M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, madame la présidente de la mission commune d’information, chère Sophie, madame la rapporteur, chère Nicole, chers collègues, on a voulu obtenir un consensus sur un texte fort, on l’a eu ; je fais partie de ceux qui auraient voulu aller plus vite et plus loin. Je vais donc m’efforcer d’être rapide, mais d’aller très loin ! (Sourires.)
Tout d’abord, je tiens à saluer la qualité des travaux de cette mission, ainsi que l’état d’esprit dans lequel elle s’est déroulée. J’en remercie Mme la présidente et Mme la rapporteur. J’ai aussi apprécié la qualité professionnelle de l’équipe des administrateurs.
C’était la première mission parlementaire à laquelle je participais, et, s’il n’est pas indécent de parler de plaisir en évoquant des sujets aussi graves, je tiens à vous dire que j’ai eu du plaisir à participer à ces six mois de travaux. Cette première mission m’aura définitivement marqué. Je ne serai jamais tout à fait tranquille tant que les recommandations majeures contenues dans ce rapport n’auront pas donné lieu à des mesures concrètes.
Pour autant, je ne tiens pas à dramatiser outre mesure la situation, et surtout pas à stigmatiser la profession agricole – s’il est des professions nobles, la profession d’agriculteur en est une – parce qu’il est avéré que les plus exposés, les premières victimes sont les agriculteurs eux-mêmes ainsi que leur famille et, parfois, leur voisinage.
Initialement, l’objectif de la mission était d’informer quant à l’impact des pesticides sur la santé et sur l’environnement. Le seul volet « santé », madame la ministre, était suffisamment dense et lourd de conséquences pour que l’on décide de reporter le traitement du volet « environnement » ; il faudra pourtant que ce dernier soit abordé très rapidement.
Si la procédure préalable à la mise en place d’une mission est un peu complexe, je l’ai bien compris, il va néanmoins falloir trouver le moyen d’en constituer une. Parlez-en à votre collègue ministre de l’environnement, qui est concernée. J’ai, pour ma part, proposé que cette mission prolonge son travail et se consacre à ce volet « environnement » : si personne n’est candidat, je veux bien en être le rapporteur ! (Mme la présidente de la mission et Mme la rapporteur sourient.)
Les conséquences néfastes sur l’environnement sont en effet nombreuses : pollution des sols, de l’eau, impact sur les produits alimentaires, atteinte à la biodiversité – les abeilles font aujourd'hui l’actualité. Je comptais vous interpeller de nouveau, monsieur le ministre, mais vous avez anticipé en évoquant la réunion du 31 janvier prochain. Hélas, pour la prochaine récolte, les semences sont déjà enrobées.
M. Joël Labbé. Les abeilles ont un rôle de pollinisateur, mais un être microscopique dont on parle peu, le plancton, qui est à la base de toute la chaîne alimentaire du milieu marin, est également en danger.
Cela dit, les recommandations issues de nos travaux représentent déjà un important travail pour l’évolution de nos politiques publiques. J’évoquerai celles qui me semblent majeures avant de parler de l’avenir du secteur agricole – la loi d’avenir – et l’avenir plus immédiat encore en vous annonçant le dépôt très prochainement d’une proposition de loi visant à encadrer strictement les utilisations non agricoles des pesticides. Je ne reviendrai pas sur les constats, il en a déjà été question.
Au titre des mesures à mon sens majeures préconisées dans le rapport, je citerai d’abord l’encadrement plus strict des autorisations de mises sur le marché. Il faut exiger des firmes qu’elles fassent des tests sur l’effet cocktail des produits qu’elles souhaitent commercialiser, et qu’elles engagent leurs responsabilités sur les équipements de protection individuelle adaptés spécifiquement à chaque produit.
Par ailleurs, il faut taxer lourdement les pesticides, à l’exemple de qui se fait au Danemark, car il convient de prendre en compte les externalités négatives des pesticides : dépenses de santé et dépenses liées à la réhabilitation de la qualité de l’eau notamment. Cette réhabilitation a été chiffrée : entre 54 milliards et 91 milliards d’euros pour une année, madame la ministre.
Également majeure m’apparaît la proposition qui est faite de lever les blocages sur les préparations naturelles peu préoccupantes non brevetées.
Il faut aussi se donner les moyens de relancer véritablement le plan Écophyto 2018. Je rappelle que, si ce plan avait au départ pour ambition de diminuer de 50 % l’usage des pesticides, on constate, ces deux dernières années, une augmentation de 2,4 %. C’est un constat d’échec, mais on peut se dire que cela aurait pu être pire s’il n’y avait pas eu le plan Écophyto. En d’autres termes, c’est déjà ça !
Le président de l’Union des industries de la protection des plantes a souligné, dans les bilans de 2010, outre l’augmentation de 2,4 % dont je parlais, un accroissement également du chiffre d’affaires de ces industries, ce qui, aux yeux du président de l’UIP, montrait bien l’utilité de ces produits pour la nation. C’était du moins le sens de ses propos.
Il me paraît en outre souhaitable de donner de réels moyens à la recherche publique, notamment en direction de l’agriculture biologique et de l’agroécologie dont je parlerai tout à l’heure, mais aussi plus globalement pour les pratiques agronomiques durables.
Enfin, il faut soutenir et accompagner la filière agricole biologique, qui, elle, joue un rôle de précurseur puisque pratiquant déjà l’agroécologie, nouvelle grande cause nationale. C’est moi qui le décrète ! (Sourires.)
Ce rapport, s’il n’est pas un réquisitoire à charge contre les pesticides, montre cependant objectivement les risques de ces produits pour la santé humaine, risques qui peuvent être meurtriers : cancers spécifiques, leucémie, maladies respiratoires, perturbations endocriniennes. On peut le dire : les pesticides sont des poisons !
Récemment, la maladie de Parkinson a été officiellement inscrite au tableau des maladies professionnelles dans le régime agricole de la sécurité sociale. Enfin, plusieurs avis convergent pour suspecter des liens entre l’utilisation des pesticides et la maladie d’Alzheimer. Les faits sont suffisamment graves pour que nous ayons pleinement conscience de notre propre responsabilité de parlementaires : nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !
Nous avons à travailler pour l’avenir : en 2013, il s’agira, monsieur le ministre, de la loi d’avenir agricole, que vous avez annoncée pour le second semestre.
J’ai pu constater votre engagement, monsieur le ministre, notamment lors de la journée organisée sous l’égide de votre ministère et intitulée « Agricultures : produisons autrement ». Vous exprimant après M. Philippe Barré, universitaire belge dont l’intervention était particulièrement pertinente, vous êtes allé dans le même sens que lui. La notion nouvelle d’agroécologie était très présente et vous avez déclaré vouloir faire de la France le leader européen de l’agroécologie.
On ne peut qu’applaudir à une telle déclaration, et nous vous soutiendrons avec force et conviction. Il en faudra, tant est bien organisé le lobby de l’agriculture agrochimique, avec sa capacité à fabriquer le doute, à produire rapidement des contre-études dès l’instant où une étude ne va pas dans le bon sens.
Mme Sophie Primas, présidente de la mission commune d’information. Dans un certain sens !
M. Joël Labbé. Cependant, ne nous méprenons pas, l’agroécologie n’est véritablement écologique que si elle diminue drastiquement l’utilisation des intrants, en particulier des pesticides, et, initialement, l’agroécologie n’en utilise pas.
Alors, oui à l’ambition de devenir le leader européen de l’agroécologie, mais, pour le moment, monsieur le ministre, nous sommes le leader européen de l’utilisation des pesticides !
C'est dire si nous partons de loin ! Malgré tout, si nous devenons, en 2013, le leader européen en termes de volonté d’opérer la transition, si nous avons la capacité de faire bouger l’Europe – nous vous faisons confiance pour cela –, nous serons sur la bonne voie. « Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait », disait Mark Twain : alors ensemble, nous allons le faire !
Nous parlons de la France, de l’Europe, mais de tels sujets ne peuvent être appréhendés qu’à l’échelle planétaire. Olivier de Schutter, rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies affirme que « dans les pays du Sud, l’agro-écologie peut doubler la production alimentaire de régions entières […] en réduisant la pauvreté rurale et en apportant des solutions aux changements climatiques ». J’ajouterai qu’elle peut apporter des solutions aux problèmes migratoires, en donnant aux populations des pays du Sud les moyens de bien vivre chez elles. C’est de l’utopie, mais je veux encore croire aux utopies… Mais, pour l’heure, nous Occidentaux accaparons les terres, promouvons la monoculture et la production d’agrocarburants, à grand renfort de pesticides.
Pour conclure, j’évoquerai un avenir plus immédiat en annonçant le prochain dépôt d’une proposition de loi. Elle s’appuiera sur les recommandations du rapport sur les usages non-agricoles des pesticides, ainsi que sur le constat que les pesticides sont des produits toxiques et dangereux. Considérant que les collectivités se doivent de montrer l'exemple, nous proposerons notamment d’interdire l'utilisation des pesticides dans tous les espaces publics, à partir de janvier 2018 afin de laisser le temps d’organiser les choses. L’exemple de certaines collectivités locales montre que c’est possible. Elles sont de plus en plus nombreuses à ne plus utiliser de produits phytosanitaires. Ainsi, ma commune de Saint-Nolff, dans le Morbihan, est dans ce cas depuis 2007, et je suis fier de pouvoir dire que nous avons reçu le prix national de la biodiversité pour 2012. C’est en faisant un gros effort de pédagogie auprès des enfants que l’on avancera.
Le second volet de cette proposition de loi tendra à interdire, à partir de 2018, la vente au détail de pesticides aux particuliers. Ces produits doivent être proscrits dans les jardins.
J'espère vivement que cette proposition de loi recevra l’appui du Gouvernement et rencontrera un écho favorable auprès d'une grande majorité d'entre vous, mes chers collègues. Après l’adoption à l’unanimité du rapport de la mission commune d’information, je suis très confiant ! L'un des pères de l'agro-écologie, Pierre Rabhi, disait que nous devons « prendre conscience de notre inconscience ». (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur, madame les ministres, mes chers collègues, je tiens d’abord à souligner l'ampleur du travail accompli par la mission commune d’information autour de ses présidente et rapporteur, Mmes Sophie Primas et Nicole Bonnefoy.
Je souhaite, par ailleurs, saluer le bon sens dont témoignent les recommandations émises par la mission. Comme c'est d’ailleurs souvent le cas au Sénat, c’est le bon sens qui a permis de fédérer l'ensemble des membres de notre assemblée, toutes sensibilités politiques confondues, autour d'une analyse convergente et partagée de la situation, ainsi que de l’ambition de donner aux préconisations du rapport, aussi rapidement que possible, une traduction concrète.
Cette vision commune tient certainement au fait que les membres de la mission ont partagé, avec lucidité et sans parti pris, plusieurs constats. J’en retiens principalement cinq.
En premier lieu, les dangers et les risques que représentent les pesticides pour la santé sont aujourd’hui sous-évalués.
En deuxième lieu, le suivi des produits après leur mise sur le marché, au regard de leurs incidences sanitaires réelles, n'est qu'imparfaitement assuré : ainsi, les effets des perturbateurs endocriniens sont insuffisamment pris en compte.
En troisième lieu, les équipements de protection contre les pesticides ne sont manifestement pas à la hauteur des risques encourus par ceux qui utilisent et manipulent ces produits.
En quatrième lieu, les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles n'intègrent pas suffisamment la question de l'innocuité des pesticides.
Enfin, le plan Écophyto 2018 doit faire l'objet d'une évaluation en vue de le conforter, voire de le renforcer.
Cela étant dit, il ne faut pas, à mon sens, voir dans ces constats, ni dans nos préconisations, le fruit du travail d'« empêcheurs de tourner en rond » qui seraient obsédés par le sacro-saint principe de précaution.
Notre volonté, dans l’esprit, d’ailleurs, du Grenelle de l'environnement, n'est pas de pointer un doigt accusateur sur les industriels ou de les fustiger ; simplement, il est de notre devoir, en responsabilité et en conscience, d'interpeller, de poser des questions et de soumettre au débat des pistes de réponse et des solutions.
Il y a certainement eu des excès en matière d'utilisation des pesticides et de l'imprudence dans certaines manipulations, voire des insuffisances concernant les aspects sanitaires ; je pense notamment à des phénomènes de pollution.
Je crois donc notre « interpellation » utile et salutaire. Il faudrait même, me semble-t-il, que nos industriels s’en saisissent pour amorcer une réflexion sur le devenir de leurs produits ou sur le formidable avantage compétitif que pourraient leur apporter des produits ou des techniques nouveaux, susceptibles de permettre de concilier la préservation de la santé publique et la protection de l'environnement.
Madame, monsieur les ministres, je pense, par exemple, à toutes les évolutions qui pourraient intervenir dans le domaine de la chimie « verte », plus respectueuse de la santé des femmes et des hommes, ainsi qu’à des innovations possibles en matière d’équipements de protection individuelle destinés aux personnes exposées aux pesticides.
Le Gouvernement a lui aussi, madame, monsieur les ministres, son rôle à jouer, en aidant à approfondir et à élargir les connaissances, grâce à des analyses et à des statistiques, en encourageant la recherche-développement, en soutenant les initiatives des entreprises qui innovent pour opérer les évolutions nécessaires. Je vous invite en conséquence, par exemple, à consacrer à ces actions une partie des fonds redéployés dans le cadre du Commissariat général à l'investissement. Oserez-vous faire ce choix ? Je le souhaite sincèrement.
Il est ici question de parvenir, grâce à une amélioration des connaissances, à une vision plus juste, fondée sur une appréciation à la fois objective et scientifique, des nécessaires adaptations à venir. Ce travail me paraît indispensable pour répondre, avec pragmatisme, aux préoccupations en matière d'écologie et de santé publique, dont la légitimité est telle que l'on ne doit surtout pas les laisser servir d'alibis à quelque dogmatisme que ce soit.
Aujourd'hui, si l'on veut concilier la protection de la santé publique et de l'environnement avec le développement agricole et industriel, il me semble que le sujet dont notre assemblée s'est emparée représente une véritable source d'espoir et d'ambition.
Tous ensemble, agriculteurs, industriels et pouvoirs publics, nous devons pouvoir, grâce à la réflexion de fond que nous conduisons, nous saisir concrètement de la problématique des pesticides pour en faire un sujet d'intérêt général et de santé publique à la fois.
Il s’agit d’amorcer le développement de nouveaux savoir-faire de « qualité française ». L’enjeu, ne nous y trompons pas, n'est pas national : tous nos voisins sont ou seront, tôt ou tard, confrontés à ces problématiques.
Faut-il rappeler que, d'après l'INRA, de 25 % à 75 % des pesticides appliqués se retrouvent dans l'atmosphère et que, l'air n'ayant pas de frontières, ces questions intéressent, par hypothèse, l’ensemble de notre planète et de ses habitants… À cet égard, je propose qu'une véritable stratégie nationale de suivi de la présence des pesticides dans l'air soit mise en place, à l'instar de ce qui est pratiqué pour le milieu aquatique, où plus de 100 000 prélèvements ont été opérés ces dernières années. Jusqu’à présent, les contrôles et les analyses sont trop rares. Dans ce domaine, les associations agréées de surveillance de la qualité de l'air de nos régions me paraissent être des acteurs naturels, aptes à assumer cette mission d'intérêt public.
Madame, monsieur les ministres, je souhaiterais connaître lesquelles des recommandations du rapport de la mission commune d’information et des quelques propositions que je viens de formuler le Gouvernement serait prêt à mettre en œuvre dès à présent. Je vous remercie, enfin, de m'indiquer quelles actions vous entendez conduire à cet effet dans le cadre d'une nécessaire coordination interministérielle. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de saluer à mon tour le travail accompli par la mission commune d'information, sa présidente et sa rapporteur. Je dois souligner que nous devons à Mme Bonnefoy la création même de cette mission commune d’information.
L'unanimité que son rapport a suscitée confirme combien la situation est préoccupante. Les dangers liés à l'utilisation des pesticides – c'est le premier constat de la mission – ont été longtemps sous-évalués. J'ajouterai qu’ils l’ont d'abord été par inconscience et par ignorance, puis en toute conscience, pour protéger des intérêts économiques fort éloignés de ceux des agriculteurs et des consommateurs.
À cet instant, je voudrais rappeler que, à l'heure actuelle, les coûts induits par l'utilisation des pesticides sont très largement externalisés et assumés par la collectivité, en totale contradiction avec le principe pollueur-payeur, pourtant consacré depuis longtemps par notre législation.
L'incidence économique de l’utilisation des pesticides est en effet aujourd'hui principalement assumée par les contribuables et les ménages. Le rapport Sainteny a relevé que la concentration en pesticides dans l'ensemble des ressources en eau ne cesse de progresser et que, en 2009, toutes les eaux de surface d'Île-de-France devaient être traitées avant distribution pour respecter les normes de santé publique.
La question ne se limite pas, cependant, à sa dimension financière, encore que les sommes consacrées à la réparation des torts que nous causons à notre écosystème soient considérables. Le problème principal que pose l’utilisation toujours plus importante de pesticides, dans notre pays, par les agriculteurs, la SNCF, les sociétés d'autoroutes, les collectivités locales et les particuliers, est que ces produits, que l’on en fasse une bonne ou une mauvaise utilisation, affectent sévèrement la santé publique et la biodiversité à court, moyen et long terme, dans une mesure là encore longtemps sous-estimée.
J’ai bien entendu les propos tenus tout à l’heure par M. le ministre, qui insistait sur la nécessité de faire évoluer notre modèle agricole pour assurer la réussite du plan Écophyto, tant ce modèle est dépendant de l’utilisation des pesticides. Je constate les efforts consentis en ce sens par le Gouvernement, notamment par le ministère de l’agriculture. Cela étant, l’utilisation des pesticides par des non-agriculteurs est aujourd'hui également très importante et pourrait être réduite plus facilement que celle des agriculteurs.
Le Gouvernement, à la suite de la conférence environnementale des 14 et 15 septembre derniers, a établi une feuille de route pour la transition écologique et annoncé un certain nombre de mesures qui, pour partie, ont anticipé sur celles qui sont préconisées par la mission commune d’information. Il prévoit notamment d’augmenter la redevance pour pollution diffuse et de mettre en place un groupe de travail sur les perturbateurs endocriniens, en vue d’établir une stratégie nationale en 2013.
L'augmentation de la redevance pour pollution diffuse est indispensable. C'est aussi une recommandation de la mission, et c’était l'objet d'un amendement que j’ai cosigné avec quelques collègues mais qui n'a malheureusement pu être débattu lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2013.
Cette augmentation, pour être véritablement efficace, doit être substantielle. Elle n’est cependant pas suffisante. Il est également indispensable d’interdire purement et simplement certains usages et certains produits. La mission commune d'information propose ainsi d’interdire la vente de produits phytosanitaires aux particuliers, à l’exception de ceux qui sont autorisés en agriculture biologique. C’est une mesure de bon sens. Alors que les professionnels ne respectent pas toujours les règles élémentaires de précaution, faute de formation ou d’information, il est assez peu probable que les particuliers fassent mieux, sachant qu’ils n’ont pas toujours conscience de la nocivité des produits qu’ils achètent.
Mes chers collègues, nos collectivités territoriales portent eux aussi une grande responsabilité. Joël Labbé l'a souligné, un certain nombre de villes sont d’ores et déjà engagées dans une démarche « zéro phyto ». Je crois que nous aurions tout à gagner à généraliser cette politique à toutes les collectivités. La mission commune d'information propose de retenir pour cela un délai de cinq ans, bien entendu contraignant.
S’agissant des perturbateurs endocriniens, je me réjouis de la mise en place d’un groupe de travail par le Gouvernement. La recherche sur les effets des perturbateurs endocriniens sur la santé humaine a mis en lumière depuis plusieurs années – cela a été rappelé dans le récent rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – des problématiques potentielles majeures pour la santé reproductive, la santé des enfants et le développement, pour les générations actuelles et surtout pour celles à venir. Pour mémoire, sont notamment recensés comme effets la réduction du nombre de spermatozoïdes et de la qualité du sperme, la diminution de la fécondité, des avortements spontanés, une modification du ratio des sexes, des anomalies du système reproducteur masculin, la puberté précoce, des altérations du système immunitaire, la survenance de cancers.
Il est donc urgent de se doter d’une réglementation adaptée. Les perturbateurs endocriniens sont en effet venus bouleverser les règles de la toxicologie moderne selon lesquelles la dose fait le poison : les perturbateurs endocriniens agissent à faible dose et ont parfois des effets non linéaires.
Je souhaite à ce propos interroger le Gouvernement : où en est la constitution du groupe de travail qu'il a annoncé ? Quelles mesures ont-elles été prises pour s’assurer qu’il ne subisse pas les mêmes critiques que le groupe de travail mis en place par l’Autorité européenne de sécurité des aliments, dont je rappelle, pour ceux qui n’auraient pas suivi l’affaire, que seuls quatre de ses dix-huit membres disposent d’une expérience scientifique en endocrinologie, outre que huit d’entre eux ont déclaré des liens d’intérêts récents avec des industriels de la chimie ?
En conclusion, j'insisterai sur l’efficacité sanitaire d’une fiscalité écologique bien comprise. Le Gouvernement a mis en place un comité national et pris des engagements calendaires, mais il est important que nous nous entendions sur le champ de la fiscalité écologique, qui ne saurait se réduire à la fiscalité carbone.
Ce matin, la commission des finances a organisé une table ronde sur ce sujet. Il est regrettable que l'accès en ait été refusé aux membres des autres commissions, en particulier à ceux de la commission du développement durable. J’avoue que voir certains de nos collègues, hier adversaires déclarés de l’écologie, se convertir aujourd’hui avec ferveur à la fiscalité écologique me laisse quelque peu perplexe.
La fiscalité écologique n’est ni une nouvelle manne pour les finances publiques ni une nouvelle occasion de faire supporter par les ménages un allégement de la fiscalité pesant sur les entreprises. Elle est un moyen de faire évoluer les comportements et de pénaliser, pour les faire disparaître, les activités néfastes à la préservation de l’environnement.
J'espère que l'unanimité que suscite aujourd'hui le rapport se manifestera de nouveau lorsque nous aborderons ensemble la question de la fiscalité écologique dans toutes ses dimensions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Henri Tandonnet applaudit également)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le très dense rapport d’information qui nous a été remis est le fruit d’un travail intense sur un sujet éminemment complexe : les travaux précédemment accomplis sur ce thème n’avaient pas permis d’aboutir à une synthèse aussi complète, assortie de telles préconisations.
Compte tenu de l’ampleur de la problématique, ce rapport d’information se borne à aborder le volet relatif à la santé humaine, dans ses dimensions préventive, curative et informative.
Néanmoins – M. le ministre l'a souligné –, il faut également envisager une démarche incitative visant à modifier les pratiques actuelles de culture afin de réduire le recours aux pesticides.
J'ai relevé, dans le rapport d’information, quelques éléments qui s’inscrivent dans une telle démarche. Je pense notamment au quatrième constat, particulièrement important à mon sens : les pratiques actuelles ont été conçues après la Seconde Guerre mondiale, à une époque de renouveau économique où il fallait produire davantage et donc accroître les rendements pour satisfaire la demande.
Le cinquième constat du rapport d’information porte sur le plan Écophyto, qui avait pour objet de réduire de 50 % l'utilisation des pesticides à l’horizon de 2018 mais dont les résultats sont pour le moins décevants, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre.
Devant ce constat, les recommandations nos 9 et 10 du rapport d’information portent sur le renforcement des mesures de formation et, surtout, la réorientation des aides publiques vers l'agriculture biologique, par le biais d’une augmentation de la redevance pour pollution diffuse, afin de structurer les filières. Nous sommes là au cœur du problème, car celui-ci est avant tout économique et financier, qu’on le veuille ou non. Il ne sera jamais possible de réduire significativement l'utilisation des pesticides sans donner de contreparties aux agriculteurs.
Sur ce point, deux doctrines s'opposent. Certains prônent l'augmentation de la redevance pour pollution diffuse. Pour ma part, j’estime qu’il conviendrait plutôt d’adapter la fiscalité actuelle afin de l'améliorer et de la rendre plus efficace. J'ignore ce qui est ressorti de la table ronde sur la fiscalité écologique organisée par la commission des finances ce matin, mais il serait à mon sens souhaitable de jouer sur deux leviers : la TVA et la redevance pour pollution diffuse.
En ce qui concerne la TVA, son taux est actuellement fixé à 7 % pour les produits phytopharmaceutiques utilisables en agriculture biologique et à 19,6 % pour les autres pesticides dangereux, à savoir les produits phytopharmaceutiques et biocides.
Lors du débat sur la TVA « antidélocalisations » qui a eu lieu voilà quelques mois, nous n’avons fait qu’effleurer la question de la mise en place d'une véritable TVA écologique. Nous ne pourrons cependant pas faire l'économie d'un débat sur cette question.
L’un de nos collègues vient de demander que l'utilisation de pesticides soit interdite aux jardiniers du dimanche et aux collectivités locales. Pour ma part, je pense qu'augmenter significativement le taux de TVA pour ces produits, en le portant par exemple à 25 %, serait une mesure moins brutale, mais néanmoins efficace dans le temps. En effet, les jardiniers du dimanche et les collectivités territoriales sont des consommateurs finaux, qui ne récupèrent pas la TVA, contrairement à la plupart des agriculteurs, pour qui ce relèvement du taux n’aurait donc que peu d'incidences. L’idée d’augmenter de façon ciblée les taux de TVA mérite d’être creusée.
En ce qui concerne la redevance pour pollution diffuse, ses modes de recouvrement et de répartition sont incroyablement complexes. Je rappelle qu’elle est acquittée par les négociants et représente de 1 euro à 5 euros par kilogramme de produit. J'ai essayé d'obtenir des chiffres plus précis, mais c’est la bouteille à l’encre !
Le produit de cette taxe est versé aux agences de l'eau, l'agence de l’eau Artois-Picardie le centralisant avant de le reverser à l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, l’ONEMA, qui abonde le plan Écophyto… On mesure la simplicité du dispositif !
Il est vrai que c’est un sport typiquement français que de multiplier les étapes administratives, avec des déperditions liées aux coûts de fonctionnement et de gestion. Est-ce bien raisonnable ? En 2010, la Cour des comptes a mis en exergue ce problème. Monsieur le ministre, a-t-il été procédé à une évaluation de ces déperditions financières ? Le rapport d'information estime à 41 millions d'euros le versement de l’ONEMA au plan Écophyto 2018, alors que l'annexe au projet de loi de finances pour 2013 annonce un reversement de 34,2 millions d'euros, pour une collecte de 37,8 millions d'euros : comment expliquer ces écarts ? Je n’avais ni le temps ni les moyens d'approfondir cette question, mais je pense qu'une réflexion doit être menée sur ce sujet afin d’essayer de rendre plus efficace le système et, partant, l'utilisation des fonds publics. Il ne serait alors pas nécessaire d’augmenter la redevance pour pollution diffuse et peut-être pourrait-on envisager, dans le cadre du plan Écophyto 2018, une démarche pragmatique qui consisterait à reverser directement, dans des conditions à déterminer, son produit aux agriculteurs acceptant de jouer le jeu. Ainsi, les déperditions financières seraient moindres.
Un tel mécanisme serait peut-être complexe à mettre en œuvre, mais j’ai confiance en la capacité d’initiative de nos administrations. Il est temps de s'attaquer à ce problème, car, aujourd'hui, l’aspect économique et financier est incontournable. Nous disposons d’éléments pour travailler à l’élaboration d’une politique volontariste. Ce sera long et difficile, car il faudra convaincre, mais c'est la seule solution si nous voulons être efficaces et donner une traduction concrète aux préconisations du rapport d'information. (Applaudissements.)