième loi de finances qui concernerait l’ensemble des dotations de l’État en faveur des collectivités territoriales et les engagements de ces dernières. Nous verrons si le Gouvernement se saisit de cette idée qui, malgré tout, pourrait faire son chemin.
Je pourrais arrêter là mon propos, mais je souhaite présenter la position que soutient le groupe socialiste. Je tiens à expliquer comment les solutions apportées par la majorité présidentielle sont des solutions à court, à moyen et à long terme, qui sauront trouver des outils de financement à la fois urgents et pérennes pour nos dépenses départementales. En conséquence, cher collègue rapporteur, je ne peux que vous inviter à suspendre l’examen de cette proposition de loi, que nous ne saurions adopter ce soir, faute d’un nécessaire consensus.
Tout le monde a fait état des hasards du calendrier. Or il ne s’agit pas de hasards : c’est le fonctionnement normal de notre démocratie et de nos institutions.
Solution à court terme, mais non des moindres, le Président de la République a annoncé, lundi 22 octobre, lors d’une réunion qui s’est tenue à l’Élysée et à laquelle vous avez assisté, madame la ministre déléguée, qu’un fonds d’urgence doté de 170 millions d’euros – je confirme ce montant – serait mis en place en faveur des départements les plus fragiles. Lors des questions d’actualité au Gouvernement, tout à l’heure, il a été demandé que soient précisées les conditions dans lesquelles allaient être répartis ces 170 millions d’euros, fruit de l’accord intervenu à l’Élysée entre le Premier ministre et l’ADF.
Oui, les départements de France sont des acteurs irremplaçables pour le dynamisme des territoires et l’expression des solidarités de proximité.
En plus de la création de ce fonds d’urgence, quels engagements ont été pris par le Président de la République ?
L’État s’est engagé – madame la ministre déléguée, vous l’avez dit, je suis sûr que vous le répéterez – à créer les conditions de la mise en place, à compter de 2014, de ressources pérennes et suffisantes permettant aux départements de faire face, dans un cadre maîtrisé, au financement des trois allocations individuelles de solidarité.
Une autre solution, cette fois à moyen terme, figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale : la création de la CASA, la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie sur les pensions de retraite.
Second « hasard du calendrier », et cela a été souligné en commission, cette proposition de loi est en effet inscrite à l’ordre du jour du Sénat quelques jours avant l’examen par la Haute Assemblée du PLFSS pour 2013.
Ce matin, selon nos informations, un amendement de notre collègue député Gérard Bapt visant à renforcer la dotation de la CNSA a été adopté à l’Assemblée nationale. Je ne pense pas qu’il y ait de grande différence entre la cible de la CASA et celle du dispositif que vous proposez aujourd'hui, monsieur Roche.
Les modifications intervenues concernant le taux de cette contribution ont été rappelées tout à l’heure. Alors qu’il était initialement prévu une montée en charge progressive avec un taux d’abord de 0,15 %, puis de 0,30 %, le taux a d’emblée été porté à 0,30 %, et ce donc dès 2013. Il y a donc un parallélisme important entre le dispositif que vous proposez, monsieur Roche, et les dispositions adoptées ce matin par l’Assemblée nationale. Nous y reviendrons lors de l’examen, par le Sénat, du PLFSS pour 2013, en particulier de son article 16.
Enfin, une mesure à long terme est prévue : la mise en œuvre de la réforme de la perte d’autonomie et du chantier de la décentralisation.
Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a promis une « réforme juste et solidaire » pour les personnes âgées dépendantes : « C’est une question de dignité et d’humanité. C’était une promesse de l’ancien gouvernement qui n’a pas été tenue. Eh bien, une réforme juste et solidaire de la prise en charge des personnes âgées privées d’autonomie sera engagée. »
Les mots sont justes : dignité, humanité, respect des engagements non tenus. Nul coup d’éclat, nulle gesticulation brouillonne, mais bien la volonté d’éviter que ces annonces ne soient que des coups d’épée dans l’eau.
Le calendrier de la réforme a d’ores et déjà été évoqué : une loi « d’adaptation de la société au vieillissement » sera adoptée dans les deux ans à venir, comme vous allez nous le confirmer, je l’espère, madame la ministre déléguée.
Les fonds pour financer une telle réforme commencent déjà à être sanctuarisés. J’en veux pour preuve les récentes déclarations du Président de la République : « Nous finissons de préparer cette réforme qui sera bientôt présentée, ce qui suppose qu’elle soit financée. C’est pour cela que nous gardons un certain nombre de ressources pour y parvenir ».
En attendant, madame la ministre déléguée, vous avez confié à Luc Broussy, conseiller général du Val-d’Oise et conseiller spécial de l’ADF pour les questions sociales, la mission d’étudier la façon dont doivent évoluer le logement, l’urbanisme ou encore les transports pour tenir compte du nombre croissant de personnes dépendantes. Un rapport doit être remis à la fin de l’année.
Dans un autre domaine, le nouvel acte de la décentralisation, annoncé pour le début de l’année 2013, confortera les responsabilités des collectivités territoriales en matière d’animation des territoires et de cohésion sociale. Dans cette perspective, les départements et l’État ont d’ores et déjà décidé de se mobiliser ensemble. Je pense en particulier, nous en avons discuté avec Mme Carlotti, au problème du handicap. Comme l’ont souligné mes collègues, si la prise en charge du handicap devait en partie être transférée aux départements, il nous faudrait chiffrer d’entrée le coût d’un tel transfert et surtout assurer la pérennité des financements.
Mon cher collègue, le pansement budgétaire a été posé, les projets budgétaires sont examinés et le calendrier des réformes tant attendues est enfin prévu.
Ce texte, monsieur le rapporteur, ne porte que sur le volet financier de l’APA. Il ne prend pas en compte la problématique du financement de la dépendance par les départements. Par ailleurs, cela a été dit, il risque de court-circuiter les travaux en cours en contrariant la stratégie du Gouvernement concernant les deux grands chantiers que je viens d’évoquer, chantiers sur lesquels la Haute Assemblée sera amenée, une fois de plus, à travailler et à apporter toute son expertise : la réforme de la perte d’autonomie et celle de la décentralisation.
Alors, mon cher collègue, je salue votre travail, mais si votre proposition de loi va dans la bonne direction, c’est aussi celle, j’ai tenté de vous le démontrer, dans laquelle le Gouvernement se dirige d’un pas décidé. J’espère sincèrement vous en avoir convaincu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.
M. Dominique Watrin. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la proposition de loi que nous sommes appelés à examiner aujourd’hui, et sur laquelle trois amendements ont été déposés par son auteur, aborde la question de la perte d’autonomie sous la pire forme qui soit, à savoir exclusivement sous l’angle de son financement.
Cela étant dit, je ne minore en rien les besoins financiers dans ce domaine, car je connais, en tant que vice-président du conseil général du Pas-de-Calais chargé des aînés, l’importance des sommes qu’engagent annuellement les conseils généraux pour financer l’allocation personnalisée d’autonomie.
Pour autant, je ne partage ni la volonté de notre collègue Gérard Roche ni ses propos lorsqu’il affirme que l’adoption de cette proposition de loi permettrait « d’apporter une solution urgente et pérenne au financement de l’APA ».
Certes, les départements rencontrent d’importantes difficultés, notamment en raison de l’augmentation progressive et continue des dépenses qu’ils supportent au titre de l’APA et des deux autres prestations sociales individuelles que sont le revenu de solidarité active et la prestation de compensation du handicap. Cependant, pour mieux comprendre les difficultés qu’ils rencontrent, il convient de remonter à leur source.
Si près de trente départements, qu’ils soient ruraux ou urbains, gérés par des majorités de sensibilités politiques différentes, connaissent une situation financière insoutenable –certains ont même été jusqu’à dire que ces départements frôlaient le dépôt de bilan -, ce sont les équilibres financiers de tous les départements qui sont en réalité ébranlés par le financement incohérent d’une partie de notre système de solidarité nationale.
Cette situation appelle donc des réformes structurelles et non des mesures ponctuelles.
En effet, les modes hétérogènes de financement sont aujourd'hui inadaptés à la nature même de ces allocations. Alors que la couverture maladie, les allocations familiales et les allocations de retraite sont financées par des ressources prélevées à l’échelon national dans le cadre de la loi de finances ou de la loi de financement de la sécurité sociale, une partie de plus en plus importante du financement de l’APA, du RSA et de la PCH repose sur les départements et demeure adossée à une fiscalité en complète inadéquation avec la nature et le rythme d’évolution de ces allocations de solidarité.
Ce constat, qui porte au final, il faut le dire clairement, sur le non-respect par l’État des engagements pris en matière de compensation, grève considérablement le budget des départements. Nous en sommes bien d’accord.
Cette analyse avait d’ailleurs conduit l’ensemble des groupes parlementaires de gauche du Sénat, cela a été rappelé par différents orateurs, à déposer une proposition de loi prévoyant la compensation intégrale de ces charges par l’État. Pour notre part, nous nous inscrivons dans la continuité de cette proposition de loi-là, dans son intégralité.
Face à ce que l’on pourrait qualifier de constat de carence de l’État, qui nous paraît être en contradiction avec la volonté qu’expriment nos concitoyens en faveur d’une solidarité nationale renforcée, nous ne nous retrouvons pas dans la solution préconisée ici, à savoir l’extension de la journée dite « de solidarité » aux retraités et aux professions libérales.
Cette solution, qui présente sans aucun doute l’avantage de pouvoir être facilement mise en œuvre, tend à faire croire que la seule manière de renforcer la participation de l’État dans le financement des besoins en matière d’autonomie consisterait à exiger de nos concitoyens qu’ils voient, une nouvelle fois, leur pouvoir d’achat amputé.
Le groupe CRC n’adhère pas à cette proposition, et il me semble important de faire quelques observations.
S’il est vrai que les départements sont identifiés comme des structures de proximité, la bonne échelle pour la mise en œuvre de l’APA, nous sommes convaincus que le financement de la solidarité au titre des allocations individuelles doit demeurer national. L’État doit en effet garantir à nos concitoyens, au nom de l’égalité républicaine et des principes constitutionnels, qu’ils pourront, où qu’ils se trouvent, bénéficier d’une protection sociale identique. D’ailleurs, les départements, dont certaines populations sont plus que d’autres frappées par la crise, ne doivent pas assumer encore plus les conséquences de l’aggravation de la situation économique et sociale qui touche certains territoires plus que d’autres.
Par ailleurs, nous contestons le principe selon lequel la participation financière de l’État devrait revêtir la forme d’une extension de la journée de solidarité.
Les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de réduire le champ de la protection sociale assumée par la sécurité sociale et donc financée par les cotisations, notamment en multipliant les fonds. Ceux-ci relèvent essentiellement d’un financement assis non plus sur les cotisations, c’est-à-dire sur l’ensemble des richesses créées dans les entreprises, mais sur l’impôt, c’est-à-dire, dans les faits, sur les ménages, et sur eux seuls. Cette proposition de loi en est un parfait exemple.
Comme nos autres collègues de gauche, nous nous étions formellement opposés à l’instauration de la journée de solidarité, qui fait reposer la solidarité nationale essentiellement sur les salariés.
Nous considérions que cette mesure était injuste et comptable, et nous continuons à le penser. Ni l’extension de ce dispositif aux professions libérales et aux retraités, lesquels ne sont pas des nantis, puisque nombre d’entre eux perçoivent moins de 1 000 euros par mois – il faut tout de même que quelqu’un le dise ici –, ni les amendements adoptés en commission ne le rendent plus juste.
Le mécanisme proposé ici, volontairement simple, est selon nous dangereux, car il permet, comme cela est d’ailleurs le cas dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, d’éluder trois questions fondamentales qui nous semblent pourtant devoir être soulevées, et dans cet ordre : quel champ pour la solidarité nationale ? Quelle organisation ? Quels financements ?
N’actionner qu’un seul de ces leviers, qui plus est celui du financement, c’est prendre le risque de n’apporter que des réponses partielles et injustes, déjà appliquées dans le passé.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la présente proposition de loi est cruciale non pas simplement parce qu’elle est issue du groupe UDI-UC, au nom duquel j’ai l’honneur de m’exprimer pour la première fois aujourd'hui, mais surtout parce qu’elle s’attaque à un problème lourd pour les départements. Elle apporte une réponse qui, au-delà de la gestion, repose sur des principes dont je ne vois pas du tout en quoi ils seraient injustes.
Le problème de fond est bien connu et il a été largement rappelé : la montée en charge de l’APA depuis 2001 a été bien plus rapide qu’on ne l’avait anticipé et le système de financement prévu à l’origine n’était pas adapté pour y faire face.
En effet, le mode financement de l’APA est mixte, qui repose, d’une part, sur les départements et, d’autre part, sur la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie.
Depuis 2001, le partage entre ces deux sources de financement s’est trouvé profondément déséquilibré, puisque les départements, qui finançaient 57 % des dépenses à l’origine, en assument plus de 70 % aujourd’hui.
Cette réalité, d’une lumineuse évidence, s’explique par la conjonction de deux éléments : premièrement, de 2003 à 2009, les dépenses d’APA ont augmenté de près de 6 % par an, tandis que les financements de la CNSA augmentaient, dans le même temps, de moins de 1 % par an ; deuxièmement, et de manière plus fondamentale, aucune disposition dans la loi d’origine ne fixe une clef de répartition claire entre les départements, d’une part, et l’État, d’autre part.
Dès l’origine, mon groupe avait souligné cette lacune considérable et avait proposé et obtenu une clé de répartition paritaire très simple entre l’État et les départements, mesure qui a malheureusement été supprimée par l’Assemblée nationale.
Les départements en subissent aujourd’hui les conséquences, puisque l’APA représente plus de 20 % de l’ensemble de leurs dépenses d’aide sociale.
Permettez-moi un aparté, mes chers collègues. Si, actuellement, je suis une élue de Paris, j’ai néanmoins suivi cette question très sensible dans de précédentes fonctions non électives que j’ai occupées dans un département voisin très connu.
Les départements recourent à des solutions qui ne sont pas pérennes : ils augmentent les impôts, s’endettent ou, plus grave encore, coupent dans leurs dépenses d’investissement. Au fur et à mesure, ils se transforment en simples guichets, sans même avoir de prise sur ce type de dépenses, sans même pouvoir procéder à des arbitrages politiques. In fine, c’est leur pérennité qui est en cause. Surtout au sein de cette assemblée, je ne pense pas que nous partagions cette conception de la décentralisation.
C’est la raison pour laquelle notre collègue Gérard Roche a déposé ce texte, texte dont tout le monde approuve la philosophie et qui est très largement soutenu par les présidents de conseil général, comme l’a rappelé René-Paul Savary.
Gérard Roche propose tout simplement que la solidarité soit uniquement fonction de la capacité contributive de chacun et qu’aucune profession, aucune catégorie, ne soit a priori exclue.
Il faut un certain courage politique pour proposer une telle solution. Celle-ci est loin d’être injuste et, monsieur le rapporteur, vous avez veillé à éviter que les plus démunis ne soient touchés.
L’article 1er de la proposition de loi élargit la CSA aux travailleurs indépendants et aux retraités.
Aujourd’hui, cette contribution est acquittée par les employeurs publics et privés sur les revenus salariaux et sur les revenus du capital. De fait, elle est presque universelle ; il ne manque que les indépendants et les retraités, qui en sont exonérés aujourd’hui.
Sur le fond, les justifications de cette exonération – une mesure catégorielle et non fonction des revenus – sont faibles. Les principaux intéressés en sont d’ailleurs conscients, le président du Régime social des indépendants, auditionné par notre rapporteur, ayant officiellement déclaré soutenir le dispositif.
En termes d’équité, rien ne s’oppose à l’universalisation de la CSA, d’autant plus que notre collègue Gérard Roche a déposé un amendement visant à exclure explicitement du dispositif les retraités aux revenus les plus modestes.
En outre, cette proposition de loi apporte une solution pérenne au problème de financement, puisqu’elle flèche cette recette directement sur la compensation de l’APA. Je le rappelle, on estime que son produit se situe entre 884 millions d’euros et 910 millions d’euros. De fait, il serait presque possible d’atteindre l’objectif d’un financement de l’APA à parts égales entre l’État et les départements.
La présente proposition de loi est un texte pragmatique, qui fait consensus parmi les présidents de conseil général et qui est soutenu par l’Assemblée des départements de France. Mais elle est entachée d’un péché originel : elle n’a pas été déposée par un sénateur siégeant du bon côté de l’hémicycle et le Gouvernement n’en veut pas, pas plus que le groupe socialiste !
Pourquoi ?
Premier argument : la présente proposition de loi entrerait partiellement en conflit avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, notamment avec son article 16, qui crée la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie sur les pensions de retraite et d’invalidité, au même taux de 0,3 %.
Or la CASA n’améliorera en rien la compensation de l’APA, car tel n’est pas, à terme, son objet. Fléchée, dans un premier temps, vers le Fonds de solidarité vieillesse, elle financera, à partir de 2014, la réforme projetée de la dépendance. Ce n’est donc que durant un très court intervalle, d’avril à décembre 2013, qu’elle abondera la section II de la CNSA. La CASA n’est donc pas une solution pérenne en soi.
Second argument : le présent texte anticiperait sur la fameuse réforme de la dépendance et apporterait une solution trop ponctuelle là où le Gouvernement veut favoriser une approche globale.
Cela ne tient pas. Avant d’envisager la future réforme de la dépendance, commençons déjà par pérenniser et sécuriser l’APA !
Quant au fonds d’urgence, il n’est pas plus une réponse pérenne.
Tous ici, hormis M. Watrin, nous approuvons la philosophie et l’objet de cette proposition de loi. J’éprouve une certaine compassion pour ceux de nos collègues qui nous ont expliqué qu’ils étaient contraints de voter contre ce texte, tout en l’approuvant. C’est pourquoi j’invite chacun à faire preuve de pragmatisme, d’autant que, au sein de la commission des affaires sociales, nos débats ont été très consensuels. En tant que membres d’une assemblée représentant les collectivités territoriales, nous devons adopter cette proposition de loi. (M. le rapporteur applaudit, ainsi que M. René-Paul Savary.)
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Jacky Le Menn, vice-président de la commission des affaires sociales. J'ai écouté avec attention et intérêt chacun des intervenants qui se sont exprimés sur cette proposition de loi de notre collègue et ami Gérard Roche. Les arguments qui ont été exposés ici l’avaient été en commission, même s’ils ont été développés de façon plus détaillée. Je reviendrai sur un certain nombre d’éléments sur lesquels j’avais alors eu l’occasion de m’exprimer.
On confond ici deux problèmes qui appellent chacun un traitement prioritaire.
Premier problème, le financement par les départements des dépenses sociales, problème crucial s’il en est, comme chacun l’a souligné. Nombre de départements, pour des raisons que nous aurons l’occasion d’analyser une autre fois, mais qui tiennent notamment aux dépenses sociales dont ils ont la charge, connaissent des difficultés financières.
Second problème, de fond celui-ci, le financement d'une partie de la perte d'autonomie, notamment celle des personnes âgées dépendantes. Cette question de la perte d'autonomie doit faire l'objet d'une approche systémique, c'est-à-dire que l'on doit aussi prendre en considération, dès lors que le financement est un jeu, l'ensemble des solutions envisageables – je pense en particulier à la perte d'autonomie des personnes handicapées.
Dès l’origine, quand il est apparu que la dépendance nécessiterait des financements considérables, alors même que les moyens dont disposaient les départements diminuaient, il a été décidé que seul serait traité le cas des personnes âgées dépendantes.
S’agissant des solutions, il suffit de se plonger dans tout ce qui a été écrit sur le sujet. Je vous rappelle que, à la suite des conférences qui se sont tenues en régions dans le cadre du grand débat national sur la dépendance, quatre rapports extrêmement importants ont été rendus, fruit du travail de l'ensemble des acteurs s'intéressant à la dépendance – organisations syndicales et patronales, associations, corps médical, ministères. À cette occasion, tout a été écrit, tout a été proposé, et dans un luxe de détails.
Le Conseil économique, social et environnemental a, lui aussi, rendu un avis sur la question et l’ancien Président de la République avait également demandé des rapports.
Enfin, les parlementaires ont également formulé des propositions : notre ancienne collègue députée Valérie Rosso-Debord et notre ancien collègue Alain Vasselle, alors rapporteur général de la commission des affaires sociales au Sénat, avaient l’un et l’autre rédigé un rapport.
Certaines des propositions formulées nous avaient fait dresser les cheveux sur la tête. Je pense notamment à l’idée quelque peu radicale avancée par Mme Rosso-Debord de ne plus attribuer l’APA aux personnes classées dans les groupes iso-ressources 4 de la grille AGGIR. Effectivement, ce faisant, on évacuait entre 60 % et 70 % des problèmes en mettant à contribution d’autres payeurs : les caisses de retraite, les familles, ou autres. C’était un peu facile !
Quant à notre ancien collègue Alain Vasselle, il proposait dans son rapport de rétablir le recours sur succession, à l’instar de ce que nous avions connu avec la prestation spécifique dépendance.
Dans d’autres rapports, il était proposé que les assurances privées interviennent d'une manière ou d'une autre dans le financement de la dépendance.
En quelque sorte, la palette complète des solutions était sur la table et il n’y avait plus qu’à piocher.
Pour ma part, je reproche au gouvernement précédent de ne pas avoir sauté le pas, de ne pas avoir présenté ses propres propositions et de ne pas avoir provoqué un débat au Parlement sur cette question, alors qu’il avait à sa disposition les conclusions des différents rapports que je viens de citer.
Alors, je comprends bien que cette proposition de loi de notre collègue Gérard Roche fasse vibrer nos cœurs de président de conseil général, de vice-président de conseil général chargé de l'action sociale ou de simple conseiller général.
Comme je l'expliquais récemment en commission, alors que j'étais vice-président du conseil général de mon département, on me surnommait Attila : pour financer l’APA, la PCH et le RMI, je prenais tout ! Dans le même temps, les départements demandaient la clause générale de compétence pour financer le sport et la culture...
Cette question du financement de la dépendance est un vrai problème qui doit être non pas évacué, mais traité dans l'acte III de la décentralisation. C'est l'un des volets sur lesquels nous devons nous pencher.
Par ailleurs, on nous a annoncé que, d’ici à 2014, nous serions amenés à examiner un projet de loi relatif à la dépendance. Je ne crois pas que ce soient des paroles en l’air. Ce texte nécessitera un travail de l’ensemble des parlementaires, ici comme à l’Assemblée nationale. Nous ne pourrons pas nous focaliser simplement sur l’APA, nous devrons aussi nous pencher sur le financement du maintien à domicile des personnes en état de dépendance.
D’ailleurs, cette dernière question en soulève deux autres : d’une part, on ne peut envisager de maintenir à leur domicile des personnes âgées dépendantes – 84 % de nos concitoyens veulent pouvoir rester chez eux – sans prévoir un financement de leur prise en charge médicale et médicosociale ; d’autre part, la nécessité de services de proximité est à mettre en lien avec la désertification médicale.