M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.
Mme Jacqueline Alquier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je souhaite saluer à mon tour l’initiative de Nicole Bonnefoy, qui s’est saisie de ce sujet avec pugnacité. Ce rapport d’information nous présente aujourd’hui des orientations dont chacun s’accorde à reconnaître la clarté et le courage. Félicitons aussi Sophie Primas d’avoir su animer le travail de cette mission commune d’information.
Il me semble important de souligner avant tout que le danger des pesticides pour leurs utilisateurs est largement sous-évalué ; nous risquons donc d’être confrontés à un problème de santé publique à long terme. La semaine dernière encore, l’Autorité européenne de sécurité des aliments a publié un avis sévère sur trois pesticides parmi les plus utilisés au monde, qui affectent gravement les populations d’abeilles, ainsi que notre environnement.
L'ampleur de la tâche qu’elle avait à accomplir a empêché la mission commune d'information d’aborder ce volet. Comme l’a souligné Mme la rapporteur, ce n'est qu'un point de départ. Pour votre part, monsieur le ministre, vous avez montré votre détermination à prendre les mesures qui s'imposent.
Les agriculteurs et les salariés agricoles sont les premiers concernés par la manipulation des pesticides, or ils sont plus ou moins bien informés des risques liés à l’utilisation de ces produits. Il est reconnu que 20 % d’entre eux ne se protègent pas pour les manipuler. Il serait logique que les protections ad hoc soient fournies avec les produits !
Nombre d’accidents, comme des pertes de connaissance ou des malaises diffus, ne sont pas recensés, car ils passent inaperçus. Il n’existe pas de registre des produits utilisés et les études sur les effets des produits phytosanitaires sont insuffisantes.
On sait que certaines substances agissent pendant des dizaines d’années et que le lien n’est pas toujours établi entre des symptômes se déclarant tardivement et l’utilisation de ces produits. L’effet « cocktail » n’est pas non plus pris en compte, les études ne portant que sur un produit à la fois.
C’est pourquoi la mise en place d’un suivi post-fabrication sur le long terme, mené en toute indépendance, doit être l’une de nos priorités. En outre, les études en matière de santé doivent être étendues à tous les salariés saisonniers et aux personnes qui ne sont plus en activité. J’espère que cette recommandation figurera en bonne place dans le projet de loi qui nous est annoncé.
D’ores et déjà, certaines affections, telles que des dermatoses, des problèmes respiratoires, des troubles neurologiques et cognitifs, des cancers, apparaissent comme des effets de l’exposition aux pesticides. Toutefois, aujourd’hui, seulement une quarantaine de maladies chroniques liées à l’usage de ces produits sont reconnues comme maladies professionnelles.
La simplification de l’accès des victimes au système de réparation des maladies professionnelles est une urgence, de même que le contrôle scrupuleux des autorisations de mise sur le marché des pesticides.
Les agriculteurs ont fait beaucoup d’efforts, ces dernières années, pour réduire les apports en pesticides, mais comment tendre vers le risque zéro ? C’est peut-être trop demander dans le contexte actuel.
Outre la nécessité d’un véritable changement des mentalités, nos agriculteurs, qui subissent à la fois la pression de la concurrence économique et une forme de culpabilisation par rapport à des pratiques dont ils sont eux-mêmes victimes, se trouvent confrontés à une injonction paradoxale. Comment travailler autrement ? Vous l’avez souligné, des études explorant des solutions semblent avancer.
L’une des préconisations du rapport d’information est d’orienter les aides publiques vers l’agriculture biologique et de soutenir le développement de l’agro-écologie. C’est la proximité qui nous semble devoir être favorisée. Si le « bio » n’est pas toujours synonyme de qualité, surtout quand les produits sont importés, et si l’efficacité des systèmes de contrôle est souvent mise en cause, les règles qui s’appliquent en France à cette filière garantissent cependant un plus grand respect de l’environnement.
Bien sûr, des mesures doivent être prises rapidement en matière de protection des utilisateurs, de prévention des risques ou de gestion des déchets, mais il faut aussi entreprendre dès maintenant une réforme de structures. Ce changement prendra du temps, car nous devons tenir compte des contraintes des agriculteurs. Néanmoins, la mise en place des pôles régionaux de conversion à l’agriculture biologique peut constituer un premier pas. La modification des pratiques agricoles et agroalimentaires est urgente. Certaines mesures allant en ce sens n’entraînent aucune dépense pour l’État et peuvent donc être mises en œuvre rapidement.
Tous les problèmes soulevés par le rapport sont importants et méritent d’être pris en compte et traités par le biais d’actes forts ; nous avons aujourd’hui besoin de volontarisme et de transparence pour avancer !
Ce sont les mêmes constats, en termes de nécessité de renforcer la prévention et de modifier les pratiques actuelles, qui avaient motivé l’adoption du plan Écophyto 2018 lors du Grenelle de l’environnement.
Or, force est de constater que les résultats de ce plan sont encore largement insuffisants. Non seulement le recours aux produits chimiques n’a pas diminué, mais il a augmenté de 2,6 % pour les traitements foliaires et de 7 % pour les traitements directement réalisés sur les semences.
Des pistes réalistes nous sont ici proposées : agissons, en donnant à l’information, à la formation et à la recherche des moyens qui permettent enfin de dépasser le stade des constats et d’œuvrer ensemble dans l’intérêt de tous.
Vous nous avez assuré, monsieur le ministre, que ces propositions, dont soixante-trois relèvent de votre compétence, seraient prises en compte. Nous voulons que des actes soient posés dès 2013, avec l’adoption de mesures efficaces. Bien sûr, le temps de la concertation est nécessaire. À cet égard, la méthode du Gouvernement me semble être judicieuse, mais nous devons aussi tenir compte des attentes, qui se font chaque jour plus grandes. Notre majorité doit y répondre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Houpert.
M. Alain Houpert. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier la présidente de la mission commune d’information, Sophie Primas, et son rapporteur, Nicole Bonnefoy, de la qualité des travaux menés et de la richesse des propositions formulées.
Les questions environnementales sont aujourd’hui au cœur de nos débats. Voilà trente ou quarante ans, peu de monde, à part les associations de défense de l’environnement et quelques scientifiques ou décideurs politiques, prêtait attention aux nombreux indices témoignant des atteintes portées à notre environnement.
Aujourd’hui, au contraire, la prise de conscience de ce problème est collective et partagée. Elle débouche sur une réflexion comportant diverses dimensions : développement durable, biodiversité, gestion des déchets, énergies renouvelables, principe de précaution…
La question de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, de leur dissémination dans l’environnement, de leurs effets sur la santé humaine préoccupe beaucoup nos concitoyens. Il faut dire qu’elle est posée de façon récurrente par les médias, qui traitent abondamment du sujet en évoquant recherches scientifiques, publication de rapports, décisions de justice reconnaissant l’existence d’une relation de cause à effet entre exposition à un pesticide et survenue d’une maladie, pollutions du sol ou des eaux, dépassement des limites maximales en matière de résidus de pesticides…
Mais ce sujet dépasse le cadre purement scientifique. La décision des autorités compétentes, autorisant ou interdisant l’utilisation d’un pesticide, doit pouvoir s’appuyer sur une évaluation bénéfices-risques tenant compte de nombreux paramètres, tels que la santé, bien sûr, mais aussi l’environnement, la démographie, l’économie, l’éthique, la sécurité des approvisionnements alimentaires.
Il s’agit donc d’un domaine complexe, où interfèrent les réalités de la chimie biologique et la perception par le public des conséquences de l’usage des produits phytopharmaceutiques en agriculture.
On me permettra d’évoquer plus particulièrement, aujourd’hui, le cas des travailleurs exposés aux produits phytopharmaceutiques.
En effet, dans le cadre de l’évaluation des préparations phytopharmaceutiques, la réglementation prévoit notamment une évaluation des risques pour les utilisateurs.
Afin de permettre au gestionnaire du risque, en vue de la décision d’autorisation de mise sur le marché des produits, de préciser aux futurs utilisateurs quel type d’équipements employer, l’ANSES recommande, dans son avis du 29 octobre 2012, d’intégrer dans la réglementation l’exigence, pour le pétitionnaire, de fournir des résultats de tests d’équipements de protection individuelle permettant d’attester, sur la base d’essais normalisés et d’études d’exposition, le respect des objectifs de performance requis pour les équipements de protection concernant le produit en question. Cela me semble en effet indispensable.
Si les produits phytopharmaceutiques sont, par nature, des produits actifs pouvant se révéler nocifs pour l’environnement ou la santé, leurs modalités d’utilisation et d’évaluation sont très encadrées sur le plan législatif.
Depuis plusieurs années, ce cadre réglementaire, désormais européen, s’est considérablement resserré. Les préparations phytopharmaceutiques et les substances actives qui les composent sont régulièrement réévaluées, pour chacun de leurs usages, au regard de critères permettant d’assurer la sécurité d’une utilisation respectant les préconisations d’emploi.
Cependant, au regard des dangers présentés par ces produits, la question de leurs effets sanitaires, en particulier pour les travailleurs exposés, constitue un sujet essentiel, que n’a pas manqué de traiter la mission d’information.
Lors de l’évaluation des préparations phytopharmaceutiques par l’ANSES, la réglementation prévoit notamment une évaluation des risques pour les utilisateurs. Dans ce cadre, l’exposition des travailleurs agricoles est estimée en fonction de la pratique agricole, à l’aide de modèles qui permettent de mesurer l’exposition de l’applicateur du produit avec ou sans port d’équipements de protection. Ces modèles ont été élaborés à partir de données expérimentales issues d’études d’exposition en conditions réelles, jugées représentatives de la pratique.
Pour certaines préparations phytopharmaceutiques, le risque pour l’opérateur n’est acceptable, au sens de la réglementation en vigueur, qu’avec le port d’un équipement de protection individuelle ou EPI. L’agence le signale alors expressément au gestionnaire du risque et indique, dans l’avis rendu public, le niveau de performance attendu de l’équipement, en termes de protection ou de facteur d’abattement du niveau d’exposition au produit que l’EPI doit garantir.
Cependant, on me permettra de souligner que les données expérimentales sur lesquelles sont fondés les modèles d’exposition ne permettent pas toujours d’associer avec certitude la protection nécessaire à l’utilisation d’un type d’équipement de protection disponible sur le marché.
Pour permettre au gestionnaire du risque, dans le cadre de la décision d’autorisation de mise sur le marché, de préciser aux futurs utilisateurs du produit le type d’équipements de protection individuelle à recommander, il est nécessaire que l’ANSES puisse apporter des éléments plus précis sur les types d’EPI répondant aux objectifs de protection requis. Pour ce faire, l’agence a besoin de recueillir auprès du pétitionnaire des éléments d’informations complémentaires sur les EPI. À cette même fin, l’agence s’est autosaisie en 2011, afin d’inventorier les EPI disponibles sur le marché et d’évaluer leur performance selon un test normalisé.
Dans ce contexte, l’ANSES a été saisie par la direction générale de l’alimentation, le 13 septembre 2012, d’une demande d’informations complémentaires suite aux avis délivrés par l’agence concernant les caractéristiques des EPI.
En réponse à cette saisine, l’ANSES recommande à l’État d’intégrer dans la réglementation l’exigence, pour le pétitionnaire, de fournir des résultats de tests sur des EPI disponibles sur le marché, réalisés avec le produit phytopharmaceutique dont le dossier est soumis pour autorisation de mise sur le marché.
Permettez-moi de souligner que de tels tests permettraient d’attester, sur la base d’essais normalisés, le respect des objectifs de performance requis pour les équipements de protection contre le produit en question.
Il me semble indispensable qu’une norme harmonisée adaptée aux travailleurs agricoles exposés aux pesticides soit adoptée le plus rapidement possible dans le cadre de la directive européenne EPI, de façon à faciliter la mise à disposition d’équipements de protection individuelle certifiés bénéficiant du marquage « CE ».
Il ne faut pas oublier que ces EPI constituent souvent le dernier rempart entre l’utilisateur et les produits qu’il manipule pouvant occasionner des effets sur sa santé. Il s’agit, en effet, d’éviter l’inhalation de produits, l’exposition par voie cutanée ou l’ingestion.
L’usage des EPI est cependant au cœur de deux problématiques centrales.
Tout d’abord, ces équipements sont peu ou pas utilisés, très souvent en raison d’un manque de praticité.
Ensuite, le port de ces équipements renvoie une image peu valorisante de l’agriculture, notamment à l’égard du voisinage : en effet, ils véhiculent une idée de dangerosité.
Il faut donc améliorer l’efficacité et le confort des EPI pour surmonter les réticences des professionnels à les acheter et à les utiliser.
Il faut également renforcer le rôle de conseil des distributeurs et des coopératives en matière de choix de l’EPI adapté en cas de pulvérisation simultanée de plusieurs produits.
De plus, certains pesticides sont mis sur le marché sans que l’on soit assuré que des EPI adaptés existent. Il est donc nécessaire, madame, monsieur les ministres, de renforcer la coopération entre fabricants de pesticides et fabricants d’EPI, pour permettre, à terme, la conception conjointe du pesticide et de l’EPI correspondant.
Enfin, reste le problème du stockage, de la maintenance et de l’élimination de ces outils de protection, dont la durée de vie est très variable. La mention d’une date de péremption n’est pas toujours suffisante, car l’altération de l’EPI dépend du type d’utilisation qui en est fait.
Ainsi, beaucoup d’utilisateurs, faute de solutions organisées sur l’ensemble du territoire, déposent actuellement les EPI usagés en déchetterie ou même les jettent à la poubelle. Nous devons donc impérativement généraliser à l’ensemble du territoire les opérations de collecte des EPI usagés, en prévoyant une filière spécifique pour les combinaisons. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste.
M. Maurice Antiste. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, madame la présidente de la mission commune d’information, madame la rapporteur, mes chers collègues, ce débat sur les pesticides et leur incidence sur la santé et l’environnement est pour moi l’occasion de saluer le remarquable travail accompli par la mission commune, mais aussi de revenir sur la grève des marins-pêcheurs martiniquais du 20 décembre dernier, lors de laquelle ils ont exprimé leur détresse et leur colère. En effet, ils ont dénoncé les conséquences des nouvelles mesures d’interdiction de pêcher sur une importante partie du littoral atlantique martiniquais, prises en raison de la contamination des langoustes par un pesticide, le chlordécone.
Madame, monsieur les ministres, c’est une grande tragédie qui touche ces professionnels de la pêche, confrontés à une multitude de facteurs qu’ils ne maîtrisent pas et qui compromettent irrémédiablement l’exercice de leur profession. Non seulement ils ne sont aucunement responsables de l’usage de ce polluant, mais ils en sont eux-mêmes les victimes aujourd’hui.
Rappelons que les langoustes blanches et brésiliennes, dont la pêche a été interdite pour une durée indéterminée, sont des espèces dont la commercialisation est rémunératrice par excellence.
Madame, monsieur les ministres, je sais tout l’intérêt du Gouvernement pour ce dossier. Ne laissons pas sombrer un secteur d’activité déjà durement touché par la crise, par l’application de normes européennes de plus en plus contraignantes, par la hausse du prix des carburants et par la concurrence, pas toujours maîtrisée, des autres pays. Je lance donc un appel à la solidarité nationale et à la nécessaire prise de conscience des répercussions de l’utilisation de certains pesticides sur l’ensemble de nos biotopes et sur la santé humaine, ainsi que de ses conséquences sur notre économie.
L’interdiction de la pêche de toutes les espèces de la faune marine dans certaines zones maritimes de la Martinique est le révélateur d’un désastre économique, environnemental, sanitaire plus général, provoqué par le recours massif au chlordécone. L’utilisation de ce produit en outre-mer jusqu’en septembre 1993 – soit trois ans après son interdiction dans l’Hexagone – a eu pour conséquence un empoisonnement dangereux du sol et de l’eau, des fruits, des légumes racines et de certaines viandes. Il convient de noter que, entre 1972 et 1993, environ 6 000 tonnes de curlone, produit contenant 5 % de chlordécone, ont été vendues en Martinique. Ce sont ainsi de 8 000 à 12 000 hectares qui seraient contaminés dans cette île, soit un tiers de la surface agricole utile, et de 6 000 à 8 000 hectares en Guadeloupe, soit un cinquième de cette même surface. Cette contamination est d’autant plus préoccupante et dramatique que sa rémanence dans l’environnement est de l’ordre de 600 ans !
Il convient ici de faire mention, outre des deux plans d’action chlordécone mis en place par le Gouvernement, de la remarquable implication des acteurs locaux, notamment du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, le CIRAD, de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, de l’Institut de recherche pour le développement, l’IRD, de l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’IFREMER, de l’université des Antilles et de la Guyane, du Pôle de recherche agro-environnemental de la Martinique et du Bureau de recherches géologiques et minières, le BRGM. Leur action, menée en collaboration avec des équipes nationales et internationales, a permis de réelles avancées en termes de prise de conscience du risque et de réponses scientifiques.
J’ai ainsi assisté aux « journées recherches », en octobre 2012, au cours desquelles a été dressé un bilan d’ensemble de l’application, à mi-parcours, du second plan chlordécone. Si je salue les progrès constatés, je ne perds pas de vue les vives inquiétudes exprimées par certains médecins, à la lumière de leur expérience de terrain, quant à la situation sanitaire. Ils relèvent de nombreux signaux inquiétants augurant d’un danger grave pour l’avenir, tout particulièrement en termes d’hérédité, de perturbations de la fertilité masculine, de baisse régulière du taux de la natalité, d’augmentation constante du nombre de cancers de la prostate, lesquels touchent des hommes de plus en plus jeunes.
Les Antillais paient un très lourd tribut à cette pollution, et le pire est probablement à venir.
M. Joël Labbé. C’est vrai !
M. Maurice Antiste. C’est d’ailleurs pour cela, monsieur le ministre, que je suis opposé à l’épandage aérien des pesticides. Je pense en effet qu’un élu politique doit tenir un discours de vérité. C’est une question de responsabilité. Il faut appliquer le principe de précaution tant que l’innocuité de ces produits ne sera pas démontrée.
Il faut donc trouver d’autres procédés. Je ne peux que vous exhorter à prendre en compte, sans plus tarder, des axes d’intervention prioritaires déjà recommandés dans les rapports parlementaires et les plans chlordécone.
Cependant, la réalisation de ces objectifs ne dispense pas de la recherche des responsabilités ni de la mise en application du principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention et de lutte contre la pollution doivent être supportés par les pollueurs. Les victimes de ce drame écologique, environnemental et économique ne comprendraient pas que ceux-ci soient, d’office, absous.
La Martinique sera, dans les prochaines décennies, un des départements les plus vieux. Aussi le corps médical craint-il de voir se greffer sur les difficultés de la vieillesse des pathologies émergentes au traitement de plus en plus coûteux, telles que le diabète de type 2, l’obésité, l’insuffisance rénale, l’hypertension artérielle et une pathologie cancéreuse multiforme dont l’incidence est régulièrement croissante depuis vingt ans : on dénombre 1 500 nouveaux cas de cancer chaque année, dont 500 cancers de la prostate et 100 cancers du côlon.
Comme vous pouvez le constater, les attentes sont encore fortes. Elles sont à la mesure des enjeux : garantir la sécurité sanitaire et alimentaire des populations, assurer la reconversion de bon nombre d’agriculteurs et de pêcheurs. Ayons à cœur de relever ces défis ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, chers collègues, je tiens à féliciter à mon tour Nicole Bonnefoy et Sophie Primas de leur ténacité et de leur engagement sans faille pour coordonner et animer les travaux de la mission d’information.
Nicole Bonnefoy l’a dit en début d’après-midi, nos travaux se sont concentrés sur l’incidence des pesticides sur la santé des professionnels et de leur entourage, notamment les familles et les riverains, en suivant toujours le même fil rouge : donner la priorité à la protection de la santé des Françaises et des Français contre les risques présentés par l’utilisation des pesticides.
Mal pris en compte jusqu’à présent, et souvent relégué au second plan derrière les considérations économiques, agricoles ou industrielles, l’impératif de santé publique doit désormais occuper la première place : c’est lui qui doit guider, orienter les politiques publiques conduites en la matière et structurer la réglementation juridique encadrant la production, la vente ou l’utilisation des pesticides.
Avant de présenter plus d’une centaine de recommandations, le rapport fait le point sur la dangerosité des produits phytosanitaires, les pesticides, et leurs effets sur la santé humaine. Cette dangerosité n’est plus depuis longtemps, hélas, une hypothèse, mais bien une réalité.
Dans ce contexte, nous avons été amenés à réfléchir sur l’incidence de l’utilisation des pesticides sur le développement de certaines maladies, dont les cancers. Il est encore difficile aujourd’hui d’évaluer la responsabilité exacte des pesticides dans la survenue des cancers, même si de nombreuses études, amples et sérieuses, permettent d’avoir une vue d’ensemble en la matière.
Nous pouvons partir de deux constats.
D’une part, le nombre de nouveaux cas de cancer est en hausse constante depuis les années quatre-vingt, jusqu’à avoir quasiment doublé entre 1980 et 2005. Cette hausse peut s’expliquer de différentes manières, sans rapport avec nos travaux, mais elle peut aussi être reliée à l’exposition croissante à des facteurs de risques, en particulier aux pesticides.
D’autre part, la prévention pourrait, selon le rapport, permettre d’éviter l’apparition de 50 % à 80 % des nouveaux cas de cancer. Cependant, son efficacité dépend de l’identification précise des facteurs de risques et du contrôle de l’exposition à ces derniers.
Afin de poursuivre les recherches actuelles et d’aller plus loin encore, il nous a semblé utile de préconiser la généralisation de la tenue de registres des cancers à l’ensemble des départements et la centralisation des données recueillies à l’échelon national. Une des recommandations de la mission va dans ce sens.
En effet, une douzaine seulement de tels registres locaux, dont celui de mon département, la Loire-Atlantique, permettent aujourd’hui de fournir des données précises et exhaustives en termes d’incidence du cancer. Ces registres sont indispensables pour évaluer l’efficacité des programmes de prévention, connaître la fréquence et l’évolution des cancers, ainsi que mieux identifier les causes ou facteurs de risques.
Cela étant, l’incidence des pesticides sur la santé des hommes et des femmes ne s’arrête pas à l’apparition de cancers. En effet, de nombreux pesticides sont suspectés d’être des perturbateurs endocriniens, n’agissant pas du tout comme les produits toxiques classiques et présentant des effets néfastes même à de très faibles doses.
Nous devons entreprendre, parallèlement au développement de la recherche, une démarche préventive passant par la limitation de l’usage des substances incriminées. Un pas significatif dans cette direction a été franchi en fin d’année dernière par le Sénat concernant le bisphénol A. Nous devons maintenant aller plus loin, s’agissant cette fois des pesticides !
La mission a recommandé, dans cette perspective, d’interdire l’emploi de femmes en âge de procréer sur les postes de travail exposés aux pesticides, les effets des perturbateurs endocriniens étant particulièrement sensibles en début de grossesse. Nous avons également proposé d’adopter rapidement une méthode d’évaluation des perturbateurs endocriniens.
Vous le voyez, le chemin est encore long. Nous devons poursuivre ce travail avec la volonté de faire passer la santé publique avant tout le reste, l’intérêt général avant les intérêts particuliers.
Le chemin est long, mais une étape importante vient d’être franchie : je me réjouis, ainsi que la plupart de mes collègues, qu’un nombre important de nos recommandations aient été saluées par M. le ministre de l’agriculture et Mme la ministre de la santé, qui se sont engagés à les mettre en application.
Le travail devra se poursuivre de manière transversale entre les ministères, entre les disciplines, entre les acteurs de la santé et ceux du monde agricole, l’objectif étant de changer les mentalités, les comportements et les habitudes, pour vivre bien, pour vivre mieux ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord vous remercier de la qualité de ce débat sur un sujet important, qui préoccupe l’ensemble des Français.
Mon collègue Stéphane Le Foll répondra aux interventions qui portaient plus particulièrement sur les questions agricoles. Je me contenterai d’aborder les questions concernant plus directement mon ministère.
M. Le Cam, Mme Alquier et M. Houpert ont évoqué l’enjeu de faciliter la reconnaissance des maladies professionnelles liées à l’utilisation de pesticides, notamment en formalisant des procédures pour les personnes ayant cotisé à la fois au régime général et au régime agricole. Nous sommes en train d’y travailler avec le ministère de l’agriculture. En outre, il nous faut harmoniser les procédures de reconnaissance des maladies professionnelles au sein des commissions régionales. Il s'agit d’une question tout à fait importante.
Plusieurs interventions ont porté sur les perturbateurs endocriniens et, de façon plus générale, sur les diverses maladies liées aux pesticides, les cancers en particulier. Mme Meunier a évoqué ce point de façon plus spécifique, en regrettant qu’il n’existe pas davantage de registres des cancers. S’agit-il du meilleur outil pour recueillir les informations dans ce domaine ? Cette question fait débat. En tout cas, elle sera mise à l’étude dans le cadre de l’élaboration du prochain plan cancer, car nous devons progresser sur ce plan.
Par ailleurs, le débat sur les perturbateurs endocriniens a pris une grande importance au cours des dernières années. Mme Meunier, M. Barbier et Mme Rossignol ont évoqué ce sujet. Nous n’avons plus guère de doutes sur les effets de ces substances : ils sont désormais connus et parfaitement identifiés. Je ne reviendrai pas ici sur le travail qu’a accompli le Parlement sur le bisphénol A.
Nous sommes en train de définir une stratégie nationale interministérielle s’agissant des perturbateurs endocriniens. La mise en place d’un groupe d’experts devrait nous permettre d’avancer sur ce sujet.
Mme Rossignol et M. Labbé, notamment, se sont demandé comment nous allions garantir l’indépendance de l’expertise. Tout d’abord, nous allons instituer un comité de déontologie et une procédure interne comportant des règles précises en matière d’expertise. Nous élaborerons ensuite une charte de l’expertise. Un décret actuellement examiné par le Conseil d’État permettra de fixer des règles générales pour ce qui concerne les expertises relevant du champ sanitaire, en matière de modalités de choix des experts, de processus d’expertise, de relations entre les experts et le pouvoir de décision, de définition de la notion de liens d’intérêts, de traitement des éventuels conflits d’intérêts. Il s’agira, me semble-t-il, d’une avancée significative.
Monsieur Antiste, le chlordécone est un cas d’école parfaitement identifié. Voilà quelques jours, j’ai eu l’occasion d’évoquer avec mon collègue Victorin Lurel l’aspect sanitaire de cette question, qui recouvre également des enjeux financiers et agricoles tout à fait importants.
En lien avec l’InVS, le ministère des affaires sociales et de la santé s’est fortement impliqué dans l’évaluation et la prise en charge du problème. L’InVS a ainsi lancé cette année une étude, financée à hauteur de quelque 250 000 euros par mon ministère. En outre, des actions de prise en charge des personnes affectées par le chlordécone ont été mises en place, sachant que nous concentrons l’essentiel de nos efforts sur la prévention.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie une nouvelle fois de votre engagement et des travaux d’une importance décisive que vous avez menés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. –M. Henri Tandonnet applaudit également.)