Sommaire

Présidence de Mme Bariza Khiari

Secrétaires :

MM. Jean Desessard, François Fortassin.

1. Procès-verbal

2. Décès d'un ancien sénateur

3. Candidatures à une commission mixte paritaire

4. Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi

5. Communication du Conseil constitutionnel

6. Stratégie et financement européens pour les régions ultrapériphériques. – Adoption de deux propositions de résolution européenne dans le texte de la commission

Discussion générale commune : MM. Roland du Luart, auteur de la proposition de résolution européenne relative à la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l’horizon 2020 ; Georges Patient, auteur de la proposition de résolution européenne sur l’Union européenne et le financement des régions ultrapériphériques françaises, au nom de la commission des affaires européennes ; Serge Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques sur les deux propositions de résolution européenne ; Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes.

MM. Jean-Claude Requier, Joël Labbé, Jacques Gautier, Gérard Le Cam, Joël Guerriau, Thani Mohamed Soilihi, Jacques Cornano, Jacques Gillot.

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer.

Clôture de la discussion générale commune.

Stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l'horizon 2020. – Adoption de la proposition de résolution dans le texte de la commission

Financement des régions ultrapériphériques françaises. – Adoption de la proposition de résolution dans le texte de la commission

7. Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

Suspension et reprise de la séance

8. Débat sur le crédit à la consommation et le surendettement

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois ; Mme Muguette Dini, rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

Mme Aline Archimbaud, MM. Alain Fouché, Gérard Le Cam.

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin

Mme Françoise Laborde, M. Joël Guerriau, Mme Françoise Cartron.

M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle

9. Débat sur les inondations dans le Var et le sud-est de la France en novembre 2011

MM. Pierre-Yves Collombat, rapporteur de la mission commune d’information sur les inondations dans le Var ; Louis Nègre, président de la mission commune d’information sur les inondations dans le Var.

M. Jacques Berthou, Mme Isabelle Pasquet, MM. Yves Pozzo di Borgo, Ronan Dantec, François Trucy, Robert Tropeano, Alain Dufaut.

Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

MM. le président de la mission commune d’information sur les inondations dans le Var ; le président.

10. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Bariza Khiari

vice-présidente

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

M. François Fortassin.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Décès d'un ancien sénateur

Mme la présidente. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Maurice Ulrich, qui fut sénateur de Paris de 1993 à 2004.

3

Candidatures à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.

J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à cette commission mixte paritaire.

Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.

4

Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi

Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 14 novembre 2012.

5

Communication du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 16 novembre 2012, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de Cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 268 du code des douanes (taxation des tabacs dans les départements d’outre-mer) (2012-290 et 2012-291 QPC).

Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.

Acte est donné de cette communication.

6

Stratégie et financement européens pour les régions ultrapériphériques

Adoption de deux propositions de résolution européenne dans le texte de la commission

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques, la discussion de la proposition de résolution européenne relative à la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l’horizon 2020, présentée, en application de l’article 73 quinquies du règlement, par MM. Roland du Luart, Georges Patient et Serge Larcher, et de la proposition de résolution européenne sur l’Union européenne et le financement des régions ultrapériphériques françaises, présentée, en application de l’article 73 quater du règlement, par M. Georges Patient, au nom de la commission des affaires européennes (propositions nos 93 et 113, rapport et textes de la commission n° 126).

La conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Roland du Luart, auteur de la proposition de résolution européenne relative à la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l’horizon 2020.

M. Roland du Luart, auteur de la proposition de résolution européenne relative à la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l’horizon 2020. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’initiative prise par notre délégation à l’outre-mer sur la politique commune de la pêche, qui avait donné lieu à un débat, ici même, le 12 juillet dernier, nous voilà de nouveau réunis pour examiner un autre dossier européen, concernant cette fois les régions ultrapériphériques, les RUP, un dossier crucial, puisqu’il s’agit de la stratégie européenne pour ces régions à l’horizon 2020.

Le 20 juin dernier, la Commission européenne publiait une communication exposant cette stratégie et intitulée Les régions ultrapériphériques de l’Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive. Notre délégation a décidé de prendre solennellement position, dans la perspective du Conseil européen extraordinaire des 22 et 23 novembre, d’une part sur le nouveau cadre financier pluriannuel 2014-2020, d’autre part, dans une démarche complémentaire de celle de la commission des affaires européennes, sur la politique de cohésion et l’octroi de mer.

Notre excellent collègue Georges Patient devant intervenir après moi au double titre de la délégation et de la commission des affaires européennes – il a pris part aux deux initiatives pour en assurer la cohérence d’ensemble –, j’axerai mon propos sur le contexte et les enjeux, en portant un regard critique sur la communication de la Commission européenne et la stratégie européenne qu’elle définit.

Je vous dirai d’emblée que l’accueil réservé à cette communication par les RUP elles-mêmes, qu’il s’agisse des RUP françaises, mais également des RUP espagnole – Canaries – et portugaises – Açores, Madère –, a été extrêmement mitigé. Cela fut exprimé très clairement lors du forum des régions ultrapériphériques, au début du mois de juillet, et réitéré lors de la conférence des présidents des RUP, aux Açores, en septembre. Le point de vue des deux députés européens que nous avons auditionnés le 11 octobre, MM. Younous Omarjee et Patrice Tirolien, avait la même tonalité.

Certes, la Commission européenne reconnaît que les RUP constituent un atout pour l’Union européenne et trace de grandes orientations stratégiques globalement acceptables, mais sa communication prête lourdement le flanc à la critique en reflétant une position en profond décalage avec les attentes et la situation concrète des RUP.

Tout d’abord, la communication confirme que les RUP constituent un atout pour l’Union européenne et, fait nouveau, reconnaît leur diversité de situations. Cependant, cette affirmation positive, dans le prolongement des communications de 2004 et 2008, revient comme un leitmotiv incantatoire, mais ne débouche sur aucune proposition concrète de valorisation de ces atouts.

Cette reconnaissance de la Commission européenne reste donc à ce jour une satisfaction toute théorique.

Ensuite, si la communication fixe pour les RUP de grandes orientations stratégiques globalement acceptables, celles-ci ne présentent toutefois pas d’innovation majeure. Elle définit cinq axes pour la stratégie renouvelée de l’Union européenne pour les RUP : l’amélioration de l’accessibilité au marché unique ; l’accroissement de la compétitivité ; le renforcement de l’intégration régionale ; le renforcement de la dimension sociale du développement des RUP ; l’intégration de la lutte contre le changement climatique dans toutes les politiques pertinentes.

Enfin, et surtout, la stratégie européenne pour les RUP se heurte à de nombreux griefs.

Premièrement, sa définition arrive tardivement dans le processus de négociation, ce qui accroît la difficulté à intégrer avec pertinence les RUP dans la stratégie globale. Troisième communication de la Commission sur ce sujet en moins de dix ans, celle-ci est intervenue alors que les processus de révision du « paquet réglementaire » et de négociation du nouveau cadre financier pour la période 2014-2020 étaient déjà largement engagés. En effet, les propositions de la Commission européenne sur le cadre financier pluriannuel pour 2014-2020 ont été présentées à la fin du mois de juin 2011, soit un an auparavant, et celles sur le paquet réglementaire relatif à la politique de cohésion, au développement rural et à la pêche, au début du mois d’octobre 2011, soit quelque neuf mois auparavant.

Deuxièmement, le contenu de la communication est en décalage avec les attentes et les besoins des RUP. Comme l’a indiqué M. Didier Robert, président du conseil régional de La Réunion, dans un courrier adressé au président de notre délégation, « les présidents des régions ultrapériphériques ont manifesté solidairement leur plus vive préoccupation face à la faiblesse de la stratégie européenne rénovée » lors de la XVIIIe conférence des présidents des régions ultrapériphériques de l’Union européenne, en septembre dernier. La déclaration finale mentionne le regret de « l’insuffisance manifeste de mesures concrètes et adaptées, ainsi que le calendrier tardif de son adoption, au regard des ambitions affichées » ; on y conteste aussi « le choix de la Commission de s’appuyer uniquement sur le droit commun », tout en soulignant « la pertinence des propositions contenues dans les memoranda de 2009 et 2010 sur l’ultrapériphérie, notamment celles en faveur d’instruments sectoriels spécifiques ».

Troisièmement, la Commission européenne continue en effet de donner une interprétation minimaliste à l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le TFUE, en consentant des adaptations du cadre général des politiques européennes et de leurs instruments, mais en limitant strictement les contours de ces adaptations et en refusant les régimes dérogatoires et les instruments propres aux RUP.

Dans sa communication, la Commission se contente d’inviter chaque région à « trouver sa propre voie vers une prospérité accrue, en fonction de ses particularités »... Aide-toi, l’Europe t’aidera ! En outre, la Commission reste hostile à l’instauration d’instruments spécifiques d’aide aux RUP, bien que, reconnaît-elle, « certains [...] aient fait leurs preuves ».

Cette communication ne fait en conséquence que de rares références à l’article 349 du TFUE, qui justifie que des mesures spécifiques soient prises en faveur des RUP afin de tenir compte de leurs handicaps.

Rappelons que cet article, dont l’approche n’est pas exhaustive – il fait, par exemple, l’impasse sur l’immensité du territoire guyanais –, vise les contraintes spécifiques des RUP que sont l’éloignement, l’insularité, la faible superficie, le relief et le climat difficiles, la dépendance économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement au développement de ces régions.

La proposition de résolution européenne de notre délégation dénonce la sous-utilisation délibérée de ce fondement juridique, reconnue par le Parlement européen lui-même. L’article 349 a pourtant permis la mise en place, au début des années quatre-vingt-dix, d’un instrument dont l’efficacité est unanimement reconnue, le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, ou POSEI, dont la Commission européenne s’emploie à restreindre le champ à la seule agriculture.

Quatrièmement, la communication de la Commission européenne accentue les contradictions de la stratégie européenne envers les RUP, en fixant des objectifs ambitieux qui risquent de demeurer virtuels, si, parallèlement, ces régions restent incapables de combler leur retard en matière d’équipements structurants. Ces objectifs axés sur la compétitivité et l’innovation sont en effet en décalage avec le retard de développement et la situation économique et sociale très dégradée qui caractérisent les RUP.

La stratégie européenne pour les RUP vise les « secteurs présentant un potentiel de croissance élevé et une forte valeur ajoutée » et délaisse les secteurs traditionnels, qui jouent pourtant un rôle capital dans la cohésion du tissu social et sans lesquels aucune politique solide et structurante de développement ne saurait être menée à bien.

Enfin, cinquièmement, dans la communication, la Commission européenne appelle à l’intégration régionale des RUP. Or, si cet objectif est unanimement partagé, encore faut-il que les politiques européennes, notamment la politique commerciale, ne l’entravent pas, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui !

Telle est, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation délicate dans laquelle nous nous trouvons à la veille du Conseil européen sur le cadre financier pluriannuel. Nous espérons vivement que notre prise de position viendra en appui des démarches du Gouvernement à un moment crucial des négociations en cours. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient, auteur de la proposition de résolution européenne sur l’Union européenne et le financement des régions ultrapériphériques françaises, au nom de la commission des affaires européennes.

M. Georges Patient, auteur de la proposition de résolution européenne sur l’Union européenne et le financement des régions ultrapériphériques françaises, au nom de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l’horizon 2020 n’a, selon moi, qu’un seul véritable objectif : faire appliquer de façon encore plus stricte à nos territoires ultramarins les règles et normes de l’Union européenne dont bon nombre leur sont totalement inadaptées et sont pour partie la cause de leur mal développement.

Notre collègue Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes, s’en est parfaitement rendu compte à l’occasion d’une mission effectuée en Guyane la semaine dernière en ma compagnie. Il y fera très certainement référence dans son intervention.

En effet, la stratégie « Europe 2020 », décriée à juste titre par les présidents des régions ultrapériphériques françaises ne prend nullement en compte les contraintes et la diversité de ces régions. En dépit de formulations incantatoires ― « chaque RUP est différente et des pistes spécifiques doivent être envisagées pour chacune d’entre elles », « les RUP, grâce à leurs atouts, sont une chance pour l’Europe » ―, l’atavisme ethnocentriste de la Commission finit par l’emporter dans la définition de cette stratégie.

Cette communication est en net décalage avec les attentes des RUP, comme mon collègue Roland du Luart vient de le démontrer en portant sur la situation un regard acéré. Il est vrai que l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, fondamental pour les RUP, qui justifie que des mesures spécifiques soient prises en faveur de ces régions afin de tenir compte de leurs spécificités, est insuffisamment utilisé du fait de la Commission européenne. Il n’apparaît qu’en filigrane dans la stratégie « Europe 2020 ». Si cette stratégie fixe, certes, des objectifs intrinsèques ambitieux pour les RUP, elle n’évoque que bien peu les nécessaires politiques de rattrapage.

Plus grave, cette politique de la Commission se décline déjà dans les premières négociations sur les crédits européens à attribuer aux RUP, sur fond de perspectives financières européennes contraintes. Il se dessine, au mieux, une stabilisation à la baisse, pour reprendre un mot du président de la commission des affaires européennes, notre collègue Simon Sutour, au pire, une réduction qui résultera d’une consommation rendue plus difficile encore du fait de l’inadéquation aux demandes locales du fléchage établi par la Commission.

Pareil constat ne pouvait me laisser muet, aussi me suis-je engagé dans la double initiative d’une proposition de résolution sur la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l’horizon 2020, avec la délégation à l’outre-mer, et d’une autre sur le financement de ces régions et l’octroi de mer, avec la commission des affaires européennes.

Ces deux démarches sont rigoureusement complémentaires, les recommandations et préconisations contenues dans la première proposition de résolution ne pouvant pleinement produire leurs effets sans le maintien de financements européens et d’une fiscalité adaptée envisagés dans la seconde.

Les deux propositions de résolution se rejoignent en ce qu’elles demandent, dans le cadre de la politique de cohésion, un assouplissement de ce qu’il est convenu d’appeler « la concentration thématique », c’est-à-dire des critères d’objectifs auxquels doivent satisfaire les projets pour être éligibles aux fonds structurels. La Commission européenne proposait de concentrer 50 % des fonds du FEDER, le Fonds européen de développement régional, sur trois objectifs thématiques : la recherche et l’innovation, la compétitivité des PME et la promotion d’une économie à faibles émissions de gaz carbonique.

Quid des nécessaires politiques de rattrapage que la politique de cohésion devrait prioritairement financer ?

La France avait demandé un quatrième objectif libre de choix pour les RUP ; le Conseil a finalement décidé l’ajout d’un quatrième objectif, mais non libre de choix. Le gouvernement français doit s’efforcer d’obtenir gain de cause, car cet assouplissement et l’abaissement du taux de concentration thématique sont indispensables pour éviter un décalage de plus en plus important entre les objectifs stratégiques ambitieux définis par la Commission européenne et la réalité du terrain, qui appelle un rattrapage structurel.

Il est demandé également de mobiliser plus largement et plus fréquemment au bénéfice des RUP le fondement juridique de l’article 349 du TFUE afin de permettre l’adaptation plus systématique de politiques européennes aux réalités des RUP. Une attention forte doit être apportée à Mayotte pour lui permettre, par les dérogations nécessaires, de bénéficier effectivement des aides européennes.

En outre, pour compenser les handicaps structurels auxquels sont confrontés les acteurs économiques, il est nécessaire de faire des aides d’État un levier plus efficace en application de l’article 107 du Traité. Il apparaît donc indispensable que les taux actuels d’intensité et l’éligibilité des aides au fonctionnement valables dans les RUP soient maintenus ; il serait même utile d’aller plus loin en introduisant un seuil de minimis propre à ces régions.

En outre, une mise en cohérence des politiques communautaires à l’égard des RUP se révèle nécessaire, la politique commerciale de l’Union européenne étant en cause. Si la Commission déclare que « les accords conclus par l’Union Européenne tiendront dûment compte des RUP, par exemple lorsque ces accords couvrent des produits fabriqués dans les RUP », il y a loin du discours aux actes, et les nombreuses perspectives pour les marchés de la banane, du sucre, du rhum, du riz en sont une illustration.

Par ailleurs, le cadre financier pluriannuel doit pleinement reconnaître que les RUP françaises sont bien un atout pour l’Union européenne. Pour l’instant, hélas, nous en sommes loin. La Commission européenne propose au contraire une baisse d’environ 43 % de la dotation complémentaire pour les RUP, ce qui ferait passer cette dotation de 35 euros à 20 euros par habitant. Une telle réduction est injustifiable !

En effet, la dotation complémentaire existe pour compenser les handicaps structurels des RUP. Qui peut sérieusement dire que ces handicaps ont été diminués en quoi que ce soit au cours des dernières années ? De même, cette dotation complémentaire devrait être exonérée de tout fléchage, puisque son but est de compenser les handicaps des RUP, et son taux de cofinancement devrait être porté à 85 %, comme pour le FEDER et le FSE, le Fonds social européen, au lieu de 50 %.

J’aborderai en dernier lieu un point de première importance : l’octroi de mer, qui représente une part importante des recettes fiscales des RUP françaises et de leurs communes ainsi que du conseil général de Guyane, seul département d’outre-mer à le percevoir directement, mais au détriment des communes...

L’octroi de mer assure également une préférence en faveur des biens produits sur place. Or l’avenir de ce régime fiscal, qui déroge au principe de libre circulation des marchandises dans le marché intérieur, est incertain. Le 1er juillet 2014 approche, et le précédent gouvernement n’a pas fait ce qu’il fallait pour préparer cette échéance. Les vingt mois qui nous restent ne seront pas de trop pour mener à bien ce dossier et le Sénat, représentant notamment ces collectivités locales pour lesquelles les recettes provenant de l’octroi de mer sont essentielles, doit marquer son inquiétude devant l’incertitude qui règne encore.

Plusieurs scénarios d’évolution sont envisageables, de la reconduction d’un dispositif d’octroi de mer simplifié et flexibilisé à l’évolution vers un système de TVA régionale permettant de maintenir un effet de soutien à la production locale, en passant par une formule hybride mêlant les deux options. Quoi qu’il en soit, la solution devra être validée par l’Union européenne.

Le ministère des outre-mer semble n’avoir travaillé jusqu’à présent que sur l’hypothèse d’une reconduction de l’octroi de mer, moyennant quelques adaptations. Lors des échanges que j’ai eus à Bruxelles avec la direction générale de la fiscalité et de l’union douanière, j’ai pourtant constaté que la Commission européenne attendait au contraire des autorités françaises qu’elles lui présentent différentes options pour en suite définir celle qui serait la moins discriminatoire et la plus propice au développement économique local.

La Commission européenne ne veut pas avoir à jouer une carte forcée, mais veut conserver un pouvoir d’appréciation. Le Sénat doit donc demander au Gouvernement de s’atteler à cette tâche. Les RUP ne peuvent pas vivre sous l’épée de Damoclès d’un refus européen de prolonger le régime de l’octroi de mer.

Monsieur le ministre, je vous ai fait part des préconisations émanant des initiatives conjointes de la commission des affaires européennes et de la délégation à l’outre-mer. Je sais pouvoir compter sur vous et votre excellente connaissance de la problématique des RUP. Le gouvernement français doit mieux qu’auparavant défendre ses RUP. Le soutien européen à l’investissement local est essentiel pour les RUP, mais il est aussi dans l’intérêt de l’Union Européenne.

En effet, les RUP sont aussi une chance pour l’Europe : elles représentent plus de la moitié de sa zone économique exclusive ; elles constituent une réserve potentielle de ressources marines ; elles offrent un laboratoire en eau profonde unique pour la recherche. La biodiversité des RUP est exceptionnelle. Leurs situations géographiques permettent à l’Europe de développer des activités spatiales, mais aussi d’exploiter certaines sources d’énergie renouvelables.

Des gisements de pétrole ont ainsi été découverts l’an dernier au large de la Guyane, au bénéfice de la France. Je tenais à le rappeler. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Serge Larcher, rapporteur de la commission des affaires économiques sur les deux propositions de résolution européenne. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la troisième fois en deux ans, la Haute Assemblée est amenée à examiner à séance publique une proposition de résolution européenne portant sur des questions propres à l’outre-mer.

Après s’être prononcé sur les conséquences des accords commerciaux signés par l’Union européenne en 2011, puis sur la réforme de la politique commune de la pêche en juillet dernier, le Sénat s’apprête aujourd’hui à prendre position sur des sujets capitaux pour l’avenir des RUP.

La Commission européenne a en effet publié ses propositions portant sur le nouveau cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020. Elle a également présenté en juin dernier une communication sur la stratégie de l’Union pour les RUP. Enfin, l’échéance du 1er juillet 2014 approche, et elle est cruciale pour l’octroi de mer.

Certains jugeront peut-être que notre débat est inutile puisque les deux propositions de résolution présentées avant moi par nos collègues Roland du Luart et Georges Patient font consensus au sein de notre assemblée.

Il n’en est rien à mes yeux. Les dernières avancées obtenues à la fin du mois d’octobre au conseil des ministres européen sur la réforme de la politique commune de la pêche l’illustrent. La mobilisation de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, que j’ai l’honneur de présider, et le vote, en juillet dernier, d’une résolution européenne dans ce même hémicycle ne sont pas étrangers aux résultats obtenus par le Gouvernement à Bruxelles.

Je ne reviendrai pas sur le détail des deux propositions de résolution européenne, la première, initiée par la délégation à l’outre-mer, et la seconde, déposée par la commission des affaires européennes : leur contenu vous a été excellemment présenté par leurs auteurs.

La commission des affaires économiques les a adoptées à une large majorité, après avoir cependant modifié la proposition de résolution déposée par la commission des affaires européennes.

En tant que rapporteur, j’ai sollicité les présidents des quatre conseils régionaux d’outre-mer. Ces derniers m’ont fait parvenir des contributions écrites - elles figurent en annexe de mon rapport –, qui illustrent la parfaite harmonie existant entre les deux propositions de résolution et la position des quatre présidents.

Je souhaite cependant formuler plusieurs observations au nom de la commission des affaires économiques.

Premièrement, les négociations sur le cadre financier pluriannuel de l’Union sont d’une importance capitale pour nos RUP. La politique de cohésion est en effet vitale pour ces régions, qui ont bénéficié, pour la période de 2007 à 2013, d’une enveloppe de 3,2 milliards d’euros.

Comme la Commission européenne l’indique elle-même dans sa communication de juin dernier, les RUP sont un atout pour l’Union européenne. Il est donc indispensable, ainsi que l’indiquent les deux propositions de résolution, que l’Union européenne passe des paroles aux actes, notamment en maintenant l’allocation spécifique à son niveau actuel et en assouplissant la concentration thématique, afin que les fonds structurels puissent effectivement contribuer à l’investissement dans les infrastructures dont ces régions ont besoin.

Je note que les représentants des acteurs socioprofessionnels ultramarins et ceux des professionnels de l’industrie et de l’agriculture des Canaries sont sur la même ligne. Ils ont en effet alerté leurs autorités nationales sur la nécessité de maintenir le niveau de l’allocation spécifique.

Je me félicite, par ailleurs, de la volonté du Président de la République, exprimée ce week-end en Pologne, de préserver la politique de cohésion.

Deuxièmement, les deux propositions de résolution s’appuient sur le constat maintes fois établi par les représentants des RUP de la prise en compte insuffisante par l’Union européenne des réalités de ces régions.

Un outil juridique existe pourtant : l’article 349 du TFUE. Je l’ai dit mais je le redis, cet article est pour moi le Graal des régions ultrapériphériques ! Il reste cependant largement virtuel, car, comme le souligne Serge Letchimy, président du conseil régional de Martinique, la Commission européenne en fait une interprétation très restrictive.

Dans ce contexte, on ne peut que saluer l’initiative que vous avez prise en septembre dernier, monsieur le ministre, lors de la conférence des présidents des régions ultrapériphériques, visant à mettre en place un cadre global approprié pour les interventions communautaires dans les RUP.

Il s’agit, pour reprendre les termes utilisés par Pedro Solbes Mira dans son rapport, d’obtenir « l’utilisation adéquate et systématique » de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Le POSEI, dont tout le monde, y compris la Commission européenne, reconnaît le bilan positif, doit ainsi retrouver la dimension plurisectorielle qui était sa vocation initiale.

En approuvant, je l’espère, ces deux propositions de résolution, le Sénat vous apportera, monsieur le ministre, un soutien utile dans votre démarche.

Troisièmement, s’agissant de la politique commerciale, la proposition de résolution européenne initiée par la délégation sénatoriale à l’outre-mer reprend la position exprimée à plusieurs reprises par la Haute Assemblée.

Il est indispensable d’appeler à la cohérence des politiques de l’Union européenne. En effet, comment admettre que la politique commerciale soit totalement déconnectée des autres politiques sectorielles, telles que la politique agricole commune ou la politique commune de la pêche ? Comment accepter son impact potentiellement dévastateur sur les petites économies ultramarines ? Nos outre-mer sont en effet les victimes collatérales des accords commerciaux conclus par l’Union européenne avec des pays de leur environnement régional.

J’indique d’ailleurs à l’intention de nos collègues de l’Hexagone que cette problématique concerne l’ensemble du territoire national, notamment s’agissant de l’agriculture.

Quatrièmement, enfin, je souhaite revenir sur l’avenir de l’octroi de mer.

La commission des affaires économiques a en effet modifié sur ce point la proposition de résolution déposée par la commission des affaires européennes.

Permettez-moi tout d’abord de citer quelques chiffres.

L’octroi de mer, qui, je vous le rappelle, est un régime fiscal très ancien et propre aux départements d’outre-mer, représente, pour les collectivités territoriales des départements d’outre-mer, plus de 1 milliard d’euros de recettes par an, soit près du tiers des recettes des communes de ces départements.

C’est pourquoi l’échéance du 1er juillet 2014, qui correspond à la fin de l’autorisation de ce régime dérogatoire par l’Union européenne, constitue un enjeu majeur pour nos collectivités territoriales ultramarines.

Je regrette d’ailleurs, et je le dis en dehors de tout esprit partisan, que les précédents gouvernements ne se soient pas mobilisés davantage sur ce dossier au cours des dernières années. En revanche, je me réjouis que le nouveau gouvernement ait pris ce dossier à bras-le-corps.

La commission des affaires économiques a voulu réaffirmer clairement la position retenue en 2009 par la mission commune d’information outre-mer sur la situation des départements d’outre-mer, que j’ai eu l’honneur de présider, et qui correspond au souhait exprimé par les élus domiens à l’occasion des états généraux de la démocratie territoriale : l’octroi de mer doit être pérennisé, au-delà du 1er juillet 2014.

Ainsi modifiée par la commission des affaires économiques, la proposition de résolution sur le financement des RUP constituera, si elle est adoptée, un soutien de poids au Gouvernement pour les discussions à venir avec la Commission européenne.

Nous comptons sur vous et votre détermination, monsieur le ministre, pour que le Gouvernement présente à la Commission européenne un dossier solide et non lacunaire. En retour, vous pouvez compter sur nous, même si nous restons vigilants.

En conclusion, la commission des affaires économiques vous invite, mes chers collègues, à voter ces deux propositions de résolution. J’espère que la Haute Assemblée les adoptera à l’unanimité, démontrant ainsi une nouvelle fois son attachement à nos outre-mer.

L’objectif est clair : il s’agit, pour reprendre les termes de Rodolphe Alexandre, président du conseil régional de la Guyane, de contribuer à « une Europe plus pragmatique, plus efficace, davantage au fait des préoccupations réelles des populations de ses régions ultrapériphériques et soucieuse d’y apporter des réponses adaptées ». (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.

M. Simon Sutour, président de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Conseil européen tiendra, dans quelques jours, une réunion extraordinaire consacrée au cadre financier de l’Union européenne pour 2014-2020, et donc en particulier à l’avenir de la politique de cohésion. Il s’agit là d’un rendez-vous majeur, qui revient tous les sept ans.

Il n’est pas certain – c’est même peu probable – que cette réunion débouche sur un compromis. D’ailleurs, même si compromis il y a, il faudra tenir compte ensuite de la position du Parlement européen, dont l’accord est désormais nécessaire aux termes du traité, cette codécision sur le budget européen étant une bonne chose. En tout état de cause, cette réunion du Conseil européen sera une étape cruciale pour le compromis final.

Notre débat vient donc à point nommé, la politique de cohésion étant un enjeu essentiel pour les régions ultrapériphériques en général et les RUP françaises en particulier. C’est également vrai, bien sûr, pour toutes les régions françaises, surtout celles qui sont susceptibles d’entrer dans la nouvelle catégorie des « régions de transition », proposée par le commissaire européen Johannes Hahn. Je m’écarte un instant du sujet pour me réjouir de constater que le Gouvernement soutient cette proposition, contrairement, il faut le dire, au précédent.

Ce débat est donc particulièrement essentiel pour les RUP françaises qui, seules, relèvent de l’objectif « convergence » et peuvent, à ce titre, bénéficier d’un cofinancement au taux le plus élevé.

C’est un combat difficile, extrêmement difficile même, que le Gouvernement devra mener. Le mot « combat » n’est pas exagéré, tant ces négociations s’annoncent dures, notamment, comme l’a souligné mon collègue Serge Larcher, pour ce qui concerne l’allocation spécifique, que l’on veut faire passer de 35 euros par habitant à 20 euros. Car telle est la base de négociation d’où il vous faudra partir : vous devrez vraiment vous battre pour réussir à maintenir l’allocation spécifique à son montant actuel !

En revanche, j’y insiste, monsieur le ministre, l’équilibre de la position française telle qu’elle s’énonce aujourd’hui est rassurant.

La France conserve une position claire et ferme sur la politique agricole commune, la PAC, mais elle n’est pas prête à sacrifier, en contrepartie, la politique de cohésion, comme ce fut le cas auparavant. Sans vouloir entrer dans une polémique politicienne – les faits sont là, qui peuvent être vérifiés –, le précédent gouvernement avait la PAC comme priorité, la politique de cohésion devenant une simple variable d’ajustement.

Or la politique de cohésion joue un rôle considérable dans nos territoires ; on peut même se demander ce qui resterait, sans les fonds européens, de la politique d’aménagement du territoire. Par ailleurs, le fait que les RUP françaises en bénéficient pleinement est une autre raison essentielle de notre attachement à cette politique.

À cet égard, permettez-moi de le signaler, c’est la première fois qu’un débat de cette nature a lieu ici même en séance publique, en pleine discussion du budget européen. Lorsque j’avais suivi cette question il y a sept ans, nous nous étions beaucoup moins battus. Mais aujourd'hui, après une prise de conscience, nécessité fait loi !

Après les explications données par nos collègues Roland du Luart, Georges Patient et Serge Larcher, je ne reviendrai pas sur les deux propositions de résolution européenne aujourd’hui soumises au Sénat. Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, nous sommes, me semble-t-il, tous unis sur les objectifs à respecter : préserver les moyens de la politique de cohésion pour les RUP, s’attaquer résolument à la question de l’octroi de mer, sur laquelle je tiens, à mon tour, à insister, et entamer – enfin ! – un dialogue, réel et concret, avec la Commission européenne.

Voilà huit ans, concernant l’octroi de mer, la France a obtenu un délai de dix ans pour se mettre en conformité avec les règles européennes. Nous sommes aujourd’hui à vingt mois de l’échéance. J’y reviendrai ultérieurement, mais, à l’instar de mon collègue Georges Patient, je préférais la rédaction initiale de la proposition de résolution proposée par la commission des affaires européennes ; elle me paraissait plus nette et plus concrète.

Au demeurant, il faut aussi savoir adapter les règles européennes à la spécificité des régions ultrapériphériques, non seulement pour la gestion des fonds européens, que je viens d’évoquer, mais aussi pour la mise en œuvre des normes.

J’étais en Guyane la semaine dernière et, avec mon collègue Georges Patient, nous avons pu constater à quel point l’application mécanique des normes européennes aboutissait à des conséquences absurdes.

Ainsi, il est injustifiable que la Guyane, en raison des normes européennes, ait quasiment cessé de produire du riz – 600 hectares cultivés aujourd'hui, contre 5 000 hectares il y a quelques années ! –, et qu’elle importe désormais son riz du Surinam, pays voisin qui ne respecte pas ces normes ! Avec un minimum de pragmatisme, nous n’en serions pas arrivés là. En l’espèce, nous avons tous les inconvénients et aucun avantage.

Si les exigences propres aux RUP françaises ne sont pas mieux prises en compte à Bruxelles, c’est parce que beaucoup d’Européens ne mesurent pas l’atout que ces régions représentent pour toute l’Union européenne, et pas uniquement pour la France, et ne savent pas à quel point elles sont importantes pour notre avenir. Cela est vrai, malheureusement, même à des échelons de décision élevés.

Monsieur le ministre, j’ai été choqué par la fermeture de la délégation de l’Union européenne au Surinam, pays frontalier de la France, donc de l’Union.

L’Union entretient de très nombreuses délégations à travers le monde, et leur utilité peut parfois soulever des interrogations. Il est donc assez étonnant que, lorsqu’il s’est agi de fermer une de ces délégations, on ait choisi celle d’un pays frontalier de l’Union européenne, qui plus est destiné à développer avec la Guyane une coopération territoriale dans le cadre de la politique de cohésion !

Vous aurez sans doute l’occasion, monsieur le ministre, d’évoquer cette question avec le ministre des affaires étrangères de ce pays, avec lequel nous nous sommes nous-mêmes entretenus lors de notre visite, et que vous devez, me semble-t-il, rencontrer à Cayenne le mois prochain.

On dit parfois qu’il n’est pas facile de plaider la cause des RUP, parce que seuls trois États membres sont concernés. Cela montre que nous ne raisonnons pas encore assez en Européens. Les RUP françaises sont une chance non seulement pour la France, mais aussi pour toute l’Union européenne, et c’est à nous de faire en sorte que ce point de vue soit davantage partagé en Europe. Nous ne l’avons sans doute pas suffisamment fait jusqu’à présent, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire, et notre débat d’aujourd’hui en sera, je l’espère, une illustration.

Pour conclure, je veux me réjouir de la coopération qui s’est instaurée entre la délégation sénatoriale pour l’outre-mer, créée sur l’initiative du président du Sénat, Jean-Pierre Bel, au lendemain de son élection – l'Assemblée nationale en a également créé une récemment –, la commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes.

Président de la commission des affaires européennes après avoir été pendant de nombreuses années membre de la délégation pour l’Union européenne, je constate que c’est la première fois que la commission des affaires européennes compte parmi ses membres des parlementaires d’outre-mer. Je salue ainsi Karine Claireaux, de Saint-Pierre-et-Miquelon, et Georges Patient, de Guyane, qui est aussi vice-président de notre commission.

J’espère que cette coopération favorisera l’adoption à l’unanimité des deux propositions de résolution, et je souhaite – mais je n’en doute pas, monsieur le ministre – que le Sénat et le Gouvernement soient sur la même longueur d’onde. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma participation au débat de cet après-midi confirme, s’il en était besoin, l’intérêt sincère que portent tous les élus de l’Hexagone aux collectivités ultramarines. D’ailleurs, à considérer toutes les discussions les concernant auxquels j’ai pris part ici dans la période récente et aujourd’hui encore - réforme des ports d’outre-mer, régulation économique outre-mer, stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques - je sens que les Lotois vont finir par se demander si je n’ai pas élu domicile outre-mer ! (Sourires.)

Le débat de cet après-midi sur la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques permet en tout cas de rappeler à nos compatriotes de métropole que chacune de ces régions, si éloignée soit-elle du continent européen, fait partie intégrante de la France et de l’Europe et contribue largement à leur dynamisme, à leur prospérité et à leur rayonnement.

Ce débat m’offre aussi l’occasion de saluer à cette tribune la mémoire d’un ancien président du Sénat : Gaston Monnerville. Né en Guyane de parents martiniquais, il fut, avant d’être sénateur du Lot pendant près de trente ans, député puis sénateur radical de Guyane.

C’est donc dans la continuité de cette histoire mêlée entre le Lot et l’outre-mer que j’inscris ma démarche.

Mes chers collègues, les deux propositions de résolution européenne soumises aujourd’hui à notre examen constituent une initiative bienvenue et un soutien précieux à l’action menée par le Gouvernement au niveau européen.

Cette initiative est bienvenue, car la crise économique et financière que connaît l’Union européenne est ressentie de façon particulièrement violente dans les régions ultrapériphériques.

Ces régions paient assurément un lourd tribut, puisque le chômage y progresse davantage qu’ailleurs, notamment parmi les jeunes de moins de vingt-cinq ans, qui sont touchés à plus de 60 %. Les entreprises y sont plus fragiles, certains secteurs économiques sont complètement atones et les équipements collectifs de base connaissent des retards massifs de mise aux normes. Enfin, comme chacun le sait, le PIB par habitant dans les régions ultrapériphériques est largement inférieur à la moyenne nationale.

Ce diagnostic n’est certes pas nouveau ; mais la crise a mis un peu plus en évidence les faiblesses structurelles des économies des régions ultrapériphériques ainsi que leur dépendance vis-à-vis de l’extérieur.

Le précédent gouvernement s’en est trop souvent tenu à une position quelque peu distanciée à l’égard des outre-mer, invoquant un nécessaire développement endogène ce qui, en réalité, ne servait qu’à masquer le désengagement de l’État.

La nouvelle majorité a ouvert des perspectives de changement qu’il faut saluer : je pense en particulier au projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer, que nous venons d’adopter pour lutter contre la vie chère.

Je pense aussi à l’action menée par le Gouvernement pour que les réalités des régions ultrapériphériques soient prises en compte dans la réforme en cours de la politique commune de la pêche.

Cette action a commencé à porter ses fruits puisque, lors du Conseil des ministres de l’Union européenne du 24 octobre dernier, le régime de compensation des coûts additionnels supportés par les pêcheurs et les aquaculteurs ultramarins en raison de leur éloignement a été étendu à l’ensemble des territoires ultrapériphériques, ce qui représente une avancée majeure.

Ces premiers résultats sont encourageants, mais les régions ultrapériphériques espèrent d’autres avancées.

Le marché unique est pour elles une fiction autant que la discontinuité territoriale est une réalité !

Après l’espoir suscité il y a un an par le rapport Solbes sur les régions ultrapériphériques européennes dans le marché unique, qui recommandait l’utilisation systématique du fameux article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les lendemains ont vite déchanté.

En effet, la communication de la Commission européenne intitulée Les régions ultrapériphériques de l’Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive et ses propositions en matière de politique de cohésion sont très loin de répondre aux attentes concrètes de ces territoires.

Il y a bien le discours sur les atouts que représente l’outre-mer ; il y a aussi – fait nouveau – la reconnaissance explicite de leur diversité. Mais, au bout du compte, la Commission européenne n’évoque que très peu les nécessaires politiques de rattrapage et reste hostile à l’instauration d’instruments d’aide spécifiques.

Monsieur le ministre, dans les négociations des prochains mois, il va falloir faire preuve de persuasion pour inverser une telle tendance et obtenir un peu de souplesse !

Notre pays a la chance d’être présent à proximité de pays dits « émergents » : il y a là une occasion à ne pas manquer de développer le commerce avec le Brésil à partir de la Guyane, avec le bassin caribéen à partir des Antilles, avec l’Inde et l’Afrique du Sud à partir de La Réunion et de Mayotte, et avec la Chine à partir de nos îles pacifiques.

Tout doit donc être mis en œuvre pour développer les échanges au sein de ces zones géographiques. Pour cela, il faut, en premier lieu, desserrer l’étau des normes qui enserre les économies ultramarines : édictées à des milliers de kilomètres, ces normes ne prennent pas du tout en compte les spécificités de ces territoires.

Cet aveuglement contribue au renchérissement des produits et à ce que l’on appelle aujourd’hui « la vie chère ». Que ce soit pour la composition des carburants ou la construction, les normes conduisent à des aberrations. Mes chers collègues, imaginez que la Guyane, qui est adossée à la plus grande forêt du monde, la forêt amazonienne, est obligée d’importer du bois de hêtre pour fumer le poisson !

La même « logique » est à l’œuvre pour les accords commerciaux, bilatéraux ou multilatéraux, qui placent les cultures traditionnelles des régions ultrapériphériques devant le fait accompli d’une concurrence locale accrue.

En effet, au cours des deux dernières années, l’Union européenne a conclu plusieurs accords commerciaux portant sur des productions traditionnelles de l’outre-mer : la banane, le rhum et le sucre. Ces accords ont été conclus avec des pays dont les coûts de production sont très inférieurs à ceux des régions ultrapériphériques !

Les producteurs ultramarins n’ayant évidemment pas la capacité de résister à une concurrence accrue de produits à bas prix sur le marché européen, chacun peut aisément concevoir les effets potentiellement dévastateurs de ces accords sur l’agriculture des régions ultrapériphériques.

Les élus d’outre-mer n’ont cessé, au Parlement français comme à Bruxelles, de tirer la sonnette d’alarme et de réclamer une compensation.

Par ailleurs, cette politique commerciale n’est pas toujours très cohérente avec les politiques structurantes de l’Union européenne en matière sociale, sanitaire et environnementale.

On ne peut pas, d’un côté, défendre une agriculture durable et responsable en considérant que cet objectif s’applique aussi aux régions ultrapériphériques et, de l’autre, engager des négociations commerciales qui mettent à bas les fondements mêmes de cette politique.

Songez, mes chers collègues, que lorsqu’une banane antillaise subit entre deux et six traitements sanitaires, une banane colombienne en subit soixante, soit plus de dix fois plus !

Monsieur le ministre, dans cette période décisive de négociations, les régions ultrapériphériques comptent sur vous pour défendre leurs spécificités. Les deux propositions de résolution européenne sont destinées à appuyer votre action au niveau européen.

Pour améliorer l’intégration des régions ultrapériphériques dans le marché unique sans sacrifier leur ouverture sur leur environnement régional, la France et l’Union européenne doivent faire chacune un pas en avant.

Les territoires d’outre-mer doivent, bien sûr, saisir les nouvelles chances qui se présentent dans les services, le commerce électronique, les transports, les énergies renouvelables et la recherche pour avancer sur la voie d’une croissance plus endogène et diversifiée.

L’Union européenne, quant à elle, doit renouveler son pacte d’intégration en donnant corps à l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en réinventant des politiques sectorielles sur le modèle du programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, et en intégrant les contraintes des régions ultrapériphériques dans les politiques commerciales européennes.

Mes chers collègues, comme vous l’avez compris, les membres du groupe du RDSE apportent un soutien sans réserve aux deux propositions de résolution européenne ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, messieurs les auteurs des propositions de résolution européenne, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi de saluer la présence dans nos tribunes d’une délégation de ma commune, Saint-Nolff, venue du Morbihan pour recevoir ce soir le prix de la capitale française de la biodiversité pour 2012 ; je salue en particulier Sarah et Benoît, qui représentent notre conseil municipal des enfants.

Nous débattons donc cet après-midi des régions ultrapériphériques, les RUP… Je trouve que les technocrates de Bruxelles devraient mettre un petit peu plus de poésie dans leurs expressions, qui blessent parfois notre langue !

Le Parlement européen est en pleine phase législative pour lancer une nouvelle stratégie en faveur du développement des régions ultrapériphériques.

Cette stratégie vise à prendre en compte le changement climatique, à favoriser le développement local, à défendre une agriculture locale durable, à préserver la qualité des produits, à prendre en compte l’incidence des accords commerciaux de l’Union européenne, à promouvoir la participation des élus locaux au processus décisionnel et à prendre en compte les difficultés sociales croissantes des populations ultrapériphériques, notamment celles des jeunes.

Vous le voyez, les enjeux sont nombreux, et les défis, aussi.

Le rapport d’initiative adopté par le Parlement européen le 18 avril 2012 sur le rôle de la politique de cohésion dans les régions ultrapériphériques de l’Union européenne dans le contexte de la stratégie « Europe 2020 » et le document publié le 20 juin dernier par la Commission européenne présentent déjà les axes de la stratégie de l’Union européenne pour les régions ultrapériphériques.

Les députés européens Verts ont d’ores et déjà envoyé à la Commission européenne un message clair sur l’outre-mer.

Dans sa proposition de règlement FEDER pour les années 2014 à 2020, soit la future période de programmation, la Commission européenne propose des coupes budgétaires significatives dans l’enveloppe additionnelle dédiée aux régions ultrapériphériques : cette enveloppe baisserait de 46 %, ce qui reviendrait à ramener le montant de l’aide de 35 à 20 euros par habitant !

Cette proposition est inacceptable, et nos députés européens ont demandé le maintien du budget.

En outre, ils ont demandé que l’on mesure les effets des accords internationaux en matière de commerce et de pêche sur ces territoires et sur la production locale.

Nous sommes cependant forcés de constater que nos propositions en matière d’environnement sont accueillies avec frilosité. Il serait pourtant nécessaire d’inclure un critère lié au changement climatique pour chaque projet financé par la politique de cohésion.

Les régions ultrapériphériques doivent faire face à des crises combinées terribles : une crise sociale, une crise économique, mais aussi une crise environnementale.

Pour relever les défis nombreux dont j’ai parlé, les régions ultrapériphériques ont besoin d’un soutien fort et durable de l’Union européenne, un soutien qui doit accompagner un développement exemplairement soutenable.

Chers collègues des outre-mer, parmi les défis que vos territoires vont devoir relever, trois me semblent primordiaux : les transports, l’agriculture et la lutte contre l’utilisation excessive des pesticides ainsi que le maintien et le développement d’une pêche artisanale, durable et innovante.

Je reprends tour à tour ces trois défis.

Les déplacements dans les régions ultrapériphériques sont principalement caractérisés par la trop grande importance accordée à la voiture au détriment des transports collectifs, dont il est clair que les réseaux sont tout à fait insuffisants.

Compte tenu de l’augmentation du prix du carburant, ce problème a une incidence directe sur le budget des ménages et, de ce fait, sur la qualité de vie des habitants.

Dans ce contexte, les aides européennes doivent contribuer à la mise en place d’un réseau fiable de transports interurbains.

S’agissant de l’agriculture et des pollutions liées à l’utilisation des pesticides, on ressent les conséquences néfastes sur la santé et sur l’environnement du chlordécone, utilisé dans les bananeraies et heureusement interdit aux Antilles aujourd’hui, mais aussi celles d’autres produits phytosanitaires.

Mes chers collègues, vous vous en souvenez sans doute, j’étais intervenu avec force pour réclamer la fin des épandages aériens, parce que des méthodes alternatives existent.

Dans ce domaine aussi, l’Union européenne a un rôle capital à jouer. Les régions ultrapériphériques, eu égard à la qualité de leur patrimoine naturel, de leurs sols et de leurs forêts, ainsi qu’à la richesse de leur biodiversité, peuvent permettre le développement d’une agriculture innovante fondée sur l’agro-écologie.

Enfin, chers collègues ultramarins, comment pourrions-nous traiter de la stratégie de l’Union européenne pour les régions ultrapériphériques sans parler de la pêche, qui constitue un enjeu économique et social vital pour vos territoires ?

Je vous rappelle que les outre-mer représentent 96 % du domaine océanique français, le deuxième plus important au monde, et qu’ils comptent plus de 2 500 navires de pêche quand la métropole en compte moins de 5 000. Les territoires ultramarins abritent 35 % de la flotte artisanale française et plus de 20 % des effectifs de marins pêcheurs.

Nous le réaffirmons, seules les pratiques durables sont capables de protéger les ressources halieutiques, et ce sont donc elles que l’Union européenne doit soutenir en priorité.

En effet, on ne peut pas dissocier les questions écologiques, économiques et sociales : sans gestion durable des ressources halieutiques, il n’y aura pas de garantie économique à long terme, ni de garantie sociale du point de vue de l’emploi.

C’est d’autant plus vrai que les territoires ultramarins sont particulièrement fragiles : pour l’essentiel insulaires, ils sont davantage exposés aux effets du changement climatique, aux risques naturels et aux conséquences des activités humaines.

Si donc nous rejoignons nos collègues ultramarins pour constater les spécificités et les contraintes particulières de leurs territoires, si nous partageons un certain nombre de leurs critiques contre des politiques européennes souvent mal adaptées aux spécificités locales, nous déplorons aussi que les défis écologiques auxquels ces territoires doivent dès à présent faire face ne soient pas suffisamment pris en considération.

Seule une vision de long terme permettra d’apporter une réponse globale à la hauteur des défis des outre-mer.

Chers collègues ultramarins, nous avons à cœur la vitalité de vos territoires ; elle doit résulter de stratégies de développement local innovantes et endogènes, qui reposent sur une agriculture et une pêche durables et sur le développement d’industries nouvelles.

Ce que certains qualifient de retard de développement est aussi une chance aujourd’hui : c’est l’occasion d’engager les bonnes réformes et de faire des choix de développement innovants, soutenables et, comme il a été dit tout à l’heure, intelligents.

La recherche de la compétitivité et de la croissance sans prise en compte des défis environnementaux ne peut être qu’incantatoire.

Quant aux solutions à apporter à vos territoires, chers collègues, elles ne résident pas dans l’obtention de dérogations toujours plus importantes aux normes européennes. Des dérogations, toujours plus de dérogations et seulement des dérogations ? Non, chers collègues, s’il faut prendre en compte les spécificités, il faut aussi considérer l’unicité !

Si nous ne partageons donc pas toujours avec certains de nos collègues la vision du développement que nous souhaitons pour ces territoires, nous comprenons cet appel à une mise en cohérence des politiques européennes afin que les régions ultrapériphériques n’en constituent plus la variable d’ajustement. Par conséquent, chers collègues ultramarins, nous voterons avec force sinon vos deux révolutions – le lapsus serait facile (Sourires.) – du moins vos deux résolutions ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gautier.

M. Jacques Gautier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le fond des deux propositions de résolution qui sont examinées aujourd’hui. Nous avons entendu nos collègues les présenter dans le détail, avec le brio et le sérieux que nous leur connaissons.

Nous ne pouvons qu’adhérer aux raisons qui en ont motivé et le dépôt et la discussion en séance publique. La problématique traitée par les deux propositions de résolution est majeure, non seulement pour l’outre-mer français, cela a été dit, mais également pour l’ensemble des outre-mer de l’Union européenne.

Au nom du groupe UMP, je me félicite qu’un tel débat puisse avoir lieu. Les questions abordées sont d’une grande importance et d’une urgente actualité. Il était essentiel qu’elles soient envisagées de manière solennelle, comme nous le faisons maintenant.

Pourquoi ces propositions de résolution ? Il s’agit d’abord d’un constat : les réalités locales de l’outre-mer ne sont pas assez prises en compte par les autorités et les politiques de l’Union européenne. Les deux propositions de résolution constituent un rappel de ce constat de désintérêt et sont des initiatives que nous tenons à saluer.

La première résolution, proposée par nos collègues Roland du Luart, Georges Patient et Serge Larcher, concerne la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l’horizon 2020. Elle est l’aboutissement des travaux menés par la délégation sénatoriale à l’outre-mer, dont je salue l’engagement.

Il s’agit d’abord et avant tout de sensibiliser le Gouvernement à la nature des enjeux et de lui apporter notre soutien et notre appui vigilants dans les futures négociations que, monsieur le ministre, vous aurez à conduire sur le cadre financier pluriannuel de l’Union.

À ce titre, permettez-nous d’espérer que votre collègue ministre chargé des affaires européennes tiendra sa promesse de se rendre dans les régions ultrapériphériques et de réunir prochainement les parlementaires.

Ce dossier doit être pris à bras-le-corps, si je peux me permettre l’expression, car le contexte budgétaire européen est tendu, nous le savons tous. Aussi un appui de cet ordre ne sera-t-il pas superflu.

Il s’agit ensuite d’un avertissement donné par notre Haute Assemblée à la Commission européenne. Sa dernière communication de juin 2012 est totalement décevante, tardive et en décalage par rapport à la réalité dégradée de la situation économique et sociale de ces régions. La Commission fixe sur un ton incantatoire des objectifs trop ambitieux et ne prend absolument pas en compte ni la problématique des régions ultrapériphériques, ni leurs attentes ; cela a été réaffirmé plusieurs fois.

En matière de fonds structurels, on note un décalage permanent entre les objectifs stratégiques retenus par la Commission et les réalités du terrain qui imposent un rattrapage structurel et un soutien des secteurs traditionnels plutôt que leur destruction.

Il n’est pas possible que les crédits dont bénéficient ces régions soient diminués de façon substantielle, comme l’envisage la Commission européenne. Ces crédits sont essentiels à ces régions, au vu de leur situation spécifique et des handicaps qui sont les leurs. Il ne peut en être autrement. Mais c’est l’objet de la deuxième résolution et nous y reviendrons.

Nous l’avons dit et répété : les régions ultrapériphériques doivent faire l’objet d’un soutien plus marqué, plus durable et plus volontariste de la part de l’Union européenne. C’est notre conviction et c’est l’objet de ces deux initiatives, qui sont parfaitement complémentaires.

Il y a urgence à affirmer notre position. Nous sommes à la veille du Conseil européen des 22 et 23 novembre, qui sera consacré à l’élaboration du prochain cadre financier pluriannuel fixant le montant des dépenses engagées par l’Union pour la période 2014-2020. Cette négociation est donc essentielle pour l’avenir de l’Union. Toutefois, vous le savez tous, elle s’annonce particulièrement difficile.

Les contraintes budgétaires de chaque État membre sont une première difficulté ; mais, et c’est une seconde difficulté, il faut savoir que cette négociation sera la première à se dérouler à vingt-sept États membres. Elle requiert l’unanimité du Conseil et l’approbation du Parlement européen : telle est la procédure du traité de Lisbonne. Par conséquent, c’est un moment décisif. Aussi est-il essentiel, à notre avis, que le Sénat mette en avant des priorités politiques. Je pense, bien entendu, à la PAC ou à l’efficacité des dépenses européennes.

Mais la cohésion sociale et régionale est également un sujet majeur pour des raisons d’équité et de justice. C’est d’ailleurs la position traditionnelle du Sénat depuis des années. Dans ce cadre, les régions ultrapériphériques occupent une place éminente, car, j’y insiste, elles sont une chance pour l’Europe.

M. Roland du Luart. Très bien !

M. Jacques Gautier. Or nous sommes inquiets, car il semble que l’Union européenne – et à travers elle la Commission européenne – ne souhaite pas prendre en compte les spécificités et la diversité des régions d’outre-mer.

Il est donc important que le Sénat marque sa volonté de voir concrètement mis en œuvre l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, afin que soient pris en compte dans le droit communautaire les handicaps et les contraintes spécifiques des régions ultrapériphériques. C’est le devoir de la Commission européenne d’appliquer le traité en vigueur.

Au Sénat, nous sommes déterminés à voir ce fondement juridique être pleinement utilisé par les autorités européennes. Il y va de la reconnaissance concrète de la diversité des régions ultrapériphériques et de la prise en compte de leur spécificité et de leurs atouts.

Il est aussi absolument nécessaire de faciliter l’intégration des régions ultrapériphériques dans leur environnement géographique : c’est la contrepartie de leur éloignement du continent européen.

Dans cette optique, il faut, comme l’a fait notre collègue Roland du Luart, insister sur la politique commerciale de l’Union européenne, qui est actuellement une véritable menace pour l’économie des régions ultrapériphériques et pour leur intégration régionale. Il s’agit d’une problématique essentielle pour l’avenir des régions ultrapériphériques. Une mise en cohérence des politiques de l’Union est absolument nécessaire. Plusieurs collègues ont eu raison de rappeler les absurdités que nous vivons à cet égard.

Ces deux sujets majeurs sont les deux grands axes de la première résolution. Aussi est-il important que celle-ci soit adoptée par la plus large majorité de notre assemblée.

M. Roland du Luart. Très bien !

M. Jacques Gautier. Il y va de la crédibilité du message que nous voulons délivrer, non seulement au Gouvernement et à la Commission européenne, mais aussi à nos amis ultramarins.

La proposition de résolution de la commission des affaires européennes du Sénat, présentée par Georges Patient, concerne le financement des régions ultrapériphériques françaises. Je l’ai dit, ces deux propositions de résolution sont complémentaires.

Deux sujets préoccupent particulièrement les régions ultrapériphériques françaises : l’avenir des fonds structurels européens et celui du régime de l’octroi de mer au-delà du fameux 1er juillet 2014.

Les constats formulés dans cette proposition de résolution sont les suivants : pas de prise en compte suffisante des spécificités des régions ultrapériphériques par l’Union européenne ; importance des fonds structurels européens dans le développement des départements d’outre-mer et nécessité absolue de maintenir l’octroi de mer, qui représente une ressource majeure pour ces DOM.

S’agissant de la politique de cohésion, je l’ai déjà dit, le cadre financier pluriannuel 2014-2020 doit prendre en compte l’atout que constituent pour l’Union européenne les régions ultrapériphériques, et le niveau de l’allocation spécifique doit être maintenu. Il faut que les fonds européens financent les besoins réels des régions ultrapériphériques, notamment en matière d’infrastructures.

Par ailleurs, l’octroi de mer est une ressource majeure de l’outre-mer. Le 1er juillet 2014 est une échéance décisive pour l’octroi de mer et donc pour le financement des collectivités locales des départements d’outre-mer français, lesquels, nous le savons tous, sont déjà en grande difficulté financière. Il nous faut, aux yeux de la Commission européenne, justifier la pertinence de cette imposition au regard de certains objectifs, notamment sociaux. Cela signifie-t-il que l’Europe veut la mort de ce système ? Je n’ose l’imaginer. Mais une incertitude existe, et il faut la lever.

Les Canaries ont trouvé une solution grâce à une forte mobilisation. Cela veut donc dire que l’échéance du 1er juillet 2014 est fondamentale et que la balle est aujourd’hui dans le camp du Gouvernement. Monsieur le ministre, vous devez vous mobiliser, et vous savez que vous pouvez compter sur l’entier et l’unanime soutien du Sénat.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, notre groupe votera à l’unanimité ces deux textes, ce qui devrait leur donner encore plus de poids. Nous sommes certains que ces initiatives ne resteront pas sans effet et que, tous ensemble, nous pourrons défendre ainsi les régions ultrapériphériques. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, qui, mieux que Paul Vergès, qui fut pendant longtemps député européen et président de région, pouvait s’exprimer sur la problématique des régions ultrapériphériques ? Notre collègue ne pouvant être physiquement parmi nous aujourd’hui, j’ai le plaisir de prononcer cette allocution en son nom et au nom de notre groupe.

Évacuons d’entrée l’ambiguïté née de l’acceptation de la notion de « région ultrapériphérique », et rappelons que les ultramarins ne sont ultrapériphériques qu’aux yeux des autres. En effet, les peuples des outre-mer ne sauraient se trouver à la périphérie, que dis-je ? à l’ultrapériphérie d’eux-mêmes. Mes chers collègues, le centre se trouve là où nous vivons, là où nous projetons notre avenir.

Cette précision étant apportée, je veux saluer la qualité du travail accompli par mes collègues Georges Patient, Serge Larcher et Roland du Luart, ainsi que par la délégation sénatoriale à l’outre-mer.

Ce débat devant la Haute Assemblée arrive à point nommé, puisque c’est en ce moment que se rediscutent, devant les autorités européennes, les réformes essentielles pour l’avenir de nos régions, telles que la politique agricole commune, la politique commune de la pêche, la politique de cohésion, le POSEI ou l’octroi de mer.

Ce sont toutes les relations entre l’Union européenne et les régions ultrapériphériques jusqu’à 2020 qui se jouent aujourd’hui. Compte tenu de leurs effets pour nos territoires, ces rendez-vous ne peuvent être manqués et la mobilisation de tous est requise : le Gouvernement, bien sûr, les parlementaires européens, les régions, mais aussi les parlements nationaux. Sur ce plan, par vos rapports et le travail accompli par la délégation sénatoriale à l’outre-mer, le Sénat français n’a pas failli à sa mission.

À l’occasion de ce débat, nous devons non seulement réaffirmer des lignes de force sur la conception que nous avons des relations entre les régions ultrapériphériques et l’Union européenne, mais aussi exprimer une position politique à la veille du Conseil européen des 22 et 23 novembre prochain.

Nul besoin d’insister – chacun le sait ici – sur l’importance des décisions qui seront prises concernant le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union. Nul besoin d’insister non plus sur les conséquences des décisions qui en sortiront pour les dotations allouées aux régions à travers le financement de la politique de cohésion ainsi que pour le financement d’une série de politiques, telles que la PAC.

Nous le savons, ces discussions sont tendues et les compromis qui seront trouvés, car il ne peut en être autrement, sont très attendus. Mais, à l’heure actuelle, sur la base des propositions du président de l’Union européenne, M. Van Rompuy, et du président de la Commission européenne, M. Barroso, nous ne pouvons qu’être inquiets !

L’un comme l’autre proposent une baisse significative du budget global de l’Union européenne ! L’un comme l’autre militent en faveur de coupes claires dans le budget de la politique agricole commune ! L’un comme l’autre, avec des variantes, diminuent le budget de la politique de cohésion, si essentielle pour les régions les moins développées et pour les régions ultrapériphériques en particulier.

Depuis le Sénat aujourd’hui, il nous faut lancer un appel pour que la France ne transige pas et tienne bon sur les deux objectifs qu’elle s’est fixés, à savoir le maintien du budget de la politique agricole commune et celui de la cohésion.

À l’occasion de ce débat aujourd’hui, nous devons affirmer avec force que, dans la recherche des compromis devant le Conseil, aucun arbitrage fait ne devra être préjudiciable aux régions ultrapériphériques. Cela doit, en toutes circonstances, demeurer l’une des priorités du Gouvernement pendant ce Conseil européen. Il ne serait pas acceptable qu’à la faveur d’un acquis d’un côté soit concédé un sacrifice de l’autre.

Tout devra être fait pour sanctuariser les crédits alloués aux régions les plus en retard de développement, et ce d’autant plus que, alors que le budget ne progresse pas, voire risque de diminuer considérablement, une nouvelle catégorie de régions « intermédiaires » est créée.

Quel sera l’impact sur les dotations destinées aux régions relevant de l’objectif 1, rebaptisé « convergence », c'est-à-dire aux RUP françaises ? Il y a là matière à exprimer une inquiétude.

Globalement, sur la politique de cohésion, qui concerne au premier chef les RUP, les propositions de la présidence du Conseil et de la Commission européenne ont soulevé l’indignation de nombreux parlementaires européens, qui y voient un affaiblissement sans précédent de la politique régionale. Nous devons bien voir de quoi il retourne. De l’aveu même du commissaire Johannes Hahn, pour la politique de cohésion, c’est un changement radical de philosophie qui s’opère aujourd’hui.

Pour la Commission, la cohésion doit cesser d’être une grande politique de solidarité, pour devenir un simple instrument en faveur de l’investissement. Cette évolution, inacceptable, doit être refusée par la France. Jusqu’à la dernière seconde de la négociation, nous devrons nous placer du côté des « amis de la cohésion », pour empêcher un tel affaiblissement de la politique régionale, dont les conséquences risquent d’être désastreuses pour nos régions ultrapériphériques.

Mais des coups sont déjà portés à la politique régionale. J’en veux pour preuve les règles sur la conditionnalité macroéconomique et la procédure sur les déficits excessifs, selon lesquelles une région se trouve privée de fonds structurels si l’État membre ne respecte pas les fameux critères si controversés de 3 % de déficit public et de 0,5 % de déficit structurel. Car qui peut affirmer aujourd’hui que, demain, l’Espagne, le Portugal ou la France seront en mesure de respecter ces critères, qui font d’ailleurs débat ?

J’en veux aussi pour preuve la consternante proposition de la Commission européenne de diminuer de plus de 40 % la dotation spécifique destinée aux RUP pour y compenser les surcoûts. Cette initiative, que la France doit refuser, nous éclaire sur le double langage de la Commission : d’un côté, la Commission affirme dans sa communication son engagement « en faveur des régions ultrapériphériques » et, de l’autre, elle vide de sa substance ce qui constituait l’une des grandes avancées au regard de sa précédente communication.

Il en va malheureusement souvent ainsi avec la Commission européenne, et les propositions de résolution européenne du Sénat mettent bien en exergue, et ce à juste titre, de telles contradictions.

Ainsi, s’agissant des accords commerciaux avec les pays tiers, les déclarations de la Commission européenne sur la prise en compte des intérêts de nos productions ne résistent pas à la cruelle réalité qui veut que nos intérêts soient toujours sacrifiés sur l’autel des grands marchandages mondiaux !

L’exemple de la banane est éclairant. Idem pour le critère des 150 kilomètres : un jour, le Président Barroso se montre ouvert à sa suppression et, un autre jour, le Commissaire Hahn exprime son hostilité à toute évolution.

Que dire également de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui doit être à la fois notre bouclier et notre fer de lance pour la conquête de nouvelles avancées dans la prise en compte de nos spécificités ?

À ce jour, cet article 349 n’a pas été retenu comme base juridique du programme POSEI par la Commission européenne, qui refuse également son inscription dans la politique commune de la pêche et le FEAMP, le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche. Là encore, il existe un décalage, et nous devons le dénoncer.

Les proclamations de la Commission européenne dans sa communication ne pourront trouver leur plein effet que s’il nous est possible de donner à cet article un nouveau souffle, une nouvelle force. Autrement, nous serons condamnés, jusqu’à la prochaine communication, à ne nous nourrir que de vœux pieux !

Il y a urgence, à cet égard, à procéder à l’évaluation de toutes les communications de la Commission européenne en faveur des RUP. Sur l’octroi de mer, cela a été souligné dans le rapport, la Commission attend que la France justifie l’efficience du dispositif au regard des objectifs fixés en termes de développement et d’emploi. C’est une question complexe, révélatrice de nombreuses contradictions, qui doit être appréhendée dans l’intégralité des aspects qu’elle recouvre, sans a priori et sans tabous.

À l’approche de la réforme de l’octroi de mer, il appartient au Gouvernement de faire connaître sa position aux instances européennes comme aux conseils régionaux.

Nous voterons donc pour ces deux propositions de résolution européenne, d’une part, en ce qu’elles réaffirment des principes essentiels pour les relations entre les RUP et l’Union européenne sur lesquelles nous ne pouvons transiger parce qu’elles portent des propositions innovantes, d’autre part, en ce qu’elles devraient, en principe, aider le Gouvernement français dans ses négociations avec ses partenaires européens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du dernier forum européen des régions ultrapériphériques qui s’est déroulé le 2 juillet dernier, le Président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a déclaré, concernant les RUP, que « chacune de ces régions, aussi éloignée soit-elle du continent européen, fait bien évidemment partie intégrante de l’Union européenne et contribue largement au dynamisme, à la prospérité, et au rayonnement de notre Union. »

Ces bonnes intentions résument très bien la communication de la Commission européenne qui a suscité la réaction du Sénat et le dépôt des deux propositions de résolution européenne que nous examinons aujourd’hui. Comme cela a été dit lors de précédents débats, et comme les auteurs des propositions de résolution européenne l’ont rappelé avant moi, nous avons souvent l’impression d’entendre un discours plus incantatoire qu’efficace lorsque la Commission européenne évoque les régions ultrapériphériques.

Je veux saluer ici l’ensemble du travail de la délégation à l’outre-mer et de la commission des affaires européennes, qui permet au Sénat tout entier d’utiliser à plein son pouvoir d’influence sur le Gouvernement et les institutions européennes.

En premier lieu, il convient de souligner que les régions ultrapériphériques représentent pour l’Europe un véritable gisement. Avec leurs 4,3 millions d’habitants, elles occupent une immense partie du territoire maritime européen, le hissant ainsi au premier rang mondial. À cela il faut ajouter 80 % de la biodiversité européenne, une économie non délocalisable avec des produits agricoles uniques, des destinations touristiques paradisiaques et des sites industriels de pointe, par exemple dans l’aérospatiale.

Pour autant, il ne faut pas oublier que ces régions doivent faire face à des contraintes liées à leur localisation, leur géographie, leur éloignement. Nous devons en tenir compte. La France l’a compris depuis longtemps. Grâce à ses élus, elle mène une politique spécifique envers ses outre-mer. Il est temps que l’Union européenne en ait également pleinement conscience. Juridiquement, la prise en compte de cette spécificité relève de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; dans les faits, on ne peut que regretter la faible utilisation d’un article peu invoqué.

Or les territoires ultramarins doivent surmonter des difficultés intrinsèques, notamment en termes de développement économique. Ainsi, la politique européenne doit permettre de réduire les écarts avec les territoires continentaux. On peut citer notamment les problèmes liés au prix des transports des personnes et des marchandises, qui renchérissent grandement le coût de la vie et diminuent la compétitivité de ces territoires.

Il est donc impératif que les institutions européennes adaptent les règlements européens aux régions ultrapériphériques. Inversement, contraindre les régions ultrapériphériques à adopter des règlements européens inappropriés à leurs situations accroît bien évidemment leurs difficultés. Nous avons évoqué cette question, je vous le rappelle, mes chers collègues, lors du débat sur la politique commune de la pêche.

Nous devons donc continuer à défendre des programmes spécifiques sectoriels en faveur de certaines filières, telles que les technologies de l’information et de la communication, les transports ou les énergies renouvelables. Dans ce dernier domaine, La Réunion – je salue à cet égard mon collègue élu de ce département, ici présent –, est en pointe. Les expériences qui y sont menées pourront ensuite servir à toute l’Europe.

Nous voulons que ces régions soient des territoires d’exemplarité et d’avenir, des régions où des projets expérimentaux pilotes puissent naître et se développer.

Je pense, par exemple, à la question énergétique et aux technologies fondées sur l’énergie thermique des mers, l’ETM, qui permet d’utiliser la différence de température entre les eaux tièdes de surface et les eaux froides profondes pour produire de l’électricité. La présence d’une source abondante d’eau froide offre également la possibilité d’accroître les rendements de toutes les machineries thermiques traditionnelles de type machines frigorifiques.

Lors des différentes auditions menées par la délégation à l’outre-mer sous la présidence de Serge Larcher, nous avons vu que la Martinique et La Réunion étaient à la pointe sur ce sujet. Il faut aider les RUP à développer ces innovations.

Les institutions européennes ont l’obligation de prendre en compte les spécificités des RUP. L’Union européenne veut créer un partenariat clair avec ces régions, qui s’articulerait autour de cinq grands piliers : améliorer l’accessibilité, accroître la compétitivité, renforcer l’intégration régionale, soutenir la dimension sociale du développement et l’adaptation au changement climatique, qui frappe tout particulièrement ces territoires.

Avec ces deux propositions de résolution européenne, le Sénat demande à la Commission européenne de démontrer par des actions concrètes qu’elle met en œuvre le discours qu’elle tient depuis 2004. Les politiques européennes, notamment la politique de cohésion, doivent non seulement prendre en compte les contraintes effectives et la diversité des régions, mais aussi assurer une meilleure cohérence de l’ensemble de leur mise en œuvre.

La proposition de résolution européenne du Sénat du 3 mai 2011 sur l’agriculture des départements d’outre-mer et celle du 3 juillet 2012 sur les réalités de la pêche dans les RUP, que j’ai eu le plaisir de rapporter pour la commission des affaires européennes, ont déjà pointé l’incohérence de la politique commerciale. Sa mise en cohérence doit passer par l’évaluation systématique et préalable des effets des accords commerciaux conclus par l’Union européenne.

Le positionnement du Sénat doit permettre au Gouvernement de défendre des problématiques françaises. Je pense notamment à Mayotte et à l’octroi de mer. La France a un devoir particulier vis-à-vis des RUP, car c’est elle qui en compte le plus, et c’est elle qui en a sans doute la meilleure expertise.

La France se doit donc d’être attentive et exemplaire.

Oui, la France devra être attentive, lorsque Mayotte, dont je salue ici le sénateur, deviendra elle-même une région ultrapériphérique.

Département à part entière depuis le 31 mars 2011, Mayotte a souhaité devenir une RUP à compter du 1er janvier 2014. Le gouvernement français doit être attentif à ce que ce département soit bien pris en compte par les institutions européennes. De plus, il doit veiller à ce que les aides qui lui seront accordées ne viennent pas en déduction du budget déjà consacré aux cinq autres RUP françaises. L’effet serait alors vraiment négatif pour chacune et chacun.

Mais la France doit également être exemplaire. Il s’agit là d’une des dernières recommandations de Georges Patient concernant l’octroi de mer. Avant le 1er juillet 2014, la France doit proposer à la Commission européenne un régime fiscal dérogatoire pour les départements d’outre-mer concernés. Nous sommes dans une période de transition depuis 2004. Je soutiens les propos tenus il y a un instant par le président de la commission des affaires européennes, Simon Sutour : nous devons mener des réflexions claires sur l’avenir de l’octroi de mer.

Le Sénat, par ces propositions de résolution européenne, demande au Gouvernement de dialoguer sans délai avec la Commission européenne. Je pense que ce dialogue doit aussi se faire avec les élus locaux des départements concernés, ainsi qu’avec les parlementaires engagés sur ce sujet, notamment ceux de notre délégation à l’outre-mer, présidée par notre collègue Serge Larcher, qui fait un travail remarquable. Les débats qui nous animent sont passionnants. J’espère que nous serons entendus jusqu’à Bruxelles.

Pour toutes les raisons que je viens de développer, et pour son attachement profond aux régions ultrapériphériques, le groupe UDI-UC votera en faveur de ces propositions de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP, du RDSE et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 12 juillet dernier, le Conseil européen a adopté une décision par laquelle Mayotte deviendra, au 1er janvier 2014, la neuvième région ultrapériphérique de l’Union européenne. Cette décision, qui aurait pu être actée lors de la séance plénière du 29 juin dernier, a connu un léger contretemps, en raison d’un problème procédural soulevé par le Parlement britannique.

Le délai entre la décision du Conseil européen, qui marque l’entrée de ce territoire de l’océan Indien dans le processus de « rupéisation » et l’entrée effective dans le statut s’explique par la nécessité pour Mayotte de se mettre au niveau communautaire en adoptant textes et réglementations en vigueur.

Si Mayotte doit effectivement et impérativement être en mesure de faire face à l’ensemble de ses obligations communautaires, je salue toutefois l’initiative de MM. Serge Larcher, Roland du Luart et Georges Patient qui ont introduit, dans leur proposition de résolution relative à la stratégie européenne pour les RUP à l’horizon 2020, une mention visant à tenir compte des spécificités de ce tout jeune département.

En effet, il me semble que certaines dérogations, notamment en matière de droit d’asile et de statut des étrangers, doivent être maintenues eu égard aux problèmes d’immigration clandestine sans précédent auxquels l’île est confrontée.

Je tiens à exprimer ma très grande satisfaction, car Mayotte, qui connaît de profondes difficultés, pourra enfin accéder aux financements européens et faire, je l’espère, des progrès rapides et considérables en matière d’infrastructures, d’équipements collectifs et de développement économique et social.

Le montant estimé des subventions européennes que pourrait recevoir Mayotte sur la période 2014–2020 varie d’une source à l’autre. À combien s’élèveront-elles exactement ?

Il est également souhaitable que l’enveloppe budgétaire consacrée à mon département ne vienne pas en diminution de celle qui est prévue pour les autres RUP françaises. Je suis tout à fait d’accord avec vous, mon cher collègue.

J’attire enfin l’attention sur la nécessité de mettre en place un véritable accompagnement technique de gestion de ces fonds qui ne se réduirait pas à la simple constitution de dossiers, mais qui s’inscrirait dans une démarche plus générale, fondée sur l’élaboration d’un plan de développement à long terme.

Les rapporteurs de la mission sénatoriale, Jean-Pierre Sueur, Félix Desplan et Christian Cointat, lors de leur déplacement à Mayotte, en mars dernier, avaient déploré qu’aucune politique de sensibilisation ne soit encore prévue à destination des élus locaux et des fonctionnaires mahorais concernant le périmètre d’action des RUP.

La Commission européenne a récemment débloqué 2 millions d’euros pour financer cette assistance technique, mais 17 % seulement de cette enveloppe a pour l’heure été utilisée.

J’insiste sur ce point, la mise en place d’une formation efficace est indispensable : d’abord, parce que la gestion des fonds européens et les procédures administratives européennes requièrent des connaissances spécifiques ; ensuite, parce qu’en quittant le régime des pays et territoires d’outre-mer Mayotte ne pourra conserver les importantes ressources qu’elle tire aujourd’hui des droits de douane. Le nouveau département d’outre-mer devrait, pour y remédier, mettre en place une fiscalité locale conforme au droit commun au 1er janvier 2014, ce qui, comme chacun sait, est illusoire en l’état actuel des choses.

Si le Gouvernement faisait le choix de repousser cette date, quelles seraient les ressources des collectivités mahoraises ? Mais si le Gouvernement tenait coûte que coûte cet engagement, la mise en place de cette fiscalité locale risquerait d’être injuste et inégale : le revenu moyen d’un Mahorais est de moins de 1 000 euros par mois, mes chers collègues…

Et l’on se demande bien comment une telle fiscalité pourrait être instaurée, puisque le chantier du cadastre n’est toujours pas bouclé. Je regrette, d’ailleurs, que le projet de loi de finances pour 2013 n’ait pas prévu les crédits pour résoudre ce problème...

C’est la raison pour laquelle je souhaite vivement que l’amendement déposé par Serge Larcher concernant la pérennisation de l’octroi de mer et son extension à Mayotte, soit adopté…

M. Serge Larcher, rapporteur. C’est fait !

M. Thani Mohamed Soilihi. … et, plus encore, que la Commission européenne reconnaisse l’utilité de ce dispositif.

La « rupéisation » de Mayotte est une avancée considérable dans l’évolution statutaire de ce département. Il serait vraiment regrettable de ne pas pouvoir faire une utilisation optimale de ces fonds, pour Mayotte évidemment, mais aussi pour les autres RUP, qui s’en trouveraient pénalisées. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Cornano.

M. Jacques Cornano. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’identité socio-économique des régions ultrapériphériques se décline sous le signe de la mixité, entre une appartenance à l’Union européenne et un ancrage dans des régions éloignées soumises aux aléas de la mondialisation.

L’Union européenne a reconnu les spécificités de ces régions et il nous est permis de penser, au regard de sa communication du 20 juin dernier, que la Commission européenne a la volonté de prendre les mesures permettant à nos régions de s’inscrire de manière constructive dans l’économie mondiale.

Toutefois, il faut aller plus loin. Il est vrai que nous pouvons regretter la tardiveté de cette communication ainsi que son manque d’ambition pour nos régions. La Commission n’y fait même pas mention d’une possibilité d’évaluation de sa propre politique au regard des deux dernières communications.

Je salue donc l’initiative sénatoriale. Il est en effet plus que jamais nécessaire de rechercher une mise en cohérence des différentes politiques communautaires à l’égard des RUP et d’étudier toutes les possibilités d’adaptation à nos territoires éloignés que nous offrent les textes européens, qui demeurent sous-exploités.

Ces dernières années, la politique commerciale, menée en parallèle d’autres politiques sectorielles de l’Union européenne, a pu constituer une menace pour l’économie des RUP et mettre en péril leur intégration régionale. Ce fut le cas, par exemple, avec les accords de libre-échange entre l’Union européenne et l’Amérique latine en 2010, qui portaient sur la banane, le sucre, le rhum et d’autres produits agricoles tropicaux exportés vers l’Union européenne, au détriment de nos exportations, réalisées par des producteurs soumis aux normes françaises ou européennes.

Par ailleurs, mon collègue Georges Patient soulève les bonnes questions en ce qui concerne l’octroi de mer. Nous ne pouvons pas laisser arriver l’échéance de 2014 sans pleinement jouer notre rôle dans les négociations avec la Commission européenne ; qu’il s’agisse de pérenniser cette taxe ou d’envisager une solution alternative, une issue devra être trouvée et la solution devra parfaitement prendre la mesure des très importants problèmes financiers que rencontrent nos collectivités.

Quoi qu’il en soit, un maintien de l’octroi de mer appellera une réflexion d’ensemble sur le dispositif.

Je ne suis pas défavorable à l’idée formulée par la Cour des comptes l’an dernier visant à affecter les recettes d’octroi de mer davantage au financement de l’investissement public des collectivités et moins à leur fonctionnement ; mais, dans ce cas, d’autres ressources devront être recherchées pour abonder les caisses des collectivités en faveur de leur fonctionnement, et ce ne sera pas chose simple.

Pour conclure, je dirai que les départements français d’outre-mer entrent dans une nouvelle étape de leur évolution économique, sociale et culturelle avec la construction européenne et qu’il nous reste à espérer que leur appartenance politique et économique à l’Union européenne constituera un accélérateur pour leur développement, et non un frein. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Gillot.

M. Jacques Gillot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces propositions de résolution européenne revêtent une importance toute particulière pour nos territoires, pour la Guadeloupe notamment, en raison de deux enjeux que je souhaite développer brièvement devant vous.

Je vois un premier enjeu dans la nécessité du maintien du dispositif dérogatoire que constitue l’octroi de mer.

L’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit la possibilité d’introduire des mesures spécifiques en faveur de ces régions en raison de l’existence de handicaps permanents qui ont une incidence sur leurs économies.

Ainsi, le Conseil européen a autorisé la France à prévoir, jusqu’en juillet 2014, le maintien du dispositif de l’octroi de mer dans les DOM. Cette taxe constitue en effet une ressource essentielle aux budgets locaux puisqu’elle représente, en Guadeloupe, 30 % des recettes fiscales des communes et 39 % de celles de la région.

Les services de l’État eux-mêmes concluent qu’« une suppression du différentiel d’octroi de mer conduirait les entreprises à réduire leurs charges salariales, ce qui pourrait se traduire par des licenciements, voire probablement par leur disparition pure et simple ».

Inutile de vous dire, mes chers collègues, l’inquiétude que suscite cette absence totale de visibilité quant au devenir de ce dispositif après l’échéance de 2014…

Il m’apparaît donc indispensable que nous militions pour le maintien de mesures dérogatoires spécifiques, qui, à l’instar de l’octroi de mer, sont destinées à favoriser le développement de la production et de l’emploi local.

Pour toutes ces raisons, je sollicite donc votre soutien, mes chers collègues, pour que nos propositions de résolution intègrent clairement une demande d’intervention du Gouvernement auprès du Conseil européen afin d’obtenir la pérennisation de l’octroi de mer ou, à défaut, la garantie qu’après le 1er juillet 2014 un dispositif de substitution présentant les mêmes avantages et le même dynamisme sera instauré.

Le second enjeu que je souhaite évoquer devant vous dans le cadre de l’examen de nos propositions de résolution relève du domaine de la coopération régionale.

Le renforcement des liens commerciaux de la Guadeloupe avec ses voisins caribéens permettrait en effet à nos entreprises locales d’accéder à un plus grand marché et favoriserait dans le même temps la baisse des prix des produits consommés localement du fait d’une diversification.

Pourtant, les relations commerciales de la Guadeloupe avec la Caraïbe sont particulièrement faibles puisque, entre 2000 et 2010, les importations en Guadeloupe de produits en provenance de cette zone ne représentaient que 10 à 15 % du total des importations, cependant que les exportations depuis la Guadeloupe vers la Caraïbe ne dépassaient pas 7 % du total de ses exportations.

En outre, les relations commerciales de la Guadeloupe avec son environnement proche sont très concentrées, en particulier du fait de liaisons intracaribéennes peu nombreuses et coûteuses, des barrières douanières érigées par les pays du CARICOM, Caribbean Community and Common Market, mais également en raison du cours élevé de l’euro par rapport au dollar, dont l’usage demeure dominant dans la zone.

Cela étant, le développement de nos relations avec nos voisins caribéens prend une acuité toute particulière sur un sujet de préoccupation majeure de nos compatriotes : l’approvisionnement en carburants.

Sur la période allant de 2005 à 2008, ce surcoût était estimé à 100 millions d’euros pour les consommateurs antillais. Dans ces conditions, la possibilité d’un approvisionnement dans la Caraïbe a été maintes fois évoquée sans toutefois qu’elle débouche sur des actions concrètes, alors qu’il s’agit là d’un enjeu important et qu’une telle mesure pourrait avoir pour avantage de réduire les prix à la pompe.

La voie semble donc ouverte à la possibilité d’un approvisionnement de la Guadeloupe par ses voisins de la Caraïbe, à condition que cette démarche soit totalement sécurisée juridiquement, d’autant plus que certaines raffineries de la zone, au Venezuela et à Trinité-et-Tobago, envisagent de se conformer à court terme à la réglementation européenne, s’agissant notamment de la teneur en soufre de leurs productions.

Dans de telles conditions, je sollicite le soutien de notre assemblée afin de mener une double action parallèle : dans un premier temps, demander au Gouvernement de saisir la Commission européenne afin de préciser le principe et le champ des dérogations possibles en la matière ; dans un second temps, mener une enquête et organiser une veille sur les carburants produits dans la Caraïbe pour connaître leur degré de correspondance aux exigences de l’Europe, notamment par la mise en place d’un observatoire. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Victorin Lurel, ministre des outre-mer. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le président de la délégation à l’outre-mer, mesdames, messieurs les sénateurs, une fois de plus, c’est un réel plaisir pour moi de me présenter devant vous pour défendre un dossier qui me tient particulièrement à cœur : celui de la place des RUP dans les politiques européennes.

Je n’ai pas à vous convaincre ; vous savez à quel point le sujet est sensible et combien il est nécessaire de rappeler que, si les RUP recèlent des richesses - nous les connaissons tous -, elles doivent aussi gérer des contraintes lourdes et difficilement réductibles.

C’est à moi qu’il revient de porter cette parole, d’argumenter et de faire admettre qu’un traitement spécifique pour les RUP n’est pas un traitement privilégié ou indu. J’ai déjà eu l’occasion de le dire dans d’autres enceintes.

Je constate avec plaisir que vous portez également ce message et que vous contribuez pleinement à la reconnaissance des RUP. Votre aide nous est précieuse, elle est précieuse au Gouvernement. D’ailleurs, j’ai la faiblesse de croire que le travail de sensibilisation que vous avez effectué à l’occasion de l’adoption de la résolution européenne relative à la pêche dans les RUP n’est pas totalement étranger à la validation par le conseil des ministres de l’Union européenne du POSEI « pêche », à la fin du mois d’octobre dernier. Je vous propose de continuer ensemble ce travail.

Aujourd’hui, j’avoue être perplexe.

Je perçois l’attente légitime de nos compatriotes des outre-mer pour qu’on leur donne toutes les chances de s’insérer pleinement dans les politiques européennes, tous les moyens de porter leur développement et de construire des projets à moyen et à long terme adaptés à leur territoire. L’Europe est, pour eux, un « plébiscite de tous les jours », pour paraphraser un auteur célèbre.

Mais je constate de la part de l’Europe une réticence quand il s’agit d’accorder à nos territoires les moyens suffisants pour asseoir leur développement. Je ne vous cacherai pas ma grande préoccupation concernant les négociations actuelles sur le cadre financier pluriannuel.

Sans entrer dans le détail de négociations qui ne sont pas encore achevées, il me semble important de souligner que les RUP doivent faire l’objet d’un traitement particulier. C’est une question d’équité ; c’est une question de justice.

Que notre pays souhaite limiter l’augmentation de sa contribution nette est évidemment légitime. Cependant, les régions les moins développées de France doivent également préserver les moyens de leur développement. Elles doivent prendre part à l’effort de redressement, mais pas à un taux qui mettrait leur avenir en péril. De fait, ces territoires doivent encore combler des retards d’équipement dans le domaine des infrastructures collectives.

Je l’affirme donc très clairement : je serai particulièrement vigilant pour que le niveau des enveloppes de la politique de cohésion à destination des RUP permette à ces régions de conduire leurs projets de développement.

Ces enveloppes de la politique de cohésion viennent abonder des financements nationaux. Elles sont indispensables pour boucler les projets. Néanmoins, conduire des projets ne se réduit pas à résoudre des questions de financement, il s’agit également d’élaborer des procédures adaptées aux spécificités des RUP.

Vous m’avez fait l’honneur de saluer, dans l’une des propositions de résolution européenne, le discours que j’ai prononcé lors de la conférence des présidents des RUP. (M. le rapporteur acquiesce.) Ne nous voilons pas la face : cette feuille de route sera difficile à suivre, mais elle est pleinement justifiée.

Le Premier ministre a reconnu la pertinence de cette feuille de route en confiant, à ma demande, une mission à Serge Letchimy sur les moyens de mieux insérer les RUP dans les politiques européennes. Je fais confiance à Serge Letchimy pour aboutir à des solutions pragmatiques et concrètes. Toutefois, je ne vous le cache pas, je suis déjà à l’œuvre, ainsi que mes services, pour trouver des solutions innovantes.

Au regard des discussions que nous avons d’ores et déjà engagées avec le commissaire Johannes Hahn, les négociations qui s’annoncent ne seront pas faciles. Il faudra donc nous coaliser pour faire aboutir les dossiers qui me paraissent absolument indispensables. (M. le président de la commission des affaires européennes acquiesce.)

Dans cette perspective, trois chantiers me semblent prioritaires.

Premièrement, il convient d’élaborer un cadre global approprié aux interventions communautaires dans les RUP. Ce cadre ad hoc doit garantir le développement de nos économies via des règles adaptées à leurs spécificités, et contribuer directement au désenclavement de ces territoires. Les secteurs bénéficiaires de ce cadre spécifique pourraient être les énergies renouvelables, les transports, les technologies de l’information et de la communication, le tourisme, les filières innovantes, ou encore le bois, pour ce qui concerne la Guyane. Bien d’autres domaines pourraient s’ajouter à la liste, mais le périmètre est déjà très étendu.

Ce plan d’action pourrait être validé sur la base d’un programme annuel, sur le modèle du POSEI.

Deuxièmement, des déclinaisons sectorielles de l’article 349 doivent permettre l’adaptation des politiques européennes aux spécificités des RUP. Les domaines dans lesquels cet article pourrait être plus largement mobilisé sont nombreux. Je songe notamment aux aides d’État, qui constituent un levier important au bénéfice des économies ultramarines.

Il nous faut ouvrir le débat sur l’exemption de notification, sous certaines conditions, des aides accordées aux entreprises dans les RUP, tous secteurs confondus, ou sur l’ajout d’une catégorie spécifique, consacrée aux RUP, dans le règlement général d’exemption par catégorie, le fameux RGEC. Ainsi, il serait possible d’exempter de notification les aides à l’investissement à finalité régionale et les aides au fonctionnement dans les RUP, ainsi que les aides à l’investissement dans les pays tiers, afin de renforcer la coopération régionale.

La période qui s’ouvre, marquée par la renégociation du cadre des lignes directrices des aides à finalité régionale pour la période 2014-2020, doit fournir l’occasion de sanctuariser un cadre spécifique pour nos régions, notamment s’agissant du maintien des plafonds d’intensité des aides à l’investissement.

Concernant le maintien des dérogations en matière fiscale et douanière pour les RUP, je songe naturellement à l’octroi de mer, que vous avez tous évoqué. Je vais y revenir plus longuement en répondant, dans quelques instants, à chacun des orateurs.

L’introduction ou le maintien d’adaptations spécifiques aux RUP est un enjeu capital, au titre des encadrements sectoriels – l’agriculture ou la pêche – qui, vous le savez, sont essentiels pour soutenir le développement de nos régions.

Troisièmement, enfin, la coopération régionale entre les RUP et les pays tiers doit être développée pour favoriser l’insertion régionale de ces régions. Le but est évidemment d’encourager une coopération fructueuse permettant à la fois de consolider les productions locales de nos régions et de prémunir ces dernières contre les excès de la libéralisation du commerce.

La conjonction de l’actuelle refonte des règlements européens, des travaux de révision des lignes directrices sur les aides à finalité régionale et de la prochaine re-notification du régime de l’octroi de mer constitue une réelle occasion pour renforcer le régime juridique opposable aux RUP, afin de lever les obstacles qui empêchent la prise en compte effective de leurs handicaps.

À présent, je tiens à répondre plus spécifiquement à chacun des orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale commune.

Monsieur Roland du Luart, je vous remercie de la position très claire que vous avez exprimée, qui est également celle de M. Georges Patient. Oui, on ne saurait trop le répéter, les spécificités des RUP ne sont pas suffisamment prises en compte, et l’article 349 ne joue pas le rôle qui lui est assigné. Or la Commission européenne s’enferme de plus en plus dans une logique il est vrai assez incantatoire, sans rechercher de mise en œuvre pragmatique.

À mon sens, la violence de la crise qui frappe nos territoires ne nous permet pas de continuer ainsi. C’est la raison pour laquelle il n’est plus possible de différer les discussions de fond quant à la place que nous devons accorder à nos territoires dans les débats européens. C’est également la raison pour laquelle j’ai répondu avec quelque enthousiasme – en tout cas avec rapidité et diligence – à la demande que m’ont adressée les Espagnols.

Une initiative doit être prise, et la France est sollicitée pour la porter, afin que toutes les régions ultrapériphériques – les RUP françaises, naturellement, mais aussi la RUP espagnole et les RUP portugaises – puissent bénéficier d’un meilleur adossement juridique. Le but est simple : mieux utiliser les ressources et les potentialités de l’article 349.

Une initiative a été prise, Serge Letchimy a été désigné et les services concernés commencent à travailler. Je le sais, mesdames, messieurs les sénateurs, vous-mêmes êtes des précurseurs en la matière : vous avez d’ores et déjà décidé et statué en matière de pêche et, aujourd’hui, vous examinez ces enjeux économiques sous un angle plus général. Toutefois, comme vous, je regrette que la communication de la Commission soit si tardive et si décevante, pour ne pas dire insuffisante.

Monsieur Patient, vous vous êtes doublement mobilisé, au titre de la proposition de résolution européenne relative à la stratégie européenne pour les RUP et de la proposition de résolution européenne sur l’Union européenne et le financement des RUP. L’heure est bel et bien venue d’examiner un tel sujet ! Je l’avoue, nous sommes tous un peu crispés lorsqu’il s’agit d’évoquer les ajustements à opérer, probablement en défaveur des RUP, et en particulier de la Guadeloupe et de La Réunion, pour ce que nous en savons à l’heure actuelle. Ce sont des sujets de préoccupation majeurs.

Vous avez raison, ces enjeux seront déterminants pour la prochaine période de programmation. C’est maintenant qu’il nous faut agir. On ne peut plus continuer avec des règles qui sont devenues inadaptées.

J’ai déjà dit mon inquiétude quant au déroulement des négociations sur le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne ; je tiens également à vous assurer de ma totale détermination en tant que ministre, et, au-delà, de celle du Gouvernement tout entier. Je le confirme, Bernard Cazeneuve réunira bien les parlementaires nationaux et européens à ce sujet ; il se rendra de surcroît dans les RUP françaises.

Concernant l’octroi de mer, je ferai la même réponse à tous les orateurs qui m’ont interrogé.

Je comprends le désir que vous exprimez de voir aboutir la reconduction de ce dispositif. C’est vrai, le dossier accuse un certain retard. Le cabinet Lengrand ne m’a remis que très récemment la dernière épure de son rapport. J’ai préféré la renvoyer, je l’avoue, pour pouvoir approfondir quelques orientations nouvelles et organiser des simulations supplémentaires avant d’engager un débat plus approfondi avec vous, élus, et avec la Commission. (M. Georges Patient acquiesce.)

Je comprends les interrogations qui vous animent : faut-il garantir avant tout la pure et simple reconduction de l’octroi de mer, en l’état, ou faut-il dès à présent donner quelques gages à la Commission ? Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai cru comprendre, à travers les subtilités de vos propositions de résolution, qu’un débat persistait probablement entre vous : faut-il donner l’impression que nous sommes prêts à nous séparer de ce dispositif, en formulant d’ores et déjà des propositions alternatives ?

Je vous l’affirme, nous travaillerons à la reconduction de l’octroi de mer : c’est le choix le plus sûr.

Aurons-nous le temps d’élaborer un dispositif efficace, rassurant les collectivités ? L’exercice ressemble un peu à la quadrature du cercle.

Premièrement, il convient de sauvegarder l’octroi de mer. C’est votre vœu.

Deuxièmement, il faut rendre ce prélèvement plus efficace, c'est-à-dire maintenir le produit fiscal en faveur des collectivités, tout en garantissant l’autonomie fiscale de ces dernières : il n’est pas logique que les élus reçoivent des dotations. C’est aux préfets que l’on demande de répartir des enveloppes, non aux élus ! (M. le rapporteur acquiesce.) Précisément parce que ces derniers sont désignés par le peuple, s’ils sont efficaces, ils sont réélus. S’ils fixent des impôts à des taux confiscatoires, ils en assument la responsabilité, et ils sont sanctionnés par le suffrage ! En tout état de cause, il convient de préserver cette autonomie.

Troisièmement, et enfin, il est non moins indispensable de préserver la compétitivité des entreprises. C’est d’ailleurs l’une des exigences de l’Europe, en termes d’emplois et de rentabilité.

Comment atteindre ces trois objectifs ? Je le répète, c’est un peu la quadrature du cercle. Néanmoins, plusieurs pistes existent, et je souhaite qu’elles soient explorées de manière plus approfondie.

Tout d’abord, peut-être faut-il élargir l’assiette fiscale de l’octroi de mer. Aujourd’hui, celle-ci se limite de jure à la production, qu’elle soit importée ou locale. Néanmoins, en vertu d’une dérogation accordée pour dix ans, la production locale est exonérée de ce prélèvement. Mais est-il envisageable d’élargir l’assiette, de la production aux services ? Est-ce faisable ? C’est à voir. Il faut lancer des simulations.

Ensuite, peut-être faut-il revoir les conditions d’éligibilité. Pour l’heure, seules sont assujetties à l’octroi de mer les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 550 000 euros. Est-il possible d’abaisser ce seuil et donc de demander quelques efforts aux entreprises qui enregistrent un chiffre d’affaires inférieur ? En Guadeloupe – un semblable constat pourrait être dressé en Martinique – sur les 38 000 ou 40 000 entreprises et établissements dénombrés, seules 496 entités sont assujetties, dont 175 seulement acquittent ce prélèvement ! C’est un peu curieux…

Enfin, pour préserver la compétitivité des entreprises, il sera probablement nécessaire de repenser les conditions de déduction. Peut-on s’inspirer du mécanisme existant pour la TVA, sans pour autant faire de l’octroi de mer une TVA locale ou régionale ? Les élus ne veulent pas entendre parler de cette possibilité, et leur position est tout à fait légitime.

Bref, comment faire ? De telles mesures peuvent-elles être appliquées aux petites entreprises comme au secteur des services ? Est-ce possible ? Je le répète, pour répondre à ces questions, des simulations sont en cours, et je ne manquerai pas de vous en soumettre les résultats. De fait, mesdames, messieurs les sénateurs, vous serez très largement associés à ces débats, en amont : nombreux sont ceux qui, parmi vous, exercent les fonctions de maire ou de conseiller régional. Nous sommes extrêmement soucieux d’organiser cette concertation.

Monsieur Serge Larcher, voilà déjà bien longtemps que nous partageons la même analyse au sujet des RUP. J’en conviens, la communication de la Commission est insuffisante et ne prend pas assez en compte nos spécificités. Tous les orateurs qui se sont succédé l’ont souligné.

Oui, nous percevons une réserve, une réticence, voire une résistance de la Commission à employer l’article 349. Je m’en suis toujours étonné : pourquoi un article aussi bien rédigé, aussi clair, pouvant même être invoqué pour lutter contre la vie chère – nous parlons en effet de biens de consommation courante ou de première nécessité – est-il si rarement employé ? L’article 349 permet aux RUP de déroger sous certaines conditions au droit primaire comme au droit dérivé. Il faut le mettre en œuvre.

Concernant la fiscalité, nous sommes placés face à de véritables enjeux, et une réflexion approfondie doit être menée à la faveur de la reconduction de l’octroi de mer. Une interrogation demeure concernant les territoires douaniers, et la réflexion devra être conduite sur ce plan également.

Je vous remercie tous de votre mobilisation et de la qualité de vos interventions.

Monsieur Sutour, oui, le combat sera difficile ! Vous avez raison, il n’est pas acceptable que le montant de l’allocation spécifique aux RUP passe de 35 euros à 20 euros par habitant. J’ai d’ailleurs cité deux régions qui vont terriblement souffrir de ce changement : nous devrons donc nous mobiliser pour faire évoluer cette situation, de même que pour les enveloppes destinées à la politique de cohésion. Il n’y a pas à barguigner, il faudra agir !

Monsieur le sénateur Requier, je m’associe à l’hommage que vous avez rendu à Gaston Monnerville. Je savais que votre ancien président était sénateur du Lot, mais j’ignorais qu’il avait exercé ce mandat pendant trente ans : quelle belle performance ! Je vous remercie également de votre mobilisation et du fidèle soutien des radicaux à la cause des RUP. Il faudra que celles-ci retrouvent une place prioritaire parmi les cibles des politiques de l’Union européenne et nous allons nous y employer.

Monsieur le sénateur Labbé, nous partageons votre conception d’un développement durable et soutenable, notamment pour l’agriculture.

À terme, il faudra arriver le plus rapidement possible à l’interdiction des dérogations pour l’épandage aérien. Je relèverai une seule divergence entre nous : selon vous, des traitements alternatifs existent ; or ce n’est pas sûr. Des traitements terrestres ont été mis au point, mais, d’après toutes les simulations réalisées, ils ne sont pas efficaces. Si nous appliquions tout de suite cette interdiction, nous créerions de véritables injustices, en raison des différences de situation entre gros planteurs et petits planteurs : la bananeraie pourrait ne plus appartenir qu’à quelques gros propriétaires, ce que nous ne voulons pas. Il faudra donc trouver une autre solution.

Vous avez raison, un tracteur chenillé équipé d’un mât télescopique surplombant la canopée de la bananeraie pourrait être très rapidement opérationnel, à condition que l’on puisse diminuer le nombre de traitements. Quoi qu’il en soit, nous visons tous le même objectif : il faut sortir de cette situation.

Vous avez également évoqué le secteur de la pêche, dans lequel les procédures d’indemnisation s’avèrent délicates à mettre au point.

Monsieur le sénateur Gautier, je vous remercie de l’expression de votre intérêt manifeste. Vous l’avez dit, le contexte est difficile, mais, je le répète, le Gouvernement a besoin de l’implication de chacun. Pour ce qui concerne l’octroi de mer, je vous ferai la même réponse qu’à vos collègues : nous ne fléchirons pas sur ce sujet !

Enfin, monsieur le sénateur Le Cam, vous avez souligné les problèmes rencontrés par les RUP dans leurs relations avec les pays voisins. Sur ce point aussi, tout est à revoir. J’en profite également pour répondre à vos collègues Jacques Gillot, Jacques Cornano et Joël Guerriau sur la nécessité de développer une politique de dérogation aux normes européennes. Le Président de la République a dit, lors de sa visite à l’île de la Réunion, que nous devions aller plus loin dans ce domaine.

L’exemple du carburant est particulièrement emblématique : il n’est pas normal que les Antilles et la Guyane ne puissent pas importer d’hydrocarbures des pays voisins comme le Surinam, le Brésil, le Venezuela, Trinidad-et-Tobago ou Curaçao, qui raffinent déjà le diesel aux normes européennes, c’est-à-dire avec une teneur en soufre inférieure à 10 parties par million. Même si cela peut paraître étrange dans la bouche d’un ministre, je n’hésite pas à affirmer que nous sommes encore dans un « pacte colbertiste », donc monodirectionnel : les DOM ne doivent importer que du pétrole en provenance de la mer du Nord ! C’est une aberration et il nous faudra étudier toutes les solutions susceptibles d’y mettre un terme.

Le Gouvernement est donc déterminé à se battre sur tous ces sujets, y compris à propos de l’accession de Mayotte au rang de RUP, même si nous savons que c’est un défi. Compte tenu des simulations réalisées, je peux confirmer à M. le sénateur Thani Mohamed Soilihi que Mayotte devrait recevoir à ce titre de 450 millions d’euros à 475 millions d’euros pour la période 2014-2020.

Pour conclure, nous devrons réussir, premièrement, la négociation du cadre financier pluriannuel, même si elle risque de se révéler difficile, et, deuxièmement, le maintien de la politique structurelle et de l’octroi de mer – peut-être revu et corrigé, selon une périodisation à déterminer. Quoi qu’il en soit, je le répète, sur tous ces points, nous ne lâcherons pas ! (Applaudissements.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?…

La discussion générale commune est close.

stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l’horizon 2020

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte de la proposition de résolution européenne relative à la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l’horizon 2020, élaboré par la commission des affaires économiques et dont je donne lecture :

Le Sénat,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu les articles 107, paragraphe 3, et 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la communication « Un partenariat renforcé pour les régions ultrapériphériques » présentée par la Commission européenne le 26 mai 2004,

Vu la communication « Les régions ultrapériphériques : un atout pour l’Europe » présentée par la Commission européenne le 17 octobre 2008,

Vu le rapport du Sénat n° 519 (2008-2009) fait au nom de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer,

Vu le mémorandum conjoint des régions ultrapériphériques, « les RUP à l’horizon 2020 », signé le 14 octobre 2009 à Las Palmas de Gran Canaria,

Vu le mémorandum de l’Espagne, de la France, du Portugal et des régions ultrapériphériques signé le 7 mai 2010 à Las Palmas de Gran Canaria,

Vu les conclusions du Conseil Affaires générales du 14 juin 2010,

Vu la résolution n° 105 du Sénat (2010-2011) du 3 mai 2011 tendant à obtenir compensation des effets, sur l’agriculture des départements d’outre-mer, des accords commerciaux conclus par l’Union européenne,

Vu le rapport « Les régions ultrapériphériques européennes dans le marché unique : le rayonnement de l’UE dans le monde » remis le 12 octobre 2011 par M. Pedro Solbes Mira, à M. Michel Barnier, membre de la Commission européenne, chargé du Marché Intérieur et des Services,

Vu la résolution du Parlement européen du 18 avril 2012 sur le rôle de la politique de cohésion dans les régions ultrapériphériques de l’Union européenne dans le contexte de la stratégie « Europe 2020 »,

Vu la communication « Les régions ultrapériphériques de l’Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive » présentée par la Commission européenne le 20 juin 2012,

Vu la résolution n° 121 du Sénat (2011-2012) du 3 juillet 2012 visant à obtenir la prise en compte par l’Union européenne des réalités de la pêche des régions ultrapériphériques françaises,

Vu la déclaration finale de la XVIIIe Conférence des Présidents des régions ultrapériphériques de l’Union européenne tenue les 13 et 14 septembre 2012 aux Açores,

Considérant que le document publié le 20 juin dernier par la Commission européenne constitue la troisième communication définissant la stratégie de l’Union européenne (UE) pour les RUP en moins de dix ans,

Considérant que, comme l’a souligné de façon récurrente la Commission européenne, les régions ultrapériphériques (RUP) constituent un atout pour l’Europe et que, selon les termes de sa communication du 20 juin 2012, « toute stratégie en faveur des RUP doit reconnaître leur valeur pour l’UE dans son ensemble »,

Considérant que l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) permet l’édiction de mesures spécifiques aux RUP afin de prendre en compte leurs contraintes propres que sont « leur éloignement, l’insularité, leur faible superficie, le relief et le climat difficiles, leur dépendance économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits »,

Considérant que le bilan du programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI), mis en place sur le fondement de l’article 349 du TFUE, est salué par tous, que ce programme, né au début des années 1990, constitue le seul véritable exemple d’instrument dédié aux RUP pour le financement de politiques sectorielles et qu’il voit son champ cantonné à l’agriculture par la Commission européenne en dépit d’une vocation initiale plus large,

Considérant que la politique commerciale de l’UE, qui ne prend aucunement en compte les réalités des RUP, constitue une menace pour l’économie de ces régions et entrave leur intégration régionale,

Déplore que la Commission européenne ait adopté sa communication avec un retard préjudiciable alors qu’avaient été respectivement publiées, dès juin 2011, ses propositions sur le cadre financier pluriannuel et, en octobre 2011, celles sur le paquet réglementaire relatif notamment à la politique de cohésion,

Constate que cette communication, au contenu largement redondant par rapport aux deux précédentes, est en décalage aggravé avec les attentes régulièrement exprimées par les RUP et les recommandations du rapport de M. Solbes Mira,

Estime que cette communication souffre d’une double contradiction :

Une contradiction interne, entre des objectifs stratégiques, certes ambitieux puisque axés sur la compétitivité et l’innovation, mais potentiellement irréalistes s’ils sont exclusifs de politiques de rattrapage, dès lors qu’ils s’appliquent aux régions les moins développées, au sens de la politique de cohésion, politique qui doit viser dans les RUP prioritairement à combler les retards en matière d’équipements structurants,

Une contradiction externe, puisque la concentration thématique imposée pour bénéficier d’un soutien financier exclut des secteurs traditionnels des économies des RUP qui doivent pourtant constituer le socle de développement de ces régions, socle indispensable à l’émergence de secteurs innovants,

Demande en conséquence un assouplissement de la concentration thématique pour les RUP, en intégrant dans le taux de concentration un quatrième objectif prioritaire laissé au libre choix de chaque région et en abaissant ce taux à un niveau plus adapté aux réalités de ces régions,

Note avec intérêt l’affirmation de la Commission selon laquelle « chaque RUP est différente et des pistes spécifiques doivent être envisagées pour chacune d’entre elles », les RUP étant jusqu’à présent appréhendées comme un ensemble homogène alors même que certaines présentent des singularités, comme le caractère continental d’un vaste territoire pour la Guyane,

Considère, à l’instar du Parlement européen, que l’article 349 du TFUE est très insuffisamment utilisé par l’UE et déplore la portée restrictive donnée à cet article par la Commission européenne,

Salue l’initiative du Gouvernement français, annoncée par le ministre des outre-mer lors de la Conférence des Présidents des RUP des 13 et 14 septembre 2012, visant, d’une part, à élaborer un cadre global approprié pour les interventions communautaires dans les RUP, qui pourrait prendre la forme d’un « règlement plurisectoriel en faveur du soutien aux filières d’avenir dans les RUP », et, d’autre part, à multiplier les déclinaisons sectorielles de l’article 349, permettant ainsi l’adaptation des politiques européennes aux réalités des RUP, et en particulier l’instauration de dérogations aux normes européennes pour leur approvisionnement en provenance de pays voisins,

Estime également indispensable que la révision des lignes directrices des aides à finalité régionale soit mise à profit, sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, du TFUE, pour renforcer la prise en compte effective des particularités des RUP en matière d’aides d’État, par le biais du maintien des taux actuels d’intensité et de l’éligibilité des aides au fonctionnement, ainsi que par l’instauration d’un seuil de minimis spécifique,

Appelle à ce que les règlements relatifs aux programmes horizontaux, tels que l’instrument financier pour l’environnement (LIFE), le programme Erasmus ou le programme « Horizon 2020 », permettent, sur le fondement de l’article 349 du TFUE, un accès privilégié des RUP à ces programmes, notamment par le biais d’un accompagnement approprié des porteurs de projets ou d’appels à projet spécifiques,

Estime qu’une attention particulière doit être accordée par la Commission européenne à Mayotte, dans le cadre de la transformation de cette collectivité en RUP, et que l’article 349 du TFUE justifie l’octroi de larges dérogations à cette collectivité,

Relève que les objectifs affichés dans la communication par la Commission européenne de prise en compte des réalités des RUP dans la mise en œuvre des politiques sectorielles, au premier rang desquelles la politique commerciale, constitueraient un changement de cap radical par rapport à son orientation actuelle dont on ne pourrait que se féliciter,

Appelle une nouvelle fois à la mise en cohérence entre elles des politiques européennes afin que les RUP ne constituent plus la variable d’ajustement de leurs contradictions.

Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de résolution européenne relative à la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques à l’horizon 2020.

(La proposition de résolution européenne est adoptée à l’unanimité des présents.) – (Applaudissements.)

Mme la présidente. En application de l’article 73 quinquies, alinéa 7, du règlement, la résolution que le Sénat vient d’adopter sera transmise au Gouvernement et à l’Assemblée nationale.

financement des régions ultrapéripheriques françaises

Mme la présidente. Nous passons à la discussion du texte de la proposition de résolution européenne sur l’Union européenne et le financement des régions ultrapériphériques françaises, élaboré par la commission des affaires économiques et dont je donne lecture :

Le Sénat,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

Vu la décision du Conseil du 10 février 2004 relative au régime de l’octroi de mer dans les départements français d’outre-mer et prorogeant la décision 89/688/CEE,

Vu la décision de la Commission du 23 octobre 2007 autorisant le régime d’aide d’État de l’octroi de mer (C (2007) 5115 final),

Vu le rapport n° 519 (2008-2009) de la mission commune d’information outre-mer du Sénat « Les DOM, défi pour la République, chance pour la France, 100 propositions pour fonder l’avenir »,

Vu la résolution européenne du Sénat n° 65 (2011-2012) du 5 février 2012 sur les propositions de règlements relatifs à la politique européenne de cohésion 2014-2020,

Vu la proposition de règlement du Conseil fixant le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 présentée par la Commission européenne le 29 juin 2011 (COM (2011) 398 final) et sa modification en date du 6 juillet 2012 (COM (2012) 388 final),

Vu la communication de la Commission européenne : « Les régions ultrapériphériques de l’Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive » du 20 juin 2012 (COM (2012) 287 final),

Considérant le traitement spécifique que l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit pour les régions ultrapériphériques, notamment en matière de politique fiscale et de conditions d’accès aux fonds structurels ;

Considérant l’importante contribution qu’apporte le soutien financier européen au développement des départements d’outre-mer français ;

Considérant le soutien que le différentiel entre les taux internes et externes de l’octroi de mer dans les RUP permet d’apporter à la production locale de ces territoires ;

Considérant la part prépondérante que représentent les recettes issues de l’octroi de mer dans les recettes fiscales des DOM ;

– Concernant la politique de cohésion et le cadre financier pluriannuel 2014-2020 :

Souhaite que le cadre financier pluriannuel 2014-2020 traduise concrètement la reconnaissance des régions ultrapériphériques (RUP) comme un atout pour toute l’Union européenne, conformément à la communication de la Commission de juin 2012 ;

Fait valoir que les taux de consommation des fonds structurels dans les DOM sont du même ordre que dans l’hexagone et que, de ce fait, la capacité des RUP à consommer les fonds européens ne peut être sérieusement invoquée pour justifier une baisse des crédits alloués à ces régions ;

Demande le maintien, dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020, de l’allocation spécifique pour les régions ultrapériphériques et à faible densité de population au niveau qui est le sien dans l’actuelle période de programmation ;

Défend un régime dérogatoire permettant d’exonérer de toute conditionnalité et de tout fléchage l’utilisation de cette allocation spécifique destinée à compenser les handicaps des RUP au titre de l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) ;

Propose d’aligner le taux de cofinancement de l’allocation spécifique aux RUP sur celui de 85 %, prévu pour les autres fonds structurels dans ces régions ;

Soutient un assouplissement de la concentration thématique pour l’emploi des fonds structurels dans les RUP, afin que ces fonds contribuent à l’investissement dans les infrastructures locales dont ces régions continuent d’avoir besoin, et propose que soit intégré dans le taux de concentration thématique un quatrième objectif prioritaire laissé au libre choix de chaque région et que ce taux soit abaissé à un niveau plus adapté aux réalités locales ;

Souligne la nécessité de faciliter la coopération transfrontière en permettant aux RUP insulaires de pouvoir mobiliser les crédits, qui y sont destinés, au-delà de la limite prévue de 150 kilomètres ;

Appelle à une meilleure articulation entre le FEDER et le Fonds européen de développement pour faciliter les projets de coopération territoriale entre les RUP et les États voisins de ces régions ;

Fait observer que la nécessité reconnue par la Commission européenne de promouvoir l’intégration régionale des RUP n’est pas cohérente avec l’application stricte des normes européennes dans ces régions et appelle en conséquence des adaptations de ces normes afin de mieux prendre en compte les réalités locales ;

Estime que le mécanisme pour l’interconnexion en Europe que la Commission propose de créer dans le cadre financier 2014-2020 pourrait opportunément être mobilisé au profit des RUP afin de soutenir le déploiement des réseaux de transport, d’énergie et de télécommunications dans ces régions ;

Insiste pour que l’enveloppe budgétaire qui sera consacrée à Mayotte, qui deviendra RUP au 1er janvier 2014, ne vienne pas en diminution de l’enveloppe aujourd’hui prévue pour les RUP françaises ;

Juge nécessaire de préparer Mayotte à l’utilisation des fonds structurels et, à cette fin, d’assister ce département dans l’élaboration d’un plan global de développement auquel contribueraient ces fonds ;

– Concernant l’octroi de mer :

Recommande d’améliorer les moyens statistiques des DOM afin de fiabiliser l’évaluation de l’efficacité de l’octroi de mer au regard de son objectif premier, le développement local ;

S’inquiète de l’incertitude qui règne à seulement vingt mois de l’échéance du 1er juillet 2014, date à laquelle s’éteindra la prorogation, accordée par le Conseil en 2004, du régime de l’octroi de mer ;

Appelle le Gouvernement à entreprendre sans délai un dialogue avec la Commission européenne pour assurer prioritairement, sur le fondement de l’article 349 du TFUE, la pérennisation de l’octroi de mer après le 1er juillet 2014 et, le cas échéant, prévoir la mise en place d’un régime fiscal dérogatoire alternatif permettant de soutenir le développement des DOM sans fragiliser les recettes fiscales des collectivités territoriales.

Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de résolution européenne sur l’Union européenne et le financement des régions ultrapériphériques françaises.

(La proposition de résolution européenne est adoptée à l’unanimité des présents.) – (Applaudissements.)

Mme la présidente. En application de l’article 73 quinquies, alinéa 7, du règlement, la résolution que le Sénat vient d’adopter sera transmise au Gouvernement et à l’Assemblée nationale.

7

Nomination de membres d’une commission mixte paritaire

Mme la présidente. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013.

La liste des candidats établie par la commission des affaires sociales a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.

Je n’ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : Mme Annie David, MM. Yves Daudigny, Jean-Pierre Godefroy, Ronan Kerdraon, Alain Milon, René-Paul Savary et Jean-Marie Vanlerenberghe ;

Suppléants : Mmes Catherine Deroche, Muguette Dini, Catherine Génisson, M. Jacky Le Menn, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet et Catherine Procaccia.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à dix-sept heures.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

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Débat sur le crédit à la consommation et le surendettement

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle, à la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, le débat sur le crédit à la consommation et le surendettement.

La parole est à M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, je suis heureux d’intervenir à cette tribune pour la quatrième fois en tant que président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Notre débat de ce jour est relatif à la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite « loi Lagarde », et concernant le surendettement, deux questions qui touchent un très grand nombre de nos concitoyens au quotidien, surtout en cette période de crise économique.

En liaison avec la commission des finances, la commission que je préside a travaillé sur ces thèmes durant le premier semestre de cette année. Il en est résulté, au mois de juin, la publication de l’excellent rapport – la formule n’est pas convenue, je le dis avec force et sincérité – de Mmes Anne-Marie Escoffier et Muguette Dini. Les récents développements de la vie politique nous ont privés de Mme Escoffier, puisqu’elle est membre du Gouvernement depuis maintenant près de six mois ; aussi reviendra-t-il à Mme Dini de présenter seule les grandes lignes de ce rapport, toujours d’actualité.

Comme vous l’aurez remarqué lors de nos précédents débats, la commission pour le contrôle de l’application des lois s’efforce, chaque fois que cela est possible, de confier la rédaction de ses rapports à un binôme de sénatrices ou de sénateurs de groupes politiques différents. Cette pratique a été menée en bonne harmonie jusqu’à présent ; elle me paraît saine, car elle permet de diversifier les analyses, les regards, et d’enrichir les contrôles que nous sommes amenés à effectuer.

Je constate d’ailleurs que, sauf exception, nos rapporteurs, bien que de sensibilités politiques différentes, voire opposées, ont souvent des points de vue qui se rejoignent quand il s’agit d’arrêter des conclusions, d’établir un état des lieux, tant il est vrai que, sur nombre de sujets, les faits parlent d’eux-mêmes, au-delà des clivages partisans. Tel est bien le cas dans le domaine du surendettement.

En la matière, il s’agit d’abord d’une détresse que le législateur de 2010 a tenté de prévenir ou de traiter. Y est-il parvenu ? En partie, seulement… Le rapporteur de l’époque indiquait déjà qu’il fallait compléter le dispositif. De surcroît, sa mise en application n’a pas toujours été au rendez-vous.

C’est l’avis de nos deux rapporteurs, qui voyaient dans la loi de 2010 « une reforme ambitieuse à compléter », comme le souligne le titre de leur rapport d’information. C’est aussi une conclusion largement partagée par les associations que nos rapporteurs ont auditionnées, et qui débouche en toute logique sur des propositions de réforme.

Je souscris à cette démarche « propositionnelle » car, à mes yeux, pour être réellement constructive, l’évaluation doit parfois conduire les pouvoirs publics à reconsidérer les régimes existants, à en identifier les faiblesses ou les lacunes et, d’une manière plus générale, à tendre vers ce que j’appellerais un meilleur « rendement législatif ».

Mieux contrôler pour mieux légiférer, en quelque sorte, c’est ce qu’a fait notre commission. Sur la base de leurs observations, nos deux rapporteurs ont émis vingt recommandations concrètes, que Mme Dini va certainement résumer dans quelques instants.

J’ai la satisfaction de constater que plusieurs de nos propositions rejoignent les préoccupations exprimées par l’actuel gouvernement. Je pense, en particulier, à un meilleur encadrement du crédit renouvelable, sujet sur lequel, monsieur le ministre, vous avez apporté d’intéressantes précisions au mois de septembre dernier.

Si, comme on peut le penser, le Parlement est appelé à réexaminer dans les prochains mois certaines dispositions de la loi de 2010 ou à légiférer de nouveau sur cette question, la commission que je préside sera fière d’avoir préparé le terrain d’un nouveau chantier législatif – c’est son rôle – et d’avoir apporté sa contribution aux travaux des commissions permanentes, qui seront, elles, saisies sur le fond du texte.

C’est la philosophie qui a inspiré la mise en place de la commission que j’ai l’honneur de présider et c’est, j’en suis convaincu, un progrès dans nos méthodes de travail parlementaire.

Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Muguette Dini, rapporteur de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom de la commission sénatoriale pour contrôle de l’application des lois, Anne-Marie Escoffier et moi-même avons procédé à une évaluation de la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite « loi Lagarde ».

Nous avons auditionné vingt personnes et effectué quatre déplacements à Lyon, à Lille, à Strasbourg et en Seine-Saint-Denis, au cours desquels nous avons rencontré des distributeurs de crédit sur les lieux de vente et des membres de commissions de surendettement.

Au terme de notre enquête, nous faisons trois constats.

Le premier concerne la mise en application de la loi.

Sur les trente-cinq mesures d’application que ce texte prévoyait, trente et une ont été prises ; dix décrets, cinq arrêtés et trois mesures non réglementaires les ont complétées. Les quatre mesures d’application qui restaient à prendre au moment de la publication de notre rapport ne portaient pas sur les aspects fondamentaux de la loi.

Atteignant un taux de près de 90 %, la mise en application de la loi a été bien maîtrisée par le Gouvernement. Elle a été accompagnée par un large dispositif de consultation des acteurs intéressés prolongeant le travail de consultation effectué lors de la discussion de la loi.

La publication des textes d’application s’est déroulée en trois étapes principales : immédiatement après la promulgation de la loi pour les obligations relatives à la publicité, à l’automne 2010 pour les obligations précontractuelles et contractuelles ainsi que pour la réforme du surendettement, au printemps 2011, enfin, pour la réforme de l’usure et celle des crédits renouvelables.

Le deuxième constat réalisé par la commission porte sur les importantes avancées permises par la loi en matière de crédit à la consommation et de traitement du surendettement.

En effet, la loi Lagarde a permis d’encadrer le crédit à la consommation, de responsabiliser les acteurs et d’améliorer les procédures de surendettement. Je vais revenir en détail sur ces trois points.

La loi a d’abord entraîné une restructuration profonde du crédit à la consommation, au travers, principalement, d’un encadrement des publicités, d’une refonte des contrats, d’une formation des vendeurs, d’une informatisation de la souscription du crédit et de la vérification de la solvabilité de l’emprunteur.

Voyons d’abord l’encadrement des publicités. Il a consisté à renforcer les mentions obligatoires, à imposer une police de taille plus importante que celle qui concerne les autres éléments publicitaires, à présenter un exemple représentatif et à faire figurer la mention : « Un crédit vous engage et doit être remboursé. Vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager ».

La loi interdit également aux publicités d’indiquer ou de sous-entendre que le crédit améliore la situation financière ou le budget de l’emprunteur.

Elle a par ailleurs entraîné une refonte des modèles de contrats diffusés par les établissements de crédit. Les textes visent maintenant le « crédit renouvelable » et les termes « crédit permanent », « crédit revolving » ou « réserve d’argent » sont interdits.

Pour éviter le crédit qui n’est jamais remboursé, la loi a limité dans le temps la durée de remboursement du crédit renouvelable. Elle a ainsi instauré une durée maximale de remboursement et prévu que chaque échéance comprend obligatoirement un remboursement minimal du capital restant dû. Cette durée maximale de remboursement est de trente-six mois pour les montants inférieurs à 3 000 euros et de soixante mois pour les montants supérieurs.

Les offres de crédit doivent être plus lisibles et intégrer un encadré résumant les caractéristiques essentielles du crédit. Celles-ci doivent être plus complètes et prennent la forme de véritables liasses contractuelles. Le montant des cadeaux et des offres promotionnelles associés à la conclusion d’un crédit a été plafonné à quatre-vingts euros.

La loi a ensuite imposé la formation des responsables de vente, des vendeurs de crédit et des vendeurs en magasins, obligation que les organismes de crédit avaient largement anticipée. L’obligation de formation, confirmée par une attestation à présenter en cas de contrôle, est entrée en vigueur le 1er juillet 2012.

Pour ce qui concerne le contrat, la loi a entraîné l’informatisation du traitement de la vie du crédit. La souscription d’un contrat s’effectue en plusieurs étapes, franchies par le client avec le vendeur de crédit, au moyen d’un système informatique propre à chaque établissement de crédit. Les opérations informatiques sont donc particulièrement importantes et fréquentes pour un crédit renouvelable, dans lequel les échéances et la durée sont recalculées à chaque réutilisation.

La transformation des conditions de souscription et de vie du contrat de crédit, notamment du crédit renouvelable, a donné lieu à un important chantier informatique pour l’ensemble des établissements de crédit. La restructuration des systèmes informatiques a été d’autant plus complexe et coûteuse que la loi a imposé de traiter également le stock existant.

Pour mieux responsabiliser les acteurs, la loi du 1er juillet 2010 a introduit la vérification de la solvabilité de l’emprunteur. Celle-ci passe d’abord par une consultation obligatoire du fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, le FICP.

Elle prévoit ensuite, pour tout crédit conclu sur le lieu de vente ou par Internet, l’obligation d’établir une fiche de dialogue, qui doit permettre d’évaluer la situation de l’emprunteur – niveau d’endettement, revenus, etc.

De plus, à partir de 1 000 euros, la production de pièces justificatives est nécessaire pour corroborer cette fiche de dialogue, autrement dit, en dessous de 1 000 euros, la situation est uniquement déclarative.

Après l’encadrement du crédit et la responsabilisation des acteurs, j’évoquerai maintenant le surendettement, qui résulte non plus essentiellement d’un abus de crédits, mais d’une faiblesse des revenus pour faire face aux charges courantes.

Au début des années 2000, on a observé une mutation d’un surendettement actif à un surendettement passif, caractérisés le premier par un excès de crédits et le second par des accidents de la vie. Depuis dix ans, ce virage a évolué. Désormais, le surendettement concerne une population qui, indépendamment de la survenance d’un accident de la vie, est très fragilisée et dispose structurellement de ressources trop faibles pour faire face à ses charges.

En matière de traitement du surendettement des particuliers, la première finalité de la loi Lagarde a été d’accélérer les procédures, afin d’éviter que la dette ne progresse durant le traitement du dossier de surendettement.

Avec la crise, le nombre de dossiers de surendettement déposés a progressé de 6 % entre 2010 et 2011, pour atteindre 232 000 pendant cette période, dossiers qui se sont ajoutés aux procédures en cours pour un total de 746 000 dossiers, ce chiffre visant 5 % des ménages acquittant l’impôt sur le revenu.

Le législateur a cherché à contrecarrer cette évolution, qu’il a pressentie, en confortant la loi Neiertz. C’est ainsi que la loi a imposé un délai d’examen de la recevabilité du dossier de surendettement de trois mois, contre six mois auparavant.

Elle a aussi prévu que les commissions de surendettement, dont le secrétariat est confié à la Banque de France et la présidence au préfet ou à son représentant, puissent décider directement un rééchelonnement de la dette ou un effacement des intérêts, sans passer par une procédure judiciaire.

Une procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire a été créée, lorsque la situation de la personne surendettée est « irrémédiablement compromise ». Celle-ci rend possible, de façon plus efficace, un effacement des dettes après une homologation par le juge.

La loi Lagarde a également prévu de mieux protéger le débiteur dès lors que son dossier est déclaré recevable.

Les premières dispositions de protection ont été la suspension des mesures d’exécution et le rétablissement rapide du droit aux allocations personnalisées au logement. Aujourd’hui, la suspension est d’un an maximal pour un plan conventionnel de redressement, des mesures imposées ou recommandées, ou elle court jusqu’à la procédure de rétablissement personnel, avec ou sans liquidation judiciaire.

D’autres dispositions de protection concernent la réduction à cinq ans de la durée maximale d’inscription au FICP tenu par la Banque de France, et à huit ans de celle des mesures de redressement.

Par ailleurs, grâce au travail minutieux de la Banque de France, le mode de calcul du budget « vie courante » est enfin harmonisé dans toute la France. Aujourd’hui, ce budget correspond en moyenne à 700 euros, hors logement, impôts, frais de garde, de scolarité et pension alimentaire, la grille étant cependant suffisamment souple pour être adaptée à la réalité du terrain. Il est évident que ce n’est pas la même chose d’être endetté à Paris et en province.

En dépit de toutes ces avancées, la loi Lagarde doit être complétée et améliorée. C’est là le troisième constat effectué par la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois.

L’encadrement de l’entrée dans le crédit reste inachevé. Les publicités sont certes encadrées, mais des sollicitations commerciales sont toujours possibles. La loi n’a pas suffisamment remis en cause la publicité passive que constitue le démarchage commercial. Les établissements de crédit ou leurs intermédiaires peuvent relancer leurs clients, en particulier lorsque ceux-ci n’ont pas atteint le plafond d’utilisation de leur ligne de crédit.

Ces sollicitations commerciales constituent une méthode récurrente, voire agressive, car elles laissent croire au consommateur qu’une certaine quantité d’argent est à sa disposition auprès de tel ou tel établissement. Elles prennent souvent pour cible des clients financièrement fragilisés.

Nous formulons donc deux recommandations : il faut interdire, d’une part, le démarchage commercial pour un crédit renouvelable et, d’autre part, la proposition, dans toute publicité, sous quelque forme que ce soit, de lots promotionnels et/ou de remises de prix liés à l’acceptation d’une offre de crédit.

La principale porte d’entrée dans le crédit demeure les cartes dites « confuses », qui sont à la fois des cartes de crédit et des cartes de fidélité. Elles concernent non seulement le crédit sur le lieu de vente, mais aussi le crédit offert dans le secteur de la vente par correspondance, particulièrement présente dans le crédit renouvelable.

Les cartes de crédit étant souvent adossées à des cartes de fidélité, les souscriptions de crédits renouvelables sont parfois liées à la simple volonté de disposer d’une carte de fidélité du magasin ou à celle d’obtenir un avantage promotionnel. Il convient donc de recentrer la carte de fidélité sur sa finalité première : récompenser la fidélité d’un client.

Nous recommandons d’interdire les cartes « confuses » en découplant les cartes de paiement, avec crédit renouvelable ou non, et les cartes de fidélité.

La loi a interdit que le vendeur soit rémunéré en fonction du type de crédit souscrit. Il s’agit d’éviter que les vendeurs n’orientent le client vers le crédit renouvelable plutôt que vers une offre amortissable.

La commission du vendeur doit être la même pour la vente d’un crédit renouvelable ou celle d’un crédit amortissable. C’est la loi. La souscription d’un crédit, amortissable ou renouvelable, ne doit pas être le résultat d’une pratique commerciale ; elle doit seulement être la solution proposée, par défaut, par le vendeur, lorsque le consommateur ne peut pas ou ne veut pas acheter au comptant.

Nous recommandons donc d’interdire toute rémunération du vendeur d’un bien en fonction des modalités de paiement choisies par l’acheteur.

En outre, la vérification de la solvabilité de l’emprunteur doit être renforcée.

Actuellement, la loi prévoit l’évaluation des ressources de l’emprunteur, mais non la prise en compte de ses charges. C’est pourquoi nous proposons de rendre obligatoire la présentation des trois derniers relevés de compte bancaire. Même si une personne a plusieurs comptes bancaires, elle n’a généralement qu’une seule source principale de revenus. Les transferts d’argent entre les différents comptes sont visibles et leur prise en considération permet de poser les bonnes questions.

Par ailleurs, les activités connexes au crédit à la consommation restent encore mal surveillées. Tel est ainsi le cas du regroupement de crédits, qui fait souvent figure de dernier recours avant le dépôt d’un dossier de surendettement. Il présente l’inconvénient majeur d’allonger les durées de remboursement, parfois jusqu’à dix ans. Or, durant cette longue période, le souscripteur peut connaître bien des aléas. Il faut donc limiter les durées de remboursement des opérations de regroupement de crédits.

On constate également que les découverts bancaires progressent à mesure que diminue l’utilisation des crédits renouvelables, ce qui contribue, mois après mois, à aggraver la situation de certains ménages.

Cette évolution fait l’objet d’un suivi attentif des services du Trésor et de la Banque de France, en particulier par le comité de suivi prévu dans le cadre de la réforme de l’usure.

Il nous paraît indispensable de prolonger de deux à cinq ans la durée d’existence de ce comité et d’étendre sa compétence au suivi de l’évolution des utilisations de découverts bancaires.

En matière de traitement des situations de surendettement, l’application de la loi Lagarde a incontestablement contribué à améliorer et à accélérer le déroulement des procédures de surendettement. Cependant, un certain nombre de problèmes procéduraux demeurent et nuisent à la fluidité du traitement de ces situations.

À cet égard, nous formulons plusieurs recommandations.

Premièrement, il faut prévoir que le montant des créances figurant dans l’état définitif du passif comprenne les intérêts échus entre la décision de recevabilité et la date d’arrêt du passif. Cette disposition garantira un apurement global des dettes du débiteur et complétera les mesures qui ont été prises dans la loi du 1er juillet 2010.

Il faut éviter que ne soient réclamés au débiteur, à l’issue des plans ou des mesures de redressement, des intérêts ou des pénalités ayant couru entre la date d’arrêt du passif et celle de la mise en œuvre des mesures d’apurement. Il est impératif que les créances figurant dans le passif ne produisent pas d’intérêts et ne génèrent pas de pénalités pendant ce délai.

Deuxièmement, il faut porter à dix-huit mois la durée maximale de suspension des mesures d’exécution après la déclaration de recevabilité. En effet, aux termes de la loi du 1er juillet 2010, ladite suspension est limitée à un an. Selon les commissions de surendettement, ce délai est souvent trop court, en particulier lorsque plusieurs recours judiciaires ont été formés contre les décisions successives.

Troisièmement, il faut fixer un délai précis pour la négociation du plan conventionnel, afin d’accélérer le traitement des situations de surendettement.

Quatrièmement, il faut aligner dans tous les cas la durée maximale d’inscription au FICP sur celle des mesures de redressement. En effet, la limitation à cinq ans de l’inscription au FICP peut inciter les débiteurs à souscrire de nouveaux crédits si les mesures de redressement sont prévues sur un temps plus long.

Cinquièmement, enfin, il faut intégrer systématiquement des représentants du conseil général et de la caisse d’allocations familiales au sein des commissions de surendettement. Cette présence permettra une approche plus humaine des dossiers. Actuellement, la personne qui dépose un dossier de surendettement n’a aucun contact avec la commission. Elle ne rencontre que l’employée de la Banque de France qui reçoit le dossier.

Il convient par ailleurs de mieux articuler la procédure de surendettement et le droit au logement.

Aujourd’hui, des ménages sont expulsés faute d’avoir pu payer leur loyer parce que la commission de surendettement, dans l’attente de ses décisions, leur interdit le paiement de toutes leurs dettes.

Il est donc essentiel de permettre au juge d’autoriser le débiteur à régler ses dettes de loyer ou les charges afférentes au remboursement de prêts contractés pour l’achat de son logement, malgré la décision de recevabilité et/ou l’ouverture d’une procédure de redressement personnel.

Le maintien dans le logement est primordial. Une expulsion, alors que le débiteur pourrait payer, ajoute à la détresse de la famille surendettée.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les bailleurs sociaux ne sont pas les seuls concernés. Les propriétaires modestes, souvent des retraités, ont absolument besoin de percevoir leurs loyers, qui constituent pour eux un complément de revenus.

Il faut également poser le principe de l’accompagnement social obligatoire de tous ceux qui déposent un dossier de surendettement pour la deuxième, troisième, quatrième, cinquième, voire pour la sixième fois !

Les « redépôts » de dossier représentent près de 40 % des dossiers déposés en commission de surendettement, ce qui est considérable. Ils sont généralement le signe que la personne surendettée est très fragilisée socialement ou n’a pas su adapter et équilibrer son budget à l’issue de la première procédure de surendettement ou d’un moratoire de deux ans.

Dans les deux cas, le « redépôt » signale une forme d’échec. Il devrait donc obligatoirement comporter un suivi plus attentif et davantage personnalisé par le biais d’un référent social.

De même, il nous paraît indispensable de prévoir un module d’éducation à la gestion du budget familial dans les programmes scolaires des premier et second degrés.

Pour finir, j’évoquerai le registre national des crédits aux particuliers, dit « fichier positif ».

Dans le cadre de nos auditions et de nos déplacements sur le terrain, nous avons été systématiquement confrontés à des positions affirmées, diverses et souvent contradictoires, concernant le principe de la création de ce répertoire.

Sur ce sujet, nous formulons trois remarques principales.

Tout d’abord, le fichier positif doit être un élément, mais seulement un élément parmi d’autres, de la vérification de la solvabilité de l’emprunteur. Il ne doit remplacer ni les mesures existantes – la production de justificatifs de revenus – ni les mesures que nous proposons, à savoir la consultation des trois derniers relevés de compte bancaire. En effet, le fichier positif n’apportera qu’une partie des informations relatives au niveau d’endettement. Il ne donnera de renseignements ni sur les revenus, ni sur les charges, ni sur les habitudes de consommation de l’emprunteur.

Ensuite, si ce fichier vise à prévenir le surendettement en améliorant la vérification de la solvabilité de l’emprunteur, il pourrait aussi avoir un autre intérêt : faciliter l’accès au crédit d’une partie de la population qui en est aujourd’hui exclue, notamment les personnes en contrat à durée déterminée, en particulier les jeunes.

Enfin, notre troisième remarque porte sur le format ou le calibrage du fichier. Le rapport du comité Constans est complet et très utile, notamment d’un point de vue technique, mais il propose un choix binaire : accepter le fichier tel qu’il est proposé ou bien le rejeter.

Or le fichier proposé est assez maximaliste : il recenserait 25 millions de personnes, comprendrait les montants initiaux souscrits, la profondeur historique de six mois, etc.

Il nous paraît possible de restreindre l’ampleur de ce fichier. On pourrait imaginer, par exemple, un fichier positif limité au rythme de souscription des crédits, qui ne comprendrait pas le détail des crédits consommés ou remboursés. En effet, une accélération de la souscription de crédits en quelques mois est déjà un signal d’alerte.

Le fichier pourrait également ne recenser que les crédits actifs, dont les encours restant dus seraient supérieurs à 200 euros. Il ne conserverait les données que quelques mois, car cette photographie suffirait.

Grâce au travail de contrôle auquel j’ai procédé, ma position personnelle a évolué. À l’origine, j’étais plutôt favorable à l’instauration d’un fichier positif, car j’y voyais la solution à la vérification de la solvabilité, laquelle est toujours très lacunaire. Mais la prise en compte progressive de l’ensemble des éléments qui déterminent la conclusion d’un contrat de crédit, dont la vérification de la solvabilité n’est qu’une étape, m’a conduite à penser que ce n’était pas la solution miracle.

Ce fichier pose deux problèmes principaux relatifs au coût et à la protection des données personnelles. Ces deux questions ne doivent être ni négligées ni surévaluées, car elles peuvent être partiellement résolues par le choix du format du fichier.

Monsieur le ministre, si la loi de 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation a amélioré la protection du consommateur, elle n’est pas allée tout à fait au fond des choses.

À l’issue de la rédaction de notre rapport, Mme Escoffier et moi-même avions décidé de déposer une proposition de loi visant à compléter la loi Lagarde. Sa promotion au rang de ministre – vous l’avez rappelé, monsieur le président de la commission – ne lui a pas permis de concrétiser avec moi ce projet. Je l’ai donc fait seule, et avec son aval.

J’espère, monsieur le ministre, que nous pourrons travailler ensemble à l’amélioration de ce texte, afin de mieux protéger et de mieux responsabiliser les emprunteurs et leurs interlocuteurs dans leur relation avec le crédit renouvelable.

Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Mme Escoffier et Mme Dini de leur rapport, à la fois très précis et très utile.

Les avancées obtenues grâce à l’application de loi du 1er juillet 2010, dite « loi Lagarde », sont réelles et constituent un premier pas. Cependant, cela a été dit, certains problèmes graves persistent.

Au mois de juin dernier, le nombre de ménages en cours de désendettement, dans le cadre d’une procédure de surendettement, était de 757 000 ; l’endettement moyen s’élevait à 37 500 euros et une moyenne de 9,2 dettes était recensée par dossier. Les dettes financières représentaient 82,3 % de cet endettement.

Les commissions de surendettement, présentes dans chaque département de notre territoire, sont rattachées à la Banque de France. Or cette dernière est actuellement engagée dans un projet de restructuration devant prendre place à l’horizon 2020 et qui met en danger la cohésion sociale à laquelle elle contribue à travers le traitement des dossiers de surendettement. Les premières mesures sont attendues dès 2013. Elles toucheront particulièrement les bureaux d’accueil et d’information. Il s’agit d’une préoccupation réelle, à laquelle il faudrait que nous puissions répondre.

À cet égard, la création de plateformes régionales constitue un désengagement territorial évident. Par exemple, il est prévu de supprimer dans le département dont je suis l’élue, la Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France métropolitaine, la plupart des points d’accueil physique et de les remplacer par un portail dédié sur Internet, sur lequel les surendettés saisiraient eux-mêmes leur dossier. Les personnels, quant à eux, seraient transférés à la défense.

Toute personne ayant la moindre connaissance des situations de précarité dans lesquelles se trouvent les personnes concernées peut aisément comprendre que la saisie en ligne des dossiers est en l’espèce inadaptée, car elle ne permet pas la nécessaire prise en compte des situations individuelles de personnes déjà maltraitées par la vie.

Eu égard à l’augmentation constante du nombre de ménages devant faire face au surendettement, en raison de la situation économique et sociale que nous connaissons, ce projet de restructuration paraît donc inadapté. Le traitement d’un dossier de surendettement ne saurait se réduire à une procédure informatisée. Nous devrons par conséquent reconsidérer le sujet, monsieur le ministre.

Il semble nécessaire d’envisager la mise en place d’un maillage mobilisant les acteurs locaux, de façon que la population dispose d’interlocuteurs accessibles, et sur lequel les pouvoirs publics pourraient s’appuyer, maillage lié à l’accompagnement social renforcé que le rapport réclame.

Les crédits à la consommation, souvent utilisés par les classes populaires, sont l’un des principaux éléments conduisant au surendettement. En effet, les dettes à la consommation apparaissent dans 88 % des dossiers, pour un encours moyen de 23 100 euros. Plus particulièrement, les crédits renouvelables – ou crédits revolving – sont recensés dans 76,4 % des dossiers et représentent un encours moyen de 15 900 euros.

Le crédit à la consommation, défini à l’article L 311-11 du code de la consommation, est accordé à des particuliers par des établissements bancaires pour financer les achats de biens et services, notamment les grosses dépenses et les biens durables, comme l’automobile ou l’équipement de la maison. Selon l’Observatoire des crédits aux ménages, 31 % des ménages disposaient d’un crédit à la consommation en 2011.

En France, le marché du crédit à la consommation est traditionnellement dominé par les établissements de financement spécialisé, qui en détiennent environ 60 %. Cette part de marché est la conséquence de leur forte présence sur les lieux de consommation, permise par un réseau de prescripteurs très dense, opérant au sein des magasins de distribution, et par une politique de crédit beaucoup moins sélective que celle que mènent les banques généralistes.

Ces établissements spécialisés pratiquent des taux d’intérêt en moyenne plus élevés – 97 % des crédits revolving ont un taux d’intérêt supérieur à 16 %, contre 58 % des crédits du même type consentis par les banques généralistes – et modulent plus fortement ceux-ci en fonction du risque présenté par l’emprunteur.

La loi du 1er juillet 2010, ainsi que le montre excellemment le rapport rédigé par mes collègues, affichait l’ambition d’encadrer le crédit et de prévenir le surendettement, sans remettre en cause la capacité de consommation des ménages. Même si elle a bien accéléré un mouvement de recomposition du secteur du crédit à la consommation, il nous semble nécessaire d’aller plus loin.

Je voudrais citer un exemple éloquent à ce sujet. Lors du renouvellement de leur carte Visa, les clients de certaines banques sont désormais automatiquement équipés d’une Izicarte, leurs conseillers bancaires n’hésitant pas à leur indiquer que c’est obligatoire. Or cette carte est à la fois une carte de crédit et une carte de paiement. Lors d’un paiement, il leur faut, pour choisir la nature de l’opération, presser sur le bouton « crédit » ou sur le bouton « comptant » du terminal de paiement. On voit aisément comment certains de ces clients pourraient, du fait d’informations confuses ou peu claires, appuyer sur le mauvais bouton et contracter ainsi un crédit renouvelable.

Pour conclure, nous soutenons les propositions faites par nos collègues dans leur rapport.

En particulier, il me semble urgent d’interdire le démarchage pour le crédit renouvelable, d’encadrer ses modes de commercialisation, d’interdire les cartes « confuses » en découplant complètement les cartes de paiement et les cartes de fidélité, et de prendre en compte de manière spécifique les dettes contractées pour l’acquisition d’un logement, afin de permettre aux familles de rester dans celui-ci, le temps que soient réglés les autres problèmes qu’elles doivent affronter.

Parce qu’il nous paraît inadmissible que des organismes financiers s’enrichissent en piégeant des personnes en situation de difficulté financière, nous proposons également de limiter tant le montant des plafonds d’emprunt des crédits renouvelables que la durée de ces derniers, afin d’éviter l’endettement à très long terme et d’encadrer les taux plus strictement, de simplifier et de rendre encore plus transparentes et beaucoup plus lisibles les procédures de recouvrement. À ce propos, mes chers collègues, vous avez sans doute eu connaissance de l’enquête menée dans le Maine-et-Loire par l’UFC-Que Choisir : elle montre que, dans ce département, la fiche récapitulative prévue par la loi n’existe pas ou n’a pas été transmise dans 57 % des cas.

Nous proposons aussi de simplifier les contrats de crédit à la consommation envers les particuliers, actuellement extrêmement compliqués à comprendre.

Nous proposons, enfin, de renforcer les sanctions légales à l’encontre des banques en cas de défaut de conseil. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et Mme le rapporteur applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.

M. Alain Fouché. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la précédente majorité avait fait voter la loi portant réforme du crédit à la consommation, dite « loi Lagarde ».

Cette loi tend vers un unique objectif : supprimer les abus et les excès du crédit à la consommation, tout en faisant en sorte que les prêteurs répondent de façon plus responsable et plus adaptée aux besoins de financement des consommateurs.

Avec ce texte, la majorité précédente avait voulu non pas éliminer le crédit à la consommation, mais protéger les consommateurs, sans décourager ce type de crédit.

Je tiens à le rappeler en cet instant, les Français sont attachés au crédit à la consommation : plus de 9 millions d’entre eux y ont recours pour effectuer de multiples achats. En toutes circonstances, c’est un outil utile et nécessaire à la gestion de leur budget ; il leur permet de réaliser de gros comme de petits achats.

La consommation, nous le savons tous, est l’un des moteurs qui a soutenu la croissance au cours d’une période de crise économique considérable. Elle a, elle-même, très clairement dépendu du crédit à la consommation. Ce constat est toujours d’actualité.

Citons quelques chiffres. Pas moins de 40 % du chiffre d’affaires du secteur de la vente par correspondance, secteur employant 20 000 personnes dans le Nord, région fortement touchée par la crise économique, provient du crédit à la consommation. Dans le secteur automobile, deux véhicules sur trois sont aujourd’hui achetés et financés de cette manière.

Mais encadrer, ce n’est pas interdire.

Avec la loi précitée, nous avons voulu non seulement encadrer le crédit à la consommation, mais aussi protéger les consommateurs les plus fragilisés par la crise.

Ainsi la loi Lagarde pourrait-elle se résumer par l’expression suivante : « moins d’excès, plus d’accès ».

Cette loi avait pour objet la poursuite de cinq objectifs : recentrer le crédit renouvelable sur sa vocation, à savoir le financement de petits montants ; réformer l’usure ; mettre fin aux excès en matière de publicité ; mieux s’assurer de la solvabilité des emprunteurs ; éviter que le consommateur-emprunteur ne tombe dans le crédit à son insu.

Permettez-moi de vous le rappeler, mes chers collègues, le crédit à la consommation avait fait l’objet de douze lois en moins de vingt ans.

Clairement exprimée, notre volonté était donc de protéger le consommateur en transférant de plus en plus de responsabilités aux prêteurs. La loi Lagarde a donc complété un dispositif déjà très dense.

Dans le même temps, les établissements de crédit ont entièrement réécrit leurs contrats de crédit pour tenir compte des ajouts ou modifications induits par ce nouveau texte législatif.

Nous avons également souhaité que le rapport de force entre le prêteur et le consommateur soit plus équilibré. À cette fin, nous avons protégé ce dernier contre les excès et les abus.

Ainsi, depuis le 1er mai 2011, les mesures de la loi qui encadrent le crédit renouvelable sont entrées en vigueur. Elles empêchent les détenteurs de cartes de fidélité de contracter un crédit malgré eux. Elles donnent le choix aux consommateurs entre crédit classique et crédit renouvelable pour financer leurs achats importants. Elles raccourcissent les durées de remboursement des crédits renouvelables, parfois abusivement longues, afin de réduire le coût de ces derniers pour les consommateurs. Elles prévoient des sécurités à l’entrée en crédit pour prévenir le surendettement. Enfin, elles renforcent l’information et la protection des consommateurs.

Cette réforme a conduit les prêteurs à changer leurs pratiques. Dans les cas prévus par la loi, ils proposeront par courrier aux personnes qui détiennent déjà un crédit renouvelable de modifier leur contrat.

Des mesures comme l’introduction d’une notion d’amortissement minimal pour le crédit renouvelable peuvent être qualifiées d’« innovantes » au regard des textes en vigueur chez nos voisins européens.

Cependant, la loi ayant transféré de nouvelles responsabilités aux prêteurs, tous les consommateurs ne sont pas toujours en mesure d’appréhender la portée de leurs engagements, une fois le contrat de crédit signé.

En effet, encore maintenant, les consommateurs maîtrisent rarement les points clés du crédit à la consommation ou le fonctionnement détaillé des produits comme le crédit renouvelable, parfois appelé « crédit revolving ».

Les principales avancées de cette loi sont encore loin d’être bien connues du grand public.

Les grands médias se font fréquemment l’écho de témoignages qui pointent du doigt, par exemple, l’absence d’études de solvabilité, alors qu’elles sont légalement obligatoires. Tout cela mérite donc d’être plus strictement contrôlé.

Les consommateurs savent-ils que, à partir de 1 000 euros d’achat de biens ou de prestations de services particuliers, il est obligatoire de leur proposer, sur le lieu de vente même, une offre de financement alternative ? Bien sûr que non !

Monsieur le ministre, il serait souhaitable que le consommateur puisse mieux appréhender le fonctionnement du crédit qu’il souscrit, quel que soit le canal d’entrée en contact.

Il faudrait, pour ce faire, identifier les supports de communication les plus efficaces et les moments opportuns pour mener des actions d’information auprès du consommateur.

Un autre point important porte sur la question, déjà évoquée par Mme le rapporteur, de la création d’un registre national des crédits, également appelé « fichier positif ».

Cette réflexion, encore devant nous, doit s’inscrire dans le cadre global de la question du crédit à la consommation et du surendettement.

Ce registre national des crédits permettrait de prévenir le surendettement actif, en limitant la possibilité de surconsommation de crédits. En effet, cet excès de crédits est considéré comme directement responsable d’environ 20 % du surendettement. Cette estimation ne tient pas compte du fait que, le plus souvent, les accidents de la vie ne conduisent au surendettement que dans la mesure où une surconsommation de crédits a permis de compenser momentanément la perte de revenus. C’est principalement cet objectif de prévention que nous souhaiterions atteindre.

De plus, en réduisant le nombre de dossiers de surendettement par la limitation du surendettement actif, le registre national des crédits aurait également pour avantage de diminuer le montant moyen de dettes des dossiers de surendettement.

Au premier trimestre de la présente année, le niveau d’endettement moyen, dans un dossier de surendettement, était de 38 800 euros en France, contre 28 500 euros en Allemagne, pays qui dispose d’un fichier géré par le secteur privé, et 15 000 euros en Belgique, où le fichier est géré par la Banque centrale.

Enfin, de notre point de vue, ce fichier positif pourrait renforcer la concurrence sur le marché du crédit à la consommation, qui est en France un marché très concentré, dominé par les grands établissements bancaires. En effet, cela permettrait aux nouveaux entrants dans le secteur et aux petits établissements de crédits de développer à moindre coût une connaissance de la clientèle que les grands acteurs de ce domaine, du fait de la taille de leur base de données, sont aujourd'hui les seuls à avoir.

Mes chers collègues, la loi Lagarde répondait à une double urgence, économique et sociale.

Cohérente et globale, cette loi a été bien appliquée par le précédent gouvernement. Elle l’a également été par les établissements de crédit, pour lesquels elle a représenté un coût opérationnel et financier important. Elle a aussi permis la mise en œuvre d’un processus de recomposition du paysage du crédit à la consommation, dans lequel le crédit amortissable se substitue progressivement, à l’égard de certains montants, au crédit renouvelable, dont les taux et les durées de remboursement ont été par ailleurs réduits.

Cependant, la mise en application de cette loi nous montre à nous, législateurs, qu’il aurait été possible d’aller plus loin : aller plus loin dans la protection du consommateur ; aller plus loin dans la prévention efficace du surendettement, notamment en encadrant plus strictement le démarchage commercial, en vérifiant plus efficacement la solvabilité de l’emprunteur, ou encore en interdisant les cartes associant crédit et fidélité. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 14 novembre dernier, des milliers de personnes descendaient dans la rue en Europe pour dénoncer les plans d’austérité, lesquels, en raison des coupes budgétaires qu’ils induisent, appauvrissent les classes populaires et moyennes et entraînent la suppression d’emplois publics, des licenciements, ainsi que le gel et la baisse des salaires et des pensions.

En France, au premier trimestre de cette année, le taux de chômage a atteint 10 %. Le rapport Gallois, en prônant, de la même manière que le rapport Attali, en 2010, la relance de la croissance par l’offre, coupant court à toute mesure en faveur de la demande, de l’augmentation du pouvoir d’achat ou de la revalorisation des salaires et pensions, ne laisse que peu d’espoir pour les mois et les années à venir !

Face à la hausse importante des dépenses incompressibles, les loyers et les prix de l’énergie ont augmenté de manière plus importante que les revenus. Selon l’INSEE, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté a crû de près de 10 % en dix ans, pour atteindre le chiffre de 8 millions.

L’augmentation de ces dépenses entraîne, bien sûr, la hausse des impayés constatés. À cet égard, selon une récente étude effectuée par le Secours catholique, 60 % des ménages déclarent faire face à des impayés, concernant, dans 40 % des cas, le loyer, puis le gaz, l’électricité ou les combustibles.

Dans ce contexte social et économique insupportable, le crédit à la consommation peut à l’évidence paraître comme la solution pour un grand nombre de personnes en difficulté. Cependant, il peut être à l’origine de surendettement et enfermer les personnes dans des situations humainement intenables.

À ce titre, le rapport de Mmes Muguette Dini et Anne-Marie Escoffier note avec raison la hausse du nombre de dépôts de dossiers de surendettement.

Comme le précise la Banque de France, 88 % des dossiers comportent des dettes à la consommation, pour un encours moyen de 23 100 euros. Des crédits renouvelables sont recensés dans 76,4 % des dossiers et représentent un encours moyen de 15 900 euros.

La Cour des comptes soulignait dernièrement que le surendettement était en grande partie « actif » et que 70 % des crédits non remboursés étaient du type « crédits renouvelables ». Or ces crédits sont parfois accordés directement à la caisse des grandes enseignes.

Face à ce constat, tout le monde s’accorde aujourd'hui à dire que le dispositif de la loi Lagarde est largement insuffisant. Cette insuffisance, vous ne la dénoncez pas ouvertement, madame la rapporteur ; mais la teneur de vos propositions la sanctionne sans appel. Et le constat est partagé dans les rangs de l’opposition. On peut lire dans l’exposé des motifs d’une proposition de loi centriste qui sera examinée dans les prochains jours par l’Assemblée nationale – les auteurs de ce texte avaient, je le rappelle, voté la loi Lagarde – que réglementer la publicité et garantir l’information restent des mesures largement insuffisantes.

À ce titre, je tiens à préciser que le texte propose la création d’un fichier positif. Le débat est très complexe. C’est pourquoi nous attendons avec impatience de pouvoir lire très prochainement le rapport du groupe de travail qui étudie ce sujet.

J’en viens maintenant au contenu du rapport remis par Mmes Dini et Escoffier. Nous partageons une grande partie des préconisations figurant dans la proposition de loi déposée par Mme Dini : je pense aux mesures relatives à un meilleur encadrement du crédit à la consommation et au traitement du surendettement des particuliers.

Nous sommes très heureux que certaines de nos propositions, hier rejetées, soient jugées intéressantes aujourd’hui : à cet égard, je pense à l’avancement de la date de l’arrêté du passif au moment de la décision de recevabilité dans le cadre des procédures de redressement ; je pourrais également mentionner l’interdiction des cartes « confuses », et donc l’obligation de séparer les cartes de paiement des cartes de fidélité, mesure très importante pour la protection des consommateurs.

Cependant, il faut aussi tenir compte de la question des cartes de crédit adossé, qui permettent de ne pas vérifier la solvabilité des porteurs. Nous saluons également la proposition qui vise à rendre obligatoire la présentation des trois derniers relevés de compte lors de la souscription d’un contrat de crédit. En 2010, nous avions déjà discuté des difficultés liées à la possibilité d’obtenir un crédit sans que le prêteur ait demandé d’informations relatives à l’endettement et aux revenus de l’emprunteur.

Des problèmes demeurent néanmoins. Selon une étude de l’UFC-Que Choisir sur l’octroi des crédits à la consommation : « Dans plus de 85 % des cas, aucune question n’a été posée sur la situation financière des clients. […] Et à peine 8 % des clients ont été interrogés sur la détention éventuelle d’autres crédits. »

Nous avions également défendu l’interdiction du démarchage en matière de crédit renouvelable, ou encore l’interdiction de toute rémunération du vendeur en fonction des modalités de paiement. Ces mesures sont importantes pour limiter les abus.

Nous avions proposé d’autres pistes pour optimiser l’information des citoyens relative aux possibilités offertes dans l’éventualité de difficultés budgétaires et de paiement – on peut mentionner une saisine du juge ou le recours à une commission de surendettement –, comme la mise en place d’un dispositif d’information en cas de perte d’emploi.

Nous avions suggéré une modification du mode de calcul du taux d’usure, afin de diminuer le plus possible les abus. Au 1er octobre dernier, le taux usuraire applicable aux prêts consentis aux particuliers pouvait atteindre jusqu’à 20,3% !

Ces mesures n’ont pas été reprises par les auteurs du rapport en cause, mais nous ne manquerons pas de les soutenir dans le cadre du débat parlementaire.

Ensuite, à l’instar des associations de consommateurs, je voudrais attirer votre attention, mes chers collègues, sur le développement sans contrôle du crédit sur Internet. Au mois de janvier dernier, la Commission européenne a contrôlé 562 sites offrant des crédits à la consommation et a relevé un taux d’infraction à la réglementation de 70 %. De plus, les sites ont des simulateurs de crédits qui aboutissent généralement, et, bien évidemment, sur des crédits revolving.

Enfin, comme les auteurs du rapport n’ont pas manqué de le souligner, l’accompagnement, l’information et le contrôle sont extrêmement importants pour la mise en œuvre de la loi.

Pour ce qui concerne le contrôle, je vous renvoie à l’excellente contribution de ma collègue Évelyne Didier, dans son rapport pour avis sur les crédits de la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2012. Elle remarquait alors à propos de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes : « […] la DGCCRF est aujourd’hui face à ce qu’on pourrait appeler un “effet de ciseaux” entre ses missions et ses moyens. En effet, si l’on additionne toutes les missions créées par les textes ou imposées par les priorités politiques conjoncturelles, le tableau qu’on obtient est celui d’une DGCCRF qui croule littéralement sous les missions nouvelles. Dans le même temps, et c’est la deuxième branche de l’effet de ciseaux, la DGCCRF voit, année après année, ses crédits et ses effectifs baisser. » (M. le ministre délégué fait un signe de dénégation.)

Or la réforme du crédit à la consommation est un exemple de l’élargissement des missions de cette administration.

En 2011, la DGCCRF a diligenté deux enquêtes pour s’assurer de la mise en œuvre de la loi du 1er juillet 2010. La première enquête, qui porte sur la publicité des crédits à la consommation, vise à vérifier le respect des nouvelles obligations. La seconde, qui concerne l’assurance-emprunteur des crédits immobiliers et des crédits à la consommation, tend à recueillir des éléments d’information sur ce marché en mutation et à vérifier la réalité de la liberté de choix laissée au consommateur en matière de conclusion d’une assurance de ce type.

Cette année même, trois enquêtes nationales sont programmées sur le crédit renouvelable, le regroupement de crédits, les autorisations de découverts et les dépassements de découverts.

Enfin, il est fondamental d’accompagner les personnes connaissant des difficultés financières. C’est l’une des missions des agents de la Banque de France. En effet, celle-ci, qui devrait être plus présente auprès de tous les acteurs économiques et sociaux dans l’exercice de chacune de ses missions – je pense au surendettement, à la lutte contre l’exclusion financière, à la médiation du crédit, au suivi de l’économie des territoires et des bassins d’emploi, à l’entretien des billets –, est sévèrement attaquée par le plan Noyer.

En Bretagne, ce dernier prévoit la fermeture de la caisse de Saint-Brieuc, la disparition du centre de traitement de la monnaie de Lorient et l’abandon de toute activité fiduciaire, c'est-à-dire l’échange des billets, avec les particuliers. La ville de Quimper, quant à elle, disposerait d’un centre de traitement du surendettement, mais il ne prendrait plus en charge l’analyse des bilans et la cotation des entreprises. Et Vannes et Brest auraient un centre de traitement des entreprises, mais qui ne s’occuperait plus des dossiers de surendettement. Seule la succursale rennaise conserverait l’ensemble des activités.

C’est pourquoi j’insiste sur le fait qu’une réforme du crédit et du surendettement restera lettre morte si la présence de la Banque de France n’est pas renforcée sur tout le territoire, au plus près des citoyens, et si les moyens accordés à la DGCCRF ne sont pas renforcés !

Mme Odette Herviaux. Très bien !

(M. Jean-Pierre Raffarin remplace Mme Bariza Khiari au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le surendettement des ménages est un fléau que de nombreuses majorités ont cherché à combattre ces dernières décennies, mais ses formes, ses causes et ses effets ont évolué, le rendant plus difficile à appréhender.

La loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation a sans nul doute constitué une avancée dans l’encadrement du crédit à la consommation et la lutte contre le surendettement. Cependant, au regard de l’objet ambitieux qui lui avait été fixé, à savoir « développer un crédit plus responsable », force est de constater que le chemin à parcourir est encore long.

Ce n’est pas la mise en œuvre des dispositions de la loi qui est en cause, comme le montre très bien le rapport réalisé, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, par Mmes Muguette Dini et Anne-Marie Escoffier. Je tiens d’ailleurs à saluer à la fois leur excellent travail et leur engagement sur ces questions, qui touchent nombre de nos concitoyens.

Ce rapport met en évidence la mise en application satisfaisante de la loi de 2010, mais également la persistance de certaines difficultés et l’apparition de nouveaux obstacles, qui rendent nécessaire l’adoption de mesures supplémentaires pour compléter et améliorer cette réforme.

À la suite de la publication du rapport au mois de juin, Mme Muguette Dini a déposé, avec plusieurs de ses collègues, une proposition de loi en ce sens. Je ne doute pas que notre ancienne collègue Anne-Marie Escoffier aurait fait de même si elle n’avait pas rejoint le Gouvernement. (Sourires.)

Deux mois après la remise du rapport sénatorial, le Comité consultatif du secteur financier, ou CCSF, remettait également un rapport sur les effets de l’entrée en vigueur de la loi Lagarde. Les conclusions en sont assez proches. Ce document met en évidence un certain nombre de « zones grises ».

Monsieur le ministre, avec M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie, vous avez demandé à Emmanuel Constans, le président du CCSF, de dresser une liste des engagements qui pourraient être pris pour améliorer les choses

La situation est grave. Depuis 2010, le nombre de dossiers de surendettement déposés a continué d’augmenter, malgré un léger recul observé depuis le mois d’août dernier, selon les chiffres de la Banque de France. En Midi-Pyrénées, l’augmentation a été de 40 % ces cinq dernières années. Or les implantations territoriales de la Banque de France peuvent difficilement faire face à cette hausse, d’autant plus que leurs moyens sont limités.

J’ai récemment attiré l’attention du Gouvernement sur cette question et sur la situation très délicate, notamment dans mon département, qui résulte de la fermeture de nombreuses caisses et succursales et du non-remplacement de nombreux départs à la retraite.

Comme je l’ai souligné en introduction, le surendettement a évolué : alors qu’il pouvait plus souvent être attribué à un abus de crédits voilà dix ans, il tient aujourd’hui principalement aux difficultés croissantes que rencontrent les ménages et à l’instabilité de plus en plus grande de leur situation.

La crise économique et le chômage, qui en est le corolaire, ont touché de plein fouet des familles dont les ressources sont devenues insuffisantes pour faire face à des charges fixes qui, elles, ne diminuent pas. Le loyer, la facture énergétique, la téléphonie, entre autres : le nombre de dépenses dites « contraintes » et la part qu’elles représentent dans le budget des ménages ne cessent d’augmenter. Sans compter les prix du carburant qui pèsent très lourdement sur les familles vivant en dehors des grandes villes et qui n’ont pas d’autre choix que d’utiliser leur véhicule pour aller travailler ou faire des courses.

La pauvreté atteint également chaque année de bien tristes records. Au mois de septembre dernier, l’INSEE a recensé dans notre pays 8 617 000 personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. La question du surendettement est donc plus complexe aujourd’hui qu’elle ne l’était avant la crise.

La procédure de surendettement doit prendre en compte la précarité sociale du débiteur. C’est pourquoi il est essentiel, comme le souligne le rapport de Mmes Dini et Escoffier, qu’elle soit articulée avec le droit du logement.

En effet, il convient de rendre les procédures de surendettement compatibles avec le maintien de la personne surendettée dans son logement et la suspension des mesures d’expulsion, afin de ne pas précariser cette personne durablement. La proposition qui consiste à nommer un référent social en cas de nouveau dépôt d’un dossier de surendettement ira également dans le sens d’un meilleur soutien aux personnes qui se trouvent dans un état de détresse financière, psychologique et sociale.

Cependant, lutter contre le surendettement passe aussi par l’éducation. En ce sens, je salue la proposition n° 19 du rapport, qui vise à mettre en place des modules d’éducation budgétaire à la fin du primaire, du collège et du lycée.

La loi Lagarde a été extrêmement structurante pour le crédit à la consommation ; elle a permis de mieux encadrer les pratiques des professionnels, ce qui était absolument nécessaire. Cependant, la mise en conformité avec les très nombreuses obligations de ce texte a eu un coût important pour les acteurs du marché. Or le législateur se doit d’avoir toujours en ligne de mire à la fois la protection des consommateurs, mais aussi l’impact des différentes mesures sur l’économie et sur la protection des emplois, ce qui n’est pas chose aisée.

L’efficacité des nouvelles obligations des professionnels repose sur des moyens de contrôle suffisants. Les propositions concernant la DGCCRF, notamment la possibilité pour ses agents de réaliser des contrôles anonymes, me semblent aller dans le bon sens.

En matière d’encadrement du crédit, il est nécessaire d’aller plus loin que la loi de 2010, notamment en ce qui concerne les opérations de regroupement de crédit dont les durées de remboursement devraient être limitées. Des évolutions sont également souhaitables dans le domaine de la vérification de la solvabilité des emprunteurs.

Le rapport de Muguette Dini et d’Anne-Marie Escoffier a souligné, à très juste titre, l’une des limites des dispositions existantes relatives à l’encadrement de la publicité, à savoir la non prise en compte du démarchage commercial, qui constitue une forme de publicité passive.

L’interdiction des cartes dites « confuses », qui sont des cartes de fidélité associées à des crédits renouvelables, me semble également prioritaire. Le rapport rendu par le Comité consultatif du secteur financier sur la loi Lagarde apporte un éclairage intéressant dans ce débat. Il précise, en effet, que, en se focalisant sur les cartes de fidélité en tant que support matériel, on omet le phénomène croissant de dématérialisation,…

M. David Assouline, président de la commission. Tout à fait !

Mme Françoise Laborde. … notamment via des applications pour les smartphones. Il faudra certainement tenir compte de ces évolutions dans les dispositions législatives à venir.

Enfin, je tiens à dire quelques mots sur l’opportunité de créer un fichier positif des crédits aux particuliers, sujet qui est au cœur du débat depuis plusieurs années. Pour bien appréhender cette question, plusieurs aspects doivent être pris en compte.

Tout d’abord, les causes et les formes du surendettement ont évolué, comme je l’ai déjà précisé.

Ensuite, et c’est pour moi le point le plus important, un tel fichier doit respecter les règles de protection des données personnelles et des libertés publiques garanties par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui a, à plusieurs reprises, fait part de ses inquiétudes à ce sujet. Dans tous les cas, les modalités et les motifs de consultation de ce fichier devraient être très strictement encadrés.

La dernière question en suspens est celle du coût très élevé de la création d’un tel fichier.

Pour conclure, je tiens à féliciter une nouvelle fois les deux corapporteurs de leur travail. Les membres du groupe du RDSE soutiendront les efforts qui seront entrepris pour compléter et parachever une réforme ambitieuse du crédit à la consommation et du traitement du surendettement des particuliers. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau. Je me réjouis, monsieur le ministre, que le présent débat sur le crédit à la consommation et le surendettement puisse avoir lieu aujourd’hui au Sénat.

Nous sommes à mi-chemin entre deux textes relatifs à ce sujet : d’une part, la loi du 1er juillet 2010, dite loi « Lagarde », portant réforme du crédit à la consommation, et, d’autre part, un projet de loi dont la présentation en conseil des ministres nous est promise pour le début de l’année prochaine et dont les contours ne sont pas encore connus. J’espère d’ailleurs, monsieur le ministre, que vous pourrez nous en tracer les premières lignes.

Le Sénat est dans son rôle, non pas de législateur, mais de contrôle de l’action du Gouvernement et de l’application des lois, comme l’indique le nom de la commission en cause.

Il faut saluer le travail de notre collègue Muguette Dini et de notre ancienne collègue Anne-Marie Escoffier, désormais ministre, travail qui a permis de bien mesurer l’impact de la loi Lagarde tout en pointant les limites et les manques de celle-ci. Ce rapport peut être un excellent support pour rédiger un texte législatif qui portera peut-être votre nom, monsieur le ministre.

Au cours de mon intervention au nom du groupe UDI-UC, j’aimerais tout d’abord rappeler l’importance de la question du surendettement et l’implication constante des centristes sur ce sujet, puis je développerai plus longuement la question du fameux fichier positif, avant de conclure en présentant d’autres mesures qui pourraient compléter la loi de 2010.

La prévention du surendettement et l’encadrement du crédit à la consommation font partie des préoccupations historiques du groupe centriste.

Le problème du surendettement et la question du traitement des crédits à la consommation sont deux sujets liés, l’un étant souvent la cause de l’autre, même si naturellement d’autres raisons existent.

Comme les orateurs précédents l’ont rappelé, notre pays traverse une crise économique profonde et durable. Elle entraîne une crise sociale, qui touche directement les ménages les plus faibles. Le rôle du politique, notre rôle, est de protéger les personnes les plus vulnérables qui se trouvent dans cette situation. Eu égard aux plus de 230 000 dossiers de surendettement déposés fin 2011, les statistiques du surendettement explosent. Le nombre de dossiers à traiter s’élève désormais à 746 000. Notre collègue Muguette Dini rappelait que, par rapport à 2010, cette hausse atteignait près de 6 % au dernier trimestre 2011.

Pour certains ménages, le crédit à la consommation peut servir de compensation de revenus, mais le recours de façon systématique et abusive à celui-ci met les personnes qui contractent ce type de prêts dans des situations inextricables. Ces situations sont aggravées par la crise, qui fausse sans doute une partie de notre analyse ; elles ne sont malheureusement pas nouvelles.

J’appartiens à une famille politique qui s’est toujours battue pour que le crédit renouvelable soit plus et mieux encadré, afin que le consommateur de crédit soit protégé non seulement des établissements prêteurs, mais également de lui-même. La présence de Muguette Dini au banc de la commission le prouve. Notre collègue a beaucoup œuvré lors de l’examen du projet de loi présenté par Christine Lagarde. Très tôt, les centristes se sont engagés dans la lutte contre le surendettement.

En 2005, Jean-Christophe Lagarde et Hervé Morin déposaient à l’Assemblée nationale une proposition de loi tendant à prévenir le surendettement et prévoyant la création d’un répertoire national des crédits aux particuliers, dit « fichier positif ».

En 2008, au Sénat, c’est Muguette Dini et Michel Mercier qui déposaient également une proposition de loi tendant à prévenir le surendettement et visant à mettre en place un tel fichier. Ce texte prévoyait de mettre au cœur de la prise de décision des établissements bancaires la question de la solvabilité de l’emprunteur et de faire figurer des bannières d’informations et de mise en garde contre les risques du crédit.

Au début de cette année, c’est Valérie Létard, qui, avec de nombreux membres de notre groupe, déposait encore une proposition de loi visant à instaurer un répertoire national du crédit pour prévenir le surendettement des particuliers.

Enfin, le 29 août dernier, Muguette Dini et de nombreux sénateurs du même groupe déposaient une proposition de loi relative à un meilleur encadrement du crédit à la consommation et au traitement du surendettement des particuliers, texte qui tendait à adapter au niveau législatif les conclusions du rapport qu’elle nous a présenté.

La question du fichier positif, que plusieurs d’entre vous ont abordée, mes chers collègues, et la mise en œuvre de celui-ci restent en suspens. Comme vous pouvez le constater, la demande de création d’un tel fichier est constante au sein de mon groupe. En effet, la question de la solvabilité de l’emprunteur est au cœur du processus de prise de décision lors du choix d’accorder ou non un crédit. Il nous a toujours paru primordial d’imposer aux établissements prêteurs de s’assurer de cette solvabilité avant de prêter.

En tant qu’ancien directeur général de banque, je sais que l’emprunteur a beaucoup de mal à faire état de sa réelle situation devant un banquier. Il se tourne alors vers d’autres prêteurs et continue à s’enfoncer encore davantage dans une situation inextricable.

Certes, aujourd’hui, grâce à la loi Lagarde, certains documents sont exigés lors de la constitution du dossier de demande de crédit. Néanmoins, certaines pièces manquent parfois, voire sont falsifiées par les demandeurs, et les vendeurs de crédit sont peu regardants. Bref, il n’y a pas de certitude absolue sur la question de la solvabilité.

Seule la création et l’utilisation d’un registre ou répertoire national des crédits aux particuliers répondraient à ce problème. Destiné à établir la liste de l’ensemble des crédits contractés par les consommateurs, il permettrait la responsabilisation de tous les acteurs.

Notre combat avance puisque la loi Lagarde a permis de créer une commission chargée d’imaginer et d’ébaucher le dispositif du fichier positif.

Je sais malheureusement, monsieur le ministre, que vous n’êtes pas favorable à ce répertoire, notamment parce que les associations de consommateurs, sauf une, l’Union nationale des associations familiales, l’UNAF, ne le souhaitent pas. Je vous précise que les établissements de crédit ne le soutiennent pas non plus, mais pour des motifs toutefois différents. Pourtant, mon expérience professionnelle me prouve que la création d’un tel répertoire est une nécessité.

Les membres de mon groupe soutiennent pour plusieurs raisons l’instauration de ce fichier, dont la gestion et l’utilisation peuvent faire l’objet d’adaptations. C’est peut-être là le vrai sujet. Ce répertoire, géré de façon indépendante par la Banque de France, offrirait une protection aux consommateurs.

Mais sa consultation soulève des problèmes. Ainsi, les consommateurs craignent que les établissements de crédit ne s’en servent pour organiser des démarches commerciales auprès d’eux. Plusieurs solutions peuvent être envisagées.

Soit ce sont les établissements qui le consultent ; dans ce cas, on pourrait leur demander précisément pour quel type de crédit ils sollicitent l’information et la Banque de France pourrait répondre par un simple accord ou désaccord au prêt, sans donner plus de détail sur les comptes des consommateurs.

Soit ce sont les consommateurs qui interrogent le gestionnaire du répertoire ; celui-ci pourrait alors fournir aux particuliers un document récapitulant l’état de leurs dettes et leur capacité à souscrire un crédit à la consommation, par exemple. La démarche et le document produit pourraient être comparés à un permis à points, un certain nombre de points étant dévolus à la souscription d’un crédit. Le consommateur serait amené à se demander s’il peut encore emprunter. La démarche serait effectuée par le seul particulier, mais elle serait obligatoire avant toute acceptation de la délivrance d’un crédit.

La protection des données et la limitation du démarchage seraient ainsi assurées, puisque la demande, j’y insiste, proviendrait du consommateur lui-même.

Certes, les coûts d’installation et de gestion du fichier sont réels, mais leur financement peut être assuré par le paiement, à chaque consultation, d’une dizaine d’euros par les organismes prêteurs, par exemple. Cette somme non négligeable conforterait encore la protection contre le démarchage et éviterait certainement une bonne part du surendettement. C’est une suggestion que le groupe centriste avait faite en présentant sa proposition de loi de 2008. Par ailleurs, ce coût de consultation compenserait le coût du risque qui pèse sur les prêteurs, et qui diminue avec l’existence d’un tel fichier et la meilleure connaissance de la solvabilité.

Vous le constatez, monsieur le ministre, sur ce sujet, nous sommes ouverts, et des solutions concrètes et raisonnables existent. Le débat reste entier. J’espère que nous pourrons l’aborder ensemble.

La loi Lagarde de 2010 a répondu à une partie des attentes, mais son application peut encore être renforcée à l’égard du crédit à la consommation.

Pour conclure, et pour aller encore un peu plus loin dans la lutte contre le surendettement, je voulais saluer vos prises de position sur la loi Lagarde. Vous avez déclaré avec honnêteté qu’incontestablement cette loi avait apporté des améliorations. Comme le souligne le rapport du Sénat, la mise en œuvre de ce texte législatif est d’ailleurs très bonne.

La loi précitée impose aux organismes de crédit, notamment, de nouvelles exigences d’information et l’instauration d’une convergence des taux de l’usure entre crédits renouvelable et amortissable.

Monsieur le ministre, nous sommes rassurés par vos déclarations concernant le crédit renouvelable, que vous souhaitez davantage encadrer et non plus supprimer, comme vous aviez pu un temps le laisser entendre.

Quant aux nouvelles améliorations possibles, le rapport de Mmes Dini et Escoffier prévoit la possibilité de découpler les cartes de fidélité et les crédits renouvelables. Selon nous, il s’agit d’une amélioration indispensable.

Je conclurai cette intervention sous la forme interrogative. Que contiendra le projet de loi que vous nous présenterez ? Quel en sera le calendrier de présentation et d’examen ? Enfin, contiendra-t-il des mesures relatives aux class actions ?

Mme Muguette Dini, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 21 juin 2010, la loi portant réforme du crédit à la consommation était adoptée en deuxième lecture au Sénat. Plus de vingt ans après la loi Neiertz, ce texte, qui faisait suite à plusieurs initiatives parlementaires en la matière, défendait un double objectif : d’une part, encadrer plus strictement les pratiques de crédits à la consommation qui, depuis les années 2000, ont connu une dérive sans précédent ; d’autre part, accompagner les débiteurs surendettés dans les procédures de surendettement mises en œuvre.

Intervenir à la fois en amont et en aval des difficultés financières, telle était l’ambition affichée dans le projet de loi porté par Mme Lagarde. Celle-ci prétendait alors apporter une réponse globale et protectrice à tous les stades de la vie du contrat.

Dans cet hémicycle, à l’époque, nous avions pu regretter certaines insuffisances relatives, notamment, au volet social du dispositif. Celui-ci, devant l’ampleur de la problématique, au regard de l’évolution du profil social des publics concernés, du contexte économique, mais aussi compte tenu de la durée exceptionnellement longue de la navette lors de la première lecture, aurait mérité d’être réformé bien plus en profondeur.

Aussi, les mesures préventives en amont de la contractualisation, qui visaient à encadrer plus strictement les modalités du crédit à la consommation, mais également celles qui sont relatives à l’accompagnement des débiteurs surendettés, destinées à éviter autant que possible les risques de décrochage, étaient apparues incomplètes.

La volonté du Gouvernement d’obtenir un vote conforme en deuxième lecture au Sénat n’avait pas permis de nouvelles avancées. Qu’en est-il aujourd’hui ?

À la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, un rapport a été présenté au mois de juin dernier. À ce propos, je tiens à saluer le travail réalisé par les membres de la commission, en premier lieu son président, M. Assouline, et les rapporteurs, Mmes Dini et Escoffier.

Le résultat de ce travail semble montrer que, si la loi a été correctement appliquée, d’importants problèmes persistent. Certains auraient pu et dû être mieux appréhendés dans le cadre des discussions parlementaires ; d’autres sont liés, semble-t-il, à une recomposition du secteur induite par le contexte de crise économique. Dans les deux cas, ces lacunes appellent une intervention du législateur.

Dans ce cadre, je souhaite revenir sur la nécessaire amélioration du volet « prévention », en amont de la contractualisation, ainsi que sur le renforcement de l’accompagnement social du débiteur au cours de la lourde procédure de désendettement.

Aborder l’encadrement des crédits à la consommation, c’est être confronté à une première difficulté : celle de trouver un juste équilibre entre la préservation du recours au crédit et la protection des consommateurs, en particulier des plus modestes d’entre eux, qui, exclus de l’accès aux crédits traditionnels, se dirigent plus facilement vers des crédits renouvelables.

Quelle que soit l’appellation retenue, « prêt revolving », « prêt relais », « réserve d’argent », ces crédits représentent ce que vous appelez vous-même, monsieur le ministre, un « instrument terrible de surendettement. » Leurs effets dévastateurs sur les ménages les plus fragiles ont été et sont encore trop souvent démontrés.

Pour ce qui concerne le recours à ce type de crédits, si des améliorations semblent notables, en partie grâce à la loi – en partie seulement, puisque le contexte économique a largement contribué à la recomposition du marché des crédits –, des mesures complémentaires, plus strictes, s’imposent et de nouveaux garde-fous à l’entrée au crédit doivent être introduits.

Certes, la loi de 2010 a institué des barrières en matière de commercialisation, d’encadrement de la publicité relative à ces produits et de vérification de la solvabilité des emprunteurs ; elle a également donné la priorité à la fonction « paiement comptant » sur toute autre forme de règlement. Il nous faut désormais aller plus loin.

Afin de satisfaire une demande émise depuis plusieurs années, notamment par les associations de consommateurs, la séparation nette et entière de la carte de crédit et de la carte de fidélité doit être envisagée. Que l’offre promotionnelle puisse être, au final, la cause de charges insurmontables pour le bénéficiaire est un non-sens auquel il nous faut remédier.

Cette disposition était présente dans la proposition de loi du 10 mars 2009 déposée par Mme Bricq. Son insertion avait été demandée voilà deux ans, à l’occasion des débats parlementaires suivant un rapport de la Cour des comptes : celle-ci préconisait l’interdiction de ces cartes, estimant qu’elles participaient d’une confusion préjudiciable pour le consommateur.

Selon une enquête récente réalisée par une association de consommateurs, 60 % des cartes proposées en magasin associent encore fidélité et crédit. La proposition de séparer ces deux usages est de nouveau formulée dans le rapport de Mmes Dini et Escoffier. Il paraît en effet nécessaire de les découpler afin d’éviter que l’emprunteur ne rentre dans le crédit à son insu. Ce cheval de Troie du crédit renouvelable ouvre trop souvent la voie à une « cavalerie » de difficultés financières.

Il s’avère ensuite que les vendeurs disposent toujours d’une rémunération incitative. Si la loi a prévu que ces derniers ne peuvent plus être rémunérés en fonction du type de crédit souscrit, cette disposition n’est que partiellement opérante, notamment lorsque les enseignes ne proposent qu’un type de crédit, en l’occurrence renouvelable.

En pratique, on constate que la présentation de justificatifs pour la souscription d’un contrat de crédit relève en grande partie du déclaratif. Aucune pièce n’est requise lorsque le montant est inférieur à 1 000 euros. Pour un prêt supérieur, les documents demandés ne permettent pas d’appréhender réellement la solvabilité du souscripteur. Ne faudrait-il pas alors exiger la délivrance de pièces plus contraignantes, tout en envisageant un abaissement du plafond ?

En outre, l’obligation pour le vendeur de proposer, sur le lieu de vente, une offre de crédit amortissable comme alternative au crédit renouvelable dès lors que le montant dépasse 1 000 euros reste très peu appliquée.

Plus généralement, si les publicités sont désormais mieux encadrées, ce que confirme la DGCCRF, les sollicitations commerciales perdurent, et des anomalies persistent, telles que la présence de mentions valorisantes laissant à penser que ce type de crédit peut améliorer la situation financière de l’emprunteur.

Contrairement à ce que nous avions défendu, le démarchage commercial, qui s’apparente à une publicité passive, n’a pas été interdit. Cela est préjudiciable en premier lieu aux clients les plus fragiles, qui peuvent être la cible de relances régulières, parfois agressives, les incitant à un recours excessif à ce type de crédit.

Transversale à toutes ces irrégularités, encore nombreuses, la question du type de contrôle se pose. Il est établi que les autorités compétentes n’ont pas les moyens de leurs objectifs. Cette question est centrale.

Le contexte de crise que nous connaissons a entraîné une recomposition du secteur du crédit à la consommation, le crédit amortissable se substituant progressivement au crédit renouvelable.

Cette amélioration ne doit pas faire oublier que près de 250 000 dossiers de surendettement ont été déposés au dernier trimestre de 2011, soit une augmentation de 7 % par rapport à 2010. La hausse est de 21 % entre 2007 et 2011. Derrière chacun des 750 000 dossiers en cours d’instruction, il y a des ménages en situation de détresse financière, de malaise social et de souffrances psychologiques. Derrière chaque dossier, il y a un risque de « décrochage ».

Ces dernières années a été constatée une évolution très nette du profil des débiteurs concernés par les procédures de désendettement. Pour une part croissante d’entre eux, ils ne sont ni des « accidentés de la vie » ni des personnes ayant eu recours de manière excessive à des crédits, pour reprendre la typologie de M. Hyest. Ni « passifs » ni « actifs », il s’agit de ménages disposant de ressources devenues trop faibles d’un point de vue structurel, qui ne leur permettent plus de faire face à leurs charges courantes désormais insurmontables.

Ainsi, le nombre de surendettés bénéficiaires des revenus minimaux a sensiblement augmenté, tout comme celui des ménages ayant une capacité de remboursement inférieure ou égale à 540 euros ou de ceux qui ont une capacité de remboursement négative.

Bien évidemment, cette situation renvoie au contexte économique ainsi qu’à la problématique plus générale de l’accès au crédit, dont est privée une large partie de la population française, faute de revenus suffisants. Certaines offres adaptées à cette recomposition du marché du travail doivent être envisagées.

Mais plus de trente ans après la mise en place des commissions de surendettement, l’accompagnement social manque toujours à l’appel, et la loi de 2010 n’a pas assez pris en compte ce volet devenu plus que jamais prioritaire. Elle n’a pas répondu, ou l’a fait de façon embryonnaire, à l’objectif de prévention du surendettement et de protection pérenne de ces publics fragilisés. Et le renforcement des moyens humains au sein de la Banque de France, s’il était souhaitable, ne peut tenir lieu d’unique solution.

Les commissions et les procédures de surendettement ont été constituées au regard d’une réalité qui a sensiblement évolué. En conséquence, elles doivent connaître une restructuration et laisser plus de place à l’accompagnement social.

Les procédures de surendettement ont été rendues plus rapides – je pense au raccourcissement du délai d’examen de la recevabilité du dossier – et simplifiées par la « déjudiciarisation » des démarches, notamment par la création d’une procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire pour les situations « irrémédiablement compromises ». L’accélération ainsi permise constitue une avancée puisque tout allongement est, de fait, préjudiciable au débiteur, dont les intérêts continuent à courir.

Cependant, en rendant la procédure uniquement administrative, le juge étant cantonné à un simple contrôle de régularité, le débiteur voit son parcours banalisé et se retrouve éloigné d’une information pourtant nécessaire. Or près de quatre ménages surendettés sur dix redéposent un dossier. Il y a, de toute évidence, une carence du législateur à ce niveau que la loi n’a pas réglée.

Sans revenir sur l’ensemble des propositions formulées dans le rapport, je souhaite insister sur trois points spécifiques : le renouvellement de la composition des commissions, l’articulation entre le droit du surendettement et le droit au logement, et l’accompagnement social à tous les stades du surendettement.

En effet, si le profil des surendettés a évolué, la composition des commissions n’a pas suivi ces transformations.

Le droit de vote conféré par la loi de 2010 à la personne qualifiée en économie sociale et solidaire au sein des commissions n’a fait qu’entériner une pratique déjà existante et n’a donc pas contribué à la restructuration attendue.

Prévoir la participation des conseils généraux et de la caisse d’allocations familiales à la commission de surendettement, ainsi que cela est proposé dans le rapport, paraît un premier pas souhaitable.

Par ailleurs, l’articulation entre le droit relatif au surendettement et le droit au logement n’est toujours pas garantie. Actuellement, des ménages peuvent se voir expulser faute d’avoir payé leur loyer alors même que la commission de surendettement leur interdit le paiement des dettes.

Une nouvelle fois, parce que la procédure telle qu’elle a été prévue à l’origine ne considère pas le surendettement comme un problème de précarité sociale, le maintien de la personne surendettée dans son logement et la suspension des mesures d’expulsion n’ont pas été rendus possibles. Lorsque le paiement permet la conservation du logement, il pourrait être envisagé que le débiteur puisse payer ses dettes de logement, et ce malgré la décision de recevabilité.

L’introduction de modules d’éducation budgétaire dès l’école primaire ne me paraît pas constituer une réponse à ce difficile problème. Il vaudrait sans doute mieux développer une éducation au message publicitaire et à sa lecture critique,…

Mme Muguette Dini, rapporteur. Les deux voies doivent être développées !

Mme Françoise Cartron. … favoriser la réflexion sur une société de surconsommation présentée comme une source de bonheur et de réussite à tout prix.

Mais il est vrai que l’information fait cruellement défaut lorsque les premières difficultés financières apparaissent, au moment du « malendettement ». J’ai souvent pu le constater lorsque j’étais maire. Aussi un travail de détection et d’accompagnement modulé en fonction de l’importance des difficultés doit-il être envisagé.

En cas de « redépôt » – qui traduit au final l’échec de la procédure initiale –, la nomination d’un référent social est souhaitable, à la fois pour que le débiteur ait une connaissance plus fine de la procédure dans laquelle il est engagé et pour que soit assuré un suivi budgétaire, afin de parvenir à une maîtrise des dépenses engagées compatible avec le projet de vie.

En conclusion, quelles mesures correctives ou complémentaires entendez-vous mettre en œuvre, monsieur le ministre, afin, d’une part, de prévenir la souscription de crédits dangereux, et, d’autre part, d’améliorer sensiblement le suivi social des débiteurs impliqués dans des procédures lourdes, l’objectif devant bien entendu être de permettre aux ménages concernés de rebondir le plus rapidement et le plus durablement possible ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je m’attacherai à répondre aux interrogations des intervenants et à évoquer les préconisations du rapport de Mme Dini et de Mme Escoffier, devenue ma collègue au Gouvernement, quant à un meilleur encadrement du crédit à la consommation et au traitement des situations de surendettement des particuliers.

En préambule, je tiens à souligner, monsieur Assouline, le rôle particulièrement utile joué par la commission pour le contrôle de l'application des lois que vous présidez : elle permet à la Haute Assemblée d'évaluer le bien-fondé des choix politiques qui ont été faits dans le passé et de vérifier que les lois sont mises en œuvre conformément aux intentions du législateur. Son travail permet en outre de mettre en évidence que, à l'occasion d'une alternance, il est préférable, pour le nouveau gouvernement, de tirer le meilleur de ce qui a pu être mis en place auparavant, plutôt que d’en faire table rase.

En l'occurrence, je m’inspirerai, pour élaborer le texte que je vous soumettrai l’année prochaine, du travail considérable accompli par le Sénat, en matière d’encadrement du crédit à la consommation et du crédit renouvelable et, plus largement, de droit de la consommation, lorsqu’il a amendé, sur de nombreux points, le projet de loi relatif à la consommation préparé par mon prédécesseur.

Mme Archimbaud et M. Le Cam, en particulier, ont évoqué la Banque de France. L’objectif, aujourd'hui, n'est pas de « réduire la voilure » en matière de prise en charge et d'accueil des personnes surendettées, même si les contraintes nouvelles liées au respect de la trajectoire de réduction de nos déficits publics concernent aussi la Banque de France. Les efforts engagés en vue de la dématérialisation des procédures ne doivent pas faire oublier que l'accueil des personnes surendettées reste une priorité, mise en œuvre selon des critères simples : dès lors qu’il y a plus de 1 000 dossiers déposés par an, un guichet doit être maintenu pour recevoir les personnes surendettées. La modernisation des modalités d'action de la Banque de France ne se fera pas au détriment de cette mission fondamentale d'accueil et son périmètre d’intervention demeurera inchangé ; j'aurai l'occasion de revenir sur ce point.

Je veux vous rassurer, monsieur Le Cam, concernant les moyens de la DGCCRF, qui ont été considérablement amoindris par la mise en œuvre de la RGPP, combinée à la réorganisation des services sur le terrain. Nous constatons aujourd'hui que, dans près de 30 % des départements, les services de la DGCCRF comptent moins de neuf agents, et moins de douze dans la moitié d’entre eux. Au regard des missions nouvelles attribuées à la DGCCRF, liées notamment à la transposition d'un certain nombre de textes européens, la polyvalence a objectivement ses limites. Si nous ne voulons pas nous retrouver demain confrontés à de sérieux problèmes en matière de santé publique, qui découleraient directement de la réduction du nombre d’agents sur le terrain et des moyens de cette administration, il convient de ne pas mettre davantage celle-ci à contribution ! C'est pourquoi les effectifs de la DGCCRF seront strictement maintenus dans le projet de loi de finances pour 2013 : il n'y aura pas une seule suppression d'emploi en équivalent temps plein. Le Gouvernement entend ainsi préserver les capacités opérationnelles sur le terrain, conformément aux demandes tant des organisations syndicales que de la direction de cette administration éminente, chargée d’une mission de service public extrêmement importante. On ne peut pas à la fois vouloir accroître la protection des droits des consommateurs et réduire les effectifs de la DGCCRF.

M. Guerriau m'a invité à m’exprimer sur la question des actions de groupe, les class actions « à la française », ce qualificatif marquant une volonté de prendre ses distances avec le modèle américain, qui a surtout enrichi les cabinets d'avocats, sans pour autant se révéler particulièrement efficace en matière de réparation des préjudices subis par les consommateurs.

Lors du conseil des ministres de la semaine dernière, j’ai présenté avec le ministre de l'économie et des finances une communication sur l'ordre public économique, traduisant notre volonté de protéger, dans les relations contractuelles, la partie la plus faible, à savoir le consommateur. Nous estimons qu’il manque, dans le droit français, un instrument de recours susceptible de permettre aux consommateurs, lorsqu'ils subissent un préjudice économique, de mutualiser leurs plaintes, de se rassembler pour obtenir réparation : c’est l'action de groupe à la française. Les présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy avaient souhaité mettre en œuvre un tel dispositif, mais n’avaient pu le faire. Nous avons décidé de l’inscrire dans le projet de loi relatif à la consommation que je vous présenterai au premier semestre de 2013 : il en sera l’un des éléments essentiels et permettra de mieux protéger les consommateurs en comblant le « trou dans la raquette » que constitue l’absence, dans notre droit, de voie de recours collectif ex post. Trop souvent, pour l’heure, les consommateurs renoncent à demander réparation pour de petits préjudices, faute d’avoir la possibilité de se regrouper pour intenter une action en justice contre de grandes entreprises.

Mme Taubira, garde des sceaux, M. Moscovici, ministre de l'économie et des finances, et moi-même entendons limiter le champ d'application de ce dispositif à la réparation des préjudices économiques et matériels. En matière de procédure, retiendra-t-on le principe de l’opt in, fondé sur une démarche d’adhésion de chaque consommateur lésé, ou celui de l’opt out, tout consommateur concerné par le préjudice étant automatiquement associé à la procédure, sauf volonté contraire de sa part ? Le champ d'application doit-il être limité aux préjudices économiques, option qui, je ne vous le cache pas, a ma préférence, ou être étendu aux domaines de la santé et de l'environnement ? Faut-il prévoir l’intervention systématique d’associations de consommateurs agréées ? Faut-il, comme je le crois souhaitable, prévoir le filtre du juge ?

Ces points, parmi d’autres, seront débattus avec le Parlement. J'ai d'ores et déjà engagé une concertation avec le Conseil national de la consommation, le CNC, sur cette question de l'action de groupe à la française, qui, au-delà, devra être abordée avec l'ensemble du mouvement consumériste et avec les organisations professionnelles. J'ai signifié à l’Association française des entreprises privées, l’AFEP, au MEDEF et à la CGPME notre volonté d'avancer sur ce dossier. Je connais les résistances et les inquiétudes : nous essayerons de vaincre les premières autant que faire se peut et d’apaiser les secondes. Je souhaite que, en lien avec le mouvement consumériste, nous puissions mettre en place un instrument nouveau de protection des consommateurs, l’objectif étant, bien entendu, non pas de pénaliser l'activité, mais de redistribuer la rente économique quand elle procède de pratiques anticoncurrentielles. Dans une période de tension sur le pouvoir d'achat, cela ne peut qu’avoir un effet positif sur la demande et, partant, l'activité économique.

Voilà où en est notre réflexion sur l'action de groupe. Le projet de loi relatif à la consommation traitera, en outre, des moyens de sanction administrative que nous proposerons de donner à la DGCCRF pour que la répression des infractions ne passe pas forcément par le juge. Il faut élargir la palette des outils à la disposition de cette administration. Nous souhaitons comme vous, madame la rapporteur, que ses agents puissent à l’avenir intervenir en tant que clients « mystères », sans être obligés de notifier leur qualité lorsqu'ils viennent vérifier la bonne mise en œuvre de la loi. Le projet de loi abordera aussi la question des indications géographiques pour les produits manufacturés, à la suite de l’affaire des couteaux Laguiole, et comportera nombre d’autres dispositions, relatives en particulier aux clauses abusives dans les contrats.

En tout état de cause, ce texte s’inspirera, pour l'essentiel de son contenu, des travaux que vous avez menés ces dernières années. Concernant l'action de groupe, je souhaite qu’un consensus puisse se dégager : sur ce sujet, il est à mes yeux essentiel d’avancer en bonne intelligence avec les représentants des entreprises et ceux des consommateurs.

Je coprésiderai avec le ministre de l'économie et des finances, dans le cadre de la Conférence nationale contre la pauvreté et pour l'inclusion sociale, une table ronde sur l’inclusion bancaire et la lutte contre le surendettement. Un groupe de travail présidé par François Soulage, le président du Secours catholique, prépare d'ores et déjà cette table ronde. Ces travaux, tout comme votre rapport, madame Dini, nourrissent ma réflexion et celle de Pierre Moscovici, qui déposera prochainement un projet de loi bancaire reprenant un certain nombre de vos propositions en matière de lutte contre le surendettement.

Le crédit à la consommation n’est évidemment pas un produit marginal, comme l’a notamment rappelé M. Fouché, puisqu’il concerne plus de 8 millions de ménages, soit un ménage sur trois, et représente 150 milliards d'euros d'encours. Il joue un rôle important dans l'économie française, puisqu'il permet à bon nombre de ménages de s'équiper et de réaliser certaines dépenses en temps opportun. Incontestablement, il soutient la consommation à un moment où les trois moteurs de la croissance sont sérieusement grippés, voire éteints.

Le premier de ces moteurs est celui des exportations : il est inutile de revenir sur la situation de déficit de la balance commerciale de notre pays.

Le deuxième, celui des investissements, est affecté, en particulier, par la restriction des marges des entreprises en période de crise.

Le troisième, enfin, celui de la consommation, connaît un coup de froid depuis le dernier trimestre de 2011, confirmé au cours de l'année 2012. Nous avons notamment pu constater une contraction du revenu arbitral disponible des ménages, c'est-à-dire de leur capacité à consommer une fois acquittées les factures incompressibles. Cette contraction du revenu arbitral implique une diminution du pouvoir d'achat des ménages.

Cela dit, si l’intérêt économique du crédit à la consommation n’est pas contestable, sa problématique ne se résume à sa dimension macroéconomique, car elle recouvre une autre réalité, celle du surendettement. En effet, plusieurs d’entre vous l’ont rappelé, dans les dossiers de surendettement, on trouve toujours plusieurs crédits à la consommation, et souvent plusieurs crédits renouvelables.

Comment faire en sorte que la loi Lagarde soit mieux appliquée ? Comment encadrer de manière beaucoup plus efficace le crédit revolving ? Comment lutter plus efficacement contre le drame du surendettement, qui précipite parfois des familles entières dans des situations sociales inextricables et, dans les cas les plus tragiques, peut pousser au suicide ?

Notre responsabilité est donc à la fois économique et sociale : nous devons lutter contre le surendettement, parce qu’il conduit à des drames humains et sociaux, et, dans le même temps, préserver la capacité de notre économie à garantir un niveau de consommation suffisant pour maintenir la croissance à un taux acceptable. C’est en fonction de cet équilibre que s’oriente le travail du Gouvernement pour apporter des réponses à la question de l’encadrement du crédit à la consommation et à celle de la lutte contre le surendettement des ménages.

Madame Dini, j’en viens maintenant plus précisément aux propositions que Mme Escoffier et vous-même avez formulées dans votre rapport.

Vous avez estimé que la loi de 2010 était une réforme ambitieuse mais inachevée. À bien des égards, le Gouvernement partage votre avis. Je n’oublie pas que le caractère ambitieux de cette réforme tient aussi au travail accompli par le Parlement, notamment le Sénat, qui a permis de « muscler » la rédaction initiale du texte.

Comme vous, nous pensons que l’interprétation restrictive que les professionnels font aujourd'hui de la loi n’a pas permis que la distribution du crédit à la consommation devienne aussi responsable qu’elle devrait l’être.

Néanmoins, la réforme a objectivement produit des effets positifs sur le terrain et permis d’atteindre un certain nombre d’objectifs.

Ainsi, le fait que le paiement au comptant soit désormais l’option par défaut a eu une incidence directe sur le nombre des transactions à crédit, qui a été divisé par plus de trois entre 2007 et 2012.

Par ailleurs, les prix du crédit baissent. Le taux d’intérêt moyen applicable a ainsi diminué de 15,41 % à 14,9 % pour le crédit renouvelable. Cette évolution peut être jugée trop modeste, mais elle représente néanmoins un effet positif de la loi Lagarde.

Enfin, l’application de la nouvelle règle de l’amortissement minimum a eu une incidence immédiate, l’accélération du remboursement des crédits renouvelables en réduisant automatiquement le coût pour les consommateurs.

Toutefois, toutes les pratiques ne sont pas encore totalement responsables, et j’ai constaté comme vous que certains professionnels font de la loi une interprétation restrictive.

Tout d’abord, l’alternative entre crédit amortissable et crédit renouvelable n’est pas toujours effectivement présentée, ce qui explique que les consommateurs souscrivent des crédits renouvelables dans neuf cas sur dix. Les conditions d’information des consommateurs sur l’alternative entre crédit amortissable et crédit renouvelable doivent donc sans aucun doute être revues.

En outre, les contrats sont devenus tellement volumineux qu’ils manquent souvent de lisibilité. Si l’allongement considérable de la durée des entretiens commerciaux – à hauteur de 60 % en magasin – est, dans l’absolu, a priori positif, il peut cependant s’avérer lourd et fastidieux, sans que le consommateur soit pour autant forcément mieux informé qu’il ne l’était auparavant.

Enfin, la fiche de dialogue qui recense les ressources et les charges du consommateur avant l’octroi du prêt est largement déclarative. Or un certain nombre de consommateurs mentent et contractent de ce fait le crédit « de trop ». Pour notre part, nous estimons que la responsabilité de la souscription de ce dernier doit incomber davantage au professionnel qu’au consommateur. Il y a des progrès à faire dans ce domaine, et nous réfléchissons à la mise en œuvre d’un registre national du crédit, ce fameux fichier positif qui, s’il ne fait nulle part l’unanimité, a des partisans partout ! Nous essaierons donc de construire la réponse la plus vertueuse possible, dans l’intérêt du consommateur, sans pour autant oublier celui des établissements de crédit, de manière à prévenir l’apparition de ces situations de surendettement qui minent des dizaines de milliers de familles françaises.

La réforme produit également certains effets structurels, qui se traduisent par un repositionnement du crédit renouvelable, conformément à l’un des principaux objectifs de la loi Lagarde.

Ainsi, à la fin de mars 2012, les encours de crédit à la consommation étaient en baisse de 1,3 % sur un an : ceux des prêts personnels connaissant parallèlement une hausse, cela signifie que cette baisse repose largement sur un recul du crédit renouvelable, ce qui est un point positif.

Le crédit renouvelable se recentre sur les prêts de faible montant, conformément à sa vocation. En outre, les durées de remboursement diminuent, les taux baissent, fût-ce modestement, et le nombre de clôtures de contrat a fortement augmenté.

Ces effets poussent les établissements spécialisés dans le crédit à la consommation à revoir leur modèle économique. Leurs représentants, que j’ai reçus, ont invoqué les menaces que ferait peser sur eux un encadrement trop strict du crédit renouvelable. Je n’ignore pas que les établissements de crédit qui proposent des produits de crédit renouvelable ont pour objectif de gagner de l’argent, mais je souhaite qu’ils en gagnent moins au détriment de consommateurs mal informés, éventuellement mal avisés, mais aussi parfois quelque peu abusés par des pratiques de démarchage assez agressives, entretenant délibérément une confusion entre cartes de fidélité et crédit renouvelable, par exemple, et par une information ne leur permettant pas forcément de faire le choix le plus approprié.

Nous devrons donc travailler ensemble à améliorer l’encadrement du crédit renouvelable au bénéfice des consommateurs, sans provoquer un tarissement du crédit à la consommation ni fragiliser ce secteur économique.

Le Sénat estime que la loi a été interprétée de façon trop restrictive et qu’il est donc nécessaire d’aller aujourd'hui plus loin que ne l’avait initialement souhaité le législateur, afin de renforcer encore la protection du consommateur.

Du rapport sénatorial, je retiens trois propositions principales : le découplage des cartes de paiement et de fidélité, d’ores et déjà pratiqué par les établissements de crédit et plusieurs grandes enseignes ; l’interdiction du démarchage commercial pour le crédit renouvelable ; la possibilité, pour les agents de la DGCCRF, d’effectuer des contrôles « mystères » auprès des forces de vente des établissements de crédit, sans avoir à notifier leur qualité.

Le rapport de la commission pour le contrôle de l’application des lois contient également des propositions complémentaires.

S’agissant des justificatifs permettant d’évaluer la solvabilité de l’emprunteur, prévoir la remise des trois derniers relevés de compte bancaire me semble quelque peu excessif. De surcroît, l’établissement de crédit se verrait ainsi transmettre des informations très étendues sur les dépenses de son client. Il serait à mon avis préférable d’instaurer un registre national du crédit, afin d’éviter une telle « mise à nu » du consommateur ; nous aurons l’occasion d’en débattre.

En ce qui concerne l’interdiction de la rémunération des vendeurs liée au placement d’un crédit ou l’interdiction des rabais liés à l’acceptation d’une offre de crédit, il s’agit là, me semble-t-il, de propositions intéressantes.

Les constats posés par le Comité consultatif du secteur financier dans l’étude d’impact qu’il a publiée à l’occasion du premier anniversaire de l’entrée en vigueur de la loi rejoignent en partie ceux du Sénat.

Cette étude met l’accent sur trois points.

En premier lieu, elle évoque la possibilité ou l’obligation, pour le prêteur, de proposer un crédit amortissable à la place du crédit renouvelable pour un montant supérieur à un seuil qui a été fixé par décret à 1 000 euros.

En deuxième lieu, elle souligne que la nature juridique des formules dites « N fois sans frais », notamment des formules « gratuites », dont les frais sont pris en charge par le prêteur lors de la première utilisation, mais pas lors des utilisations suivantes, n’apparaît pas clairement dans les dépliants disponibles, ce qui peut être source de confusion pour le consommateur.

En troisième lieu, le Comité consultatif du secteur financier propose que soit engagée une réflexion sur les cartes de fidélité et de crédit, en particulier sur la définition de la notion de fidélité, qui ne figure pas dans la loi et peut recouvrir des réalités différentes d’une enseigne à une autre, en particulier en ouvrant droit à des avantages non pécuniaires. La loi de 2010 avait déjà délié l’octroi d’avantages commerciaux du mode de paiement – comptant ou à crédit –, mais il faudra sans doute progresser encore sur ce point.

Il convient aujourd’hui de considérer tous les instruments à la disposition du Gouvernement pour renforcer la protection du consommateur dans ce domaine et, surtout, d’étudier le moyen le plus efficace en vue de parvenir à concilier l’utilisation du crédit à la consommation, qui se justifie sur le plan économique, et la nécessaire prévention du surendettement, afin de protéger les publics les plus vulnérables.

Concernant le volet relatif au surendettement de la loi Lagarde, celle-ci a rendu la procédure plus fluide, sans atteindre, selon vous, l’objectif de prévention visé.

Comme vous le soulignez, la loi a amélioré la fluidité des procédures, notamment en permettant aux commissions de surendettement d’imposer des mesures, par exemple en matière de rééchelonnement du paiement des dettes, sans intervention du juge.

Surtout, la loi Lagarde a créé la procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire, qui débouche sur l’effacement des dettes du débiteur.

Enfin, elle a renforcé la protection des débiteurs sur plusieurs aspects. Ainsi, les voies d’exécution sont automatiquement suspendues dès que la recevabilité du dossier de surendettement a été reconnue, ce qui est très important. La commission peut saisir le juge pour prononcer la suspension des procédures d’expulsion du logement. En outre, afin de favoriser le rebond des personnes surendettées, la durée maximale des plans et des mesures de surendettement a été réduite de dix à huit ans et celle de l’inscription au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers a été limitée à cinq ans.

Cependant, la loi n’a malheureusement pas réussi à infléchir la tendance à l’augmentation du nombre des dépôts de dossiers de surendettement : 232 493 dossiers ont ainsi été déposés en 2011. Le stock de dossiers en attente est par ailleurs extrêmement important et l’inflexion à la baisse enregistrée l’année dernière doit encore se confirmer sur les derniers mois. En tout état de cause, cette situation reflète la période de crise que nous traversons : les ménages ont davantage recouru au crédit à la consommation quand leurs revenus ne leur permettaient plus de couvrir des dépenses incompressibles, le cas le plus préoccupant étant celui des emprunteurs qui souscrivent un crédit à la consommation pour en rembourser un autre… Une telle course à la trésorerie marque l’entrée dans la spirale du surendettement. Nous voulons lutter contre de telles dérives.

Toutefois, comme il est souligné dans votre rapport, madame Dini, l’augmentation du nombre de dossiers n’est pas due à l’échec de l’application de la loi en termes de prévention, les dossiers déposés aujourd’hui ne contenant que peu de crédits à la consommation contractés après l’entrée en vigueur de celle-ci. Cela ne doit cependant pas nous empêcher de réfléchir à la manière d’améliorer les moyens de la lutte contre le surendettement.

Le Sénat propose trois axes de réforme : des aménagements de la procédure, une amélioration de l’articulation avec les procédures en matière de logement, l’engagement d’un effort en matière d’accompagnement des personnes surendettées et de prévention du surendettement. Je soutiens ces propositions.

Ainsi, en ce qui concerne l’aménagement de la procédure, je suis favorable à l’avancement de la date d’arrêté définitif du passif au moment de la décision de recevabilité, le mécanisme actuel étant lourd à gérer et défavorable aux personnes surendettées.

Permettre aux commissions de se dispenser d’élaborer un plan amiable quand la recherche d’un accord est vouée à l’échec, afin d’accélérer la procédure, me semble également positif.

Je suis en revanche plus réservé sur d’autres préconisations du Sénat, notamment l’allongement à dix-huit mois de la durée maximale de suspension des procédures d’exécution après la déclaration de recevabilité. Compte tenu de la durée de certaines procédures, il peut effectivement s’écouler plus d’un an entre la déclaration de recevabilité et la mise en place des mesures de traitement. Il me semble préférable de prévoir que les procédures d’exécution soient suspendues jusqu’à cette dernière.

Je suis également réservé quant à l’alignement de la durée d’inscription au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers sur la durée des mesures de traitement, soit huit ans. Je pense que la radiation anticipée du FICP au bout de cinq ans, prévue par la loi Lagarde afin de faciliter le rebond des personnes surendettées, n’entraîne pas automatiquement la possibilité de souscrire un nouveau crédit, une telle souscription demeurant conditionnée à l’autorisation de la commission pendant toute la durée des mesures de traitement. Revenir sur cette possibilité de radiation anticipée serait à mon sens défavorable aux personnes surendettées.

Une meilleure articulation de la procédure de traitement du surendettement avec les procédures en matière de logement est nécessaire. Il s’agit là d’une vraie difficulté, qui n’avait pas été anticipée jusqu’alors.

Enfin, la mise en place de véritables mesures de prévention du surendettement et d’accompagnement social des personnes surendettées est une priorité retenue par le Gouvernement.

Je conclurai mon intervention en abordant la question du fichier positif, le registre national des crédits.

Comme vous le savez, un comité de préfiguration d’un tel répertoire a été mis en œuvre à la suite du vote de la loi Lagarde. Du rapport qu’il a remis le 2 août 2011, comme d’ailleurs des différentes consultations auxquelles j’ai procédé, je retiens plusieurs choses.

Tout d’abord, comme vous l’avez souligné, un tel répertoire serait une source supplémentaire de renseignements sur la solvabilité des emprunteurs. En ce sens, il constituerait pour le consommateur une protection de plus contre la souscription du crédit « de trop ».

À cet égard, comme l’a rappelé François Hollande lors de sa campagne pour l’élection présidentielle, il importe « de responsabiliser le banquier pour qu’il n’accorde pas les crédits alors que la personne ne pourra plus les rembourser et aussi de maîtriser la situation de la personne endettée pour intervenir au bon moment ». Cet équilibre est essentiel car, comme vous le savez, 78 % des ménages surendettés ont contracté plus de huit crédits différents, et 52 % plus de dix !

Enfin, la création d’un tel répertoire constituerait un pas vers une plus grande responsabilisation des prêteurs. Je rappelle que ce registre existe dans une très grande majorité de pays développés.

Pour autant, il convient d’approfondir la réflexion. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, soit saisie de toute mesure qui pourrait, dans le cadre de la mise en œuvre d’un tel registre, attenter aux libertés fondamentales, la CNIL tranchant en dernier ressort.

La question du coût sera évidemment importante. Les évaluations méritent d’être précisées, car elles varient fortement, entre 40 millions et 500 millions d’euros. Les hypothèses apparaissent suffisamment élastiques pour que l’on puisse espérer trouver un juste milieu, en deçà de 500 millions d’euros.

La question du choix technique de l’identifiant, entre le numéro NIR d’inscription au répertoire des personnes physiques et celui du fichier des comptes bancaires, se pose également. Elle n’est pas neutre, je le sais bien ! Il nous reste du travail à accomplir ensemble, en liaison avec le mouvement consumériste et les professionnels. Les consultations auront lieu d’ici à la fin de l’année, de façon que le Gouvernement puisse être prêt à proposer, le cas échéant, que le registre national du crédit soit retenu parmi les instruments de lutte contre le surendettement.

Sur toutes ces questions, le Gouvernement vous fera des propositions au travers du projet de loi bancaire que vous présentera Pierre Moscovici et du projet de loi relatif à la consommation que je vous soumettrai.

Quoi qu’il en soit, je puis vous assurer que le travail que vous avez accompli sera extrêmement utile au Gouvernement pour améliorer la protection des consommateurs et concevoir un ordre public économique qui leur soit plus favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le crédit à la consommation et le surendettement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Claude Carle.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Carle

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

9

Débat sur les inondations dans le Var et le sud-est de la France en novembre 2011

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les inondations qui se sont produites dans le Var et, plus largement, dans le sud-est de la France au mois de novembre 2011 (demande de la mission commune d’information).

La parole est à M. le rapporteur de la mission commune d’information.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur de la mission commune d’information sur les inondations dans le Var. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Var a vécu, à seize mois d’intervalle, en juin 2010 et en novembre 2011, deux inondations catastrophiques majeures. Le bilan de la première s’élève à vingt-trois morts, deux disparus et 1,2 milliard d’euros de dégâts, la seconde, qui s’est étendue sur plusieurs départements du sud-est de la France, a causé quatre morts et entre 500 millions et 800 millions d’euros de dommages.

Au départ donc, il s’agit d’un problème localisé et spécifique, n’appelant pas un débat général tel que celui-ci.

À l’arrivée, nous sommes face à un champ d’analyse dépassant largement le cas varois et décalé par rapport aux problématiques classiques des « retours d’expérience » et autres rapports suivant chaque événement catastrophique majeur comme son ombre.

Autrement dit, les événements varois et régionaux nous ont amenés à reconsidérer l’ensemble de notre politique de lutte contre l’inondation, sa logique, ses présupposés, seule manière de comprendre son efficacité réelle dans certains domaines et ses maigres résultats dans d’autres.

C’est sur les conclusions et les préconisations générales issues de notre travail, et non sur les spécificités du Var ou même des départements soumis aux régimes méditerranéen et cévenol, que je reviendrai, en simplifiant, rassurez-vous, le contenu d’un rapport de 291 pages, hors annexes…

L’explication de ce « glissement » tient à l’accumulation des surprises pour les non-spécialistes, surprises pouvant conduire à des conclusions fleurant l’hérésie. Je vous prie, par avance, de nous en absoudre.

Par souci de clarté, je rangerai ces constats et ces conclusions selon les rubriques habituelles : la crise et sa gestion, la post-crise, la politique de prévention, qui a fait l’essentiel de nos préoccupations.

Concernant la crise et sa gestion, on peut dire que, globalement, le dispositif français de gestion de crise, même s’il peut et doit être encore amélioré – on va le voir –, fonctionne de manière satisfaisante.

Il faut dire que la collectivité y met le prix : 5,7 milliards d’euros, dont 4,7 milliards d’euros à la charge des collectivités territoriales, en 2011. Même si les préoccupations de la protection civile dépassent largement la lutte contre l’inondation, c’est quand même de l’ordre de vingt fois plus que les dépenses annuelles de prévention active de l’inondation au titre des investissements et de l’entretien.

La surprise pour nous a été de constater qu’il n’y avait pas une, mais deux sortes de crises : les crises bien répertoriées, dont on a la pratique régulière, et celles que l’on n’imagine même pas, telle l’inondation varoise de juin 2010, totalement différente de celle intervenue en novembre 2011.

Sans entrer dans le détail, disons, pour faire simple, que l’inondation varoise de 2010, brutale, se déployant selon un procès inconnu des modèles, désorganisatrice des communications et des services de secours, a renvoyé les acteurs, particulièrement les acteurs locaux, à leurs capacités de réaction et aux moyens qu’ils pouvaient mobiliser. On est loin de la gestion de crise pilotée par le préfet et exécutée par les services spécialisés. Quand il n’y a plus de communications, que l’essentiel des moyens est sous l’eau, l’application des planifications réglementaires devient particulièrement délicate !

En revanche, dix-huit mois plus tard, l’inondation a eu le bon goût de respecter le règlement… D’où il fut déduit qu’il était excellent et ne méritait pas d’être revu !

Mais la question demeure : peut-on continuer à penser et à organiser la gestion de crise sans tenir compte de cette dualité ? Pensant que non, nous préconisons, avec de plus en plus d’analystes des crises majeures, comme Patrick Lagadec, que nous avons auditionné, d’accorder plus de place, dans la gestion de crise et sa préparation, à la mobilisation de l’initiative et des moyens locaux, d’associer, pour chaque séquence de la crise ― prévision, alerte, mise en œuvre des secours ―, les élus locaux et les organisations de volontaires, comme cela se pratique dans certains pays, tels que l’Italie, et comme cela s’est pratiqué spontanément en 2010 dans le Var, avec la mobilisation autour des maires des comités communaux de lutte contre les feux de forêt locaux, qui sont une particularité du Var et de quelques autres départements du sud-est de la France.

Sans remettre en cause le rôle du préfet de département, si spécifique à l’organisation française, cela représenterait un perfectionnement du dispositif de gestion de crise ainsi qu’un vecteur de diffusion de cette insaisissable « culture du risque », dont l’absence est l’objet de déplorations rituelles dans les rapports.

Pour le reste et de manière plus classique, l’effort nous semble devoir aussi porter, essentiellement, sur l’équipement du territoire en stations de mesures, de surveillance des crues ainsi qu’en radars, en nombre très insuffisant dans le Var en 2010, sur le renforcement de la coordination entre les services de prévision des crues, des submersions et les services météorologiques, sur la fiabilisation et le durcissement des systèmes de communication ― faire reposer à ce point les moyens de communication des services sur le téléphone portable est un peu léger ―, sur l’amélioration de la qualité des messages et de leur diffusion. Le problème, c’est que plus la prévision est sûre, moins elle est précise et donc susceptible de déclencher le comportement attendu. Savoir que vous êtes en alerte orange vous fait souvent un beau parapluie !

En ce qui concerne la post-crise, améliorer la gestion de l’immédiat après-crise nous est apparu comme une absolue nécessité, tant ont été nombreuses les critiques sur la manière dont elle est généralement conduite, émanant aussi bien des élus que des sinistrés. Que ces critiques soient parfois injustifiées révèle au minimum un déficit de communication. L’impression demeure qu’une fois le danger écarté, les solutions provisoires trouvées, la pression retombée, le cours des choses reprend son rythme, le tempo de l’administration éternelle se remet à battre.

Notre première préconisation, qui correspond à une revendication récurrente du terrain, est donc de créer systématiquement des comités de suivi post-inondation et, surtout, de les réunir régulièrement. C’est le moyen de lutter contre les dysfonctionnements du système d’indemnisation.

Notre deuxième préconisation est d’améliorer le système d’indemnisation, pour l’essentiel de type assuranciel – il s’agit du régime des catastrophes naturelles –, complété par divers dispositifs comme le Fonds national de gestion des risques en agriculture, le FNGRA, pour les agriculteurs, le programme 122 du budget général de l’État, les interventions du régime social des indépendants, le RSI, du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, des régions et des départements au titre de la solidarité.

Pour donner un ordre d’idées, le régime des catastrophes naturelles représente en moyenne annuelle 530 millions d’euros d’indemnisations et 775 millions d’euros de cotisations, hors surprime servant à abonder le Fonds « Barnier » de prévention des risques naturels majeurs. Dans le projet de loi de finances pour 2012, le programme 122 destiné à l’indemnisation des collectivités territoriales pour les dégâts aux biens non assurables s’élevait à 15 millions d’euros.

Nos préconisations visent à améliorer la situation des collectivités sinistrées en rendant automatique le remboursement anticipé de la TVA pour les travaux de reconstruction – il est de droit, mais un décret est nécessaire et sa mise en œuvre en est souvent retardée de quelques mois –, en clarifiant ce qui est indemnisable par l’État, en facilitant la mobilisation des crédits du programme 122.

À l’heure actuelle, les communes varoises sinistrées en 2011 ne savent même pas à quelle hauteur elles pourront être indemnisées. Tous les autres financeurs attendent, et les travaux avec eux…

Ces préconisations envisagent aussi une clarification et une simplification des régimes assuranciels et du régime des calamités agricoles.

Nous proposons enfin quelques améliorations du régime des catastrophes naturelles dans le sens d’une plus grande responsabilisation des assurés et des assureurs, sans remettre en question le caractère fondamentalement solidaire du dispositif. Faute de temps, je vous renvoie, pour le détail, à notre rapport.

Venons-en maintenant à la prévention.

D’évidence, en matière de lutte contre l’inondation, s’il y a en France une politique de gestion des crises et, malgré ses ratés, une politique de réparation que nombre de pays nous envient, il n’y a pas de politique de prévention. En effet, on ne peut appeler « politique » un assemblage mal coordonné de dispositifs sectoriels, financés de manière aléatoire et qui parfois se neutralisent. Résultat : à l’objectif théorique grandiose d’assurer partout une protection totale – mais non définie – répond une mise en œuvre languissante, souvent conflictuelle, alors que les objectifs sont souvent partagés par tous. Le conflit surgit entre les services de l’État et les élus, mais aussi entre ces deux instances et une population qui n’entend pas quitter ses lieux de vie, même après avoir été totalement sinistrée et bien indemnisée.

Les piles de rapports et de retours d’expérience qui suivent les inondations ont tout dit, même les lieux des futures catastrophes. Cependant, dans le meilleur des cas, il en est tenu compte seulement là où la catastrophe, voire une répétition de catastrophes, s’est produite, jamais ailleurs, même à situation comparable. Jamais de prévision : sans catastrophe majeure, pas d’actions de prévention.

Partout les choses avancent lentement, partout elles se heurtent aux mêmes difficultés. Partout la mise en œuvre d’opérateurs susceptibles de porter une politique active d’investissement, d’entretien, d’information et d’éducation au risque a tardé et, souvent, n’existe pas encore.

La première raison de cette situation est évidemment financière. Les dépenses moyennes annuelles de la prévention active – pour les investissements et l’entretien – sont estimées entre 250 millions et 300 millions d’euros. On pourra comparer ces chiffres à ceux que j’ai cités précédemment. Ces dépenses sont assurées aux deux tiers par les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale, soit dit en étant généreux avec l’État, dont la contribution est financée, pour un tiers, par les assurés au régime des catastrophes naturelles à travers le fonds « Barnier » et, pour un autre tiers, par les agences de l’eau, c’est-à-dire par le consommateur. Le financement de la prévention contre l’inondation apparaît donc aussi comme un exercice de camouflage financier particulièrement réussi.

Le corollaire en est que cette politique, c’est beaucoup de réglementation, notamment avec les plans de prévention du risque inondation, les PPRI, peu d’aménagements – au travers des programmes d'action de prévention des inondations, les PAPI, et du plan « grands fleuves », dont une partie est financée par les collectivités territoriales alors qu’il s’agit de cours d’eau domaniaux. C’est d’abord une politique de l’interdit en matière d’urbanisme, tandis que les Pays-Bas, au contraire, privilégient l’aménagement et l’entretien.

La seconde raison de l’atonie de cette politique de prévention, c’est l’absence de visibilité, pour les élus et les services déconcentrés de l’État, quant à l’étendue de leur responsabilité et des conditions dans lesquelles elle pourra être recherchée. C’est, avec les incertitudes en matière de financement, le principal frein à la mise en œuvre d’une politique dynamique de prévention du risque d’inondation en France.

La tendance est même à un glissement jurisprudentiel lent de la responsabilité des particuliers, notamment des propriétaires riverains, pourtant légalement responsables de l’entretien des cours d’eau non domaniaux, vers les collectivités.

Le bon sens voudrait pourtant que l’on définisse le ou les niveaux légaux de protection dus par la collectivité à la population, comme cela se pratique aux Pays-Bas, qu’il y ait une définition légale de la situation de « force majeure », à l’occasion de laquelle la responsabilité de la collectivité pourra être recherchée seulement pour faute dans la gestion de l’alerte et des secours, que les responsables puissent être incriminés uniquement pour des faits résultant soit d’un manquement à la législation ou à la réglementation, notamment aux dispositions du PPRI, soit du non-respect, évalué au terme d’un délai raisonnable, des engagements induits par celui-ci.

Le bon sens voudrait aussi qu’une définition législative du cours d’eau soit au moins donnée.

La troisième raison expliquant l’état de la prévention en France, c’est que le dispositif est autobloquant.

En effet, l’inondation, qui est un risque récurrent intéressant plus de la moitié des communes françaises, soit 40 % de l’emploi, et qui provoque, en moyenne, plus de 1 milliard d’euros de dégâts par an, est traitée comme un risque aléatoire, spécifique et finalement marginal.

Non seulement la prise en compte du risque inondation est distribuée entre les collectivités et l’État, mais elle ne procède pas, de la part de celui-ci, d’une approche globale. La charge est répartie entre les multiples tiroirs de l’administration de l’État, centrale et déconcentrée : sécurité, urbanisme, logement, développement économique, protection des milieux aquatiques, chacun poursuivant son objectif, sans lien évident avec les autres.

On cherche où localiser la stratégie globale de prévention du risque inondation au sein des administrations de l’État. Cela explique probablement la présence d’autant de bâtiments publics, de logements sociaux, voire d’éco-quartiers labélisés, en zones inondables.

Autre sujet d’étonnement, au sein même du ministère de l’environnement, c’est le SCHAPI, le service central d’hydrométéorologie et d’appui à la prévision des inondations, dépendant de la direction générale de la prévention des risques, qui pilote dans chaque direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement un service de prévention des crues, et c’est l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, chargé par ailleurs, avec les directions départementales des territoires et de la mer, de la police de l’eau, qui surveille l’étiage de ces mêmes cours d’eau.

Ce dispositif est autobloquant parce que, faute de stratégie globale, de choix entre les objectifs et d’articulation avec l’ensemble des politiques publiques, il est, pour l’essentiel, conflictuel.

L’élaboration dans la douleur des PPRI en est l’exemple le plus visible. Ainsi, après chaque catastrophe – le Var n’y a pas échappé –, on découvre l’absence de prescription d’un PPRI dans nombre de communes inondables ; quand un PPRI existe, on constate une absence d’approbation et un respect intermittent de ses prescriptions.

Lors de la mise en place d’un PPRI, le préfet pense exclusivement protection et responsabilité, les élus protection, mais aussi développement, création d’emplois, logement… Ce qui n’empêchera d’ailleurs pas ledit préfet de rappeler au maire, le lendemain, ses obligations en matière de logement et d’emploi !

Quant à la population, elle oscille entre plusieurs craintes : celle d’un retour de la catastrophe, celle de devoir quitter les lieux qu’elle habite, celle de voir ses biens dévalués.

Dans le meilleur des cas, cela se termine par un compromis après échange de risques contre des droits à construire ou des modalités de construction. Ce n’est pas vraiment satisfaisant.

Autre conflit récurrent, celui entre les acteurs de la prévention de l’inondation et la police de l’eau.

En théorie, il n’y a aucun problème. Le moulin à prières est prêt : empêcher d’intervenir dans le lit des cours d’eau est la meilleure façon de lutter contre l’inondation. La réalité est tout autre.

Si la mission commune d’information a rencontré des exemples d’entente entre les responsables de la protection contre l’inondation et la police de l’eau – coopération dont les résultats sont féconds –, elle a aussi noté que parvenir à un accord demandait beaucoup de temps et la présence, au sein des EPCI chargés de la politique de prévention des inondations, de techniciens à la fois compétents, patients et, surtout, à l’échine souple. Il faut dire qu’ils n’ont pas vraiment le choix !

Pour le reste, c’est surtout le conflit entre les élus et les agents de la police de l’eau qui domine, avec des délais de réalisation accrus et des dépenses supplémentaires, autrement dit d’autres investissements perdus…

Une redéfinition des rôles de chacun et – pourquoi pas ? – une fusion des organismes d’État chargés de la protection des populations contre l’inondation avec ceux qui s’occupent de la protection de l’écosystème pourraient constituer un élément de réponse.

Le dispositif est autobloquant, enfin, parce que sa gouvernance, centrale comme locale, est évanescente.

Comment sortir de cette situation ? En posant le problème autrement et en se donnant les moyens de ses ambitions, comme le suggère le titre de notre rapport.

Dans l’esprit des membres de la mission commune d’information, il s’agit de remplacer un objectif théorique de protection totale, jamais clairement défini, une gouvernance indéterminée et sans moyens suffisants, par une politique d’aménagement territoriale aux objectifs précis, dotée de moyens financiers comme de gouvernance.

C’est possible, puisque cela existe dans d’autres pays –une fois encore, l’exemple néerlandais qu’il s’agit de copier non pour ses décisions, mais pour sa cohérence, s’impose –, mais aussi chez nous : je pense à Sommières, cité gardoise sise depuis le Moyen Âge dans le lit majeur du Vidourle, fleuve qui n’est pas particulièrement calme ; je pense, par-delà ces cas emblématiques non reproductibles, aux cités qui, comme Nantes Métropole ou Ajaccio, ont renouvelé leur développement en intégrant la protection dans leur plan, au lieu d’opposer développement et protection. Pour dire les choses autrement, il faut protéger pour mieux habiter plutôt qu’empêcher d’habiter pour protéger.

Il s’agit de faire de la lutte contre l’inondation une priorité, donc d’y subordonner les autres objectifs, de l’intégrer dans un projet global et équitable d’aménagement territorial –équitable notamment pour les territoires protégés au détriment de ceux qui ne le sont pas –, afin de faciliter l’acceptation politique et sociale des contraintes par la création d’une dynamique de développement local.

Il s’agit de définir un niveau d’aléa clair et de se donner les moyens d’atteindre le niveau de protection démocratiquement choisi.

Quels sont ces moyens ?

Premièrement, c’est la création obligatoire d’un établissement public par bassin versant et sous-bassin des grands ensembles fluviaux, responsable de la politique de prévention de l’inondation et doté de compétences définies par la loi, ainsi que d’un financement stable et pérenne de nature fiscale.

Deuxièmement, c’est la répartition claire des compétences et des responsabilités entre les collectivités et l’État, la région pouvant assurer le rôle de chef de file de la politique territoriale de prévention.

Troisièmement, c’est la mise en place d’une ingénierie publique de qualité dans les territoires à risques.

Quatrièmement, c’est l’existence et le suivi d’un financement de la politique de prévention.

Cinquièmement, c’est une autre manière de concevoir les PPRI, notamment en y associant plus et mieux les élus et la population dès la phase de conception et de définition de l’aléa et des objectifs, lesquels seraient mis en regard des moyens permettant de les atteindre. Les PPRI pourraient évoluer en fonction des réalisations et de l’organisation mise en place.

Sixièmement, d’une manière générale, il s’agit de mieux associer la population et de l’impliquer davantage, afin que la lutte contre l’inondation devienne l’affaire de tous, et pas seulement celle des spécialistes, des collectivités et de l’État.

C’est donc une approche globale, pour une politique globale, un ensemble de préconisations qui forment un tout.

Il est clair, en effet, que les collectivités territoriales ne sauraient accepter des compétences et des responsabilités nouvelles sans qu’elles soient assorties des moyens juridiques, humains et financiers leur permettant de les assumer.

Pour conclure, je poserai une question : n’est-il pas temps de sortir de l’ambiguïté et du jeu stérile et dangereux du renvoi de balle ?

Les Pays-Bas ont défini, par voie législative, le niveau de sécurité qu’ils entendaient assurer à leur population : une protection contre l’inondation et la submersion, d’une fréquence de retour de 10 000 ans pour la partie la plus peuplée et la plus industrieuse du pays, de 4 000 ans pour les zones soumises à la submersion marine, mais moins peuplées, de 2 000 ans à 1 250 ans pour les zones soumises au risque de crue des rivières et fleuves.

Paris, pour sa part, bénéficie d’un plan de protection contre l’inondation centennale, le nord-est industrieux de l’Île-de-France d’un plan de protection contre l’inondation tricennale. La compétitivité, c’est peut-être aussi une assurance en matière de sécurité. Alors, suite à la prochaine catastrophe, à moins que… (Sourires et applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

M. Louis Nègre, président de la mission commune d’information sur les inondations dans le Var. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, avant d’aborder le fond de ce sujet préoccupant, qui concerne la majorité des communes de France, je voudrais me féliciter du travail constructif que nous avons pu réaliser avec le rapporteur. Bien que nous ayons des convictions politiques différentes, l’intérêt général a prévalu, ce qui nous a permis d’établir un rapport ayant été approuvé à l’unanimité des membres de la mission commune d’information.

Sur le fond, mon discours s’articulera selon trois points.

Premièrement, les inondations sont un phénomène météorologique aléatoire, dangereux et coûteux. En effet, les inondations, dans leur globalité et, plus spécifiquement, celles à cinétique rapide du sud-est de la France, constituent un phénomène ancien, aléatoire mais récurrent.

La mission commune d’information a ainsi pu constater que les inondations étaient en fait beaucoup plus nombreuses, sur un territoire donné, que ne le suppose l’inconscient collectif.

Ces inondations sont dangereuses. La crue de juin 2010 qui s’est produite dans le département du Var a causé la mort de vingt-trois personnes. Elle se classe au quatrième rang des inondations meurtrières qui ont touché la France depuis 1987, provoquant la mort de 153 personnes au total.

À ce bilan humain désastreux s’ajoutent des coûts très lourds, les dommages s’élevant à plus de 1 milliard d’euros.

Ce constat extrêmement préoccupant s’est accompagné de la découverte, dans le cadre de notre mission, de ce que j’appellerai les « surprises » d’un dossier particulier.

En effet, nous avons constaté avec étonnement que, malgré la survenue, sur un territoire donné, d’inondations récurrentes, il existait, face à ce phénomène bien réel, une amnésie collective tout aussi réelle.

C’est ainsi que, entre 1948 et 1969, le Var a connu plus de quinze inondations significatives, soit, en moyenne statistique, une tous les quatre ans. Or ni la mémoire collective ni celle des pouvoirs publics n’ont réellement intégré dans leur politique de prévention cette réalité. Est-ce étonnant, quand on constate que la philosophie dominante dans notre pays, à travers les siècles, est d’une rare constance dans le déni des risques naturels majeurs ?

Descartes, dans son Discours de la méthode publié en 1637, écrivait : « On peut trouver une pratique […] et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ». Cet orgueil démesuré, nous le retrouvons dans un discours qu’a prononcé, en 1857, Napoléon III devant la Chambre des députés : « Je tiens à honneur qu’en France, les fleuves rentrent dans leur lit. »

Une autre surprise, pour les membres de la mission commune d’information, tient à la non-prise en compte des avertissements des spécialistes. C’est ainsi que le Conseil général des ponts et chaussées indique, dans son rapport du 5 avril 1989, que la catastrophe de Nîmes peut se reproduire dans d’autres villes. Ce rapport cite notamment Vaison-la-Romaine, qui subira une inondation tragique en 1992, et Draguignan, dans le Var, qui sera dramatiquement inondé en 2010. Cela avait été écrit noir sur blanc en 1989 !

Tout cela confirme que, trop souvent, ces risques naturels, qui peuvent devenir majeurs pour certains territoires, ne sont pas pris en compte à leur juste mesure, voire qu’ils sont ignorés, sinon niés, par les populations et les pouvoirs publics.

Cette attitude consistant à ne pas regarder la réalité en face ne permet pas de mettre en place une politique réaliste et efficace face au risque d’inondation.

Ce parti pris plus ou moins conscient est d’autant plus regrettable que la mission commune d’information a constaté qu’il existe aujourd’hui des contre-exemples montrant que, à partir du moment où l’on prend réellement conscience du risque d’inondation, on peut bâtir des politiques d’une grande efficacité pour aménager un territoire largement urbanisé.

En France, l’exemple du village de Sommières, que notre rapporteur vient de rappeler, confirme l’efficacité et la pertinence d’un plan d’intervention gradué, dans la mesure où aucune victime n’a été à déplorer dans cette commune depuis 1933, alors même qu’une inondation y survient en moyenne tous les deux ans et demi !

Dans le même esprit, aux Pays-Bas, dont nous gagnerions, madame la ministre, à nous inspirer, la politique de lutte contre les inondations fait une place majeure à la prévention : des ouvrages de protection des populations ont été construits sur la base d’une fréquence de retour de 10 000 ans pour la partie la plus peuplée du pays, tandis que, chez nous, on se borne souvent à prendre en compte les crues décennale ou cinquantennale, tout au plus la crue centennale ! Aux Pays-Bas, il existe même un modèle établi à l’horizon de 100 000 ans !

La démarche néerlandaise repose sur une vision d’ensemble qui détermine des objectifs ambitieux. En face, madame la ministre, l’État a dégagé les moyens nécessaires pour que le pays ne connaisse plus une catastrophe comme celle de 1953, qui avait causé la mort de 1 800 personnes.

Ce survol particulièrement rapide du sujet nous a conduits, M. le rapporteur et moi-même, à définir, selon cinq orientations principales, vingt-deux propositions concrètes, subdivisées en près d’une centaine de recommandations.

Dans le cadre de cette vision globale, j’ai choisi d’insister ce soir sur trois recommandations qui me paraissent particulièrement importantes pour que la France puisse se doter demain d’une politique plus efficace face aux inondations qui affectent régulièrement son territoire.

En premier lieu, il convient de développer la culture du risque, notamment en associant bien davantage à cette politique la population et les maires des communes concernées, afin de pouvoir susciter une mobilisation générale et constructive, à l’image de la démarche qui a été mise en œuvre à Sommières pour organiser une protection efficace des personnes et des biens. Parallèlement, il faut améliorer le dispositif de prévention et d’alerte ; dans ce domaine, madame la ministre, il y a du travail !

Le développement de cette culture du risque passe également par le maintien, absolument indispensable, de la mémoire des inondations, au moyen d’un outil aussi simple que peu coûteux : les indicateurs de crues, qu’il faudrait installer sur les principaux bâtiments publics.

La ville dont je suis le maire, Cagnes-sur-Mer, est jumelée avec Passau, en Bavière, où des traits sur la façade de l’hôtel de ville figurent la marque haute des crues du Danube depuis 1528. Cela permet de maintenir dans la mémoire collective, à travers les générations, le souvenir des inondations du passé. Les habitants de Passau, comme ceux de Sommières ou des Pays-Bas, se sont totalement adaptés : lorsque l’eau monte, ils évacuent le rez-de-chaussée et s’installent à l’étage ; puis, quand l’inondation a reflué, les activités économiques reprennent, sans que l’on ait eu à déplorer aucune mort.

En deuxième lieu, madame la ministre, nous proposons que les pouvoirs publics, c’est-à-dire l’État et le Parlement, définissent une véritable politique de lutte contre les inondations fondée sur une conception d’ensemble assortie d’un financement adéquat, selon un plan s’inspirant du modèle néerlandais en termes de pragmatisme et de vision à long terme.

En troisième lieu, nous recommandons de créer des établissements publics territoriaux de bassin, des EPTB, ou des établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau, des EPAGE. Le rapporteur et moi-même proposons de rendre cette création obligatoire pour tous les bassins versants, dans un délai de trois ans, sur l’initiative des collectivités territoriales ou du préfet. Une ressource affectée nouvelle permettrait la mise en place des mesures concrètes, mais sans doute coûteuses, que requiert la lutte contre les inondations.

Telles sont, madame la ministre, chers collègues, les trois propositions particulièrement importantes que je souhaiterais voir prises en compte et mises en œuvre par le Gouvernement, afin qu’une suite tangible soit donnée au rapport de notre mission commune d’information. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Berthou.

M. Jacques Berthou. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, notre débat de ce soir fait suite aux travaux de la mission commune d’information sur les inondations qui se sont produites dans le sud-est de la France au cours des deux dernières années, représentatives d’une évolution constante de la fréquence de ces événements qui, d’exceptionnels, sont devenus de plus en plus récurrents.

Tout d’abord, comme l’ensemble de mes collègues, je tiens à saluer la qualité des travaux accomplis par la mission commune d’information, en particulier par son rapporteur, M. Pierre-Yves Collombat, et son président, M. Louis Nègre.

Il était nécessaire que le Sénat, en tant que représentant des territoires, se saisisse de cette question pour tirer toutes les conséquences des événements survenus en 2010 et en 2011.

MM. Collombat et Nègre sont tous deux issus de territoires affectés par ces catastrophes. Leur investissement personnel lors de ces épisodes, puis au cours des travaux de la mission commune d’information, témoigne, à mon sens, du lien indéfectible qui unit un élu à son territoire.

La mission commune d’information a établi avec précision, en auditionnant soixante-quatre de leurs acteurs, les faits qui se sont déroulés au cours de cette période.

Comme M. le rapporteur l’a souligné, les inondations survenues respectivement en juin 2010 et en novembre 2011 ne sont pas comparables.

Les 15 et 16 juin 2010, plus de 300 millimètres d’eau en moyenne sont tombés, dans le Var, sur un territoire de 40 à 50 kilomètres carrés autour de Draguignan. Il s’est agi d’un événement limité dans le temps – quelques heures – comme dans l’espace.

En revanche, les inondations qui se sont déroulées du 2 au 8 novembre 2011 correspondent à des phénomènes plus classiques, plus prévisibles, dont la gestion peut être plus aisément organisée en amont.

La violence et l’intensité des inondations de juin 2010 rendent ce type de phénomène imprévisible. Il n’est pas nécessaire que je rappelle les multiples dégâts causés par cet événement, qui a touché des centaines de familles et sinistré l’économie du département du Var, en particulier dans les zones agricoles, à hauteur de 1,2 milliard d’euros.

Ces deux types d’inondations, clairement distingués par le rapport de la mission commune d’information, relèvent de dispositifs de prévention bien différents, même si, aux yeux de nos concitoyens, ils peuvent apparaître similaires.

La mission commune d’information a abordé de très nombreux sujets, s’agissant notamment de la gestion de l’immédiat après-crise et des insuffisances des régimes d’indemnisation. Pour ma part, j’aimerais insister particulièrement sur trois des vingt-deux préconisations qu’elle a formulées.

Tout d’abord, l’analyse des événements a mis en exergue des failles dans les dispositifs de gestion de crise, pour lesquelles le rapport propose des remèdes.

Comment améliorer le dispositif de prévention des inondations et d’alerte ? Dans le sud-est du pays, les pouvoirs publics se doivent d’appliquer une politique de protection des territoires et des populations en poursuivant la mise en œuvre de certains équipements techniques, tels que des radars ou des stations de surveillance des cours d’eau.

Oui, il est possible d’améliorer les dispositifs de gestion de crise, mais cela revient parfois à procéder à de petits aménagements, qui répondent conjoncturellement à l’ampleur de l’émotion provoquée par les inondations.

Comme le rapporteur, je crois qu’il faut intégrer ces réflexions dans une logique globale d’aménagement du territoire, en changeant notre vision des faits. Une politique d’aménagement territorial aux objectifs précis, dotée de moyens financiers et d’une gouvernance, permettrait, à terme, d’aborder l’avenir avec plus de sérénité, en protégeant les territoires inondables pour mieux les habiter.

L’exemple des Pays-Bas, qui ont consacré 1 % de leur PIB à la protection contre les inondations après la catastrophe de 1953, montre que des investissements massifs peuvent diminuer, pour l’avenir, les coûts liés à ces catastrophes naturelles et permettre aux habitants de vivre dans les zones à risques avec moins de peur et moins d’inquiétude.

Je veux également rappeler le souvenir des inondations de Nîmes, en octobre 1988. Aujourd’hui, près de vingt-cinq ans après cet événement, les travaux d’aménagement viennent juste de se terminer. En la matière, il est nécessaire que les investissements s’inscrivent dans le temps. Le département du Gard a multiplié les initiatives visant à améliorer la prévention des risques, en organisant notamment de grandes campagnes de sensibilisation et des formations destinées aux élus.

J’ai le sentiment qu’il faut qu’un territoire ait subi une inondation pour qu’il en tire toutes les conséquences pour l’avenir, comme si seul le traumatisme infligé par un tel événement pouvait susciter une vision globale de cette problématique.

Par ailleurs, la mission commune d’information propose de rendre plus rapide la réparation des dommages pour les collectivités territoriales. Dans mon département, l’Ain, des pluies torrentielles, avec des précipitations de l’ordre de 1 millimètre d’eau en une heure, ont provoqué des dégâts considérables. C’est dire si je soutiens cette recommandation formulée par la mission commune d’information, qui va dans le sens souhaité par les élus concernés.

En la matière, le pacte de confiance entre l’État et les collectivités territoriales doit être solide. Actuellement, le FCTVA peut verser des remboursements anticipés dans l’année pour les travaux liés à la survenue d’une catastrophe naturelle. La mission commune d’information préconise de rendre automatique un tel remboursement dans l’année pour les travaux réalisés dans des communes déclarées en état de catastrophe naturelle : c’est une bonne recommandation. En rendant plus rapide la réparation des dommages pour les collectivités territoriales, on permettrait à des communes de relancer plus facilement toutes sortes d’activités locales, notamment économiques.

Par ailleurs, on peut regretter que l’État semble se désengager du financement de la prévention. La lutte contre les inondations nécessite l’engagement de l’ensemble des acteurs concernés : l’État, bien sûr, les collectivités territoriales et les populations. Étant donné l’incidence financière des préconisations formulées, je n’ignore pas que tous les travaux nécessaires ne pourront être réalisés immédiatement : ils devront être programmés et effectués selon un échéancier permettant à tous les acteurs de s’engager financièrement sur plusieurs années.

Enfin, je tiens à souligner le rôle majeur que sont susceptibles de jouer les populations à l’occasion de ce type de catastrophe naturelle. Elles doivent être associées en toute transparence au processus de prévention ou d’aménagement. Pour cela, les pouvoirs publics doivent leur transmettre en amont des communications lisibles et compréhensibles et ne pas hésiter à recourir davantage aux volontaires, qui, nombreux lors de ces crises, ne sont pas utilisés de manière efficiente. Il convient de leur donner les moyens d’agir efficacement,…

M. Alain Dufaut. Il faut organiser leur action !

M. Jacques Berthou. … en autorisant par exemple les réserves communales à participer à des actions au-delà des limites de la commune, comme le préconise le rapport.

Les catastrophes naturelles marquent notre mémoire collective parce qu’elles affectent l’ensemble des composantes de la société, touchent toutes les classes sociales et modifient pour longtemps les paysages de nos campagnes et de nos villes. Nous avons tous en tête, à jamais gravées dans nos mémoires, les images des inondations qui se sont produites dans le Var et dans l’Aude, ainsi qu’à Nîmes ou à Vaison-la-Romaine.

Mener la bataille contre ces risques nécessite le concours de tous les acteurs. Pour ma part, je salue les recommandations du rapport issu des travaux de la mission, car elles sont de nature à refonder la politique de prévention des inondations en la rendant plus cohérente, plus transparente, plus concertée, et donc plus efficace. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Var est régulièrement victime d’importantes inondations qui tuent. Je suis assez d’accord avec M. Nègre quand il évoque une amnésie collective face à ces phénomènes pourtant impressionnants.

À l’évidence, il s’agit d’un fléau chronique, et il convient de s’interroger sur ses causes et ses remèdes, afin que de tels épisodes météorologiques ne provoquent plus de drames et de destructions coûteuses.

Le rapport de la mission commune d’information met l’accent sur la gestion de crise, le renforcement des moyens de prévision, d’alerte, de surveillance et d’indemnisation, pour ne traiter ensuite qu’assez modestement, selon moi, la question de la vie avec le risque, de la place de celui-ci dans l’aménagement territorial, de la prévention et de l’association de la population à cette dernière. Ce sont pourtant ces éléments qui nous semblent devoir constituer le cœur de notre réflexion en vue de traiter le sujet plus large des risques naturels.

« Se donner les moyens de ses ambitions : les leçons des inondations du Var et du sud-est de la France » : tel est le titre du rapport de la mission commune d’information. De quelles ambitions parle-t-on ? S’agit-il de dépenser toujours plus pour réparer, mobiliser des efforts exceptionnels, créer des comités, des commissions, des établissements publics sous le coup de l’émotion, ou de réduire concrètement – c’est l’ambition qui est la nôtre – la vulnérabilité de notre société et de nos territoires ?

Améliorer la prévision, donner des moyens à la recherche, investir encore dans les dispositifs d’alerte, renforcer la coordination des secours, former les élus et les représentants de l’État à la gestion de crise : tout le monde est d’accord sur le principe, mais nous savons d’une part que les moyens financiers sont trop limités pour permettre une mise en œuvre effective de ces recommandations, d’autre part que cela ne changerait rien à l’aggravation continue de la vulnérabilité des territoires concernés.

Je vais donc revenir brièvement sur certaines recommandations formulées dans ce rapport et approfondir quelques points qui, à mon sens, ne l’ont pas été suffisamment.

Si les propositions visant à fluidifier l’indemnisation des victimes, à informer les collectivités sur les aides financières existantes et à simplifier les procédures vont globalement dans le bon sens, en vue de panser au mieux des plaies que l’on ne pourra pas toujours éviter, je ne peux pas en dire autant de certaines autres recommandations.

Ainsi, l’idée de créer des malus sur les primes et franchises d’assurance ne nous semble pas pertinente : certaines personnes pourront se voir appliquer ces malus en raison d’un manque d’information dont elles ne sont pas directement responsables ; ce serait tout à fait injuste. À l’inverse, la logique du bonus attribué à ceux qui effectueront les nécessaires travaux d’adaptation aux risques servirait d’incitation aux comportements vertueux.

De manière plus anecdotique, surveiller les réseaux sociaux pour combattre les rumeurs éventuelles serait un exercice coûteux, aux effets incertains. En revanche, recourir à ces réseaux pourrait se révéler utile pour toucher des populations que l’on n’atteint plus suffisamment par le biais des médias traditionnels.

De manière générale, on veut introduire beaucoup de nouveautés, alors même que toutes les propositions faites à la suite d’événements précédents n’ont pas été mises en œuvre jusqu’au bout. Je pense par exemple à la proposition de loi tendant à assurer une gestion effective du risque de submersion marine déposée à la suite de la tempête Xynthia : ce texte, qui a été discuté et adopté par notre assemblée, n’a toujours pas été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.

De la même manière, il a été fait peu de cas des outils issus de la loi Grenelle 2, qui transpose pourtant la directive « inondation ». Dès lors, vouloir créer une commission permanente destinée à rendre des avis sur les arrêtés constatant l’état de catastrophe naturelle, un comité de suivi post-inondation, ainsi que des EPAGE dans tous les bassins versants ou sous-bassins, que les établissements publics territoriaux de bassin aurait la mission de coordonner, est largement discutable, l’intérêt de telles structures n’étant en aucun cas démontré.

En réalité, plusieurs recommandations de ce type émanent directement d’acteurs de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui constatent avant tout les défaillances apparaissant dans leur région et proposent donc des remèdes adaptés à leur contexte local. Je ne suis pas convaincue de l’intérêt de généraliser ces préconisations à la France entière, étant donné l’hétérogénéité des situations.

Dans le même ordre d’idées, on prétend vouloir renforcer le rôle des acteurs à l’échelle des bassins versants tout en érigeant la région en acteur central : est-on sûr que cela va dans le sens d’une clarification des compétences ? À l’inverse, l’idée de confier à l’Observatoire national des risques naturels la réalisation d’un tableau de bord sur le financement de la politique de prévention en matière d’inondations me semble pertinente.

Améliorer la gouvernance, notamment en étendant le rôle des élus et en intégrant les associations de victimes au sein des comités de bassin et des instances des agences de l’eau, peut présenter un réel intérêt.

Enfin, nous partageons la volonté affirmée d’améliorer la pédagogie concernant les risques : placer les acteurs des zones à risques dans des situations créatives, rendre les exercices obligatoires en y associant les réserves communales de sécurité civile, tout cela est utile. Il y a aussi un travail à faire dans les établissements scolaires du primaire et du secondaire, au travers de la formation des enseignants et des programmes scolaires. On peut encore penser à la sensibilisation des ingénieurs de l’État ou des collectivités aux constructions et aménagements résilients.

Pour le reste, c’est une question de modèle. J’estime qu’il convient de favoriser une démarche qui n’est pas encore bien intégrée dans notre pays, consistant à établir un diagnostic partagé à l’échelon local, à fixer par le débat public un niveau de risque acceptable, à accepter celui-ci et à vivre avec, en adaptant les protections, en modifiant peut-être notre manière de construire, en mettant, de manière générale, l’accent sur la prévention.

Nous voulons réaffirmer la complémentarité de la protection de l’environnement et de la gestion des risques : en effet, les assouplissements de la loi littoral et l’étalement urbain aux dépens de la protection des écosystèmes portent, à l’évidence, une lourde part de responsabilité dans la grande vulnérabilité actuelle du département du Var.

La source des drames, dans ce département, c’est aussi l’arrivée de populations nombreuses venues d’autres régions et ne mesurant pas forcément d’emblée les enjeux liés au risque d’inondation. Il y a un travail d’intégration à réaliser par les collectivités territoriales.

Il convient, enfin, de privilégier une approche préventive. Recentrer le fonds « Barnier » sur ce volet serait une bonne chose, par exemple en aidant financièrement les habitants des zones vulnérables à procéder à des travaux d’adaptation. Par ailleurs, il me semble désormais inévitable d’imposer des obligations pour les nouvelles constructions dans les zones à risques.

Pour conclure, je dirai qu’il est important de reconsidérer la place de l’État dans toute cette problématique. Il est supposé garantir la sécurité des personnes et des biens contre les éléments naturels, mais il est aujourd’hui évident que ce sont bien les collectivités qui l’aident à s’acquitter tant bien que mal de ses missions, et non l’inverse.

Les charges et responsabilités ont été reportées sur les collectivités locales, qui ont par ailleurs subi la lente érosion du soutien de l’État central : l’agonie de l’ingénierie publique, liée à la mise en œuvre de la RGPP et à la décentralisation, et le transfert implicite de l’entretien des ouvrages de protection des propriétaires aux collectivités participent à l’étranglement financier généralisé des départements et des communes.

Cela vaut également pour la réalisation des plans communaux de sauvegarde, les PCS. L’incitation à leur élaboration passe inévitablement par la mise à disposition des élus des petites communes de moyens humains à cette fin.

En outre, si l’on veut que l’État puisse exercer un contrôle de légalité digne de ce nom en matière d’urbanisme, il faudra donner les moyens humains nécessaires aux préfectures. Les probables futures lois de décentralisation devront aborder la question de la répartition des compétences. Il conviendrait aussi d’impliquer certains concessionnaires – je pense notamment à la Compagnie nationale du Rhône – dans la gestion des risques, afin que la poursuite des objectifs de production électrique des barrages ou de stockage de l’eau pour l’irrigation ne compromette plus la sécurité des biens et des personnes. Pour ce qui concerne la Compagnie nationale du Rhône, la révision de la concession n’intervenant que dans onze ans, il serait bon que l’État s’empare de ce sujet dès aujourd’hui !

Nous partageons la douleur des familles des victimes, mais il ne nous semble pas pertinent d’ajouter chaque année une nouvelle strate de mesures dictées par l’émotion ou les besoins de certaines localités… Commençons par mener à bien ce qui a déjà été amorcé, modifions notre approche du risque pour ne plus dépendre du mythe de l’invulnérabilité qui, en fait, nous rend précisément vulnérables et tue chaque année. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.

M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport de la mission commune d’information est bon, je le dis d’emblée pour ne pas avoir à y revenir ! (Sourires.)

Élu d’une région, l’Île-de-France, où la menace de la crue centennale est suspendue, telle une épée de Damoclès, au-dessus de la tête des riverains de la Seine, je tenais ce soir à souligner la nécessité de donner la priorité à l’élaboration de la politique de prévention, notamment en termes d’infrastructures.

Le Var a connu, à seize mois d’intervalle, deux inondations catastrophiques. La première a causé 1,2 milliard d’euros de dégâts ; la seconde, qui s’est étendue sur plusieurs départements du sud-est de la France, a provoqué entre 500 millions et 800 millions d’euros de dommages.

Le parallèle avec Paris est intéressant, car, à travers ce rapport, on constate que l’inondation est un risque caractéristique tant de la région varoise que de l’Île-de-France. En effet, la Seine a connu une soixantaine de crues de grande ampleur depuis le VIe siècle. La prochaine crue centennale à Paris dépassera peut-être celle de 1910, dont les traces sont visibles sur les murs du Palais Bourbon.

Depuis 2003, à Paris, onze scénarios ont été établis par la préfecture. L’évolution de plusieurs paramètres est même suivie de près par le secrétariat de la zone de défense. Les cas d’étude décrivent tous la catastrophe à venir : les dégâts pourraient atteindre 15 milliards d’euros, selon le chiffre de l’Institut d’aménagement et d’urbanisme, 850 000 habitants de l’Île-de-France seraient directement touchés par les inondations, 508 communes se trouveraient sous les eaux, dont 31 sur plus de la moitié de leur territoire. Nous sommes sûrs qu’une crue centennale surviendra, un jour ou l’autre.

La question de la prévention des inondations dans de telles zones est donc centrale en vue d’assurer une protection générale des populations et des biens. Or ces sinistres apportent la démonstration que la priorité de notre politique de lutte contre l’inondation est non pas la prévention, même s’il existe des PPRI, mais l’efficacité de la gestion de la crise. Il existe un plan pour Paris : on saura empêcher que l’eau ne pénètre dans le métro, mais l’important serait d’investir dans des infrastructures de protection en amont.

Il est bien rappelé, dans le présent rapport, qu’il n’y a pas d’« exception varoise » ; c’est la France entière, celle des zones à risques, qui est concernée par cette carence.

La surveillance coordonnée de l’ensemble du bassin Rhône-Méditerranée est pourtant essentielle, 47 % des communes de ce bassin étant concernées par le risque d’inondation, d’autant que ce territoire est le lieu d’enjeux humains et économiques majeurs, à l’instar de l’Île-de-France.

Pareillement, dans le bassin francilien, la politique de prévention n’a connu aucune amélioration substantielle, en dépit des deux questions sur ce sujet que j’ai posées au précédent gouvernement et des rappels incessants de la nécessité d’investir que je formule au Conseil de Paris, où je préside un groupe d’opposition. Il faut savoir que la ville de Paris dispose chaque année d’un budget d’investissement de 7 milliards d’euros. Nous venons encore de consacrer 50 millions d’euros à la réalisation d’équipements ludiques sur les berges de la Seine ; on ferait mieux d’affecter ces moyens à la protection contre les inondations !

Le projet d’aménagement de La Bassée, élaboré par l’EPTB Seine Grands Lacs, va très intelligemment dans ce sens. Il consiste à construire dix gigantesques casiers capables de stocker 55 millions de mètres cubes d’eau en amont de Paris, au confluent de l’Yonne et de la Seine. Ce système, dont le coût est évalué à 500 millions d’euros, permettrait de baisser le niveau de la crue de 20 à 50 centimètres, et ainsi de réduire de 30 % les dommages en cas de catastrophe similaire à celle qu’a connue le Var.

Or, mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que, faute de financement de la part tant de l’État que de la Ville de Paris – je reproche au maire de Paris un manque de proactivité sur ce point –, il n’est désormais envisagé que la réalisation d’un seul casier test, permettant de réduire le niveau des crues de seulement 5 centimètres…

C’est bien entendu contraire au principe de précaution, qui enjoint d’analyser l’efficacité du dispositif du projet de La Bassée en déterminant le rapport entre le coût et les avantages.

Madame la ministre, vous dont la présence semble indiquer que vous vous intéressez à ce dossier, cette infrastructure est vitale pour la région capitale, comme l’est une réflexion plus poussée sur la prévention dans la zone fortement inondable qu’est le sud-est de la France. Permettez-moi d’établir un tel parallèle, qui a l’avantage de souligner un problème important.

Ce projet ne doit pas tomber dans les limbes, sous prétexte de contexte budgétaire tendu. Le retour de boomerang n’en serait que plus cruel du point de vue tant économique qu’humain. N’oublions pas les 15 milliards d’euros de dégâts, sans compter les autres conséquences de ces inondations !

C’est la raison pour laquelle je profite du dépôt de ce rapport pour interpeller l’État et les collectivités territoriales, comme je le fais régulièrement, en pure perte d’ailleurs, au sein du Conseil de Paris, afin de les convaincre de la nécessité impérieuse de mener à bien une réflexion globale sur les infrastructures dans le cadre de la prévention des sinistres et, surtout, d’investir dans ce très bon projet. En effet, pour des raisons budgétaires, on envisage aujourd’hui de ne réduire les crues que de cinq centimètres. C’est peut-être suffisant pour éviter que l’eau déborde, mais il me semble qu’une baisse du niveau de la Seine de vingt-cinq centimètres serait un peu plus protectrice.

Paris n’est pas le Var, mais les mêmes problèmes se posent ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec.

M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « nos ancêtres construisaient de manière concentrée dans des zones non inondables. Il n’y a que nous pour avoir – bêtise absolue – construit dans la vallée du Var ».

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. C’est faux !

M. Ronan Dantec. Ces mots ont bel et bien été prononcés, lors de son audition, par Jean-François Carenco, d’origine varoise et préfet de la région Rhône-Alpes.

M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur. Certes ! Mais c’est faux !

M. Ronan Dantec. Zut…

Ces paroles disent pourtant notre temps : le paradoxe d’une société qui exige toujours plus de précaution et de prévention, mais qui, dans le même temps, prend bien des risques inutiles, comme si elle se croyait invincible.

Cela a été rappelé, avec vingt-sept morts, deux disparus et près de 2 milliards d’euros de dégâts, les inondations de juin 2010 et de novembre 2011 ont mis en lumière, comme bien d’autres événements plus anciens, notre fragilité face à l’imprévu et la nécessité de doter notre pays d’une véritable culture du risque.

J’ai été pendant plus de dix ans vice-président de Nantes Métropole, chargé notamment du risque. Je remercie d’ailleurs M. le rapporteur d’avoir souligné l’exemple nantais. Il est vrai que créer une culture du risque est un challenge difficile ; la maintenir dans la durée l’est peut-être encore plus.

Afin donc de comprendre ce qui s’est passé dans le Var et d’avancer de nouvelles propositions, le Sénat a décidé de réunir une mission commune d’information, dont il nous appartient aujourd’hui de commenter les conclusions. Fidèle à ses usages, notre institution a pris le temps du travail de fond et de la concertation, ce dont le groupe écologiste se félicite et qu’il salue.

Nous approuvons globalement les préconisations de la mission, qui défend une « approche globale du risque » et souligne la nécessité de « revisiter tout le dispositif de prévention » des inondations.

Les écologistes considèrent que c’est bien le principe de prévention qui doit nous guider à l’avenir, un avenir nourri de notre connaissance du passé. En effet, les crues intenses et rapides sont sorties de la mémoire collective, alors que, je l’avais noté avec intérêt, on en trouve trace depuis 1378 dans les archives varoises.

C’était aussi d’ailleurs le cas dans la région de Fukushima – cela nous éloigne du Var ! –, où des bornes anciennes, sur les collines, marquaient le niveau à partir duquel on n’avait jamais connu de tsunami. Je remercie donc Louis Nègre d’avoir souligné – on reprendra le débat sur Descartes une autre fois ! – notre orgueil démesuré, notre faible prise en compte des risques environnementaux et notre autisme face aux messages de la nature.

Les différentes auditions ont permis de mettre en lumière de nombreuses lacunes dans les politiques de gestion de crise et d’après-crise. Malheureusement, encore une fois, c’est l’analyse des catastrophes qui fera progresser les politiques publiques.

Point important en ce qui concerne la gestion des cours d’eau, le rapport de la mission d’information indique qu’« il n’y aura pas de politique de prévention des inondations efficace sans clarification des compétences et sans généralisation des structures publiques permettant de la mettre en œuvre ».

Le rapport, s’appuyant notamment sur le constat d’un entretien défaillant des cours d’eau dans le Var, préconise, et nous approuvons tout à fait une telle proposition, la création obligatoire d’un établissement public d’aménagement et de gestion des eaux – je sais, pour les avoir rencontrés, que les élus de la région PACA soutiennent très fortement une telle structure – ou d’un établissement public territorial de bassin sur chaque bassin versant, doté de compétences obligatoires en matière d’entretien et de surveillance des cours d’eau.

Il me semble logique et efficace de gérer ensemble préservation des milieux naturels et gestion du risque, les milieux naturels étant souvent le meilleur réceptacle et amortisseur des crues.

La mission d’information précise utilement que ces nouveaux établissements publics devraient être financés par des recettes fiscales pérennes. On peut en effet avoir des inquiétudes sur ce point, qui constitue pourtant un enjeu majeur de l’efficacité de ces organismes. Une réunion du Comité national de l’eau se tiendra prochainement. Il s’agira de trouver des ressources fiscales permettant de mener efficacement ces actions.

La question du budget de l’eau est toujours l’objet d’une grande réflexion. L’année dernière, à peu près à la même époque, dans le cadre de la loi de finances pour 2012, nous étions mobilisés, notamment, contre la proposition de « siphonner » les réserves des agences de l’eau.

À quelques jours de la conférence de Doha, je ne peux pas ne pas insister sur ce qui constitue selon nous la première des politiques de prévention, à savoir la lutte contre le dérèglement climatique, qui constitue, cela a été souligné par le GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, juste avant la précédente conférence, celle de Durban, un amplificateur de catastrophes naturelles. Or il est admis, est-il nécessaire de le rappeler, que le coût des mesures de prévention du changement climatique est moindre que celui des réparations. La tempête Sandy, qui vient de frapper la ville de New York et a occasionné 20 milliards de dollars de dégâts, nous le rappelle cruellement. Nous devons donc nous adapter à des risques non seulement récurrents, dont certains sont encore dans nos mémoires si nous les y cherchons, mais aussi croissants. Tel est le sens de ce rapport. Dans ce cadre, ne perdons jamais de vue l’enjeu qu’est la réduction de nos émissions de CO2, qui doit rester une priorité.

Un autre enjeu fondamental, assez peu évoqué lors des interventions précédentes, est celui de la maîtrise foncière. La ressource foncière fait l’objet de tensions de plus en plus fortes et la concurrence des usages est accrue dans les zones fortement attractives. C’est le cas dans le Var, où, entre 1982 et 2011, la population a augmenté de 43 %. Outre le défaut d’entretien des cours d’eau, le ruissellement urbain et l’imperméabilisation des sols sont des facteurs qui aggravent les inondations.

M. Alain Néri. Et la surface des toits !

M. Ronan Dantec. Absolument !

Porter un coup d’arrêt à l’étalement urbain et à l’artificialisation des sols constitue selon les écologistes une autre mesure essentielle de prévention.

Or, actuellement, seuls les maires, dans l’exercice de leurs compétences d’urbanisme, gèrent la pression sur le foncier. Ils sont en première ligne, mais ils manquent de moyens. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous demandons le transfert des compétences d’urbanisme au niveau intercommunal, ainsi que le renforcement du rôle des SCOT, les schémas de cohérence territoriale. De même, à l’instar de la mission d’information, nous considérons que les documents d’urbanisme devraient obligatoirement être en conformité avec les PPRI.

Concernant l’urbanisme encore, et en lien direct avec les préconisations du rapport, je tiens à dire que l’aménagement des zones inondables doit faire l’objet de toute notre vigilance. La mission d’information estime que la question de l’aménagement des zones inondables devrait être inscrite dans les SRADDT, les schémas régionaux d’aménagement et de développement durable du territoire. En effet, intégrer le niveau régional dans notre réflexion nous semble absolument essentiel.

L’aléa inondation peut être réduit par diverses mesures – bassins de rétention, bassins écrêteurs de crues, digues, réseaux d’évacuation des eaux –, mais aussi, probablement, par une autre gestion de l’espace public. Les zones permettant d’écrêter les crues peuvent ainsi devenir des espaces récréatifs, où s’installent théâtres et animations culturelles.

En guise de conclusion, je reprendrai l’une des préconisations, que je juge centrale, de la mission d’information, selon laquelle il convient de clarifier les compétences entre l’État et les collectivités locales et d’assurer à chaque niveau les ressources nécessaires à l’exercice de ces compétences. Je crois, mes chers collègues, que cette question nous occupera beaucoup au cours des prochains mois.

Nous souscrivons donc globalement aux propositions défendues par la mission commune d’information et serons attentifs à ce que la prochaine loi de réforme territoriale participe de cet objectif. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. François Trucy.

M. François Trucy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma contribution sera brève. En effet, je ne me livrerai pas à des considérations techniques ou politiques, celles-ci ayant été parfaitement évoquées par le président de la mission commune d’information et le rapporteur. Au reste, quand j’entends dire mission commune d’« information », je réponds « enquête », tant les événements étaient graves et la situation compliquée. Il a donc fallu s’atteler à les débroussailler, à les décortiquer.

Cette initiative parlementaire particulièrement bien menée, je la rapprocherai du principe de la création de la commission pour le contrôle de l’application des lois, qui possède ce même type d’utilité. Il est important de le souligner, car, même si ces contrôles préexistent au sein des commissions, leur formalisation a été en l’occurrence particulièrement opportune. Il faut dire que les prérogatives qui sont attachées aux investigations des commissaires sont d’une telle importance qu’elles donnent à leurs travaux beaucoup de force et d’efficacité. Cette force, il eût été extrêmement regrettable de ne pas l’utiliser dans cette affaire.

L’exercice auquel vous vous êtes astreints, monsieur le président de la mission, monsieur le rapporteur, a été extrêmement difficile. À mon avis, vos convictions concernant l’importance du contrôle de l’application des lois en sont sorties affermies. Faut-il également rappeler que cette partie de notre travail est assez mal connue du public, qui ne voit que le vote de la loi et jamais les opérations de contrôle de l’exécutif ?

De la mission qui s’achève et dont nous débattons ici ce soir, je dirai juste un mot : cette enquête était indispensable, car les catastrophes que nous avons décrites ont eu des conséquences dramatiques. C’est pourquoi je remercie, en tant que Varois, Louis Nègre et mon ami Pierre-Yves Collombat de l’excellence de leur travail. Je salue également l’équipe tout à fait remarquable d’administrateurs qui leur a été affectée.

J’ai eu plusieurs fois l’occasion de voir de près et d’admirer ce travail d’enquête particulièrement ardu. J’ai pu également savourer les échanges musclés de Pierre-Yves Collombat avec des personnages très haut placés, chargés de missions considérables, mais enfermés dans leur routine et leurs certitudes, au point que le style inquisitorial de Pierre-Yves Collombat et de Louis Nègre s’est révélé particulièrement efficace.

Madame la ministre, vous assistez ici à la conclusion d’un très bon travail. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.

M. Robert Tropeano. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les inondations survenues dans le sud-est de la France en juin 2010 et en novembre 2011 nous rappellent malheureusement que personne n’est à l’abri d’une catastrophe naturelle.

Les habitants de ce territoire frappé durement par des précipitations intenses ont perdu leurs maisons, leurs biens, leurs lieux de vie. La vie locale – maisons, commerces, arbres, automobiles, routes, équipements – a été balayée d’un revers de main.

En dépit de la rapidité des secours, de la présence des autorités de l’État, des élus locaux et des bénévoles, qui ont permis de sauver des vies et dont le travail doit être salué, les inondations ont causé des dégâts importants et de nombreux drames.

Cette mission commune d’information, soutenue par le groupe du RDSE, et l’excellent travail du rapporteur Pierre-Yves Collombat permettent de revenir sur ces tragédies, mais plus encore de mieux prévenir de tels risques et de mieux gérer pareilles situations de crise.

Comme cela a été souligné, nous pouvons nous étonner de l’amnésie collective qui joue dans ces circonstances, et ce quelques mois seulement après la catastrophe. Oublier ces inondations revient à effacer le risque qui pèse sur nos concitoyens et sur nos territoires et à retarder la mise en place d’une politique de prévention efficace.

À l’instar du Var et de nombreux autres départements, ma commune de Saint-Chinian, dans l’Hérault, a connu une terrible inondation dans la nuit du 12 au 13 septembre 1875. Cette nuit-là, on a compté quatre-vingt-dix-sept victimes, cent quarante-neuf maisons détruites et trois cents habitations à détruire à la suite des dégâts qu’elles avaient subis. De plus, deux cents familles furent condamnées à vivre dans la misère à la suite de la destruction du tissu industriel de la commune.

Ainsi que nous le conseille le présent rapport, le fait d’indiquer simplement le niveau de la crue sur certains bâtiments des communes permet de garder en mémoire ces terribles événements. De nombreuses communes ont gravé ces traits, à l’image de ce qui avait été réalisé sur un pilier intérieur de l’église de Saint-Chinian. Il est bien dommage que, plus d’un siècle plus tard, nous constations que les inondations provoquent encore des disparitions humaines. Seule la culture du risque pourra nous épargner la reproduction des mêmes erreurs.

En juin 2010, vingt-trois morts et deux disparus sont à déplorer à la suite d’inondations présentant un caractère exceptionnel. En novembre 2011, quatre victimes étaient encore à déplorer pour un événement dont les caractéristiques étaient pourtant plus classiques.

Il nous faudra maintenant tirer les leçons de la politique des inondations dans notre pays. Tel est précisément l’objet de ce rapport.

L’action préventive vise à limiter les dommages causés par les catastrophes naturelles comme les coûts financiers qui en résultent. Les dégâts provoqués par les inondations de 2010 s’élèvent à 1,2 milliard d’euros. Ces dégâts se sont élevés entre 500 millions d’euros et 800 millions d’euros en 2011.

Or la prévention n’est pas à la hauteur des enjeux, qu’il s’agisse de la prévention et de l’alerte, de l’organisation des secours, de la définition et de l’urbanisation de zones inondables, de la gestion des cours d’eau, de la construction et de l’entretien d’ouvrages de protection des crues. Aucun de ces éléments n’est au point alors que les inondations deviennent plus fréquentes avec l’aggravation du changement climatique.

Le rapport de la Cour des comptes sur les enseignements des inondations sur le littoral atlantique et dans le Var, publié en juillet 2012, démontre que la politique des inondations n’est pas non plus au point dans le sud-ouest de la France. Ainsi, la réflexion sur les pistes d’amélioration doit être menée sur le plan national.

Bien que nous ayons conscience des effets aggravants de l’artificialisation des sols par l’excessive urbanisation des zones inondables, la pression démographique a toutefois conduit les communes à autoriser la construction de nombreux bâtiments. Je rejoins les conclusions du rapport, qui préconisent le renforcement du contrôle de légalité du préfet avec une réelle instruction des dossiers sur le fond.

Les plans de prévention des risques d’inondation, les PPRI, adoptés par le préfet après enquête publique et avis des conseils municipaux, déterminent les zones du territoire exposées au risque d’inondation et s’imposent théoriquement aux documents d’urbanisme présents et futurs. Cependant, les pressions locales liées à l’évolution démographique et au développement de l’activité locale ignorent ces outils de prévention indispensables. Pour preuve, dans ma commune, j’ai refusé dernièrement un permis de construire pour une habitation située en zone inondable. Je viens d’apprendre que le propriétaire sollicitant le permis avait déposé un recours devant le tribunal administratif.

En outre, de nombreux PPRI n’ont pas été adoptés dans leur totalité, ce qui pénalise doublement les victimes des inondations, car les assurances procèdent à l’augmentation des franchises en l’absence de PPRI sur une commune.

Par ailleurs, les documents d’urbanisme devront être actualisés pour tenir compte des évolutions rapides de l’urbanisation dans ces territoires. La Cour des comptes recommande ainsi de rendre contraignante leur actualisation.

La mission d’information a pu également constater l’implantation de services de secours en zone inondable. Aussi est-il urgent de les recenser et de les transférer dans d’autres zones, dans la mesure du possible.

D’autres mesures telles que l’entretien des ouvrages de protection – digues, bassins de rétention, réseaux d’évacuation des eaux – sont urgentes, mais cela coûte très cher. Cela étant, malgré les cofinancements que les collectivités peuvent obtenir, le reste à charge est souvent démesuré au regard du budget des communes.

En ce qui concerne l’entretien des cours d’eau, un partage équilibré des responsabilités doit également être établi. Si la police de l’eau est essentielle à la protection de la ressource, elle ne doit pas constituer un obstacle à l’entretien des cours d’eau non domaniaux en interdisant leur curage. Les propriétaires riverains sont tenus de les entretenir en application du code de l’environnement, mais la tâche s’avère difficile avec la nécessité d’obtenir une autorisation préalable. En conséquence, les collectivités locales se substituent au rôle des propriétaires riverains alors qu’elles ne disposent pas des moyens financiers, qui sont de plus en plus difficiles à obtenir.

Le risque « inondation » engendre un coût élevé pour les finances publiques. Cependant, ce coût restera moins élevé si les dépenses sont consacrées en amont au financement d’une politique efficace de la prévention au bénéfice de la sécurité des biens et des personnes. C’est pourquoi nous espérons que la prochaine loi de décentralisation rétablira un équilibre des rôles et des responsabilités de chacun des acteurs, à savoir l’État, les collectivités territoriales et les compagnies d’assurance. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Alain Dufaut.

M. Alain Dufaut. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaiterais avant tout féliciter et remercier à mon tour le président et le rapporteur de la mission d’information, à savoir Louis Nègre et Pierre-Yves Collombat, qui ont fait un excellent travail, se déplaçant sur le terrain et ne bornant pas leurs interrogations au seul département du Var. J’ai personnellement participé à leurs côtés à des auditions et à des déplacements dans le Vaucluse et dans le Gard et je peux témoigner du sérieux de cette mission et du travail constructif qu’elle a accompli, pour reprendre les mots de Louis Nègre.

Les inondations sont toujours un terrible traumatisme pour les populations sinistrées, qui, préparées ou non, voient leurs maisons, leurs véhicules, leur patrimoine, leurs souvenirs et, malheureusement, parfois leurs proches disparaître dans les flots.

Il est exact que les épisodes cévenols ne sont pas une exception varoise ; ils touchent pratiquement toute la Provence et tous les départements : le Gard, la Drôme, le Vaucluse,…

M. Robert Tropeano. Et l’Hérault !

M. Alain Dufaut. … et l’Hérault.

Pour ma part, j’ai eu le triste privilège de vivre les dramatiques inondations de l’Ouvèze à Vaison-la-Romaine, en 1992, lesquelles, je le rappelle, ont fait plus de quarante victimes.

Mes chers collègues, je suis aussi conseiller général de Vaucluse depuis 1982. Sur le territoire de mon canton se trouve l’île de la Barthelasse, sur le Rhône, sur laquelle s’est rendue la mission. Cette île, en plus d’être la plus grande île fluviale d’Europe, avec 650 hectares, est également extrêmement soumise au risque d’inondations – un risque décennal –, puisqu’elle se situe dans une zone d’expansion de crues, une ZEC.

De même, la ville d’Avignon, en raison de sa situation à l’embouchure de la Durance et du Rhône, est évidemment victime des crues du Rhône, les dernières ayant eu lieu en 2003, avec 2,5 mètres d’eau sur l’île de la Barthelasse.

Vous comprendrez donc que, en trente ans de mandat local, j’ai pu constater les effets dévastateurs des crues. J’ai aussi pu voir parfois les évolutions positives en matière de protection contre les inondations ainsi, malheureusement, que les espoirs déçus de certains de nos concitoyens et de nombreux élus.

À ce sujet, je voudrais revenir un bref instant sur le fameux plan Rhône, dont la finalité était bien d’aboutir à une meilleure protection des terres situées au bord du Rhône, bien souvent victimes de ces inondations.

Plusieurs réunions et comités ont été organisés au cours des cinq dernières années pour préparer ce plan Rhône, créant chez les riverains et leurs élus une attente de mesures concrètes seules à même d’améliorer leur protection.

Personnellement, j’ai participé à ces comités, comme tous les parlementaires riverains, les maires, de nombreux autres élus et les syndicats. Or les conclusions finales ont abouti à l’annonce subite, le 24 janvier dernier, par le préfet coordonnateur du bassin Rhône-Méditerranée-Corse, Jean-François Carenco, de la non-mise en œuvre de « l’ensemble du projet d’optimisation de la gestion des zones d’expansion de crues entre Viviers et Beaucaire tel qu’initialement envisagé ».

Au final, après cinq années de réunionnite, alors que plusieurs demandes techniquement réalisables et de nature à accroître la protection de certaines zones contre les inondations avaient été formulées par les différents intervenants, celles-ci ont été tout bonnement abandonnées et seul le confortement des digues de Camargue a été acté et réalisé. Autrement dit, rien en amont de la ville d’Arles !

Des mesures techniques préventives étaient possibles. Je pense non seulement au dragage du Rhône plus largement que le seul chenal de navigation tel qu’il est réalisé actuellement, mais aussi aux vidanges préventives des barrages de la Compagnie nationale du Rhône, qui pourraient atténuer la fréquence des crues du Rhône, à la suppression des embâcles au droit des ouvrages d’art, qui constituent des bouchons naturels pour la fluidité de l’eau, et bien sûr aux transferts de ZEC.

Je veux maintenant dire quelques mots des PPRI, sujet que je connais bien pour avoir travaillé dans le passé avec Nelly Ollin, alors ministre, à leur mise en place.

À l’origine, ils avaient été conçus comme évolutifs. Or, comme l’a justement dit M. le rapporteur, il est désormais quasiment impossible de les amender. Cette situation, contraire à l’aspiration originelle du législateur, empêche toute amélioration de la situation pour certaines zones peuplées, par exemple l’île de la Barthelasse, qui compte 1 000 habitants, et toute reconquête de champs d’expansion de crues sur des terrains quasi vierges.

En clair, nous organisons des débats publics, nous lançons des réflexions, nous faisons espérer certains territoires, des populations, des élus, pour, au final, ne rien faire. Dans ces conditions, autant dire clairement que nous figeons les territoires et que les riverains des zones potentiellement inondables, les ZEC, n’ont qu’à déménager ou assumer leur choix de rester sur ces territoires, avec les risques que cela comporte.

Si la protection des zones densément peuplées est évidemment logique, le fait de laisser d’autres territoires peuplés et économiquement importants être fréquemment inondés sans jamais rien faire pour améliorer leur situation, pour limiter la fréquence des crues, me paraît, en tant qu’élu, proprement inconcevable, surtout lorsque des zones inhabitées et agricoles sont, elles, protégées, à proximité de ces mêmes ZEC.

Aussi, j’invite la représentation nationale à favoriser la mise en eau de zones protégées, mais sans enjeu, car peu peuplées ou faiblement dotées économiquement, et, dans le même temps, à diminuer la vulnérabilité aux inondations de certaines ZEC, plus densément peuplées ou portant une activité économique très importante. C’était l’un des objectifs principaux du plan Rhône, et il n’y a pas été donné suite.

Pour cela, il faudra bien sûr légiférer sur la base de certaines préconisations de la mission commune d’information.

Soyez assurés, monsieur le président de la mission, monsieur le rapporteur, que nous sommes prêts, au Sénat, à poursuivre ce travail législatif à vos côtés. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Delphine Batho, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la mission commune d’information sur les inondations qui se sont produites dans le Var et, plus largement, dans le sud-est de la France au mois de novembre 2011 a remis un rapport dense et précis, que le Gouvernement a analysé en détail.

Je remercie le Sénat, au nom du Gouvernement, en y associant mon collègue Manuel Valls, qui n’a pu être présent ce soir, d’avoir réalisé ce travail important et utile à un moment où l’État est en train d’élaborer une stratégie nationale de prévention du risque d’inondation.

Je tiens tout particulièrement à rendre hommage au rapporteur, Pierre-Yves Collombat, pour la qualité de son travail. Sa réflexion a été nourrie d’informations extrêmement précises, riches et denses. Je remercie également le président de la mission commune d’information.

Au terme de ce débat, le premier mot qui me vient à l’esprit, c’est celui de responsabilité. En effet, cette discussion a mis l’accent sur une fonction éminente et capitale du ministère de l’écologie : le rôle de prévention des risques naturels et, notamment, des risques majeurs. Cette mission a trait à la sécurité des biens et des personnes dans notre pays.

Comme vous, je songe avant tout aux victimes, notamment à celles des événements dramatiques de juin 2010, qui ont coûté la vie à vingt-trois personnes et ont engendré 1,2 milliard d’euros de dégâts matériels ; je pense également aux victimes des inondations de novembre 2011, lesquelles ont entraîné quatre décès. Et comment ne pas évoquer le drame encore récent qui a coûté la vie à deux étudiants à la fin du mois d’octobre à la suite de la montée rapide des eaux de ruissellement ? Les circonstances de ce drame doivent d’ailleurs encore être éclaircies.

Nul ne peut se résigner à ces pertes humaines. Ce soir, je m’associe naturellement à la douleur des familles et à celle de tous nos concitoyens qui ont subi les conséquences dramatiques de ces catastrophes naturelles. Je tiens également à vous assurer que le Gouvernement travaille à ce que les mêmes causes n’entraînent pas les mêmes effets. C’est un chantier de longue haleine, j’en conviens ; c’est une tâche complexe et difficile. Les élus locaux le savent. Toutefois, l’État est déterminé à améliorer la prévention du risque d’inondation.

À cet égard, monsieur le rapporteur, vous notez que ces différentes crises ne se ressemblent pas. Vous le soulignez, le fonctionnement du dispositif de vigilance et d’alerte et la mise en œuvre des procédures de secours ont permis de limiter, en 2011, l’ampleur des conséquences des inondations.

À l’occasion de ce débat, je tiens à rendre hommage à tous ceux qui œuvrent pour la sécurité des personnes et des biens, lors de la gestion des crises comme en dehors des crises, au titre de la prévention des risques. Je songe bien sûr aux services de secours, aux agents de la sécurité civile, aux pompiers, aux agents de l’État chargés de la prévention des risques dans l’administration centrale ou déconcentrée, sans oublier les personnels des collectivités territoriales qui, au quotidien, s’emploient à réduire l’exposition des populations aux risques naturels.

Je n’oublie pas non plus les élus locaux, qui montent au front dès qu’il s’agit de faire face à des situations d’urgence.

M. Robert Tropeano. Ça, c’est sûr !

Mme Delphine Batho, ministre. De nombreux orateurs ont évoqué la culture du risque. Les événements du Var, comme ceux qui se sont produits il y a tout juste quelques semaines dans le Pas-de-Calais, nous rappellent que la France est un pays soumis à un important risque d’inondation. De fait, si seulement 5 % de la superficie de notre territoire est inondable, plus de 17 millions de Français sont exposés à ce danger. Pis, cette vulnérabilité tend à s’accentuer. Ainsi, le nombre de logements construits en zone inondable a augmenté de 8 % entre 1999 et 2006.

Soit dit par parenthèse, on ne peut pas comparer la situation de la France avec celle des Pays-Bas, dont 60 % du territoire est composé de zones inondables, même si notre pays présente une exposition notable à ce risque.

Au surplus, la France compte 9 millions d’emplois situés en zone inondable ; ce sont autant d’activités et d’entreprises qui peuvent être paralysées en cas d’inondation.

En moyenne, le coût des dégâts causés par les inondations au cours des trente dernières années est de l’ordre 650 à 800 millions d’euros par an. Or, je le rappelle, pour l’État, le budget de la prévention des risques d’inondation s’élève à 250 millions d’euros.

Évidemment – ce constat a déjà été dressé –, ce risque peut être aggravé par les changements climatiques. Au reste, comme le souligne le rapport, les incertitudes persistent quant à l’impact de ces derniers sur les inondations. À ce stade, les études scientifiques ne permettent pas d’identifier par cours d’eau ou par grandes régions géographiques comment le changement climatique va affecter les inondations extrêmes. Sur le littoral, l’élévation du niveau de la mer est un risque quantifiable ; ce travail est bien plus complexe concernant les risques de crue.

Monsieur le rapporteur, je souscris donc à votre conclusion : ces incertitudes ne doivent pas nous conduire à l’inaction. Il est au contraire urgent de redéfinir une politique de prévention des risques à la fois ambitieuse et responsable. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai choisi de faire de la prévention des risques une priorité, dans un contexte budgétaire contraint, en préservant les moyens financiers de l’État consacrés à la politique de prévention du risque d’inondation. Les crédits du Fonds de prévention des risques naturels majeurs enregistrent même une légère augmentation.

Je rappelle que la politique de prévention des risques de l’État repose sur sept piliers.

Premier pilier : la connaissance du risque ; c’est l’enjeu des études menées par les services de l’État.

Deuxième pilier : la prise en compte des risques dans l’aménagement du territoire ; c’est le rôle des PPR, créés par la loi de 1995, qui elle-même faisait suite au drame survenu à Vaison-la-Romaine en 1992. La loi Barnier a ainsi modernisé des outils qui dataient du XIXe siècle et réformé un décret-loi de 1935 relatif aux plans d’exposition aux risques.

Troisième pilier : la vigilance, la prévision et l’alerte. Les services de prévision des crues, les SPC, ont été réformés en 2002 ; en 2007, a été créée une vigilance « pluie-inondations », puis, en 2011, une vigilance « vagues-submersions ».

Quatrième pilier : la réduction de la vulnérabilité non seulement collectivement, c’est le rôle des digues ou des zones d’expansion de crues – pour cela, nous avons un outil, les PAPI, lancés dans les années quatre-vingt-dix –, mais aussi individuellement, via les prescriptions des PPR et les aides du fonds Barnier.

Cinquième pilier : l’information des populations.

Sixième pilier : la gestion de crise.

Septième pilier : les retours d’expérience. Comme de nombreux orateurs l’ont rappelé, l’histoire de la politique de prévention des risques menée par l’État, en particulier sur le plan législatif, a été marquée par les leçons qui ont été tirées d’un certain nombre de catastrophes.

Je souscris largement aux analyses que ce rapport consacre à certaines imperfections de la politique de prévention des inondations. J’ai entendu les interpellations qui sont adressées à l’État, et j’ai la volonté d’y répondre, du moins au titre des domaines relevant de ses attributions. En effet, je le souligne à mon tour, en la matière, les compétences sont étroitement partagées entre l’État et les collectivités territoriales.

Si je ne prétends pas répondre ce soir à toutes les recommandations de votre mission commune d’information, il me semble important de vous soumettre quelques réflexions.

Pour commencer, j’aborderai un thème qui structure une large partie du rapport : la nécessité de définir une stratégie, des objectifs, des moyens adaptés non seulement financiers mais aussi organisationnels, via un suivi de la mise en œuvre de la politique. Il est en effet fondamental que le chantier de prévention des risques fasse l’objet d’une approche transversale et stratégique, en lien avec les autres politiques publiques, notamment celles qui concernent l’aménagement du territoire.

Cette stratégie de gestion du risque d’inondation doit se décliner aussi bien sur le plan national qu’au sein des territoires. Dans ce contexte, il me semble important de nous appuyer sur l’outil que nous donnent la directive européenne relative à la gestion des inondations et sa transposition nationale.

Ainsi, nous devons élaborer collectivement une stratégie nationale de gestion du risque d’inondation. Il convient donc de mettre en œuvre un plan de gestion des risques d’inondation, structurant l’action dans les grands bassins, et des stratégies locales doivent être définies dans les territoires prioritaires identifiés, c’est-à-dire dans les zones soumises à un risque important au sens de la directive.

Ces dispositions sont peu mentionnées dans le rapport. C’est peut-être le signe du caractère encore récent de cette démarche, qui n’est pas encore suffisamment identifiée dans les territoires. Malgré l’importante phase de concertation engagée par l’administration, tant au niveau central que par les préfets coordonnateurs de bassin, nous devons encore mieux communiquer sur cet outil. J’en suis consciente.

Le choix des territoires à risque important est désormais arrêté à l’échelle des bassins. Ensuite, les parties prenantes devront élaborer les plans et stratégies locaux. C’est une démarche capitale, qui doit nous permettre de progresser collectivement.

La Commission mixte inondation, pluripartite, dans laquelle les élus et les territoires sont largement représentés, est chargée d’élaborer la stratégie nationale en la matière. Lors de sa séance du 17 octobre, un débat sur le contenu et la méthode d’élaboration de la stratégie a été conduit sur la base des grands principes et objectifs arrêtés au printemps, en vue de lancer l’élaboration concrète du document final.

Les membres de la commission ont plus particulièrement décidé d’approfondir cinq axes prioritaires : réduire la vulnérabilité lors du renouvellement urbain ; améliorer la connaissance ; se préparer à la crise via une planification ; clarifier la maîtrise d’ouvrage des actions ; et enfin, analyser plus en profondeur les rapports entre l’économie et les risques.

Par ailleurs, j’ai demandé aux services de la Direction générale de la prévention des risques de veiller au bon déroulement des travaux de la commission, d’y associer tous les élus concernés, et que soit menée la plus large consultation permettant d’aboutir à l’adoption de cette stratégie nationale d’ici au mois de juin prochain. De même j’ai demandé aux préfets d’intensifier encore davantage les échanges territoriaux consacrés à l’élaboration des plans de gestion des risques d’inondation et des stratégies locales. Nous devons tous être présents au rendez-vous.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le rapport trace de nombreux axes de travail concrets. J’en retiendrai quelques-uns, pour illustrer la volonté du Gouvernement.

Tout d’abord, j’évoquerai le dispositif de vigilance.

Lorsque survient une crue rapide, l’alerte repose en premier lieu sur le dispositif de prévision des inondations, via la vigilance météorologique et la vigilance « crues ». Grâce à une étroite collaboration entre le réseau du Service central d’hydrométéorologie et d’appui à la prévision des inondations, le SCHAPI, et le Service de prévision des crues, le SPC, l’État surveille un linéaire d’environ 20 000 kilomètres de cours d’eau. Ce sont les dispositifs éprouvés des niveaux de vigilance, que le grand public commence à bien connaître.

Néanmoins, votre rapport le souligne, les limites de « l’état de l’art » en matière de prévision – c’est-à-dire des ressources scientifiques et technologiques disponibles – n’ont pas permis à Météo-France, en juin 2010, d’être suffisamment précis pour cibler la zone qui allait être touchée, ni le volume de pluie ou encore la durée précise du phénomène.

Il est donc nécessaire de consacrer un outil complémentaire aux pluies intenses très localisées. En partenariat avec le ministère de l’intérieur, Météo-France a développé un service qui envoie automatiquement un avertissement aux communes qui le désirent, dès que des pluies intenses, voire exceptionnelles sont constatées sur un territoire.

Concernant les dispositifs de prévision, je compte également poursuivre l’équipement du territoire en radars et stations hydrométriques. Dans ce cadre, j’ai proposé au Parlement que les moyens financiers dédiés à la prévision des inondations soient intégralement préservés en 2013.

En matière d’alerte, vous préconisez de mettre en œuvre des procédures de remontée de l’information du terrain vers les centres opérationnels départementaux et les services de protection civile.

C’est le devoir des sapeurs-pompiers que de rendre compte, en toutes circonstances, de leur activité opérationnelle au préfet. Les maires des communes, premiers acteurs de terrain lors de la gestion de crise, informent également l’autorité préfectorale et communiquent avec elle. Ils sont pleinement inclus dans ce dispositif décisionnel de la gestion de crise.

Vous l’avez souligné, au-delà de la connaissance technique des phénomènes, l’essentiel réside dans la pleine maîtrise de l’historique des événements. C’est pour cette raison qu’a été décidée la création de « référents départementaux inondation ». Ces derniers ont pour mission d’être la mémoire des précédents événements, d’être la personne ressource des autorités et le conseiller du préfet en situation de crise.

Enfin, je tiens à vous confirmer que le système d’alerte et d’information des populations, le SAIP, reste une priorité du Gouvernement en matière de sécurité civile. Je le souligne, 44,7 millions d’euros seront inscrits au budget de la mission « Sécurité civile » en vue de la réalisation de ce système, qui a vocation à couvrir l’ensemble des 1 743 bassins de risques identifiés sur le territoire métropolitain.

Ce système de sirènes, totalement rénové, doit être complété par la possibilité d’envoyer des messages vers les téléphones portables, dispositif que vous avez mentionné ; ce système permettra d’accomplir un saut qualitatif évident dans l’alerte et l’information de la population.

Le déploiement du SAIP fait appel aux nouvelles technologies. Il nécessite surtout un partenariat très large et très fort entre les préfectures, les mairies et les exploitants, afin de disposer d’un état des lieux et d’une expression des besoins de bonne qualité, tenant notamment compte des dispositifs existants.

Ce nouveau système sera réellement à la disposition des maires. Ces derniers auront la possibilité de le déclencher dans leur zone de compétence. Ainsi, ils seront pleinement acteurs de la gestion de crise. S’agissant du département du Var, soixante-quatre sirènes seront installées dans le cadre de la première phase de mise en œuvre.

Concernant l’organisation des secours, vous soulignez en particulier que la direction des opérations de secours est « une compétence illusoirement partagée entre le maire et le préfet ».

La compétence accordée au maire par la loi a tout son sens pour les opérations de secours qui concernent une seule commune. Elle va de pair avec sa compétence en matière de police générale et couvre la quasi-totalité des événements survenant à l’échelle d’une commune.

Face à un événement exceptionnel, l’association étroite des maires à la gestion de crise est une nécessité et même un impératif. Elle est constamment rappelée par le ministère de l’intérieur, qui préconise au demeurant la participation systématique des communes aux exercices organisés dans le cadre de ses formations. Les officiers de sapeurs-pompiers qui assument les fonctions de commandant des opérations de secours ont également la charge d’impliquer et d’informer les maires lors des différents événements.

Toutefois, en situation de crise, il faut éviter toute rupture dans la direction des opérations de secours. Le maire conserve une place déterminante dans le dispositif opérationnel. Le rôle du sous-préfet d’arrondissement doit également être renforcé en situation de crise. Premier échelon de la représentation de l’État sur le terrain, les sous-préfets incarnent la proximité et permettent à l’État de conserver une relation permanente avec les élus.

En cas d’événement grave, l’unicité du commandement est le gage de l’efficacité de l’organisation de la réponse. Elle permet aussi d’affecter les moyens au regard d’une situation évaluée à l’échelle départementale.

Le rapport évoque également la question de la planification, et plus particulièrement des plans communaux de sauvegarde et du dispositif ORSEC. Toutes les préfectures de département poursuivent des actions d’incitation et d’accompagnement à la mise en place des plans communaux de sauvegarde. L’accent est mis sur la dimension opérationnelle de ce plan, la nécessité de le tester et de le tenir régulièrement à jour.

Dans le Var, comme vous l’avez relevé, monsieur le rapporteur, les plans communaux de sauvegarde sont plus souvent centrés sur le risque de feu de forêt que sur celui d’inondation ; il convient de corriger cette situation.

Je sais que, dans les plus petites communes, comme dans les villes plus importantes, les citoyens s’engagent pour aider les populations sinistrées en se mettant à la disposition du maire. Cette culture de l’implication des populations, qui était empirique dans chacune des communes, a trouvé un cadre légal en 2004, avec la loi de modernisation de la sécurité civile. Dans le Var, une force de plus de 4 000 citoyens, engagés au sein des comités communaux feux de forêts, a ainsi pu être constituée. Le ministre de l’intérieur souhaite que les associations de sécurité civile, et notamment les réserves communales de sécurité civile, soient mieux reconnues par l’administration centrale. L’implication du citoyen conduira à construire une société plus résiliente, c’est-à-dire mieux adaptée aux changements climatiques et aux risques naturels.

Le rapport évoque par ailleurs la question de l’articulation entre aménagement et urbanisme, en particulier au travers des plans de prévention des risques.

Élaborer des règles nationales, comme le préconise le rapport, est une nécessité. La loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « loi Grenelle II », a ouvert la possibilité d’élaborer par décret les règles régissant les plans de prévention des risques. Force est de constater que cette possibilité n’a pas, à ce jour, été utilisée par les précédents gouvernements. Les services de mon ministère ont commencé un travail en ce sens, dont je souhaite qu’il puisse déboucher sur une concertation approfondie avec les parties prenantes, les collectivités territoriales en particulier, au premier semestre de 2013.

Je partage pleinement l’avis du rapporteur, souhaitant que nous passions d’une logique de protection à une logique d’aménagement durable du territoire, intégrant la présence du risque d’inondation non pas comme une contrainte, mais comme un élément de contexte. Le plan de prévention des risques est un outil que l’on peut mobiliser au service de cet objectif, mais il doit s’inscrire dans une approche plus large, dans le cadre d’un projet de territoire. Ainsi, pour prendre un exemple, l’artificialisation des sols et ses conséquences sur le ruissellement doivent être davantage prises en considération aujourd’hui.

En matière de réalisation de plans de prévention des risques d’inondation, la couverture territoriale progresse, avec une stratégie de plans prioritaires. Le bilan des plans est, à bien des égards, intéressant : plus de 8 000 communes sont couvertes par un PPRI approuvé ; récemment, des plans ont été approuvés dans des grandes agglomérations, comme Toulouse, Nîmes, Nancy, sur des territoires qui concentrent à la fois risques d’inondations lourds, enjeux urbains et demande foncière.

Je souscris à l’objectif d’une meilleure appropriation de ces plans, aussi bien par les élus que par les habitants. Cette appropriation passe sûrement par une concertation plus sereine. L’approbation d’un plan de prévention des risques est souvent perçue comme une contrainte par les collectivités. Il ne faut pas nier que les mesures prévues par un plan de prévention des risques sont effectivement contraignantes, mais justifiées par la présence d’un risque et proportionnées à l’importance de ce risque. Nous devons envisager lucidement ce risque et, si la phase de concertation est fondamentale, il appartient également à l’État de prendre ses responsabilités lorsque la concertation n’aboutit pas.

Le rapport souligne également la nécessité de renforcer et de clarifier les compétences en matière de prévention des risques, notamment sur le volet « gestion et entretien des cours d’eau et des digues de protection ». Je m’associe à cette analyse, monsieur le rapporteur : il s’agit, là encore, d’un enjeu clé que d’autres sénateurs ont évoqué dans la discussion. Depuis des années, les problèmes sont identifiés : l’organisation de la gestion des digues, le financement de l’entretien de celles-ci, la définition des responsabilités de leurs gestionnaires, l’organisation et le financement de la gestion de l’entretien des cours d’eau. Il faut à présent y apporter des réponses.

Un premier projet de décret sur l’encadrement des responsabilités des gestionnaires de digues, pris en application de la loi « Grenelle II », a déjà fait l’objet de nombreuses discussions. Celles-ci n’ont pas encore abouti, notamment en raison de craintes légitimes relatives aux financements nécessaires, en particulier pour l’entretien. Nous savons tous que l’état de nos digues est très hétérogène ; il me paraît donc important de ne pas éluder davantage la question de la responsabilité des gestionnaires d’ouvrages. Mais il est également évident qu’on ne pourra pas traiter cette question de façon satisfaisante, sans avoir trouvé des solutions pour le financement pérenne de l’entretien.

Une piste pourrait consister à ouvrir la possibilité aux collectivités locales qui se porteraient gestionnaires de créer une ressource en levant, par exemple, une taxe additionnelle dans les zones protégées par la digue – une telle solution existe historiquement en Savoie. Quoi qu’il en soit, cette solution doit faire l’objet d’une étude préalable. Je souhaite donc pouvoir proposer aux collectivités locales une réflexion sur les compétences et les financements en matière de protection contre les inondations, qui s’appuiera sur le rapport sénatorial, puisque celui-ci propose des pistes intéressantes.

Comme vous, je pense que nous devons plus globalement nous pencher sur la question de la gestion des cours d’eau en général et non de la seule protection contre les inondations. Le Comité national de l’eau, à la demande des élus, a souhaité lancer une réflexion sur ce sujet, y compris sur ses aspects financiers. La proposition de généraliser les établissements publics d’aménagement et de gestion des eaux et les établissements publics territoriaux de bassin mérite d’être versée à ce débat.

Il n’y aura pas forcément de solution uniforme, compte tenu de la diversité de la nature des risques – submersion marine, débordement de cours d’eau, ruissellement –, des enjeux, de l’histoire et de l’organisation des territoires. Mais il nous appartient de définir un cadre pour que chaque territoire puisse trouver l’organisation qui lui convienne.

Pour conclure, je tiens à réaffirmer l’importance et la constance de l’engagement de l’État pour soutenir les projets des territoires. Au-delà des seuls aspects budgétaires, je maintiendrai le soutien de l’État aux actions contractuelles globales conduites dans les territoires, via les programmes d’action de prévention des inondations et les plans de soutien au renforcement des digues, sans attendre que les stratégies locales prévues par la directive « inondation » soient établies.

Le rythme d’élaboration des projets par les collectivités territoriales et d’instruction par l’État est soutenu : les commissions de sélection de juillet et d’octobre ont validé plus de quinze projets et huit autres sont prêts à être examinés lors des sessions de décembre et de janvier ; le premier projet de PAPI dans le département du Var sera présenté à cette occasion. Depuis 2011, trente-trois nouveaux projets ont été labellisés sur le plan national, pour un coût total de 460 millions d’euros, dont 170 millions d’euros d’aides de l’État.

Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez assurés, en tout état de cause, de la volonté du Gouvernement de travailler avec détermination sur ce sujet prioritaire. Je pense que le rapport d’information du Sénat sera une contribution précieuse et utile aux travaux conduits actuellement dans la perspective de l’élaboration de la stratégie nationale de gestion des risques d’inondation qui doit être établie d’ici au mois de juin prochain. Je souhaite que celle-ci puisse être présentée avant son adoption, dans le cadre des commissions compétentes, à l’ensemble des sénateurs et, en particulier, au président et au rapporteur de la mission commune d’information afin qu’ils puissent vérifier qu’un certain nombre de leurs propositions sont directement retenues. (Applaudissements.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les inondations qui se sont produites dans le Var et, plus largement, dans le sud-est de la France au mois de novembre 2011.

La parole est à M. le président de la mission commune d’information.

M. Louis Nègre, président de la mission commune d’information sur les inondations dans le Var. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant que la séance ne soit levée, je souhaiterais rendre hommage à M. Jacques Rauline, directeur général des missions institutionnelles, qui, près de prendre sa retraite, a œuvré au « Plateau » pour une dernière séance du soir. (Applaudissements.)

M. le président. La présidence s’associe à cet hommage.

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Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 20 novembre 2012 :

À neuf heures trente :

1. Questions orales.

De quatorze heures trente à dix-huit heures trente :

2. Proposition de loi relative à la représentation communale dans les communautés de communes et d’agglomération (n° 754, 2011-2012) ;

Rapport de Mme Virginie Klès, fait au nom de la commission des lois (n° 108, 2012-2013) ;

Texte de la commission (n° 109, 2012-2013).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt-trois heures vingt-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART