compte rendu intégral
Présidence de M. Thierry Foucaud
vice-président
Secrétaires :
M. Hubert Falco,
Mme Catherine Procaccia.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Mise au point au sujet d'un vote
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.
Mme Jacqueline Alquier. Monsieur le président, M. Jean-Claude Frécon, retenu à Strasbourg pour une session de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, m’a chargée de faire une mise au point au sujet d’un vote intervenu la semaine dernière.
Le 17 janvier dernier, lors du scrutin public n° 82 portant sur l’article 2 du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des délégués communautaires, et modifiant le calendrier électoral, M. Jean-Claude Frécon, qui était également ce jour-là à Strasbourg, au Conseil de l’Europe, a été déclaré comme votant pour, alors qu’il souhaitait s’abstenir.
M. le président. Acte est donné de cette mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
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Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports, déposé sur le bureau du Sénat le 3 janvier 2013.
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Dépôt d'un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Raphaël Hadas-Lebel, président de la commission dite « de la copie privée », le rapport d’activité pour les années 2010-2011 de cette commission, établi en application de l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, et est disponible au bureau de la distribution.
5
Débat sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement, organisé à la demande de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement (rapport d’information n° 42).
Dans le débat, la parole est à Mme la présidente de la mission commune d’information.
Mme Sophie Primas, présidente de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement. Monsieur le président, madame le rapporteur, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’utiliserai, pour mon intervention, l’ensemble du temps de parole qui m’a été accordé, soit dix minutes en ma qualité de présidente de la mission commune d’information et six minutes au nom de mon groupe.
En ce début de débat, il est du devoir de la présidente de la mission commune d’information de rappeler quelques dates, chiffres et événements concernant les travaux de la mission, mais aussi d’évoquer l’esprit qui a animé ses travaux. Vous me permettrez également d’exprimer, cette fois à titre individuel, les convictions que je me suis forgées au cours de ces six mois de présidence.
La mission a été créée à l’instigation de ma collègue Nicole Bonnefoy, en raison notamment de l’actualité qui a marqué son département.
Je souhaiterais adresser, au nom de la mission, mes plus sincères remerciements à M. Paul François ainsi qu’aux membres de son association, Phyto-victimes, et particulièrement à M. Jacky Ferrand – tous deux présents dans les tribunes aujourd'hui –, pour l’accueil qu’ils nous ont réservé en Charente et la grande sincérité de leurs propos. Je tiens à saluer leur dignité dans une épreuve pourtant très difficile. Je dois vous dire que leurs témoignages nous ont, certes, bouleversés, mais, surtout, conduits à traiter ce sujet en dehors de tout esprit partisan, en toute responsabilité et dans l’intérêt général.
Je dois souligner que notre mission a bénéficié, tout au long de ses travaux, de l’intérêt marqué des sénateurs, tous groupes politiques confondus. Je remercie mes collègues membres de la mission commune de leur travail de leur implication et me félicite de l’excellente ambiance qui a prévalu tout au long de ces mois.
La mission a débuté ses travaux en mars 2012 et a immédiatement décidé de limiter son champ d’investigation à l’impact des pesticides sur la santé des utilisateurs, qu’ils soient ou non professionnels, et de ceux qui se trouvent en amont de leur utilisation. Traiter des questions relatives à l’environnement ou à l’alimentation excédait le domaine auquel il était réaliste de consacrer nos investigations en quelques mois. Nous avons l’espoir que ce volet sera traité par une prochaine mission d’information.
Nous avons achevé notre mission en octobre 2012, au terme de six mois de travaux, après avoir procédé à 95 auditions au Sénat et en province, grâce aux visites effectuées dans cinq départements, à savoir la Charente, le Lot-et-Garonne, le Morbihan, le Rhône et, enfin, le Val-de-Marne, précisément à Maisons-Alfort, avec une journée de travail à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES – soit, au total, une centaine d’heures de dialogue avec plus de 200 personnes.
Notre mission s’est conclue avec l’adoption, à l’unanimité, d’un rapport comprenant plus d’une centaine de recommandations.
Cette unanimité, que tous les membres de la mission souhaitaient, était un signal fort adressé aux acteurs concernés : jardiniers du dimanche, distributeurs professionnels ou « grand public », industriels, agents des collectivités territoriales et, bien sûr, agriculteurs.
Les propositions de la mission sont d’importance naturellement très variable ; elles ont quelquefois suscité une adhésion plus ou moins marquée de chacun d’entre nous, selon nos sensibilités. Certains auraient souhaité aller plus loin, plus vite, d’autres avaient quelques appréhensions, mais nous souhaitions avoir une position commune forte pour faire entendre notre message unanime : la santé doit être au cœur de notre action.
Nos travaux ont été ponctués par une actualité souvent riche qui a souligné le caractère parfois polémique, j’irais jusqu’à dire passionnel, des thèmes abordés par la mission.
Ainsi, à titre d’exemple, au mois d’octobre 2012, la publication de travaux d’un universitaire consacrés aux effets des organismes génétiquement modifiés sur la santé, dont les médias se sont très largement fait l’écho, a conduit plusieurs membres de la mission à assister à l’audition commune de l’ANSES organisée par l'Assemblée nationale sur le sujet, controversé, de la nature des évaluations des dangers et des risques de ces produits pour la santé.
Ce thème de réflexion était connexe à celui de la mission et illustrait un schéma parfaitement identique à celui que l’on connaît pour la dangerosité des pesticides : d’une part, des travaux scientifiques par nature partiels et controversés ; d’autre part, un manque cruel d’informations dans les domaines de l’épidémiologie, la toxicologie et l’expologie rendant impossible une analyse globale et contradictoire. Dans ce cas, il est toujours difficile de distinguer le fondement scientifique réel de l’emballement partisan, par ailleurs non dénué d’intérêt. Cela laisse le champ libre à toutes les interprétations, des plus rassurantes aux plus alarmistes. C’est la fameuse fabrique du doute…
Avant de lui laisser la parole pour présenter le rapport et les recommandations de la mission, je souhaiterais remercier vivement et chaleureusement notre rapporteur, Mme Bonnefoy, pour le travail considérable qu’elle a fourni et l’esprit cordial et républicain avec lequel nous avons fait équipe.
Le bureau a adopté cinq constats, qui ont servi de socle à la centaine de recommandations proposées et votées.
Première constatation, les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont sous-évalués.
En effet, les maladies liées à l’utilisation de produits phytosanitaires sont de deux ordres.
Elles peuvent, d’une part, être la conséquence directe d’un accident. Dans ce cas, malgré l’actualité récente, la véritable difficulté est, pour celui qui en est victime, d’obtenir la reconnaissance qu’il s’agit d’une maladie professionnelle. Beaucoup, oui, beaucoup de progrès sont attendus sur le sujet.
Ces maladies peuvent, d’autre part, être chroniques. Elles apparaissent dix, vingt ou trente ans après l’exposition aux risques, voire sur les générations suivantes.
Dans ce cas – comme pour le tabagisme, en quelque sorte –, le risque est lointain, diffus et aléatoire pour l’utilisateur, donc plus difficile à cerner, plus difficile à admettre, plus difficile à dire et plus difficile à relier aux véritables causes.
Enfin, les maladies qui apparaissent en nombre aujourd’hui – Parkinson, Alzheimer, cancer de la prostate ou cancer du sein… – sont le résultat de nombreuses années de pratiques sans information réelle sur le risque, sans véritable protection à l’exposition de molécules aujourd’hui souvent retirées du marché et ne prenant pas en compte les progrès réalisés ces toutes dernières années seulement.
Aussi avons-nous l’ardente obligation de veiller, par des autorisations de mises sur le marché conformes aux risques et par la définition de conditions d’utilisation, à ce que les molécules d’aujourd’hui ne produisent pas de nouveaux effets sanitaires sur les personnes exposées ou sur leurs enfants.
Deuxième constatation, le suivi des pesticides après leur mise sur le marché n’est qu’imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels et l’effet des perturbateurs endocriniens est mal pris en compte.
Il est clair qu’un grand nombre d’effets sont aujourd’hui mal appréhendés. Je suis certaine que Mme la rapporteur y reviendra, mais je signale dès à présent l’impérieuse nécessité que l’Europe prenne ces problèmes à bras-le-corps. Je pense notamment à la définition et à la classification des perturbateurs endocriniens, pour les produits phytosanitaires comme pour bon nombre de produits de consommation plus courante, aux méthodes d’évaluation des « effets cocktail » et des faibles doses ou encore à la nécessité de retravailler les contrôles post-autorisation de mise sur le marché.
Troisième constatation, les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques. Mon collègue Alain Houpert interviendra sur cette question dans le débat. C’est un point essentiel du rapport, auquel il convient de donner des suites rapides et opérationnelles.
Quatrième constatation, les pratiques industrielles, agricoles et commerciales n’intègrent pas assez la préoccupation de l’innocuité pour la santé du recours aux pesticides. Les industries agroalimentaires, les distributeurs, mais aussi les consommateurs doivent être plus impliqués dans tout le processus conduisant à la diminution de l’utilisation de produits phytosanitaires. Taches sur les pommes, herbes sur les trottoirs, calibrage des légumes… : tout est aujourd'hui standardisé, normé, presque dévitalisé. Pouvons-nous imaginer de revenir en arrière, même raisonnablement ?
Enfin, cinquième constatation, le plan Écophyto 2018 doit être renforcé. Sur ce point, mes chers collègues, vous me permettrez de vous faire part de mes observations.
Si nous avons été confrontés à une grande diversité d’analyses et d’opinions, un dénominateur commun est apparu à l’ensemble des intervenants : la place centrale du dispositif Écophyto 2018, plan visant à diminuer le recours aux produits phytosanitaires tout en continuant à assurer un niveau de production élevé et de qualité.
En effet, malgré les alertes lancées par des membres de la communauté scientifique et des associations depuis de nombreuses années, en France, la véritable prise de conscience de masse s’est produite, en grande part, grâce au Grenelle de l’environnement et à sa transcription dans le plan Écophyto 2018.
La mobilisation impressionnante qui a suivi la mise en place de ce dispositif concerne l’ensemble des acteurs, et je veux ici saluer les efforts réalisés par tous.
En premier lieu, je citerai bien sûr les exploitants agricoles, qui, malgré des réticences bien compréhensibles et l’existence d’un modèle de production agricole encouragé et ancré depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ont peu à peu – peut-être insuffisamment encore – pris conscience des dangers liés à l’utilisation des produits phytosanitaires. La parole est en train de se libérer, notamment sur l’existence de maladies chroniques. Aujourd’hui, les exploitants, et notamment les jeunes, ce qui est très encourageant, affirment leur volonté de mieux se former, de mieux se protéger, de mieux s’acheminer vers une moindre utilisation de produits chimiques.
Bien sûr, il reste du chemin à parcourir, et la valeur d’exemple sur la durée est fondamentale. À ce titre, les fermes Dephy – Démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires –doivent absolument continuer leur développement.
Mais, monsieur le ministre, pour que cela fonctionne, nous devons également entendre l’anxiété des exploitants – et y répondre – lorsque des productions entières sont menacées de disparition sur notre territoire, faute de molécule agréée, de techniques alternatives ou encore de recherche suffisante. Je pense à cet agriculteur du Lot-et-Garonne déplorant la fin de la production de noisettes en France, alors que nous en étions les plus gros producteurs exportateurs il y a quelques années encore.
Nous devons aussi entendre l’anxiété des producteurs face à une fiscalité qui, sous couvert d’intentions louables, peut favoriser les importations parallèles, les fraudes, voire le grand banditisme, véritable fléau dans certaines régions et sur certaines productions. Madame la ministre, monsieur le ministre, ce que nous avons entendu à ce sujet est totalement effarant. À cet égard, je salue le travail des équipes de police et de gendarmerie, les douanes et la justice ainsi que la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, qui, sur ce sujet, doivent être soutenues et écoutés.
Enfin, nous devons entendre la colère légitime des exploitants lorsque l’importation de pays européens les met en situation de concurrence déloyale, en faisant entrer sur notre territoire des fruits et des légumes traités avec des produits interdits en France.
Je veux également m’adresser aux industriels producteurs de produits phytosanitaires. Dans leur démarche et dans leur logique économique mondialisée, ces derniers ont intégré le risque de stigmatisation à court terme de leurs produits, voire de leur interdiction. Pour pérenniser leur activité, ils sont dans l’obligation absolue de modifier la nature de leur recherche et de leur production. Ainsi, une action notable a été menée sur les baisses de volume, sur les nouveaux modes de protection, sur le recyclage des déchets… Je salue, par exemple, l’initiative Adivalor, pour « Agriculteurs, distributeurs, industriels pour la valorisation des déchets agricoles ». Parallèlement, nombre d’entreprises du secteur choisissent d’orienter leurs recherches sur les techniques de biocontrôle et sur les évolutions de molécules actives.
Bien sûr, nous devons être encore plus exigeants, plus vigilants et ne faire preuve d’aucune naïveté. Néanmoins, nous devons travailler avec ces industries, et non contre elles ! Si l’actualité récente sur les néonicotinoïdes doit nous conduire à renforcer et notre vigilance et notre exigence, nous ne pouvons cependant pas fermer les yeux sur les efforts réalisés.
Je veux également saluer l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, son directeur, Marc Mortureux, et ses équipes, qui, dans des périodes difficiles de la révision générale des politiques publiques, ont su remettre en cause leur mode de fonctionnement, évoluer très significativement sur les questions de transparence et de lutte contre les conflits d’intérêt et prendre leurs responsabilités sur des sujets d’actualité - je pense aux épandages aériens ou au programme PERICLES sur les « effets cocktail ».
Cependant, l’ANSES doit encore progresser, et il faut pour cela lui donner des moyens, non pas budgétaires mais humains. À ce propos, je vous rappelle que, financièrement, les moyens de l’Agence sont supportés par les redevances payées par les industriels déposant des demandes d’autorisation de mise sur le marché.
Mais c’est probablement l’Agence européenne de sécurité des aliments qui doit évoluer le plus en profondeur et le plus vite, sur des sujets brûlants, de fond et de forme : reconnaissance des perturbateurs endocriniens – j’en ai parlé –, conflits d’intérêt, rémunérations des experts, réorganisation européenne des agréments, refonte des méthodes d’évaluation, pour sortir des modèles fondés sur les doses journalières admissibles et prendre en compte, par exemple, les effets dits « faibles doses ».
La véritable révolution est bien là, monsieur le ministre de l’agriculture, et je compte sur votre force de conviction pour en être un acteur majeur.
Il m’est impossible de ne pas aussi citer l’importance de la recherche dans son ensemble – recherche agronomique, recherche entomologique, recherche technique sur le matériel, recherche publique, recherche privée –, mobilisée pour développer des moyens de protection supplémentaire, de nouvelles techniques culturales, de nouvelles formulations, de nouvelles ergonomies pour les bidons, les flacons, les épandeurs, de nouvelles sélections variétales.
Sans doute le fléchage des fonds de la recherche publique doit-il être plus volontariste. Sans doute devons-nous aussi, collectivement, ne nous priver d’aucun domaine de recherche : pas de complaisance, mais pas d’obscurantisme non plus !
Enfin, je rends hommage aux collectivités territoriales, lesquelles sont de plus en plus nombreuses à renoncer à l’emploi de produits phytosanitaires ou, au moins, à réduire drastiquement leur utilisation. Nous les encouragerons à continuer dans ce sens.
Bien d’autres acteurs auraient pu être cités. Qu’ils me pardonnent de ne pas l’avoir fait : le temps me contraint…
Au regard des évolutions que j’ai évoquées et du chemin parcouru depuis trois ans, oui, j’affirme que le plan Écophyto 2018 est un succès qualitatif incontestable, de par la mobilisation qu’il a engendrée. Néanmoins, malgré cet élan national, force est de constater que les résultats quantitatifs obtenus en trois ans au titre de ce plan ne sont pas satisfaisants et que, pour tous les acteurs, de nombreux efforts restent à accomplir.
Cependant, soyons justes et assurons la pérennité des actions entreprises. Les mécanismes mis en place ne sont opérationnels que depuis peu de temps. Certains sont encore en cours de déploiement. Ainsi, un grand nombre de nos recommandations se retrouvent dans le plan Écophyto 2018. Toutefois, nous avons estimé de notre devoir de les réaffirmer avec force, afin, justement, que ces mesures soient pérennisées et aient une chance d’atteindre leurs objectifs.
Mes chers collègues, soyons ambitieux et exigeants, mais laissons-nous le temps de mesurer les résultats des actions entreprises. Les cycles de changement de modèle de production sont très longs. Trois ans, c’est un délai incroyablement court à l’aune des évolutions survenues au cours des cinquante dernières années !
Tous les membres de la mission ont souhaité que les propositions retenues puissent prendre vie, par exemple, au travers de propositions de loi ou d’amendements, au fur et à mesure des textes que le Sénat aura à examiner.
Nicole Bonnefoy et moi-même avons été reçues, le 3 décembre 2012, par vous, monsieur le ministre de l’agriculture, et, le 16 janvier 2012 dernier, par vous, madame la ministre de la santé. Nous avons également eu une séance de travail avec le cabinet de Mme Marylise Lebranchu, ministre chargée de la réforme de l’État. Soyez-en tous remerciés ! Ces entrevues nous ont permis de considérer avec vous les recommandations qui pouvaient être mises en œuvre.
Pour terminer, permettez-moi de vous dire, madame la ministre, monsieur le ministre, que les membres de la mission, le rapporteur et moi-même sommes particulièrement heureux de pouvoir dialoguer avec vous aujourd’hui sur les recommandations de la mission afin que tout soit mis en œuvre pour que, une fois de plus, la santé soit au cœur de notre action et de nos préoccupations. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteur de la mission commune d’information.
Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, alertée par un agriculteur victime des pesticides, M. Paul François, j’ai sollicité du président du groupe socialiste du Sénat, au début de l’année 2012, la création d’une mission commune d’information consacrée aux impacts des pesticides sur la santé.
Le sujet n’était pas complètement nouveau pour le Sénat. Dès lors, pourquoi remettre l’ouvrage sur le métier ? Précisément parce que nous avions le sentiment d’être face à un problème complexe, nécessitant des investigations poussées, mais aussi parce que nous sentions une évolution de la sensibilité de nos concitoyens, et, d’abord, des premiers concernés, les agriculteurs, sur les risques que font courir les pesticides à ceux qui les manipulent et vivent au quotidien à leur contact.
Dès le début des travaux de la mission, au mois de mars 2012, l’étendue et la complexité du champ à explorer sont apparues imposantes. En effet, il nous fallait confronter les enseignements de plusieurs disciplines – agronomie, chimie, médecine, biologie, toxicologie, écotoxicologie, expologie, épidémiologie, droit… – et rencontrer des acteurs d’une grande diversité, aux modes de pensée spécifiques et aux intérêts parfois divergents.
Avec la présidente et l’ensemble des membres de la mission, nous avons décidé de centrer nos travaux sur les effets des pesticides sur la santé des utilisateurs directs, à savoir les personnels intervenant dans leur fabrication et leur application, les familles d’agriculteurs et les riverains des épandages, mettant de côté les investigations sur les effets de ces produits sur l’environnement et sur leur présence dans l’alimentation.
Pour mener nos travaux, nous ne sommes pas partis d’une feuille vierge. Nous avons pu nous appuyer sur des rapports parlementaires, en particulier ceux de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPESCT. Je pense au rapport présenté, en 2010, par nos collègues Jean-Claude Étienne et Claude Gatignol, mais également à d’autres rapports, à l’instar de ceux qui furent respectivement présentés par nos collègues Gilbert Barbier – en 2011, sur les perturbateurs endocriniens –, Catherine Procaccia – en 2009, sur l’emploi du chlordécone aux Antilles –, et Marie-Christine Blandin – en 2008, sur l’expertise sanitaire des risques chimiques du quotidien.
Nous avons surtout eu le souci d’écouter très largement l’ensemble des protagonistes liés de près ou de loin à la question des pesticides, menant près d’une centaine d’auditions, et de dégager un consensus entre nous sur le sujet. À l’issue de sept mois de travail, la mission a adopté, à l’unanimité, plus d’une centaine de recommandations visant à réorienter la politique des pesticides en France et en Europe.
Si l’on a coutume de dire que le risque zéro n’existe pas, tendre vers cet objectif nous a paru devoir être le but des décideurs publics en la matière.
Je me réjouis qu’une telle orientation politique ait pu être partagée entre tous les groupes qui composaient la mission, lesquels, au départ, n’avaient ni nécessairement la même vision de la question ni nécessairement la même sensibilité. C’est la preuve qu’en écoutant les acteurs de chaque domaine concerné – économique, agricole, scientifique, sanitaire – et en débattant, on peut produire du consensus sur un problème qui concerne, au premier chef, la santé publique.
Je ne procéderai pas devant vous à la lente et fastidieuse énumération de toutes les recommandations de la mission : j’énoncerai simplement quelques axes forts de notre réflexion et profiterai de la présence des ministres pour poser quelques questions.
Premier axe de réflexion de la mission : la priorité à la santé. Cette priorité a constitué le fil rouge des investigations menées par la mission sénatoriale. Cela pourra en étonner certains mais, dans les faits, à tous les stades du cycle de vie d’un produit pesticide, la priorité à la santé est loin d’aller de soi.
Je prendrai trois exemples pour illustrer mon propos, en suivant le cycle de vie d’un produit phytopharmaceutique avant son autorisation de mise sur le marché, lors de la délivrance de cette autorisation et après celle-ci.
Avant tout engagement dans une procédure d’autorisation, lors des recherches tendant à l’élaboration d’une nouvelle molécule ou d’un nouveau produit, les considérations de santé sont secondaires. L’essentiel est de trouver un produit efficace sur les plantes, les insectes ou les champignons que l’on cherche à éradiquer. Ces recherches sont longues – dix ans de recherche en moyenne sur une nouvelle molécule – et coûteuses pour les industriels qui les mènent.
Ce n’est que dans un second temps, après avoir vérifié l’efficacité du produit, que sa toxicité pour les utilisateurs est examinée. Les recherches comprennent généralement des études toxicologiques, mais devraient aussi comprendre des études immunologiques. Au fond, la mission a estimé que l’évaluation des risques présentait trois lacunes majeures : elles ne sont pas menées sur la vie entière des animaux de laboratoire ni sur plusieurs générations de ces animaux, et les résultats de ces investigations relatives à la santé ne sont pas rendus publics.
Notons d’ailleurs que l’ANSES, dans son avis sur l’étude du professeur Séralini consacrée à la consommation combinée de maïs génétiquement modifié traité au Roundup, regrettait elle-même le manque d’études à long terme dans tous les processus d’évaluation.
L’autorisation de mise sur le marché est la deuxième occasion de constater que la priorité à la santé est insuffisamment prise en compte. La méthodologie suivie pour la délivrance d’une AMM définit une dose journalière admissible d’exposition de l’homme au produit, dose en deçà de laquelle on est censé ne courir aucun risque.
Or les avancées de la science ont montré qu’il est devenu précisément inadmissible de continuer à raisonner en fonction de cette notion de dose décrétée « admissible », puisqu’elle n’a aucune signification lorsqu’il s’agit de pesticides ayant comme propriété d’être des perturbateurs endocriniens.
En effet, la perturbation endocrinienne se manifeste en fonction du moment de l’exposition – par exemple, au cours de la septième semaine d’une grossesse – et non en fonction de la dose reçue. Cette perturbation peut même exister à une dose infime et ne pas apparaître à une forte dose.
Par ailleurs, quelles que soient les précautions et les limites propres à une substance ou à un produit, chaque individu peut être soumis à un cocktail de substances et de produits au cours d’une seule journée de sa vie. En réalité, ce sont les effets sur la santé de ce cocktail qu’il faudrait évaluer, même s’il faut bien convenir que cela peut se révéler difficile.
Sur ce point, le groupe scientifique de l’unité « pesticides » de l’EFSA, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, a émis, en 2008, un avis sur tous les types de toxicité combinée des pesticides. Elle a conclu que seuls les effets cumulés résultant d’une exposition simultanée à des substances ayant un mode d’action commun étaient préoccupants. Depuis 2009, le choix des pesticides devant être l’objet d’un examen conjoint est toujours en cours…
Enfin, le troisième et dernier moment où cette priorité accordée à la santé nous est apparue comme insuffisamment prise en compte correspond à la période d’utilisation effective des produits. Durant des années d’utilisation d’un pesticide, ni les conditions et l’ampleur de son utilisation, ni même les effets négatifs observés sur la santé ne font l’objet d’un suivi et donc ne sont réellement recensés et exploités.
Pourtant, les agriculteurs doivent tenir un registre retraçant leur utilisation de pesticides, mais ces innombrables sources ne sont pas exploitées.
Il existe des réseaux de vigilance censés recevoir des alertes sur les risques liés aux pesticides permettant de provoquer une nouvelle évaluation de ces produits et, potentiellement, de remettre en cause des AMM délivrées, mais un rapport administratif récent a pointé le manque de centralisation des informations ainsi collectées, et finalement les faiblesses de l’évaluation des risques en continu.
Face à cette situation, la mission commune d’information recommande notamment de renforcer les obligations de remontée et d’harmonisation des informations sanitaires de terrain par les réseaux existants et de centraliser les informations collectées en un lieu où les alertes puissent être données et les décisions prises, que ce soit à l’Institut de veille sanitaire, l’InVS, ou à l’ANSES.
Plus d’un siècle d’histoire des pesticides montre que c’est généralement plusieurs dizaines d’années après l’autorisation de mise sur le marché d’un produit devenu suspect pour la santé qu’est prise la décision d’interdiction de fabrication, de commercialisation et d’utilisation. Mais, même à ce stade plus que tardif, l’interdiction a tendance à laisser encore du temps au temps : une période de restriction de l’usage est prévue, d’abord dans la commercialisation puis dans l’utilisation, avant que le pesticide ne disparaisse tout à fait du commerce, tandis qu’il demeurera durant des dizaines et des dizaines d’années dans l’organisme humain ou dans l’environnement.
L’une des préoccupations majeures pour la santé publique résulte de la persistance des effets des pesticides dans le temps, et parfois dans le temps long. Je prends ici l’exemple du chlordécone aux Antilles, dont il est établi qu’il peut demeurer plus de sept cents ans dans l’environnement !
La difficulté à prendre les bonnes décisions vient aussi du fait que les effets de l’exposition aux produits ne se font sentir, parfois, que de nombreuses années après. Le lien entre le produit et la détérioration de la santé est ainsi distendu et n’apparaît pas immédiatement. La quantification de l’effet des pesticides est malaisée, mais le lien apparaît de plus en plus évident, ce qui permet de présumer leur responsabilité dans l’apparition de certaines pathologies.
Il en va ainsi de l’arsénite de soude, interdit depuis 2003, du fait de son rôle dans l’apparition de cancers, en particulier de cancers de la vessie. Nous saluons aussi la reconnaissance en 2012 de la maladie de Parkinson comme maladie professionnelle des agriculteurs. Des liens ont en effet été établis entre l’utilisation d’insecticides aux propriétés neurotoxiques et cette pathologie, ce qui prouve qu’en la matière les mentalités évoluent.
La mission d’information dont j’ai été la rapporteur contribue sans doute à cette prise de conscience de la nécessité de mettre la santé avant toute autre préoccupation lorsque l’on parle de pesticides. La dangerosité de ces produits était encore il y a peu soit niée, soit minimisée. Leurs effets nocifs étaient trop souvent considérés comme le résultat d’une mauvaise utilisation, voire un mal nécessaire. Depuis quelques années, ce point de vue n’est plus acceptable. Je m’en réjouis et souhaite que nous améliorions encore le suivi sanitaire des effets des pesticides.
Ainsi, il conviendrait de généraliser les registres du cancer, qui n’existent aujourd’hui que dans treize départements. Ces instruments de suivi épidémiologique seraient d’ailleurs utiles bien au-delà du seul enjeu des pesticides.
Partant de cette priorité à la santé, la mission commune d’information a réinterrogé la réglementation des pesticides : c’est le deuxième axe de notre réflexion.
Cette réglementation n’est pas nouvelle et s’est même renforcée au fil du temps, avec désormais une forte dimension européenne aux termes de laquelle la mise sur le marché des produits s’organise en deux temps.
Un premier temps est consacré à l’évaluation des substances, qui aboutit à leur homologation. L’harmonisation européenne en la matière est forte, car le « paquet pesticides » de 2009, applicable depuis juin 2011, prévoit désormais une homologation de l’ensemble des substances au niveau de l’Union européenne, après un processus d’évaluation qui fait intervenir l’ensemble des organismes nationaux d’expertise, sous la houlette de l’EFSA. Le processus garantit ainsi une vision commune des États membres et nécessite qu’un dialogue permanent de la communauté scientifique s’instaure.
Une fois les substances inscrites sur la liste de celles qui sont autorisées dans l’Union européenne, encore faut-il autoriser les produits créés à partir de celles-ci : c’est le deuxième temps et c’est l’affaire des firmes, qui se retournent vers les autorités nationales. Le « paquet pesticides » a renforcé, là aussi, l’harmonisation en Europe en permettant des évaluations des produits par groupes de pays et en définissant trois grandes zones géographiques en Europe. La France fait un peu office de pays de référence pour les évaluations de la zone sud, en s’appuyant sur l’ANSES.
La mission ne remet nullement en cause le rôle et l’excellence technique de l’ANSES, mais force est de constater que le dispositif d’évaluation des risques liés aux pesticides souffre de plusieurs faiblesses.
D’abord, il est quasi impossible de s’appuyer sur une expertise totalement indépendante des firmes phytopharmaceutiques. Les experts totalement « hors sol » n’existent pas et la transparence exigée sur leurs liens avec l’industrie à travers les déclarations d’intérêts qu’ils doivent effectuer n’est qu’un pis-aller. Une nouvelle loi sur la prévention des conflits d’intérêt sera peut-être un jour nécessaire.
Ensuite, les données sur lesquelles travaillent les organismes d’évaluation sont fournies par les firmes elles-mêmes, qui ont financé et réalisé les études préalables. Toute une série de biais dans les études sont possibles, fragilisant les investigations sur l’évaluation des risques et transformant quelque peu l’évaluation publique en audit du processus d’évaluation du produit effectué par les firmes.
Certes, il semble difficile d’exiger des études indépendantes avant que les produits soient soumis à la procédure d’autorisation de mise sur le marché, mais la mission a recommandé que, pour les études complémentaires exigées après la délivrance de l’autorisation de mise sur le marché, l’ANSES puisse choisir elle-même les laboratoires chargés de les effectuer, en toute indépendance. De même, la mission a recommandé qu’un réexamen complet de l’AMM puisse être effectué non plus au moment de son renouvellement décennal, mais à mi-parcours, pour prendre en compte les effets connus en situation réelle, in vivo, des produits autorisés
Enfin, les acteurs extérieurs à l’évaluation des produits sont insuffisamment associés au processus ainsi organisé. Or une bonne expertise résulte de la confrontation des points de vue. L’ANSES ne saurait détenir seule une vérité immuable.
La mission recommande une transparence accrue des évaluations, mais aussi un statut pour les donneurs d’alerte. Le Parlement pourrait se voir doté du droit de saisir directement l’ANSES de demandes d’évaluation ou de réévaluation des risques liés à certains produits ou à certaines substances, car ce qui hier pouvait paraître inoffensif peut demain se révéler dangereux.
Je consacrerai le troisième axe de mon propos aux utilisations des pesticides, car si la santé doit être au cœur de nos préoccupations, si l’évaluation doit être améliorée, il faut aussi et surtout agir pour maîtriser et réduire les usages.
Le secteur agricole est le principal utilisateur de pesticides, en France et dans le monde. Cela n’étonnera personne : c’est l’utilité de ces produits dans la protection des cultures contre leurs ravageurs qui a construit leur succès. En France, l’agriculture consomme plus de 90 % des doses commercialisées, toutes classes de produits confondues.
Le marché des pesticides, avec un chiffre d’affaires d’un peu moins de 2 milliards d’euros par an en France, est loin d’être négligeable. Ces pesticides sont fortement utilisés dans les cultures maraîchères et fruitières ou encore en viticulture, où les achats de produits peuvent représenter entre 5 % et 10 % du chiffre d’affaires des exploitations.
Certes, il existe aussi des usages non agricoles, mais ceux-ci sont modestes, sans être pour autant insignifiants. D’ailleurs, la mission recommande une stricte limitation des usages non agricoles qui ne répondent pas à une logique économique mais à une logique d’agrément, car c’est probablement sur ce segment qu’une révolution des mentalités serait la plus féconde.
Longtemps considérés comme les produits miracle de la révolution agricole, les produits phytopharmaceutiques, ainsi nommés dans la réglementation, commencent à être remis en cause – radicalement par l’agriculture biologique, qui décide de se passer de la chimie minérale et ne s’appuie que sur des traitements issus de préparations naturelles peu préoccupantes.
Sans aller jusqu’à cette contestation radicale, l’agriculture conventionnelle est aussi traversée par un mouvement de remise en cause du « tout pesticide ».
Les pouvoirs publics, à travers le plan Écophyto 2018 lancé en 2008, ont contribué à ce changement de mentalité. Notons que ce plan, malgré d’importants moyens dédiés issus d’une fraction de la redevance pour pollutions diffuses, a pour l’instant des résultats modestes. Si l’interdiction des trente substances les plus dangereuses en 2008 est très positive, la réduction des quantités globales utilisées n’est pas au rendez-vous.
Il faut donc, monsieur le ministre de l’agriculture, passer à la vitesse supérieure. Je salue au passage votre détermination à encourager les changements de pratiques agricoles. Le concept d’agroécologie, que vous avez mis en avant le 18 décembre dernier lors du grand colloque intitulé « Agricultures : produisons autrement », montre qu’on ne doit pas opposer performance et protection de l’environnement.
Les pesticides ne sont pas la seule voie vers la productivité. À long terme, leurs effets délétères sur l’eau ou encore la qualité des sols peuvent avoir un effet contraire à celui qui était recherché initialement, en faisant chuter les rendements. Notre mission ne dit pas autre chose.
Les nombreuses auditions réalisées de représentants du monde agricole nous ont convaincus que l’utilisation de pesticides relevait aussi d’habitudes prises, et elles ont la vie dure ! Il s’agit sans doute d’une pratique sécurisante, mais beaucoup prennent conscience qu’il existe aujourd’hui des alternatives.
Deux exemples montrent que le changement reste cependant un combat.
Le premier concerne les épandages aériens. Ils ne touchent que 0,3 % de la surface agricole, soit moins de 100 000 hectares, mais sont particulièrement symboliques. Les deux lois issues du Grenelle de l’environnement avaient interdit cette technique, tout en laissant subsister quelques exceptions. Or, au printemps 2012, la mission a été alertée sur le caractère pas si exceptionnel des exceptions… Nous avons été surpris de constater que, malgré l’exigence communautaire d’une évaluation spécifique des risques liés à cette technique, plusieurs produits pourraient être utilisés durant la campagne 2012 en épandage aérien, avant l’évaluation les concernant.
La mission a souhaité qu’il soit mis fin aux dérogations. Elle encourage l’adoption de techniques alternatives.
Le second exemple concerne les équipements de protection individuelle, communément appelés « EPI ». Là aussi, la persistance de mauvaises pratiques montre que la prise de conscience des effets nocifs des produits manipulés n’est pas encore totale. Il n’était pas rare, il y a quelques années, de voir des agriculteurs effectuer leurs mélanges sans gants et sans masques. Nous n’en sommes plus là, mais le port des équipements, le recyclage des tenues usagées ne sont pas encore des réflexes pour tous. Les équipements eux-mêmes sont-ils totalement adaptés, suffisamment résistants et protecteurs ?
Sur ce point, la mission a estimé que d’importants progrès pouvaient encore être faits.
L’obligation faite à tout agriculteur et, plus largement, à tout professionnel devant utiliser des pesticides de disposer d’un certificat délivré après une formation de deux jours, dénommé « Certiphyto », est un puissant facteur de modification des comportements. Mais il faut aussi travailler sur les circuits de distribution des produits.
La mission estime indispensable qu’il n’y ait aucune incitation économique à vendre plus de produits que nécessaire.
En ce qui concerne les jardiniers amateurs, la mission est favorable à une solution radicale: elle recommande de proscrire à terme la commercialisation à destination des non-professionnels des produits autres que ceux qui sont autorisés en agriculture biologique. Ce n’est pas l’abus de pesticides qui est dangereux pour la santé et l’environnement, comme le disait le slogan de la campagne « Jardiner autrement », ce sont les produits eux-mêmes qui posent problème. En attendant d’interdire leur utilisation dans les jardins des particuliers, la mission recommande d’en interdire la vente dans les commerces alimentaires et de garantir la présence permanente d’un conseiller-vendeur formé dans les rayons des magasins.
Pour terminer, je forme le vœu, c’est encore de saison, que la centaine de recommandations résultant des travaux de la mission, adoptées à l’unanimité des groupes politiques, entrent en vigueur le plus rapidement possible.
Madame le ministre, monsieur le ministre, votre présence conjointe aujourd’hui au Sénat témoigne de l’intérêt porté par le Gouvernement à la santé. Les premiers contacts pris par la présidente et par moi-même à l’occasion de la remise du rapport en vos ministères respectifs ont montré que vous aviez à cœur de faire entrer spontanément en vigueur de nombreuses recommandations de la mission. Je suis certaine que vous nous en direz un peu plus dans quelques instants.
Il appartiendra ensuite aux vingt-sept membres de la mission commune d’information, en tant que législateurs, d’agir pour que les recommandations restantes puissent être concrétisées.
C’est seulement ainsi, collectivement, que nous permettrons l’amélioration de la protection des fabricants et des utilisateurs de pesticides, tout en préservant les riverains et les familles des professionnels d’une exposition parfois dangereuse.
Pour terminer tout à fait, je tiens à adresser mes remerciements les plus chaleureux au président du Sénat, aux présidents des commissions, aux fonctionnaires qui nous ont accompagnés durant ces sept mois, ainsi qu’aux membres de la mission, particulièrement à ceux qui ont organisé des déplacements, très instructifs, dans leur département.
Nous devons tous avoir conscience que nous sommes également des acteurs d’une réduction de l’emploi des pesticides sur nos territoires, dans nos collectivités. Certaines d’entre elles ont déjà purement et simplement supprimé le recours à ces produits. Je formule le souhait que de tels comportements se généralisent rapidement.
Mes remerciements s’adressent également de nouveau aux ministres, ainsi qu’aux personnes entendues par la mission, à Paris et en province, dont certaines, venues de loin et en dépit de la neige, sont présentes aujourd’hui dans les tribunes. Nombre d’entre elles nous ont déjà fait part de leurs réactions, toujours constructives, face au rapport d’information, lequel, je le rappelle, constitue non un aboutissement, mais un point de départ. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)