M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier les membres de la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement du travail tout à fait remarquable qu’ils ont effectué.
J’adresse mes salutations toutes particulières à Mme Sophie Primas, présidente de cette mission, et à Mme Nicole Bonnefoy, son rapporteur. Je les remercie d’avoir précisé leur position au cours de leurs interventions. Je me réjouis que nous ayons pu, en amont, engager un dialogue fructueux et jeter les bases d’un travail de qualité.
Votre rapport est extrêmement documenté et riche en informations. Il nous permettra, j’en suis certaine, de tirer de nombreux enseignements en matière de santé-environnement et d’approfondir notre réflexion dans ce domaine qui occupe aujourd'hui le cœur de l’actualité.
Vous avez choisi de placer les enjeux de santé au centre de votre réflexion et des propositions que vous faites, ce dont je me réjouis. Le Gouvernement va en effet lancer une stratégie nationale de santé, ce qui nous conduira à réfléchir à la manière précise dont notre politique de santé doit, mieux qu’elle ne le fait, répondre aux défis tels que la qualité de l’environnement. Jusqu’à il y a peu, ce sujet apparaissait comme secondaire, marginal, quand il n’était pas tout simplement ignoré.
La prise en compte de l’impact sanitaire des risques environnementaux est devenue un sujet majeur. Le Gouvernement a la ferme volonté d’apporter une réponse à la hauteur de l’enjeu. À cet égard, et j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer en ce sens lors des débats parlementaires sur le bisphénol A, la surexposition à des agents physiques ou à des substances nocives doit être traitée en priorité.
Votre mission a également fait le choix de mener une réflexion large, allant du fabricant à l’utilisateur. De fait, l’impact des pesticides sur la santé doit être abordé de façon globale, en tenant compte de l’ensemble des parties prenantes de la filière.
Vous avez aussi très justement élargi votre travail aux impacts sur la santé des familles de ces professionnels, ainsi que sur celle des riverains.
En tant qu’élue d’un territoire, l’Indre-et-Loire, où l’on rencontre les diverses catégories de personnes concernées par ces sujets, je ne peux que me réjouir de cette approche globale. Il s’agit à la fois de protéger nos agriculteurs – par définition, tel n’est pas le cas dans tous les départements –, les consommateurs et, de façon plus générale, nos concitoyens.
La France est le premier pays agricole de l’Union européenne. Par conséquent, elle est aussi l’un des premiers utilisateurs de pesticides. Je rappelle qu’entre 80 000 et 100 000 tonnes de ces produits sont employées chaque année. Il s’agit donc d’un enjeu majeur de santé publique.
Les études relatives aux effets des pesticides sur la santé sont actuellement synthétisées par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM. Cette expertise collective met en lumière l’existence de nombreux travaux épidémiologiques. Ceux-ci sont parfois contradictoires, car les liens de causalité entre l’exposition aux pesticides et l’émergence de certains cancers sont difficiles à établir. Pour autant, nous en savons assez pour agir et pour engager une politique favorisant une meilleure protection de nos concitoyens. Lorsqu’un doute existe et que la santé des Français est en jeu, nous ne pouvons hésiter.
Certains sujets font d’ores et déjà consensus, et plusieurs maladies sont reconnues en tant que maladies professionnelles. C’est ainsi le cas, par exemple, de la maladie de Parkinson, comme cela a été dit. Ce point, qui n’allait pas de soi au départ, ne prête plus à discussion aujourd'hui.
Vous avez effectué un travail approfondi, que je ne chercherai pas à résumer ici, préférant m’attacher à quelques constats méritant d’être soulignés, car ils sont au cœur des réponses que j’entends apporter, dans le cadre de mon ministère, en lien avec le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.
Tout d’abord, nous devons approfondir la connaissance des risques sanitaires liés aux pesticides et poursuivre nos activités de recherche. La mission encourage des programmes de recherche qui soient coordonnés et pluridisciplinaires, dans différents domaines, notamment en épidémiologie, en toxicologie, en biologie, ou en génétique. L’objectif est de mieux comprendre les mécanismes d’action des pesticides et les liens de causalité entre l’exposition et les maladies.
Je serai particulièrement attentive aux efforts réalisés dans le champ de la recherche, notamment sur trois points : premièrement, l’expertise collective de l’INSERM sur les effets sanitaires des pesticides ; deuxièmement, les études épidémiologiques, dont l’étude AgriCan relative aux cancers chez les agriculteurs, particulièrement significative – le Plan cancer qui sera reconduit au cours de l’année devra prendre en compte les contextes environnementaux – ; enfin, troisièmement, les études de biosurveillance coordonnées par l’Institut de veille sanitaire, l’InVS, afin d’estimer les niveaux d’imprégnation de la population à certaines substances chimiques, dont les pesticides. Nous avons besoin de cette connaissance.
En ce qui concerne ensuite l’impact de certains pesticides comme perturbateurs endocriniens, la Conférence environnementale, ainsi que la loi visant à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A, rappellent à cet égard la détermination sans faille du Gouvernement en la matière.
Je me suis engagée à mettre en place un groupe de travail associant l’ensemble des parties prenantes. Ce groupe élaborera, d’ici au mois de juin 2013, une stratégie nationale qui nous permettra de coordonner efficacement des actions de recherche, d’expertise, d’information du public et de réflexion sur l’encadrement réglementaire.
Par ailleurs, vous avez rappelé que le système communautaire de mise sur le marché des pesticides repose sur la confiance accordée aux dossiers déposés par les fabricants. Ils échappent ainsi à des procédures d’évaluation des risques suffisamment étayées. Un tel cadre ne nous permet pas de nous assurer que ces produits répondent à des exigences de sécurité sanitaire, notamment selon les conditions d’utilisation par les agriculteurs.
Les instances européennes, en l’occurrence la Commission, ont pris conscience des failles du système tel qu’il est mis en place au niveau européen. Je pense donc que nous allons pouvoir avancer.
En relation avec le ministère de l’agriculture, qui est chargé des autorisations de mise sur le marché des produits phytosanitaires, nous travaillerons pour mieux encadrer ces autorisations et renforcer le suivi sanitaire de leur mise sur le marché. Les procédures d’autorisation de mise sur le marché doivent comporter un volet sanitaire plus développé.
Enfin, vous insistez sur l’importance d’une mise en cohérence des données existantes afin de mieux déterminer la connaissance des risques sanitaires liés aux pesticides. La mission a jugé prioritaire « la nécessité de mettre en place des outils de surveillance, de veille et d’épidémiologie concertés, uniques et efficaces sur l’ensemble du territoire ».
La question des vigilances, vous l’avez parfaitement énoncée, est une priorité de santé publique. Compte tenu des enjeux pour la sécurité sanitaire, une refonte du système des vigilances est en cours de réalisation, qui doit aboutir dès cette année.
Parmi ces vigilances, un projet de décret relatif à la toxicovigilance est en cours de finalisation. Il a pour objectifs d’améliorer l’organisation de la toxicovigilance sous le pilotage de l’Institut de veille sanitaire, de développer l’information aux autorités sanitaires et d’élargir les obligations de déclaration des industriels concernant la composition de leurs produits. Il sera fondamental de veiller à une bonne articulation entre les risques au travail et les risques environnementaux au travers des différents plans, par exemple le Plan national santé-environnement et le Plan de santé au travail.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je puis vous assurer de ma détermination. Vos recommandations nous inciteront davantage encore à mener des actions coordonnées entre les ministères. Il sera nécessaire de porter ces enjeux au niveau européen, en faisant preuve d’une forte volonté.
Par ailleurs, une charte précisera les modalités de choix des experts, le processus d’expertise et ses rapports avec le pouvoir de décision, ainsi que les cas exceptionnels dans lesquels il peut être tenu compte des travaux réalisés par des experts présentant un conflit d’intérêt.
À plusieurs reprises, j’ai rappelé ma volonté de faire de la prévention des risques sanitaires environnementaux un axe majeur de ma politique de santé. Le combat mené pour l’interdiction du bisphénol A dans les contenants alimentaires et mon engagement en ce sens en sont un exemple récent.
Je suis convaincue que, dans le champ des risques dits « émergents », il nous revient d’anticiper et de travailler en amont. La conférence environnementale a traduit cette ambition ; elle nous a notamment permis de fixer des objectifs clairs et d’établir une méthode pour faire face aux risques sanitaires environnementaux. La stratégie nationale de santé permettra de leur donner une traduction concrète dans notre politique de santé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre engagement et de votre contribution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais, tout d’abord, me féliciter de la qualité du travail fourni par la mission commune d’information.
Cette mission, qui fait suite à des travaux sur le même thème précédemment conduits par le Sénat, a été constituée à votre demande, madame la rapporteur, après que plusieurs cas d’intoxication d’agriculteurs ont été découverts dans le département dont vous êtes l’élue. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de rencontrer ces professionnels, victimes de l’utilisation de molécules ou de produits phytosanitaires. J’ai ainsi pu mesurer concrètement l’étendue de ce problème, auquel nous sommes tous confrontés, et constater la nécessité d’engager certes un travail de réflexion, mais surtout une action énergique.
En tant que ministre de l’agriculture, je ne reviendrai pas sur le volet sanitaire de la question, excellemment développé à l’instant par Marisol Touraine. Un certain consensus semble désormais se dégager pour admettre qu’il puisse y avoir une relation de cause à effet entre l’utilisation ou la consommation de produits phytosanitaires et l’apparition de cancers, mutagenèses entre autres problèmes de santé. Ces effets sont si importants qu’ils requièrent, de la part du ministère de l’agriculture, une réflexion sur les grandes orientations à prendre en la matière.
Au fond, le ministre de l’agriculture que je suis est confronté à trois grandes questions.
La première concerne les autorisations de mise sur le marché. Tout l’enjeu est de savoir comment mettre sur le marché des produits destinés à lutter contre de nombreuses maladies. Ce sujet fait débat. Parce qu’il dépend beaucoup des décisions européennes, il requiert également du gouvernement français qu’il puisse établir les contacts nécessaires à l’évolution des procédures applicables.
Ce sujet, vaste, touche aussi bien les produits phytosanitaires que les OGM. Les positions récemment prises par la France ont fait bouger l’Europe sur plusieurs dossiers, notamment en ce qui concerne les protocoles d’autorisation. Nous allons poursuivre dans ce sens. Il est important, en effet, que la mise sur le marché des produits en question puisse se faire en toute confiance, et que la séparation que vous avez évoquée, madame la présidente, madame le rapporteur, entre ceux qui proposent des produits à la vente et ceux qui sont chargés de l’évaluation des risques, soit plus claire. La collusion, ou le conflit, entre les responsables de ces deux mondes peut conduire à effectuer des mauvais choix. Sur ce sujet, nous nous devons donc d’être extrêmement vigilants.
Ce premier objectif – l’amélioration de l’AMM – a trouvé une traduction concrète très rapidement. J’en veux pour preuve la fameuse question des néonicotinoïdes.
La famille des néonicotinoïdes regroupe un certain nombre de substances actives, dont l’une est utilisée dans le traitement du colza. Elle est connue dans sa variante commerciale sous le nom de « Cruiser ». À la suite d’un rapport paru au début de l’année 2012, confirmé ensuite par un avis de l’ANSES, le ministère de l’agriculture a pris la décision d’interdire l’utilisation de ces produits sur le colza. Il a, en outre, demandé que les instances européennes étudient la dangerosité de l’ensemble de la famille.
Il y a quelques jours seulement, l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, a répondu à cette demande. Elle s’est notamment penchée sur la relation malheureuse entre cette famille de molécules et la survie ainsi que le développement des colonies d’abeilles. Une décision doit être prise sur ce sujet le 31 janvier par le CPCASA, l’acronyme désignant non une nouvelle molécule phytosanitaire (Sourires.), mais le comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale, où se tiennent les discussions et sont élaborées les propositions sur ce sujet à l’échelle européenne.
Lors du prochain CPCASA, donc, la France fera valoir la position qui est la sienne depuis le départ, selon laquelle l’existence d’un risque, surtout s’il est avéré, requiert une réaction rapide et claire de la part des autorités.
Si aucune décision ne devait être prise à l’échelon européen, nous en tirerions nous-mêmes les conclusions à l’échelon national.
Sur l’AMM, vous le voyez, la détermination du Gouvernement est sans faille.
La deuxième question à laquelle je suis confronté est aussi un enjeu majeur pour l’agriculture. Elle revient à se demander si l’on n’a pas trop utilisé ces produits. Je l’ai déjà dit, mais je le répète avec force en ces lieux, l’objectif du ministère de l’agriculture est bien de réduire de manière significative le recours à ces différents produits.
Cette résolution implique cependant que nous soyons capables de tirer les conclusions qui s’imposent. Le plan Écophyto 2018, qui fixait comme objectif de réduire de 50 % la consommation de produits phytosanitaires d’ici à 2018, a connu des résultats pour le moins contrastés.
Il a permis sur deux points un résultat positif, et même, pour le premier, extrêmement positif. D’une part, l’utilisation des molécules les plus dangereuses – les molécules mutagènes ou cancérogènes, notamment – a connu une baisse de l’ordre de 80 %. D’autre part, le plan Écophyto 2018 a permis la mise en place du Certiphyto, qui a lui-même eu deux effets positifs.
Premièrement, il concourt à une meilleure formation des agriculteurs, qui doivent mieux utiliser ces produits, et mieux savoir quand y avoir recours. L’expérience malheureuse vécue par certains agriculteurs il y a quelques années, et qui a résulté d’une mauvaise utilisation de ces produits, en démontre suffisamment l’importance.
Deuxièmement, grâce à Certiphyto, certaines exploitations promeuvent des démarches agricoles visant à réduire le recours à ce type de produits. C’est, ce me semble, très important.
Je tiens à insister sur ce point devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs : fixer des objectifs de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires sans réfléchir aux modèles de production eux-mêmes ne sert à rien. Ces derniers, en effet, ne peuvent se concevoir sans le recours à ces produits !
Vous l’avez indiqué, madame la présidente de la mission, vouloir diminuer de 50 % l’utilisation des produits phytosanitaires peut conduire à de véritables trous noirs, à des zones d’ombre, faute de disposer des molécules nécessaires pour lutter contre certains ravageurs. Or, parce que nous ne nous sommes pas suffisamment penchés sur le modèle de production pour limiter les risques que font peser maladies et ravageurs sur les récoltes, dès lors, nous nous retrouvons dans la situation qui est la nôtre aujourd’hui, où l’objectif de réduire de 50 % l’utilisation des produits phytosanitaires, s’il a été atteint pour ce qui est des molécules les plus dangereuses, n’a pu l’être pour la consommation globale de produits phytosanitaires.
Bien au contraire, à son arrivée au pouvoir en 2012, le Gouvernement a constaté une augmentation de 2,5 % du recours à ces produits. Cette augmentation, d’ailleurs, est justifiée du point de vue des agriculteurs, car toutes les conditions étaient réunies, je pense notamment à l’humidité et aux récoltes difficiles des dernières années, pour qu’ils décident de recourir à ces produits de manière plus importante.
De la même manière, d’ailleurs, nous constatons que de plus en plus de productions d’élevage se transforment en productions céréalières, impliquant un recours accru aux produits phytosanitaires. Ce sujet, très important, n’est pas sans lien avec la question de la réforme de la politique agricole commune.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, un phénomène quantitatif peut en cacher un autre, qualitatif.
Pour le ministère de l’agriculture, l’enjeu est donc de faire évoluer les modèles de production. C’est pour cela que le plan Écophyto 2018 et le certificat Certiphyto m’intéressent autant : ils jettent les bases d’un changement en la matière, dont on peut s’inspirer. La conférence nationale « Agricultures : produisons autrement », qui s’est tenue le 18 décembre dernier, n’a pas dit autre chose. Elle a également affiché l’ambition, commune à nous tous, de placer l’agroécologie au cœur du système, afin de garantir la capacité de production de notre agriculture, tout en affirmant notre idéal écologique. Les deux ne peuvent pas être toujours opposés. Au contraire, il nous appartient d’enfin trouver la voie qui permettra de combiner performance économique et performance écologique.
À l’occasion d’un comité national d’orientation et de suivi du plan Écophyto, nous avons pris des décisions en ce sens. Tout d’abord, nous avons décidé de conforter le réseau Certiphyto, afin qu’il puisse continuer son travail. Nous avons également décidé de fixer des objectifs par filière et par région beaucoup plus précis. En effet, l’assignation d’objectifs nationaux, sans aucune déclinaison par région et par filière, finissait par nous priver des outils et des moyens pour mettre en œuvre la réduction de l’usage des produits phytosanitaires.
Nous avons également évoqué la question de la séparation entre le conseil aux agriculteurs et la vente des produits. Ce sujet très important fait l’objet d’une étude du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux, mais également de l’Inspection générale de finances, pour ses dimensions relatives à la fiscalité.
Faut-il aller jusqu’à séparer complètement le conseil et la vente, ou bien imaginer des solutions intermédiaires, en actionnant, notamment, le levier de la fiscalité ? Cela pourrait peut-être permettre de limiter les abus – qu’il est facile d’imaginer quand on sait que les vendeurs sont payés en fonction des ventes et donc ont intérêt à vendre toujours plus, et non moins.
Si l’on veut changer cet état de fait, il faut inventer des mécanismes nouveaux. C’est tout l’objet de l’étude à venir.
Vous avez également évoqué, madame la présidente, madame la rapporteur, les pratiques relatives au recours aux produits phytosanitaires, en particulier les conditions de leur utilisation, notamment l’habillement. Sachez que nous avons repris vos propositions.
Je signale d’ailleurs que, sur une centaine de propositions, plus de soixante dépendent directement du ministère de l’agriculture. D’ores et déjà, treize de vos propositions sont mises en œuvre par le ministère. L’objectif, vous le savez, est d’aller le plus vite possible, et d’avancer sur la voie que vous avez tracée.
La troisième et dernière question à laquelle je suis confronté est relative à l’alimentation, sujet, lui aussi, ô combien important. Nous devons, par exemple, faire preuve d’une extrême vigilance en matière de traces de pesticides, présentes dans un certain nombre de productions.
Là encore, le ministère de l’agriculture a pris la mesure des enjeux. Par exemple, nous inscrivons la réduction de l’usage des produits phytosanitaires dans une perspective plus large, celle de la diminution de la présence de résidus dans l’alimentation. Nous pouvons atteindre cet objectif. Dans son esprit, il rejoint la politique menée en faveur de la lutte contre l’antibiorésistance. Ce sujet, lui aussi important, porte sur des molécules critiques, également utilisées dans le domaine de la santé humaine. Quelques résultats ont été obtenus, mais nous devons aller beaucoup plus loin. Là encore, nous avons fixé des objectifs très clairs.
Je tenais donc à vous dire ma satisfaction devant le travail que le Sénat a fourni pour produire ce rapport, qui a suscité le débat, engagé une réflexion et surtout conduit le Sénat à dégager une position qui me semble unanime. C’est très important pour pouvoir avancer et trouver les bonnes solutions, mesdames, messieurs les sénateurs.
Le champ couvert est large. Sont concernés la santé, à travers les AMM, Marisol Touraine l’a dit, mais aussi l’agriculture, avec l’objectif de réduction du recours aux produits phytosanitaires et les conséquences sur l’alimentation. Ce chantier a donc été ouvert. Je le répète, sur les cent propositions émises par le rapport, soixante-trois exactement concernent le ministère de l’agriculture et, outre la quinzaine qui sont d’ores et déjà mises en œuvre, nous espérons en concrétiser quinze autres le plus rapidement possible, sur tous les sujets : utilisation, protection, réduction, limitation, autorisation.
Voilà, je crois, qui constitue une première réponse aux questions que vous nous avez posées.
Encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer, pour vous en féliciter, la qualité du travail que vous avez accompli. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’introduction faite par la présidente et la rapporteur de la mission commune d’information, ainsi que les réponses apportées par les ministres, a déjà très largement permis d’aborder tous les sujets. Vous voudrez donc bien excuser, mes chers collègues, des redites éventuelles que pourrait contenir mon intervention, que je ferai la plus brève possible.
Quand notre mission d’information s’est constituée en février 2012, à l’initiative du groupe socialiste et à la demande de Nicole Bonnefoy, l’actualité récente nous avait alertés sur les dangers des pesticides pour la santé et sur les problèmes liés à l’utilisation de ces produits dits « phyto » dont l’agriculture française est une grande – trop grande ? –, consommatrice.
Nous savions qu’il y avait là un enjeu de santé majeur et qu’il fallait nous y consacrer pleinement. Pendant sept mois, nous avons pu mesurer toute l’ampleur du phénomène, parfois avec stupéfaction ; je pense à notre rencontre dans le Morbihan avec des personnes qui avaient été littéralement infestées par les pesticides.
Nous avons pu évaluer l’importance des risques et la dangerosité des pesticides sur la santé des agriculteurs, des consommateurs, des employés de coopératives, de leurs familles et des riverains, ainsi que sur l’environnement ; tout cela est largement sous-évalué. Comme si l’arbre sécurisant de l’autorisation de mise sur le marché, la fameuse AMM, des produits phytopharmaceutiques cachait la forêt des malades des pesticides…
Il est vrai, et mes collègues l’ont rappelé, que le Grenelle de l’environnement a lancé en 2009 le plan Écophyto 2018, piloté par le ministère de l’agriculture. L’objectif, ambitieux sur le papier, était de réduire de 50 % l’usage de ces produits avant 2018, « si possible », est-il ajouté prudemment. Ce plan a maintenant près de quatre ans. Je représente le Sénat à son comité consultatif de gouvernance et j’ai le regret de constater que les résultats sont décevants : depuis la mise en place du dispositif, non seulement la consommation de produits phytosanitaires n’a pas régressé, mais leur utilisation a même progressé, de 2,5 % en 2011.
En effet, le plan ne s’est pas traduit pas une baisse des ventes de produits « phyto ». D’après l’Union des industries de la protection des plantes, l’UIPP, ces ventes ont même augmenté de 1,3 % entre 2010 et 2011, et le chiffre d’affaires des producteurs a augmenté de 5 % en France.
De tels éléments donnent la mesure des progrès à réaliser pour parvenir à infléchir, et même à inverser – vous avez rappelé votre volonté en la matière, monsieur le ministre – la courbe ascendante du recours aux pesticides en France !
Pourtant, la réduction de l’utilisation des pesticides est indispensable pour la santé comme pour l’agriculture, et les travaux menés par la mission n’ont pu que nous conforter dans une telle certitude.
Le bilan décevant conduit à recommander non pas d’abandonner le plan Écophyto, mais plutôt de favoriser une mobilisation et une responsabilisation de tous les acteurs, de l’amont à l’aval, et de promouvoir de nouvelles orientations assorties de nouveaux moyens, en croisant toutes les disciplines et toutes les compétences, au niveau national comme au niveau régional.
C’est la raison pour laquelle il me paraît important de travailler simultanément sur les apports de la recherche scientifique, sur les réglementations et sur les réalités de terrain, où des solutions de substitution aux pesticides existent déjà depuis longtemps. Nous devons faire connaître ces réussites pour donner la priorité aux démarches vertueuses et respectueuses de l’environnement.
Comme le rappelait à juste titre notre rapporteur, Nicole Bonnefoy, il faut parfois plus d’un demi-siècle, voire plus d’un siècle pour évaluer les effets réels d’une nouvelle substance pesticide dangereuse pour la santé, un siècle pendant lequel les utilisateurs, les consommateurs, les riverains et l’environnement en subissent les conséquences nuisibles, et parfois dramatiques !
Par comparaison, n’est-il pas paradoxal que le recours aux préparations naturelles peu préoccupantes, les PNPP, pourtant utilisées depuis des siècles et ayant prouvé depuis tout ce temps leur efficacité autant que leur non-toxicité, ne soit pas davantage favorisé et soutenu ? Cela passe par l’adaptation de la procédure d’autorisation de mise sur le marché aux spécificités des PNPP, par exemple en en minorant la procédure et le coût, qui demeurent extrêmement lourds, pour des produits naturels que les industriels n’ont pas vraiment intérêt à voir autorisés.
Tout comme il est nécessaire d’encourager le recours aux PNPP, il est indispensable de réintroduire dans les pratiques agricoles les principes de base de l’agronomie incluant le respect, la connaissance et la préservation de la vie du sol, la rotation des cultures, la présence des haies, l’agroforesterie et en effet, monsieur le ministre, la recherche de nouveaux modèles de production.
Pour renouer avec de tels principes de base, il faut changer de modèle agricole et forestier et réorienter la recherche publique effectuée par l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, qui doit recevoir les moyens nécessaires à ses missions. Mais, compte tenu du constat effectué, ne serait-il pas aussi urgent qu’utile que les missions de cet institut soient recentrées d’abord sur la recherche biologique ?
Par exemple, pourquoi ne pas encourager la recherche dans ce qu’on appelle le « biocontrôle » pour l’utilisation des prédateurs naturels des insectes nuisibles aux cultures, au lieu de recourir à toujours plus de nouvelles substances pesticides chimiques, qui tuent indistinctement tous les insectes, nuisibles, utiles ou inoffensifs ? La surmortalité des abeilles en est un exemple criant.
Monsieur le ministre, je souhaitais vous poser une question à propos des trois avis rendus par l’EFSA. Vous y avez répondu par avance, et je vous en remercie. Je vous fais confiance pour la suite des opérations.
Je voudrais faire référence à une autre évolution des pratiques agricoles : l’indispensable développement de l’agriculture biologique, qui mérité qu’on lui fixe, pour 2020, des objectifs réalistes tout en restant ambitieux. Il est vraiment nécessaire de passer à la vitesse supérieure dans ce secteur.
Monsieur le ministre, le 18 décembre 2012, vous avez lancé la démarche « Agricultures : produisons autrement », qui a été accueillie avec beaucoup d’intérêt et a rencontré un certain succès. Vous avez suggéré des pistes pour stimuler la réflexion et inventer de nouveaux modèles qui concilieraient performance économique et environnementale. Votre projet agroécologique comporte un volet lié aux pesticides, ce dont je me réjouis.
Monsieur le ministre, je sais la vigueur de votre engagement et votre volonté de faire évoluer les pratiques. Je souhaite que nos travaux y contribuent pleinement. Vous avez indiqué comment vous aviez déjà fait vôtres un certain nombre des recommandations de notre mission d’information. J’ai également entendu avec plaisir Mme la ministre s’approprier certaines des propositions que nous avons formulées ; nous serons évidemment vigilants quant à leur mise en œuvre.
Puisque nous sommes désormais correctement informés, c’est à nous qu’il revient d’amplifier la prise de conscience, bien tardive, qui s’opère auprès de nos concitoyens et d’accompagner les changements qui s’imposent.
Madame la ministre, monsieur le ministre, nous devons réussir ensemble.
En conclusion, je tiens à féliciter outre la présidente, la rapporteur et nos collègues membres de la mission, les fonctionnaires de la Haute Assemblée qui ont participé et contribué activement à nos travaux et à l’élaboration du rapport. Nous aurons à cœur d’en voir appliquer les préconisations, qui, je le rappelle, ont été adoptées à l’unanimité. (Applaudissements.)