Sommaire
Présidence de M. Jean-Claude Carle
Secrétaires :
M. Alain Dufaut, Mme Catherine Procaccia.
3. Demande d’avis sur un projet de nomination
5. Communication de rapports et d’avis de l’Assemblée de la Polynésie française
6. Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité
bureau des douanes de port-la-nouvelle
Question n° 296 de M. Roland Courteau. – Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger ; M. Roland Courteau.
Question n° 316 de M. Michel Doublet. – Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger ; M. Michel Doublet.
fermeture de la succursale biterroise de la banque de france
Question n° 269 de M. Raymond Couderc. – Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée chargée des Français de l'étranger ; M. Raymond Couderc.
bordereaux de salaire des ouvriers d'état du ministère de la défense
Question n° 251 de M. Jean-Pierre Godefroy. – M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense.
difficultés de la filière tabacole en charente-maritime
Question n° 178 de M. Daniel Laurent. – MM. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt ; Daniel Laurent.
Question n° 268 de M. Jacques Legendre. – MM. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense ; Jacques Legendre.
conditions d’attribution de croix de l’ordre national du mérite aux officiers de gendarmerie
Question n° 298 de M. Jean-Pierre Leleux. – MM. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense ; Jean-Pierre Leleux.
Suspension et reprise de la séance
inquiétudes des élus et réforme de la fiscalité de l'aménagement
Question n° 145 de M. Francis Grignon. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Francis Grignon.
conséquences de la réorganisation du système de permanence des soins de nuit en drôme
Question n° 311 de M. Didier Guillaume. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Didier Guillaume.
prolongement de la ligne du tgv de paris à saint-étienne jusqu'à firminy
Question n° 209 de M. Jean Boyer. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; M. Jean Boyer.
interdiction de l'amiante en europe et dans le monde
Question n° 252 de Mme Michelle Demessine. – Mmes Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation ; Michelle Demessine.
place des langues régionales dans le projet de loi de programmation et d’orientation pour l’école
Question n° 318 de M. Georges Labazée. – Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée chargée de la réussite éducative ; M. Georges Labazée.
application du principe de laïcité dans le sport
Question n° 312 de M. Jacques Mézard. – MM. Manuel Valls, ministre de l'intérieur ; Jacques Mézard.
port du foulard et neutralité du sport
Question n° 301 de Mme Brigitte Gonthier-Maurin. – M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur ; Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
déclassement des dépendances du domaine public communal
Question n° 215 de M. Henri Tandonnet. – MM. Manuel Valls, ministre de l'intérieur ; Henri Tandonnet.
abus de la liberté d'expression
Question n° 300 de Mme Nathalie Goulet. – M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur ; Mme Nathalie Goulet.
Suspension et reprise de la séance
affectation budgétaire du versement transport
Question n° 291 de M. Jean-Patrick Courtois. – MM. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Jean-Patrick Courtois.
Question n° 314 de Mme Claire-Lise Campion. – M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Mme Claire-Lise Campion.
Question n° 149 de M. Michel Teston. – MM. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Michel Teston.
passage et stationnement en seine-saint-denis d’un train chargé de déchets nucléaires
Question n° 297 de Mme Aline Archimbaud. – M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès chargé des transports, de la mer et de la pêche ; Mme Aline Archimbaud.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
8. Débat sur les nouveaux défis du monde rural
M. Gérard Bailly, pour le groupe UMP.
M. Gérard Larcher, Mme Renée Nicoux, MM. Gérard Le Cam, Aymeri de Montesquiou, Christian Bourquin, Joël Labbé, Benoît Huré, Jean-Luc Fichet, Henri Tandonnet, Philippe Bas, Mme Laurence Rossignol, MM. Didier Guillaume, Pierre Camani, Mme Odette Herviaux.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
9. Débat sur la politique étrangère
MM. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe UDI-UC ; Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.
Mmes Michelle Demessine, Nathalie Goulet, M. Jean-Michel Baylet, Mme Leila Aïchi, M. Gérard Larcher, Mme Josette Durrieu, MM. Michel Boutant, Joël Guerriau, Raymond Couderc, Gilbert Roger.
PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari
MM. René Beaumont, Jacques Berthou, Robert del Picchia, Jeanny Lorgeoux.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères.
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Carle
vice-président
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
Mme Catherine Procaccia.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décès d’un ancien sénateur
M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Marcel Cavaillé, qui fut sénateur de la Haute-Garonne de 1971 à 1974.
3
Demande d’avis sur un projet de nomination
M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010, relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, et en application de l’article R. 131-6 du code de l’environnement, M. le Premier ministre, par lettre en date du 14 février 2013, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission compétente du Sénat sur le projet de nomination de M. Bruno Léchevin à la présidence du conseil d’administration de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).
Cette demande d’avis a été transmise à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire.
Acte est donné de cette communication.
4
Dépôt d’un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Philippe Deslandes, président de la Commission nationale du débat public, le rapport d’activité de cette commission, établi en application de l’article L. 121-7 du code de l’environnement.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, et est disponible au bureau de la distribution.
5
Communication de rapports et d’avis de l’Assemblée de la Polynésie française
M. le président. M. le président du Sénat a reçu, par lettre en date du 16 janvier 2013, les rapports et avis de l’Assemblée de la Polynésie française concernant :
- le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et au statut de leurs forces ;
- les trois projets de loi autorisant la ratification de traités de coopération en matière de défense entre la France et respectivement le Sénégal, Djibouti et la Côte d’Ivoire ;
- et le projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne.
Acte est donné de cette communication.
Ces documents ont été transmis à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
6
Décision du Conseil constitutionnel sur une question prioritaire de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 15 février 2013, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et aux libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article L. 12-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique (n° 2012-292 QPC).
Acte est donné de cette communication.
7
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
bureau des douanes de port-la-nouvelle
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, auteur de la question n° 296, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget.
M. Roland Courteau. Madame la ministre, j’ai appris, un jour, par les organisations syndicales, puis, le jour suivant, par le président de la chambre de commerce et d’industrie de Narbonne, puis, enfin, par certains articles de presse, que de fortes menaces de suppression pesaient sur le bureau de douane de Port-la-Nouvelle.
Pour moi, ce fut la stupéfaction la plus totale : d’abord, au regard de la méthode employée ; ensuite, du fait d’être le dernier informé, mais, là encore, ce n’est pas très grave ; enfin et surtout, par rapport aux importants projets de développement et d’agrandissement de ce port.
Comment, en effet, l’administration peut-elle annoncer la suppression de ce bureau, alors que les collectivités – région, département, intercommunalité – et l’État s’engagent actuellement sur des projets d’importance majeure, destinés à donner à ce port un net surcroît d’activité, ce qui devrait en toute logique déboucher non pas sur la suppression du service des douanes mais plutôt sur son renforcement ? Allez donc comprendre quelque chose ! J’avoue une nouvelle fois ma stupéfaction de constater que l’administration peut ignorer des évolutions d’une telle ampleur.
Vous le savez bien, madame la ministre, la députée de Narbonne et moi-même sommes allés expliquer aux proches collaborateurs du ministre du budget qu’un débat public était lancé en vue de la réalisation de travaux d’agrandissement, mobilisant quelque 200 millions d’euros. Et c’est le moment qu’a choisi l’administration – bien tardivement, reconnaissons-le – pour nous écrire à nous, parlementaires, qu’elle souhaitait s’entretenir avec ces mêmes parlementaires pour leur expliquer « les raisons pour lesquelles elle envisage de fermer le bureau de douane » ! Drôle de mise en œuvre de la concertation !
Dois-je en outre préciser qu’actuellement, en termes de logistique, Port-la-Nouvelle affiche pleinement son efficacité et son attractivité internationale au regard de sa réactivité douanière ?
Bref, il est clair que le développement de ce port ne peut se passer du service des douanes.
Les douaniers de Port-la-Nouvelle assurent en effet un service de proximité, primordial, notamment en ce qui concerne les importations de carburants en provenance des pays tiers. Ils apportent aussi une expertise et des compétences essentielles à la communauté portuaire ainsi qu’à la sécurité des marchandises du port – je pense à la lutte contre les flux commerciaux illicites. Enfin, ils font preuve d’une réactivité indispensable à la fluidité des trafics, grâce à l’intervention des agents en dehors des heures d’ouverture : c’est ce que l’on appelle l’organisation RTS.
Madame la ministre, dites bien au ministre du budget de ne pas aller, en supprimant ces douanes, à contresens des efforts engagés par les collectivités, par la chambre de commerce et d’industrie de Narbonne ainsi que par l’ensemble des acteurs économiques en matière de développement économique et de création d’emplois.
Gardez-vous d’oublier que toute délocalisation du service des douanes pourrait, à terme, condamner ce port qui, aujourd’hui, peut être un moteur puissant de développement économique pour le département de l’Aude et tout le sud de la France.
Je demande donc au Gouvernement de ne pas valider ce projet de suppression et de prendre en compte les engagements des collectivités et des acteurs économiques en matière de développement économique et d’emploi.
Je lui demande de ne pas approuver ce projet funeste, de nous démontrer ainsi à la fois ce qu’est une vraie concertation et sa volonté de rompre avec des méthodes révolues.
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger. Monsieur le sénateur, je tiens tout d’abord à vous assurer que l’implantation des services publics sur les territoires est une préoccupation majeure du Gouvernement, qui entend à cet égard trouver un juste équilibre entre la satisfaction des besoins des usagers, l’évolution des missions des administrations et le respect de la trajectoire ambitieuse de redressement des comptes publics qui vient d’être engagée.
La concertation avec l’ensemble des parties prenantes – élus locaux, représentants des personnels et des usagers, monde économique – est une exigence de méthode essentielle pour y parvenir.
M. Roland Courteau. Absolument !
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée. Pierre Moscovici et Jérome Cahuzac en font une priorité pour l’ensemble des réseaux déconcentrés relevant du ministère de l’économie et des finances. Chacune des propositions de leurs administrations est validée à leur niveau.
C’est dans ce contexte général que les évolutions du réseau de la direction générale des douanes doivent être resituées. Administration de services, la douane s’est engagée depuis plusieurs années déjà dans une démarche d’accompagnement et de partenariat avec les entreprises tournées vers l’international, démarche qui va être poursuivie et même accélérée, dans le cadre de la mise en œuvre du pacte de compétitivité. Par la simplification des formalités et grâce à un important mouvement de dématérialisation des procédures, l’environnement douanier porte tous ses efforts vers le « zéro papier », en concertation bien sûr avec les acteurs économiques concernés.
L’évolution générale des méthodes de contrôle s’oriente également vers une analyse de risque et un ciblage des opérations, plus adaptés aux enjeux réels de la fraude, assurant ainsi aux opérateurs une prise en compte plus personnalisée de leurs trafics et une réduction générale du délai de traitement de leurs opérations.
La rationalisation du réseau de dédouanement s’inscrit dans cette trajectoire de modernisation, qui donne lieu à des réflexions au niveau déconcentré. La fermeture du bureau de Port-la-Nouvelle n’est, à ce stade, que l’une des pistes d’évolution envisagées par la direction interrégionale des douanes et droits indirects de Montpellier.
L’activité dédouanement de ce bureau ne représente en effet qu’un peu plus de 1 % du trafic enregistré dans l’interrégion de Montpellier. De surcroît, trois opérations sur quatre environ sont gérées au moyen de procédures simplifiées qui ne requièrent pas la présentation des marchandises à la douane. Le décalage apparent de perception entre ces chiffres et ceux que vous rappelez, qui montrent que Port-la-Nouvelle est bien l’un des principaux sites portuaires de Méditerranée, tient à l’importance des opérations intracommunautaires, sur lesquelles la douane n’intervient pas.
Sur cette base, il a effectivement été envisagé de fermer le bureau de douane de Port-la-Nouvelle avec transfert de l’activité, pour les produits pétroliers, vers le bureau de Sète, qui dispose déjà d’une compétence reconnue dans ce secteur à forte technicité et, pour le dédouanement résiduel, vers le bureau de Perpignan.
Quelle que soit la décision prise, il va de soi que la réactivité de la douane à Port-la-Nouvelle sera préservée puisque, au-delà de formalités simplifiées qui assurent aux opérateurs la disponibilité immédiate de leurs marchandises, le projet reposerait sur des contrôles ciblés, dont l’efficacité est éprouvée.
J’ai bien noté, monsieur le sénateur, les réactions locales dont vous vous faites l’écho aujourd’hui. Il est clair qu’il faut tirer toutes les conséquences de l’annonce du plan d’extension des installations portuaires de Port-la-Nouvelle qui n’a été portée que récemment à la connaissance de l’État.
À ce stade, ce projet n’a pas été validé. Jérome Cahuzac a demandé au directeur interrégional des douanes et droits indirects de Montpellier de poursuivre la concertation de manière à pouvoir prendre en compte cet important développement, dont il mesure l’ambition et l’incidence potentielle sur l’emploi local. Aucune décision ne sera prise, en toute hypothèse, avant le second semestre 2013.
Monsieur le sénateur, comme vous le soulignez, nous entendons rompre avec les méthodes de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, en accordant une place déterminante à la concertation tant avec les agents qu’avec les usagers du service public. Cela ne signifie pas qu’il faille s’interdire toute adaptation des réseaux déconcentrés de l’État ; notre approche doit être pragmatique, mesurée, mais sans immobilisme. Cela implique qu’il n’est pas possible de prendre un engagement dès maintenant, dans un sens ou dans l’autre, sur le cas que vous évoquez. Nous nous donnerons le temps nécessaire pour écouter et pour tenir compte des positions de chacun, avant la décision finale, que nous assumerons et dont le ministre du budget ne manquera pas de vous faire part.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Je vous remercie, madame la ministre, mais je me permets d’insister une fois de plus : sachez que les élus de ce département et l’ensemble des acteurs économiques comptent sur le gouvernement actuel pour assurer le maintien de ce service des douanes de Port-la-Nouvelle.
Nul ne comprendrait un désengagement de l’État sur ce port au moment où ce même État et l’ensemble des collectivités, départements et régions, mettent tout en œuvre pour lui donner une tout autre dimension.
Récemment encore, les différents opérateurs du port ont fait part de leur attachement à la présence permanente d’un service public de douaniers efficace et disponible. C’est un maillon essentiel au bon fonctionnement du circuit économique du port.
Tout est dit, je crois, en ces quelques mots : nous faisons confiance au Gouvernement, notamment au ministre du budget ; nous vous faisons confiance, madame la ministre ; de grâce, ne nous décevez pas !
incidences dans le secteur de l'eau des propositions de la commission européenne sur l'avenir de la tva
M. le président. La parole est à M. Michel Doublet, auteur de la question n° 316, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre de l’économie et des finances, chargé du budget.
M. Michel Doublet. Madame la ministre, ma question porte sur le projet de la Commission européenne visant à mettre en place un système de TVA favorable aux entreprises et à la croissance.
La Commission européenne a ainsi adopté, le 6 décembre 2011, une communication sur l’avenir de la TVA intitulée Vers un système de TVA plus simple, plus robuste et plus efficace adapté au marché unique, dont les objectifs principaux sont la simplification des procédures pour les entreprises, l’augmentation de l’assiette de TVA et des recettes fiscales afférentes et, enfin, la lutte contre la fraude à la TVA.
Concernant l’assiette de la TVA, la Commission européenne préconise de restreindre, voire de supprimer la liste des activités-opérations pouvant bénéficier des taux réduits de TVA.
Une consultation publique sur les objectifs vient d’être close. Elle portait sur l’élargissement de l’assiette de la TVA, sur les distorsions de concurrence entre États, sur le renchérissement du coût des produits et services dont la consommation doit être réduite et, enfin, sur l’uniformisation des taux applicables à des produits ou services différents mais remplissant la même fonction.
Sont ainsi particulièrement visés les secteurs de l’eau, de l’énergie et des déchets.
En ce qui concerne le secteur de l’eau, afin de compenser l’augmentation du taux de TVA, les investissements pourraient être revus à la baisse pour contenir les factures des usagers, obérant in fine les objectifs sanitaires et environnementaux à atteindre.
L’augmentation du taux de TVA étant neutre pour les abonnés professionnels, qui représentent 76 % de la consommation totale d’eau, contre 24 % pour les ménages français, l’incidence sur la baisse de la consommation sera marginale.
Si l’objectif recherché est d’économiser l’eau en renchérissant le coût pour le consommateur, on peut dès lors s’interroger sur l’opportunité d’utiliser le vecteur de la TVA. En conséquence, madame la ministre, je souhaiterais que vous nous fassiez part de la position du Gouvernement en la matière, plus particulièrement sur une taxation qui affecterait l’ensemble des consommateurs et dont le produit serait réaffecté au financement du secteur de l’eau, à l’instar de ce qui existe pour les agences de l’eau.
Cette problématique, je le sais, n’est que le préambule du processus d’élaboration d’une directive européenne, mais j’aimerais d’ores et déjà connaître votre position.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger. Monsieur le sénateur Michel Doublet, à la fin de l’année 2012, la Commission européenne a élaboré un questionnaire public pour préparer la proposition de directive visant à réformer le système des taux de TVA qu’elle doit présenter à la fin de la présente année. Ce questionnaire est destiné aux États et aux opérateurs économiques.
Vous relevez avec raison que la Commission y pose la question du taux applicable pour l’eau, qui peut être taxée au taux réduit de la TVA, comme c’est le cas en France.
L’interrogation est posée de manière neutre : « Quels arguments […] souhaitez-vous faire valoir dans le cadre de l’évaluation du taux réduit de TVA pour l’eau ? » Néanmoins, on peut imaginer que cette question fait écho à une réflexion menée par la Commission, dont il est vraisemblable qu’elle ait pour objet de renchérir le coût de l’eau, afin d’éviter son gaspillage.
La France a répondu le mois dernier à ce questionnaire. Sur la question de l’eau, sa réponse est très claire. La France considère que le taux réduit de TVA doit continuer à pouvoir s’appliquer sur ce produit de première nécessité. Le passage au taux normal ne serait supporté que par les ménages, les entreprises déduisant la TVA, ce qui ne serait pas acceptable. La remise en cause du bénéfice du taux réduit n’aurait donc que peu d’effet sur la réalisation des objectifs environnementaux de gestion de la ressource, tout en pénalisant le pouvoir d’achat des ménages.
Dans ces conditions, et compte tenu de la règle de l’unanimité exigée en matière fiscale par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, il n’est pas envisageable de recourir au vecteur de la TVA pour inciter à une baisse de la consommation d’eau. La France, ainsi que d’autres États, s’y opposerait vigoureusement.
M. le président. La parole est à M. Michel Doublet.
M. Michel Doublet. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse, qui me rassure. J’espère bien évidemment que le taux de TVA sur l’eau ne sera pas augmenté.
fermeture de la succursale biterroise de la banque de france
M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc, auteur de la question n° 269, adressée à M. le ministre de l'économie et des finances.
M. Raymond Couderc. Madame le ministre, la Banque de France a annoncé à l’automne dernier qu’elle avait l’intention de restructurer son réseau, ce qui aurait pour conséquence la suppression de 2 500 emplois, la fermeture de quarante-deux des soixante et onze caisses locales, et même la disparition totale de ses implantations dans vingt agglomérations.
Dans l’Hérault, les sites de Béziers et de Sète sont menacés. À Sète, seul un bureau d’accueil serait maintenu. À Béziers, il est prévu la fermeture dès 2014 de la caisse, puis la disparition dans les années suivantes non seulement du bureau de surendettement au profit d’un site dématérialisé mais aussi du bureau de cotation des entreprises.
Cela paraît un non-sens dans la mesure où près de 8 000 personnes ont été reçues au guichet de la Banque de France de Béziers pour des dossiers de désendettement et où le nombre de dépôts de dossier a augmenté de près de 50 % entre 2007 et 2011, d’autant que, dans de tels cas, une présence humaine paraît nécessaire.
Quant à la cotation des entreprises, elle est essentielle quand on observe le poids économique du Biterrois dans le département, et même au-delà : on y compte autant d’entreprises suivies que dans l’ensemble du département de l’Aude voisin. Le rôle de proximité du bureau des cotations est majeur pour le conseil financier, la médiation bancaire et l’aide aux entreprises en difficulté, surtout dans des périodes de crise économique comme celle que nous affrontons.
Tous les acteurs économiques et de très nombreuses collectivités locales du Biterrois ont fait connaître leur désaccord sur ce projet de la Banque de France qui aboutirait à une déshumanisation du contact avec le public.
La France n’est pas constituée seulement de capitales régionales : les antennes locales ont tout leur rôle de relais à jouer avec les entreprises et nos concitoyens.
Dans ces conditions, madame le ministre, pourriez-vous expliquer à la représentation nationale les mesures que le Gouvernement entend prendre pour maintenir dans nos territoires les antennes locales de la Banque de France en tant qu’interlocuteurs privilégiés des particuliers et des entreprises connaissant des difficultés financières ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Hélène Conway-Mouret, ministre déléguée auprès du ministre des affaires étrangères, chargée des Français de l'étranger. Monsieur le sénateur Raymond Couderc, vous avez souhaité interroger le ministre de l’économie et des finances sur la situation de la Banque de France dans votre département. Pierre Moscovici, actuellement en déplacement, vous prie de bien vouloir l’excuser de ne pouvoir vous répondre aujourd’hui personnellement.
Je veux vous dire toute l’attention portée par le Gouvernement au sujet que vous évoquez, et le souci qu’a la majorité de moderniser l’action publique et celle de ses opérateurs pour l’adapter aux changements de notre société, tout en préservant la qualité du service public.
C’est notamment le cas de la Banque de France, autorité indépendante mais à qui l’État a confié l’exercice pour son compte de certaines missions, comme la gestion de la procédure de surendettement des particuliers : la Banque de France doit faire face à une mutation profonde des conditions d’exercice de ses missions, notamment à une réduction importante de l’activité de certaines de ses implantations.
Ces défis ont incité la Banque de France à engager une réflexion sur l’optimisation de son organisation. L’État soutient cette démarche de bonne gouvernance qui doit notamment lui permettre de prendre efficacement en charge le traitement du surendettement.
Dans ce contexte, le gouverneur de la Banque de France a présenté, lors du comité central d’entreprise du 21 septembre dernier, un plan de réorganisation qui fait actuellement l’objet d’une consultation tant des personnels que de l’ensemble des acteurs locaux. Ce plan, qui porte à la fois sur l’activité fiduciaire et sur l’activité tertiaire de la Banque de France, doit être progressivement mis en place entre 2013 et 2020.
L’État est particulièrement attentif au respect de différents principes.
Tout d’abord, une couverture géographique importante doit être maintenue via la présence d’une succursale de la Banque de France dans chaque département. Le Gouvernement est néanmoins attentif à ce que cette règle prenne en compte la réalité du terrain, notamment les contraintes d’accès à certaines succursales. C’est pourquoi il est important qu’une implantation infradépartementale soit également assurée là où des conditions géographiques ou économiques le justifient.
Ainsi, la Banque de France maintiendra des antennes économiques dans neuf villes et conservera, ou ouvrira, des bureaux d’accueil et d’information dans les villes où la Banque reçoit plus de 1 000 visiteurs par an.
Ensuite, il faut assurer une optimisation de la gestion des activités qui ne nécessitent pas de contact avec le public. La gestion administrative des dossiers de surendettement, qui nécessite un important travail de traitement, sera effectuée par trente-cinq centres de gestion partagée, et l’activité de cotation des entreprises par quarante centres de traitement partagé, soit au total quarante-quatre implantations réparties entre les chefs-lieux de région et les succursales départementales ayant un volume d’activité suffisant.
S’agissant de l’activité fiduciaire, la Banque est confrontée à de lourds défis liés à la modernisation de ses équipements, aux évolutions des pratiques de recyclage et des transports de fonds ainsi qu’aux contraintes posées par l’Eurosystème. Le maillage du territoire à partir de deux nouveaux centres fiduciaires dans le Nord et en Seine-Saint-Denis, d’un centre d’appui à Chamalières et de vingt-neuf caisses réparties sur l’ensemble du territoire est de nature à répondre de manière efficace aux besoins, en garantissant la sécurité des implantations et des transports. Il est important de noter que les activités fiduciaires de la Banque de France ne constituent pas un service en contact avec le public et que la fermeture des caisses n’implique pas une fermeture des implantations correspondantes de la Banque de France.
De plus, aucune fermeture d’unité tertiaire n’interviendra avant 2016. Le plan de fermeture des caisses sera lui aussi très progressif : il sera lié à la livraison des nouveaux centres fiduciaires et au renouvellement des équipements de tri.
Enfin et surtout, un important accompagnement social est mis en place : un plan de sauvegarde de l’emploi est prévu pour les 227 agents concernés par les fermetures de caisses. Compte tenu des départs en retraite, ce sont seulement 175 agents qui seront concernés par les reclassements géographiques ou fonctionnels. La Banque de France prévoit d’ores et déjà les formations et les offres de mutation permettant d’anticiper cette mobilité dans les meilleures conditions. In fine, la mise en œuvre de ce plan pourra se faire sans aucun licenciement.
Au terme de la réforme, la région du Languedoc-Roussillon sera couverte par cinq unités permanentes situées dans un chef-lieu de département et par trois bureaux d’accueil et d’information.
L’antenne économique de Béziers sera remplacée par un bureau d’accueil et d’information. Le traitement de ses dossiers relatifs aux entreprises et au surendettement sera repris par la succursale de Montpellier, qui verra ses activités développées. Ce maillage est de nature à répondre aux besoins de la population et des entreprises de la région.
L’État souhaite que cette réforme permette de garantir l’efficacité de l’action de la Banque de France et de maintenir un haut niveau de service auprès des usagers sans remettre en cause les activités de la Banque en matière de surendettement et de médiation du crédit. Celle-ci a la responsabilité d’être attentive à ces critères.
Je puis vous l’assurer, monsieur le sénateur, l’État veillera à la qualité du dialogue entre les parties prenantes, notamment avec les élus locaux, que la Banque de France a la responsabilité de mener.
M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc.
M. Raymond Couderc. Vous comprendrez, madame le ministre, que votre réponse n’apaise pas mes craintes. Tout le monde le sait, les bureaux d’accueil et d’information de la Banque de France sont des coquilles vides. Une fois de plus, on va éloigner les services de la population.
Dans le Biterrois, qui compte 300 000 habitants, soit une population supérieure à celle de beaucoup de départements, de nombreuses personnes ont besoin des services des bureaux de désendettement. Madame le ministre, il est nécessaire que la Banque de France réagisse et que vous l’y incitiez.
bordereaux de salaire des ouvriers d'état du ministère de la défense
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question n° 251, adressée à M. le ministre de la défense.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le ministre, ma question porte sur trois problèmes récurrents concernant les ouvriers d’État au ministère de la défense : les bordereaux trimestriels, l’accès à la participation pour les personnels mis à disposition, ou PMAD, et le jour de carence pour arrêt pour maladie.
Les bordereaux trimestriels sont le pilier des relations sociales des ouvriers d’État depuis des dizaines d’années. Or ils sont suspendus depuis bientôt deux ans. Le directeur des relations humaines du ministère de la défense serait enclin à prolonger ce blocage pour 2013, voire pour plus longtemps, quand une suppression pure et simple n’est pas évoquée.
Ces mêmes bordereaux avaient été suspendus par Raymond Barre en 1979 et redébloqués dès 1981 par Pierre Mauroy.
Ce blocage a pour conséquence, à chaque 1er janvier, la baisse des salaires par rapport à l’année précédente, alors que les cotisations à la mutuelle de la marine et les cotisations retraite augmentent tous les ans.
Si rien n’est fait, les jeunes ouvriers qui sont en cinquième ou sixième catégorie toucheront à la fin de leur carrière moins d’un SMIC.
Le deuxième point concerne les PMAD qui n’ont pas accès à la participation versée par DCNS aux salariés de l’entreprise, alors qu’ils contribuent eux aussi aux bons résultats économiques de celle-ci. J’avais déposé en novembre 2006 un amendement visant à donner accès à ces personnels à la participation : ce texte fut voté par le Sénat, mais malheureusement supprimé en commission mixte paritaire par un amendement de M. Ollier.
Il conviendrait, monsieur le ministre, que ces personnes puissent avoir accès à la participation, comme les autres personnels de DCNS.
Enfin, concernant le jour de carence, les PMAD sont maintenant assujettis, comme l’ensemble des agents et personnels de la fonction publique, à un jour de carence.
Or, l’entreprise DCNS prend à sa charge les trois jours de carence applicables aux salariés de droit privé. Sur le principe de l’équité entre les personnels de l’entreprise, il serait logique que les PMAD soient éligibles à la même disposition, faute de quoi ils pourraient avoir le sentiment de ne pas faire réellement partie de l’entreprise.
J’aimerais connaître, monsieur le ministre, les intentions du ministère de la défense concernant ces ouvriers d’État, donc chacun se plaît à reconnaître la compétence.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la rémunération des ouvriers de l’État au ministère de la défense, sujet que vous et moi connaissons bien.
Vous le savez, ces personnels sont rémunérés sur la base d’un salaire horaire qui varie selon le groupe d’appartenance et l’échelon détenu, pour un forfait mensuel de 152 heures dans le cas général. Ce salaire horaire peut varier selon le lieu d’affectation puisqu’un abattement de zone est pratiqué suivant la zone de résidence des ouvriers.
Ce dispositif repose sur deux décrets : les décrets dits « salariaux » du 22 mai 1951 et du 31 janvier 1967, qui prévoient que le salaire des ouvriers de l’État au ministère de la défense est revalorisé chaque trimestre, par application d’un pourcentage relatif à la hausse moyenne des salaires constatés au cours du trimestre précédent dans l’industrie métallurgique de la région parisienne.
Il se trouve que la programmation budgétaire triennale 2011-2013 a prévu, de manière concomitante au gel du point d’indice dans la fonction publique, la suspension de la procédure de revalorisation des bordereaux de salaires ouvriers, ou BSO. Ainsi, comme vous l’avez rappelé, cette revalorisation est suspendue depuis le 1er janvier 2011.
Le 7 février 2013, lors d’une réunion avec les organisations syndicales, le ministre de la fonction publique a confirmé la reconduction de ce gel en 2013.
Le 2 octobre 2012, présentant aux organisations syndicales le budget pour 2013 du ministère de la défense, je leur ai fait part de mon intention d’ouvrir avec les partenaires sociaux du ministère de la défense certains chantiers relatifs aux ressources humaines. De fait, j’ai mis en place plusieurs ateliers, dont les conclusions doivent être rendues au cours de cette année 2013.
Parmi ces dossiers figure celui auquel vous comme moi tenons beaucoup : celui des modalités de rémunération des ouvriers de l’État et, d'ailleurs, de leur recrutement potentiel. La situation de ces personnels pose véritablement question. C’est pourquoi j’ai souhaité rouvrir ce dossier, qui n’avait pas été examiné depuis un certain temps.
Je suis bien conscient des complications et des difficultés engendrées par le gel des salaires des ouvriers de l’État.
Souhaitant que l’on puisse sortir par le haut de cette situation, j’ai demandé à ce groupe de travail de me faire des propositions dans le courant de l’année, pour aboutir à une issue qui, je l’espère, sera positive et permettra d’identifier les métiers des personnels concernés ainsi que les leviers concourant à l’évolution de leur rémunération, et de trouver une solution juste à ces difficultés.
J’y intégrerai la question des ouvriers de l’État mis à disposition, personnels spécifiques dont je connais la réalité et la complexité de la situation – vous avez cité le cas de ceux qui sont mis à la disposition de DCNS, pour la partie marine de la défense.
Monsieur le sénateur, telles sont les explications que je souhaitais vous donner. Je le répète, je suis comme vous très attaché à ce dossier !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.
difficultés de la filière tabacole en charente-maritime
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent, auteur de la question n° 178, adressée à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.
M. Daniel Laurent. Monsieur le ministre, je souhaite vous faire part des préoccupations des producteurs de la filière tabacole de France, plus particulièrement de mon département de la Charente-Maritime, dans un contexte de diminution des aides européennes.
Afin de maintenir un haut niveau de qualité des produits et malgré le découplage des aides communautaires, l’avenir de la filière nécessitait une amélioration de la productivité du secteur, au travers de la modernisation et de la revalorisation des prix commerciaux négociés entre les producteurs et les industriels.
Dans le cadre du programme de développement rural hexagonal – plus précisément de ses mesures 121 C2 et 121 C6 –, les exploitations agricoles et les coopératives d’utilisation du matériel agricole, les CUMA, peuvent bénéficier d’aides à l’investissement, afin d’accroître la compétitivité des exploitations.
De même, pour optimiser les fonds alloués au financement des investissements, a été mis en place un dispositif d’aide aux investissements pour les exploitations et CUMA tabacoles, financé par FranceAgriMer et le Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER : il s’agit de la mesure 144 du programme de développement rural hexagonal. Les régions peuvent utiliser les fonds FEADER pour le financement de cette mesure, ainsi que pour l’ensemble des autres mesures du programme.
Les producteurs ont donc investi, dans l’esprit du développement durable, soit pour des installations de séchage aux copeaux de bois, soit pour des fours de séchage plus performants, afin de maîtriser les coûts, ou pour des installations de goutte à goutte.
Or il semblerait que, dans la région Poitou-Charentes, les planteurs, qui, lorsque le montant des aides baissait de plus de 25 %, pouvaient bénéficier d’une aide substantielle de 9 000 euros par exploitation sur trois ans, n’aient pas eu accès à ces mesures.
Force est de constater que, depuis la réforme à mi-parcours de la politique agricole commune, la PAC, les dispositifs d’aides aux producteurs font l’objet de dysfonctionnements sur les territoires, mettant en difficulté les planteurs de tabac, qui doivent faire face aux hausses de prix de l’énergie et du coût de la main-d’œuvre.
Le sud de la Charente-Maritime est particulièrement concerné, d’autant que les deux dernières campagnes ont causé des pertes importantes, consécutives aux conditions climatiques, pesant ainsi lourdement sur la caisse d’assurance des producteurs. Les coopératives Poitou-Tabac et Périgord-Tabac sont confrontées à une diminution de surface et de volumes récoltés. Quant au nombre de producteurs, il est passé de 121 en 2010 à 80 en 2012.
Par ailleurs, au-delà des efforts de productivité que pourraient assurer les producteurs, le marché de la matière première qu’est le tabac est complètement déséquilibré sur le plan international. La France et l’Europe se trouvent confrontées à la concurrence directe des pays émergents, et ce depuis l’arrêt des soutiens directs dans le cadre de la PAC, à partir de la campagne 2010.
Les négociations menées par la Fédération nationale des producteurs de tabac, en relation avec la FNSEA, ont permis de débloquer 18 millions d’euros pour les campagnes 2011 et 2012. Les producteurs ont pu retrouver un meilleur équilibre de leur compte de résultat du fait de cette prime à la qualité.
Or, cette décision ne vaut que pour deux ans. Il est donc impératif de la reconduire dans le cadre de la nouvelle réforme de la PAC 2014-2020. Précisons que, si les dispositifs budgétaires ne sont pas définis dans les délais utiles pour mettre en œuvre la nouvelle PAC en 2014, il convient qu’une enveloppe de 9 millions d’euros supplémentaires soit reconduite en 2014 pour préserver la prime à la qualité.
En conséquence, monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour accompagner les producteurs de tabac, dont certains sont confrontés à d’importantes difficultés de trésorerie pouvant affecter la pérennité de leurs exploitations ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le sénateur, vous le savez, trois aides publiques existent aujourd'hui en faveur du tabac.
La première est une aide aux investissements pour les exploitations et les CUMA tabacoles, dispositif du plan de développement rural hexagonal, financé par FranceAgriMer – à hauteur de 1,4 million d’euros –, par les régions françaises et par le FEADER, pour les années 2011-2013.
Dans le cadre de ce dispositif, FranceAgriMer prévoit une enveloppe de 500 000 euros pour 2013, dans un contexte budgétaire que je n’ai pas besoin de rappeler. Le conseil régional de Poitou-Charentes a ouvert, via FranceAgriMer, une enveloppe de 228 000 euros couvrant l’ensemble des projets prévus. Plus de 85 % de ces crédits avaient été engagés au 30 novembre 2012 et, au regard des compléments de projets portés par les professionnels, l’ensemble des crédits prévus par la région seront utilisés.
La deuxième aide porte sur la restructuration des exploitations tabacoles, mesure liée, en particulier, à un cofinancement du FEADER. Le programme prévoit une aide de près de 9 000 euros par exploitation pour les années 2011 à 2013. Ce dispositif spécifique, qui s’adressait à un certain nombre d’exploitations, n’a pas été ouvert par le conseil régional de Poitou-Charentes.
Enfin, une troisième aide, « à la qualité du tabac », au titre de l’article 68 du règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil du 19 janvier 2009, permet de procéder à des modulations. Cette aide s’élève à 9 millions d’euros par an pour les années 2012 et 2013. Elle a été mise à la disposition de la France : pour 2012, un acompte de 50 % du montant provisoire de l’aide a été versé au cours des mois de décembre et de janvier derniers.
Je suis particulièrement attentif à ce que ces aides puissent être mises en œuvre. En effet, dans un contexte de négociation de la réforme de la politique agricole commune et de pressions exercées sur le tabac au nom d’impératifs sanitaires – vous les connaissez, monsieur le sénateur –, nous devons faire en sorte que la filière tabacole puisse s’adapter et, surtout, se spécialiser dans une production de qualité. Je suis parfaitement d’accord sur ce point.
Dans le même temps, dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune et des discussions qui la précéderont, nous devons aussi anticiper un certain nombre de mesures, en particulier la fin, programmée par la Commission européenne, du fameux article 68 et des aides à la qualité.
Ensemble, nous devons donc être clairement tournés vers l’aide à la filière tabacole, pour permettre à cette dernière de s’adapter rapidement.
La réforme de la PAC prendra peut-être un peu plus de temps que prévu : monsieur le sénateur, profitons de ces délais pour assurer ce que vous appelez de vos vœux ! Profitons-en pour donner à la filière la capacité d’améliorer ses qualités et pour faire en sorte que la restructuration en cours tienne compte de la situation actuelle des producteurs de tabac en France, en particulier dans la région Poitou-Charentes.
M. le président. La parole est à M. Daniel Laurent.
M. Daniel Laurent. Monsieur le ministre, je vous remercie de cette réponse encourageante.
Sachez que je veillerai à ce que votre défense de la filière tabacole soit la plus opérationnelle possible. En effet, si, comme vous l’avez très justement déclaré, le tabac peut voir sa consommation décriée, il crée aussi des emplois en milieu rural, pour des personnes qui ne trouvaient pas de travail.
Il faut donc défendre cette filière importante, dont vous avez vu qu’elle est dès à présent en grande difficulté, de nombreuses exploitations ayant déjà disparu.
création d'emplois de fonctionnaires civils ou militaires à cambrai en compensation de la fermeture de la base aérienne 103
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, auteur de la question n° 268, adressée à M. le ministre de la défense.
M. Jacques Legendre. Monsieur le ministre, je me dois aujourd'hui d’exprimer dans notre enceinte le cri d’angoisse de tout un territoire, celui qui, pour une population de 150 000 habitants, a perdu cet été 1 500 emplois permanents en raison de la fermeture de la base aérienne de Cambrai.
Cette décision avait été prise par le précédent gouvernement pour tenir compte de la diminution du volume de notre force aérienne de combat.
Si nous ne discutons pas les raisons de cette fermeture, nous notons que, compte tenu de la gravité de cette décision pour le territoire local, un certain nombre de mesures de compensation avaient à l’époque étaient demandées et obtenues. Ainsi, une partie du commissariat des armées, service du ministère de la défense, devait être transférée à Cambrai. Par ailleurs, des mesures fiscales et financières avaient été prévues, comme dans toutes les zones touchées par les restructurations de défense.
Finalement, monsieur le ministre, vous avez estimé au milieu de l’été qu’il n’y avait plus lieu de transférer le moindre service à Cambrai.
Je rappelle que nous n’avions pas spécialement demandé que nous soit transféré tel ou tel service de l’armée : nous souhaitions simplement que l’on nous aide à passer ce mauvais moment, en remplaçant les 1 500 emplois d’État perdus par quelques centaines d’emplois, via éventuellement le transfert d’un autre service public, militaire ou civil.
Cette décision a d’autant plus angoissé les habitants de notre territoire que ce dernier est actuellement très touché par les restructurations. En effet, dans la torpeur du même été 2012, nous perdions une usine du volailler Doux et, par là même, 250 emplois. Par ailleurs, nous apprenions que la décision de réalisation du canal Seine-Nord Europe, qui aurait pu être un élément dynamisant très important, était au moins remise en cause et soumise à nouvel examen.
Monsieur le ministre, cette situation angoisse tous les acteurs et les représentants politiques du territoire, quelle que soit leur appartenance politique. Sur votre invitation, nous sommes allés vous exprimer nos craintes en janvier dernier. Je sais que certains de mes collègues – deux sénateurs du groupe CRC et le député maire de Cambrai – se sont rendus la semaine dernière à Matignon pour faire état de leur inquiétude.
En janvier, si vous n’aviez pu nous annoncer la création de nouveaux emplois, vous aviez néanmoins envisagé une aide financière supplémentaire pour la restructuration des zones de défense. Or, le 21 janvier dernier, j’ai reçu une lettre du préfet du Nord m’indiquant qu’il est impossible de prolonger les mesures financières au titre des zones de restructuration de la défense, ou ZRD.
Monsieur le ministre, dans un territoire si meurtri, il n’est pas possible de répondre par la négative à toutes nos demandes. Je me permets donc, monsieur le ministre, de vous questionner sur ce que vous pourrez faire pour un territoire aussi durement touché, qui aime l’armée et qui, tant sur le plan moral que sur celui de l’emploi, ne s’est pas remis de la nouvelle situation qui lui est faite.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le sénateur Jacques Legendre, nous avons déjà évoqué ensemble à plusieurs reprises cette question, et je comprends vos préoccupations et les difficultés que rencontre l’agglomération de Cambrai.
Je voudrais rappeler – vous l’avez d’ailleurs dit vous-même – que cette décision a été prise dans le cadre de la restructuration générale des forces armées engagée par le gouvernement précédent ; il s’agit d’une mesure que j’accompagne, car elle s’impose pour l’équilibre général de nos forces sur le territoire national.
Concernant l’implantation de l’organisme qui avait été décidée pour compenser la suppression de la base 103 de Cambrai, je rappellerai d’abord l’annonce antérieure du transfert d’un service du commissariat des armées, qui devait initialement concerner 690 agents. Progressivement, ces effectifs se sont trouvés de moins en moins garantis et, quand je suis entré en fonctions, il n’était même plus question de ce transfert : était évoquée la création d’un centre d’expertise et d’analyse des coûts qui ne devait employer que 200 personnes. Mais, après avoir examiné ce projet, j’ai constaté que, pas plus qu’avec les projets antérieurs, il n’apportait de garanties suffisantes en termes d'efficience, cela notamment parce que les besoins avérés dans ce domaine d'expertise de très haut niveau pouvaient être mieux satisfaits à partir de structures préexistantes.
Dans la période que nous traversons, avec l’objectif général de réduction des coûts et des déficits publics, il paraissait donc difficile de procéder à la création ex nihilo d’un organisme qui pouvait répondre à des besoins aujourd'hui satisfaits par d’autres organismes. Cette redondance m’a conduit à renoncer à ce projet.
La commune de Cambrai a protesté, elle a contesté en justice la décision que j’avais prise, et le tribunal administratif de Paris a rejeté cette requête. Je n’en reste pas moins attentif à la situation de votre territoire. Voilà peu, je vous ai reçu avec plusieurs élus dont le président de région. Je sais que votre territoire est également touché par la fermeture de l'usine Doux et par les incertitudes qui pèsent encore sur la réalisation du canal Seine-Nord Europe, dossier sur lequel je me propose d’être à vos côtés afin d’essayer de le faire aboutir.
Je suis très attentif aux possibilités de reconversion sur le territoire, et surtout à la création d’emplois nouveaux : 34 millions d'euros ont été affectés à cela. Vous me faites part d’une décision du préfet dont je prends note à l’instant. Je m’étais effectivement engagé à conforter les engagements financiers, et je m’engage donc auprès de vous à revoir ce dossier afin d’accompagner le Cambrésis dans une reconversion que je sais difficile – j’ai moi-même été élu local durant de nombreuses années.
Je souhaite que le ministère de la défense puisse vous accompagner de la meilleure manière possible, sachant que le dispositif initialement prévu ne correspondait absolument pas aux nécessités du moment ni aux contraintes budgétaires qui s’imposent actuellement à la France.
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le ministre, je suis évidemment satisfait que nous puissions avoir sur ce dossier un débat apaisé, mais ce dernier ne règle pas le problème : 1 500 emplois perdus dans une petite ville moyenne française, deux bases aériennes fermées de part et d’autre de la ville, 600 hectares de friches militaires… Vous comprendrez que cela pose tout de même de sérieux problèmes !
Nous vous avions indiqué que nous souhaitions la création ou le transfert d’un certain nombre d’emplois, ce qui paraît justifié. Vous nous expliquez que vous avez estimé que les emplois promis n’étaient pas pertinents.
Mais la définition de ces emplois ne venait pas de nous… Ce qui compte, de notre point de vue, c’est l’implantation d’emplois. Très franchement, monsieur le ministre, nous avons le sentiment que l’administration militaire, sous le précédent gouvernement comme sous l’actuel, ne s’est pas particulièrement attachée à respecter les engagements pris par l’État, au plus haut niveau, lors de la fermeture de la base aérienne de Cambrai. Cela nous paraît vraiment grave.
Par ailleurs, nous avons parlé des compensations financières – en particulier, la prolongation de la zone de restructuration de la défense, initialement prévue pour deux ans –, le temps que les choses se mettent en place dans une conjoncture marquée par la crise, qui rend très difficile tout nouveau projet industriel.
Demander la prolongation de la ZRD n’est pas quelque chose de scandaleux. Monsieur le ministre, nous avons besoin que des réponses concrètes soient enfin apportées à nos requêtes légitimes. D’avance, je vous en remercie.
conditions d’attribution de croix de l’ordre national du mérite aux officiers de gendarmerie
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux, auteur de la question n° 298, adressée à M. le ministre de la défense.
M. Jean-Pierre Leleux. Monsieur le ministre, ma question concerne les marques de reconnaissance de la Nation envers nos officiers de gendarmerie.
Entre 2005 et 2010, la réalisation du plan d'adaptation des grades aux responsabilités exercées – le PAGRE – en gendarmerie a conduit les 4 500 sous-officiers de gendarmerie les plus méritants à intégrer le corps des officiers.
Tout en remplissant les conditions d'âge pour leur intégration dans le corps des officiers, la plupart de ces sous-officiers, bien qu'ayant une large expérience professionnelle, n'avaient pas l'ancienneté généralement requise pour être titulaires de la médaille militaire.
Aujourd'hui officiers, ces militaires ne peuvent plus prétendre à l'attribution de cette prestigieuse décoration, qui est réservée aux sous-officiers. Par ailleurs, ces officiers méritants issus du rang, ayant pour la plupart atteint le grade de capitaine, ne rempliront pas avant l'âge de la retraite les conditions de temps de service habituellement requises en tant qu’officier pour se voir décerner l'ordre national du Mérite – du moins en l'état actuel du contingent accordé à la gendarmerie, qui est d'environ 450 croix par an.
Pourtant, ces officiers, occupant dans leur immense majorité des postes de commandement opérationnels difficiles, présentent un parcours professionnel long et riche en responsabilités, une indiscutable valeur personnelle et un engagement sans faille au service de l'État et de la population.
Faute d'un aménagement juridique adéquat, ces officiers quitteront donc le service de la Nation sans aucune distinction honorifique autre que la médaille de la défense nationale, alors qu'ils ont occupé des postes à forte responsabilité et ont exposé leur vie dans le combat quotidien contre la délinquance, sur la ligne de front contre la criminalité et pour protéger nos concitoyens.
Monsieur le ministre, il semble à la fois légitime et nécessaire d'octroyer à titre exceptionnel à la gendarmerie, pour les cinq années à venir, un contingent de croix de l'ordre national du Mérite qui puisse remédier à cet oubli et honorer ces officiers qui ont servi la France avec dévouement et engagement, souvent au-delà des devoirs que leur assigne leur statut.
Je vous remercie de m’indiquer les initiatives que vous pourriez prendre pour prouver à ces militaires valeureux la reconnaissance de la Nation, au terme d'une carrière exposée et placée sous le signe du risque.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le sénateur Jean-Pierre Leleux, les conditions d'attribution de l'ordre national du Mérite n'empêchent nullement les officiers de la gendarmerie issus du rang de postuler à l'attribution de cette décoration, puisqu'il suffit de compter quinze ans de service minimum, condition que remplissent nécessairement ces officiers recrutés après l'âge de 40 ans.
De plus, la circulaire ministérielle relative aux conditions de proposition pour cet ordre national précise que ces officiers issus du rang et non titulaires de la médaille militaire sont proposés dans les meilleures conditions pour l'ordre national du Mérite.
La situation, que vous faites bien de rappeler, est donc connue de mes services et prise en compte.
Cependant, la sélection des candidats à l’ordre national du Mérite ne peut répondre au seul critère de l'ancienneté de service. Ce sont bien – vous l’avez dit vous-même – les mérites individuels qui fondent les propositions, tant pour ces officiers que pour leurs camarades issus d'autres recrutements, vis-à-vis desquels l'égalité de traitement ne saurait être rompue.
Il est vrai que le contingent triennal de croix pour l'ordre national du Mérite attribué au ministère de la défense a été réduit sous le précédent gouvernement, passant de 1 800 pour les années 2009-2011 à 1 500 pour les années 2012-2014. Voilà la situation, telle que je l’ai trouvée. Cependant, je voudrais vous rassurer : au sein du ministère de la défense, la répartition entre les armées, la gendarmerie et les services est effectuée au prorata des effectifs proposables, ce qui garantit – et garantira – une totale équité.
En conclusion, monsieur le sénateur, je peux vous assurer que les officiers de gendarmerie issus du rang bénéficient d'un dispositif qui prend en compte la spécificité de leur situation et permet, dans le respect d'une équité de bon aloi, de reconnaître leurs mérites par leur nomination dans l'ordre national du Mérite.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.
M. Jean-Pierre Leleux. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.
Il m’avait semblé que, compte tenu du PAGRE, les sous-officiers devenus officiers se trouvaient exclus du bénéfice de la croix militaire tandis que leur temps de carrière en tant qu’officier restait insuffisant pour leur permettre d’être admis dans l’ordre national du Mérite. Je comprends très bien qu’aucune systématicité ne puisse présider à l’attribution de cette distinction, qui doit reposer sur le mérite et non sur l’ancienneté. Il m’avait toutefois été indiqué que, au cours des quatre à cinq prochaines années, un certain nombre de militaires, compte tenu des anciennetés requises et de ce passage de sous-officier à officier dans le cadre du PAGRE, ne pouvaient plus bénéficier de quelque distinction que ce soit…
Mais je prends acte de votre réponse. Je vois que vous être sensible à la question posée et que vous pourrez, dans la mesure de ce qui est possible, accéder à la demande que je vous présente.
M. le président. Mes chers collègues, en attendant l’arrivée de Mme la ministre chargée de la décentralisation, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures vingt-huit, est reprise à dix heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
inquiétudes des élus et réforme de la fiscalité de l'aménagement
M. le président. La parole est à M. Francis Grignon, auteur de la question n° 145, adressée à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation.
M. Francis Grignon. Madame la ministre, ma question porte sur l’application de la réforme de la fiscalité de l’aménagement, qui suscite quelques inquiétudes chez un certain nombre d’élus, en particulier dans un cas précis que je vais vous exposer.
L’article L. 331-6 du code de l’urbanisme prévoit que les opérations d’aménagement et de construction, de reconstruction et d’agrandissement des bâtiments, installations ou aménagements de toute nature soumises à un régime d’autorisation donnent lieu au paiement d’une taxe d’aménagement.
Il s’agit généralement de petites constructions dont la superficie est inférieure à 20 mètres carrés. C’est ainsi qu’un contribuable de ma région se voit dans l’obligation de payer une taxe de 303 euros pour un abri de jardin de 7,35 mètres carrés, et je pourrais citer plusieurs exemples du même ordre. Les abris de ce type appartiennent souvent à des gens assez modestes qui les ont construits de leurs propres mains, de sorte que le montant de la taxe s’avère parfois plus élevé que le prix des matériaux, ce qui n’est pas sans provoquer un certain émoi dans les campagnes…
Vous entrevoyez, bien sûr, les conséquences de cette réforme : les petites constructions ne seront plus déclarées, le maire aura des problèmes, les plaintes des voisins et les contentieux vont se multiplier… Ma question est donc simple, madame la ministre : un aménagement de la taxe pour ces cas particuliers est-il envisageable ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie tout d’abord de m’excuser de vous avoir fait attendre. Je pensais d'ailleurs être à l’heure…
M. le président. C’était un très léger retard, et nous avions pris de l’avance.
M. Didier Guillaume. Vous êtes tout excusée, madame la ministre !
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. Monsieur Grignon, je vous remercie d’avoir posé cette question « de bon sens ». Il y a effectivement quelque chose de paradoxal dans le fait que la taxe sur un petit abri de jardin de 7,35 mètres carrés soit éventuellement supérieure au coût des matériaux de construction.
Je rappellerai simplement la réglementation en vigueur. La taxe locale d’équipement concerne tous les bâtiments qui ont fait l’objet d’une déclaration préalable de travaux jusqu’à 20 mètres carrés de surface de plancher. Seules les petites constructions de type abri de jardin inférieures à 5 mètres carrés sont exonérées de la taxe d’aménagement.
L’abri de jardin de 7,35 mètres carrés que vous évoquez n’est donc pas concerné par l’exonération…
De nombreuses personnes se sont émues de cette situation. Un amendement avait d'ailleurs été déposé à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2012 afin de la corriger. Cependant, il n’a pu aboutir et, comme vous le savez, le texte a été rejeté par le Sénat. Il nous reste donc à revoir, dans le cadre d’un travail qui va être prochainement mené avec le comité de suivi de la réforme de la fiscalité et de l’aménagement, dans quelles conditions nous pourrions réviser ces dispositions.
Mme Duflot, Mme Lebranchu et moi-même nous sommes engagées à retravailler ce dispositif et à voir comment il pourrait être aménagé afin que le bon sens l’emporte dans l’application des textes.
M. le président. La parole est à M. Francis Grignon.
M. Francis Grignon. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Dans un premier temps, je conseillerai donc aux intéressés de ne pas construire d’abri de plus de 5 mètres carrés, mais je vous fais confiance, à vous et à vos deux collègues, pour régler le problème !
conséquences de la réorganisation du système de permanence des soins de nuit en drôme
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, auteur de la question n° 311, adressée à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé.
M. Didier Guillaume. Madame la ministre, je veux vous faire part de la grande inquiétude des élus des territoires ruraux, des professionnels de santé et, plus généralement, de l’ensemble des acteurs concernés par les conséquences de la réorganisation du système de permanence des soins en Drôme.
Il semblerait que l’Agence régionale de santé, l’ARS, ait décidé de supprimer, à compter du 1er juin 2013, les permanences de soins ambulatoires de nuit de minuit à huit heures du matin, appelées dans le jargon les gardes en « nuit profonde ». En Drôme, sept zones géographiques sont concernées.
Les permanences étaient jusqu’alors assurées par vingt médecins libéraux. Or, depuis quelque temps, les appels d’urgence sont régulés par le « 15 », qui décide soit de faire appel à un des médecins, soit de mobiliser les pompiers du secteur. Depuis ce changement de méthode, les médecins sont de moins en moins appelés à intervenir.
La suppression par l’ARS de ces gardes en nuit profonde aurait des conséquences graves pour la population drômoise des arrière-pays.
En premier lieu, les habitants des zones concernées seront très éloignés des premiers secours. Des médecins pouvaient jusqu’à présent intervenir en moins de trente minutes sur l’ensemble du territoire, alors qu’avec l’organisation envisagée le délai d’intervention sera la plupart du temps doublé, voire triplé, puisque les secours viendront de l’un des hôpitaux du territoire – Valréas, Vaison-la-Romaine, Gap ou Orange –, qui sont éloignés.
En second lieu, la mission confiée aux médecins libéraux et l’indemnité qui s’y rattache permettent de maintenir économiquement l’activité des médecins en zone rurale ; sa suppression entraînerait le départ de nombreux médecins, qui n’arriveraient plus à vivre correctement de leur profession. Cette réorganisation amplifierait ainsi le risque de désertification de territoires qui souffrent déjà du recul permanent de la présence des services publics.
Vous comprendrez, madame la ministre, qu’il est difficile d’accepter cette éventualité. Le médecin local connaît les habitants par cœur. Il peut exclure d’éventuels cas peu sérieux, éviter ainsi des coûts de secours trop importants et, en étant présent, faire un diagnostic solide. En intervenant rapidement sur place, il assure les gestes de premiers secours et, dans certains cas, le « geste qui sauve ».
C’est pourquoi je souhaite attirer votre attention sur ces territoires dont les habitants demandent une égalité de traitement devant la santé et l’urgence médicale.
Nos territoires, leurs élus, la population souhaitent pouvoir garder leurs médecins de proximité. Or nous savons que l’implantation des médecins dans les zones rurales est compliquée du fait de la moindre activité, de l’importance des déplacements, des difficultés pour leur conjoint de trouver du travail, ou encore des difficultés pour avoir un remplaçant le temps des vacances…
Je partage l’objectif du « pacte territoire-santé » de garantir à tous un accès aux soins urgents, madame la ministre. La suppression des gardes de nuit ne semble pas correspondre à ces orientations. À l’heure où la priorité est donnée à la lutte contre les déserts médicaux, pouvez-vous apporter des éléments rassurants quant au maintien d’un dispositif qui fonctionne aujourd’hui ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, Mme la ministre des affaires sociales et de la santé, retenue à Matignon où se réunit un comité interministériel des villes, m’a chargée de répondre à la question que vous lui posez, question pertinente s’il en est dans les territoires ruraux, où je rencontre, en tant qu’élue locale, les mêmes difficultés.
Mme Touraine a bien pris en compte votre question concernant les conséquences du nouveau cahier des charges de la permanence des soins ambulatoires, la PDSA, publié le 27 novembre 2012 par l’ARS de Rhône-Alpes.
Elle a pour préoccupation la lutte contre les déserts médicaux. C’est tout le sens qu’elle a donné au pacte territoire-santé engagé le 13 décembre dernier. C’est d’ailleurs dans ce but que l’ARS de Rhône-Alpes a prévu de supprimer la permanence des soins ambulatoires en nuit profonde entre minuit et huit heures dans les secteurs dans lesquels est réalisé moins d’un acte par semaine. Cette contrainte est en effet l’un des principaux obstacles identifiés à l’installation de jeunes médecins, laquelle est pour nous tous une priorité.
Dans les secteurs que vous évoquez, les chiffres sont éloquents : La Chapelle-en-Vercors, six actes de permanence des soins en nuit profonde pour toute l’année 2011 ; dans le Haut-Diois, trente-neuf actes en 2011, huit en 2010 ; à Saillans, quinze en 2011 ; la même année, onze actes à Bourdeaux, quatre à La Motte-Chalencon, huit à Buis-les-Baronnies, quatre à Séderon…
Dans ces conditions, vous comprendrez l’absolue nécessité de participer à la mise en œuvre progressive du pacte territoire-santé et d’appliquer la suppression de la PDSA en nuit profonde, laquelle interviendra le 31 mai prochain. Ce délai a été prévu pour permettre à l’ARS, en lien étroit avec les professionnels de santé et le comité départemental de l’aide médicale urgente, de la permanence des soins et des transports sanitaires, de traiter l’ensemble des conséquences de cette mesure.
Mme la ministre des affaires sociales et de la santé tient aussi à ce que l’évolution de la PDSA et l’accès aux soins urgents, sujet qui vous préoccupe également, soient bien distingués. L’ARS travaille à la mise en œuvre de l’engagement du Président de la République d’assurer à l’ensemble de nos concitoyens un accès à des soins urgents de qualité en moins de trente minutes.
Dans ce cadre, le dispositif des médecins correspondants du SAMU, que la région Rhône-Alpes a déjà développé, apparaît comme une solution pertinente. Son extension fait l’objet d’études et de discussions entre l’ARS, le ministère, les professionnels de santé et le SAMU pour assurer la meilleure organisation des zones d’intervention des services mobiles d’urgence et de réanimation, les SMUR.
Sur tous ces sujets, pour s’assurer de la bonne organisation de la PDSA et de l’aide médicale urgente dans les secteurs du sud de la Drôme, une réunion avec l’ensemble des médecins des secteurs concernés est organisée par l’ARS à Valence le 27 février prochain. Ce sera l’occasion de faire le point avec tous les professionnels de ces secteurs, de répondre à leurs interrogations et d’envisager chaque situation individuelle.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, les enjeux de la médecine en zone rurale sont au cœur des préoccupations de Mme Touraine.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. J’ai bien écouté votre réponse, madame la ministre.
Je serai moi-même présent à la réunion avec l’ARS à Valence.
Il me semble que, dans le pacte territoire-santé, il faut prendre en considération le caractère très rural de certaines zones et ne pas s’en tenir uniquement à la comptabilité, comme cela a pu être le cas précédemment dans le cadre de la RGPP, la révision générale des politiques publiques. Si nous voulons réellement lutter contre les déserts médicaux, nous devons nous donner les moyens de le faire.
Je suis entièrement d’accord avec la politique menée par le ministère des affaires sociales et de la santé, concernant notamment l’installation, indispensable, de jeunes médecins dans les zones rurales. Je tiens simplement à souligner que, là où il est très compliqué de les faire venir, il faut tout faire, en attendant leur arrivée, pour garder les médecins déjà installés, médecins à qui les gardes en nuit profonde assuraient un revenu et permettaient de maintenir une activité.
J’insiste aussi sur le fait que la suppression des gardes en nuit profonde éloignera considérablement le malade potentiel du médecin, et cela pour une raison bien simple : dans les territoires ruraux et de montagne, il faut raisonner non pas en kilomètres, mais en temps de parcours. Or les médecins correspondants du SAMU, situés à Gap dans les Hautes-Alpes, à Valréas ou à Orange dans le Vaucluse, sont très éloignés.
Nous allons évidemment aborder les propositions du ministère des affaires sociales et de la santé de façon positive, car il faut aller de l’avant, rien n’étant immuable, mais, dans le même temps, c’est la santé de tous nos concitoyens qui doit avant tout être prise en compte, et les territoires ruraux ne doivent plus être les grands oubliés de la République.
prolongement de la ligne du tgv de paris à saint-étienne jusqu'à firminy
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, auteur de la question n° 209, adressée à Mme la ministre de l'égalité des territoires et du logement.
M. Jean Boyer. Madame la ministre, en arrivant, vous vous êtes excusée de votre très léger retard, ce qui m’a permis de constater que vous restiez égale à vous-même et toujours très attachée à la ponctualité. Eh bien, mon souhait pour cette année 2013 est que les TGV arrivent à l’heure !
Dans le prolongement des questions que j’ai posées au cours des dernières années et après les demandes de Laurent Wauquiez, député de la Haute-Loire et maire du Puy-en-Velay, permettez-moi d’interpeller une nouvelle fois le Gouvernement à propos de la nécessaire prolongation jusqu’à Firminy de la ligne de train à grande vitesse reliant Paris à Saint-Étienne.
L’extension de la ligne de TGV ouvrirait la porte sur la Haute-Loire, département qui compte vingt-deux cantons en zone de revitalisation rurale – élue rurale, vous connaissez, madame la ministre, les difficultés des ZRR –, mais permettrait également d’irriguer la Haute Ardèche ainsi que la Lozère, dont les habitants viennent prendre le train au Puy-en-Velay.
Quels espoirs peut-on donc former, madame la ministre, concernant la liaison entre Saint-Étienne et Firminy ? Je sais bien que les élus émettent des vœux, s’ils ne sont pas des rêves, sont parfois difficiles à réaliser !
Depuis douze ans, j’effectue deux fois par semaine la liaison en TGV entre le Puy-en-Velay et Paris, soit un trajet d’environ cinq heures. Je puis vous assurer que si cette liaison était prolongée jusqu’à Firminy, porte d’une grande partie du Massif central, le TGV serait utilisé et rationalisé.
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le sénateur, c’est non pas un TGV, mais un livreur qui est responsable de mon retard ! (Sourires.)
Votre question, monsieur le sénateur, me va droit au cœur, car, comme vous l’avez dit, en tant qu’élue rurale, je connais les problèmes d’enclavement et les besoins de désenclavement de certains territoires.
Il est vrai que le prolongement de la ligne entre Saint-Étienne et Firminy, qui « irriguerait », pour reprendre votre expression, à la fois la Haute-Loire et la Lozère, paraît être une solution d’avenir. Toutefois, il se heurte à un certain nombre de difficultés et de contraintes, que Mme Duflot, retenue par une réunion du comité interministériel des villes, m’a chargée de vous exposer.
Compte tenu du trafic escompté, et, partant, des recettes estimées, sur la section entre Saint-Étienne et Firminy, la SNCF a considéré que le coût des travaux d’adaptation de la gare, ajouté au surcoût d’exploitation lié à l’utilisation d’un TGV, ne lui permettait pas, en l’état, d’étendre sa desserte TGV jusqu’à Firminy.
Cette décision de l’entreprise ne préjuge cependant pas d’un possible conventionnement de la desserte qui serait, le cas échéant, et sous réserve de faisabilité technique, négocié et financé par les collectivités locales demandeuses.
En l’occurrence, si la recherche d’un aménagement équilibré du territoire est au cœur de la mission de service public ferroviaire confiée à la SNCF, l’exploitation des TGV implique cependant la prise en compte des contraintes de soutenabilité économique attachées à ce service de transport.
Ces contraintes sont actuellement très fortes, la dette du système ferroviaire dérivant chaque année. À cet égard, comme l’a rappelé la Cour des comptes dans son récent rapport, le TGV n’a pas vocation à desservir la totalité des gares du territoire français ; il doit être finement articulé avec les services de transport régionaux et interrégionaux, qui constituent l’armature d’une desserte au plus près des territoires.
Mme la ministre de l’égalité des territoires et du logement est particulièrement attentive à la coordination des différents types de services de transports ferroviaires, afin qu’ils répondent au mieux aux besoins des territoires et de leurs habitants.
Pour les voyageurs désireux de se rendre à Paris depuis Firminy, la liaison est actuellement assurée par une complémentarité entre TER et TGV, avec une correspondance à Saint-Étienne ou Lyon, le temps de parcours étant compris entre trois heures huit et quatre heures quarante.
Tels sont les éléments techniques, monsieur le sénateur, que Mme Duflot m’a demandé de porter à votre connaissance.
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Madame la ministre, je ne suis honnêtement pas très surpris par la réponse que vous me transmettez : je connais en effet les analyses sur lesquelles elle se fonde.
Pour être très concret, je dirai que, si une correspondance en TER à destination de Firminy était assurée pour les quelques TGV effectuant chaque jour la liaison entre Paris et Saint-Étienne, ce serait déjà une grande amélioration !
J’évoquerai d’ailleurs cette perspective avec le conseil régional et la direction de la SNCF, car je puis vous assurer que les quinze kilomètres du trajet entre Firminy et Saint-Étienne par la vallée de l’Ondaine sont pratiquement autant de kilomètres d’embouteillages !
interdiction de l'amiante en europe et dans le monde
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, auteur de la question n° 252, adressée à M. le ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes.
Mme Michelle Demessine. Madame la ministre, le 12 octobre dernier, au Sénat, l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante organisait un colloque pour un monde sans amiante à l’occasion de la Journée internationale des victimes de l’amiante, sous la présidence de notre collègue Annie David, présidente de la commission des affaires sociales.
À cette occasion, des médecins, des chercheurs, des militants associatifs et des responsables politiques, venus de quarante-deux pays, s’étaient réunis.
L’ensemble des participants à cette riche et émouvante initiative s’étaient rassemblés autour d’un objectif commun : créer une véritable multinationale des victimes de l’amiante, selon leurs termes, pour faire face aux industries multinationales qui continuent d’utiliser ce matériau, malgré ses effets dévastateurs sur la santé publique.
À travers le monde, ce sont ainsi chaque année 2,5 millions de tonnes d’amiante qui sont produites et qui provoquent la mort de plus de 90 000 personnes par an selon l’Organisation mondiale de la santé.
Pour sa part, la France a prononcé l’interdiction de l’amiante en 1997, soit trop tardivement, hélas ! pour désamorcer cette véritable bombe à retardement pour la santé publique dans notre pays qui pourrait coûter la vie à plus de 100 000 personnes d’ici à 2025.
Quant à l’Union européenne, elle a emboîté le pas de la France en interdisant l’amiante dans ses pays membres au 1er janvier 2005.
Cependant, le lobby de l’amiante et les intérêts économiques à court terme de certains pays de l’Union européenne s’accommodent mal de cette interdiction. Sous leur pression, une dérogation à cette interdiction a donc été introduite.
L’annexe XVII du règlement européen REACH – pour Registration, Evaluation and Autorisation of Chemicals –, toujours en vigueur, permet ainsi aux États membres de l’Union européenne d’autoriser la mise sur le marché et l’utilisation de diaphragmes contenant de l’amiante chrysotile dans les cellules d’électrolyses existantes. L’Allemagne, notamment, s’est ainsi engouffrée dans la brèche en important, en 2010, 60 tonnes de fibres d’amiante à l’état brut.
Cette réintroduction de l’amiante expose des populations européennes à un risque inacceptable pour leur santé et brouille le message de l’Union européenne.
En effet, comment l’Union européenne peut-elle prôner l’interdiction de l’amiante dans le monde, conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé et, dans le même temps, continuer d’en importer ?
La production astronomique d’amiante dans des pays industriels comme la Russie, la Chine, le Brésil ou le Canada constitue pourtant un défi pour l’Union européenne. Il est en effet effroyable de constater que 125 millions de travailleurs, dont la plupart vivent dans le tiers-monde, sont encore aujourd’hui exposés.
Les participants à ce colloque ont lancé un vibrant appel en faveur d’une interdiction mondiale de l’amiante et ont rappelé l’urgence qu’il y a à mettre fin aux doubles standards entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement, les premiers exportant l’épidémie de cancer de l’amiante vers les seconds.
Madame la ministre, quelles mesures diplomatiques le Gouvernement entend-il prendre pour que la France joue un rôle prépondérant afin de débarrasser entièrement l’Europe et le monde de ce fléau qu’est l’amiante ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Madame la sénatrice, M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé des affaires européennes, est à l’heure actuelle en Grèce, où il accompagne le Président de la République. Il m’a donc chargée de vous communiquer sa réponse à la question très grave – les chiffres que vous avez indiqués sont terriblement évocateurs – de l’interdiction de l’amiante au sein de l’Union européenne et de l’extension de cette interdiction au monde entier.
Vous l’avez rappelé, la France a interdit l’amiante en 1997. À l’échelon de l’Union européenne, l’annexe XVII du règlement REACH a confirmé cette interdiction. Deux dérogations ont toutefois été accordées.
Pour compléter votre information, je vous indique que l’annexe XVII au règlement REACH a fait l’objet d’une révision en février 2009. Cette dernière a permis plusieurs progrès. Le texte prévoit ainsi une anticipation au 1er juin 2011 de la date de révision de la dérogation pour les diaphragmes, ainsi qu’un renforcement de l’interdiction de l’utilisation et de la mise sur le marché des articles contenant de l’amiante installés ou mis en service avant le 1er juin 2005, ces articles faisant l’objet d’une dérogation. Il est ainsi clairement indiqué que les pièces détachées d’un article entrant dans le cadre de la dérogation ne bénéficient pas, eux, de cette même dérogation.
La Commission s’est également engagée, sur le fondement des dérogations prises par les États membres, à élaborer des dossiers de restriction en vue d’harmoniser à l’échelon communautaire la mise sur le marché de seconde main des articles mis en service avant le 1er janvier 2005 et contenant de l’amiante, ce qui revient à définir une liste harmonisée limitative.
Les États membres devaient communiquer à la Commission les mesures de dérogation prises à l’échelle nationale avant le 1er juin 2011. La Commission a rendu publiques les informations qui lui ont été ainsi transmises. Sur cette base, elle a invité, en janvier 2013, l’Agence européenne des produits chimiques à préparer un dossier visant à interdire la mise sur le marché et l’utilisation de diaphragmes contenant de la chrysotile.
La Commission a prévu de remettre un document d’information lors de la prochaine réunion des autorités compétentes les 13 et 14 mars prochains.
À cette occasion, la France ne manquera pas de rappeler son ambition de voir, dans un avenir proche, l’amiante bannie, sous toutes ses formes et dans tous ses usages. Elle encouragera la Commission à prendre des dispositions – cette dernière s’y est, d’ailleurs, engagée – qui permettront de limiter le marché de seconde main et de contribuer aux démarches de substitution des technologies utilisant les diaphragmes contenant de l’amiante.
Vous le voyez, madame la sénatrice, le Gouvernement porte une attention particulièrement soutenue à ce grave problème.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Madame la ministre, je vous remercie de votre très intéressante réponse, qui s’appuie sur des éléments tout à fait actuels.
On le voit bien, dès qu’une brèche est ouverte, il peut être tentant de s’y engouffrer. Comme je l’indiquais dans ma question, l’Allemagne a ainsi pu continuer à importer des produits contenant de l’amiante. Il faudrait tellement de contrôles pour s’assurer du respect de la réglementation en vigueur qu’il paraît impossible de juguler complètement les abus.
Je me réjouis donc de la position récemment prise par la Commission, qui semble se convertir à l’idée d’une interdiction totale. Nous allons surveiller de très près le déroulement des travaux de l’Agence européenne des produits chimiques.
J’ai bien entendu le mot d’ordre : bannir l’amiante sous toutes ses formes. Notre expérience de ses méfaits nous conduit naturellement à nous en réjouir.
Je tiens toutefois à indiquer que l’action de la France en la matière pourrait également se déployer à l’international, au-delà de l’Union européenne. Trop de pays continuent en effet à exploiter et à utiliser l’amiante, laquelle, nous le savons fort bien, finira par nous revenir, sous une forme ou sous une autre.
J’ai noté que le Brésil avait pris des mesures allant dans le bon sens. Si la diplomatie française pouvait encourager ces progrès, elle contribuerait à rendre moins lointain l’objectif d’élimination de l’amiante de la surface de la planète.
place des langues régionales dans le projet de loi de programmation et d’orientation pour l’école
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée, auteur de la question n° 318, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Georges Labazée. Madame la ministre, je souhaite attirer l’attention du ministre de l’éducation nationale sur la place des langues régionales dans le projet de loi de programmation et d’orientation pour la refondation de l’école de la République.
Il s’agit d’une réforme ambitieuse, qui pose les fondements d’une école républicaine rénovée. Je tiens d’ailleurs à saluer l’action du Gouvernement sur ce point.
Je regrette toutefois que le projet de loi ne prenne pas en considération, tout au moins en l’état, l’intérêt de l’enseignement des langues et cultures régionales. Ces langues sont notre patrimoine ; nous devons les défendre et les faire exister.
Le département des Pyrénées-Atlantiques a souhaité montrer l’exemple en menant diverses actions, qui ont illustré la volonté des élus de faire vivre les langues basque, béarnaise, ou encore occitane, rejoignant en cela les attentes des administrés.
Certes, l’article L. 312-10 du code de l’éducation, qui prévoit, rappelons-le, qu’un « enseignement de langues et cultures régionales peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre l’État et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage », ne sera pas modifié par le nouveau projet de loi. Cependant, l’absence de mention des langues régionales dans ce dernier peut être perçue comme un signal négatif.
L’expérience le montre, fragiliser cet enseignement nuirait à son développement. En attendant la ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, qui confirmera l’engagement du Président de la République en faveur de ce « patrimoine de la France », il est urgent de donner un statut à nos langues régionales au sein de l’éducation nationale afin de développer leur enseignement et de réaffirmer l’importance de leur connaissance et de leur transmission.
Madame la ministre, je souhaiterais donc connaître vos intentions s’agissant, d’une part, de la prise en compte de l’enseignement des langues régionales dans le projet de loi pour la refondation de l’école, d’autre part, de l’extension au premier degré de l’application de l’article L. 151-4 du code de l’éducation, qui n’autorise, à l’heure actuelle, le versement de subventions publiques que pour les établissements d’enseignement général du second degré privés.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme George Pau-Langevin, ministre déléguée auprès du ministre de l’éducation nationale, chargée de la réussite éducative. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la prise en compte des langues et cultures régionales dans le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.
Je tiens à insister sur la continuité de notre action en ce domaine. Notre pays se livre en effet à un effort constant pour assurer la diffusion des langues et cultures régionales. Ainsi, c’est au plus haut niveau de l’ordre juridique interne que les langues régionales ont été consacrées : selon l’article 75-1 de la Constitution, elles « appartiennent au patrimoine de la France ». Je me souviens, d’ailleurs, de la bataille considérable qu’avait été la discussion à l’Assemblée nationale de la révision constitutionnelle, une partie des élus, notamment ceux que j’appellerai les moins progressistes, s’étant opposés à l’insertion des dispositions relatives aux langues régionales à l’article 1 de la Constitution. Au moins sont-elles consacrées aujourd'hui dans l’article 75-1 !
La loi du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation et la loi du 24 avril 2005 d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école ont affirmé la possibilité pour les élèves qui le souhaitent de suivre un enseignement de langue régionale dans les régions où celles-ci sont en usage. Dans ces régions, la promotion et le développement des langues et cultures régionales sont le plus souvent encadrés par des conventions liant l’État et les collectivités territoriales. Ce mode de collaboration doit être généralisé.
Cet engagement fort et constant de l’État comme des collectivités territoriales permet aujourd’hui à environ 272 000 élèves, répartis dans treize académies, de pratiquer ou d’être sensibilisés à l’une des onze langues régionales reconnues. Ainsi, entre 2009-2010 et 2011-2012, le nombre d’élèves marquant un intérêt pour les langues et cultures régionales a augmenté de 24 %.
Je me suis récemment rendue en Guyane, où environ 80 % des enfants parlent une langue différente du français avant d’aller à l’école et où des intervenants en langue maternelle épaulent les instituteurs à la maternelle. On constate que permettre à ces enfants de parler dans leur langue maternelle tout en étant scolarisés dans des établissements dont la langue est le français est bénéfique, notamment parce que leur dignité s’en trouve préservée. Vous le voyez, monsieur le sénateur, nous partageons votre position sur l’importance des langues régionales à l’école !
Les chiffres que j’ai cités démontrent l’intérêt de nos concitoyens pour la valorisation du patrimoine culturel et régional, qui ne saurait être négligé par l’État.
Comme vous le soulignez, monsieur le sénateur, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République ne fait pas référence aux langues régionales ou minoritaires. En effet, avec cette nouvelle loi, qui complète et précise les précédentes, le Gouvernement a fait le choix de privilégier certains objectifs, en fixant un nombre limité de priorités, indispensables à la refondation de l’école.
Vous le savez, monsieur le sénateur, le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel nous oblige à être extrêmement attentifs. Il ne s’agit pas qu’une loi répète des dispositions déjà contenues dans un autre code, ou qu’elle édicte des normes non pas législatives mais réglementaires. Cela exposerait le texte à la censure du Conseil. C’est la raison pour laquelle il n’a pas semblé utile d’introduire dans cette loi des mentions qui figuraient déjà dans le code de l’éducation.
Par ailleurs, la problématique des langues régionales dépasse le seul cadre de l’éducation nationale. La question de la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires est toujours à l’étude. Je ne doute pas qu’il y aura sur ce point des avancées significatives.
Nous aurons sans doute l’occasion de reparler de ces questions au cours du débat parlementaire qui va s’engager sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.
Il faudra donc trouver un moyen de prendre en compte votre préoccupation, sans que cela ne conduise à fragiliser la future loi.
M. le président. La parole est à M. Georges Labazée.
M. Georges Labazée. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse.
Je voudrais néanmoins apporter une précision supplémentaire. Dans le débat portant sur les langues régionales, il faut distinguer l’enseignement de la langue et l’enseignement dans la langue, c'est-à-dire l’enseignement bilingue et l’enseignement par immersion.
Tout en respectant chacune des catégories d’apprentissage, je souhaite, madame la ministre, que l’enseignement des langues par immersion à l’école publique continue de bénéficier des moyens alloués par l’État à l’éducation.
application du principe de laïcité dans le sport
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la question n° 312, adressée à Mme la ministre des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative.
M. Jacques Mézard. Ma question s’adressait à Mme la ministre des sports, de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative, mais je suis certain que M. le ministre de l’intérieur, avec sa polyvalence et sa compétence,…
M. Jacques Mézard. … saura parfaitement y répondre.
Le 5 juillet dernier, la Fédération internationale de football association, la FIFA, décidait d’autoriser le port du voile islamique par les joueuses de football en compétition officielle.
Cette décision, très contestée, est contraire aux règlements de la FIFA, selon lesquels « l’équipement de base obligatoire ne doit présenter aucune inscription politique, religieuse ou personnelle ». Si la Fédération française de football a pris acte de cette décision, elle n’en a pas moins pris position en réitérant son refus d’autoriser les joueuses à porter le voile dans le cadre des sélections nationales françaises, d’une part, et des compétitions nationales qu’elle organise, d’autre part, au nom du principe constitutionnel de laïcité, auquel vous savez, monsieur le ministre, que les radicaux sont fondamentalement et viscéralement attachés.
Néanmoins, cette décision laisse ouverte la possibilité pour des joueuses étrangères prenant part en France à une compétition organisée par la FIFA de porter le voile ou tout autre signe religieux distinctif.
De façon plus générale, la décision de la FIFA est un signal lourd de sens envoyé aux acteurs du monde sportif, plus particulièrement aux acteurs du sport amateur et scolaire. Ces derniers, nous le savons pour le vivre au quotidien au sein des collectivités territoriales, tentent de sauvegarder la dimension universelle et neutre, sur le plan politique ou religieux, du sport.
Il est à craindre que cette décision serve d’argument pour justifier les réclamations tendant à admettre le port de signes religieux dans d’autres disciplines et dans des lieux déjà soumis à de fortes pressions communautaristes. Je prendrai comme exemple les centres aqua-ludiques, où les élus locaux sont souvent confrontés à des difficultés de ce type. Il est d’ailleurs inquiétant que M. Jacques Rogge, président du Comité international olympique, explique, dans un entretien au quotidien L’Équipe en date du 24 juillet 2012, que le port du voile ou du turban ne présente aucune incompatibilité avec la Charte olympique.
M. Jean-Michel Baylet. Et la laïcité, alors ?
M. Jacques Mézard. Bien au contraire, il n’y voit que l’expression d’une conviction religieuse et estime qu’on ne saurait, de la même façon, reprocher à un athlète de porter une croix.
Tout aussi préoccupante est la décision du 14 janvier dernier de la Fédération mondiale de karaté qui autorise le port du hijab en compétition officielle de karaté, précisant même qu’un seul modèle de voile serait approuvé. D’aucuns y voient aussi, monsieur le ministre, un moyen subtil d’obtenir le vote de certains États pour faire du karaté un sport olympique…
Au vu de ces éléments, je souhaiterais que vous nous indiquiez comment le Gouvernement entend assurer la pleine application du principe de laïcité dans le sport professionnel et amateur.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, ma collègue Valérie Fourneyron vous prie de bien vouloir excuser son absence. C’est avec beaucoup de plaisir que je vais moi-même répondre à votre question, car je connais vos convictions. Sachez que, ces convictions, nous les partageons.
La décision prise l’été dernier par la FIFA est un important – et inquiétant ! – changement de doctrine. Depuis, cette association a décidé qu’une période de test serait ouverte, jusqu’en mars 2014, pour permettre aux joueuses voilées de participer aux compétitions internationales, alors qu’elles en étaient jusqu’à présent exclues.
Cette décision heurte la conception française de la neutralité dans la pratique sportive, qui implique non seulement l’absence de discrimination, mais aussi la discrétion et l’impossibilité d’arborer des signes politiques ou religieux sur un terrain de sport.
Cette conception, qui correspond aussi à ma conviction personnelle, n’est pas seulement celle de la France. Elle puise son origine, me semble-t-il, dans des valeurs universelles, qui tendent à séparer l’État des religions et, surtout, à permettre aux femmes de s’émanciper. Il n’est pas question de les recouvrir d’un voile les différenciant du reste de l’humanité !
Le sport est précisément porteur de valeurs morales, d’humanité, de fraternité, d’intégration, de mixité. C’est ainsi qu’il restera un vecteur incontournable d’éducation à la citoyenneté et d’apprentissage du vivre-ensemble. C’est vrai aussi au niveau international.
J’étais tout à l’heure au comité interministériel des villes. Élu de la banlieue parisienne, je connais la chape de plomb, faite de machisme et de conservatisme, qui pèse sur certains quartiers, au détriment notamment des jeunes filles, qui peuvent s’émanciper d’abord par l’école, mais aussi par le sport.
Le Gouvernement a soutenu la décision de la Fédération française de football, qui, vous le savez, dispose d’une délégation de la part de l’État pour édicter les règles techniques propres à ce sport pour les compétitions nationales, de refuser aux joueuses le port du voile dans les compétitions nationales. Nous devons évidemment veiller à ce qu’une telle interdiction n’écarte pas certaines catégories de population de la pratique sportive, mais sans transiger sur nos convictions.
Il faut faire en sorte que les athlètes français restent un exemple pour notre jeunesse, en s’inscrivant pleinement dans les principes de la Charte olympique. Il ne peut pas y avoir de démonstration ou de propagande politique ou religieuse – pour ma part, je crois qu’il s’agit avant tout de propagande politique – sur un site sportif ou olympique.
Ce n’est pas un sujet facile. La laïcité, fruit de l’Histoire et garantie de paix et de concorde civile, crée des limites à l’expression d’une préférence religieuse. La loi les a clairement fixées pour les agents publics et pour les écoliers, collégiens et lycéens des établissements d’enseignement public. Mais il y a d’autres domaines où l’équilibre entre la liberté de croire et le principe de laïcité n’est pas clairement défini. La pratique sportive en est parfois un.
L’observatoire de la laïcité dont le président de la République a annoncé la mise en place le 9 décembre dernier pourra se saisir de ce sujet délicat et contribuer au débat important du champ d’application de la laïcité sur l’espace public.
Des lois importantes ont été adoptées ; je serai évidemment très vigilant quant à leur application.
Monsieur Mézard, je crois, comme vous, que la laïcité reste un combat profondément moderne, adapté à notre temps et porteur d’espoir partout où les femmes se battent pour leur dignité.
M. Jean-Michel Baylet. Très bonne réponse !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Je n’en attendais d’ailleurs pas moins de vous, connaissant votre attachement personnel à ce qui constitue à nos yeux une valeur fondamentale de la République.
L’enjeu, c’est la liberté, au sens premier du terme. Il n’est donc pas possible de transiger. Nous savons trop bien l’utilisation qui serait faite de dérogations consenties dans telle fédération ou sur tel territoire…
L’État doit veiller au respect du principe de laïcité, qui est, vous l’avez souligné, l’outil pour défendre la liberté dans notre pays et faire avancer la cause des femmes : voir des femmes revêtues d’un hijab sur un terrain de sport ou un tatami est une aberration et un véritable recul en termes de liberté et d’émancipation des femmes.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, auteur de la question n° 301, adressée à Mme la ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le ministre, je partage les inquiétudes que M. Mézard vient d’exprimer.
Mme Nathalie Goulet. Pas moi !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je souhaitais également vous faire part, en ma qualité de présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, de la très vive préoccupation que m’inspirent les décisions prises par certaines instances internationales du sport pour autoriser le port par des sportives d’un foulard, voire d’un hijab.
Je pense d’abord à la décision de la Fédération internationale de football, qui a adopté le 26 octobre 2012 un certain nombre d’amendements aux Lois du jeu pour préciser le « design », la « couleur » et le « matériau » du foulard qui sera autorisé, tout en précisant que ce foulard ne peut être porté que par des femmes.
Mais ce cas n’est malheureusement pas isolé : la Fédération de karaté a également décidé d’autoriser des athlètes féminines musulmanes à porter un hijab – c’est le terme utilisé dans la décision du comité exécutif – à compter du 1er janvier 2013.
Ces décisions choquantes sont de surcroît en contradiction manifeste avec les deux grands principes fondamentaux du sport garantis par la Charte olympique et les règlements des grandes fédérations internationales. Elles violent le principe de neutralité du sport consacré dans la règle 50, alinéa 3, de la Charte olympique, qui proscrit toute sorte de « démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale » dans les manifestations olympiques et sportives. Or je ne pense pas que l’on puisse se méprendre sans mauvaise foi sur la signification religieuse du port du hijab ou de l’un de ses succédanés.
En outre, dans la mesure où le port du voile est exclusivement réservé aux femmes, ces décisions me paraissent contraires au refus par la Charte olympique de toute discrimination fondée sur des considérations de race, de religion, de politique ou de sexe.
Dans le rapport qu’elle avait consacré au mois de juin 2011 à l’égalité des femmes et des hommes dans le sport, notre délégation avait adopté à l’unanimité une recommandation pour rappeler son attachement au strict respect de ces principes et élever une mise en garde contre ces dérives absolument inacceptables.
Mme Nathalie Goulet. Comme ça, ces femmes ne joueront plus du tout !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Nous avions invité les autorités françaises chargées du sport à relayer cette préoccupation auprès des instances internationales du sport.
Monsieur le ministre, le Gouvernement auquel vous appartenez a fait de la défense de l’égalité entre les femmes et les hommes un des axes forts de sa politique. Je souhaiterais que vous nous précisiez sa position à l’égard de ce type de dérives, ainsi que les démarches que vous comptez entreprendre ou que vous avez déjà entreprises pour y remédier, même si vous m’avez déjà renseignée pour partie en répondant à M. Mézard.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Madame Gonthier-Maurin, je ne m’en réjouis pas moins de répondre à votre question sur ce problème que vous connaissez bien et dont il est souhaitable que l’on se préoccupe sur l’ensemble des travées de la Haute Assemblée.
Les instances internationales du sport ont une approche de la notion de neutralité qui n’est pas celle de la République française, en raison d’ailleurs d’une série d’influences qui nous semblent préoccupantes.
Ainsi, le Comité international olympique, majoritairement composé d’hommes et peut-être sensible au poids de certains pays, estime le port du foulard islamique compatible avec la compétition sportive, comme l’ont encore démontré récemment les jeux Olympiques de Londres.
La décision prise par la FIFA le 5 juillet 2012 va dans le même sens. Son objectif initial est de permettre aux joueuses voilées de participer à des compétitions internationales, ce qui était exclu, je l’ai rappelé, auparavant.
La position du Gouvernement est claire : on ne met pas de voile pour faire du sport. Un terrain de football, un stade, un gymnase, un dojo ne sont pas des lieux d’expression politique ou religieuse. Ce sont des lieux de neutralité où doivent primer les valeurs du sport : l’égalité, la fraternité, l’impartialité, l’apprentissage du respect de soi-même et de celui d’autrui.
Il appartient donc aux fédérations de faire en sorte que leur règlement respecte ces valeurs, tout en garantissant l’absence de discrimination et une stricte égalité hommes-femmes. En effet, nul ne doit être écarté de la pratique sportive en raison de ses opinions religieuses et politiques.
Or la décision de la FIFA, en mettant en cause la stricte égalité entre les hommes et les femmes, crée une discrimination supplémentaire : couvrir les femmes d’un voile, c’est encore une fois chercher à les soustraire au regard de tous les autres.
Le sport est un formidable levier d’intégration, de lutte contre l’échec scolaire, d’émancipation et de réduction des inégalités sociales et culturelles. Le Gouvernement et l’ensemble des acteurs du monde sportif restent vigilants, mobilisés et déterminés à empêcher que le sport ne devienne un lieu de tensions, de sexisme ou d’exclusion.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Je vous remercie de la fermeté de votre réponse, monsieur le ministre.
Vous avez à juste titre évoqué la composition des instances internationales du sport. Je crois que nous devrions effectivement nous y intéresser. Favoriser la promotion des femmes au sein de ces organismes permettrait sans doute de faire avancer les choses.
Comme vous l’avez rappelé, le sport est un formidable espace de solidarité, de fraternité et d’humanité. Il serait tout de même paradoxal, à l’heure où un gouvernement applique la parité et où un ministère est dédié spécifiquement aux droits des femmes, d’enregistrer de tels reculs sur notre territoire national. Mobilisons-nous pour faire respecter les principes de la Charte olympique !
déclassement des dépendances du domaine public communal
M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet, auteur de la question n° 215, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
M. Henri Tandonnet. Je souhaite soulever une question technique à vocation économique.
J’attire l’attention du Gouvernement sur le déclassement des dépendances du domaine public communal. J’évoquerai plus spécifiquement la vente des biens du domaine public des collectivités territoriales sans déclassement préalable de son affectation à son utilité publique.
L’État est aujourd’hui dispensé de ce déclassement préalable. En effet, selon l’article L. 2141-2 du code général de la propriété des personnes publiques, un dispositif dérogatoire permet à l’État, à ses établissements publics ou, depuis 2009, aux établissements publics de santé de déclasser des immeubles appartenant au domaine public et affectés à un service public avant même qu’ils soient matériellement désaffectés.
Ce déclassement par anticipation permet aux personnes publiques concernées par la vente d’immeubles encore occupés de financer, par exemple, la construction des immeubles dans lesquels les services intéressés pourront être transférés. C’est souvent le cas pour des hôpitaux.
En revanche, les collectivités territoriales ne disposent pas de telles dérogations. Il serait souhaitable d’harmoniser la situation des collectivités territoriales avec celle de l’État et de ses établissements publics au regard des possibilités de déclassement des dépendances du domaine public.
Des exemples concrets illustrent parfaitement la nécessité d’une telle harmonisation.
Prenons le cas d’un terrain sportif, par exemple une carrière équestre, appartenant à la collectivité territoriale. Si la collectivité veut le céder à un club d’équitation, elle ne peut le faire sans démontrer que le bien n’est plus affecté au service sportif. Il faudra donc arrêter les activités sur une période significative.
Il serait nécessaire d’appréhender de la même manière que pour l’État la notion de désaffectation et de supprimer la période pendant laquelle le bien est rendu inutilisable, bien souvent artificiellement. En effet, il est actuellement souvent difficile de transférer des biens du domaine public au domaine privé pour poursuivre des activités pouvant être gérées par des acteurs privés, notamment associatifs.
Je souhaite connaître les raisons pour lesquelles la solution souple à laquelle peur recourir l’État ne serait pas applicable aux collectivités territoriales.
Je voudrais également savoir si des mesures pourraient être prises pour rendre possible la vente d’un bien public sans désaffectation préalable lorsque le service affecté à ce bien relève d’une activité économique au sens large : tourisme, activités sportives, loisirs et découvertes. L’objectif est de ne pas arrêter l’activité pour une période de désaffectation et de pouvoir céder l’activité à des acteurs plus qualifiés, associatifs ou professionnels.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur Tandonnet, vous m’interrogez sur le déclassement des dépendances du domaine public communal.
Vous le savez, la procédure normale de sortie d’un bien du domaine public nécessite un acte formel de déclassement postérieur ou simultané à la désaffectation de fait du bien concerné.
Comme vous l’avez rappelé, les dispositions de l’article L. 2141-2 du code général de la propriété des personnes publiques autorisent, sous certaines conditions, l’État ou ses établissements publics à déclasser un de leurs biens avant que la désaffectation matérielle de celui-ci ne soit intervenue.
Par ailleurs, l’article L. 6148-6 du code de la santé publique a prévu que les dispositions de l’article précité s’appliquaient au domaine des établissements publics de santé afin d’accélérer les cessions concernées et d’améliorer les conditions de leur autofinancement.
Ces dispositions dérogatoires ont été adoptées pour répondre aux enjeux spécifiques de valorisation du domaine de l’État et de ses établissements publics.
Le dispositif de l’article L. 2141-2 du code général de la propriété des personnes publiques s’applique dans des conditions restrictives. On ne saurait permettre, de manière générale, la vente d’un bien appartenant au domaine public sans aucune désaffectation, au risque de remettre en cause les principes fondamentaux protecteurs du domaine public. La désaffectation est, en effet, tout comme le déclassement, un attribut du droit de propriété des personnes publiques.
Cela étant, les règles de droit commun applicables en matière de domanialité publique n’interdisent pas une succession rapide dans le temps, voire une concomitance, entre la désaffectation d’un bien et son déclassement. Il est, en effet, loisible à l’organe délibérant d’une collectivité territoriale, dans la même délibération, à la fois de constater la désaffectation d’un bien et de le déclasser.
Ma réponse ne vous paraît peut-être pas suffisante, mais il me semble néanmoins que cette procédure répond au vœu que vous formulez de permettre une gestion optimale du patrimoine public.
M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.
M. Henri Tandonnet. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, mais il n’en reste pas moins que les dispositions qui concernent l’État et celles qui concernent les collectivités territoriales portent la marque d’une certaine discrimination. J’y vois une forme de suspicion à l’encontre des élus ou des fonctionnaires territoriaux. Je sais que vous êtes membre d’un gouvernement qui se veut être un gouvernement de la justice. Une simple modification du texte permettrait-elle peut-être d’étendre aux collectivités territoriales le dispositif applicable à l’État…
abus de la liberté d'expression
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, auteur de la question n° 300, adressée à M. le ministre de l'intérieur.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, je ne suis pas de nature liberticide – d’ailleurs, le port d’un petit voile dans le sport ne me dérange personnellement pas… –, mais mon attention a été attirée sur un certain nombre de « chansons » – si l’on peut dire – de rappeurs tels que 113, Sniper, Salif, Ministère Amer, Smala ou encore Lunatic, dont les paroles sont d’une violence absolument inouïe contre la France, ses autorités civiles et militaires, son drapeau.
J’ose à peine les citer : « Du commissaire au stagiaire : tous détestés ! » ; « J’aimerais voir brûler Panam au napalm… » – je vous épargne la suite de ce texte et notamment les propos châtiés sur la carte d’identité – ; « La France aux Français, tant que j’y serai, ça serait impossible. Leur laisser des traces et des séquelles… » Bref !
Monsieur le ministre, ces « compositions » sont en vente libre et sont diffusées sur toutes les radios. J’estime que leurs paroles sont des appels à la violence et à la haine envers les autorités de police qui s’efforcent de faire respecter la loi de la République dans des secteurs qui, vous le savez comme moi, deviennent des espèces de zones « grises » sur lesquelles plus personne n’a de contrôle.
La représentation nationale ne peut évidemment supporter ces appels à la violence, et il y a eu plusieurs réactions. Je vous interroge aujourd'hui, monsieur le ministre, pour savoir ce que vous comptez faire. Je sais que la liberté d’expression est importante dans notre pays, mais de tels propos dépassent, et de très loin, ce qui est tolérable.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Madame la sénatrice, je suis déçu de votre remarque concernant le voile dans le sport, car il me paraît nécessaire que quelques principes soient maintenus et respectés.
Vous m’avez cependant interrogé sur un autre sujet, à savoir le contenu de plusieurs albums de rap qui attentent gravement à la dignité, à l’honneur des membres des forces de l’ordre ou, plus généralement, des autorités publiques, ainsi qu’aux valeurs qui nous rassemblent.
Aucun d’entre nous, évidemment, ne souhaite mettre en cause la liberté d’expression et la créativité. Le rap fait partie de notre culture urbaine ; il existe incontestablement des talents, et certains textes sont d’une grande qualité. Néanmoins, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres domaines, il y a aussi des abus – en l’occurrence, le mot est faible –, et je partage votre préoccupation : il faut lutter contre les paroles agressives à l’encontre des autorités ou insultantes pour les forces de l’ordre et les symboles de notre République.
Sachez que j’adresse des signalements au garde des sceaux ou que je dépose plainte lorsque les faits sont avérés et non prescrits. C’est ensuite le juge judiciaire, gardien des libertés individuelles, qui sanctionne ces propos.
Mes services sont mobilisés face à ce phénomène qui dépasse, bien sûr, le seul support du disque ou du livre et s’exprime de plus en plus sur Internet.
Ainsi, en 2012, la plate-forme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, ou plate-forme PHAROS, a recensé sur Internet soixante et un outrages à personnes chargées d’un service public ou dépositaires de l’ordre public. De même, trente-neuf provocations à la désobéissance ont été relevées.
Les productions que vous avez mentionnées ont été mises à la disposition du public depuis plus de trois mois. Elles sont donc atteintes par la prescription de trois mois prévue par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, que nous avons évoquée dans cet hémicycle à l’occasion du débat sur la loi antiterroriste et qui appelle incontestablement une réflexion tant la presse dématérialisée sur Internet a évolué. (Mme Nathalie Goulet approuve.)
Je rappelle cependant que le groupe Ministère Amer a déjà été condamné en 1995 – rendez-vous compte ! – à l’équivalent de 38 000 euros d’amende pour provocation au meurtre de policiers. La plainte avait été déposée par le ministère de l’intérieur.
Vous connaissez ma volonté de lutter contre la délinquance et contre le sentiment d’impunité. N’en doutez donc pas. Lutter contre la violence dans notre société, au sein de notre jeunesse, c’est refuser la banalisation de la violence, fût-elle verbale. C’est aussi refuser que l’on dégrade ceux qui, chaque jour, travaillent pour la sécurité des Français.
Les paroles de ces chansons non seulement s’en prennent aux symboles de la Républiques et aux forces de l’ordre, mais aussi donnent souvent une image dégradée de la place de la femme au sein de la société.
Soyez assurée, madame la sénatrice, qu’avec les moyens qui sont les nôtres, en nous appuyant notamment sur la justice, nous ne faiblirons pas dans cette lutte.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse ; je ne doutais pas du tout de la fermeté de votre action en ce qui concerne ces propos.
Voilà quelques jours, le Sénat a justement examiné, avec votre collègue Najat Vallaud-Belkacem, la proposition de loi relative à la suppression des délais de prescription prévus par la loi sur liberté de la presse du 21 juillet 1881.
Cette loi appelle effectivement un sérieux dépoussiérage, car elle est totalement inadaptée aux nouveaux médias. Les auteurs d’infractions ne peuvent pas, par exemple, être poursuivis parce qu’il n’est pas possible de déterminer les adresses IP. Le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, s’est engagé à aller dans cette voie et, pour ma part, monsieur le ministre, je me permets de vous faire une offre de services, car j’aimerais travailler sur ce sujet que je connais un peu. Ayant en effet moi-même fait l’objet d’une procédure extrêmement désagréable, je sais que le droit à l’oubli sur Internet n’existe pas. Je crois qu’il s’agit de questions qui méritent amplement que l’on fasse avancer le droit !
M. le président. Mes chers collègues, grâce à votre concision et à celle des ministres, nous avons pris un peu d’avance ; en attendant l’arrivée de M. le ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, nous allons donc interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à onze heures quarante-cinq.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois, auteur de la question n° 291, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le ministre, je me permets d’attirer votre attention sur la distinction budgétaire que l’autorité organisatrice des transports publics doit faire entre l’organisation des transports publics stricto sensu et l’organisation des transports scolaires.
Lors de l’examen des projets de loi de finance pour 2011 et pour 2012, j’ai déposé un amendement visant à préciser, dans l’article L. 2333-68 du code général des collectivités territoriales, relatif au versement transport, que ce dernier ne peut être affecté au financement des transports scolaires au sens de l’article L. 213-11 du code de l’éducation.
En décembre 2010, Philippe Richert, alors ministre des collectivités territoriales, avait admis qu’une clarification était nécessaire pour éviter toute ambiguïté quant à l’affectation du versement transport. Cette précision de droit a été rappelée dans la circulaire N°COTG/11/0800410 du 28 mars 2011 sur l’usage relatif des crédits du versement transport.
Ce rappel s’est toutefois avéré insuffisant. L’ambiguïté demeure donc, même si, le 5 décembre 2011, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, Mmes Valérie Pécresse et Nicole Bricq, alors respectivement ministre du budget et rapporteure générale de la commission des finances, ont à nouveau confirmé que le versement transport ne pouvait être affecté au financement des transports scolaires.
Force est de constater que les dérives perdurent, l’affectation des recettes du versement transport par les organismes en charge du transport conduisant parfois à la suppression de services de transport de voyageurs dans certains secteurs géographiques pour assurer le financement du transport scolaire.
Par ailleurs, une telle politique conduit à léser les usagers des transports publics, puisque la diminution des financements empêche d’instaurer une politique tarifaire incitative, au profit notamment des catégories sociales les plus défavorisées. Je tiens d'ailleurs à souligner que cette situation risque de s’aggraver avec les changements des rythmes scolaires prévus pour la rentrée prochaine.
Il me paraît donc urgent de rappeler dans les meilleurs délais, par exemple au moyen d’une nouvelle circulaire, les modalités d’affectation du versement transport ou de les spécifier très clairement dans l’instruction générale adressée aux préfets avant la préparation des budgets locaux, en insérant dans la ligne budgétaire « versement transport » une séparation entre transport urbain et transport scolaire. Cette distinction permettrait aux préfets, lors du contrôle de légalité, et aux chambres régionales des comptes de visualiser clairement l’affectation du versement transport.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Au début des années 1980, les lois de décentralisation ont transféré aux départements la responsabilité de l’organisation et du fonctionnement du transport scolaire.
Ce transfert était justifié par les caractéristiques du transport scolaire – vous les avez soulignées –, qui est essentiellement un transport interurbain, c’est-à-dire assuré principalement en dehors des périmètres de transport urbain sur lesquels peut être prélevé le versement transport.
La loi a toutefois prévu les cas où, à la date de la décentralisation, des transports scolaires seraient assurés à l’intérieur de périmètres de transport urbain. Dans ces cas, l’autorité organisatrice des transports urbains demeure compétente, et, à moins qu’il y ait une présentation séparée des budgets, le financement des transports scolaires n’est pas distinct de celui des autres services de transport public.
Vous demandez une clarification. Cette question a été soulevée à plusieurs reprises et a donné lieu à de nombreuses discussions au sein de votre assemblée ; un certain nombre de précisions ont été apportées, notamment par mes prédécesseurs.
Faut-il nécessairement, comme vous le demandez, chercher à séparer, pour ne pas dire à opposer, le transport scolaire et les autres services de transport public ?
Les transports publics sont accessibles aux scolaires, tout comme les transports scolaires peuvent, et doivent, être accessibles aux autres voyageurs. Pour éclairer notre débat, il est important de rappeler que le transport public, qu’il soit scolaire ou non, dépend finalement des subventions que versent les collectivités locales, même en tenant compte du versement transport.
Par conséquent, la clarification de l’affectation du versement transport modifierait assez peu l’origine du financement du transport public. Cela équivaudrait à un jeu de vases communicants, purement comptable, entre deux activités de transport plus ou moins financées par le versement transport ou par des subventions d’équilibre.
Vous appelez de vos vœux la publication d’une nouvelle circulaire. Je me permets toutefois de souligner, puisque vous avez évoqué le contrôle de légalité, que les circulaires ne peuvent être qu’interprétatives.
J’ajoute qu’il est de la responsabilité des autorités organisatrices des transports urbains de présenter les budgets de manière séparée ; ce n’est pas une obligation, mais elles peuvent le faire. Cela permettrait peut-être d’opérer une clarification entre ce qui est financé par le versement transport et ce qui l’est par les subventions ou l’impôt.
Pour ma part, j’aurais tendance à faire confiance à la sagesse des collectivités territoriales, qui souhaiteront sans doute clarifier d’elles-mêmes les choses si nécessaire, sachant que les opérateurs et les autorités organisatrices des transports ont tout intérêt à optimiser le fonctionnement du système et à en améliorer l’efficacité.
Vous avez cité un certain nombre de situations dans lesquelles le transport scolaire se fait au détriment du transport urbain, ce qui est paradoxal, vous en conviendrez. Je le répète, il est de la responsabilité des autorités organisatrices des transports et des opérateurs de répondre aux besoins des usagers du service public. Si un besoin de clarification ou de séparation se faisait sentir, il appartiendrait aux collectivités territoriales d’organiser spontanément une information des élus et de la population grâce à une présentation comptable adaptée.
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Il faut être clair avec les entreprises qui paient le versement transport, car elles souhaitent, elles, que ce versement serve à financer le transport des usagers et qu’une politique tarifaire intéressante soit mise en œuvre pour les particuliers qui se trouvent dans une situation sociale difficile : chômeurs, personnes handicapées, etc. Or, aujourd'hui, on ne peut pas faire la différence entre les différentes affectations du versement transport, dans la mesure où les masses sont regroupées dans le budget. Les entreprises ont donc l’impression qu’elles paient le transport scolaire à la place des collectivités territoriales.
Ce n’est pas ce que prévoit la loi, qui précise que le versement transport doit financer le transport des usagers. Je pense donc qu’il faudra clarifier les choses un jour ou l’autre.
Je ne manquerai par ailleurs pas de signaler aux autorités organisatrices des transports qu’elles auraient intérêt à présenter de leur propre chef un budget totalement transparent afin que les contributeurs puissent exercer un contrôle efficace.
nuisances aériennes
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, auteur de la question n° 314, adressée à M. le ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le ministre, le 15 novembre 2011, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui était alors ministre de l’écologie, a signé deux arrêtés portant modification du dispositif de la circulation aérienne en région parisienne.
L’un d’entre eux, né d’une collaboration entre les services du ministère et la direction générale de l’aviation civile, la DGAC, avait pour objectif, nous disait-on alors, d’atténuer les nuisances sonores liées à l’activité aéroportuaire, source de désagrément pour les populations survolées, notamment dans l’Essonne. Il n’en fut rien.
Non seulement le relèvement de 300 mètres des altitudes n’a pas entraîné une diminution significative des nuisances sonores, mais, en outre, il a occasionné un accroissement des émissions de polluants, du fait de la surconsommation de kérosène due à l’allongement des trajectoires. De surcroît, cet allongement des trajectoires s’est accompagné d’un étalement des zones de survol et, par conséquent, une augmentation du nombre de personnes soumises aux nuisances.
Constatant ces dégradations, les associations essonniennes ont décidé d’entamer une procédure de référé-suspension auprès du Conseil d’État, afin de faire suspendre l’application de l’arrêté tant que le juge administratif n’aura pas jugé le recours au fond.
Dans son ordonnance du 16 avril 2012, le Conseil d’État admet qu’il existe un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté du 15 novembre 2011. Deux raisons motivent ce doute : d’une part, une consultation irrégulière de la Commission consultative de l’environnement a été réalisée ; d’autre part, l’arrêté méconnaît les objectifs constitutionnels d’accessibilité et d’intelligibilité de la norme.
Pour autant, le Conseil d'État n’a pas suspendu l’application de l’arrêté, estimant qu’un retour en arrière serait trop complexe.
En septembre 2012, le nouveau gouvernement a finalement abrogé l’arrêté du 15 novembre 2011. Cependant, le problème des nuisances aériennes reste entier et nos concitoyens attendent légitimement des réponses.
Ces réponses doivent être le fruit d’une réflexion menée main dans la main avec les élus et les associations concernés.
Monsieur le ministre, je sais que la concertation est la voie que souhaite emprunter le Gouvernement, comme vous l’avez d’ailleurs rappelé le 6 novembre dernier au député Jacques Krabal. J’ai donc trois questions à vous poser : quel est l’état d’avancement des évaluations que vous avez lancées sur le sujet ? Quand envisagez-vous de mettre en place l’étroite concertation que vous évoquez ? Quelles seront les modalités concrètes de cette concertation ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, qui me permet de vous apporter quelques précisions complémentaires au vu de l’évolution de la situation.
Vous l’avez rappelé, le relèvement des trajectoires d’approche dans la région Île-de-France est un chantier qui a été lancé en 2007. La concertation s’est déroulée dans le respect des procédures et règlementations en vigueur. Une consultation du public et des institutions concernées par les changements de trajectoire a notamment été organisée. Cette concertation s’est conclue par la publication de deux arrêtés le 15 novembre 2011 ; le nouveau dispositif fut ensuite immédiatement mis en œuvre.
Cependant, même si toutes les règles ont été respectées, les opposants restent nombreux ; votre question en fournit une illustration supplémentaire. Ces opposants estiment que la situation environnementale n’est globalement pas satisfaisante. Il conviendra donc certainement de revoir le cadre juridique de la concertation relative à la modification des trajectoires de circulation aérienne, puisque la précédente concertation n’a pas abouti à des solutions satisfaisantes.
Par ailleurs, j’ai été particulièrement attentif à ce qu’une évaluation des résultats soit conduite pour mesurer la cohérence des niveaux de bruit avec ce qui était prévu au moment de la publication des arrêtés, sur le fondement de l’enquête préalable.
Cette évaluation répond à une demande, dont vous vous faites le relais et qui est tout à fait légitime, des habitants de l’Île-de-France, en particulier de ceux des départements les plus concernés par les nouvelles trajectoires.
Les mesures démontrent que les zones qui étaient déjà survolées sous l’empire de l’ancien dispositif ont bien connu une réduction de bruit comprise entre 2 et 3 décibels avec le nouveau dispositif lorsque l’altitude de survol a été augmentée de 300 mètres.
Cependant, l’allongement des trajectoires pour permettre la descente depuis une altitude supérieure a eu pour résultat une dégradation de la situation, avec une augmentation du bruit, dans les zones nouvellement survolées.
Ce bilan, s’il permet de constater des améliorations ponctuelles pour certains riverains, reste donc très mitigé pour d’autres populations dont la situation s’est au contraire dégradée.
Vous l’avez dit, le dossier du relèvement des altitudes en région parisienne est encore en phase contentieuse et ne relève donc plus du seul pouvoir exécutif. Nous avions indiqué que, compte tenu de cette situation, le Gouvernement observerait avec attention la décision prise par le Conseil d’État.
Quoi qu’il en soit, madame la sénatrice, je tiens à vous confirmer que j’accorde une importance toute particulière au maintien du haut niveau d’implication de la DGAC.
Régulièrement, nous évoquons ce sujet avec l’ensemble des services afin de définir des solutions de nature à diminuer progressivement l’impact environnemental de l’activité aérienne en ce qui concerne non seulement le bruit, mais également, vous les avez évoquées, les émissions gazeuses.
Ainsi, à ma demande, la DGAC étudie actuellement, dans le cadre du programme de recherche européen SESAR, de nouvelles perspectives. Elle réfléchit à une modélisation permettant de simuler de nouveaux profils d’approche, dont elle espère retirer les bénéfices sous la forme d’améliorations environnementales. Ses services y travaillent depuis de nombreux mois, notamment en intégrant des avancées technologiques susceptibles d’entraîner des avancées sensibles, qui permettront autant de progrès dans l’intérêt général à un horizon relativement proche, ce qui, dans le domaine aérien, signifie, malgré tout, quelques années.
Cela étant, tout en attendant la réponse de la juridiction administrative, nous continuons à travailler pour pouvoir présenter, dans les prochains mois, du moins je l’espère, une modélisation qui pourrait ouvrir des perspectives favorables à des survols diminuant sensiblement les nuisances subies par les populations.
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Mme Claire-Lise Campion. Monsieur le ministre, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les éléments d’information que vous m’avez communiqués.
Il est important, pour nous tous, d’avoir confirmation du travail mené, en liaison avec vous-même, par la DGAC.
J’ai également pris note du bilan que vous avez dressé. On ne relève en effet que quelques améliorations ponctuelles, qui sont bien en deçà de l’objectif initial. Je fais miens les mots – et je serais même tentée de les amplifier – que vous avez prononcés : c’est bien un bilan « très mitigé » pour les populations concernées.
Un contentieux est, certes, en cours, mais il est nécessaire, et je vous remercie de l’avoir fait, que le Gouvernement montre à ces dernières, qu’elles habitent l’Essonne ou ailleurs en Île-de-France, le haut niveau d’implication des pouvoirs publics.
Il est important de rappeler que les impacts sont réels, en termes tant de bruit que d’émissions de gaz. C’est donc avec grand intérêt et beaucoup d’impatience que les élus, les associations et les populations concernées attendent les résultats du travail d’étude sur les nouvelles perspectives qu’ouvre la modélisation de nouveaux profils d’approche, qui ne pourront qu’être bénéfiques, j’en suis convaincue, sur le plan environnemental. J’étais un peu inquiète de vous entendre parler d’années ; je suis rassurée par vos dernières paroles qui font état de quelques mois avant que nous puissions nous mettre de nouveau tous ensemble autour de la table. C’est indispensable et très attendu !
avenir de la filière solaire
M. le président. La parole est à M. Michel Teston, auteur de la question n° 149, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.
M. Michel Teston. Monsieur le ministre, selon les préconisations de la feuille de route pour la transition écologique issue des travaux de la Conférence environnementale, le Gouvernement a annoncé, le 7 janvier dernier, des mesures d’urgence pour la relance de la filière photovoltaïque.
Outre le doublement à 1 000 mégawatts de l’objectif annuel de développement, ces mesures intègrent, notamment, des critères environnementaux et des systèmes de bonification qui expriment clairement la volonté de relancer le développement de la production d’énergie solaire en France.
Ces mesures étaient attendues par la filière. Cependant, de nombreuses entreprises porteuses de projets photovoltaïques, qu’ils concernent de grandes installations, au-delà de 250 kilowatts, ou des installations de taille moyenne, entre 100 et 250 kilowatts, sont dans l’expectative, car elles sont inquiètes des délais de mise en œuvre des prochains appels d’offres et de l’abaissement de 20 % du tarif de rachat T5, lequel est destiné aux installations ne remplissant pas les conditions de taille ou d’intégration définies.
C’est notamment le cas en Ardèche où beaucoup de projets de petites installations et d’installations de taille moyenne ont été bloqués à la suite du moratoire de décembre 2010 et où aucun des projets de grandes installations, soutenus ou engagés par les collectivités territoriales, n’a été retenu dans le cadre des appels d’offres de 2012.
La plupart de ces projets, conçus dans un objectif de développement économique local maîtrisé, sont aujourd’hui en attente et les délais jusqu’aux prochains appels d’offres – début 2014 pour les grandes installations et fin 2013 pour les installations de taille moyenne – risquent de mettre en difficulté les entreprises concernées, avec le préjudice que cela impliquerait pour la filière photovoltaïque française.
Aussi, monsieur le ministre, quelles réponses pouvez-vous apporter pour apaiser les inquiétudes sur l’avenir qu’expriment tant les porteurs de projet que les collectivités territoriales impliquées ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, qui inaugure actuellement le Salon des énergies renouvelables, à Lyon. Elle m’a demandé de bien vouloir vous transmettre à la fois ses excuses et sa réponse.
Par ma voix, elle tient à réaffirmer combien le Gouvernement est attaché au développement des énergies renouvelables. C’est un engagement du Président de la République, du Premier ministre et de l’ensemble du Gouvernement, engagement que la politique conduite par Delphine Batho traduit et que le Président de la République a lui-même avait rappelé lors de la Conférence environnementale, le 14 septembre dernier.
Il s’agit maintenant de construire des politiques de soutien durable pour chacune des filières qui prennent en compte leur maturité spécifique, leur coût, leur potentiel ainsi que les contraintes environnementales ou sociales qui s’y rapportent.
Vous évoquez, à ce sujet, l’insécurité dans laquelle la politique du précédent gouvernement a plongé les porteurs de projets photovoltaïques, notamment en Ardèche. Le résultat du moratoire décidé en 2010 est connu : le secteur photovoltaïque a perdu près de 15 000 emplois entre 2010 et 2012.
À ce résultat s’ajoute une situation du marché mondial extrêmement tendue : après des années de croissance effrénée, qui ont vu l’émergence de grands groupes chinois qui l’ont, tout simplement, envahi, le marché du photovoltaïque souffre aujourd’hui de surcapacités importantes rendant nécessaire une phase de consolidation.
Nous avons donc souhaité sécuriser le secteur, garantir à la filière photovoltaïque, comme à toutes les autres filières, les conditions d’un développement équitable et pérenne, tout en nous assurant de la plus haute qualité environnementale des produits.
Delphine Batho s’y est employée depuis sa prise de fonction. Elle a notamment présenté, le 7 janvier dernier, comme vous le savez, monsieur Teston, un ensemble de mesures d’urgence cohérent visant à atteindre le développement d’au moins 1 000 mégawatts de projets solaires en France en 2013, chiffre à comparer à l’objectif annuel de 500 mégawatts fixé par le précédent gouvernement.
Les mesures prises s’articulent autour de trois axes.
Le premier consiste à soutenir les technologies françaises innovantes pour les grandes installations photovoltaïques. Un appel d’offres pour de telles structures, d’une puissance supérieure à 250 kilowatts, sera lancé d’ici à quelques semaines. Il portera sur un volume de 400 mégawatts et il fera la part belle aux technologies novatrices.
Concernant les centrales au sol, l’appel d’offres privilégiera le développement sur des sites où les conflits d’usage, notamment à propos de l’artificialisation de terres agricoles, pourront être évités.
Il valorisera la compétitivité-coût des projets proposés, mais aussi leur contribution à la protection de l’environnement et du climat, ainsi qu’à la recherche, au développement et à l’innovation. Ces critères ont vocation à soutenir la filière solaire française dans un contexte de concurrence déloyale.
Un deuxième appel d’offres sera lancé au cours de l’année 2013, ciblant notamment d’autres technologies innovantes dans le domaine solaire.
Le deuxième axe vise à améliorer les conditions d’appel d’offres pour les installations de taille moyenne.
Les résultats des premiers appels d’offres automatiques pour les installations sur toiture d’une puissance comprise entre 100 et 250 kilowatts ont été peu satisfaisants, notamment en termes de retombées industrielles, retombées qui constituent une de nos préoccupations.
Aussi Delphine Batho a-t-elle décidé de revoir les conditions des appels d’offres. Le deuxième appel d’offres sera prorogé donc d’un an pour un volume global de 120 mégawatts, répartis en trois tranches de 40 mégawatts.
Outre le prix, sera désormais accordée une attention particulière aux projets qui protègent le climat et à des critères d’évaluation carbone du processus de fabrication des modules photovoltaïques.
Enfin, le troisième axe consiste à bonifier les tarifs et à récompenser la qualité pour les petites installations.
Deux arrêtés tarifaires ont été pris pour les petites installations sur toiture d’une puissance allant jusqu’à 100 kilowatts, entérinant le doublement des volumes cibles de 200 à 400 mégawatts par an.
La grille tarifaire a été simplifiée pour mettre fin à la distinction faite entre installations selon l’usage du bâtiment. Les tarifs d’intégration simplifiée au bâti ont augmenté de 5 % et tous les projets pourront désormais bénéficier d’une bonification supplémentaire, allant jusqu’à 10 %, en fonction du lieu de fabrication des modules photovoltaïques pour prendre en compte les différences de coût observées.
Vous évoquiez le tarif T5 dédié aux autres installations, lequel a été, certes, baissé de 20 %, mais également assorti d’une bonification, d’au plus 10 %, afin de privilégier le développement des installations porteuses d’innovation et de développement local.
Toutes ces mesures vont entraîner des investissements de plus de 2 milliards d’euros et créer ou maintenir environ 10 000 emplois. Leur coût annuel pour la collectivité est maîtrisé : il est estimé entre 90 millions et 170 millions d’euros, soit environ 1 à 2 euros en moyenne par an et par ménage.
M. le président. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le ministre, je vous remercie de cette réponse.
J’ai bien noté que le plan d’urgence adopté par le Gouvernement pour relancer la filière photovoltaïque avait pour objectif de développer cette énergie, de soutenir les entreprises européennes, particulièrement celles de notre pays, et de créer des emplois.
Je souhaite que ces objectifs soient atteints, notamment grâce à la prise en compte du bilan carbone des panneaux photovoltaïques pour les moyennes installations et à la bonification du tarif d’achat pour les petites installations.
Cela étant dit, lors de l’appel d’offres de 2012, seulement deux des projets retenus concernaient la région Rhône-Alpes et aucun le département de l’Ardèche, ce que je regrette vivement. J’estime donc que la Commission de régulation de l’énergie devra adopter une vision beaucoup plus équilibrée de l’implantation des installations photovoltaïques sur l’ensemble du territoire national lors des prochains appels d’offres.
passage et stationnement en seine-saint-denis d’un train chargé de déchets nucléaires
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud, auteur de la question n° 297, adressée à Mme la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le ministre, je souhaite vous interpeller sur le passage et le stationnement à la gare de Drancy-Le Bourget d’un train chargé de déchets nucléaires le 13 décembre 2012. Ce train, en provenance de la centrale de Borssele aux Pays-Bas et en route pour l’usine de retraitement des déchets nucléaires de La Hague, est resté dans le département de Seine-Saint-Denis pendant une journée entière. Il contenait 6,7 tonnes de combustible usagé à base d’uranium !
Il ne paraît pas responsable qu’un train chargé de déchets radioactifs circule sur des voies ferroviaires empruntées chaque jour par des dizaines de milliers de voyageurs et traverse des zones fortement urbanisées, malgré la dangerosité de son chargement. En effet, les wagons émettent des rayonnements gamma qui se propagent à plusieurs dizaines de mètres, mettant ainsi en danger le personnel à bord des trains, les forces de l’ordre et les riverains.
Compte tenu non seulement du passage du convoi en milieu urbain dense et de la virulence des radiations émises, mais aussi, et surtout, de son stationnement pendant plus de douze heures en gare de triage de Drancy, à quelques mètres de la gare du RER bondée à dix-huit heures, de la proximité du stade de football Paul André, de la présence de nombreux enfants à cette même heure et de la proximité des habitations des riverains, les risques pris nous paraissent énormes.
De plus, à quatorze heures, deux autres wagons « Castor » ont été accrochés au convoi. Nous supposons qu’ils contenaient des combustibles nucléaires usagés français. D’où provenaient ces combustibles ? Par où sont-ils passés ? Où ont-ils été stockés et pendant combien de temps ?
Quatre wagons « Castor » ont également été repérés samedi 5 janvier 2013, à douze heures quinze, à proximité immédiate des quais de la gare du RER B de Drancy. Ils sont repartis le lendemain, dimanche 7 janvier, entre vingt heures et vingt et une heures quinze. Le personnel au guichet n’était au courant ni de la présence de ces wagons ni de leur caractère potentiellement dangereux. Les maires de Drancy ou du Blanc-Mesnil n’ont pas non plus été informés.
Monsieur le ministre, pourquoi les élus locaux concernés n’ont-ils pas été prévenus de ce passage et de ce stationnement de longue durée sur leur territoire ? Pourriez-vous m’indiquer quelles sont les autres villes dans lesquelles ce convoi est passé et a stationné, ainsi que les mesures de sécurité prises ?
Mme Batho, en réponse à une question de mon collègue député Jean-Christophe Lagarde, a affirmé : « L’application des contraintes réglementaires et les débits de dose à proximité du véhicule sont […] très strictement contrôlés. » Mais, s’il n’y a pas de danger, pourquoi éviter les heures de pointe et faire stationner le convoi pendant plus de douze heures ? (Mme Hélène Lipietz applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice, le transport des marchandises dangereuses est une problématique à laquelle Delphine Batho et moi-même attachons la plus grande importance. La maîtrise des risques est essentielle, en particulier dans les gares de triage où sont concentrés les wagons de marchandise.
Le principe est que toutes les mesures doivent être prises dans la plus grande transparence pour assurer la sûreté et la sécurité de nos concitoyens. En France, il appartient à l’Autorité de sûreté nucléaire, l’ASN, d’exercer le contrôle de la sûreté des transports de substances radioactives à usage civil.
Cette autorité procède à des inspections, de même qu’elle instruit les demandes d’agrément des emballages nécessaires. Ce contrôle vise à assurer la maîtrise des risques d’irradiation, de contamination et de criticité, ainsi que la prévention des dommages causés par la chaleur émanant des colis de transport de substances radioactives ; il porte également sur la conception des emballages. Les opérations de transport sont soumises à des contraintes réglementaires rigoureuses.
En 2012, l’ASN a autorisé 1 482 transports de matières.
En ce qui concerne la limitation de l’exposition du public et des travailleurs, le débit de dose radioactive à proximité du véhicule ne doit pas dépasser certains plafonds. En pratique, les niveaux relevés sont beaucoup plus faibles que ces plafonds.
L’ASN intègre dans son programme de contrôle des inspections relatives à l’expédition des colis de substances radioactives. Certaines inspections portent spécifiquement sur les contrôles de radioprotection que les responsables de transport doivent réaliser avant le départ. Des mesures de radioprotection indépendantes de celles qu’opèrent les responsables de transport sont réalisées par l’ASN à l’occasion de ces inspections.
S’agissant plus précisément de l’import de combustibles usés néerlandais du 10 au 14 décembre 2012, je précise qu’il entre dans le cadre de contrats commerciaux établis entre la société COGEMA, devenue AREVA NC, et l’opérateur des centrales hollandaises, EPZ. Ces accords concernent un total de 402 tonnes de combustibles usés qui ont vocation, après traitement et conformément au droit, à retourner dans leur pays d’origine.
Puisqu’il n’existe pas de réseau ferré réservé au fret, le réseau est donc indifféremment partagé entre le fret et les voyageurs. C’est pourquoi la sécurité des transports ferroviaires implique de réduire au maximum le temps de parcours et le nombre d’arrêts des convois transportant des combustibles usés. Ces contraintes conduisent très souvent à choisir des itinéraires traversant la région parisienne, le maillage du réseau ferré national étant ce qu’il est, afin d’optimiser les temps de parcours. Une attention particulière est alors portée aux horaires de traversée, afin d’éviter les heures d’affluence du public.
L’évacuation de combustibles usés à destination de La Hague induit un transport quasi hebdomadaire d’un wagon au départ de chaque centre nucléaire de production d’électricité, et un train de lotissement remonte chaque semaine la vallée du Rhône.
L’import de combustibles usés néerlandais est arrivé en France de nuit, à vingt-trois heures trente-deux, et a atteint le Bourget à six heures huit. Il n’est reparti qu’à vingt heures cinquante-neuf pour éviter les périodes de pointe. Pendant cet arrêt de moins de quatorze heures dans la zone de fret isolée du Bourget, les trois wagons ont été surveillés en permanence par l’opérateur ainsi que par le service de la sûreté générale de la SNCF.
Les services du ministère de l’intérieur associés à la préparation et à la planification de ces transports les suivent avec une attention particulière pour assurer leur sécurité et, le cas échéant, le maintien de l’ordre public. Ils en informent les préfectures concernées.
Il n’est pas prévu d’informer spécifiquement les élus transport par transport, pour des raisons de confidentialité, et donc de sécurité, que vous comprendrez. Comme l’a rappelé la Commission d’accès aux documents administratifs, le 3 novembre 2011, même leur connaissance a posteriori « pourrait permettre de recouper des habitudes, des procédures et des itinéraires validés et d’anticiper avec précision les conditions d’exécution des expéditions de matières radioactives à venir ». Une diffusion à plusieurs centaines de personnes ne permettrait pas, vous en conviendrez, de conserver un niveau de diffusion de l’information compatible avec les enjeux de sécurité.
Pour autant, toutes les assurances sont données au public ; l’ASN, en raison de son statut et de sa neutralité, apporte toutes les garanties. L’ensemble des contrôles réalisés est donc de nature à éviter toute prise de risque inutile en matière de sûreté et de sécurité.
M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Monsieur le ministre, je vous remercie des précisions que vous avez apportées. Je demeure cependant très inquiète, et mon inquiétude est encore renforcée par des événements récents.
Le 21 janvier dernier, un wagon contenant des fûts d’uranium appauvri, parti de la centrale nucléaire de Tricastin à destination des Pays-Bas, a déraillé dans la gare de triage de Saint-Rambert-d’Albon, dans la Drôme, ce qui a nécessité l’intervention d’une grue. C’est bien la preuve que des accidents peuvent se produire lors de ces transports !
Par ailleurs, depuis que j’ai rédigé cette question, d’autres trains transportant des matières radioactives ont stationné en Seine-Saint-Denis : le 6 février dernier, un nouveau convoi est passé à Sevran, Aulnay-sous-Bois et au Bourget, où il a stationné toute la journée.
La Seine-Saint-Denis compte 1,5 million d’habitants : si un accident survenait, on imagine sans peine l’ampleur des dégâts qui pourraient en résulter !
Au nom du principe de précaution, je souhaiterais donc que l’information soit mieux diffusée. De nombreuses associations de riverains expriment leur inquiétude, inquiétude dont je tiens à me faire l’écho auprès de vous, monsieur le ministre. J’ai bien conscience des efforts accomplis par le Gouvernement et par l’ASN, mais un accident est toujours possible, comme nous le prouvent les événements du 21 janvier.
M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Thierry Foucaud.)
PRÉSIDENCE DE M. Thierry Foucaud
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Débat sur les nouveaux défis du monde rural
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les nouveaux défis du monde rural, organisé à la demande du groupe UMP.
La parole est à M. Gérard Bailly, pour le groupe UMP.
M. Gérard Bailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais, tout d’abord, vous dire combien je suis heureux d’intervenir dans ce débat sur les nouveaux défis du monde rural. Demandé par le groupe UMP, il a reçu l’accord de la conférence des présidents : deux heures trente d’échanges seront consacrées à ce sujet qui concerne, chers collègues, 80 % du territoire de notre pays.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Gérard Bailly. Car la France demeure un espace essentiellement rural, maillé par près de 30 000 « communes rurales » au sens de l’INSEE, représentant 78 % du territoire métropolitain et 22 % de la population.
Par-delà la diversité des campagnes françaises et des configurations locales, les multiples dynamiques en œuvre dans les aires rurales ont fini par inverser les flux de population. Après plus d’un siècle d’exode rural, le solde migratoire dans les campagnes est devenu positif à la fin des années soixante-dix. C’est là, sans doute, un motif de satisfaction pour qui redoutait, il y a quelques décennies encore, une tendance irrésistible à la désertification d’une portion majeure de notre territoire.
Mais aujourd’hui la crise et son cortège de fermetures d’entreprises – des PME, des PMI, des exploitations agricoles... – posent la question cruciale de la résilience des économies rurales. Sur le terrain, interrogations et difficultés tendent à se multiplier, avec l’apparition de nouvelles fractures sociales et générationnelles, même si, vous le savez tous, les réalités sont toujours très contrastées d’un territoire à l’autre.
Le contexte général apparaît plus mouvant et incertain que jamais. À y regarder de près, les opportunités sont bien plus rares que les menaces au nombre desquelles je citerai notamment l’ajustement, voire la diminution, accéléré des finances publiques, l’étiolement du premier pilier de la PAC, le renforcement des contraintes énergétiques, la périurbanisation rampante, les besoins croissants de mobilité, les exigences environnementales accrues, l’éloignement des pôles de décision.
Devant pareil inventaire, il convient de ne pas céder au découragement, ni davantage à une quelconque rêverie d’inspiration technicienne. Il faut, avec lucidité, identifier les leviers structurels qui conditionneront l’essor économique, social et culturel des campagnes. Que faire pour leur donner les moyens de s’inscrire, au cours des trois prochaines décennies, dans un scénario, que vous souhaitez tous, me semble-t-il, de développement optimal ?
La capacité de projection, l’imagination et la créativité des acteurs territoriaux, dont nous sommes témoins, seront fondamentales pour saisir de nouvelles opportunités et identifier de nouveaux leviers de développement pour les territoires ruraux.
Comprenons bien, chers collègues, que les campagnes, dans leur diversité, sont non pas une charge, mais une chance pour la France !
Voyez ces vastes espaces, cette nature fragile mais généreuse, la variété de ces paysages et de ces cultures ! Voyez encore ces hommes bien décidés à innover et à se battre pour faire vivre leurs territoires en y exerçant les activités les plus variées, traditionnelles ou d’avant-garde !
Notre potentiel de croissance est en gestation dans le creuset de nos campagnes. Protégeons ce laboratoire où s’invente la modernité de demain ! Mais ces territoires ne peuvent plus être pensés indépendamment des villes avec lesquelles ils entretiennent un rapport de complémentarité et de dépendance réciproque.
J’évoquerai, en quelques mots, l’état des lieux.
En 2010, les surfaces agricoles, cultivées ou en herbe, représentent 51,4 % de l’espace métropolitain. Les espaces naturels – sols boisés, landes, sols nus, zones humides et sous les eaux – en représentent 39,6 % et les sols artificialisés – sols bâtis, sols revêtus ou stabilisés, les autres sols artificialisés – 8,9 %.
Quelles sont les évolutions récentes ?
L’artificialisation des sols s’est accélérée entre 2003 et 2009, affectant, en sept ans, l’équivalent d’un département français moyen – 6 100 kilomètres carrés –, contre la même surface en dix ans entre 1992 et 2003.
Sur une période de cinq ans, de 2006 à 2010, la surface des sols artificialisés a progressé de 6,8 % au détriment des terres agricoles, dont il est avéré que plus d’un tiers étaient de très bonne qualité agronomique. Bien sûr, cette artificialisation a principalement eu lieu à l’approche des zones urbaines.
La forêt a gagné de l’espace, non seulement sur les landes et les friches, mais encore, de façon marginale, sur les terres agricoles, avec une progression notable en montagne et dans les zones rurales profondes, où elle a parfois entraîné une « fermeture » du paysage.
Comme vous le savez, chers collègues, nous trouvons plusieurs diversités dans nos territoires ruraux : d’abord, les campagnes très agricoles dont les productivités sont bonnes, où les agriculteurs et les professions qui les entourent sont au-delà de 10 % de la population ; ensuite, les campagnes cadre de vie, plutôt résidentielles, où sont venus habiter les citadins, que l’on trouve plus particulièrement dans les zones de trente kilomètres autour des grandes agglomérations ; en outre, les campagnes mixtes caractérisées par les activités agricoles, industrielles et résidentielles, qui sont estimées à 10 500 communes avec 5,5 millions d’habitants sur 140 000 kilomètres carrés ; enfin, malheureusement, les campagnes vieillies et à faible densité, qui représentent 5,2 millions d’habitants sur 12 800 communes et 227 000 kilomètres carrés dans un environnement fortement rural, souvent difficile d’accès, sur lequel les grandes métropoles n’exercent que peu d’influence.
Le monde rural a des défis à relever. Il doit croire en ses chances ! C’est déjà ce que nous avons pu constater ces dernières décennies. Mais encore faut-il que ses projets, son dynamisme, ses ambitions soient accompagnés par l’État,…
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Didier Guillaume. Ces dix dernières années, cela a fait mal !
M. Jean-Claude Lenoir. Ce qui est annoncé ne va pas nous arranger !
M. Gérard Bailly. … les différentes collectivités territoriales, les institutions. Je veux citer quelques-uns de ces leviers.
Premier levier, l’intercommunalité.
Nous pouvons, me semble-t-il, le constater, l’intercommunalité a été très bénéfique pour tous les territoires, mais plus encore dans les territoires ruraux. Ces derniers, par l’union, en quelque sorte à l’unisson, de leurs communes, ont réalisé, ces dernières années, des équipements favorables à leur population qui n’existaient pas jusqu’alors. Nous pouvons citer, à titre d’exemple, en désordre : les foyers logements, les crèches, les centres de loisirs sans hébergement, ou CLSH, les terrains de sports, les médiathèques, les zones artisanales et industrielles, la gestion de patrimoines classés, les emplois à caractères environnementaux, les groupes scolaires, les maisons de santé, les nouvelles technologies... Mais tout cela a un coût, des coûts, souvent plus élevés dès que l’on parle, dans les secteurs ruraux et plus encore, en zone de montagne, de réseaux, de terrains rocheux, de distances. Chers collègues, pour conduire, demain, des projets plus ambitieux encore, je crois qu’il faudrait faciliter toutes les procédures afin de favoriser les actions entre intercommunalités.
Deuxième pilier, les normes.
Dans l’avenir, l’intercommunalité doit être accompagnée sous toutes ses formes. Mais compte tenu des particularités, des différences de situation, il ne peut pas y avoir des exigences identiques dans la gouvernance – je citerai, parmi les normes, le nombre d’élèves pour une classe, la distance pour un équipement, le minimum pour telle structure de population, pharmacies ou recettes buralistes, par exemple – qui sont souvent rappelées par nos élus locaux. C’est pourquoi nous devons laisser davantage d’initiatives lorsque celles-ci ont reçu un consensus sur le territoire, bien sûr, en respectant les lois de la République, lesquelles, doivent, en revanche, tenir compte de toutes ces particularités et différences.
Troisième pilier, les dotations.
Accompagner ces territoires, c’est aussi apporter les mêmes dotations aux communes, aux communautés de communes que les villes. Hier, avant l’intercommunalité, il est vrai que les villes, les gros bourgs investissaient souvent dans des réalisations qui étaient utilisées par les ruraux venant à la ville. Mais aujourd’hui, la majeure partie de ces équipements et leur fonctionnement sont à la charge des structures intercommunales et chaque habitant, sur chaque parcelle du territoire, participe à la même hauteur, et il en est bien ainsi.
Toutefois, comment comprendre ces écarts de dotation globale de fonctionnement, la DGF ? L’Association des maires ruraux indique que la DGF devient inique : 128 euros dans les communes de plus de 150 000 habitants, alors que les communes de moins de 3 500 habitants percevraient de 64 à 88 euros par habitant.
M. Rémy Pointereau. C’est la réalité !
M. Gérard Bailly. Il en est de même pour les structures intercommunales s’agissant des dotations aux agglomérations et communautés de communes en milieu rural qui aggravent encore considérablement cette disparité.
Sur quelles données chiffrées peut-on s’appuyer pour justifier de tels chiffres, de tels écarts ? Les décideurs ne sont-ils que des citadins ? Je n’ose le croire !
J’en viens à cet autre pilier qu’est la représentativité.
Cela m’amène à évoquer la gouvernance et la représentativité des territoires. Et je citerai un titre de journal que vous connaissez tous bien, chers collègues, l’Hémicycle du 13 février dernier – tout récent donc. Il titrait « Un redécoupage des cantons qui maltraite les territoires ruraux ».
M. Rémy Pointereau. C’est honteux !
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Alain Fouché. Qui plus est, cela a été annoncé dans la presse : c’est scandaleux !
M. Didier Guillaume. Vous, vous avez divisé le nombre d’élus par deux !
M. Rémy Pointereau. Les territoires ruraux sont sacrifiés !
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie.
M. Charles Revet. Mais c’est important !
M. le président. Poursuivez, monsieur Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. J’ai encore pu lire dans ce journal : « la taille des cantons ruraux peu peuplés va croître et se délatter. Que restera-t-il de la proximité...
M. Jean-Claude Lenoir. Rien !
M. Gérard Bailly. ... dans d’immenses cantons ruraux peu peuplés sans identité géographique, ni historique. Ce sont nos chênes que l’on abat ! »
M. Rémy Pointereau. Voilà !
M. Gérard Bailly. Chers collègues qui habitez dans ces territoires,…
M. Jean-Claude Lenoir. Et nous en sommes fiers !
M. Gérard Bailly. … vous le savez, il y aura moins de porte-parole, moins de porte-voix, moins de défenseurs de la ruralité dans nos assemblées départementales ! (Exclamations approbatives sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Vive le conseiller territorial !
M. Gérard Bailly. Il fallait certes, et je le comprends, réduire les écarts de population, mais aussi tenir compte de la superficie que gérera demain un conseiller départemental !
M. Jean-François Husson. Tout à fait !
M. Gérard Bailly. J’aimerais, monsieur le ministre, connaître votre point de vue sur ce sujet.
Je souhaite vous dire, mes chers collègues, quelques mots sur l’environnement.
Les nouveaux défis des territoires ruraux sont nombreux et pourront être relevés aux conditions que je viens d’évoquer, et que je vais réitérer.
Ces territoires doivent préserver la qualité de leur environnement, pour les habitants eux-mêmes mais également pour les citadins qui viennent s’y ressourcer. Il faut conserver la qualité des eaux des nappes qui alimentent aussi les villes, et pour cela réaliser l’assainissement collectif ou individuel de chaque bourg, de chaque village – je dirais presque de chaque maison ! –, ce qui représente un coût non négligeable.
Ce sont aussi les espaces ruraux qui accueillent les résidus des déchets des stations d’épuration des grandes collectivités, qu’il conviendra de traiter à bon escient.
Les territoires ruraux ont un atout : les énergies.
Je ne passerai pas sous silence l’importance et le rôle que jouent, et joueront encore davantage à l’avenir, les espaces ruraux producteurs d’énergie. On y installe les éoliennes, le solaire, on y produit la biomasse, le bois-énergie, les biocarburants. C’est une richesse pour notre pays comme pour nos territoires.
Cependant, ces territoires ne pourront vivre sans désenclavement.
Ils devront faire face plus qu’ailleurs, compte tenu de leur éloignement, à la fracture numérique. Toutes les entreprises mais aussi tous les habitants de ces territoires veulent et voudront en effet le haut débit, voire le très haut débit.
M. Jean-Claude Lenoir. Ils ont raison ! C’est l’égalité !
M. Gérard Bailly. Tandis que les opérateurs équipent aujourd’hui les agglomérations importantes, il n’en est pas de même, vous le savez, pour les petites collectivités et les grands espaces ruraux. (Mme Bernadette Bourzai s’exclame.) Alors qui paie ? Cette charge importante est supportée par les assemblées de ces territoires, et donc par les habitants, au niveau des communes, des intercommunalités, des départements. Une péréquation nationale est attendue, mais elle peine à se mettre en place.
M. Didier Guillaume. Zéro euro dans le fonds...
M. Jean-Jacques Lozach. Trente ans !
M. Gérard Bailly. Ce défi important, le monde rural ne pourra le relever seul. (M. Rémy Pointereau s’exclame.)
Le désenclavement routier et ferroviaire est un gage de vitalité.
Le ferroviaire étant peu présent dans le monde rural, il n’y aura que bien peu d’alternative entre le bus, quand il existe, et la route. Les conseillers généraux, et départementaux demain, devront-ils continuer à améliorer et à entretenir les réseaux routiers ? Une PME ou une PMI ne s’installera pas sur un territoire si le désenclavement physique, celui qui permet un accès rapide, et le désenclavement numérique ne sont pas au rendez-vous. C’est un autre grand défi pour la ruralité !
J’en viens au problème de l’éducation.
Les territoires ruraux ne devront pas être les parents pauvres du système éducatif. Il faut que ceux-ci puissent disposer de CFA, de lycées professionnels ou d’antennes universitaires dans des périmètres peu éloignés. Il faut aussi donner à tous nos jeunes ruraux des ambitions scolaires, et ce dès l’école primaire, dont les établissements doivent être répartis de façon équilibrée dans les territoires ruraux. En effet, un élève ne doit pas passer plus de 30 à 40 minutes dans un bus, matin et soir.
Autre sujet très important : la santé.
Ces territoires ne devront pas être, non plus, les parents pauvres en matière d’équipements de santé. Il nous faut, par des mesures incitatives, encourager la présence de médecins, ouvrir des maisons de santé, recourir dans certains cas – pourquoi pas ? – au salariat, voire à des dispositifs coercitifs, mettre en place un maillage des urgences médicales et des pharmacies, mais aussi des gardes, désormais souvent inexistantes en milieu rural, comme le rappelait ce matin Didier Guillaume, ce qui n’est pas acceptable. Il faudra également prévoir des critères distincts de ceux qui sont en vigueur en secteur urbain, par exemple des temps de parcours raisonnables.
La population des campagnes est plus âgée que celle des grandes agglomérations. C’est pourquoi il nous faut prévoir un nombre suffisant de foyers logements et d’établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, avec des normes adaptées afin de répondre à la proximité attendue des résidents et de leurs familles. (Mme Bernadette Bourzai s’exclame.)
N’oubliez pas, mes chers collègues, que la présence médicale et la présence scolaire sont sans doute les premières exigences des ruraux mais aussi des nouveaux résidents de ces territoires.
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Gérard Bailly. Ces préalables en matière de gouvernance, de désenclavement, de services, de qualité de l’environnement et d’accompagnement financier une fois mis en place, lorsqu’ils n’existaient pas déjà, peut-on être optimiste pour ces territoires ? Je réponds oui, car nous pourrons alors espérer la venue de résidents qui iront travailler à la ville, si elle n’est pas trop distante, mais aussi l’installation ou le développement d’entreprises de production. Il y a tant de savoir-faire et de productions locales à encourager !
J’évoquerai d’abord la production agricole.
La France est un grand pays agricole. L’agriculture – son « pétrole vert », comme l’a qualifiée un ancien président de la République – est un atout réel, par ses quantités mais aussi par la renommée au niveau international de nos productions, qu’il s’agisse du bétail, des vins et alcools ou des fromages, qui représentent tant d’emplois dans les entreprises agroalimentaires de nombreux territoires, comme l’actualité, malheureusement, nous le rappelle. Que serait ainsi la Bretagne sans ses productions agricoles ?
La valorisation des produits agricoles doit être le souci permanent des dirigeants dans le contexte de compétition mondiale que nous connaissons, et qui touche également, désormais, ce secteur d’activité. Les appellations d’origine contrôlée, labels et circuits courts doivent être encouragés, et leur mise en marché avec les collectivités doit être facilitée.
L’élevage est indispensable dans de nombreux territoires, surtout là où la charrue ne peut remplacer l’animal, comme sur les pâtures, les pentes de nos montagnes aux surfaces immenses. Or le nombre de bovins diminue dans notre pays et nos effectifs ovins baissent de façon encore plus drastique.
Permettez-moi de vous rappeler deux chiffres, mes chers collègues. En 1980, l’élevage ovin comptait 12 840 000 têtes ; en 2012, il n’est plus que de 7 644 000 têtes. (Mme Bernadette Bourzai s’exclame.)
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Gérard Bailly. Cela explique que nous procédions à d’importantes importations et que nous pratiquions des prix peu rémunérateurs. Par ailleurs, la présence de prédateurs, protégés par les ministres de l’environnement successifs, vient décourager les éleveurs de nos massifs. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
Un sénateur du groupe UMP. Oui !
M. Gérard Bailly. Prenez garde, monsieur le ministre, que la réforme de la PAC pour laquelle vous vous battez,...
M. Didier Guillaume. Qui est très bonne !
M. Gérard Bailly. ... dans son premier pilier, ne soit pas mise à mal par les décisions européennes sur l’élevage, qui est le gage d’un environnement protégé dans nos montagnes, et veillez à ce qu’elle soit accompagnée à sa juste valeur et à sa juste rémunération.
Je crois vraiment que l’agriculture peut jouer encore demain un grand rôle dans la vitalité de nos territoires ruraux, de par l’entretien des paysages, son poids économique, et les nombreux d’emplois de transformation des produits que représentent nos entreprises de l’agroalimentaire. Elle demeure, je le crois, le pétrole vert de notre pays.
Mes chers collègues, notre planète compte chaque jour 200 000 humains de plus ! Alors, ne gâchons pas nos terres productives. Il y a tant d’espaces et de sols peu productifs où l’on peut urbaniser afin de poursuivre le développement de notre pays ! Faut-il vraiment faire entrer cette notion de terres à faible productivité dans les objectifs des documents d’urbanisme ?
Notre agriculture ne pourra pas supporter longtemps la méconnaissance et la concurrence des OGM. Pour autant, loin de moi l’idée de les autoriser avant d’être certain de leur non-dangerosité ! C’est pourquoi j’ai attiré dernièrement votre attention, monsieur le ministre, au travers d’une question orale, sur la nécessité de mettre en place des études et un suivi, en conjuguant nos moyens au niveau européen.
Nos forêts mais aussi le bois de nos bocages, de nos haies qu’il faut davantage utiliser et mieux valoriser sont la véritable richesse de nos territoires ruraux. Nos grumes prennent malheureusement le chemin d’autres pays en vue d’être transformées et les fabrications ainsi réalisés reviennent ensuite dans notre pays, ce qui nous fait perdre la valeur ajoutée et les emplois. C’est là encore un vrai défi à relever. Mais comment rivaliser avec des pays d’Europe du Nord disposant d’une avancée technologique telle qu’ils nous concurrencent sur notre propre territoire pour l’utilisation de nos résineux ?
Même si le bois-énergie, en granulés ou déchiqueté, connaît un développement significatif, les progrès et les possibilités en ce domaine peuvent être encore très importants. La forêt et la filière bois apportent, vous le savez, de l’emploi dans nos territoires ruraux, emplois locaux dans nos villages, pour l’entretien des forêts, l’abattage, le débardage, la transformation du bois. Elle mérite sans doute une attention encore plus particulière pour une meilleure valorisation et le développement de l’emploi.
N’oublions pas d’investir dans la plantation, comme l’ont fait nos ancêtres. On ne plante plus beaucoup dans notre pays !
N’oublions pas non plus les dessertes forestières, au travers de l’action des associations syndicales autorisées, les ASA, car ces dessertes sont indispensables pour les prélèvements forestiers et, surtout, pour une meilleure culture du bois.
Vous savez aussi, mes chers collègues, combien le tourisme compte pour nos territoires ruraux.
Ces territoires ont essayé de relever, lors des dernières décennies, les défis du tourisme, avec des réussites variées selon les atouts locaux, la détermination des acteurs touristiques et l’accompagnement de leurs collectivités : emplois non délocalisables, investissements productifs pour les entreprises locales de travaux publics, les artisans du bâtiment et les clients du commerce local.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Gérard Bailly. Encore trois minutes, monsieur le président.
M. le président. Le temps de parole imparti était de vingt minutes !
M. Gérard Bailly. L’activité touristique est déterminante, même sur des périodes courtes. Elle apporte une vitalité supplémentaire à nos territoires ruraux et, comme je l’ai déjà souligné, elle est nécessaire pour nos services de proximité, nos commerces, nos artisans.
Les touristes comme les résidents savent apprécier les manifestations culturelles et sportives, les fêtes de pays et les marchés locaux, des manifestations importantes, et même capitales, souvent organisées avec dévouement par des bénévoles. Ce sont des atouts indéniables, de vraies valeurs. Veillons à ce que cette flamme ne faiblisse pas, car les conséquences en seraient graves !
Je sais aussi l’importance de nos PME et PMI, véritable richesse de nos territoires ruraux.
Ce sont ces petites et moyennes entreprises qui procurent du travail de proximité aux populations actives locales et qui incitent les habitants à s’installer dans nos territoires, à y rester et à y vivre, parfois loin des grandes métropoles. Elles sont facteur de croissance, facteur d’image, facteur d’équilibre des territoires. Nous devons avoir pour souci permanent de leur apporter les moyens de poursuivre ici leurs activités ; je pense plus particulièrement au désenclavement numérique que j’ai déjà évoqué.
Un accompagnement de mesures fiscales doit être poursuivi, plus particulièrement dans les zones de revitalisation rurale, les ZRR, ou de montagne.
M. le président. Concluez, mon cher collègue.
M. Gérard Bailly. J’en viens donc à ma conclusion, et en reste là au sujet des PME. (Marques de regret sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Cornu. C’est dommage !
M. Gérard Bailly. Je suis bien conscient de ne pas voir abordé tous les sujets,…
M. Alain Fauconnier. Dix ans !
M. Gérard Bailly. … tous les nouveaux défis à relever par le monde rural. Cependant, d’autres collègues vont intervenir qui ajouteront d’autres idées et arguments permettant de définir des priorités, des actions indispensables, comme je viens de le faire, afin que ces territoires ne soient pas victimes de la rareté des crédits publics, de la faiblesse des investissements, notamment numériques, et du désenclavement.
Comme vous le savez, ce sont souvent les plus petits qui disparaissent et sont plus fragilisés ; d’où la vigilance nécessaire, que j’ai rappelée à plusieurs reprises dans mon propos.
Le gouvernement actuel a en son sein une ministre chargée de l’égalité des territoires, qui assurera, je pense, une veille permanente sur les territoires ruraux, plus particulièrement sur les campagnes éloignées des grandes métropoles, mais aussi en matière d’égalité fiscale, éducative et sanitaire.
M. Alain Fauconnier. Qu’en avez-vous fait ?
M. Gérard Bailly. J’ai foi dans ces territoires car, élection après élection, des élus de tous bords se battent et se dépensent sans compter pour chacune des parcelles de leur pays, de leur secteur économique et de leur production.
M. le président. Terminez, monsieur Gérard Bailly !
M. Gérard Bailly. Mais pour se battre, il faut des armes, ces armes égales apportées par la solidarité européenne et nationale.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Parlement doit aussi être vigilant, et plus encore en ces temps, pour relever ces défis.
M. le président. Vous parlez depuis vingt-cinq minutes !
M. Gérard Bailly. Je conclus. J’ai foi en toutes ces possibilités que pourra apporter la ruralité à notre pays, et que je viens de rappeler. Je pense que demain plus qu’hier, davantage encore qu’aujourd’hui, les habitants de nos métropoles et de nos grandes agglomérations auront besoin de ces espaces pour se détendre, se distraire et se reposer. Que chacun dans ce pays comprenne la complémentarité villes-campagnes, c’est mon vœu le plus cher ! Que nos territoires ruraux aient foi en l’avenir ! Comme l’a dit le général de Gaulle, « la fin de l’espoir, c’est le commencement de la mort ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. le président. Mes chers collègues, un autre débat, tout aussi important, est prévu à dix-sept heures, qui sera présidé par le président du Sénat lui-même. Je vous demande par conséquent de respecter les temps de parole qui ont été décidés par vos groupes lors de la conférence des présidents. Je fais appel à votre sens des responsabilités.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Gérard Larcher. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur les nouveaux défis du monde rural, demandé par notre groupe, est important. Il intervient quelques jours après l’accord des chefs d’État et de gouvernement sur le cadre financier pluriannuel de l’Union européenne, qui marque une diminution globale et progressive des crédits consacrés à la politique agricole commune, de l’ordre de 13 % ; pour la France, la baisse devrait représenter 3 %.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Gérard Larcher. Alors que s’ouvre à la fin de cette semaine le Salon de l’agriculture, on doit s'interroger sur le sens profond de cette évolution, sur les défis généraux que doit relever le monde rural et ne pas oublier qu'il n'y a pas d’avenir pour les « campagnes », pour reprendre le titre du rapport d’information de Gérard Bailly et Renée Nicoux, sans une agriculture performante et de qualité, sans une gouvernance qui n'en fasse pas des territoires supplétifs, sans un engagement volontariste qui les équipe. Les campagnes façonnent les paysages et les rendent attractifs.
J'utilise les termes « monde rural », car c'est bien ce qui caractérise la ruralité aujourd'hui. Ce n’est pas un ensemble homogène, comme le note très bien le rapport d’information. Certains territoires ruraux attirent et se développent, en particulier certaines zones périurbaines et les parties littorales où l’héliotropisme joue un rôle important. À l'inverse, un certain nombre d'autres territoires continuent de décliner et rencontrent de réelles difficultés, qui sont notamment liées à l’enclavement géographique mais aussi technologique. Il faut remédier à cet enclavement technologique, c'est indispensable au développement du maillage des petites et moyennes entreprises sur ces territoires. Je me rappelle à ce propos les nombreux débats que nous avons eus ici sur l'accès au haut débit et au très haut débit, condition sine qua non du développement de ces territoires. (M. Jackie Pierre applaudit.)
Les territoires les plus fragiles sont d'ailleurs souvent ceux qui se consacrent à l'élevage : cela représente 55 % des exploitations et une majorité du territoire agricole. Certains de ces territoires sont-ils condamnés à un inexorable déclin ?
Trois conditions me paraissent essentielles pour relever ces défis.
Tout d’abord, la gouvernance de ces territoires. Monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est bien la question de la gouvernance de ces territoires qui est posée. En effet, n'en doutons pas, un certain nombre de réformes qui nous sont ici proposées conduiront ces territoires à ne plus être représentés – et c'est un élu urbain et périurbain qui vous le dit ici ! – que de manière marginale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – Mme Bernadette Bourzai et M. Alain Fauconnier s’exclament.)
Je prends l'exemple du département du Gard. Quand le territoire des Cévennes ne sera plus représenté que par un très grand canton, alors que l'ensemble de la représentation se fera le long de la côte, croyez-vous que ce territoire rural pèsera d'un quelconque poids dans la décision politique ?
M. Rémy Pointereau. Il ne pèsera rien du tout !
M. Gérard Larcher. Nous, assemblée des territoires, nous sommes l'assemblée de la correction des zones qui sont pauvres démographiquement, mais qui ont besoin d'un avenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume. Nous allons le faire !
M. Gérard Larcher. C’est le sens profond du Sénat, qui n'est pas l'homothétie de l'Assemblée nationale.
M. Jean-Luc Fichet. Et la fermeture des services publics ?
M. Gérard Larcher. En tant qu'élu urbain d'un territoire de 1,4 million d'habitants, je crois pouvoir dire que c'est la responsabilité bien particulière que nous avons ici, au Sénat. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP. – M. Daniel Dubois applaudit également.)
Mes chers collègues, l'annonce de la diminution des dotations de l'État aux collectivités territoriales…
M. Jackie Pierre. Catastrophe !
M. Jean-Luc Fichet. Dix milliards d'euros !
M. Gérard Larcher. … pèsera beaucoup moins sur la commune de Rambouillet que sur les communes voisines du sud-Yvelines ou de l'Eure-et-Loir…
M. Jackie Pierre. Exact !
M. Gérard Larcher. … où les dotations de l'État représentent 50 % du budget de fonctionnement de ces communes.
Si nous ne sommes pas très attentifs à ces communes et à ces intercommunalités rurales, au-delà du problème de la répartition des pouvoirs, c'est celui de l'avenir même de ces territoires et de leur vitalité qui sera posé.
Voilà pourquoi je voulais poser très clairement, eu égard à la responsabilité qui est la mienne, la question – essentielle ! – de la gouvernance du territoire rural. (M. Jackie Pierre ainsi que Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Daniel Dubois applaudissent.) Sinon, nos débats n'auront été qu’une succession de bla-bla et le territoire rural sera progressivement gommé au profit des territoires urbains.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. Gérard Larcher. Cela ne signifie pas qu'il faut opposer territoire rural et territoire urbain,…
M. Gérard Cornu. Tout à fait !
M. Gérard Larcher. … bien au contraire. Le lien entre territoires ruraux et villes est tout à fait essentiel et les villes doivent considérer le territoire rural non pas uniquement comme un lieu de recréation ou d’espace, mais comme un élément majeur du développement économique du pays.
Monsieur le ministre, vous êtes sans doute, parmi les ministres, celui qui porte l'un des rares excédents budgétaires de notre pays, en tout cas en matière de commerce extérieur.
M. Charles Revet. Grâce à l'agriculture !
M. Gérard Larcher. Et cette année s'annonce plutôt bonne.
En d’autres termes, la troisième condition, au-delà de la gouvernance et de l'aménagement du territoire, c’est une agriculture performante (M. Jackie Pierre applaudit.),…
Mme Sylvie Goy-Chavent. Eh oui !
M. Gérard Larcher. … une agriculture qui produise. Quand nous prenons un certain nombre de décisions, notamment en ce qui concerne les normes, veillons à ne pas faire de l'agriculture d'aujourd'hui ou de demain la sidérurgie d'hier. Il nous faut être particulièrement attentifs à ce sujet.
Je prendrai un exemple qui peut sembler marginal, mais auquel les Bretons seront sensibles : les normes liées au bien-être animal et leurs incidences dans le secteur des poules pondeuses. En tant que vétérinaire, je sais combien le bien-être animal est important. Pourtant, nous allons assister à la disparition de 20 % des 9 000 exploitations consacrées aux poules pondeuses, tout simplement parce que les éleveurs seront financièrement dans l’incapacité de s'adapter à l'application brutale de cette norme.
M. Jackie Pierre. Tout à fait !
M. Charles Revet. C’est exact !
M. Gérard Larcher. Au-delà, nous voyons les prix pour les consommateurs augmenter et nous allons importer sans traçabilité un certain nombre de productions avicoles et de production d’œufs de pays extérieurs. On marche un peu sur la tête…
Il faut également tenir compte de la fragilité des filières et on voit en ce moment combien cette question est sensible. Se pose aussi celle du revenu agricole. Si les Yvelines sont naturellement assez peu agricoles, le sud du département est un territoire céréalier. Certes, je me réjouis que le revenu des céréaliers augmente, mais je relève que le revenu des éleveurs du Perche, tout proche de mon département, est plus de deux fois moins important, que celui des éleveurs de bovins est de 10 000 euros encore inférieurs. Je note également que, pour les maraîchers, vous avez supprimé l'exonération partielle des cotisations patronales pour ceux qui viennent aider à la récolte. C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous considérons aujourd'hui que vous avez pris des décisions allant contre la compétitivité de l'agriculture française. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Daniel Dubois applaudissent également.)
Monsieur le ministre, à un moment où nous devons installer de jeunes agriculteurs, il a été décidé de baisser largement – le rapport de notre collègue Gérard César l’a montré – les dotations à l'installation des jeunes agriculteurs. En fait, le territoire rural est une chance pour la France…
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Gérard Larcher. … et c'est un défi que nous devons relever. C'est bien ce défi-là que Gérard Bailly a tracé dans ces propos.
Il faut une nouvelle agriculture intégrée qui soit orientée vers des circuits courts, vers des labels d’indication géographique protégée, les IGP, mais qui soit aussi une force exportatrice, car le monde aura besoin demain de l'Europe pour se nourrir ; ne l'oublions pas et chassons ces clichés d’une agriculture qui ne serait qu'un aménagement du territoire ou de son paysage. Nous avons besoin de cette nouvelle agriculture. Comme ancien ministre du travail, je n'oublie pas que l'industrie agroalimentaire est l'un des rares secteurs où nous avons évité la désindustrialisation. Nous devons prendre en compte cette réalité.
Monsieur le ministre, voilà pourquoi ces défis me semblent exiger une autre politique de gouvernance des territoires, c'est-à-dire de choix de représentation de ces territoires, une politique volontariste d'aménagement du territoire et, je l’affirme très clairement, d’un soutien à l'agriculture et à la filière agroalimentaire, notamment les productions animales dans les temps qui viennent. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – MM. Pierre-Yves Collombat et Aymeri de Montesquiou applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Renée Nicoux.
Mme Renée Nicoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis à mon tour que le monde rural soit mis à l’honneur aujourd'hui devant notre assemblée et que nous prenions le temps de débattre de son avenir. La question qui nous occupe est aussi vaste que complexe, aussi cruciale que d’actualité.
Il y a quelques semaines, mon collègue Gérard Bailly et moi-même avons présenté un rapport d’information sur l’avenir des campagnes pour la délégation sénatoriale à la prospective. Pour autant, aujourd'hui, nous en avons lui et moi une interprétation quelque peu différente.
M. Charles Revet. C’est normal !
Mme Renée Nicoux. Pour envisager cet avenir, il a fallu dresser un état des lieux. Il est alarmant. Ce constat nous a permis d’établir un scénario d’évolution de nos territoires ruraux inacceptable, qui conduirait, si rien n’était fait pour l’inverser, à sacrifier purement et simplement nos campagnes.
Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’elle est paradoxale. En effet, alors même que le dynamisme démographique des territoires ruraux est avéré depuis près de trente ans avec un nouvel exode urbain, que les Français aspirent de plus en plus à s’y installer,...
M. Charles Revet. Tout à fait !
Mme Renée Nicoux. ... que les innovations techniques, sociales et économiques y sont de plus en plus intéressantes, alors même que beaucoup ont enfin pris conscience que les territoires ruraux sont avant tout une chance pour la France et non une charge, le risque de les voir définitivement transformés en espace de relégation n’a jamais été aussi fort.
Nous sommes aujourd’hui à un tournant majeur pour ces territoires. Le contexte économique, politique et social actuel augure des changements sociétaux profonds qui, dans les prochaines années, auront un impact sur nos modes de vie.
Si les territoires ruraux ne prennent pas leur place, pleine et entière, dans des réformes qui seront inévitablement menées, ils seront condamnés. Or les défis sont nombreux.
Mes collègues qui viennent d’intervenir l’ont souligné, même si je ne partage pas tout à fait leur analyse, l’agriculture traverse une crise, certes inégale selon les secteurs, mais importante et durable. Le détricotage de la PAC, la concentration des exploitations, la régression des surfaces agricoles, le problème de renouvellement des générations sont autant de facteurs qui mettent à mal notre modèle agricole et impactent la vie et le paysage de nos territoires ruraux.
Même s’il ne faut pas que la ruralité soit réduite à la seule place de l’agriculture dans le monde rural, personne ne peut nier que ce secteur d’activité est important et joue un rôle primordial dans notre société par la production d’alimentation et par la façon dont est façonné notre environnement.
L’artificialisation des sols se poursuit. Entre 2003 et 2009, elle a affecté l’équivalent d’un département, ce qui n’est pas sans conséquence pour l’aménagement du territoire, la qualité des paysages et le maintien des activités agricoles.
La crise énergétique a des conséquences profondes sur les populations rurales. Le mitage urbain génère des coûts supplémentaires en termes de transport et d’énergie. L’éloignement croissant entre le lieu de travail et le lieu de vie est de plus en plus contraignant financièrement. En effet, si un Français sur quatre réside dans une commune rurale, seul un Français sur huit y travaille.
La sociologie des populations rurales peine à se diversifier et s’accompagne d’un vieillissement global et d’un phénomène inquiétant d’immigration de la pauvreté urbaine vers les campagnes.
Les services publics de proximité se raréfient, conséquence inévitable de la révision générale des politiques publiques…
M. Jean-François Husson. On verra avec la MAP !
Mme Renée Nicoux. … qui oblige à des efforts de mutualisation souvent difficiles. Or, sans services publics, il n’y a ni attractivité ni maintien des populations.
De la même manière, l’offre de santé se rétracte dans les territoires les plus fragiles. Le groupe de travail sénatorial sur la présence médicale sur l’ensemble du territoire qu’a présidé notre collègue Jean-Luc Fichet y revient longuement dans son rapport.
En somme, et j’espère que vous excuserez la noirceur du tableau que je suis en train de dresser, monsieur le ministre, mes chers collègues, les inégalités territoriales s’accroissent et nous risquons d’arriver, tôt ou tard, à un point de non-retour.
Pour autant, il n’est bien évidemment pas trop tard. Sinon, nous ne serions pas là aujourd’hui pour débattre.
La situation est paradoxale, car, malgré ces constats alarmants, une réelle prise de conscience du potentiel de nos « campagnes » a eu lieu ces dernières années.
Des projets, souvent innovants, fleurissent, portés par des acteurs dynamiques et créatifs. Des complémentarités se développent entre les territoires. De jeunes générations viennent s’installer avec de véritables projets de vie. Des filières agricoles, qualitatives et durables, se développent également, souvent portées là aussi par des jeunes.
Tous les ingrédients d’un développement harmonieux de nos territoires existent. Les graines sont en terre et c’est à nous, décideurs politiques et législateurs, de les aider à pousser.
Nous œuvrons déjà en ce sens dans nos collectivités et il est désormais temps de le faire au niveau national, dans un cadre législatif et réglementaire rénové.
Dans le rapport que nous avons présenté sur l’avenir des campagnes, nous identifions quatre leviers de croissance majeurs, indispensables à la mise en place d’une véritable politique structurelle de développement à long terme de toutes nos campagnes, dans leur diversité.
Le premier levier concerne la gouvernance de nos territoires, et donc la question cruciale de l’organisation et du pilotage des politiques publiques.
La réforme proposée se préoccupe de la proximité, nécessaire pour une meilleure prise en compte de la ruralité. Il ne s’agit pas, comme je l’ai entendu tout à l’heure, d’éloigner la décision des territoires.
Il est aujourd’hui indispensable de renouer avec une véritable politique d’aménagement du territoire, passant nécessairement par une simplification des normes, lesquelles ne sont pas récentes, monsieur Larcher, mais dont l’extrême profusion pénalise lourdement, non seulement les entreprises, mais aussi les communes rurales, dépourvues de moyens pour les mettre en œuvre.
M. le président. Veuillez conclure, madame Nicoux.
Mme Renée Nicoux. De même, une véritable politique nationale d’aide en ingénierie territoriale est plus que jamais nécessaire pour apporter un appui technique aux élus locaux. (M. Gérard César marque son impatience.)
Par ailleurs, il est indispensable de mener des politiques différenciées en fonction des réalités locales. En tant qu’élue d’un territoire dit de montagne, j’insiste sur ce point : les spécificités géographiques ou démographiques doivent être prises en compte. Une application indifférenciée de la loi sur l’ensemble du territoire, qui ne prendrait en compte ni les coûts ni les temps de transport, renforcerait les inégalités.
M. le président. Il vous faut conclure, ma chère collègue.
Mme Renée Nicoux. Il me semble que notre groupe accuse un certain retard dans l’utilisation de son temps de parole par rapport au groupe UMP, dont le premier orateur a dépassé de cinq minutes le temps qui lui était imparti, monsieur le président.
M. le président. Je me dois de faire respecter les décisions de la conférence des présidents.
Mme Renée Nicoux. Je souhaite terminer ! Finalement, et c’est peut-être ici le point le plus important, il faut renforcer des politiques de redistribution et de solidarité nationale, pour éviter que ne se forment des poches de pauvreté dans les territoires. Une meilleure répartition des financements est essentielle, tout comme la mise en place effective d’une véritable péréquation entre les territoires.
Le deuxième levier identifié est l’accès aux services et équipements publics.
Le troisième levier a trait à la mobilité. Le désenclavement de nos campagnes est indispensable pour leur développement. Un accès satisfaisant aux réseaux physiques, que ce soit pour les entreprises et les populations, est indispensable. Il faut donc sanctuariser les financements nécessaires pour l’entretien et le développement des dessertes routières et ferroviaires.
Le quatrième levier concerne l’accès au très haut débit. C’est une condition sine qua non de l’attractivité de nos territoires. C’est une nécessité à la fois pour maintenir ou attirer des entreprises en zone rurale, et répondre à une attente très forte de la population.
De plus, à l’heure où nous voulons développer le télétravail, la télémédecine, la téléformation ou l’e-commerce, il serait incompréhensible d’exclure ceux qui, par définition, du fait de leur isolement géographique, seraient les plus susceptibles d’y avoir recours.
Chacun le sait, et je termine par ce point, les défis qui attendent les campagnes sont nombreux et de taille. L’un des principaux est celui des moyens, alors que les campagnes disposent de nombreuses ressources, des aménités positives qui doivent être valorisées à la hauteur des services rendus à l’ensemble du pays au travers, par exemple, d’une taxe spécifique comme la taxe carbone.
Je suis certaine que le dynamisme et le volontarisme qui s’expriment chaque jour, dans nos territoires, permettront de relever ces défis, à condition de bénéficier d’un accompagnement adapté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Ma chère collègue, vous disposiez de cinq minutes, vous vous êtes exprimée pendant neuf minutes ! Je considère que majorité et opposition sont désormais à égalité. À partir de maintenant, en cas de non-respect du temps de parole, je couperai le micro.
La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « les nouveaux défis du monde rural », tel est l’intitulé de ce débat sollicité après la remise du rapport de la délégation à la prospective par les sénateurs Renée Nicoux et Gérard Bailly. Je tiens ici à saluer la qualité de leurs travaux.
Cependant, et de prime abord, permettez-moi de constater que ce n’est malheureusement pas la première fois que nous échangeons sur ce thème. Le constat est connu et même partagé, sans que cela ait permis d’évolutions pour les territoires ruraux. Cette situation n’est plus acceptable.
Alors que les majorités gouvernementale et parlementaire ont changé le 16 juin dernier, nous attendons, au-delà de la création du ministère de l’égalité des territoires, un véritable changement, qui soit réellement profitable aux territoires ruraux et à leurs habitants.
En effet, durant les précédentes années où la droite était au pouvoir, les maîtres mots ont été ceux de l’affaiblissement de l’action publique et de la libéralisation du marché. (M. Jean-François Husson s’exclame.) Les territoires ruraux ont été les premières victimes de cette politique, qui a accentué la fracture sociale et territoriale, plaçant les territoires en concurrence les uns avec les autres, mesurant les politiques publiques à l’aune de la seule rentabilité.
C’est donc bien les conditions d’une nouvelle politique pour la ruralité et même, plus largement, pour les territoires qu’il nous faut envisager maintenant, et en urgence. Il nous faut, pour ainsi dire, passer du constat à l’action.
Je voudrais ainsi revenir sur les quatre leviers identifiés par le rapport, que je regrouperai en deux thématiques : celle de la démocratie au sein des territoires et celle des services publics.
En termes de démocratie, au sein du groupe CRC, nous avons soutenu, lors de la réforme des collectivités de 2010, et nous continuons de soutenir le rôle prépondérant des communes. Les 36 000 communes de notre pays ne sont pas un poids, mais une richesse, qui témoigne de la diversité des territoires. Ainsi, la marche forcée des intercommunalités, sous l’égide des préfets, nous semble être incompatible avec les développements des territoires ruraux, puisque cela conduit à une absorption par les villes-centres de communes plus petites. Personnellement, je défends l’idée qu’il n’y a pas d’intercommunalités fortes sans communes fortes. (Oui ! sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Jackie Pierre. Bravo !
M. Gérard Le Cam. Parallèlement, les politiques de pôles ont conduit à une spécialisation des territoires et à une concentration spatiale des richesses et des investissements, laissant sur le banc des pans entiers du territoire.
Loin de remettre en cause ces logiques, la préparation de l’acte III de la décentralisation conforte cette démarche. D’ailleurs, le rapport remis, tout en reconnaissant « le rôle pivot de la commune », préconise « l’élargissement de certaines structures intercommunales à des ensembles économiquement cohérents ». Pourtant, une telle démarche contribue à éloigner toujours plus les lieux de décisions des citoyens. Je ferai également remarquer à mes collègues que ce qui doit fonder une intercommunalité de projet, ce n’est pas un périmètre économique pertinent, mais le projet politique partagé par les communes et leurs élus. Nous demandons que les communes et leurs représentants élus soient respectés. Nous déplorons ainsi que le débat sur le projet de loi relatif aux modes de scrutin n’ait pas permis une juste représentation des territoires, notamment ruraux, garantissant à la fois le respect de la parité et du pluralisme.
En ce qui concerne les dotations faites à ces mêmes collectivités, le processus engagé organise l’asphyxie des communes, au grand dam de tous les élus locaux. D’ici à 2015, ces dotations devraient baisser de 3 milliards d’euros, et ce alors même que ce sont les collectivités qui supportent majoritairement les dépenses d’investissement.
M. Jean-François Husson. C’est vrai !
M. Gérard Le Cam. Porter atteinte au volume des dotations constitue ainsi très clairement un frein à l’essor de tous les territoires, y compris des territoires ruraux. (Eh oui ! sur plusieurs travées de l'UMP.) Par ailleurs, nous trouvons profondément anormal que les dotations puissent varier du simple au double entre les villes et les territoires ruraux. Celles-ci doivent être impérativement revalorisées. Nous proposons donc que la nécessaire taxation des actifs financiers contribue à revaloriser les dotations des communes rurales en particulier, mais aussi des zones urbaines en difficulté. Cela devrait être possible : la DGF étant accordée par habitant, cela ne toucherait qu’un cinquième de son volume global. On pourrait ainsi estimer de manière purement comptable que, avec un milliard d’euros, la situation pourrait se régler et l’écart être résorbé. Les collectivités assument de plein fouet les conséquences de la crise ; il n’est pas opportun de les priver de ressources.
Par ailleurs, alors que les transferts de charge n’ont jamais été compensés, la réforme des rythmes scolaires va peser une nouvelle fois lourdement sur les budgets des communes.
M. Jean-François Husson. Eh oui ! Le changement, c’est maintenant !
M. Gérard Le Cam. Cette démarche, qui alourdit les charges des communes sans jamais les compenser, contraint certaines communes à réfléchir à de nouveaux transferts de compétences aux intercommunalités, faute de pouvoir y répondre par leurs propres capacités financières.
Alors que les élus de la nouvelle majorité défendaient, voilà encore quelques mois, de nouveaux moyens pour les collectivités, et s’opposaient aux transferts de charge non compensés, nous appelons le Gouvernement à revoir sa copie afin que les élus des territoires disposent enfin des moyens financiers pour mettre en œuvre les politiques pour lesquelles ils ont été élus.
M. Rémy Pointereau. Voilà !
M. Gérard Le Cam. En ce qui concerne la seconde thématique, celle des services publics, je dois vous dire, mes chers collègues, que je trouve amusant que l’initiative de ce débat revienne à nos collègues du groupe UMP.
Mme Laurence Rossignol. C’est cocasse !
M. Gérard Le Cam. En effet, nous devons à l’ancienne majorité nombre de lois ayant entériné la « casse » des services publics, organisant même ce que certains ont pu qualifier de désert français. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
La politique d’aménagement du territoire et de présence des services publics s’est trop longtemps opérée à la calculette, sous l’angle de la contraction de l’action de l’État, notamment dans le cadre de la RGPP, tous domaines confondus.
Je voudrais pour commencer évoquer le plus emblématique d’entre eux, s’agissant des territoires ruraux : je veux bien entendu parler de La Poste. L’ancien gouvernement a privatisé cette entreprise publique, transformé des bureaux de poste de plein exercice en simple agence postale communale ou, pire encore, en point de contact. (Mme Sophie Primas s’exclame.) Cette politique a eu des conséquences dramatiques dans les territoires. Pourquoi, alors que la majorité de gauche était à nos côtés pour combattre cette loi, voilà quelques années, les critères de présence postale n’ont-ils pas été modifiés depuis le mois de mai dernier ? En effet, aujourd’hui encore, des points sont attribués aux bureaux de poste en fonction de l’importance de leur activité. Passé en deçà de la barre des 30 000 points, le bureau se transforme en agence postale communale et la descente infernale s’engage.
Nous demandons au Gouvernement que les critères définissant la présence postale soient adaptés aux réalités rurales, dans le cadre de la convention passée entre l’État, La Poste et l’Association des maires de France.
Il en est de même pour l’hôpital. La loi HPST, que nous avons combattue sur toutes les travées de la gauche, a soumis ce service public aux règles de la rentabilité et a engagé la fermeture d’hôpitaux, opérant sous couvert de rationalisation de l’offre. En Rhône-Alpes, territoire que ma collègue Annie David connaît bien, seul cinq territoires sur les huit départements ont été identifiés par l’Agence régionale de santé, l’ARS. L’hôpital de Saint-Agrève, en Ardèche, est menacé de fermeture parce que son taux d’activité est jugé insuffisant. Mes chers collègues, pourquoi prôner, dans le même temps, la création de maisons de naissance, qui n’offrent pas les mêmes conditions de sécurité qu’un hôpital de plein exercice ? Nous vous engageons à réviser, là encore, les critères de présence territoriale et à organiser la refonte de la loi.
Il en est également de même des seuils de fermeture de classe en zone rurale : au-delà de la création de 60 000 postes, que nous soutenons totalement, il faut, là encore, sortir des logiques comptables et permettre le maintien en zone rurale de structures scolaires de proximité. Le rapport traite la présence de services publics uniquement sous l’angle du temps d’accès. Ce n’est pas suffisant. Il faut aussi renforcer la qualité même des services publics et la formation de ses agents, garantir la nécessaire maîtrise publique pour répondre prioritairement à l’intérêt général et, pour ce qui nous concerne aujourd’hui, adapter la législation et les critères aux réalités rurales si spécifiques.
Le rapport traite aussi des infrastructures de réseau que sont les transports et le numérique. Là encore, mes chers collègues, je crois qu’il faut être clair et affirmer la nécessité de ne pas laisser à la seule initiative privée le choix de la localisation des réseaux.
À défaut, ce sont des pans entiers du territoire qui resteront au banc de la révolution numérique. Pourtant, les financements existent. Je vous rappelle ici que la rente du cuivre permet à France Telecom, société aujourd’hui privatisée, d’afficher un taux de profitabilité maximum, de l’ordre de 28 milliards d’euros sur cinq années. Une telle somme aurait permis le fibrage de l’ensemble du territoire…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Gérard Le Cam. Je raccourcis mon propos, monsieur le président.
Pour finir, je voudrais souligner l’importance de la revitalisation des bourgs, qui permet de ne pas empiéter inutilement sur les terres agricoles. Par ailleurs, la diversification de l’agriculture de proximité doit être favorisée. Nous serons à ce titre très attentifs aux évolutions de la PAC.
Alors que 40 % des citadins d’agglomérations de plus de 100 000 habitants souhaitent s’installer à la campagne,…
M. le président. Concluez !
M. Gérard Le Cam. … soit 8 millions de personnes aspirant ainsi à une meilleure qualité de vie, davantage en prise avec la terre et la nature, il faut que les pouvoirs publics permettent concrètement d’accueillir ces nouveaux habitants. Il faut maintenant relever le défi et poser des actes pour le changement.
En conclusion, le monde rural français mérite de nouveaux moyens et de nouveaux critères d’attribution. Les élus ruraux sauront faire le reste ; faites-leur confiance !
Un sénateur du groupe UMP. C’est mal parti !
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, fondamentaliste de la ruralité,…
M. Aymeri de Montesquiou. … je suis convaincu qu’elle est synonyme de modernité. La transformation spectaculaire du monde rural ces dernières années le confirme, mais les défis qui s’offrent à lui sont nombreux. J’en retiendrai trois.
L’accès au très haut débit sur tout le territoire dans les meilleurs délais doit être l’une des priorités du Gouvernement. Nous savons le coût considérable d’un tel objectif, mais il faudrait un plan similaire au plan téléphone qu’avait lancé et réalisé le président Giscard d’Estaing pour connecter tous les Français à moyen terme – à l’époque, le coût de ce plan était aussi très élevé.
Les zones blanches, encore trop nombreuses, handicapent les zones rurales. Aucun de leurs habitants ne peut aujourd’hui vivre sans Internet : ni les agriculteurs, ni les viticulteurs, qui remplissent des déclarations désormais dématérialisées, ni les entreprises qui s’implantent en milieu rural et qui en sont dépendantes pour leur implantation et leur développement.
Quel calendrier le Gouvernement a-t-il retenu pour un aménagement numérique des territoires ruraux qui permettrait, de surcroît, d’exploiter pleinement la taille de notre territoire ?
Le Sud-Ouest, souvent touché par la sécheresse, manque cruellement de retenues d’eau. Les agriculteurs sont dans l’incapacité de récupérer et de stocker les eaux pluviales, particulièrement abondantes cette année, faute de réservoirs. Les spécialistes de l’eau estiment que la collecte de 1 % des précipitations du mois de janvier aurait assuré plus que le volume d’eau nécessaire pour l’arrosage de l’année ! La création de retenues est donc nécessaire,…
Un sénateur du groupe UMP. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. … à grande comme à petite échelle, pour augmenter la productivité à l’hectare.
Les agriculteurs sont favorables à la création de réserves d’eau et prêts à y investir. Or plusieurs freins réglementaires existent et devraient être levés :…
M. Jean-Pierre Raffarin. Exact !
M. Aymeri de Montesquiou. … relèvement des seuils d’autorisation, suppression des délais de recours…
M. Jean-Pierre Raffarin. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. … et prise en compte de mesures de compensation en cas de création de réserves sur cours d’eau ou zones humides. (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
À l’échelle locale, le Gers, par exemple, a toujours favorisé la création de retenues collinaires pour l’irrigation, souvent de volume modeste. À quand la concrétisation du projet de décret prévoyant une simplification administrative pour les petits ouvrages retenant moins de 50 000 mètres cubes en les retirant de la classe D ?
À plus grande échelle, le barrage de Charlas irriguerait six départements dans deux régions ;…
M. Alain Chatillon. Oui !
M. Aymeri de Montesquiou. … projet intelligent et bien pensé, il fait la quasi-unanimité des responsables politiques de la région. Quelle est votre position sur ce dossier, monsieur le ministre ?
Un autre défi : les exportations. La France, quatrième exportateur mondial, traditionnellement grand exportateur agroalimentaire, est surclassée dans certains secteurs et talonnée dans tous les autres par l’Allemagne où, pourtant, les terres sont de moins bonne qualité, le climat moins favorable et la tradition agricole moins marquée que dans notre pays. Ce paradoxe et, donc, cette anomalie traduisent certainement les faiblesses de l’organisation et du financement de l’agriculture française.
La stratégie industrielle allemande de concentration des industries agroalimentaires, d’aide à l’export, de réduction du coût du travail a permis d’accroître la compétitivité des produits de l’Allemagne. Il s’agit là d’un exemple édifiant en faveur de la baisse de nos charges.
En effet, notre difficulté à exporter vient, dans la quasi-totalité des cas, non pas de la qualité de nos produits, mais de leur coût. Dans le secteur céréalier, ces coûts risquent de nous couper du marché international et de nous faire supplanter par les Russes ou les Ukrainiens, voire par les Kazakhs, alors qu’il existe un potentiel de développement considérable au regard de l’augmentation attendue de la population mondiale dans les vingt années à venir. Cette projection devrait rassurer nos agriculteurs, pour peu qu’on leur donne les moyens d’en profiter en baissant leurs charges.
Monsieur le ministre, vous connaissez l’agriculture. Je souhaite que vous preniez en compte ses problématiques simples, qui mettent quasiment chaque fois en cause le coût de nos productions. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Court mais efficace, comme toujours !
M. le président. La parole est à M. Christian Bourquin.
M. Christian Bourquin. Monsieur le président, monsieur le ministre de la ruralité, de l’agriculture, de l’agroalimentaire et d’autre chose (Sourires.),…
M. Didier Guillaume. La forêt !
M. Christian Bourquin. … mes chers collègues, quels nouveaux défis pour le monde rural ? Voilà un débat qui tombe à point nommé, dans la foulée de la publication du rapport d’information, fait au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, qui interroge l’avenir de nos campagnes, mais aussi à la veille de l’ouverture du nouveau volet 2014–2020 de la politique de cohésion européenne.
Sur ce point, je crois qu’il serait utile de s’interroger sur l’utilisation, à l’échelon national, des investissements territoriaux intégrés. Ces derniers sont encore, pour l’essentiel, concentrés vers les villes et profitent, le cas échéant, par ricochet, à leurs alentours, ce qu’on appelle leur hinterland.
Rien pourtant ne nous empêche de recourir à cet instrument, destiné à promouvoir une approche locale de développement, pour appuyer des projets communaux ou régionaux en faveur de la ruralité. D’ailleurs, tout laisse accroire – j’en reparlerai tout à l’heure – que les habitants des villes sont loin de se désintéresser des possibilités de vie offertes loin de leurs murs, à la condition que les riantes campagnes dans lesquelles ils aimeraient désormais pouvoir s’installer soient aménagées.
Tel est, monsieur le ministre de la ruralité, le changement de paradigme que j’appelle de mes vœux. Car il est bien là, ce nouveau cadre général dans lequel on gagnerait à resituer les nouveaux enjeux d’aménagement du territoire : créer une véritable solidarité républicaine entre le monde urbain et le monde rural. Une solidarité qui serait conçue non pas comme une démarche de sauvetage d’un monde rural considéré, depuis la capitale, comme un lieu trop particulier car pas assez peuplé, mais comme une démarche visant à organiser des échanges fructueux entre nos villes et nos campagnes, à déployer de véritables projets structurants pourvoyeurs d’avenir, qui pourraient relever de l’initiative même des territoires ruraux.
Le monde rural, cela a été rappelé au cours de ce débat, représente 80 % du territoire et 20 % de la population. Cela étant posé, je pense que nous sommes tous d’accord – c’est en effet le cœur de la proposition de résolution relative au développement par l’État d’une politique d’égalité des territoires, déposée par mon groupe et votée à l’unanimité par le Sénat – pour dire, mes chers collègues, que l’angle démographique et comptable ne doit pas structurer à lui seul une politique publique digne de ce nom pour le monde rural. Je renvoie notamment au binôme…
En outre, cette réalité territoriale rurale n’est pas homogène. Il faut distinguer ce qui relève de la ruralité – il est sur ce point très significatif d’observer que l’INSEE la caractérise par défaut, puisque l’institut considère qu’elle englobe tout ce qui n’est pas une unité urbaine ; c’est tout de même un peu fort ! – de ce qui relève de l’hyper-ruralité, laquelle se caractérise par un éloignement généralisé des services publics, de la culture, des cabinets médicaux, des universités, des pharmacies, et même des commerces de bouche tels qu’épiceries ou boulangeries.
Enfin, les territoires ruraux ne constituent pas des zones figées dans le temps. Là aussi, la donne change. Ainsi, depuis une quinzaine d’années, on constate que de nouvelles populations s’y installent. Elles sont en quête d’un mode de vie plus harmonieux, plus proche de la nature, tout en exprimant le souhait de ne pas renoncer à ce que trop longtemps les pouvoirs publics ont procuré en priorité aux urbains.
Certains font ainsi le choix d’y passer leur temps libre, d’autres d’y acquérir une résidence secondaire ; d’autres encore aimeraient s’y installer à la condition de pouvoir y trouver de nouveaux équipements, un accès aux services publics, une connexion permanente avec l’extérieur, la possibilité d’utiliser les nouvelles technologies de communication...
Je souhaiterais écarter d’emblée la question de l’accessibilité à ces nouvelles technologies. Non pas que l’enjeu soit ténu. Au contraire, il est l’une des conditions sine qua non de la réussite des territoires ruraux, notamment en termes d’accès au service public. Toutefois, selon moi, il n’entre pas dans le sujet du débat qui nous occupe. En effet, en matière d’accès au haut débit, les décisions ont déjà été prises : il s’agit de rattraper le retard pris dans leur mise en œuvre et non de travestir un ancien dossier pour le présenter comme un nouveau projet !
S’agissant des nouveaux défis à relever pour les territoires ruraux, deux axes de réflexion se dégagent : le premier concerne la gouvernance, le second la mise en valeur du potentiel de nos territoires.
La pertinence du choix de gouvernance pour le monde rural constitue en elle-même un enjeu important. La ruralité s’appuie encore aujourd’hui sur un découpage très traditionnel de la représentation démocratique : les communes et les cantons. Or, dans bien des cas, on constate que la commune n’est plus en capacité de répondre seule aux besoins d’aménagement. Elle n’en demeure pas moins le lieu de vie par excellence, l’espace incontournable de la proximité sociale, de l’expression républicaine et des échanges.
Toutefois, c’est bien souvent à la communauté de communes de prendre le relais en matière d’investissements et de gestion, par exemple pour acquérir et faire fonctionner des équipements lourds et coûteux, ce qui nécessite la mobilisation de capacités financières mutualisées.
De manière générale, la réflexion sur le développement gagnerait à être appréhendée au moyen d’échelles plus pertinentes, suivant la logique des bassins de vie. Tel fut le principe, par exemple, qui présida à la création des parcs naturels régionaux. Je constate d’ailleurs que ces derniers tendent à être désormais perçus par certains observateurs comme des outils de protection au sens strict. Il s’agit d’une bien étrange vision, étriquée, appauvrie, réductrice... Voilà qui est bien dommage !
En ce qui concerne les bassins de vie, nous pourrions également, avec profit, veiller à leur intégration dans un ensemble plus large, irrigué par les réseaux de transports, les flux et les échanges économiques avec les agglomérations et accueillant des espaces de loisirs... Telle est la vision développée dans la révision du schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire, le SRADDT, que j’ai conduite dans ma région, en Languedoc Roussillon,…
M. Jean-Jacques Lozach. Très bien !
M. Christian Bourquin. … comprenant – je le précise en particulier pour vous qui appréciez – notamment la définition des avant-pays.
M. Jean-Jacques Lozach. Bravo !
M. Christian Bourquin. À titre d’exemple, et avant que vous disiez « Bravo ! » (Sourires.), je citerai la Lozère et les cinq aéroports du Languedoc-Roussillon. Ces derniers, qui ne sont pas en Lozère – l’aéroport le plus proche se trouve à 180 kilomètres –, lui procurent pourtant un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros par an. C’est cela, l’unité régionale.
M. Didier Guillaume. Eh oui !
M. Christian Bourquin. Je vous remercie d’apprécier. (Sourires.)
M. Didier Guillaume. Vous êtes bon !
M. Christian Bourquin. J’aimerais évoquer – rapidement, car le temps me manque et vous me faites dévier de mon propos (Nouveaux sourires.) – les atouts du monde rural.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Christian Bourquin. Ils sont nombreux, monsieur le ministre.
M. le président. Je vais être obligé de couper votre micro, mon cher collègue !
M. Christian Bourquin. Je vous demande juste quelques instants, monsieur le président.
Le monde rural et son mode de vie sont attrayants. Je l’ai déjà évoqué : certains souhaitent s’y installer, d’autres y passer leurs loisirs. Les besoins que les uns et les autres expriment vont toujours dans le sens de la qualité de vie, et donc du maintien des services et du maillage territorial.
Le maintien des activités agricoles constitue également un enjeu fort, non seulement en termes d’emplois dans le secteur même de la production et dans celui de l’agroalimentaire afférent, mais aussi en termes d’entretien des paysages. Avec une exploitation agricole qui disparaît, c’est tout un espace qui se referme. Toujours dans ma région, en Languedoc-Roussillon, nous savons ainsi très bien que l’arrachage de la vigne constitue un désastre pour l’emploi, pour l’économie vinicole,…
M. Didier Guillaume. Tout à fait !
M. Christian Bourquin. … mais aussi un repoussoir pour tous ceux qui viennent s’inspirer et s’imprégner de la culture méditerranéenne.
M. Jean-Jacques Lozach. Très bien !
M. Christian Bourquin. Mais je pourrais aussi parler de la Bretagne (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.) Dans cet hémicycle, nous sommes les représentants de toute la France ! Quand un marais se referme, les inondations et la pollution surviennent rapidement !
En outre, le monde rural est riche d’avenir et de la promesse d’une transition énergétique aboutie et de la création d’emplois pérennes. Je pense à l’eau, au bois, à la pêche, à la chasse,…
M. Gérard Larcher. Tout à fait !
M. Christian Bourquin. … toutes ces activités qui font vivre le territoire.
Pour conclure – M. le président va vouloir que j’achève là –,...
M. le président. Effectivement !
M. Christian Bourquin. … je souhaite à notre ruralité des projets ambitieux, valorisants, résolument modernes. Je souhaite que le prochain rapport de prospective du Sénat qui les concernera, contrairement à celui qui vient d’être rendu, tout aussi excellent et lucide soit-il, n’aborde plus la question du moins pire des scenarii à envisager, mais celle du meilleur.
Monsieur le président, monsieur le ministre, voilà tracées quelques pistes pour l’avenir de la ruralité en France ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean Boyer applaudit également.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Jacques Blanc est de retour ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la succession va être difficile à assurer… Mon prédécesseur ayant cité, au titre des territoires français, des espaces ruraux, la Bretagne, je songe aux espaces maritimes, lesquels, bien que n’entrant pas dans le cadre du présent débat, font partie de la ruralité au sens large.
M. Christian Bourquin. Il faut penser à la Méditerranée !
M. Joël Labbé. La France demeure un espace essentiellement rural, maillé par près de 30 000 communes rurales. Elles en font la richesse et représentent 78 % du territoire métropolitain et 22 % de la population.
Comme le dit la prospectiviste Édith Heurgon dans le récent rapport d’information sur l’avenir des campagnes : « On ne peut dissocier l’avenir des campagnes de l’avenir des villes. L’un des défis du monde contemporain est justement de réinventer nos territoires vers des devenirs souhaitables – des devenirs plutôt que des avenirs, d’ailleurs. Et si l’avenir est ce que nous prévoyons, le devenir est ce que nous construisons ensemble. »
Construire ensemble implique de partager certains constats. Je partage celui qui est établi dans le rapport, au demeurant fort complet – je salue à cette occasion le remarquable travail réalisé –, selon lequel les profils économiques de l’espace rural et de l’espace urbain ne sont pas si différents.
Il apparaît que les services, suivis par l’industrie, sont les premiers pourvoyeurs d’emploi dans ces deux catégories d’espaces. Sans surprise, l’agriculture tient une place particulière à la croisée de ces espaces. Sans surprise une fois de plus, l’emploi agricole subit, hélas ! une érosion continue, qui doit être rapprochée de l’augmentation de la taille des exploitations. Pour ce qui concerne l’industrie, en dépit de la tendance générale, les implantations rurales résistent à la désindustrialisation, notamment en raison de délocalisations d’établissements en provenance des villes. C’est une chance. Mais ce sont les activités tertiaires qui progressent le plus, avec une croissance annuelle de 2 % dans l’espace à dominante rurale. Or, à la différence de l’espace urbain, les services y sont presque exclusivement tournés vers la population locale : petit commerce, santé, administration...
La nécessaire redynamisation des espaces ruraux doit pouvoir s’appuyer sur le réseau des petites et moyennes villes et des bourgs dotés d’équipements structurants et de l’ensemble des services rendus à la population. De ce point de vue, la généralisation du haut débit est attendue avec impatience. Les territoires ruraux doivent rester, comme actuellement, une chance pour la France.
Ce sont des espaces où l’expérimentation de terrain, l’innovation, le besoin d’interactivité et d’une logique de recherche, qui ne soit pas que descendante, sont très importants. Et ce constat vaut pour toutes les activités économiques. Mais j’aborderai plus particulièrement le développement agricole de ces territoires.
Tout d’abord, les attentes environnementales sont au cœur des demandes de la société. Elles pourraient et devraient de ce fait constituer un moteur économique fondamental, les activités agricoles devant être réorientées afin d’y répondre.
Un nouveau modèle agricole est nécessaire. Il devrait s’appuyer, notamment, sur une agriculture nouvelle – que vous appelez, monsieur le ministre, agro-écologie –, qui doit prendre en compte l’environnement et reposer sur une protection des espaces multifonctionnels, en premier lieu de ceux qui remplissent une fonction dans le maintien durable des ressources naturelles que sont, en particulier, la reproduction de la fertilité et la lutte contre les ravageurs. Les espaces agricoles gagneraient ainsi en fonctionnalité écologique et permettraient une restauration des espèces communes et remarquables qui en dépendent. Il s’agit de rendre possible le développement d’une agriculture qui ne subit pas les nécessaires normes environnementales comme autant de contraintes mais qui, au contraire, tout en produisant, devient une activité essentielle pour la préservation des équilibres et de la biodiversité. Il s’agit également de favoriser une agriculture de proximité qui répond à la demande de produits alimentaires locaux, sains et de qualité.
Or l’un des freins au développement de ce type d’agriculture est constitué par la pression urbaine, qui entraîne notamment une surévaluation du prix du foncier. Aujourd’hui, il devient urgent d’adopter une stratégie d’aménagement du territoire dans laquelle mondes urbain, rural et agricole se rencontrent davantage afin, en particulier, de favoriser le développement d’une agriculture de proximité par la mise en œuvre de projets viables, cohérents et concertés.
Réformer la politique foncière agricole est certes un défi lourd, mais c’est aussi un formidable levier pour faire évoluer notre modèle agricole et de production afin qu’il soit plus acceptable socialement, économiquement viable et durable.
Le productivisme agricole qui s’appuie sur l’agrochimie, la financiarisation des matières premières et la transformation nous mène droit dans le mur. Aujourd'hui, les éleveurs sont acculés. Les abattoirs de proximité ferment. Tel est le cas en Bretagne.
Les écologistes le réaffirment : la sécurité alimentaire et la traçabilité des produits sont une priorité de santé publique. Et notre législation doit être améliorée sur ce point. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste – MM. Jean Boyer et Henri Tandonnet applaudissent également.)
M. Didier Guillaume. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Benoît Huré. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Benoît Huré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis très heureux de la tenue ce débat et de pouvoir y contribuer. Au-delà de son organisation, c’est un débat sociétal, voire social, qui est ouvert. En effet, 90 % de la population répartie sur 10 % du territoire, est-ce encore acceptable longtemps ? Mais j’en conviens, sur la plupart des territoires ruraux, la situation n’est plus celle qu’a si bien relatée, dans les années soixante, Jean Ferrat dans sa célèbre chanson La montagne, qu’il aurait d’ailleurs pu intituler La campagne, dans les termes suivants : « Ils quittent un à un le pays pour s’en aller gagner leur vie loin de la terre où ils sont nés ».
M. Didier Guillaume. L’Ardéchois !
M. Benoît Huré. Pour que cette situation ne soit plus une fatalité, les élus ont tenté de mettre en place des politiques visant à enrayer ce déclin démographique en redonnant aux habitants de ces territoires, notamment à la jeunesse, de bonnes raisons de faire le choix de rester au pays.
Depuis 1975, le déclin démographique s’est progressivement inversé pour connaître aujourd’hui une véritable accélération sur l’ensemble du territoire national.
Enfin, les communes rurales voient s’ouvrir de nouvelles perspectives du fait des évolutions sociologiques, économiques, et des infrastructures qui désenclavent nombre de territoires ruraux.
Les nouveaux habitants de nos territoires, que ce soient ceux qui y sont nés ou ceux qui ont quitté les villes pour venir s’y enraciner, font le choix d’une certaine qualité de vie et du cadre de vie préservé ; mais ils attendent également des services nouveaux, qui leur permettent de concilier leurs activités familiales et professionnelles et la vie en monde rural.
Ils espèrent des services éducatifs de bon niveau. Cela passe par la création de crèches et de haltes-garderies, dont les horaires d’ouverture prennent en compte les temps de transport des parents travaillant à l’extérieur, et d’écoles primaires de qualité associées à un service périscolaire adapté.
Ils comptent sur des équipements sportifs et culturels animés par une vie associative dense, un réseau de communication performant – routes, Internet à haut débit ou encore téléphonie mobile –, des commerces et artisans de proximité, des services de soins et de santé modernes avec des maisons de santé où se regroupent les différentes professions médicales et paramédicales, cette manière de travailler en équipe étant un préalable indispensable à la venue de jeunes praticiens.
Gagner la bataille de la croissance démographique nécessite d’emblée tout un ensemble d’activités et de services de proximité qui trouve les moyens de s’y développer. Et cela repose en grande partie sur la volonté et l’action des collectivités territoriales.
Les collectivités doivent favoriser et accompagner ces créations, s’appuyer sur un maillage de bourgs-centres et de petites communes qui trouvent leur équilibre au travers d’une intercommunalité plus petite à laquelle le maximum de compétences a été transféré par les communes, mutualisant, rationalisant et coordonnant mieux les moyens publics.
Les grandes communautés de communes sans cohérence territoriale répondent très difficilement à cette nécessité et leurs promoteurs sont comparables à ceux qui, dans un autre domaine, confondent chiffres d’affaires et bénéfices.
M. Gérard Bailly. C’est exact !
M. Benoît Huré. Les collectivités doivent également participer aux investissements dans l’immobilier, non seulement dans l’immobilier d’entreprise – artisanal, commercial et de services –, mais aussi dans l’immobilier locatif car nous assistons à une augmentation du nombre de foyers rencontrant les plus grandes difficultés afin de pouvoir emprunter pour devenir propriétaires de leur logement.
Les collectivités doivent de surcroît participer aux investissements dans les domaines de la santé, de la petite enfance et des pôles scolaires modernes, avec la généralisation des écoles numériques durables.
Elles doivent faciliter l’émergence d’un tissu associatif rendant le territoire vivant et permettant d’y trouver les mêmes activités sportives et culturelles qu’en ville, construire un réseau de transports collectifs, dont fait partie le covoiturage, afin de réduire le coût du transport dans le budget des ménages ruraux.
Cette énumération n’est pas exhaustive, mes chers collègues.
Loin de favoriser les villages dortoirs, le nouvel espace rural doit être attractif et actif, comme l’avait si bien démontré notre ancien collègue Jean François-Poncet.
Revivifié, cet espace rural pourra amplifier et conforter son développement à travers l’agriculture, pierre angulaire du monde rural, l’artisanat, le commerce, les services, le tourisme, le télétravail, bref, toutes les formes d’économies résidentielles, ainsi que l’économie sociale et solidaire, à laquelle il offre les plus sûrs moyens d’un ancrage durable.
Pour arriver à ce renouveau de la ruralité, ses différents acteurs – élus mais aussi responsables socio-économiques – doivent faire preuve d’une grande ténacité parce que régulièrement les décideurs parisiens n’ont de cesse de tenter de réduire le peu de moyens publics nécessaires. Ils ont d’ailleurs parfois réussi.
Si, au cours de ces trente dernières années, a pu être enrayé le déclin du monde rural, aujourd’hui, pour relever les nouveaux défis de la ruralité, dont j’ai donné quelques exemples précédemment, nous avons plus que jamais besoin du soutien de l’État et des financements publics qui vont avec ; nous avons aussi besoin que celui-ci soit le garant d’une péréquation entre métropoles et territoires très riches et le reste de la France. L’écart de richesses entre territoires s’est fortement accentué et devient inacceptable, voire indécent. Il va à l’encontre de l’égalité des citoyens et compromet autant leur confiance dans les élus que la crédibilité de nos institutions et l’unité même de notre République.
Trois décisions gouvernementales récentes me préoccupent au plus au point.
Tout d’abord, le choix de l’organisation du territoire français autour de très grandes métropoles, concentrant, à terme, l’essentiel des moyens publics.
Ensuite, la baisse importante, et même inquiétante, des dotations de l’État aux collectivités locales, qui est une première sous la Ve République. Elle a pour conséquence d’affaiblir encore plus les territoires fragiles, qu’ils soient ruraux ou urbains d’ailleurs, parce que l’essentiel de leurs moyens consacrés au fonctionnement et à l’investissement provient des dotations de l’État, alors que dans les métropoles et territoires riches, c’est la fiscalité économique qui est primordiale.
Enfin, la réforme des conseils généraux aboutira à une diminution très importante du nombre d’élus dans les territoires ruraux et fragiles, et donc de leurs défenseurs qui sont les mieux à même de porter les aspirations et les attentes de la population. Par ailleurs, la reconcentration de l’État en région au détriment de sa proximité dans les départements, outre le coût supplémentaire et la lourdeur du fonctionnement qui en résulteront pour tous les acteurs de proximité, rendra incontestablement l’État plus lointain, au risque de le mettre en décalage avec toute cette réalité territoriale qui est une richesse pour notre pays et qui le sera peut-être encore plus demain, au regard, notamment, des enjeux énergétiques et des outils de croissance qu’il faudra valoriser.
Même si j’ai l’habitude de dire que le pire n’est pas certain, ce qui est sûr aujourd'hui, c’est qu’il va falloir se mobiliser pour faire prendre en compte les légitimes aspirations du monde rural et la nécessité pour l’État de le traiter avec équité.
Mes chers collègues, ne voyez dans mes propos aucun esprit polémique. Je n’ai pas attendu le printemps 2012 pour découvrir l’état calamiteux des finances publiques et je sais depuis longtemps que nous devrons participer à la résorption des déficits à condition que l’effort nécessaire soit équitablement réparti.
Alors, monsieur le ministre, quelle est votre vision de l’avenir pour le monde rural ? Quels moyens êtes-vous prêt à mettre avec les acteurs locaux pour y relever rapidement tous les nouveaux défis ?
Selon moi, mettre fin à un certain nombre d’inégalités serait déjà un début de réponse.
Pourquoi pas une DGF, ramenée à l’habitant, égale en rural et en urbain, alors qu’aujourd’hui elle va du simple au double ? Il en va de même pour la DSR par habitant au regard de la DSU par habitant.
Pourquoi ne pas renforcer et accélérer la péréquation horizontale, c’est-à-dire un début de partage de la richesse entre territoires riches et territoires pauvres, celle-là même que la majorité précédente a commencé à mettre en place et qui ne représente pourtant à ce jour que 2 % des richesses ? Or l’enveloppe déjà insuffisante a été récemment amputée d’une partie des sommes pour qu’à la faveur d’une modification réglementaire dans la dernière loi de finances des territoires comme la Seine-Saint-Denis ou les Bouches-du-Rhône puissent en bénéficier...
Monsieur le ministre, vouloir réduire significativement les écarts de richesses entre les grandes métropoles et le reste de la France, c’est rétablir une égalité entre les territoires et faire un investissement d’avenir pour la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi pour débattre des nouveaux défis du monde rural. Mais de quels nouveaux défis parle-t-on ?
Notre pays est confronté à une grave crise économique provoquée par la folie bancaire et financière.
Mme Laurence Rossignol. Très bien !
M. Jean-Luc Fichet. Le changement voulu par les Français au printemps dernier nous a donné de nouvelles perspectives pour l’emploi et la croissance.
Notre pays reste confronté à de grands défis : lutter contre le chômage ; recréer des emplois dans l’industrie ; repenser l’école et l’apprentissage ; réformer l’État ; aller vers un nouveau modèle d’agriculture et repenser la filière agroalimentaire ; répondre aux angoisses de nos concitoyens en matière d’accès au logement mais également sur tout ce qui concerne leur santé et leur alimentation, alors que l’Europe est frappée par un nouveau scandale alimentaire.
C’est dans ce tableau général et à l’aune d’une nouvelle étape de la décentralisation que nous est posée la question des nouveaux défis du monde rural.
La population des communes de moins de 2 000 habitants a progressé en moyenne de 1,3 % par an entre 1999 et 2006.
Nos territoires d’aujourd’hui et de demain sont le fruit de ce nouvel espoir d’un « mieux vivre », tout en étant confrontés à de vraies questions d’aménagement du territoire et de développement économique. Je rappelle ici la nomination utile par le Premier ministre d’une ministre en charge de l’égalité des territoires.
L’égalité des territoires : voilà un des premiers grands défis du monde rural aujourd’hui !
Permettez-moi de développer deux exemples : l’égalité 2.0 et l’égalité d’accès aux soins.
Sur l’égalité 2.0, si nous ne parvenons pas à connecter au très haut débit chaque bourg, chaque hameau, chaque maison, chaque quartier, autant dire que nous ne ferons que maintenir des territoires en respiration artificielle.
Dans ma région, en Bretagne, le schéma de cohérence régional d’aménagement numérique du territoire a défini l’ambition des collectivités bretonnes à apporter le très haut débit à tous à l’horizon 2030.
Afin de maintenir la cohésion du territoire, le principe est simple : une ligne fibrée en ville égale une ligne fibrée dans le monde rural. Le financement de ce projet repose sur une péréquation régionale favorable aux territoires ruraux. Ce projet a été salué par Mme Fleur Pellerin, ministre en charge de l’économie numérique, le 16 novembre dernier.
Le déploiement du très haut débit est bien un axe structurant d’aménagement du territoire.
Autre sujet, autre défi qui se pose au monde rural : l’accès aux soins.
Les maires en sont pleinement conscients. L’absence de médecin pose un problème majeur d’égalité des territoires, d’égalité et de justice entre les citoyens. C’est le cœur du travail que j’ai mené tout récemment avec notre collègue Hervé Maurey sur les déserts médicaux.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, a pris douze engagements pour un pacte territoire-santé. Si ce plan est essentiel, nous avons souhaité aller plus loin au regard d’une situation de plus en plus compliquée pour les communes. Les mesures structurelles et incitatives ont une portée encore trop limitée. Si les solutions prennent forcément du temps, nous estimons que des mesures plus volontaristes sont indispensables dans le seul souci de l’intérêt général.
Il nous faut agir sur tous les leviers, que ce soit la conception des études de médecine, les modes de rémunérations des médecins, les incitations financières existantes, le conventionnement sélectif des médecins ou encore l’obligation pour les médecins spécialistes d’exercer pendant deux ans à la fin de leurs études dans des hôpitaux de proximité.
Ces mesures sont vitales pour l’avenir des territoires ruraux et elles sont un véritable défi pour un nouveau pacte territorial.
Un autre défi nous attend : les communes du monde rural doivent être mieux représentées dans les instances de gouvernance territoriale.
Je présente aujourd’hui devant la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation un rapport, avec mon collègue Stéphane Mazars, sur les nouveaux outils de la politique d’aménagement du territoire.
Les débats qui ont accompagné l’adoption de la loi créant la Banque publique d’investissement ont mis en relief les doutes relatifs à l’efficacité de l’action économique des collectivités territoriales. Pourtant, l’organisation de l’espace, la répartition des hommes, des activités, des infrastructures au niveau régional ne saurait résulter de politiques menées individuellement sans concertation ni coordination. L’action des collectivités territoriales est réelle mais elle est peut-être mal appréhendée, en particulier dans les territoires ruraux.
Nous devons donc travailler à rendre plus lisible, notamment à travers les schémas régionaux d’aménagement et de développement durable du territoire, les SRADDT, l’action des collectivités territoriales rurales.
Et n’oublions pas qu’au total l’investissement des collectivités pour le développement économique a dépassé 5,3 milliards d’euros en 2010, selon la DGCL, la Direction générale des collectivités locales.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Luc Fichet. Dans ces conditions, j’en viens dès à présent à ma conclusion. Je souhaite insister sur la nécessité de maintenir un haut niveau d’investissement des collectivités territoriales, tout particulièrement de celles du monde rural, car c’est par cet outil que pourront naître les nouvelles perspectives de croissance.
Ainsi, si chaque acteur du pacte républicain a son rôle à jouer dans la réduction des déficits, veillons à ne pas brider trop durement le nécessaire développement de nos territoires et engageons un nouveau pacte territorial favorable à l’emploi et à la croissance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – M. Stéphane Mazars applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)
M. Henri Tandonnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les questions rurales trouvent un écho particulier au Sénat, car notre chambre est naturellement très attachée aux territoires et à leur développement.
J’aimerais saluer ici le travail de nos collègues Renée Nicoux et Gérard Bailly, dont le rapport d’information sur l’avenir des campagnes fera référence en termes de nouveaux défis du monde rural.
Je regrette que le Gouvernement ne nous donne pas l’occasion d’être entendus par Mme la ministre de l’égalité des territoires. (Ah ! sur plusieurs travées de l'UMP.) Les défis ruraux reposent sur cette problématique centrale.
Je ne reviendrai donc pas sur les défis que constituent les déserts médicaux, la valorisation du bâti existant ou encore l’accessibilité et les transports. Il me semble cependant indispensable, en matière d’égalité des territoires, d’insister sur deux points.
Premier point : la ruralité reste une réelle alternative à la métropolisation galopante. Les petites et moyennes villes sont essentielles au développement des campagnes environnantes mais aussi de véritables bassins de vie. L’exemple réussi de l’implantation de l’École nationale d’administration pénitentiaire à Agen dans le Lot-et-Garonne, avec ses 6 000 élèves par an, dans un campus performant et moderne, a dynamisé le territoire en renforçant la présence étudiante et en créant des emplois. Évitons d’amplifier un phénomène de concentration déjà excessif. Pourquoi ne pas diriger vers les villes moyennes et les territoires ruraux les emplois contraints administratifs et tertiaires rendus possibles par les nouvelles technologies qui effacent les distances ?
Cela m’amène à mon second point : la cohésion du territoire, son accessibilité et sa valorisation ne se feront pas sans l’essor du numérique. Le défi de la couverture numérique est un vrai motif d’inquiétude tant au niveau national qu’à l’échelle de mon département.
Un territoire rural peut bénéficier d’un réel développement et présenter une forte attractivité si sa couverture numérique est satisfaisante ; dans le cas inverse, il connaîtra un déclin inexorable.
À ce titre, je regrette que le FANT, le Fonds d'aménagement numérique des territoires, demeure à ce jour une « coquille vide ». La proposition de loi de mon collègue centriste Hervé Maurey aurait pourtant aidé à dégager des recettes permettant au Gouvernement d’abonder ce fonds.
Il est urgent de prendre des engagements sur la véritable mise en place d’un « haut débit pour tous ». Cela ne se fera pas sans une recette dédiée au déploiement de la fibre optique dans les territoires ruraux. Une taxe indolore sur le prix des consommations électroniques serait une réponse adaptée.
Pourquoi toujours ces mêmes réticences d’hier et d’aujourd’hui sur le sujet ?
Les points que je viens d’évoquer témoignent d’un monde rural qui s’est profondément métamorphosé au cours de ces quinze dernières années ! Bien sûr, demeurent des questions structurantes pour nos territoires ruraux liées aux défis agricoles.
À l’heure actuelle, la redéfinition de la PAC, la politique agricole commune, constitue l’enjeu essentiel pour nos agriculteurs. Après l’accord du 8 février dernier pour un budget PAC de 362 milliards d’euros, soit une baisse de 13,7% par rapport à l’exercice précédent,…
M. Charles Revet. Eh oui ! C’est énorme !
M. Henri Tandonnet. … c’est avant tout la mise en œuvre de cette PAC qui sera un réel défi, monsieur le ministre.
Je souhaite insister sur les filières spécialisées, qui sont trop peu souvent évoquées. Ces secteurs, tels que celui de la prune, représentent beaucoup d’emplois locaux au service de productions de qualité. Ces filières participent à l’identité de nos territoires.
Les arbitrages que vous devrez effectuer sur ces enjeux, dans les mois à venir, seront de la plus haute importance pour la pérennité de ces filières.
Le système de soutien à l’agriculture qui existe fait actuellement l’objet d’une réforme, et les débats sur les « possibles mesures » environnementales, comme les subventions accordées aux exploitations, ne cessent d’alimenter l’actualité agricole.
Dans le cadre de la redéfinition de la PAC, j’attire tout particulièrement votre attention sur l’exemple de la culture de la prune dont le découplage des aides a montré ses limites.
Les pruniculteurs sont en train de lancer un plan de relance des vergers, pour une production plus respectueuse de l’environnement et plus rentable.
En matière de vergers, un certain nombre d’années est nécessaire pour atteindre un taux de rentabilité satisfaisant. C’est pourquoi un soutien de la PAC lié à la production de pruneaux, et qui aille au-delà de l’aide directe pendant la période de relance du verger, est essentiel pour ces acteurs. Cet exemple peut se décliner sur d’autres filières de fruits.
Enfin, mon dernier point porte sur la gestion des ressources en eau.
La pluie tombée en abondance dernièrement ramène sur le devant de la scène la question de la gestion, et donc du stockage, de la ressource en eau. Le réchauffement climatique, tout particulièrement dans le Sud-Ouest, fait craindre des conditions de plus en plus « méditerranéennes » et donc des périodes de sécheresse plus longues.
Face à cela, comme ont souvent pu le dire certains spécialistes de la question, « soit on subit, soit on anticipe » !
La sécurisation des cultures spécialisées mais aussi la contractualisation agricole ne peuvent s’opérer sans garantie de la ressource en eau.
Force est de constater que la gestion de l’eau répond à des conflits d’usage. Dans ma région, je constate que le développement de la métropole toulousaine, qui s’accroît de 15 000 habitants chaque année, nécessite des ressources importantes en eau. Pourquoi, alors, ne pas créer des réserves d’eau ?
La création de lacs collinaires pourrait contribuer à une importante sécurisation des productions et au maintien des exploitations familiales.
Par ailleurs, la création de réserves de substitution gérées collectivement pourrait soulager la pression sur le fleuve Garonne.
Dans le Sud-Ouest, le projet de barrage de Charlas, qui pourrait être une réelle opportunité,…
M. Gérard César. Oui ! C’est important !
M. Henri Tandonnet. … reste cependant au point mort.
Pourquoi, monsieur le ministre, ces projets ne progressent-ils pas ?
En conclusion, je veux insister sur le fait que l’environnement, l’eau et l’agriculture forment un tout indivisible pour nos territoires ruraux. Les agriculteurs en sont les partenaires à part entière et constituent des gestionnaires essentiels du monde rural. Il convient de ne pas les oublier et, au contraire, de les associer au développement de notre ruralité. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP. – MM. Stéphane Mazars et Joël Labbé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Bas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons pris l’habitude de traiter la question de la ruralité et celle de la ville comme si elles étaient séparées, alors qu’elles sont en réalité complémentaires.
Or tout se passe maintenant comme si la ruralité était ignorée au profit des banlieues,…
Un sénateur du groupe UMP. Eh oui !
M. Philippe Bas. … sans que la concentration des crédits de l’aménagement du territoire au service des problématiques urbaines permette pour autant aux quartiers difficiles de trouver réellement un nouvel équilibre.
Dans le même temps, nous voyons les crédits liés à l’amélioration de l’habitat rural s’amenuiser, voire disparaître,…
M. Didier Guillaume. Cela fait cinq ans !
M. Philippe Bas. … les écoles, les bureaux de poste et les gendarmeries se regrouper, de même que les services hospitaliers,…
M. Didier Guillaume. Cela, ça fait dix ans !
M. Philippe Bas. … et les médecins de campagne partir à la retraite sans être remplacés.
M. Jean-Pierre Raffarin. Quinze ans ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Bas. Le sentiment d’un abandon se diffuse dans le monde rural et, avec lui, une forme de morosité, de dépression ou de crise. Il faut réagir !
Nous avons besoin d’une politique ambitieuse d’égalité des territoires…
M. Charles Revet. Très bien !
M. Philippe Bas. … pour lutter contre cette fracture territoriale qui ne cesse de se creuser. Le Sénat l’a demandé avec toute la force de son unanimité en décembre dernier. Il attend de la part du Gouvernement une réponse qui soit à la hauteur des enjeux.
M. Alain Fouché. Et non un désengagement !
M. Philippe Bas. En 2009, les assises des territoires ruraux avaient débouché sur quarante mesures simples et concrètes. Le Gouvernement avait alors veillé, par la voie de Bruno Le Maire, à préserver le financement de ces mesures de tout gel des dépenses pendant la période 2010–2013. Les zones de revitalisation rurale et les pôles de compétitivité ont ainsi pu être renforcés.
Par ailleurs, 2 milliards d’euros du plan de relance ont été fléchés vers le déploiement des réseaux numériques dans les zones délaissées. L’État s’est également engagé à participer fortement au financement du développement rapide des pôles de santé libéraux ambulatoires.
Enfin, les maisons de service public en milieu rural…
M. Gérard César. C’est très bien !
M. Philippe Bas. … ont bénéficié au cours des années récentes d’une forte impulsion,…
M. Roland Courteau. On ne s’en est pas aperçu !
M. Philippe Bas. … de même que la création d’agences postales dans les mairies, qui permettent de préserver ou de rétablir une certaine proximité des administrations, malgré les regroupements qui sont opérés.
L’utilisation du réseau des buralistes,…
M. Gérard César. Ah !
M. Philippe Bas. … dans le cadre d’un contrat avec la profession, permet aussi de donner de nouveaux relais de proximité aux services publics.
Cet effort doit être poursuivi et amplifié non seulement parce que les valeurs de la ruralité sont au cœur de notre République, mais aussi parce que le monde rural demeure une formidable source de richesse pour notre pays et garde une formidable vitalité.
Comme le soulignent justement, dans leur excellent rapport d’information, nos collègues Renée Nicoux et Gérard Bailly (Plusieurs sénateurs de l'UMP se tournent vers M. Gérard Bailly et applaudissent.), les campagnes, dans leur diversité, sont non pas une charge, mais une chance pour la France.
M. Didier Guillaume. Absolument !
M. Philippe Bas. L’agriculture en porte témoignage, monsieur le ministre. Elle connaît au moins une révolution par génération ; il y a peu d’autres activités dont on pourrait en dire autant !
L’économie rurale reste aujourd’hui fortement liée à l’agriculture. Dire cela, ce n’est pas méconnaître l’importance du tissu des PME rurales et les activités artisanales et commerciales qui assurent la diversité de l’économie rurale, ni négliger le nécessaire essor de l’économie numérique, ni oublier les services publics et les services aux personnes, particulièrement ceux qui touchent à la santé et à l’éducation.
Il serait cependant vain de nier que l’agriculture, avec l’ensemble des activités qui y sont liées, occupe aujourd’hui la première place. Or cette richesse, sans laquelle on ne parlera plus demain de ruralité, est aujourd’hui à plus d’un titre menacée.
Sur les sept prochaines années, 373,5 milliards d’euros seront consacrés à l’agriculture européenne, soit 47,5 milliards de moins que sur la période précédente. Certes, cette baisse de 13 % ne sera répercutée qu’à hauteur de 3 % en France. Le Gouvernement cherche à nous rassurer en soutenant que le pire a été évité. Cette amère victoire, si c’en est une, ne doit pas masquer la réalité : au total, la France percevra 55,8 milliards d’euros entre 2014 et 2020 au lieu des 57,3 milliards de la période précédente.
Quand on se souvient des accords de Berlin qui avaient sanctuarisé pour dix ans le montant des crédits de la politique agricole commune,…
Mme Bernadette Bourzai. Premier pilier !
M. Philippe Bas. … quand on se souvient de l’engagement total du président Chirac et de son premier ministre de l’époque (Eh oui ! sur plusieurs travées de l'UMP.) – je salue Jean-Pierre Raffarin – face au chancelier Schröder…
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Philippe Bas. … pour faire comprendre à nos partenaires qu’un intérêt vital de la France était en cause, quand on se souvient de l’accord finalement donné par l’Allemagne, entraînant avec nous une majorité d’États européens, on mesure combien sont préjudiciables à nos agriculteurs et à l’ensemble du monde rural la faiblesse actuelle de la France sur la scène européenne, son isolement politique face à un axe germano-britannique qui ne cesse de se renforcer (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.) et son manque de volontarisme pour défendre les intérêts majeurs de notre agriculture, qui sont aussi ceux de la France. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
L’avenir de notre agriculture et l’avenir de notre modèle familial d’exploitation à taille humaine sont aujourd’hui en jeu, alors que les charges de nos entreprises agricoles ne cessent de s’aggraver.
M. Roland Courteau. Il fallait le dire il y a un ou deux ans ! Pourquoi vous avez été battus, alors ? C’est invraisemblable !
M. Philippe Bas. Il faut aussi compter avec l’impôt administratif qui pénalise nos exploitations, notamment les élevages, en prescrivant à l’agriculteur le respect d’un nombre croissant de normes au nom de la protection de l’environnement. Les unes sont nécessaires, les autres sont au contraire excessives, voire inutiles. Il est de la responsabilité du Gouvernement d’entreprendre une revue générale des normes pesant sur l’agriculture afin de les alléger et de refuser de nouvelles contraintes.
Si nous ne parvenons pas à donner aux agriculteurs des conditions plus favorables à leur activité, un mouvement de concentration sans précédent risque de se produire, ce qui pourrait déboucher sur des formes d’exploitation qui ont cours en Grande-Bretagne et en Europe du Nord, avec la disparition de très nombreuses exploitations. Ce n’est pas ce que nous voulons ! Le prix à payer serait terrible, avec une ruralité désertée par sa population, où se multiplieraient les étendues en friche.
Au moment où tant de défis assaillent le monde rural, le projet de loi que vous avez présenté affaiblira la représentation des territoires ruraux…
M. Rémy Pointereau. C’est vrai !
M. Philippe Bas. … dans de grands cantons qui regrouperont jusqu’à quatre ou cinq cantons actuels (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.) et aggravera encore les difficultés du monde rural, car il sera moins bien représenté. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Fauconnier. Et l’austérité territoriale ?
M. Philippe Bas. Nous devons également tirer la sonnette d’alarme s’agissant à la fois des moyens et des responsabilités de nos collectivités territoriales. Nous le savons bien, la compétition entre territoires a commencé.
La diminution des ressources des collectivités territoriales et la perspective de nouveaux transferts de compétences, qui ne seront pas financièrement compensés car le lien de confiance entre l’État et les collectivités est aujourd'hui rompu, nous rendent extrêmement inquiets pour l’avenir de la ruralité. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
Pour conclure, je tiens à le souligner, notre agriculture, à laquelle l’Europe ne fournira plus tous les moyens de se battre, est maintenant ouverte aux vents du large, la représentation politique du monde rural va être affaiblie (Eh oui ! sur plusieurs travées de l'UMP.) et les ressources propres des collectivités territoriales seront fortement amputées,…
M. Jean-François Husson. Eh oui !
M. Philippe Bas. … et se profile une nouvelle décentralisation qui visera davantage à alléger les charges de l’État qu’à renforcer les libertés locales. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Exact !
M. Philippe Bas. Voilà à quoi se résume aujourd’hui l’action du Gouvernement à l’égard du monde rural ! Ce débat n’aura pas été inutile s’il permet de vous convaincre de vous engager résolument dans une autre politique, plus conforme aux attentes des territoires ruraux, qui représentent 78 % du territoire national et 22 % de notre population. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Vive la France de Bas ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Renée Nicoux et Gérard Bailly pour leur travail. Je remercie mes collègues de l’opposition d’avoir suggéré et suscité ce débat. Je remercie également M. le ministre de l’agriculture de sa présence. Il est bon d’avoir ici un ministre qui sait que, depuis déjà longtemps, « monde rural » et « monde agricole » ont cessé de se confondre, confusion que j’ai pourtant entendue dans de nombreuses interventions cet après-midi. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste. – Oh ! sur les travées de l'UMP.)
M. Rémy Pointereau. Ce qu’elle est désagréable…
Mme Laurence Rossignol. Le monde rural est mal connu, tout comme ses habitants. C’est la raison pour laquelle j’avais, très modestement, pris l’initiative d’un colloque scientifique qui s’est tenu au Sénat en décembre dernier en partenariat avec l’École normale supérieure et l’INRA, consacré aux représentations et aux évolutions des mondes ruraux et périurbains, auquel participait Mme Nicoux. Je vous ferai parvenir très prochainement, monsieur le ministre, les actes de ce colloque, qui seront également mis à disposition de l’ensemble de mes collègues.
Parlons d’abord des représentations.
Le monde rural est souvent utilisé, dans cette maison d’ailleurs, comme alibi des conservatismes…
M. Alain Fauconnier. Bravo !
Mme Laurence Rossignol. … par ceux-là mêmes qui sont les véritables conservateurs.
Que n’a-t-on entendu ici même à propos de la parité et que n’a-t-on fait dire aux élus locaux pour la combattre ! Or pour être l’élue d’un département comptant 690 communes, j’ai observé que ces fameux élus ruraux sont infiniment moins rétrogrades et réfractaires aux évolutions de la société que ceux qui parlent en leur nom et à leur place. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Sophie Primas et M. Gérard Bailly s’exclament.)
Alors que faut-il entendre par monde rural ? Où commence le rural, où s’arrête le périurbain ? Il est bien difficile de le dire dès lors qu’il n’y a plus de territoires dans lesquels les agriculteurs sont démographiquement majoritaires. Les habitants des mondes ruraux et périurbains sont principalement des salariés, des artisans, des retraités et des jeunes scolarisés et ils ont des problèmes de salariés, d’artisans, de retraités et de jeunes ! Certains y sont nés, d’autres y sont venus par choix de vie, d’autres enfin y ont été contraints, éloignés des villes par la pression foncière.
Leurs aspirations sont pourtant celles de tous les Français : ils veulent des écoles, des services publics, une gendarmerie ouverte au public, des accueils périscolaires pour que les femmes puissent aller travailler (Mme Sophie Primas s’exclame de nouveau.), des commerces et une convivialité de voisinage.
Or la promesse d’une vie tranquille et heureuse n’est pas toujours tenue.
Le bon air et l’espace ne suffisent malheureusement pas à compenser l’isolement, l’abandon et le sentiment de solitude qui prévalent désormais dans nombre de territoires. Cet isolement est aggravé par le renchérissement du prix de l’essence qui impacte fortement les budgets des habitants de ces territoires, contraints à des déplacements quotidiens.
Les politiques publiques qui ont été menées au cours des dix dernières années n’ont pas été en phase avec la réalité quotidienne des milieux ruraux.
Un sénateur du groupe socialiste. Bravo !
Mme Laurence Rossignol. Aujourd'hui, nous sommes dans l’urgence, une urgence qui s’est exprimée et s’exprime dans les fractures démocratiques dont témoignent l’abstention et les votes extrémistes lors des élections nationales.
Alors que ce matin s’est réuni le comité interministériel des villes, il est indispensable de mobiliser également le Gouvernement en faveur des mondes ruraux et périurbains. Il est primordial d’agir sur tous les sujets que j’ai précédemment cités : les services publics, l’aménagement numérique du territoire – ce point a déjà été évoqué par plusieurs intervenants –, l’économie et la santé. J’en profite pour saluer l’excellent rapport de nos collègues Jean-Luc Fichet et Hervé Maurey.
Le Gouvernement a d’ores et déjà pris la mesure des enjeux. Le Premier ministre l’a démontré en mobilisant ses ministres sur les questions du temps d’accès aux services publics et du développement du très haut débit.
Il faut inventer des nouveaux services publics, être créatif et sortir des moules que nous connaissons. Mais inventer n’est pas abdiquer ! Il faudra restaurer tout ce qui a été détruit au cours des dix dernières années,…
Un sénateur du groupe socialiste. Très bien !
Mme Laurence Rossignol. … et le constat dressé par notre collègue Gérard Bailly est aussi cruel pour les territoires dont il a parlé que pour les gouvernements qui se sont succédé de 2002 à 2012. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi enfin pour conclure d’insister sur un aspect d’une politique que nous pourrions engager en faveur des mondes ruraux et périurbains. Nous débattrons prochainement de la loi bancaire. Or nous constatons que les territoires dont nous parlons aujourd’hui produisent de l’épargne, mais que l’argent collecté par les banques n’est pas réinvesti dans ces mêmes territoires. (M. Alain Fauconnier opine.)
Mme Bernadette Bourzai. Bien sûr !
Mme Laurence Rossignol. Pour ma part, je souhaite que la loi oblige les banques françaises à territorialiser l’épargne et le crédit (Mme Bernadette Bourzai et M. Alain Fauconnier applaudissent.), à l’instar de ce qui se fait avec succès dans d’autres pays, en particulier aux États-Unis.
Ce serait d’ailleurs un moyen efficace pour financer aussi l’économie sociale et solidaire, qui représente plus de 10 % du PIB, particulièrement dans ces territoires car c’est un secteur créateur d’emplois non délocalisables.
Mes chers collègues, puisque nous convergeons vers les mêmes constats, je propose que nous convergions au moment de la discussion de la future loi bancaire pour montrer aux territoires ruraux que nous voulons de la transparence et du réinvestissement en leur faveur. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous formulons tous le même constat : la ruralité est une chance pour la France. Puisque ce constat nous rassemble, essayons, lorsque nous parlons de ruralité, oui, essayons tout simplement d’en évoquer les points positifs : loin d’être des pleurnicheurs, sachons nous faire les promoteurs de la ruralité !
Songez à toutes celles et à tous ceux qui, comme beaucoup d’entre nous, résident dans des villages ou des communes rurales, à ces milliers de femmes et d’hommes agriculteurs, artisans, commerçants ou présidents d’association qui font vivre nos territoires ruraux.
Oui, la ruralité est une chance, parce que la ruralité ce sont ces femmes et ces hommes qui croient en leur avenir, qui croient en leur choix de vie, qui croient en leurs territoires parce qu’ils savent être la chance de notre pays.
Alors, allons-y, avançons, battons-nous, défendons, promouvons, mais parlons toujours de la ruralité en termes positifs. Fernand Braudel affirmait : « La France se nomme diversité ». Eh bien, cette diversité est notre richesse !
Cependant, la ruralité a souffert, et même beaucoup souffert ; elle a été stigmatisée. J’en prendrai deux exemples.
Premièrement, mes chers collègues, la révision générale des politiques publiques, la RGPP, a été dévastatrice pour les zones rurales. (Oui ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Mme Sophie Primas. Mais bien sûr !…
M. Didier Guillaume. Nous l’avons tous dit, et nous l’avons tous entendu !
Lors des dernières municipales et des dernières sénatoriales, que nous ont dit les maires ruraux ? Que nous ont dit les acteurs de la diversité, les acteurs de la ruralité ? Que la RGPP s’était appliquée partout, et non en fonction de la situation locale. (Mme Sophie Primas proteste.)
Mme Bernadette Bourzai. Absolument !
M. Didier Guillaume. Cela a été une erreur, et la ruralité en a pâti.
Deuxièmement, pour ce qui concerne la gouvernance des territoires ruraux, la création du conseiller territorial, qui était envisagée,…
Mme Sophie Primas. Excellente réforme !
M. Didier Guillaume. … aurait diminué le nombre d’élus par deux. (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Relisez la loi !
Mme Sophie Primas. Elle était excellente !
M. Didier Guillaume. Bien au contraire, nous voulons maintenir le nombre d’élus à son niveau actuel.
M. Benoît Huré. Vous le divisez par deux !
M. Didier Guillaume. Les cantons seront plus grands : ils sont identiques à ceux que vous alliez créer. Simplement, chacun d’entre eux comptera deux fois plus d’élus que ce que vous aviez prévu. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
En effet, nous pensons que la proximité et le lien avec le territoire sont essentiels, et nous voulons les préserver ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Laurence Rossignol. Très bien !
Mme Sophie Primas. Mensonges !
M. Didier Guillaume. En bref, notre perception du monde rural doit changer.
Pour m’en tenir au thème de notre débat de cet après-midi, je soulignerai de façon très rapide quatre défis auxquels est confronté le monde rural et sur lesquels, chers collègues de l’opposition comme de la majorité, nous pouvons tous nous retrouver, tant en termes de constats qu’en termes de propositions.
Le premier défi, dont nous parlent tous les jours les personnes âgées comme les habitants des villages très reculés de montagne, est celui de la santé.
Les territoires vont-ils continuer à se vider de personnels médicaux ? Les zones rurales seront-elles de plus en plus nombreuses à ne plus avoir ni permanence de soins ni médecins ? Non ! Le Gouvernement, avec le Pacte territoire-santé présenté par Mme Touraine, veut combattre ce déclin.
M. Gérard Bailly. Nous verrons !
M. Didier Guillaume. Combattons-le ensemble ! Il faut moderniser l’appareil de santé, moderniser les maternités, moderniser les hôpitaux locaux. Les médecins ne doivent pas quitter les territoires ruraux ; il faut les conforter dans leur implantation rurale. Nous nous y employons !
Le deuxième défi est, tout simplement, celui de l’école. Beaucoup de nos villages – plus tristes que les autres… – n’ont d'ores et déjà plus élèves ni école.
Depuis des années, chaque rentrée scolaire amenait son lot de fermetures de classes en zone rurale. Cette année, le Gouvernement, en créant des postes et en les pourvoyant dès la rentrée,…
M. Gérard Bailly. Ce n’est pas vrai !
M. Didier Guillaume. … a permis des ouvertures de classes en zones rurales. (Mme Odette Herviaux applaudit. – Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Daniel Laurent. Il a surtout créé des charges supplémentaires !
M. Didier Guillaume. Voilà encore un point positif.
Le troisième défi a été évoqué : c’est celui du numérique. En la matière, grâce aux schémas régionaux et départementaux et au Fonds national pour la société numérique, lequel avait été créé avec zéro euro, les collectivités locales sont, depuis quelques années – cinq, six, sept ans peut-être –, à la pointe des réseaux et des usages.
M. Gérard Bailly. Oui !
M. Didier Guillaume. Nous devons tous nous battre pour que, demain, par la création des réseaux et par les usages que nous en ferons, la ruralité soit couverte par les liaisons FTTH. Beaucoup de régions et de départements se sont déjà engagés dans ce combat.
Bien évidemment, le quatrième défi est celui de l’économie. Combien de commerçants, combien d’artisans, combien de TPE font vivre les territoires ruraux ? Du reste, dans les zones de montagne ou les territoires très reculés, ce sont les associations d’aide à la personne qui sont les premiers employeurs, et ces emplois de l’économie sociale et solidaire ne sont pas délocalisables !
J’aurais pu citer beaucoup d’autres défis auxquels le monde rural doit faire face, notamment, monsieur le ministre, celui de l’agriculture ! J’aurais alors porté un message d’espoir parce que vous avez sauvé la politique agricole commune. Néanmoins, il faut encore aller plus loin. Il faut régler le problème du foncier. Il faut lutter contre l’artificialisation des terres. Il faut faire en sorte que les 5 000 installations prévues soient effectives ; jusqu’à présent, on en décidait beaucoup plus, mais sur le papier…
Monsieur le ministre, si vous souhaitez que la ruralité se développe véritablement, je vous le dis tout de go : le loup est incompatible avec le pastoralisme ! (Sourires. – M. François Fortassin applaudit.) Je ne pouvais pas ne pas en parler…
Monsieur le ministre, mes chers collègues, de la même manière qu’il existe des contrats urbains de cohésion sociale et des contrats d’agglomération pour les villes, mettons-nous autour de la table pour créer les « contrats ruraux de cohésion territoriale » : c’est par un tel accord gagnant-gagnant entre l’État, les collectivités locales et les acteurs de la ruralité que nous arriverons à relever les défis du monde rural ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Laurence Rossignol. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre Camani.
M. Pierre Camani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le monde rural est un espace en constante évolution et en éternelle recomposition. Comme le monde urbain, il réagit aux évolutions technologiques et sociétales, parfois rapides, mais agit aussi sur elles.
Selon l’INSEE, les trois quarts des communes, soit 95 % de la population, vivent dans l’aire d’influence des villes.
Depuis le début des années 2000, nous assistons à une inversion de la tendance démographique de l’après-guerre. L’exode rural se transforme en exode urbain : 75 % des cantons ruraux voient leur population progresser. Les Français aiment leur espace rural et 10 millions de citadins nourriraient le projet ou le désir de vivre en milieu rural.
La formule de Jean-François Gravier, « Paris et le désert français », n’est plus de mise. Une dynamique des territoires s’est mise en place depuis les années soixante et s’est accentuée avec les politiques de décentralisation des années quatre-vingt. Les inégalités régionales se sont considérablement réduites, même si les inégalités infrarégionales et infradépartementales restent importantes.
Élu du treizième département le plus rural de France, je mesure chaque jour les difficultés qui ont provoqué le malaise des territoires. Oui, chaque jour, je mesure les défis que nous avons à relever pour combattre les fractures, accentuées par les politiques publiques du précédent gouvernement et par les évolutions sociétales et technologiques.
Comme beaucoup d’autres, mon département a souffert de la stigmatisation des territoires et du désengagement de l’État, lequel s’est traduit par la fermeture de nombreux services publics ces dix dernières années.
La révision générale des politiques publiques, réalisée dans une logique purement comptable, a constitué un non-sens en matière d’aménagement de l’espace national et s’est traduite par un malaise profond des populations au sein des territoires.
Monsieur le ministre, les défis sont nombreux pour le nouveau gouvernement, dans un contexte économique et financier exceptionnellement dur dont nous savons qu’il va peser sur les politiques publiques et les rendre plus difficiles.
Cependant, nous sommes confiants, parce que la nouvelle approche du Gouvernement a pour matrice la reconnaissance du rôle majeur que jouent les collectivités locales dans les dynamiques économiques, sociales et territoriales. Cette nouvelle confiance dans l’intelligence des territoires nous permettra de mieux faire face, ensemble, aux nouveaux défis du monde rural.
Au-delà des enjeux majeurs concernant l’agriculture, l’économie rurale, les services publics, la péréquation et les capacités financières des collectivités qui animent les territoires ruraux, je souhaite revenir à mon tour sur deux thèmes qui constituent des défis particulièrement sensibles et urgents pour les territoires ruraux : la démographie médicale et le très haut débit.
La question de la démographie médicale a déjà été évoquée par Jean-Luc Fichet, dont je fais miennes les analyses. Je veux simplement rappeler ici que l’urgence est avérée et que, si nous ne prenons pas rapidement les mesures adaptées, la situation pourra devenir irréversible dans certains territoires ruraux ou même périurbains.
En Lot-et-Garonne, la démographie médicale est telle que, avec les départs en retraite prévus pour ces cinq prochaines années, un tiers du territoire pourrait se retrouver sans médecin si la tendance au non-remplacement n’était pas inversée. C’est pour cette raison que le département, en partenariat avec les services de l’État, les professionnels de santé et l’ensemble des acteurs intéressés, a mis en place une commission départementale de la démographie médicale. Celle-ci a établi un cadre pour l’accueil et l’exercice des professionnels de santé, autour de quinze aires de santé qui concernent tout le département.
Dans ces aires, les professionnels sont regroupés en réseau et bénéficient de maisons de santé multisites. Ils doivent établir un projet de santé qui définit et organise les moyens d’accéder aux soins dans chacune des aires de santé.
Le très haut débit constitue également un enjeu majeur pour l’avenir de nos territoires : un enjeu en termes d’attractivité, de compétitivité économique, sociétale et territoriale ; un enjeu à la mesure de ce que fut la généralisation de l’adduction de l’eau et de l’électrification par le passé.
Le Président de la République a très clairement indiqué sa volonté de faire du très haut débit une priorité pour notre pays – c’était le quatrième engagement de son programme électoral.
La mission « Très haut débit », installée par Fleur Pellerin, a récemment présenté son projet de feuille de route pour une « stratégie nationale de déploiement du très haut débit ». Elle ouvre des perspectives intéressantes pour le déploiement de cette technologie, avec la mise en perspective de l’extinction progressive de la boucle cuivre et le rôle prépondérant donné aux collectivités territoriales dans l’élaboration et la mise en œuvre des déploiements sur l’intégralité de notre territoire, y compris dans les zones denses. L’architecture assurant une complémentarité entre le département, pour le déploiement, et la région, pour la commercialisation, me paraît aussi novatrice et efficace.
Les territoires ruraux sont en attente de mesures fortes concernant le déploiement de ces réseaux, ainsi que des financements qui permettront aux collectivités territoriales d’agir, mais des incertitudes pèsent encore en la matière. À cet égard, j’appelle de mes vœux un abondement pérenne du Fonds d’aménagement numérique du territoire, un fonds national.
Le monde rural n’est pas replié sur lui-même. Il est capable de faire face à ces nouveaux défis et de construire un avenir meilleur, pour peu que l’État donne l’impulsion et s’engage aux côtés des collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Herviaux.
Mme Odette Herviaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que dernière intervenante dans ce débat, je veux aborder un enjeu souvent oublié dans les défis du monde rural – il l’a encore été aujourd'hui. Je veux parle de l’avenir des territoires insulaires, qui, pourtant, participent au rayonnement maritime et au dynamisme littoral et touristique de notre pays.
Ces territoires représentent souvent un véritable condensé des potentialités des territoires ruraux, mais aussi des problèmes qu’ils connaissent.
Mes chers collègues, nous sommes nombreux à aimer les îles,… l’été, pendant les vacances. Mais nous sommes bien peu à connaître réellement les difficultés des îliens et les combats quotidiens de leurs élus, ne serait-ce que pour garder leur population.
Toujours concernées par l’application de la loi relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite « loi Littoral », contraintes sur le plan financier, ne pouvant bénéficier de ressources intercommunales suffisamment importantes, fragilisées par la spéculation immobilière et par la disparition des rares activités productrices, nos îles métropolitaines ou ultramarines, lesquelles connaissent parfois la « double insularité », doivent faire face à des tensions extrêmes, qui menacent très directement leur attractivité, le caractère soutenable de leur développement et donc, tout simplement, leur survie.
Les plus petites de nos îles, autrefois habitées, sont désormais vides d’habitants. Pour elles, c’est déjà trop tard ! Mais, pour les plus grandes, celles qui ont encore une population, l’inquiétude est grande.
Pour reprendre la typologie de Philippe Perrier-Cornet et Bertrand Hervieu, le retrait de la puissance publique, le départ des jeunes ménages et les multiples inquiétudes des entrepreneurs pourraient, à plus ou moins long terme, réduire les territoires insulaires à n’être plus que cette « campagne nature » ou à cette « campagne cadre de vie », qui ne vit que pendant la période estivale et les vacances scolaires.
Les dangers de cet appauvrissement fonctionnel des îles sont bien identifiés par les acteurs locaux et entraînent d’ores et déjà des ruptures majeures dans la continuité de service et d’animation : infrastructures de santé insuffisantes ou inadaptées, à Belle-Île comme à Marie-Galante, renchérissement des coûts de tous les approvisionnements, pressions résidentielles sur des espaces particulièrement sensibles et difficultés à assurer ce que l’on appelle la « continuité territoriale ».
Monsieur le ministre, il appartient donc à la puissance publique de s’engager rapidement pour encourager les dynamiques économiques et productives, notamment à travers le maintien et l’installation de producteurs écoresponsables dans les secteurs de la pêche et de l’agriculture. Il lui appartient également de soutenir les entreprises et les industries innovantes qui créent des emplois insulaires – je pense particulièrement à l’exemple des conserveries de Groix, dont les produits ont été récompensés lors du dernier SIAL –, à l’origine de l’implantation de nouveaux ménages avec enfants et donc du maintien de la population et des écoles.
Par conséquent, il faudra absolument adapter nos réglementations métropolitaines aux spécificités de ces territoires, notamment pour ce qui est des dotations, de la santé ou du tourisme.
Si les futures décisions nationales doivent bien évidemment s’inscrire dans le cadre de la politique de cohésion de l’Union européenne, elles devront être déclinées beaucoup plus finement dans les contrats de projets État-régions.
Monsieur le ministre, tels sont les nouveaux défis des territoires insulaires, qui, comme tous les autres territoires ruraux, entendent bien contribuer pleinement au dynamisme et donc au redressement de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord me féliciter de la tenue de ce débat, d’abord pour rendre hommage à la qualité des intervenants et des arguments avancés, et parce que parler du monde rural est loin d’être inutile aujourd'hui.
Je vais tenter d’abord de clore un certain nombre de débats, de répondre à diverses assertions, puis je m’efforcerai de donner l’orientation sur laquelle le Gouvernement devra s’engager.
La loi sur l’égalité des territoires donnera l’occasion de revenir sur ces questions, car le présent débat, dit « de contrôle », organisé à la demande de l’opposition, est un débat ouvert sur le moyen et le long terme, et non la discussion d’un projet de loi ou d’articles spécifiques.
En premier lieu, la question de la ruralité est bien entendue liée à la celle de l’agriculture. Je voudrais ici répondre rapidement à ceux qui ont pu faire accroire que l’accord obtenu sur les perspectives financières ne serait pas à la hauteur de celui qui a pu être trouvé, il y a quelques années, par le président Jacques Chirac et le chancelier Gerhard Schröder.
Dans le débat européen sur ces perspectives financières, un constat s’impose : le contexte d’aujourd'hui n’est pas celui d’hier. Chacun sait cependant qu’avec la crise actuelle, avec les déficits budgétaires de chaque pays, avec les engagements des uns et des autres – bien différents, pour l’Allemagne, de ce que pouvaient être hier ceux de M. Schröder –, nous avons obtenu des perspectives financières pour l’Europe qui correspondent aux objectifs que le Gouvernement s’était fixés !
Je rappelle que Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, s’orientait – avec l’aval d’autres premiers ministres et responsables politiques – vers un budget où la contribution globale des États devait baisser de 200 milliards d’euros. On était alors bien loin des 960 milliards d’euros qui ont été finalement obtenus en engagements de dépense, et bien plus près des 860 milliards d’euros souhaités par David Cameron !
Ces 100 milliards d’euros supplémentaires résultent de la position adoptée par le président de la République actuel dans ce débat, et des objectifs qui ont été les siens, à la fois sur la politique agricole commune, sur la politique de cohésion et – contrairement à ce qui a pu être avancé – sur la politique de croissance, ce que l’on appelle la « rubrique 1b » augmente de près de 30 % pour ce qui est des investissements.
Tout cela s’accompagne du plan de croissance, qui avait prévu divers financements et particulièrement ceux d’une Banque européenne d'investissement recapitalisée – nous y reviendrons quand nous aborderons le numérique.
La politique agricole commune dispose d’un budget dont le niveau baisse dans le budget général européen. Cette tendance, qui n’est pas nouvelle, se retrouve au fil des discussions successives sur ces perspectives financières.
Cela étant, pour ce qui concerne notre pays, je rappellerai que la position défendue a abouti à un quasi-maintien du budget – 56,9 milliards d’euros – dont a bénéficié la France pour la politique agricole commune dans les précédentes perspectives financières. Nous arrivons en effet, sur la base de l’accord qui a été trouvé pour les nouvelles perspectives financières, à 56,3 milliards d’euros.
Nous avons donc préservé l’essentiel pour l’agriculture, qui représente pour nous un enjeu majeur, avec, certes, une baisse des crédits concernant le premier pilier, mais compensée par plus de 1,8 milliard d’euros de crédits supplémentaires sur le deuxième pilier, pour aboutir, au bout du compte, à ces 56,3 milliards d’euros.
Ainsi, nous avons défendu l’ambition agricole de la France, et même celle de l’Europe !
J’en viens aux questions que posent, dans le monde rural, la décentralisation et les dotations aux collectivités locales. Je rappelle que, lors de la campagne présidentielle, le candidat Nicolas Sarkozy avait proposé de baisser les dotations globales des collectivités locales de 10 milliards d’euros au nom de l’effort général de réduction des budgets. (Protestations sur les travées de l'UMP.) Cela figurait dans les propositions de l’UMP et du candidat !
M. Gérard Larcher. Mais non !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Monsieur Larcher, en cherchant dans les programmes, vous trouverez !
Chacun doit, effectivement, faire des efforts.
M. Gérard Larcher. On vous verra à l’œuvre ! Votre politique pèsera sur les petites communes…
M. Stéphane Le Foll, ministre. Il est donc difficile de vous entendre aujourd’hui critiquer notre politique alors que vous-mêmes étiez prêts, je le répète, à baisser ces dotations de 10 milliards d’euros ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Ces dotations ont été maintenues pour 2013 et l’objectif est de faire en sorte que l’effort qui sera conduit permette cependant à toutes les collectivités de poursuivre leur développement avec les investissements nécessaires, qu’elles soient urbaines ou rurales.
Mme Sophie Primas. C’est impossible ! Vous les étranglez !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Sur ce sujet, il ne faudrait pas de faux débat. Je le répète, dans vos positions précédentes, vous étiez beaucoup plus durs pour les collectivités locales.
M. Rémy Pointereau. C’est faux !
M. Stéphane Le Foll, ministre. À propos de la réforme territoriale, je reviens rapidement sur les questions électorales : il est vrai que l’instauration du conseiller territorial avait comme objectif - je me souviens des débats et du projet que vous portiez à l’époque, monsieur le président Larcher ! – de réduire le « millefeuille administratif » et le nombre « excessif » des élus.
On ne saurait donc, aujourd'hui, se donner mutuellement des leçons. Ce que nous proposons, c’est de régler un problème qui subsiste depuis fort longtemps, celui de l’équilibre démographique entre cantons. Vous le savez bien, dans les départements – c’est le cas dans le mien – coexistent des cantons qui peuvent réunir 5 000 habitants pour les uns, et 35 000 habitants pour les autres… Il était temps procéder à un rééquilibrage (Protestations sur les travées de l'UMP)
M. Gérard Larcher. Avec mesure !
M. Stéphane Le Foll, ministre. … indispensable à la représentation de l’ensemble des territoires. C’est l’objectif de la réforme en discussion.
Je voudrais maintenant aborder la question du « rural ». Comme Didier Guillaume l’a dit très justement, nous sommes tous attachés au monde rural. Moi-même, j’ai été élu d’une commune de 256 habitants à l’âge de vingt-trois ans, et j’y ai vécu plus de trente-cinq ans.
M. Gérard Bailly. Bravo !
M. Stéphane Le Foll, ministre Je connais parfaitement le monde rural et je sais une chose : aujourd'hui, au-delà des débats qui vont nous animer, il est un enjeu à la fois en termes de territoires et de société, mais aussi en termes de socialisation des individus sur les territoires.
Je suis frappé de ce que l’on parle aussi régulièrement d’aménagement du territoire alors que l’essentiel, et cela transparaît du débat que nous avons eu comme un constat cette fois partagé par tous, consiste à savoir ce que l’on offre aux habitants. Et là, ce n’est plus seulement la question des infrastructures qui se trouve au cœur du débat, c’est aussi la question de la socialisation de ceux qui habitent les territoires.
C’est pourquoi l’on en arrive très vite, et à juste titre, aux questions que pose la couverture numérique. On peut estimer qu’un territoire est perdu dès lors qu’il est coupé du reste de la société. On évoque ce phénomène en parlant de « ghettos » pour les banlieues et de « rural profond » pour les territoires ruraux.
Voilà le grand défi qui nous est posé : refuser qu’un territoire se retrouve isolé et coupé du reste de la société ! C’est ce qui est en jeu dans la demande de services. C’est encore ce qui est en jeu dans la question, à la fois plus large et plus vaste, de l’accès à la culture, qu’il faut poser partout où cela est possible.
Ainsi, la question de la socialisation des territoires nécessite des efforts spécifiques et – vous l’avez dit, mesdames, messieurs les sénateurs – un investissement, et un plan. Le Président de la République s’est exprimé sur ce point. Il faudra notamment poursuivre la couverture numérique du territoire au travers des fonds FEDER, le Fonds européen de développement régional, qui seront affectés à cet objectif.
Par ailleurs, avec la Banque européenne d’investissement recapitalisée – je le dis aussi aux élus locaux –, le potentiel d’emprunt des collectivités locales pour favoriser ces investissements dans la couverture numérique atteint près de 60 milliards d’euros.
La socialisation des territoires, c’est aussi la santé, que vous avez également évoquée, mesdames, messieurs les sénateurs. Ma collègue Marisol Touraine a, là aussi, fait des propositions à l’occasion de la présentation du Pacte territoire-santé et il conviendra de réfléchir à la manière dont on organise les réseaux entre les maisons de santé, comme nous le proposons, et cela semble faire l’objet d’un certain consensus. Au-delà de ces maisons de santé, qui regroupent médecins, infirmières, voire kinésithérapeutes, se pose la question de la répartition de l’activité médicale sur nos territoires et des rôles respectifs des médecins et des infirmières, dont il faudra discuter. Se pose aussi la question de la télémédecine et du rôle des médecins : ils restent indubitablement responsables du diagnostic mais, pour nombre de soins, on pourrait solliciter les infirmières.
Il nous reste donc, à partir du dispositif proposé par Marisol Touraine, avec les maisons de santé, les réseaux de santé et leur articulation avec les hôpitaux de proximité, un travail à accomplir pour garantir la socialisation de la santé de tous, sur tous les territoires.
Garantir à tout un chacun un accès aux soins urgents en moins de trente minutes d’ici 2015 est un objectif très ambitieux, mais nous devons tous pouvoir y souscrire. Il faudra le mettre en œuvre.
La socialisation des territoires concerne aussi de l’éducation. Malgré ce qui a pu être dit, créer des postes aujourd'hui permettra de maintenir des écoles !
M. Didier Guillaume. Bien sûr !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Même si nous pouvons argumenter les uns et les autres à l’infini, une chose est sûre : investir maintenant dans l’école, c’est aussi socialiser les territoires ruraux de demain, c’est permettre à des jeunes de se former aujourd'hui pour, demain, assurer leur réussite !
La socialisation des territoires recouvre encore, bien entendu, une dimension économique. Elle est essentielle et c’est pourquoi, qu’il s’agisse du crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, des emplois d’avenir ou évidemment du contrat de génération , j’ai toujours veillé à ce que toutes les entreprises puissent avoir accès à ces différents dispositifs que notre gouvernement a mis en place, et tout particulièrement les entreprises agricoles et agroalimentaires.
Pour ces entreprises, nous développons ainsi une capacité à poursuivre, au travers de l’investissement, un développement tel que notre pays, notre agriculture et notre secteur agroalimentaire soient capables – c’est tout le sens de mon projet d’agro-écologie – de garantir la performance économique tout en assurant la performance écologique des processus de production. Je présenterai d’ailleurs, au début du mois de mars, un projet portant sur la méthanisation.
Je crois sincèrement que ce volet économique constitue un véritable enjeu pour le monde rural.
Le débat dans lequel nous nous situons doit aussi nous conduire à changer les mots que nous employons. Il faut désormais débattre du monde rural avec des idées nouvelles, celles qu’emporte la socialisation de tous les territoires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai été frappé que les bourgs et les centres-bourgs n’aient pas été évoqués dans le débat. Pendant des années, s'agissant des territoires périurbains ou des territoires rurbains, c’est-à-dire les plus proches de l’urbain ou les plus proches du rural, nous avons tous raisonné en termes de lotissements. Et ces lotissements se sont développés et étendus à l’extrême, constituant sans doute un facteur de consommation de terres agricoles.
Nous devrons réfléchir à nouveau ensemble à la question de l’urbanisation du monde rural autour des bourgs et des centres-bourgs, car c’est une vraie question !
M. Yvon Collin. C’est sûr !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Comment se fait-il que les gens aient vécu pendant des dizaines d’années dans les villages et que nous ayons perdu la notion des centres-bourgs ? Nous sommes au Sénat, et nous sommes tous conscients de cette histoire qu’il va falloir réinventer. Les centres-bourgs, l’urbanisation des bourgs, la conception d’un urbanisme rural font partie, à mon sens, des enjeux du développement rural. C’est un point qui me semble essentiel.
M. Jean-Luc Fichet. Absolument !
M. Yvon Collin. C’est capital !
M. Stéphane Le Foll, ministre. N’oublions pas que la France comptera 71 millions d’habitants en 2030 ! Nous ne pourrons plus continuer à consommer autant d’espace. Nous devrons être capables d’établir à la fois des schémas d’urbanisme, avec des plans locaux d’urbanisme, des schémas de cohérence territoriale, mais aussi des schémas d’occupation agricole de l’espace afin de protéger celle-ci de l’urbanisme. Nous ferons des propositions en ce sens.
Telles sont les grandes questions qui se posent, à la fois en termes de socialisation des territoires, au sens où chaque habitant doit pouvoir être connecté au présent et à la société, mais aussi d’urbanisation tant du monde urbain que du monde rural, ce monde rural tel qu’il se profile devant nous.
Je crois à l’avenir du monde rural. Certes, notre démographie nous contraindra à rationaliser l’utilisation de notre espace, mais, pour ce faire, nous devrons penser à la fois l’espace urbain et l’espace rural, en nous appuyant sur les intercommunalités, les chefs-lieux et les centres-bourgs, auxquels il faudra accorder un soutien économique et des dotations. Nous devrons également faire en sorte que l’activité économique dans sa diversité, en particulier dans le domaine agricole, soit à la hauteur des futurs défis que sont l’alimentation et l’environnement.
C’est un beau projet, mais nous aurons l’occasion d’y revenir. Je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, d’avoir organisé ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur les nouveaux défis du monde rural.
Nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinq, est reprise à dix-sept heures dix, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Bel
M. le président. La séance est reprise.
9
Débat sur la politique étrangère
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la politique étrangère, organisé à la demande du groupe UDI-UC et de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe UDI-UC.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, je tiens en tout premier lieu à saluer la tenue de ce débat sur la politique étrangère et à remercier en conséquence le président de la commission, auquel je voudrais, au nom du groupe UDI-UC, rendre un hommage particulier. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Lorsque nous étions au pouvoir, il était un adversaire rude de la politique de la droite et du centre ; il est devenu un président convivial, qui a su donner une nouvelle dimension à la commission et mettre en valeur l’ensemble de ses membres.
M. Jean-Michel Baylet. C’est louche ! (Sourires)
M. Yves Pozzo di Borgo. Non, et je pense que mes collègues de l’UMP seront d’accord avec moi pour rendre cet hommage à notre président de commission.
Je voudrais aussi remercier l’ensemble des membres de la conférence des présidents d’avoir fait droit à la demande formulée par le groupe UDI-UC depuis plus d’un an.
En effet, la politique étrangère de la France a longtemps été un angle mort du contrôle exercé par les assemblées. On a longtemps, trop longtemps sans doute, vécu sur cette fameuse idée du consensus gaullien selon lequel nous devrions nous en remettre entièrement au bon vouloir du Président de la République, même si, il est vrai, celui-ci est responsable de cette politique en dernier ressort.
Après plus d’un demi-siècle de gel de la réflexion sur les orientations prioritaires de la diplomatie française, j’espère que le présent débat permettra à notre Haute Assemblée d’être pionnière dans la consolidation de la réflexion quant aux orientations stratégiques du rôle de la France dans les affaires internationales.
Le monde a changé d’échelle, mais pas nous ! Que représente en effet 1 % de la population mondiale face à l’Inde, la Chine ou encore le Brésil ? Que représentent nos 2 000 milliards d’euros de produit intérieur brut, même si c’est important, face au PIB des États-Unis ou encore de la Chine, qui progresse à grands pas ? Rien ? Certes non, mais bien moins que nous ne le croyons.
Le récent rapport Global Trends de la CIA sur le monde en 2050 est édifiant à cet égard. Entre 1999 et 2011, notre production industrielle par rapport à notre produit national a diminué de 30 points, et de 13 points pour l’ensemble de l’Union. Nous vivons ce que l’économiste Christian Saint-Étienne appelle un « mai 1940 » économique. L’Union européenne, qui représente aujourd’hui près de 25 % de la richesse mondiale, n’en pèsera plus que 12,5 % en 2050.
L’affaiblissement de l’Europe est patent tant du point de vue économique que du point de vue international. Le double pilier d’une défense assurée par l’OTAN et la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD, est un mythe comme celui d’une diplomatie européenne intégrée.
L’Europe des affaires étrangères, c’est un cas exemplaire de la diplomatie de réaction. Nous mesurons tous à quel point le bilan de Mme Ashton est décevant et à quel point aussi, en dépit de l’ambition affichée par le traité de Lisbonne, l’Europe reste sur la scène diplomatique un agrégat informe de diplomaties parallèles, même s’il y a quelquefois des initiatives communes.
Seule, la France est condamnée au déclassement face à des locomotives comme l’Indonésie, la Thaïlande ou encore le Mexique, qui seront, selon le rapport Global Trends, les acteurs des affaires internationales de demain, car eux seuls auront les moyens économiques de leur politique extérieure. Or le destin de la France et celui de l’Europe sont indissociables ; il n’y aura pas de France respectée dans le monde sans une Europe forte, et cette Europe forte n’existera pas sans la restauration de la force économique de notre pays.
L’Europe n’a pas à devenir un vecteur de la projection d’une puissance française que n’animeraient que les nostalgiques de la geste napoléonienne.
En revanche, c’est à la France de mettre son histoire et son savoir-faire au service d’une véritable construction diplomatique européenne. C’est à la France de jouer un rôle moteur dans la construction d’un véritable acteur européen sur la scène internationale.
La France doit faire de l’Europe le lieu d’une diplomatie de prospection adaptée à l’échelle du monde. Cela passe d’abord par l’élaboration d’une véritable politique stratégique de voisinage avec nos voisins continentaux, l’Afrique et la Russie, et ses prolongements en Asie centrale.
L’Afrique, mes chers collègues, n’a plus rien à voir avec Tintin au Congo. En 2050, le continent africain sera riche du talent de ses 2 milliards d’habitants, de ses ressources incroyables, de sa croissance économique insolente.
Dans son discours de Dakar, Nicolas Sarkozy, Président de la République, souhaitait s’adresser à l’Afrique de l’avenir, à une Afrique de la croissance et de la démocratie, désignant le Sénégal comme l’un des exemples de cette Afrique qui serait allée au-delà des impasses d’un colonialisme dépassé par l’Histoire.
Pourtant, les faits sont têtus et les réflexes de la Françafrique sont encore bien ancrés dans nos usages. Nous menons une politique africaine désuète et digne des années soixante. Nous avons un train de retard sur la marche du monde.
Le geste le plus spectaculaire de la France envers l’Afrique ces dernières années est sans aucun doute son intervention au Mali, que le groupe UDI-UC soutient dans son unanimité. Alors qu’il y a encore quatre ans, nous parlions de développer un dialogue d’égal à égal avec les pays de l’Afrique du Nord dans le cadre d’une éventuelle Union pour la Méditerranée, nous en sommes encore à mener des opérations de police dans le Sahel.
Nous sommes embourbés dans ces gestes qui nous font occulter l’essentiel. L’influence de la France en Afrique s’est émoussée ces dernières années, mais pas son image. Cela n’est pas tant le fait d’une démocratie, qui reste à construire dans les États africains, que celui de la concurrence croissante de la Chine, devenue un acteur majeur du continent africain. En 2009, l’agrégation des investissements chinois dans les différents pays d’Afrique était évaluée à 1,5 milliard d’euros.
Après avoir mis sous tutelle l’industrie textile, qui était florissante dans le Maghreb, la Chine s’est lancée dans une vaste politique d’influence économique à l’échelle du continent africain. Elle prend possession des terres, des entreprises et des finances africaines. C’est également elle qui a construit le bâtiment de l’Union africaine.
Depuis des années, une importante diaspora chinoise s’est constituée dans de nombreux pays de l’Afrique de l’Est. C’est la stratégie d’un grand pays.
La France et l’Europe restent à l’écart de ce mouvement général. La France est de plus en plus marginalisée dans le flux de croissance économique que représente l’Afrique, près de 7 % de moyenne annuelle.
La France est de plus en plus isolée dans l’accès aux ressources, aux marchés et au commerce avec les forces vives d’un continent définitivement tourné vers l’avenir.
Autant le dire d’un trait, monsieur le ministre, la France est assez paradoxale. Grande puissance militaire, elle est incapable d’entraîner l’Europe sur la voie d’une défense commune et intégrée alors que, de fait, notre pays assure la défense d’une grande partie de l’Afrique.
Je parle de la France, mais c’est bien évidemment l’Europe entière qui reste écartée. Ni la France, ni la Grande-Bretagne, ni aucun pays européen, et encore moins l’Union européenne, ne réagissent face au rapt que la Chine est en train de perpétrer en Afrique, c'est-à-dire chez nos voisins immédiats.
Par son absence de politique africaine, l’Europe est en train de s’affaiblir. Son manque de stratégie commune, alimenté par de vieux réflexes, vont conduire l’Union européenne à manquer son rendez-vous avec un continent d’avenir.
Dans un monde à l’échelle du XXIe siècle, notre frontière continentale ne se limite pas à l’Afrique. Il faut également compter avec notre voisin de l’Est, la Russie, qui interroge également le rôle de la diplomatie française en Europe.
Les liens entre l’Europe et la Russie sont le produit de la nécessité historique et de la réalité géographique. Notre continent est le prolongement atlantique de l’Eurasie. La Russie est une fédération unifiée par des siècles d’intégration politique depuis Pierre le Grand.
La Russie est une nation soudée par une langue et une religion dominante, jusque dans les aspects les plus personnels de la culture de tout citoyen russe. L’Europe, elle, reste riche de sa diversité, mais ne parvient pas en exploiter toutes les inflexions. Comparaison n’est pas raison, mais, sous réserve de l’anachronisme, l’Europe face à la Russie, c’est le Saint-Empire face à la France de Louis XIV !
Plus le temps passe et plus l’interdépendance entre les pays d’Europe et la Russie est flagrante. Le général de Gaulle déclarait d’ailleurs, lors d’une conférence de presse en 1949, que « dût-elle changer de régime, il faut faire l’Europe avec la Russie ». Nous sommes interdépendants en matière énergétique et commerciale. L’Europe consomme une énergie qu’elle n’a pas. Elle cherche à se développer grâce à des minerais, des matières premières qu’elle trouve non pas chez elle, mais dans l’hinterland continental, en Sibérie. La diplomatie et la défense européennes sont impensables sans la Russie. Si l’interdépendance est évidente, nos relations manquent encore de synergie et d’ambition.
Jusqu’alors, la France et l’Europe sont restées dans une position de principe vis-à-vis de la Russie et de sa sphère d’influence asiatique. Nous condamnons unilatéralement le pouvoir russe, et principalement la personne de Vladimir Poutine, sans mesurer que la Russie est entrée dans un processus de transition difficile, mais démocratique.
Nous jugeons la Russie à l’aune de nos propres critères politiques, sans prendre conscience qu’elle est passée, en à peine plus de vingt ans, du communisme le plus sourd au statut de puissance énergétique émergente. Comme en Afrique, la France et l’Europe restent dans une diplomatie de la réaction, figées sur des positions de principe, sans prendre en compte la réalité des rapports de force géopolitiques.
Depuis de nombreuses années, j’appelle au développement d’une véritable politique russe de la France. J’ai rédigé deux rapports sur cette question au Sénat. Je crois fermement que l’Europe n’a pas d’avenir sans la Russie et que nous devons privilégier notre grand voisin de l’Est et – pourquoi pas ? – imaginer la constitution d’un espace économique, humain et de sécurité commun, comme l’avait d’ailleurs dit le président Sarkozy.
Une fenêtre de dialogue existe entre la France et la Russie, mais elle est fragile. Comme pour l’Afrique, c’est à la France de se faire le vecteur et l’aiguillon d’une diplomatie intégrée de l’Europe au regard de la Russie.
Tout reste à faire en la matière. Les rencontres bisannuelles entre l’Union européenne et la Russie sont soit bloquées soit vides de sens, vous le savez, monsieur le ministre. La Russie louvoie entre les diplomaties parallèles qui agitent la scène européenne et, là encore, nous manquons, nous, Européens, de cohérence et de crédibilité.
La France investit annuellement près de 7,5 milliards d’euros, quand la Russie ne mise que 300 millions d’euros ! Nous passons à côté d’une source importante d’investissements. Et pourquoi ? C’est bien simple : dans le rapport relatif aux investissements russes demandé dans le cadre de la préparation de la dernière rencontre entre le président Hollande et le président Poutine, il est apparu que cette asymétrie était pour l’essentiel le fait du non-règlement de la question des visas. Savez-vous que la Russie est actuellement le pays obtenant le plus de visas, soit 400 000 chaque année ?
Plus spécifiquement, il est apparu que c’est le sentiment d’insécurité fiscale suscité par la France qui dissuade les flux de capitaux russes. Là encore, nous faisons les frais de notre manque de moyens diplomatiques en matière économique.
Les objectifs de premier plan étant posés, une question reste pendante : la France dispose-t-elle des outils pour mener ce combat en Europe ? Notre pays a-t-il les moyens d’une politique internationale à l’échelle du siècle qui débute ?
On ne peut se satisfaire du seul exposé des chiffres. Dès que nous abordons la question de notre appareil diplomatique, on se contente de nous répondre que, forts du deuxième réseau mondial après celui des États-Unis, nous n’avons pas d’inquiétude à nous faire. Pourtant, je soutiens qu’une politique internationale est impensable sans une politique économique offensive et valorisante pour nos atouts à l’étranger.
Car, bien évidemment, nous gardons des atouts. La France reste une puissance nucléaire majeure et un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Je crains simplement que les atouts légués par l’Histoire ne soient hypothéqués par les réformes économiques que nous ne faisons pas.
Nous soutenons le Gouvernement dans sa volonté de réduire les dépenses publiques. Pour autant, on ne peut que s’interroger sur la fiscalité trop lourde pesant sur nos entreprises et sur la consommation des ménages, qui sont autant d’agents du « soft power » national.
À cet égard, l’exemple de la fameuse taxe à 75 % est édifiant. Vous le savez, monsieur le ministre, vous avez été ministre des finances et Premier ministre. Même si vous ne pouvez pas le dire, car vous êtes membre du Gouvernement, vous mesurez à quel point cette annonce a dégradé l’image de notre pays à l’étranger, notamment chez les décideurs d’investissements.
Il en va de même pour le Grand Paris. La France a besoin d’une ville-monde. Il en existe deux en Europe : Paris et Londres. Fernand Braudel a démontré que la concentration géographique parisienne a été l’un des points de voltage du rayonnement de la France à l’étranger. À nous de nous doter d’un outil parisien à l’échelle du siècle. Paris, avec deux millions d’habitants, est trop petit : il faut faire un Grand Paris.
L’Île-de-France représente 30 % de la richesse nationale – plus de 10 % sont répartis sur les autres régions – et la première région d’Europe. Pourquoi ne serait-elle pas la première du monde ? À nous de faire de Paris l’une des capitales du monde de demain, au lieu de l’abandonner à un projet de Grand Paris au rabais, fruit d’une vision franchement provincialiste, que nos collègues de province ne nous en veuillent pas de le dire.
Une nouvelle orientation doit être donnée à notre politique économique afin que les actions de solidarité et d’attraction entre la France et le monde ne soient plus entravées.
Notre pays souffre d’un vice majeur. Le démographe Alfred Sauvy disait de la France des années trente qu’elle était un vieux pays, avec de vieilles gens qui avaient de vieilles idées. Cette sentence reste valable aujourd’hui, du moins dans les esprits.
Nous mesurons à quel point nos concitoyens se crispent et se replient sur eux-mêmes. Le rejet de la Constitution européenne le 29 mai 2005 comme la consolidation d’un euroscepticisme véhiculé par un populisme prospérant à gauche comme à droite sont les symptômes de notre rejet du monde extérieur.
Mais je m’interroge.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé l’été dernier votre volonté de renforcer l’initiative économique dans la diplomatie française en créant un service, voire une direction de la diplomatie économique. Vous avez l’intelligence des articulations et des souplesses administratives. Nous ne doutons pas de votre capacité à mener votre projet à son terme, mais nous demandons des éclaircissements.
Enfin, monsieur le ministre, pensez-vous que le principe d’une diplomatie économique soit pertinent, compte tenu de la crise que nous traversons ? Le travail du Trésor est préempté par la gestion quotidienne de la crise de la dette souveraine, laquelle tend à définir les rapports de force entre les pays membres de l’Union européenne. Ne faudrait-il pas d’abord restaurer notre influence économique en Europe pour disposer d’un véritable poids en matière de diplomatie économique européenne ?
Monsieur le ministre, nous avons besoin de clarté, de lisibilité et d’une feuille de route bien établie pour faire de la France, non pas la plus grande des puissances moyennes, selon la formule bien connue du président Valérie Giscard d’Estaing, mais le fer de lance et le leader continental de l’orientation diplomatique d’une Europe intégrée.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères. (Exclamations laudatives sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur ministre, mes chers collègues, je me félicite tout d’abord de la tenue de ce débat, qui ne s’explique pas seulement par l’actualité de notre engagement au Mali et qui montre à l’évidence le lien étroit entre notre politique étrangère, la place et l’influence de la France dans le monde, et son bras armé que constituent notre défense et ses moyens.
Qui peut ignorer que la résolution des crises internationales dans lesquelles la France a joué un rôle essentiel, que ce soit à l’ONU, dans le cadre de nos relations bilatérales ou sur le terrain – en Côte d’Ivoire, en Libye et au Mali –, aurait été impossible sans une diplomatie et une défense dignes de ce nom, monsieur le ministre ?
Nous avons jusqu’à présent disposé à peu près des moyens de nos ambitions, mais je pose la question de manière solennelle, mes chers collègues, en sera-t-il encore de même demain ?
Permettez-moi de vous livrer deux citations à l’appui de cette interrogation. La première, monsieur le ministre, je l’emprunte à votre prédécesseur, qui constatait, à l’occasion du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, cosigné avec Louis Schweitzer : « Nous sommes à l’os ». C’était en 2008, et je pense que les choses ne se sont pas améliorées depuis, ce qui est d’ailleurs une façon de saluer l’extrême qualité et le dévouement de nos diplomates et de leurs ministres.
La seconde citation vient de notre commission qui, dans les rapports préparatoires au Livre blanc, constatait que le format de nos armées était « juste insuffisant ». Or les discussions qui ont lieu actuellement sur le Livre blanc, dont découlera la loi de programmation militaire, ne peuvent que nous inquiéter.
Disons le clairement : si nous appliquons les scénarios de réduction des moyens qui sont proposés, nous aboutirons rapidement à un véritable déclassement de notre pays sur la scène internationale. Voici la courbe retraçant les évolutions du budget militaire au cours des dernières années et les prévisions pour l’avenir. (M. le président de la commission brandit une feuille sur laquelle figure la courbe descendante des dépenses de défense de 1960 à 2025.)
Le cri d’alarme que j’exprime aujourd’hui situe le débat au niveau qui est le sien : celui de la politique et de la conception exigeante que nous en avons.
Le monde a changé, monsieur le ministre, et il change jour après jour, devant nous. Et je ne m’attache pas à défendre une conception passéiste de la France grande puissance et de la prééminence des pays occidentaux. Ce temps est révolu, ce qui ne signifie nullement que nous devons abdiquer et nous laisser dicter notre avenir par d’autres. Je crois d’ailleurs que nul ne le souhaite, ici mais aussi ailleurs, si l’on en juge par les déclarations des responsables américains, à l’instar de celle du vice-président Joe Biden, le 2 février dernier, lors de la conférence sur la sécurité de Berlin.
La France reste une « grande puissance moyenne ». Elle agit dans le monde par elle-même et avec ses partenaires européens et ses alliés. Si les décisions en cours devaient aboutir à nous priver des moyens d’une telle politique, il faudrait que cela soit dit avec une totale transparence. Rien n’est encore tranché aujourd’hui, mais les termes du débat sont bien posés.
J’en viens au deuxième point de mon intervention.
Vous étiez hier à Bruxelles, monsieur le ministre, pour le conseil Affaires étrangères. Je ne commenterai pas les décisions qui y ont été prises. Je reprendrai simplement la question, certes un peu provocatrice, d’Hubert Védrine : l’Europe est-elle en train de quitter le cours de l’Histoire ? Pour ma part, je ne le pense pas.
Ce constat désabusé, pour ne pas dire inquiétant, pourrait pourtant être dressé, au regard des divisions qui règnent entre les États-nations, du repli sur soi auquel conduit la « crise économique » – ou le « changement », que je préfère ! –, au regard du jeu des égoïsmes nationaux, mais aussi des illusions de paix, entretenues sur le continent du fait de l’absence de menaces directes à ses frontières et surtout de la pathétique inexistence de ceux qui devraient incarner l’amorce d’une politique étrangère et de défense commune.
Nous ne pouvons qu’être frappés par le contraste entre les propos tenus par les responsables américains à Berlin et l’absence de répondant collectif chez les Européens, comme nous avons malheureusement pu le constater lors des interventions récentes, dans la relance du processus de paix au Moyen-Orient, de laquelle l’Europe est absente, ou encore tout récemment avec le drame syrien, où, mise à part l’attitude résolue de la France, monsieur le ministre, la seule avancée réelle, qui permet quelque espoir, est constituée par l’accord, annoncé hier, entre les diplomaties russe et américaine.
Sur tous ces dossiers, l’Europe est trop absente, ou plutôt, elle n’est présente qu’en tant que susceptible de financer, et non pour agir.
Certes, l’Europe ne dispose pas encore des institutions qui lui permettraient de s’imposer sur le plan international, en dépit des possibilités qui lui offre le traité de Lisbonne. Mais tout n’est pas qu’une simple question d’organisation : elle a principalement besoin, nous avons, nous Européens, principalement besoin d’une pensée stratégique commune, d’analyses convergentes sur les politiques à mener.
Or, nous le voyons bien, ce que la France, ni aucune autre nation européenne, d’ailleurs, ne peut faire seule, doit être réalisé à l’échelle communautaire. Mais, entre le blocage du Royaume-Uni – j’allais dire son europhobie, mais je retire le mot ! –, son projet de référendum, l’attitude de l’Allemagne, nation pacifiste dotée d’une puissante industrie de défense, et le renoncement de la plupart des États membres de l’Union, qui s’en remettent au parapluie américain, on ne peut pas dire que l’optimisme prévaut ! Faut-il attendre qu’il soit trop tard – ou presque – pour prendre les bonnes décisions ?
Si nous ne faisons rien, si nous laissons passer l’heure, l’Europe de la défense et notre autonomie de décision se dissoudront dans l’OTAN, et notre industrie de défense passera sous contrôle américain, perspective que laisse déjà entrevoir la revue des règles ITAR, à laquelle l’administration Obama travaille sous la pression du lobby de ses industriels.
Avant d’en venir à deux questions plus précises sur l’Afghanistan et sur le Mali, je voudrais vous interroger, monsieur le ministre, sur l’Asie-Pacifique, zone définie encore récemment par votre ministère comme « la nouvelle frontière de la diplomatie française ».
Naturellement, nous ne pouvons nous désintéresser de l’Asie, vers laquelle l’Amérique – tout au moins, les États-Unis – poursuit son mouvement de bascule.
Le récent voyage du Président de la République en Inde témoigne de notre intérêt pour la zone comme de nos intérêts dans celle-ci. Le projet de Livre blanc analyse correctement les mutations et les enjeux de l’Asie-Pacifique. Cependant, si nos moyens connaissaient une baisse significative, ne serions-nous pas obligés de définir des priorités et de nous en remettre à d’autres, pour une zone géographique où vont pourtant se concentrer, dans un proche avenir, aussi bien la croissance économique que les foyers de tensions, attisés par la montée en puissance militaire de la Chine ? Bref, ne resterons-nous pas à l’écart du « duel du siècle », pour reprendre une partie du titre du livre écrit par Alain Frachon et Daniel Vernet ?
Tous les pays de la zone positionnent leur politique étrangère et leurs alliances par rapport à la Chine. Très clairement, il y a la Chine et les autres ! Nous avons pu le constater en 2012, lors de la mission qu’a effectuée une délégation de notre commission en Australie.
Quelles sont donc les lignes directrices de notre politique en la matière ?
Sans sortir de cette zone géographique, mon propos se portera maintenant sur l’Afghanistan et sur le futur de nos relations avec ce pays.
Le bilan que nous pouvons dresser de plus de dix années d’intervention et d’engagement, payées au prix du sang de nos soldats, est mitigé. La situation militaire et sécuritaire reste très fragile. Les succès de la coalition ne se traduisent pas par une diminution de la puissance des insurgés. Le développement du pays, qui pourrait, à terme, lui apporter la paix, est freiné par l’insécurité mais aussi par le retard dans la mise en place des projets. L’armée afghane prend le relais des troupes occidentales au prix de pertes très significatives. Elle connaît encore des lacunes capacitaires et de commandement qui sont préoccupantes.
Ma première question porte sur l’avenir de la présence militaire occidentale, dont le soutien sera bien évidemment nécessaire à l’armée afghane. Il faut éviter que ne se reproduisent les événements qui ont conduit à l’effondrement du régime Nadjiboullah, après le départ des Soviétiques. Or, pour agir, l’insurrection, me semble-t-il, attend son heure, celle du retrait de la coalition.
Cela ne vous étonnera pas, monsieur le ministre, notre principale préoccupation concerne le processus politique, avec la concomitance, en 2014, de l’élection présidentielle et du retrait des forces de l’OTAN. Ne pouvons-nous craindre que les valeurs qui sont les nôtres, et qui ont fondé notre intervention et les sacrifices auxquels nous avons consenti, ne soient pas partagées par les dirigeants afghans ? Que penser de la remarquable phrase de l’un de nos diplomates, selon lequel M. Karzai partage avec ses compatriotes, au nom d’une courtoisie immémoriale, cette culture du travestissement de la vérité, chez nous appelé autrement ? La formule, le brio mis à part, pose une vraie question, surtout si l’on se rappelle l’une des cinq règles du Yaghestan, énoncées par Michael Barry, selon laquelle un chef n’est en mesure d’imposer son autorité que grâce au clientélisme, ce qui le rend bien évidemment dépendant des subventions extérieures.
La reprise de la guerre civile – un risque non négligeable, comme en témoigne la reconstitution des armées des chefs de guerre –, ou le retour des talibans seraient, convenons-en, très difficiles à expliquer à nos opinions publiques.
Le dernier point de mon propos concernera le Mali.
Nous avons su réagir vite, frapper fort, et mettre les Maliens, les Africains, et bientôt l’ONU, au centre du jeu. Ce n’était pas une mince affaire ! Cependant, les armes n’ont fait que créer les conditions d’une sortie de crise, sur laquelle il nous faut travailler. En tout état de cause, nous devons vous aider, monsieur le ministre.
La faiblesse des États est pour nous une menace, au Mali comme en Libye. Vous le dites souvent, monsieur le ministre, le nœud gordien de la question malienne est la restauration de l’État.
La première urgence est d’établir, dans le pays, une base démocratique, et, donc, d’organiser des élections, dont je crois, moi aussi, qu’elles sont possibles. Les villes du nord du Mali sont libérées, et 98 % de la population peut aujourd’hui voter. Maintenons donc la pression pour que l’objectif, ambitieux, de juillet soit tenu, et gérons au mieux, dans l’intervalle, la fin de la transition, dès avril.
Reconstruire l’État, c’est aussi reconstruire l’armée, la gendarmerie, la police. Avec la mission de formation des forces armées maliennes qu’ils ont reçue, les soldats européens seront les tuteurs de la totalité des futurs cadres de l’armée malienne, qu’ils sensibiliseront aux notions essentielles de respect des droits humains et de subordination au pouvoir civil.
Ne nous leurrons pas, mes chers collègues, l’armée malienne reste aujourd’hui tiraillée entre différentes loyautés. D’ailleurs, que se passe-t-il à Kati, monsieur le ministre ? La présidence du comité militaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité constitue-t-elle, pour celui à qui on l’a offerte, un enterrement ou un tremplin ?
Reconstruire l’État, c’est aussi se réconcilier. La feuille de route adoptée le 29 janvier dernier permettra-t-elle d’inventer les instances d’un vrai dialogue et de dessiner les contours d’une administration territoriale nouvelle, qui réponde aux aspirations du Nord ?
Le dialogue, justement, n’est pas encore vraiment engagé. Aidons à la mise en place de la commission nationale de dialogue et de réconciliation, aidons vigoureusement au dialogue intercommunautaire de manière vigoureuse, contribuons à l’accélérer !
Reconstruire l’État, enfin et surtout, c’est lui permettre de contracter la seule assurance-vie qui vaille, à long terme : le développement économique. En donnant un avenir à la jeunesse, il tarira le mieux possible le recrutement terroriste. Le ministre chargé du développement, Pascal Canfin, qui sera au Sénat jeudi prochain, était hier à Bamako. Les besoins sont immenses : éducation, gestion de l’eau, routes, infrastructures de santé, accès à l’énergie, et j’en passe. Ils doivent se concevoir à l’échelle de la région et non pas du seul Mali.
Essayons d’éviter les erreurs du passé : absence de coordination des donateurs, d’un côté, ensablement de l’aide dans des circuits qui n’atteignent jamais les populations, de l’autre. La lutte contre la corruption devra être très ferme. Je sais, d’ailleurs, que vous en êtes complètement convaincu, monsieur le ministre, et que tels sont les axes de votre action.
La diplomatie française doit proposer des solutions rapides, concrètes et crédibles, dans l’optique de la conférence des bailleurs de fonds, qui se tiendra en mai, à Bruxelles.
Quels enseignements tirer de cette crise ? J’en vois quatre principaux, trois sur le plan militaire et un sur le plan diplomatique.
Premièrement, pardonnez-moi de revenir sur ce point, monsieur le ministre, mais c’est chez moi une obsession, nos « trous capacitaires », connus de tous, sont confirmés. Certains programmes pour le ravitaillement, les drones ou le transport sont lancés. Cependant, comme je le disais en introduction, les décisions qui risquent d’être prises en loi de programmation militaire font peser de fortes incertitudes sur le maintien des moyens de nos armées. Une des leçons que l’opération au Mali nous apprend, c’est que nous devons pouvoir compter sur nos propres forces, faute de prise de conscience chez nos partenaires européens !
Deuxièmement, l’importance de nos forces prépositionnées est manifeste. Sans ces points d’appui, comment pouvions-nous être sur le terrain cinq heures après la décision du Président de la République ? Sans eux, comment imaginer le transport, en moins d’un mois, de 3 000 hommes et de 12 000 tonnes de matériel ? Aurions-nous pu agir de façon aussi rapide et aussi décisive si nous n’avions pas été présents à N’djamena, Dakar, Ouagadougou, Libreville ou Niamey ?
Dès lors, je me féliciterais que cette opération ait pu porter un coup d’arrêt au démantèlement de nos bases en Afrique. Je n’ai pas besoin, mes chers collègues, d’évoquer longuement devant vous l’évolution de ce continent, dont nous savons qu’il sera, dans quelques années, l’un des plus peuplés de la planète et qui connaît des taux de croissance de 5 % par an.
Troisièmement, l’importance de conserver intacte notre capacité à « entrer en premier », tout à fait déterminante, trouve dans ce conflit une démonstration éclatante. Sachons en tirer les conséquences dans la future loi de programmation militaire.
Quatrièmement, monsieur le ministre, une dernière leçon me saute aux yeux, sur le plan diplomatique, cette fois. Je veux parler des limites évidentes de l’action militaire, qui n’a de légitimité que soumise à un objectif politique. La guerre n’est qu’un moyen. Nous devons avoir, dès la première minute d’un conflit – et même avant ! –, une approche vraiment globale, qui inclue tout à la fois les questions de gouvernance, de restauration de l’État et de développement, et qui se positionne au sein d’une dynamique régionale. De ce côté, nous avons beaucoup à apprendre des expériences afghane, irakienne et même libyenne.
Mais je sais, monsieur le ministre, que vous agissez en conséquence. C’est pour cela que nous vous soutenons, comme nous soutenons la politique que vous menez. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, en cette période où les événements se succèdent rapidement à travers le monde et où notre pays s’efforce de tenir la place qui est la sienne au sein de la communauté internationale, il est nécessaire et utile que le Parlement prenne le temps de la réflexion et s’exprime sur l’action du Gouvernement.
Parmi les principaux événements retenant aujourd’hui l’attention figurent les suites de notre intervention militaire au Mali, l’évolution de la situation en Tunisie et en Égypte, et votre intense activité, monsieur le ministre, pour tenter de régler le dramatique conflit qui déchire la Syrie. Le temps qui m’est imparti m’oblige à m’en tenir là.
En ce qui concerne le Mali, les observations que vous ferez sur cette situation complexe nous apporterons certainement quelques éclaircissements, notamment sur les intentions du Gouvernement.
Pour notre part, si nous avons soutenu sans ambiguïté cette intervention militaire, ce fut sans illusion ni naïveté. À cet égard, je voudrais, à nouveau, rendre hommage au courage, au professionnalisme et à l’efficacité de nos soldats, qui ont rempli la mission confiée à nos armées dans des conditions très difficiles.
La première partie de cette mission, qui consistait à stopper l’avance des djihadistes et contribuer à libérer, reconquérir et sécuriser le terrain, a été accomplie avec brio. Elle devrait être en voie d’achèvement.
Toutefois, dans son discours de Bamako, le Président de la République a également pris soin de préciser que l’action de la France n’était pas terminée et que nous resterions dans ce pays le temps qu’il faudrait.
Or, monsieur le ministre, vous déclariez peu de temps après que nos troupes pourraient commencer à se retirer à partir du mois de mars…
Nous sommes donc dans la phase où il faut prévoir ce que l’on appelle, d’une manière certes un peu triviale, le « coup d’après ». Et, sur cette question, il demeure, me semble-t-il, un certain flottement à la tête de l’État.
Que veut, que peut et que doit maintenant faire la France au Mali ?
C’est sur ce point que notre groupe a peut-être quelques interrogations, ainsi sans doute que des différences d’appréciation, sinon sur les objectifs affichés, du moins sur les modalités pour les atteindre.
Les finalités et le calendrier de notre opération militaire, tout comme l’issue, par définition difficilement prévisible, restent flous, et ce alors que nous venons d’achever de nous déployer et qu’une autre phase de l’opération Serval, destinée à pourchasser les groupes islamistes vers le nord, est actuellement en cours.
D’ailleurs, faut-il le faire nous-mêmes ? Faut-il s’épuiser à se lancer à la poursuite de groupes dispersés sur un terrain aussi difficile et d’individus éparpillés dans la population ? Une telle stratégie me paraît hasardeuse, du point de vue tant militaire que politique. Au demeurant, la France souhaite, nous a-t-il semblé, que des forces africaines soient rapidement en mesure de prendre le relais : notre pays ne pourra en effet pas rester longtemps seul à fournir de tels efforts militaires et financiers.
De plus, face à la nouvelle tactique de groupes djihadistes isolés, qui pratiquent la guérilla et le terrorisme urbain, comme à Gao, il faut aussi désormais nous prémunir contre un risque d’enlisement solitaire dans une aventure incontrôlable.
C’est la raison pour laquelle nous approuvons les efforts diplomatiques que vous déployez pour replacer cette opération dans un cadre institutionnel international, afin que la légitimité en soit renforcée et que nous soyons soutenus par la communauté internationale.
Ce cadre, seule l’ONU est légitime à le définir, en concertation avec les organisations régionales, tout particulièrement l’Union africaine, mais aussi l’Union européenne, qui, au-delà de son soutien politique, doit maintenant s’engager plus avant à nos côtés. Elle vient d’ailleurs de le faire hier, en lançant une mission de formation de l’armée malienne.
Pour replacer l’opération dans un cadre institutionnel international, la logique et l’efficacité commandent de mettre le plus rapidement possible sous l’autorité de l’ONU la force africaine en cours de déploiement dans le cadre d’une opération de maintien de la paix.
Je mesure combien la tâche est délicate et difficile. Cela dépend à la fois d’une nouvelle résolution du Conseil de sécurité, qui résulterait d’un accord consensuel entre ses membres, mais aussi de la capacité de nos forces et des forces africaines à assurer préalablement la sécurité sur le terrain.
Parallèlement, l’intervention militaire nous oblige de facto, alors que nous en assurons pour l’instant la plus grande partie, à assumer la lourde responsabilité de veiller à la bonne application de la « feuille de route » adoptée par le parlement malien.
Cette dernière, qui prévoit notamment – M. le président de la commission des affaires étrangères vient de le rappeler – des élections au mois de juillet, est une condition impérative pour mettre en œuvre un processus politique de réconciliation, de restauration des institutions démocratiques et de réduction des fractures de toutes sortes qui existent entre le sud et le nord de ce pays. C’est aussi le préalable indispensable à la reprise progressive de l’aide au développement, que l’Union européenne et nous-mêmes avions suspendue.
Je sais combien la voie de la réconciliation entre les factions et avec les populations du Nord est difficile, car il faut engager le dialogue avec tous, sans exclusive, mais sans non plus privilégier quiconque, comme nous donnons peut-être l’impression de le faire avec le MNLA.
Toutes ces données expliquent la conviction profonde de notre groupe : la réponse au chaos et à la déstabilisation du Mali et des pays de la région ne peut pas être que militaire ; elle doit aussi être politique, économique et sociale.
Pour retrouver la voie du développement dans la stabilité, le pays a, certes, d’abord besoin de recouvrer, avec toutes ses composantes, sa souveraineté sur tout son territoire. Mais il doit aussi refonder un État de droit et une réelle démocratie permettant de mettre en œuvre de profondes transformations politiques, économiques et sociales. C’est la seule garantie d’un juste partage de ses richesses potentielles, dont l’absence est en grande partie responsable du conflit actuel.
Car nous craignons que, une fois l’accueil chaleureux et euphorique des populations maliennes passé, l’intervention militaire ne soit perçue comme avant tout motivée par la défense des intérêts économiques et stratégiques de notre pays dans la région.
Le seul moyen de prévenir de telles interprétations est de donner une perspective claire à l’action de nos forces armées au Mali, à celle des troupes africaines qui les rejoignent, puis à celles de l’ONU plus tard. Cette perspective, c’est la mise en œuvre de nouveaux rapports avec les pays africains.
Cela doit ouvrir la voie à l’instauration de relations économiques équitables, fondées sur un nouveau partage des richesses, mettant fin au pillage par des sociétés multinationales, mais aussi permettre le règlement de la question de la dette, qui étrangle ces pays.
Monsieur le ministre, au-delà des questions sécuritaires et géostratégiques, saisissez l’occasion de cette crise au Sahel pour engager une profonde refondation de notre politique d’aide publique au développement ! C’est un sujet que nous pourrons développer ici même dans deux jours, au cours d’un débat avec votre ministre délégué, M. Pascal Canfin.
En Tunisie et en Égypte, nous assistons à une inquiétante évolution des « printemps arabes ».
L’arrivée au pouvoir de partis islamistes dans ces pays a, à l’évidence, déçu, et s’est rapidement heurtée aux revendications économiques et sociales des populations. Le modèle de société que veulent imposer ces formations, au détriment des libertés publiques fondamentales, rencontre également de fortes résistances, tout particulièrement en Tunisie.
Dans ces conditions, et sans qu’on ait à nous reprocher une quelconque ingérence, il faut effectivement, comme l’a fait le Président de la République, appeler fermement les autorités de ce pays au respect des idéaux démocratiques, de tolérance, et de justice sociale portés par le peuple tunisien lors de sa révolution.
Mais il faut aussi agir concrètement, sur le terrain diplomatique, et prendre des initiatives propres à aider le rassemblement des forces démocratiques et laïques de ce pays pour contrer le danger qui menace le processus démocratique en cours, de même qu’il faut agir au plan européen, pour un réel allégement de la dette précédemment contractée par la Tunisie auprès de l’Union, et veiller, en ces temps d’austérité budgétaire européenne, à ce que la nouvelle stratégie d’assistance financière pour le développement des pays du sud de la Méditerranée ne soit pas remise en cause.
J’en terminerai par le conflit syrien, qui a été quelque peu occulté ces dernières semaines par d’autres crises. Il n’en reste pas moins dramatique, puisque les combats de cette guerre civile redoublent de violence.
Monsieur le ministre, nous nous interrogeons sur la manière dont la France apporte son soutien, notamment financier, à une coalition de l’opposition syrienne qui est très divisée sur la solution politique à mettre en œuvre pour sortir de la crise, ainsi que sur la conception même de la nouvelle société qu’elle veut bâtir.
Enfin, à la suite de l’expérience libyenne, nous apprécions que l’Union européenne ait eu hier, à Bruxelles, la sagesse de ne pas lever son embargo sur les livraisons d’armes létales à l’ensemble des groupes combattant le régime de Bachar Al-Assad.
Nous souhaitons que la France, comme d’autres pays européens, dise avec franchise à l’opposition syrienne qu’elle n’obtiendra rien dans ce domaine tant qu’elle n’aura pas prouvé sa capacité à contrôler les groupes islamistes, dont le rôle est grandissant.
Telles sont, monsieur le ministre, quelques-unes des appréciations sur la situation internationale dont nous désirions vous faire part. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, faire, en cinq minutes seulement, le tour de ce grand monde qui va si mal et où le désir de France est si important est un exercice bien difficile. (Sourires.)
M. Henri de Raincourt. Vous allez y arriver !
Mme Nathalie Goulet. Je me concentrerai donc sur deux sujets.
J’évoquerai d’abord la Turquie, d’où je reviens. C’est un allié économique et stratégique important. Votre rencontre de la semaine dernière avec votre homologue a permis une avancée sur la question de l’adhésion, monsieur le ministre.
Nous constatons que ce pays réalise des progrès importants s’agissant des critères de convergence. Ce n’est pas notre excellente collègue Josette Durrieu, rapporteur de ce dossier pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, qui me démentira.
Monsieur le ministre, quelles sont les perspectives en matière d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ?
La Turquie ayant une frontière commune avec la Syrie, j’en viens naturellement à mon second sujet.
La situation syrienne a des conséquences bien inattendues sur un territoire qui m’est cher : le Caucase du Sud.
En effet, les Arméniens de Syrie se réfugient en Arménie et se voient dirigés vers des territoires bien spécifiques : les territoires occupés d’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabagh, mais aussi dans les régions de Lachin et Kelbadjar, en dehors du Haut-Karabagh.
Une telle politique à l’égard des réfugiés syriens d’origine arménienne doit être condamnée, car elle constitue une violation du droit international humanitaire, y compris de la quatrième convention de Genève.
Ses tentatives pour modifier artificiellement l’équilibre démographique dans les territoires occupés d’Azerbaïdjan montrent une fois de plus l’attitude pour le moins négative de l’Arménie et son intention non seulement de consolider les résultats d’une agression, reconnue comme telle par toutes les organisations internationales, contre ce pays, mais aussi de faire perdurer une situation déjà très difficile, marquée par l’impasse du processus de négociations dans lequel est entré le groupe de Minsk.
Par ailleurs, la situation dans cette partie du Caucase est particulièrement inquiétante. Au lendemain d’élections qu’il serait pour le moins exagéré de qualifier de « démocratiques », les autorités arméniennes ont annoncé l’ouverture de l’aéroport de Khodjaly. C’est non seulement un coup sans précédent porté au processus de paix engagé dans le cadre du groupe de Minsk, mais aussi une atteinte à un statu quo auquel la France doit veiller. C’est également une provocation, à la veille du vingt et unième anniversaire du massacre de Khodjaly, qui est l’Oradour-sur-Glane de cette malheureuse région.
Le France, en tant que coprésidente du groupe de Minsk, n’a jamais reconnu la république fantoche du Haut-Karabagh, pas plus que l’Arménie, d’ailleurs. Elle doit absolument faire respecter le statu quo.
Bien entendu, ce conflit gelé du Caucase ne fait pas la une des journaux. Mais il risque d’accroître les facteurs de déstabilisation de toute la zone, si l’on y ajoute les renversements d’alliances énergétiques et de transport de la Géorgie et de son nouveau gouvernement, malgré les affirmations réitérées d’arrimage à l’OTAN.
La Russie va prendre toutes ses marques dans un Caucase qu’elle considère depuis toujours comme étant sien. De l’Abkhazie à l’Ossétie, des changements d’alliances en Géorgie en passant par une gestion de fait de l’Arménie, l’Azerbaïdjan restera le seul pays allié sûr dans la région. Je le rappelle, bien que membre de l’Organisation de la coopération islamique, ce pays entretient des relations diplomatiques avec Israël et maintient un multiculturalisme absolu. J’ajoute – malheureusement, Laurence Rossignol n’est pas là – que les femmes y jouissent du droit de vote depuis 1918 !
Monsieur le ministre, il faut absolument être attentif à cette zone. Votre visite en Azerbaïdjan serait évidemment un signe fort pour ce partenaire important de la France, trop souvent soumis à des jugements hâtifs et aux foudres d’une diaspora arménienne active, voire activiste.
Je termine en saluant votre action dans ce beau ministère, qui est sorti grâce à vous des brumes dont vos prédécesseurs l’avaient entourée. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Larcher. Non ! Non !
M. Henri de Raincourt. Ce n’est pas correct !
Mme Nathalie Goulet. Je suis enthousiaste à l’idée de développer la diplomatie économique ; j’espère que vous y ajouterez la diplomatie parlementaire, pour l’accompagnement de nos entreprises à l’exportation.
En tout état de cause, vous pourrez compter sur mon entier soutien s’agissant de l’ensemble de ces questions. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, dans un monde en bouleversement, où les grands équilibres, que l’on pensait pourtant immuables, sont ébranlés, débattre de la politique étrangère de notre pays en moins de deux heures relève de la gageure. Et c’est d’autant plus vrai dans le temps limité qui m’est imparti. Je le mettrai donc à profit pour insister sur deux grandes zones où les enjeux me semblent cruciaux : l’Afrique du nord et de l’ouest, d’une part, le Moyen-Orient, entre la Syrie et l’Iran, d’autre part.
En effet, comment parler de notre politique étrangère sans aborder l’engagement de nos forces armées au Mali ? Le 16 janvier dernier, nous avons eu l’occasion d’en débattre ici même, monsieur le ministre. L’intervention fut largement, presque unanimement approuvée sur les travées de notre Haute Assemblée, tout comme elle est soutenue, nous le savons, par une très grande majorité de nos concitoyens.
Ne pas répondre à l’appel du président Traoré aurait entraîné, rien de moins, que l’écroulement de cet État, nous en sommes certains. Le risque de déstabilisation de l’ensemble de la région sahélienne était également réel : au Niger, au Tchad, en Mauritanie, jusqu’au Nigeria, voire aux pays du Maghreb, Algérie et Libye en tête.
En associant les pays frontaliers, les institutions régionale – la CEDEAO –, continentale – l’Union africaine – et internationale – l’ONU –, le Président de la République a esquissé les grandes orientations de sa politique africaine. La France a choisi d’assumer les responsabilités qui lui incombent du fait de ses anciennes et profondes relations avec ces pays, mais sans pour autant perpétuer des politiques d’ingérence contre les peuples africains.
Cette action résolue permit d’entraîner les États voisins du Mali, au sein de la MISMA, la mission internationale de soutien au Mali, puis un certain nombre d’États européens, même si cet épisode pose, une fois de plus, la question de l’Europe de la défense.
Trois objectifs furent assignés à notre engagement : tout d’abord, libérer le Nord-Mali et délivrer les populations du joug de la terreur et de l’obscurantisme ; ensuite, rétablir un État malien solide et stabiliser la région ; enfin, œuvrer en faveur du développement sur l’ensemble du territoire.
Le premier objectif, qui constitue le volet militaire de l’opération, est en passe d’être atteint, et l’action de nos forces engagées dans l’opération Serval doit être louée.
Les principales villes du Nord-Mali ont été libérées et les groupes terroristes, considérablement affaiblis, se sont repliés dans l’immensité saharo-sahélienne, dont les frontières, on le sait, sont poreuses. Ils menacent la paix, ainsi que la sécurité des militaires et des civils, à travers des opérations de guérilla dont ils se sont fait la spécialité.
La reconstruction du Mali ne pourra s’opérer sans s’attaquer aux antagonismes régionaux, entre le Nord, touareg et arabe, historiquement délaissé par le pouvoir central et affecté par la désertification du Sahel, et la partie subsaharienne, où l’on trouve des populations bambaras, sénoufos, songhaï, peuls, dogons.
Rétablir l’État malien passera également par la remise du pouvoir aux civils et par le rétablissement de l’ordre constitutionnel, que l’on n’évoque pas assez souvent.
Des élections présidentielle et législatives devraient se tenir en juillet 2013. Nous ne pourrions que nous en réjouir si nous ne devions malheureusement pas aussi en douter…
Le Conseil de sécurité de l’ONU se réunira dans les prochaines semaines et abordera la question du déploiement de Casques bleus, auquel est favorable la Communauté des États sahélo-sahariens. Malheureusement, les autorités maliennes semblent, elles, réticentes à cette intervention, craignant – nous pouvons les comprendre, mais il faut bien trouver une solution ! – un scénario à la soudanaise.
L’Europe, quant à elle, absente du volet militaire de l’intervention pourrait, ce qui serait souhaitable, participer à la reconstruction d’un État malien grâce à sa politique d’aide au développement. Une conférence des donateurs pour le Mali, co-organisée par l’Union européenne et la France, aura d’ailleurs lieu dans les prochaines semaines à Bruxelles.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous informer sur la méthode et la feuille de route que le Gouvernement souhaite mettre en œuvre afin d’atteindre les trois objectifs que j’ai cités ?
Bien sûr, je n’oublie surtout pas en ce jour la question des otages français retenus au Sahel. Nous avons en effet appris en début d’après-midi le rapt de sept de nos concitoyens – toute une famille – à l’extrême nord du Cameroun. Nous pensons à eux en cet instant.
Cet événement nous pousse à nous interroger une nouvelle fois sur le nécessaire renforcement des liens de coopération avec les États de l’Afrique centrale et occidentale pour lutter avec détermination contre ce qui semble être devenu un « business de l’enlèvement », et qui s’étend à partir du Nigeria, comme c’est encore le cas aujourd’hui.
J’ai la conviction en tout cas que la sécurisation de la zone saharo-sahélienne dépend grandement de la stabilisation des pays d’Afrique du Nord. De ce point de vue, les inquiétudes sont vives dans les pays du « printemps arabe ». En Tunisie et en Égypte – grand pays à la culture et à l’histoire magnifiques –, alors que deux années se sont écoulées depuis le départ des anciens dictateurs, les effluves des révolutions de jasmin se sont évaporés.
Ces deux pays sont menacés par un effondrement économique et sont traversés par de vives tensions politiques et sociales, sous forme de terrorisme religieux.
Quelles actions pouvons-nous mettre en œuvre pour favoriser une réelle transition démocratique en Tunisie, alors que des militants du parti au pouvoir attisent le sentiment anti-Français ?
J’en viens à la situation en Syrie. L’an dernier, le 7 février pour être précis, alors que nous débattions déjà de notre politique étrangère, nous regrettions l’escalade de la violence de Homs à Alep, l’impasse dans laquelle se trouvaient les négociations à l’ONU ou les luttes internes au sein de l’opposition. Qu’en est-il aujourd’hui, monsieur le ministre ?
Sur le plan diplomatique, le blocage au sein du Conseil de sécurité de l’ONU persiste. Lors de son allocution à l’Assemblée générale des Nations unies, le Président de la République s’était prononcé en faveur d’une réforme du Conseil de sécurité, pour qu’il « reflète mieux les équilibres du monde d’aujourd’hui ». Il avait raison !
Sur le plan militaire, aucun des deux camps ne semble en mesure de l’emporter à court terme, et le risque d’enlisement et de partition de facto du pays existe, alors que le conflit a déjà près de deux ans.
La militarisation croissante de ce que l’on peut appeler une « guerre civile » a opéré un raidissement des alliances dans la région. La solidarité chiite regroupe, derrière le régime alaouite, l’Iran et le Hezbollah, lesquels comptent sur le soutien des puissances que sont la Chine et surtout la Russie, sans lesquelles, nous le savons, aucune solution négociée n’est possible.
Face à eux, la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution a pu fédérer, non sans mal, les différentes mouvances se réclamant de l’alternance et a, notamment, été reconnue par la France. Mais sa légitimité a déjà été rejetée par plusieurs groupes islamistes. Il n’est pas inopportun que nous nous interrogions, forts des exemples des précédentes révolutions arabes, sur les rapports de force au sein d’une éventuelle Syrie post-Assad.
La politique en direction de l’Iran, et plus précisément autour de son programme nucléaire, est un autre motif d’instabilité. La question de l’efficacité des sanctions économiques décidées par l’Union européenne et les Nations unies mérite d’être posée. Ces sanctions, nous le savons, affectent en premier lieu la population et jettent le pays dans une fuite en avant qui devrait s’exacerber au cours de la campagne pour la prochaine élection présidentielle de juin 2013.
Par ailleurs, tant au Sahel qu’au Moyen-Orient, monsieur le ministre, quelle est la position du Gouvernement sur le rôle parfois, pour ne pas dire souvent, voire toujours, ambigu des monarchies du Golfe ? Je pense, notamment, au Qatar et à l’Arabie Saoudite ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Je souhaitais également souligner, monsieur le ministre, votre décision de permettre l’ouverture d’un chapitre dans les négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne,…
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. … qui avaient été bloquées par le précédent président de la République.
Cette ouverture est de nature à nous rapprocher d’un partenaire en tous points stratégique, qu’il faut cesser de rejeter et considérer enfin comme partie prenante de l’Europe !
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Comme le Président de la République l’indiquait lors de ses vœux aux Français, la France est elle-même quand elle défend ses valeurs dans le monde. Nous sommes heureux, mes chers collègues, monsieur le ministre, de constater qu’en ces périodes où l’Histoire s’accélère, la France est au rendez-vous ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, sans institutions solides, la tyrannie de la force l’emporte sur le règne du droit. Sans lois, la légitimité de toute autorité est insignifiante. Sans légitimité, la concorde civile est impossible.
En ces temps de fortes turbulences que traverse le monde, il est bon de rappeler certains principes, qui restent essentiels dans tout processus durable de sortie de crise et qui doivent, par conséquent, être au cœur de la politique étrangère de la France.
La crise malienne en est la parfaite illustration. Nos forces sont engagées depuis janvier 2013 pour rétablir l’intégrité territoriale de ce pays.
Pourtant, le seul usage de la force n’est pas viable à long terme pour reconstruire un pouvoir légitime répondant aux aspirations de la société civile.
Depuis près d’un an, les autorités du Mali sont toujours en transition. Le président par intérim, Dioncounda Traoré, a déclaré qu’il espérait pouvoir organiser des élections « transparentes et crédibles » avant le 31 juillet 2013...
Le gouvernement malien a annoncé le jeudi 14 février dernier que le premier tour de l’élection présidentielle aurait lieu le 7 juillet prochain et le second tour le 21 juillet, en même temps que les législatives.
Par ailleurs, le Président de la République, François Hollande, a appelé au dialogue politique lors de son déplacement du 2 février dernier au Mali.
Bâtir des institutions solides et démocratiques est une condition impérative pour la construction d’un État de droit au Mali.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que la résolution 2085 du Conseil de sécurité des Nations unies est d’une grande clarté en la matière, notamment en son article 1er. L’opacité dans la conduite du pays ne saurait donc durer. Ces élections cruciales auront valeur de test.
Le respect des droits de l’homme est une valeur fondamentale et essentielle sans laquelle il est illusoire d’envisager un processus de pacification quel qu’il soit.
La résolution 2085 est de nouveau très claire à ce sujet, puisqu’elle prévoit, en son article 17, que « la protection des civils au Mali incombe au premier chef aux autorités maliennes ».
Pourtant, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, la FIDH, affirme que des soldats maliens auraient perpétré, dès le 24 janvier 2013, « une série d’exécutions sommaires » ; au moins onze personnes auraient été tuées à Sévaré.
Dans le même sens, Amnesty International et Human Rights Watch accusent l’armée malienne, dans deux rapports publiés le 1er février 2013, d’avoir procédé à des exécutions sommaires lors de la poussée des forces djihadistes vers le sud du Mali et de la contre-offensive engagée par la France.
Plus grave, la Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Navi Pillay, a lancé le mardi 12 février 2013 un appel solennel à tous les protagonistes du conflit pour qu’ils « empêchent les représailles », renforçant ainsi la crédibilité de ces informations et laissant planer le risque d’une épuration ethnique.
Le meilleur rempart contre ces dérives reste la construction d’un État de droit au Mali. Cela s’applique aussi à l’Afghanistan. À l’heure où nos effectifs ont entamé le processus de retrait du pays, voici le bilan après dix ans de guerre contre le terrorisme, alors que la coalition internationale aura quitté le territoire en 2014 : une espérance de vie moyenne se situant à 48,7 ans, un taux de mortalité infantile de 121,6 pour 1 000 pour l’année 2012, et la situation des femmes afghanes reste alarmante.
L’édification d’un État de droit suppose une légitimité de tout pouvoir, certes, mais aussi une meilleure compréhension des enjeux territoriaux et de l’histoire mouvementée entre l’Afghanistan et le Pakistan, trop souvent ignorée de la communauté internationale.
Dans le sillage de l’onde de choc créée par le printemps arabe de 2011, le régime d’Hosni Moubarak, en place depuis 1981, n’a pas échappé à cette volonté de changement et est tombé le 11 février 2011.
Depuis, force est de constater que la recherche d’un consensus national est chaotique et que le pays semble toujours profondément divisé, et ce près de deux ans après la révolution, dans un climat de guerre civile larvée.
Mes chers collègues, avons-nous une juste appréciation de la réalité politique en Égypte ? Sommes-nous réellement capables de mesurer les forces politiques en présence ? Une erreur d’analyse de notre part pourrait être lourde de conséquences.
L’inquiétude est aussi de mise en Tunisie, où un chef de l’opposition tunisienne, Chokri Belaïd, a été tué par balle le 6 février dernier à Tunis, ce qui a suscité de vives tensions dans le pays et a mis en péril la fragile union nationale. Là encore, nous devons nous interroger sur notre capacité à appréhender une situation politique complexe. Mes chers collègues, toutes les voix de la société civile doivent être entendues.
Autre exemple, la Syrie où aucune solution de sortie de crise durable ne semble se dessiner. Une révolte qui avait démarré comme une contestation pacifique et démocratique a dégénéré en un affrontement de milices.
Le résultat est tragique : depuis mars 2011, les combats ont fait plus de 60 000 morts et plusieurs dizaines de milliers de disparus. Quatre millions de personnes ont besoin d’une aide d’urgence, 2 millions sont déplacées et plus de 650 000 sont réfugiées dans les pays voisins.
Dans ce contexte, la Russie a affrété aujourd’hui deux avions vers la Syrie, qui pourraient rapatrier des Russes dans la journée, et a annoncé l’envoi de quatre navires de guerre supplémentaires en mer Méditerranée, pour une éventuelle évacuation de plus grande ampleur de ses ressortissants. La Russie sera d’ailleurs une des clefs de tout processus de sortie de crise.
Pendant ce temps, la guerre continue et les civils meurent.
Cette recherche de consensus touche aussi l’Amérique latine. C’est ainsi que les étudiants vénézuéliens, enchaînés devant l’ambassade de Cuba à Caracas, poursuivent leur action jusqu’à ce que le président Hugo Chavez - tout récemment encore hospitalisé dans ce pays - soit déclaré capable ou non de gouverner.
La conclusion s’impose d’elle-même, et nous renvoie à mon propos d’introduction : oui, sans institutions solides, la tyrannie de la force l’emporte sur le règne du droit ; sans lois, la légitimité des autorités est inexistante ; sans légitimité, la concorde civile est impossible. Dans un monde instable, notre diplomatie doit donc être éclairée, audacieuse, inventive et visionnaire.
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Larcher. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, c’est en tant que coprésident, avec Jean-Pierre Chevènement, du groupe de travail « Sahel » de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mis en place en novembre, que je m’exprime aujourd’hui.
Je redis mon soutien à l’opération en cours au Mali. Mais cette attitude de responsabilité républicaine n’empêche pas le questionnement, qui est, lui, une nécessité démocratique. Je formulerai donc quatre interrogations.
Première question : la guerre contre le terrorisme au Mali est-elle gagnée ? Évidemment non. Il ne faut pas nous laisser leurrer par les victoires d’une guerre de mouvement dont nous avons su imprimer le tempo, de ville en ville, vers l’objectif final du Nord. Soyons lucides sur le caractère asymétrique des forces en présence et le degré d’engagement qui demeure nécessaire.
Le Président de la République vient de nous apprendre qu’un « accrochage sérieux » avait eu lieu dans l’Adrar des Ifoghas, causant la mort de plusieurs terroristes mais aussi d’un soldat du 2e régiment étranger de parachutistes.
Je vois plusieurs risques : le risque de harcèlement terroriste - attaques kamikazes, enlèvements, engins explosifs improvisés, attentats contre les civils ; le risque d’exactions, qui auraient pour effet de « retourner » des communautés entières, les transformant en adversaires ; le risque de dispersion des terroristes au-delà du septentrion malien et de leur enkystement dans des zones fragiles, en particulier le sud libyen. Nous n’en avons pas fini avec cette guerre, avec l’onde de choc qu’elle a créé en plaçant notre pays seul en avant, qu’on le veuille ou non, dans une nouvelle version de l’indispensable lutte contre le terrorisme, qui est pour nous tout autre chose que ce que certains ont appelé un « choc de civilisations ».
Cependant, nous n’ignorons pas que la rue arabe crie parfois « France dégage ! », et la lecture de la presse d’un certain nombre de pays – Jean-Pierre Chevènement et moi-même nous y attelons quotidiennement en ce moment – est éloquente et parfois décourageante.
Ce qui reste, malgré tout, une intervention étrangère sur le sol africain, est aussi un constat des limites de la politique africaine telle que nous l’avons reformulée depuis un certain temps - je parle aussi bien de l’actuel gouvernement que du précédent, madame Goulet -, une politique partagée avec les Européens et permettant aux Africains de prendre en charge leur sécurité.
Serval, comme Janus, a un double visage : celui d’une guerre nécessaire mais aussi – il faut avoir le courage de le dire – celui de l’absence d’une réelle architecture de défense proprement africaine.
M. Henri de Raincourt. Bien dit !
M. Gérard Larcher. Où sont les résultats des programmes de formation qui ont commencé il y a déjà plusieurs années déjà, des programmes tant américains – AFRICOM – qu’européens – RECAMP ? Quels sont les dividendes de nos efforts d’entraînement et d’équipement des armées africaines ? Tout le monde le sait, si nous n’étions pas intervenus le 11 janvier, Bamako passait sous la coupe des djihadistes.
Deuxième question : saurons-nous capitaliser sur le succès militaire pour le transformer en stabilisation puis en stabilité politique ? Nous l’espérons tous. C’est à mon sens la question la plus brûlante aujourd’hui, comme nous le dirons, Jean-Pierre Chevènement et moi-même, aux autorités maliennes lorsque nous les rencontrerons à Bamako à la fin de la semaine prochaine.
Une fois dissipé – nous l’espérons – le « nuage » du terrorisme islamique, la question malienne restera entière. Dans le théâtre d’ombres de la politique bamakoise, qui peut dire exactement aujourd’hui quelle sera la suite du processus politique ? Après l’attaque des bérets verts, après la nomination récente de putschistes à la tête d’un comité de réforme militaire, qui pourrait jurer que toute tentation prétorienne est absente ?
La perspective d’un retour au désordre ancien, sur fond de revanche, est à proscrire. Le jour d’après ne saurait être que celui d’une refondation de l’État malien. Mais quelles sont les têtes qui émergent dans le paysage politique et civil pour reconstruire un pacte social en lambeaux ? Pourquoi la commission de réconciliation nationale n’est-elle pas déjà à l’œuvre ?
Quelle application a reçu la feuille de route politique adoptée par l’Assemblée nationale malienne le 29 janvier ? Le calendrier électoral, qui prévoit – notre président le rappelait à l’instant – que les élections présidentielle et législatives auront lieu les 7 et 21 juillet, est-il tenable ? Qui proposera de vraies solutions pour la renaissance de l’État et la restauration des institutions ? Sans parler de la gouvernance du Nord, où les haines sont aussi séculaires qu’au Sud.
Peut-on s’inspirer de la gestion par le Niger de sa question touareg ? Doit-on s’appuyer sur la légitimité des élus locaux, que nous connaissons puisque nombre de nos collectivités territoriales, y compris dans les Yvelines, entretiennent des relations avec eux dans le cadre de la coopération décentralisée, qui permet souvent un réel dialogue ?
Ces défis politiques et institutionnels sont redoutables. Le coup d’État l’a montré : la classe dirigeante malienne est décomposée, alors même que c’est à elle d’imaginer un nouveau modèle de nation, ou de république, qui accorde sans doute au Nord un large transfert de compétences et parvienne à trouver un point d’équilibre entre un État laïc – est-ce le mot qui convient ? – et l’islamisation croissante de la société, portée par des wahhabites qui savent s’imposer dans cette société majoritairement dominée par un islam quiétiste et malékite, ce qui est tout de même un paradoxe ?
État, justice : voilà les piliers qu’il faut refonder ! Ce débat devrait d’ores et déjà faire l’objet d’échanges, mais l’accaparement actuel du pouvoir par des militaires et des politiques dont – il faut bien le dire – le crédit n’est pas très élevé parmi les Maliens ne rend-il pas très difficile l’organisation d’un débat national sous leur égide ? Et à partir du 6 avril, le Président de la République et le Premier ministre du Mali seront confrontés à un problème de légitimité...
Personne ne me semble aujourd'hui en mesure de répondre vraiment à ces interrogations. Ce sont pourtant celles qui comptent.
Troisième question : saurons-nous mobiliser la communauté internationale autour d’un plan de développement pour l’ensemble de la région sahélienne ? Comme une bourrasque de vent du désert en saison sèche, le Mali sortira bientôt de l’agenda international et médiatique ; n’en doutons pas.
Comment aurons-nous su mettre à profit ce moment pour mobiliser la communauté internationale afin de lutter contre le trafic de drogue, la famine, la sécheresse, l’appauvrissement des sols, la déstructuration pastorale et agricole ou encore l’essor de la piraterie dans le golfe de Guinée ? En un mot, parviendrons-nous à éloigner le spectre d’un « scénario somalien » en Afrique de l’Ouest ? Quelle approche globale, quelle dynamique régionale pourrons-nous impulser, en nous appuyant sur l’incontournable Algérie, dont le positionnement est aujourd’hui constructif, et en renforçant nos alliés, dont certains – le Niger, la Mauritanie, le Tchad ou le Burkina Faso, par exemple – sont des États fragiles ?
L’Union européenne est le premier bailleur de fonds dans la région du Sahel, mais nous concentrons tout notre effort aujourd’hui sur le traitement des conséquences au lieu de nous occuper des causes, ce qui pourrait être un paradoxe, dans la mesure où cela demande beaucoup plus d’investissement et de temps.
Quatrième et dernière question : quelles leçons saurons-nous tirer de notre engagement au Mali ?
Le premier enseignement concerne naturellement le format de nos forces et bases prépositionnées, qui ont permis la spectaculaire montée en puissance de notre dispositif militaire. Allons-nous conserver cette capacité à entrer en premier et ce large spectre capacitaire, qui font la différence ? Un outil de défense se construit dans la durée. Nous engrangeons aujourd’hui les bénéfices des choix d’hier.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Non, d’avant-hier !
M. Gérard Larcher. Qu’en sera-t-il demain ? Une réponse nous sera bientôt apportée par le Livre blanc. Si nous diminuons l’effort, nous diminuerons aussi les ambitions. J’ose le dire, ce serait une forme de déclassement stratégique, comme notre président l’a souligné.
Soyons clairs : si notre effort de défense tombe en dessous de 1,5 % du PIB, la nature de nos armées sera modifiée. Afin de relativiser ce chiffre, je rappelle que les dépenses publiques représentent 56 % du PIB…
Le second enseignement à retenir est que nous devons nous demander quelle Europe de la défense nous pouvons construire. Aujourd’hui, l’esprit de « Lancaster House » semble plus fort que celui de « Weimar Plus ». Peut-on avancer de manière pragmatique ?
En conclusion, quelle est la véritable question dont nous débattons cet après-midi ?
Il s’agit de permettre à la France de continuer à être cet acteur incontournable de la vie internationale qui ne subit pas les évolutions du monde mais qui conserve la faculté d’en infléchir le cours et d’exercer une influence bien au-delà de ce que suggérerait son poids économique et démographique. C’est là, me semble-t-il, le génie d’une politique étrangère conçue par le général de Gaulle et qu’il nous faut renouveler au XXIe siècle. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, mon propos portera davantage sur le Maghreb, puisque j’anime, aux côtés de Christian Cambon, un groupe de travail consacré à la rive sud de la Méditerranée.
Je voudrais revenir sur les printemps arabes de l’année 2011, une année folle.
La première surprise fut l’éruption en elle-même, avec ces révolutions et chutes en série de régimes autoritaires et corrompus dont nous nous étions fort bien accommodés pendant des années : Ben Ali en janvier, Moubarak en février, Kadhafi en octobre. Et au Maroc, on voit un roi adroitement réviser la Constitution en juillet, avant d’organiser des élections en novembre ; aujourd'hui la monarchie résiste bien, même si les islamistes ont gagné les élections.
Partout, nous constatons que l’opposition est faible et qu’elle perd les élections. De fait, la deuxième surprise fut la victoire des islamistes à toutes les élections.
Peut-être n’avons-nous pas mesuré, en arrière-plan, l’implantation des islamistes, leur force sociale et politique, leur ancrage, leurs réseaux. Face à eux, l’opposition semble désorganisée, dépourvue d’idéologie et de programme autant que de leader. Et elle perd toutes les élections…
Sans doute n’est-ce qu’un début : tout bouge. Cependant, à ce stade, nous devons déjà nous poser un certain nombre de questions. Quelles alternatives s’offrent à ces pays ? Radicalisme ou modernité ? Islamisme ou démocratie ?
Les forces islamistes sont diverses, assurément, mais elles sont majoritaires en cet instant.
Les ultra-islamistes, on les nomme, on les identifie : ils sont salafistes, ils sont djihadistes. Ils ne sont pas tous constitués en groupes terroristes et mafieux, mais, il n’empêche, tous les groupes terroristes et mafieux sont, eux, djihadistes : Al-Qaïda, Ansar Eddine, et tous les autres. Ils sont minoritaires, ils sont dangereux, ils sont dangereux et minoritaires, mais ils ont un programme, eux : la charia.
Quant aux autres, tous les autres, les conservateurs, ils sont nombreux et majoritaires ; ce sont eux qui gagnent les élections. En Tunisie, par exemple, ils ont obtenu plus de 80 % des sièges. Ces conservateurs peuvent être de droite, comme le mouvement Ennahdha, issu des Frères musulmans ; le Premier ministre, Hamadi Jebali, est des leurs. Les conservateurs peuvent également être de gauche ; réunis dans une coalition autour du Congrès pour la République, le CPR, et du Président de la République, Moncef Marzouki, ils ont la même importance que les conservateurs de droite.
Posons-nous deux questions.
Première question : islam et démocratie sont-ils compatibles ? Le président Marzouki non répond par l’affirmative : vous aviez des démocrates-chrétiens, nous avons des démocrates-islamistes, nous dit-il.
Seconde question, essentielle : la loi civile s’imposera-t-elle à la loi religieuse ?
Les forces d’opposition existent, mais elles sont minoritaires. Les modernistes, les progressistes laïcs, sont faibles encore, mais ils arrivent ; en Tunisie, en Libye et ailleurs, on les appelle les « libéraux ».
Ils sont majoritairement anti-islamistes. Ils sont aujourd’hui inorganisés - on compte plus de 110 partis politiques en Tunisie. Ils n’ont pas encore d’ancrage dans la société, ils ont peu d’élus et n’ont pas de soutien financier extérieur. Bref, en l’état actuel des choses, nous constatons l’absence d’une alternative idéologique.
L’avenir est incertain. Quelle stabilité politique peut-on envisager pour aujourd'hui et pour demain ?
Une question est importante : quelles sont les évolutions possibles de l’expérience de la démocratie musulmane ? Une réalité s’impose, et doit s’imposer à nous : c’est autour de l’identité musulmane que se bâtira le système démocratique. Il reste cependant beaucoup d’inconnues. Nous verrons ce qui se passera lors des prochaines élections.
J’en viens au Mali.
Monsieur le ministre, je salue l’action de la France au Mali, dans sa globalité. Mais, s'agissant des États du Maghreb, la proximité de ce grand conflit du Sahara occidental, à la frontière, n’est-elle pas un élément nouveau ?
La stratégie des islamistes évoluera-t-elle ? Ils savent segmenter l’espace : ils l’ont prouvé en attaquant le site gazier d’In Amenas. Surtout, ils savent parasiter les conflits locaux, les radicaliser, les islamiser, comme ils l’ont fait avec les Touaregs. Que feront-ils au Sahara occidental, cette zone grise, cet espace litigieux depuis 1976, sans statut juridique défini ?
Les protagonistes sont connus : depuis 1975, le Maroc revendique le Sahara occidental ; dès 1976, le Front Polisario a créé la République arabe sahraouie démocratique ; l’Algérie, qui joue un rôle essentiel, soutient le Front Polisario et a immédiatement reconnu la République sahraouie, à l’instar de la majorité des États de l’Organisation de l’unité africaine, l’OUA, ce qui a d’ailleurs amené le Maroc à se retirer de celle-ci.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire où en est la mission de l’ONU pour le Sahara occidental ? La crise malienne renforce-t-elle l’urgence de trouver une solution à la question du Sahara occidental ou va-t-on considérer que le moment n’est pas opportun ? Y a-t-il des enjeux pour le Maghreb en termes de sécurité ? Le Maroc est-il exposé ? L’Algérie est un acteur clé : pouvons-nous discerner les intérêts prioritaires de cet État ?
Pour conclure, je dirai que le statu quo est un obstacle majeur à la construction d’un Maghreb intégré et prospère. C’est une menace pour la stabilité de toute la région. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Boutant.
M. Michel Boutant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’an passé, la France a célébré le cinquantième anniversaire du traité d’Évian et de la fin de la guerre d’Algérie. De son côté, l’Algérie a célébré le cinquantième anniversaire de son indépendance recouvrée. Durant ces cinquante années, les deux pays n’ont pas vraiment noué de liens de confiance. L’ancien département ou colonie française, comme on voudra, nourrissait beaucoup d’amertume à l’égard de son ex-colonisateur, tandis que celui-ci cultivait un fort ressentiment à l’encontre de l’Algérie.
Pourtant, pendant cette même période, un important mouvement d’immigration algérienne en France a fourni de la main-d’œuvre à bon nombre d’entreprises, tandis que la France a continué à acheter gaz et pétrole à l’Algérie.
Mais qu’en est-il de nos relations avec ce pays ? Elles semblent toujours marquées par le poids de l’histoire, ponctuée de bien des tragédies. De tous les pays qui, à la fin des années cinquante ou au début des années soixante, ont accédé à l’indépendance, l’Algérie est sans doute celui avec lequel il est, ou a été, le plus difficile de rétablir des relations apaisées, sans arrière-pensées d’ingérence, sans méfiance réciproque.
Aussi, à un moment où notre pays est engagé militairement au Mali pour lui permettre de retrouver son intégrité menacée par des bandes armées financées par les trafics en tout genre et les prises d’otages – ces groupes s’en sont aussi pris à l’Algérie, comme récemment à In Amenas –, force est de constater que la France et l’Algérie partagent aujourd’hui un intérêt commun, peut-être même une cause commune, ce qui peut constituer le point de départ d’une relation renouvelée, d’une relation de confiance.
Sans présumer la teneur des propos échangés par le président Hollande et le président Bouteflika, par vous-même, monsieur le ministre, et votre homologue algérien, ou encore par les ministres de la défense des deux pays, il est permis de penser que cet épisode peut être l’occasion de régénérer nos relations. Les signes d’un changement de leur nature existent d’ailleurs : neutralité bienveillante ou constructive, pour ne pas dire plus, s’agissant du contrôle de la frontière sud-algérienne ; échange d’informations, peut-être ; autorisations diverses, sans doute…
On sent que, à la faveur de cette intervention au Mali, les choses sont en train de bouger, au niveau institutionnel, entre la France et l’Algérie. Dans le dialogue indispensable entre les rives nord et sud de la Méditerranée, ne serait-ce que pour le règlement d’un certain nombre de problèmes entre l’Europe et l’Afrique, la France et l’Algérie peuvent – et même doivent – jouer un rôle déterminant.
Une lueur s’est allumée ; il ne faut pas la laisser s’éteindre. Notre histoire commune, aussi tragique soit-elle, peut nous inspirer un printemps franco-algérien, sur le modèle de ce qu’ont su faire la France et l’Allemagne pour surmonter leur funeste relation passée. Comprendre les différences culturelles, les surpasser, s’ouvrir, se rencontrer, travailler ensemble : quelle belle perspective pour nos deux pays !
L’accueil réservé à notre président par la population algéroise, voilà quelques semaines, est également le signe d’un certain réchauffement de nos relations.
Monsieur le ministre, connaissant les défis que vous souhaitez voir notre diplomatie relever en matière économique, d’équilibres démographiques, de sécurité ou de démocratie, je souhaiterais savoir comment vous considérez aujourd’hui les rapports franco-algériens. Quel regard vos homologues algériens portent-ils sur eux ? Comment nos deux pays peuvent-ils tourner une page douloureuse de leur histoire, tout en évitant l’ingérence, et aborder une nouvelle phase de leurs relations, dans l’intérêt partagé de leurs deux peuples ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Daniel Reiner. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau.
M. Joël Guerriau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les interventions en Libye et au Mali sont des succès opérationnels de l’armée française. Le groupe UDI-UC tient à saluer les efforts et les sacrifices de nos militaires, et particulièrement à rendre hommage au sous-officier du groupe de commandos du 2e régiment étranger de parachutistes de Calvi qui vient d’être tué au Mali.
Un des ressorts de cet engagement est la lutte contre une économie criminelle, faite de trafics de drogue, d’armes et d’êtres humains, qui comble l’absence d’emplois pour des jeunes à la recherche de gains élevés et rapides.
Autour de cette lutte se dessine un enchevêtrement de logiques géopolitiques. Si la France est assez isolée dans son intervention, elle le sera beaucoup moins quand il s’agira de bénéficier des retombées économiques. Nous avons réagi à une actualité brutale, mais avons-nous prévu une stratégie globale sur le plan économique ? Avons-nous anticipé les opportunités que présentera la reconstruction de la société civile et démocratique en Libye et au Mali ?
Le sous-sol saharien renferme de nombreuses matières premières, du pétrole, du gaz naturel, des minerais. Sous l’effet de la mondialisation, les ressources naturelles de la planète deviennent l’objet de multiples convoitises.
Le groupe français Areva a perdu l’exclusivité dont il bénéficiait pour l’exploitation des mines d’uranium au Niger, avec l’intrusion des États-Unis et du Canada, mais surtout de la Chine, qui pratique la diplomatie du cadeau.
En Libye, deuxième producteur de pétrole en Afrique, l’extraction et le raffinage assurent 90 % des revenus du pays. Selon le modèle envié des pays du Golfe, cet État aura sans doute à cœur de rattraper son retard économique et touristique.
La France marque régulièrement sa présence politique sur ce territoire. Monsieur le ministre, vous venez d’adopter un plan de travail promouvant la sécurité et visant à l’instauration de l’État de droit en Libye, phase préalable au développement économique. J’ai bien noté la participation française aux prochains salons commerciaux thématiques libyens dans les domaines du bâtiment, des infrastructures, des hôpitaux, de l’immobilier, mais très peu de nos ressortissants sont présents dans ce pays.
Aujourd’hui, force est de constater que la présence de la France à l’étranger est sans prévalence particulière. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, l’Espagne partagent ce rayonnement, sans exercer plus d’influence. Sur le plan économique, la Chine prédomine.
Si les réformes intervenues dans les États touchés par le printemps arabes n’ont pas répondu aux aspirations des peuples et posent un véritable problème au regard de l’équilibre diplomatique méditerranéen, la Libye peut néanmoins devenir une nouvelle terre d’échange pour le développement du commerce et de l’industrie française.
La France a été capable de déployer et de coordonner un dispositif militaire aérien international, mais n’est manifestement pas encore prête à ouvrir une ligne aérienne civile entre Paris et Tripoli. Ce fait n’a rien d’anecdotique ; les Italiens et les Allemands, quasiment absents du conflit, disposent aujourd’hui de liaisons aériennes régulières avec la Libye, qui leur permettent d’investir et d’entreprendre. Pourquoi la France ne participe-t-elle pas à cette dynamique ?
Avant notre intervention, la Libye représentait près du tiers de notre approvisionnement en pétrole. Ce pays aux portes de la Méditerranée, au croisement du Maghreb, de l’Orient et du Sahel, est riche de potentialités pour nos entrepreneurs. La France doit pouvoir y jouer de son aura, liée au rôle spécifique qu’elle a tenu récemment.
En 2012, le taux de croissance libyen a été de 122 %, à la suite du redressement spectaculaire de l’industrie du gaz et du pétrole. En 2013, la croissance de ce pays devrait retrouver une vitesse de croisière, en s’établissant à 16,5 %.
Sommes-nous impliqués dans le développement de réseaux de distribution d’eau ou d’électricité, de routes ? Avons-nous des perspectives pour l’exportation de nos voitures, de nos Airbus, de notre savoir-faire touristique et culturel, ou est-ce encore un peu trop tôt ?
Le président Hollande, accompagné d’une importante délégation, s’est rendu en Algérie, pays qui entend être la puissance hégémonique au Maghreb et au Sahel. Plus de la moitié de ses échanges commerciaux se font avec l’Europe, mais de moins en moins avec la France. A-t-on d’ores et déjà pu enregistrer des retombées économiques positives à la suite de ce voyage ?
Dans le même ordre d’idées, la France s’est fortement impliquée en Côte d’Ivoire. Pourtant, dans ce pays, nombre de PME françaises sont passées entre les mains de ressortissants libanais.
La vague de démocratisation de l’Afrique subsaharienne conduit à une plus grande ouverture des économies au marché, à un recul de l’inflation et à une discipline budgétaire accrue des pays de cette région. Une meilleure éducation, un système de santé efficace, une réduction de la dépendance et des perspectives d’emploi réalistes, en particulier pour les jeunes, sont, à long terme, les seules bases sûres d’une prospérité durable de l’Afrique.
Or, dans beaucoup de ces domaines, la France dispose d’atouts pour nouer des liens solides avec ce continent d’avenir. Il convient de restaurer la prospérité d’une rive à l’autre de la Méditerranée.
Pour ma part, je suis pour une France de la générosité, mais pas de la naïveté. Doit-on se satisfaire d’intervenir militairement en Afrique, d’y réaliser des coups d’éclat sans préparer et prévoir, dans le même temps, une stratégie de développement de nos échanges commerciaux qui soit favorable au développement des PME et PMI françaises ? À mon sens, le volet humanitaire est important, mais le développement des échanges économiques doit également être un des objectifs à atteindre.
Quels sont les projets de développement avec les pays d’Afrique, au-delà des réflexes liés à l’amitié entre ce continent et la France ? Le Président de la République a fait l’éloge de la démocratie et de la vitalité en Afrique ; comment allons-nous passer des discours aux actes et faire des pays africains de véritables partenaires, dans un esprit de réciprocité ? Tel est le défi qu’il nous faut relever ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Raymond Couderc.
M. Raymond Couderc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis bientôt deux mois, les observateurs internationaux concentrent leur attention sur les événements du nord de l’Afrique, qu’il s’agisse des opérations au Mali ou des très délicates situations politiques prévalant en Tunisie et en Égypte, qui se sont envenimées. À ces printemps arabes qui n’en finissent plus s’ajoute, depuis mars 2011, la dramatique et inextricable situation syrienne, dont le bilan humain dépasserait les 60 000 morts, selon certaines organisations non gouvernementales.
Par ailleurs, le 12 février dernier, la Corée du Nord a rappelé au monde que la menace terroriste n’était pas le seul péril pour la paix mondiale. Ce nouvel essai nucléaire réussi démontre que le désarmement doit être, plus que jamais, une priorité dans les agendas diplomatiques.
Beaucoup d’analystes qualifieront ce troisième essai nucléaire de nouvelle provocation du régime de Pyongyang. Pourtant, il est différent de ceux de 2006 et de 2009, année durant laquelle six tirs de missiles balistiques ont été le préalable au second essai nucléaire.
Il ne s’agit plus de l’éternel chiffon rouge agité par une Corée du Nord qui troquerait l’abandon de son programme nucléaire contre des aides alimentaires et économiques pour sa population. Selon les sources officielles nord-coréennes, qui, évidemment, sont ce qu’elles sont, ce pays est désormais capable d’équiper ses missiles balistiques d’ogives nucléaires. Ce qu’il importe de retenir de ce nouvel essai, c’est la taille de l’engin et la nature du matériau fissile utilisé. S’agit-il de plutonium issu d’un stock produit ou d’uranium, comme le craignent des observateurs de l’ONU qui s’étaient rendus sur place ? De même, le début de la miniaturisation de la charge témoigne bien de la ferme volonté de mettre en place un arsenal.
Depuis bientôt quinze ans, la République populaire démocratique de Corée ne cesse d’exercer un chantage sur la communauté internationale. Aujourd’hui, la Corée du Nord, largement isolée diplomatiquement, présente une situation économique plus que catastrophique et sa population est exsangue.
Souvenons-nous de la ratification des accords de la KEDO, en 1994 : la Corée du Nord acceptait de mettre fin à son programme de développement de missiles balistiques ainsi qu’à ses activités nucléaires militaires en échange d’une importante aide alimentaire, financée par l’Europe et le Japon, et d’un programme électronucléaire destiné uniquement à la production d’électricité, placé sous le contrôle d’Euratom. À la suite de sa déclaration de retrait du traité de non-prolifération nucléaire, en janvier 2003, de la confirmation officielle de son programme nucléaire militaire, en avril de la même année, et de plusieurs campagnes de tirs de missiles balistiques, en juillet 1998 et en juillet 2006, ces accords sont devenus caducs.
Le 9 octobre 2006, la Corée du Nord a procédé à son premier essai nucléaire souterrain, condamné à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU. Sept ans après, nous sommes confrontés au troisième essai et à la violation des résolutions 1718, 1874 et 2087du Conseil de sécurité.
Si l’on pouvait encore nourrir quelque espoir quant à une inflexion politique du régime à la suite du décès de Kim Jong-il, la suite des événements a montré que cela était vain. Pour la France, cette succession fut l’occasion de rappeler son attachement à la paix et à la stabilité dans la péninsule. En réalité, elle fut une chance manquée pour toute évolution positive du régime, qu’il s’agisse des libertés publiques, de la stabilité de la péninsule ou du respect, par la Corée du Nord, de ses obligations internationales en matière de non-prolifération nucléaire.
Bien sûr, il convient de se féliciter que la Chine, voisine et alliée de la Corée du Nord, ne cautionne pas ces gesticulations nucléaires et qu’elle ait, à son tour, condamné ce nouvel essai, tout comme elle avait condamné les deux précédents. Il paraît cependant difficile d’envisager que la Chine puisse prendre des sanctions contre ce pays qui considère Pékin comme un modèle de développement. Les relations économiques et commerciales entre les deux pays sont excellentes : il est à croire que ce nouvel essai est une marque d’indépendance affichée de la Corée du Nord à l’égard de la Chine.
Évidemment, cette politique ne cesse d’engendrer de profondes inquiétudes et de très vives réactions en Corée du Sud, bien que la nouvelle présidente, Park Geun-hye, semble plus « ouverte au dialogue » que son prédécesseur Lee Myung-bak. Ce nouvel essai de la Corée du Nord serait-il un message à l’adresse du nouveau gouvernement sud-coréen ?
Monsieur le ministre, vous avez condamné cette provocation et annoncé que « la France travaille d’ores et déjà avec ses partenaires du Conseil de sécurité, de l’Union européenne et de la région […] en particulier sur un nouveau renforcement des sanctions à l’égard de la Corée du Nord ». Mais peut-on aller encore au-delà des sanctions actuelles ?
Parallèlement, on peut se réjouir de l’annonce par le président Obama, lors de son adresse au Congrès, le 21 janvier dernier, d’une future réduction de l’arsenal nucléaire américain, même si l’on sait qu’il ne sera toujours pas en mesure de faire adopter par le Sénat américain le traité d’interdiction complète des essais nucléaires, lequel, de fait, perd de sa crédibilité. Si l’on veut être optimiste, cette déclaration devant le Congrès doit être mise en perspective avec la signature du traité New Start entre les États-Unis et la Russie, et surtout avec le dernier sommet sur la sécurité nucléaire, qui s’est tenu à Séoul du 26 au 28 mars 2012.
Ce sommet a accueilli plus de participants que lors de sa première édition à Washington, en 2010, et les annonces y ont été relativement substantielles. La situation nord-coréenne, qui n’était pas à l’ordre du jour, fut néanmoins l’objet d’entretiens bilatéraux entre Barack Obama et les présidents russe, chinois et sud-coréen. Un an plus tard, que reste-t-il de ces entretiens entre des dirigeants qui, pour certains, ne sont plus au pouvoir ? Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire quelles seront l’approche de la France et celle de nos alliés lors du prochain sommet sur la sécurité nucléaire qui se tiendra en 2014 aux Pays-Bas ?
Aujourd’hui, les agissements de la Corée du Nord ne font qu’encourager les autres prétendants à l’arme atomique, tels que l’Iran. Ainsi, soit dit sans chercher à faire un mauvais jeu de mots, nous sommes face à une réaction en chaîne : Israël, s’appuyant sur son droit inaliénable à la sécurité, n’aura bientôt plus à faire d’efforts pour cacher sa bombe ; l’Inde et le Pakistan se posent de plus en plus en membres « off » du groupe P5, réunissant les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, détenteurs de l’arme nucléaire.
La Corée du Nord et l’Iran, totalement isolés diplomatiquement, poursuivent le même objectif de développement d’arsenaux nucléaires. Tous deux font l’objet d’embargos et sont soumis à de lourdes sanctions financières et économiques. Le réalisme nous impose d’observer que ces deux pays ont en commun de bénéficier de la diplomatie financière chinoise et de grands investissements, notamment dans les champs gaziers pour l’Iran.
Monsieur le ministre, ne craignez-vous pas que ce qui apparaissait comme une politique de provocation, qu’il s’agisse de la Corée du Nord ou de l’Iran, ne s’avère être en réalité une émulation, alimentée par la faiblesse et les hésitations des pays occidentaux et de l’ONU ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger.
M. Gilbert Roger. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à peine le Président de la République avait-il pris ses fonctions, en mai 2012, qu’il a été plongé dans le grand bain international. Nicolas Sarkozy et certains de ses partisans dressaient de lui un portrait peu amène pendant la campagne électorale, expliquant qu’il ne possédait peut-être pas la carrure nécessaire pour incarner la fonction présidentielle. François Hollande a su prouver le contraire, tant lors des sommets du G8 et de l’OTAN, en mai dernier, que, plus récemment, à l’occasion de l’intervention des armées françaises au Mali.
La France demeure un pays qui compte sur la scène internationale. Le Président de la République l’a montré en parvenant à modifier les dynamiques européennes et à imposer une stratégie de sortie de crise différente, qui ne saurait se limiter à la seule consolidation budgétaire. Alors qu’Angela Merkel souhaitait voir appliquer une politique d’austérité, François Hollande a réussi à faire émerger des programmes de relance, en amenant la Chancelière à céder, lors du sommet européen du 29 juin 2012, face à un axe italo-espagnol soutenu par la France.
Le Président de la République a également illustré la place occupée par la France sur la scène internationale lorsqu’il a pris la décision, le 11 janvier dernier, de lancer une intervention militaire au nord du Mali, afin d’empêcher que ce pays ne bascule tout entier dans le camp des extrémistes. Son action a été saluée par l’ensemble de la communauté internationale, alors que l’intervention en Libye décidée par son prédécesseur n’avait pas recueilli un consensus, l’Allemagne, la Russie et la Chine s’étant abstenues lors du vote de la résolution 1973 par le Conseil de sécurité des Nations unies.
Ces bons résultats ne doivent pas nous dissuader de débattre du déclassement stratégique de la France. Cependant, le problème ne peut être abordé par le seul biais du poids des dépenses militaires par rapport au PIB, même si celui-ci ne doit sous aucun prétexte descendre en dessous de 1,5 point de PIB – je suis d’accord sur ce point avec Gérard Larcher –, car cela risquerait de faire perdre à la France sa capacité d’innovation et d’intervention.
L’industrie de défense est un atout essentiel pour l’indépendance de notre pays : il ne faut pas négliger son rôle économique et stratégique ; il ne faut pas non plus oublier que nos exportations de technologie militaire se heurtent à la concurrence acharnée des Américains, ainsi qu’en témoignent les difficultés rencontrées par l’avion de combat Rafale, pourtant l’un de nos plus beaux fleurons technologiques.
L’industrie de défense doit néanmoins être considérée comme un moyen, et non comme une fin. Une analyse du rôle de la France dans le monde ne peut être développée à partir du seul critère des dépenses militaires. En effet, bien plus que de la baisse des budgets, c’est d’une appréciation erronée de nos intérêts et de notre situation ou d’une absence de réflexion stratégique globale que pourrait résulter un déclassement.
À propos de déclassement stratégique, ne serait-il pas utile de réfléchir aux conséquences de notre intégration dans le commandement militaire intégré de l’OTAN ? Sur le fond, cette réintégration n’a pas changé grand-chose par rapport à la situation précédente. Cependant, contrairement à ce qui avait été avancé par le président Sarkozy, elle n’a pas permis le développement d’une européanisation de la défense, à l’heure actuelle toujours au point mort.
En effet, divisés entre démarches multilatérales, prônées par l’Agence européenne de défense et soutenues officiellement par tous les États membres, et démarches bilatérales – je pense au traité de défense franco-britannique et aux accords italo-allemands –, les États européens n’arrivent pas à relancer la politique étrangère et de sécurité commune, la PESC, ni la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD. Or le risque de voir l’OTAN devenir une « sainte alliance », déjà dénoncé dans les années quatre-vingt-dix par François Mitterrand, est toujours d’actualité.
Par ailleurs, la crise de la dette continuant d’affecter les budgets de défense des pays occidentaux, les dépenses militaires de l’Asie seraient désormais supérieures à celles de l’Europe. L’évolution tendancielle devrait donc entraîner un basculement rapide des équilibres militaires : avant 2020, les pays non membres de l’OTAN pourraient représenter plus de la moitié des dépenses militaires, contre seulement 34 % aujourd’hui.
Quelle a été la valeur ajoutée apportée par la France ? Quelle part spécifique notre pays a-t-il prise dans les décisions qui ont été arrêtées, qu’il s’agisse de la conduite de la campagne en Afghanistan ou du choix visant à doter l’Alliance d’une capacité anti-missiles ? Il faut aussi se demander quelle voix particulière la France souhaite faire entendre aujourd’hui.
Il me semble nécessaire de mener cette réflexion globale sur les évolutions stratégiques mondiales et sur le rôle de la France dans un contexte en mutation. Ancrer la France dans le camp occidental a constitué une erreur, diminuant de fait le rôle stratégique de notre pays. Fidèle à son histoire, la France a toujours été le porte-voix des sans-voix : on peut citer, pour la période récente, son opposition à la guerre en Irak ou le soutien qu’elle apporte à la Palestine au sein de l’ONU. C’est cette singularité qu’il nous faut promouvoir.
La France est forte quand elle représente un intérêt général plus important qu’elle-même. De la Révolution française à de Gaulle et à Mitterrand, chaque fois qu’elle a porté les aspirations de ceux qui peinent à peser sur le cours des choses, la France a toujours eu une influence supérieure à son poids réel. Si nous perdons de vue cette spécificité, la France cessera d’être influente sur la scène internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(Mme Bariza Khiari remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à M. René Beaumont.
M. René Beaumont. Madame la présidente, monsieur le ministre des affaires étrangères, mes chers collègues, beaucoup des orateurs qui m’ont précédé ont brillamment évoqué la situation au Mali. Pour ma part, je souhaiterais attirer votre attention sur l’un des défis majeurs auxquels nous devons faire face. Il nous faut prendre en compte une nouvelle donne en matière de relations internationales : celle qui est issue de la nouvelle carte géopolitique des océans, c’est-à-dire de la « maritimisation ».
Je me réjouis de revenir sur ce sujet. En tant que législateurs, nous avons déjà été amenés, en effet, à travailler sur les conséquences de cette évolution. Je veux bien sûr parler, en particulier, de la lutte contre la piraterie maritime.
Au premier abord, il s’agit d’une problématique relevant de notre politique de défense. Mais aujourd’hui, en 2013, la réalité nous rappelle que les espaces maritimes représentent des enjeux économiques, diplomatiques et stratégiques, tant par les ressources qu’ils renferment que par les flux et trafics de la navigation. Je le rappelle, les océans couvrent plus de 70 % de la surface de la planète et 90 % du transport de fret emprunte les voies maritimes.
Voilà une nouvelle équation aux multiples inconnues, qu’il s’agit de résoudre. Plus que jamais, il est temps d’appréhender les océans comme un nouveau théâtre de la mondialisation. Je profite de cette tribune pour rendre hommage au travail de mes collègues André Trillard et Jeanny Lorgeoux, qui ont rédigé un rapport remarquable sur la maritimisation. (M. le président de la commission des affaires étrangères applaudit.)
Mme Nathalie Goulet. Absolument !
M. René Beaumont. Ce rapport, fait au nom de la commission des affaires étrangères, a d’ailleurs reçu le prix le du chef d’état-major de la marine décerné au meilleur ouvrage de l’année 2012 sur l’économie de la mer.
M. Jeanny Lorgeoux. Pourtant, je suis aviateur ! (Sourires.)
M. René Beaumont. Pour ma part, je considère que ce rapport constitue surtout une description précise d’une situation nouvelle qui, malheureusement, ne constitue pas encore aujourd’hui une priorité dans les ordres du jour diplomatiques.
André Trillard et moi-même étions intervenus, en 2010, lors de l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre la piraterie maritime, pour souligner que celle-ci résultait de situations dramatiques sur terre, d’abord et avant tout.
Il s’agit, pour la France, de jouer son rôle et de peser auprès des pays dans lesquels résident les auteurs des actes de piraterie ou leurs mandataires. Pour cela, notre politique étrangère doit être plus perspicace, car la piraterie repose, en réalité, sur un cercle économique et bientôt, malheureusement, politique, un cercle parfois tout à fait vertueux, comme je vais essayer de vous le démontrer.
Il s’agit d’abord d’un cercle vertueux en termes financiers.
Les supertankers, dont les cargaisons valent des milliards de dollars, représentent un fonds d’investissement qui permet aux pirates d’acquérir de véritables arsenaux militaires. Ces équipements militaires les crédibilisent et posent deux problèmes aux armateurs : celui du recours aux sociétés de sécurité privées en haute mer et celui de l’augmentation sans précédent du coût de l’assurance du fret des cargos.
Je tiens également à attirer votre attention, monsieur le ministre, sur la menace écologique que représente le détournement de cargaisons de produits chimiques ou pétroliers. Les flibustiers modernes courent d’ailleurs eux-mêmes de sérieux risques lorsqu’ils frelatent les produits qu’ils revendent.
En outre, il s’agit d’un cercle vertueux en termes de développement économique, ce qui est encore plus inquiétant.
En 2010, ces actes de piraterie étaient unanimement condamnés et considérés comme odieux même par les pays « hébergeant » leurs auteurs.
Aujourd’hui, la recrudescence de ces actes tend à banaliser le délit. Ils ne se déroulent plus seulement dans le golfe d’Aden ou dans l’océan Indien, mais touchent aussi les côtes est et ouest de l’Afrique, avant sans doute de s’étendre bientôt au-delà.
Là où la donne change, c’est que la piraterie et les contrebandiers font vivre des populations locales et des régions entières, grâce à la redistribution de l’argent et des recettes issus du détournement des navires. Qui pis est, cette manne financière permet, par exemple, le développement de mécanismes de microcrédit : le cas du Bénin, de la région lagunaire de Porto-Novo en particulier, est éloquent à cet égard ; j’y reviendrai.
Ainsi, la frontière entre le crime organisé et l’aide sociale est de plus en plus ténue. Par exemple, les rebelles du Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger, le MEND, agissent au nom du combat pour une redistribution équitable de la manne pétrolière.
Sans minimiser ces actes ni « dédouaner » leurs auteurs, force est de reconnaître que la puissance de ceux-ci tient au fait qu’ils deviennent, tant pour les responsables gouvernementaux que pour les populations, des acteurs économiques locaux crédibles et incontournables.
Au début de l’année, la hausse des prix de l’essence a encore aggravé la situation, comme en témoignent les émeutes et grèves générales survenues au Nigeria. Ce ne fut pas sans conséquences directes pour le voisin béninois.
En effet, certains contrebandiers ont créé un marché parallèle, quasiment officiel et extrêmement bien organisé, du déchargement de l’essence volée et de sa revente jusqu’à la création d’une « caisse mutuelle de crédit pour le changement ». Dans la zone lagunaire de Porto-Novo, cela permet aux femmes de créer un commerce de pain.
Les pirates sont désormais considérés comme des bienfaiteurs. La situation en Somalie et au Puntland est tout aussi significative sur ce plan. La Somalie n’a plus d’État central depuis 1991, et les combats entre les chefs de guerre locaux, les milices islamistes, l’Union africaine et la mouvance Al-Shebab, qui se réclame d’Al-Qaïda, ont dégénéré. Les trafics de cargaisons diverses, les détournements de fret atteignent des records. Le Bureau maritime international a annoncé que vingt-huit bâtiments et 600 marins seraient aujourd’hui retenus au large des seules côtes somaliennes.
Certes, les opérations européennes de lutte contre la piraterie, telle Atalante, remportent de véritables succès et participent à la sécurisation des transports d’aides du Programme alimentaire mondial. Toutefois, étant donné l’ampleur du phénomène, nous devons rester réalistes : ce n’est pas la solution militaire qui pourra permettre de remédier à ce fléau ; elle apporte une simple protection aux Européens pour un temps donné.
La France doit trouver des relais locaux et actionner des leviers diplomatiques. Cela passe par la responsabilisation des États, quand il en existe encore un officiellement, afin d’assurer les conditions d’un développement économique des territoires par une autre voie que la piraterie.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous éclairer sur les efforts entrepris par la France avec les pays concernés et sur l’évolution d’une diplomatie visant à la pacification des zones où s’exerce la piraterie ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Berthou. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Berthou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà plusieurs mois que la France développe une politique internationale majeure. Les conflits qui secouent le monde, qui l’inquiètent, le déstabilisent, ne sont plus isolés : ils nous concernent tous.
La politique étrangère de notre pays, celle du Président de la République, la vôtre, monsieur le ministre, est cohérente et s’inscrit dans la longue tradition de la diplomatie française et de son réseau, le deuxième au monde, qui soutient les principes universels fondant les droits de l’homme et du citoyen.
La décision du Président de la République d’intervenir militairement au Mali, à la suite d’une demande du Président malien, a évité à ce pays de sombrer dans l’intégrisme. La rapidité de cette décision et celle de notre intervention ont été saluées par la plupart des pays et redonnent à la France une position internationale reconnue dans le monde entier.
Le monde a bien changé. La multiplicité des blocs politiques, des influences, des religions a succédé aux hégémonies que nous avons connues. La pensée politique et sa traduction en action doivent être différentes ; elles doivent être multipolaires et prendre en compte les grands défis auxquels nous sommes déjà confrontés et qui prendront de plus en plus d’importance dans l’avenir : ceux de l’économie, de la démographie, de l’écologie.
La France, en quelques mois, a déjà orienté sa politique, mais il faut impérativement qu’elle se donne les moyens de réussir. Dans cette perspective, il est évident que l’économie sera le vecteur de notre présence, de notre influence.
Nous pouvons dès aujourd’hui, monsieur le ministre, mobiliser tous les moyens en notre possession.
J’évoquerai, tout d’abord, le rapport d’information que j’ai établi au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, intitulé « Pour une équipe France à l’expertise internationale ». Comme vous l’avez sûrement relevé, le titre de ce rapport reprenait la notion d’« équipe de France » que vous aviez développée le 29 septembre 2012, lors de la conférence des ambassadeurs, en affirmant avec fermeté que « nous avons besoin d’une diplomatie économique forte, active, réactive, efficace, à l’écoute de tous les acteurs économiques de l’équipe de France ».
Ce rapport met en évidence la concurrence entre de très nombreux opérateurs publics, sans clarifier le champ de compétences et les modèles économiques de chacun. L’offre publique française d’expertise à l’international apparaît fragmentée, dispersée et, de ce fait, d’une taille insuffisante pour faire face à la concurrence internationale.
Il y a urgence, précise le rapport, à réformer le dispositif afin de permettre aux acteurs d’atteindre la masse critique nécessaire pour remporter les appels d’offres multilatéraux. Les restrictions budgétaires provoqueront un affaiblissement des différents opérateurs publics français, qui les éloignera davantage du seuil de pertinence dans un environnement international de plus en plus concurrentiel, au sein d’un secteur qui représente un enjeu important en termes de solidarité et d’influence et d’un marché en croissance pour les acteurs publics et privés français.
La présence française doit s’exprimer et se développer en s’appuyant sur nos expertises internationales, comme je viens de l’indiquer, mais également sur l’Agence française de développement, qui constitue un relais important pour le renforcement des capacités de nos partenaires, ainsi que de l’influence de la France.
Je voudrais également évoquer devant vous, monsieur le ministre, le rôle important de nos représentations dans le monde, de notre réseau diplomatique et, bien entendu, de nos ambassades pour défendre non seulement notre culture, nos solidarités, nos valeurs, mais aussi nos intérêts économiques, en soutenant, en encourageant, en aidant nos entreprises à s’implanter, à vendre dans les pays où nous sommes représentés.
Toutes nos entreprises doivent pouvoir compter sur nos diplomates, nos conseillers en poste à l’étranger pour promouvoir nos savoir-faire, nos productions, en gardant toujours à l’esprit que notre influence sera d’autant plus grande que la force de notre économie sera reconnue dans ces pays.
Vous avez créé, au sein du ministère des affaires étrangères, une direction des entreprises et de l’économie internationale. On ne peut que saluer une telle décision, monsieur le ministre. Vous ajoutez ainsi à votre ministère de la diplomatie une facette économique devenue incontournable.
Ces hommes et ces femmes placés sous votre autorité devront s’imprégner de leurs nouvelles responsabilités, tout comme les personnels en poste à l’étranger. Ils ne devront jamais oublier, monsieur le ministre, que notre économie, nos entreprises sont indispensables à notre rayonnement, comme le furent nos écrivains, nos philosophes, nos mathématiciens ou nos artistes.
La compétition économique s’est développée, les pays émergents deviennent des acteurs majeurs : à leurs compétences, à la qualité de leurs produits, à l’ attractivité de leurs prix s’ajoute précisément leur caractère de pays émergents, qui leur donne une image nouvelle dans les pays en voie de développement, lesquels voient en eux la possibilité de se développer sans avoir recours à tous les modèles que les pays industrialisés avaient jusqu’alors proposés.
Il est urgent, monsieur le ministre, que l’équipe « France » bouscule nos habitudes. À la diplomatie française, reconnue, doit s’adosser la diplomatie économique que vous promouvez, monsieur le ministre. Je souhaite que vous réussissiez, car la réussite de la France en dépend. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Monsieur le ministre, nous vous faisons faire le tour du monde ! (Sourires.)
La politique étrangère est l’expression normale de la nation sur la scène internationale.
Certains principes qui ont commandé et commandent toujours notre politique étrangère sont intangibles : l’indépendance de la nation, la souveraineté des États, l’importance du rôle de la France sur la scène internationale. Dans cet esprit, l’envoi de troupes françaises sur des théâtres de conflit extérieurs est un outil de la politique diplomatique de la France.
La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, cela a été dit, mais elle marque aussi un certain échec du politique qui a recours à cet instrument ultime qu’est la coercition et prend alors le risque, dans le brouillard de la guerre, de lui en voir échapper la direction.
Monsieur le ministre, vous serez d’accord avec moi pour dire que l’envoi de nos troupes sur des théâtres extérieurs est une décision grave, qui implique une réflexion et une analyse des risques et des conséquences, pas seulement militaires, mais aussi politiques. Sans stratégie et sans objectif préalable clairement affiché, l’emploi de la force armée est voué à l’échec. Avec l’opération Serval, il me semble toutefois que nous avons tiré les leçons des erreurs lourdes de conséquences commises par l’administration Bush en Irak et en Afghanistan.
Bien entendu, l’analyse doit intégrer les critères et les conditions de la réussite de ces interventions, et pourquoi pas de leur succès. Ces conditions, monsieur le ministre, vous les avez évoquées récemment devant notre commission.
Si j’ai bien compris, l’intervention doit tout d’abord être limitée dans le temps. Ensuite, les objectifs doivent être définis clairement : reconstituer l’armée malienne, obtenir l’assentiment des populations locales, favoriser l’ouverture d’un processus de réconciliation – réconciliation ne signifiant pas pardon –, empêcher la constitution de sanctuaires transfrontaliers, et donc l’élargissement des conflits aux pays voisins, agir contre la corruption et les trafics de toutes sortes, mener une action en faveur du développement structurel et, évidemment, soutenir un processus politique. Enfin, et cela est capital, mes chers collègues, il convient de s’appuyer sur les organisations régionales et de préparer la prise en charge par celles-ci de la résolution du conflit une fois la phase aiguë de la crise passée.
Les axes pour le traitement des crises dans l’urgence sont donc bien définis, mais qu’en est-il du reste, monsieur le ministre ? Je suis tenté de vous poser une question plus large : quelle politique étrangère pour la France ? Quelle vision à moyen terme de nos actions ?
Vous le savez, l’Allemagne a publié récemment sa « stratégie diplomatique pour l’Afrique », qui définit des orientations claires. Disposez-vous d’un document du même ordre ? Je pourrais poser la même question pour d’autres zones géographiques. L’anticipation stratégique doublée de prospective est un élément essentiel pour préparer et éclairer les décisions à prendre.
La commission des affaires étrangères du Sénat m’avait confié la rédaction d’un rapport sur l’anticipation stratégique et la prospective. Que l’on me permette, à cet instant, de rappeler quelques définitions.
L’anticipation est, au sens strict, un mouvement de la pensée qui imagine ou vit d’avance un événement. L’anticipation stratégique peut donc se décrire comme un idéal à atteindre, un objectif de réduction de l’incertitude quant aux grandes évolutions à venir de l’environnement international.
L’analyse stratégique, ou la recherche stratégique, recouvre plutôt l’analyse du réel, c’est-à-dire l’état des lieux.
Enfin, la prospective est, quant à elle, une méthodologie visant à élaborer des scénarios d’évolution possibles sur la base des données disponibles, en prenant en compte des tendances lourdes sous-jacentes ou des phénomènes émergents. Il s’agit d’utiliser la connaissance dont on dispose pour imaginer, au-delà du présent, les futurs possibles. Faire de la prospective à vingt ou trente ans permet donc d’anticiper à un horizon d’un à deux ans.
Pourtant, la « révolution du jasmin », puis le « printemps arabe », ont pris tout le monde de court. On peut faire le même diagnostic pour la prédiction de toutes les crises majeures survenues depuis 2008 : la crise financière à la suite de la faillite de Lehman Brothers, en 2008, les conséquences, notamment nucléaires, du tsunami au Japon.
Faut-il rappeler que, jusqu’à une date encore récente, nous considérions le régime d’ATT, au Mali, comme un exemple de démocratie en Afrique, faisant fi d’une corruption généralisée et de l’absence volontaire de traitement de la question du Nord par le gouvernement malien, sur fond de conflit ancestral ? Nous avons aussi longtemps fait preuve de complaisance à l’égard du régime du président Gbagbo.
Cela étant, prévoir est un exercice tout aussi nécessaire qu’extrêmement difficile. Ne dit-on pas que gouverner, c’est prévoir ? Il est vrai que gouverner est un art difficile, ce dont on ne peut se rendre compte que lorsque l’on est en position de décider.
Il est indispensable, pourtant, d’anticiper l’incertitude pour la réduire et définir les scénarios possibles, même si les moments de rupture sont souvent imprévisibles. Ainsi, comment prévoir que l’immolation par le feu d’un jeune chômeur tunisien conduira à la chute du régime ? À l’inverse, la mort accidentelle du fils aîné et successeur désigné d’Hafez el-Assad, en juin 2000, événement oublié de tous, n’a pas conduit à l’écroulement du régime syrien, qu’avaient pourtant anticipé tous les spécialistes. Qui sait si un micro-événement ne sera pas, un jour, le catalyseur de la fin du régime nord-coréen ?
Monsieur le ministre, les quatre grandes crises du moment – Mali, Syrie, Iran, Israël-Palestine – vous occupent quotidiennement, ainsi que le Conseil de sécurité de l’ONU, où votre équipe de diplomates, sous la conduite de l’ambassadeur Gérard Araud, fait un excellent travail.
M. Robert del Picchia. Nous avons pu nous en rendre compte sur place, à l’occasion d’un déplacement d’une délégation de la commission des affaires étrangères du Sénat.
Cependant, il faut anticiper et traiter tous les autres dossiers. La « boule de cristal » universelle n’existe pas, mais cela ne discrédite pas la démarche d’anticipation, qui demeure absolument indispensable pour dégager les tendances et offrir une aide à la décision.
Monsieur le ministre, la situation a-t-elle changé par rapport à l’époque où personne n’avait vraiment prévu les attentats du 11 septembre 2001 ou l’effondrement de l’URSS ? Je crois que vous voulez renforcer, au sein du Quai d’Orsay, les moyens d’un centre d’analyse, de prospective et de stratégie ; nous nous en félicitons, car cela nous paraît plus que nécessaire.
Permettez-moi d’ajouter quelques mots, cette fois en tant que sénateur des Français établis hors de France.
J’attire votre attention sur le projet de loi sur la réforme de la représentation des Français de l’étranger qui sera présenté demain en conseil des ministres. Ce texte a provoqué, avant même d’être connu dans le détail, une levée de boucliers parmi les membres de l’Assemblée des Français de l’étranger, tant de droite que de gauche.
Cela s’explique par le fait qu’ils ont assimilé cette réforme à une suppression de leur assemblée. L’élargissement du collège élisant les sénateurs est une bonne chose : nous le réclamions depuis longtemps dans cette maison ; en revanche, la forte diminution prévue du nombre des membres de l’AFE inquiète ces derniers.
Pour que cette réforme, au demeurant justifiée, soit acceptable par tous et puisse être votée à une large majorité au Sénat, il sera nécessaire, après consultation, de faire un geste politique. Nous en parlerons avec votre cabinet.
L’organisation et le fonctionnement de cette assemblée, de même que ceux des conseils consulaires, peuvent très bien respecter la condition posée par le Premier ministre : procéder à une réforme à budget constant. Nous avons réalisé un budget prévisionnel faisant même apparaître une économie de 230 000 euros. J’ai bon espoir que nous arriverons à trouver des solutions.
En tant que Viennois d’adoption, je terminerai en paraphrasant à mon tour Sigmund Freud : j’ai cherché, sinon à vous permettre de voir clair, du moins à vous montrer clairement les obscurités qui nous attendent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jeanny Lorgeoux.
M. Jeanny Lorgeoux. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien que j’aie été désigné co-président de l’atelier de travail sur l’Afrique sub-saharienne et la France, je vais vous parler de la Turquie. (Sourires.)
Dans un monde instable, avec un Moyen-Orient en ébullition, une Europe en quête de rebond économique, la Turquie reste hésitante sur la direction à prendre, tirée à hue et à dia qu’elle est entre l’Est, énigmatique et conquérant, et l’Ouest, empêtré tel Gulliver, comme disait Stanley Hoffmann.
Nous pensons que ces questionnements représentent autant de chances pour nouer une alliance stratégique mieux affirmée, sur de nombreux plans, entre l’Europe et la Turquie.
Il suffit de regarder la carte : ce grand vaisseau de pierre arrimé au milieu de la Méditerranée constitue un îlot naturel de stabilité, un glacis physique protecteur et un pont entre l’Europe et l’Asie.
Dans les domaines de la sécurité, du commerce, de l’investissement, de la technologie et de l’innovation, et peut-être de l’éducation, même si la laïcité chère à Mustapha Kemal Atatürk paraît quelque peu ébréchée, l’avenir de la Turquie se construit, qu’on le veuille ou non, avec l’Europe,…
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jeanny Lorgeoux. … tandis que, réciproquement, l’Europe trouve en la Turquie un allié en termes de défense, et un partenaire en termes de compétitivité et de dynamisme de marché.
Certes, les perceptions françaises sont traditionnellement défavorables à la Turquie. S’il n’est pas question d’occulter les dossiers douloureux de l’histoire, d’hier et d’aujourd’hui, il convient d’expliquer au public français qu’il est souvent infondé d’agiter des épouvantails à propos de la Turquie.
Non, même s’il y a des flux de migrants irréguliers, turcs ou pas, qui transitent par Istanbul, problème aigu à traiter parallèlement à celui de la libéralisation des visas, la vague d’immigration turque ne submergera pas l’Europe. La Turquie investit dans ses infrastructures, se développe, se modernise, surfant sur un taux de croissance avoisinant 8 %. La Turquie se sent sûre de son destin, fière de son passé et conquérante diplomatiquement.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jeanny Lorgeoux. Non, il n’y a pas de concurrence pour l’emploi dans l’industrie et les services avec la Turquie, mais il existe une coproduction au sein d’un même espace économique, sur la base de la technologie européenne. Il existe aussi une espérance non négligeable d’ouverture, à terme, des marchés turcs à nos entreprises, même si, comme le montre très bien un article publié cet après-midi dans Le Monde, l’économie de la Turquie se tourne de plus en plus vers les pays arabes, destination de ses exportations à hauteur de 39 milliards d’euros, contre 44 milliards d’euros pour l’Union européenne.
La question de fond est donc : où va la Turquie ? Pour l’avoir, cette dernière décennie, tenue en lisière, l’Europe risque de perdre un allié majeur : se résignera-t-on à voir ce pays glisser plus avant vers un nationalisme sourcilleux et un conservatisme religieux, voire se tourner plutôt vers Shanghai sur le plan économique ? Un tel éloignement, s’il advenait, serait préjudiciable aux intérêts à long terme de la France et de l’Europe. Ce serait, historiquement, un contresens stratégique.
Monsieur le ministre, François Ier, qui a passé sa jeunesse à Romorantin, en Sologne,…
M. Gérard Larcher. Et qui est mort à Rambouillet…
M. Jeanny Lorgeoux. … signa le 4 février 1536 le fameux traité commercial dit « des Capitulations » – ce n’en fut pas une, bien au contraire ! –- avec Soliman le Magnifique. Au moment où la Sublime Porte redevient une nation forte démographiquement, économiquement et militairement, n’y a-t-il pas lieu de pousser plus avant le dégel du processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, dont vous avez pris, avec tact et beaucoup de réalisme, l’initiative récemment ?
M. Robert Hue. Très bien !
M. Jeanny Lorgeoux. Nous n’ignorons pas les obstacles, ni dans nos opinions publiques ni chez certains partenaires européens. Nous tenons compte du verrou chypriote, qui bloque les discussions sur huit des trente-cinq chapitres.
Cependant, la position turque sur l’Iran, sur la Syrie, l’implantation de bases de l’OTAN à Izmir et à Incirlik, le déploiement des missiles Patriot en deçà de Diyarbakir, le long de la frontière, de Şanlıurfa – l’ex-comté d’Édesse – jusqu’à Mardin, aux confins de la Syrie, n’autorisent-ils pas la bienveillance française et européenne et, pour tout dire, une relance du dialogue ? Après tout, l'ancienne Constantinople n'est-elle pas la véritable capitale de l'Europe du Sud-Est ?
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Jeanny Lorgeoux. Cette réalité géopolitique prégnante mérite selon nous une féconde méditation. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord évoquer deux événements tragiques qui se sont produits aujourd'hui même.
Une famille française comptant de jeunes enfants a été prise en otage au nord du Cameroun, vraisemblablement par le mouvement Boko Haram – nous sommes en train de vérifier ce point –, qui sévit au Nigeria. Nous sommes en contact avec les gouvernements concernés. Si c’est bien de ce groupe qu’il s’agit, il ne faut pas oublier qu’il est en rapport étroit avec les réseaux qui œuvraient au Nord-Mali, au point qu'il envoyait un certain nombre d'apprentis terroristes suivre des stages de formation dans cette région. En cet instant, j’ai une pensée particulière pour cette famille ; il faut s’imaginer ce que représente la détention dans de telles conditions de très jeunes enfants…
Je pense également au soldat français qui est tombé voilà quelques heures au Nord-Mali, lors de combats extrêmement rudes. Cet événement dramatique nous rappelle, s’il en était besoin, que participer à une intervention militaire contre des groupes terroristes, c'est toujours exposer sa vie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat de haute tenue porte sur une série de sujets qui se recoupent. Après avoir répondu à chacun des intervenants, je reviendrai de façon plus synthétique sur certains thèmes récurrents.
Auparavant, je voudrais relever que, au cours du tour du monde que vous accompli, l’émergence d’un monde nouveau a souvent été évoquée. En vous écoutant, j'avais à l'esprit cette belle phrase de Tocqueville – s'agissant de Tocqueville, parler de « belle phrase » est presque un pléonasme ! – tirée de De la Démocratie en Amérique : « Il faut prendre garde de juger les sociétés qui naissent avec les idées de celles qui ne sont plus. » Au regard des événements se déroulant actuellement dans un certain nombre de pays, cette mise en garde est utile.
Vous avez également largement abordé le thème de la diplomatie économique – je reviendrai tout à l’heure sur ce choix du Gouvernement qui orientera notre action dans les années à venir –, ainsi que ceux des opérations au Mali, bien sûr, des printemps arabes, de la situation en Syrie.
D'autres sujets sont moins apparus au cours de vos interventions, alors que nous savons toutes et tous qu’ils sont pourtant eux aussi importants.
Ainsi, la question iranienne est peut-être moins évoquée aujourd'hui qu’elle ne l’était voilà quelques mois où qu’elle ne le sera, malheureusement, dans un avenir proche. En effet, elle demeure pendante : incontestablement, les Iraniens veulent se doter de l'arme atomique.
La France, à l’instar des autres membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et de l'Allemagne, a choisi de privilégier la négociation. C’est la seule bonne stratégie : il faut parvenir, en exerçant des pressions, à ce que l'Iran, pays héritier d’une grande civilisation, se dote de l'énergie atomique civile sans pouvoir accéder à l'arme nucléaire, car cela représenterait à l’évidence un danger épouvantable dans une région déjà passablement troublée. Toutefois, comme nous ne sommes pas certains de parvenir à nos fins par la négociation, il faut également prévoir des sanctions de plus en plus fortes en cas d’échec.
Nous sommes dans la phase de négociation ; celle-ci est restée sans résultat jusqu’à présent. Si la négociation devait ne pas aboutir, il nous faudrait nous revoir dans quelques mois, sans doute pas avant juin prochain et la tenue des élections en Iran. En effet, selon les indications techniques dont nous disposons, et même s'il nous faut demeurer extrêmement méfiants, il n’y a pas péril absolu avant cette date. En tout état de cause, il faudra conjurer la menace au cours de l’année 2013.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous n'avez pas non plus beaucoup parlé du conflit israélo-palestinien, qui est pourtant le père de beaucoup d’autres.
Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Laurent Fabius, ministre. J'imagine que, sur ce sujet, nous partageons à peu près tous la même vision des choses : il faut aller vers la coexistence de deux États. La situation actuelle n'est favorable ni aux Palestiniens, qui n’ont pas justice, ni à Israël, qui ne bénéficie pas d’une sécurité absolue. À cet égard, la situation dans certains pays et l’attitude même du gouvernement israélien, qui poursuit et amplifie la politique de colonisation, rendent plus difficile la recherche de la paix et d’une solution à deux États. (Mme Michelle Demessine acquiesce.)
Le développement durable est un autre sujet sur lequel vous auriez pu vous attarder davantage. Tout à l'heure, l'un d'entre vous a récapitulé les grands défis qui sont devant nous. Pour ma part, j’en vois six, qui concernent non seulement la France, mais l'ensemble du monde nouveau : le défi économique, le défi démographique, le défi du rayonnement culturel et éducatif, le défi sécuritaire, le défi démocratique et le défi écologique.
Le développement durable n'est pas simplement un slogan, c'est un objectif, une ambition, une nécessité. Vous le savez, la France va prendre une grande initiative : elle est candidate pour accueillir la grande conférence sur le climat de 2015. L’enjeu est considérable, puisque les conférences précédentes se sont soldées par des échecs. Là aussi, il faudra que la France et l'Europe avancent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez également peu abordé la question de la francophonie et du rayonnement culturel et éducatif. Cela étant, je sais que nous partageons le même sentiment : on ne peut séparer cette question de celle du dynamisme économique et de la puissance d'influence de la France ; elles sont liées.
Enfin, il a été très peu question d’Europe. Or, beaucoup de nos choix, en matière de politique étrangère, sont liés à ceux que fera ou ne fera pas l'Europe. Nous aurons d’autres débats sur ce sujet. Je dirai simplement aujourd’hui que la politique du Gouvernement et du Président de la République entend promouvoir résolument une Europe réorientée et différenciée, dont les pays de la zone euro forment le cœur battant et qui puisse aller plus loin, sur la base du volontariat, dans les domaines de la défense ou de l'énergie, par exemple.
Je répondrai maintenant aux questions soulevées par les différents intervenants.
Monsieur Pozzo di Borgo, vous avez insisté sur l'aspect économique. Je suis tout à fait d'accord avec vous. La puissance de la France tient certes à de nombreux facteurs, mais elle sera en péril si notre pays continue à s’affaiblir sur le plan économique. Si notre compétitivité et d'autres éléments déterminants de notre économie s’érodent encore à l’avenir, un jour viendra où, pour employer un épouvantable jargon sociologique, beaucoup pourront nous demander « d’où nous parlons ». Je n’identifie pas tout à fait le poids et le rôle, mais, sans poids, il n'y a pas de rôle ! C’est l'une des grandes questions qui se posent à la fois à l'Europe et à la France.
M. le président Carrère a, comme à l’habitude, soulevé des questions très pertinentes. Je répondrai plus particulièrement aux propos qu’il a tenus sur la défense. Bien sûr, nous connaissons les contraintes budgétaires et les difficultés de toutes sortes auxquelles la France doit faire face. Ces difficultés tiennent non pas à l’Europe, comme on l’entend souvent dire – celle-ci ne fait que les formaliser –, mais au fait que, malheureusement, la France est extrêmement endettée et que la question de son indépendance est posée : il faut réagir, et puisque l'on ne peut pas le faire en augmentant indéfiniment les impôts, nous devons investir résolument dans tous les domaines et réaliser des économies de fonctionnement. Il le faut pour assurer notre indépendance nationale et l’avenir de nos enfants.
En matière de défense, l’opération au Mali montre que nous avons des choix à faire ; elle révèle à la fois nos forces et nos faiblesses.
Si nous pouvons intervenir dans l’Adrar des Ifoghas, c’est parce que les Américains mettent à notre disposition un drone sophistiqué, dont nous ne possédons pas l’équivalent.
Si nous avons pu acheminer sur le terrain, souvent en un temps record, des troupes françaises et africaines en nombre suffisant et leurs matériels, c’est parce que des avions de transport, ainsi que des avions ravitailleurs, ont été mis à notre disposition.
Dans le même temps, si nous avons pu agir de manière aussi efficace, c’est parce que nous avions des troupes pré-positionnées, en Afrique notamment.
En tout état de cause, étant donné les contraintes budgétaires qui s’imposent à nous, tout ne peut pas être prioritaire. Vous aurez ce débat, dont le président Carrère a exposé les termes de façon très pertinente.
Madame Demessine, vous vous êtes interrogée sur la situation au Mali, en vous déclarant favorable à la transformation de la base juridique actuelle de notre intervention en opération de maintien de la paix. C’est précisément ce que nous souhaitons faire.
Je relève toutefois un point de désaccord entre nous. Vous avez indiqué, à propos de notre intervention au Mali, que nous agissions pour protéger nos intérêts économiques dans ce pays. Or, si nous avons des intérêts économiques au Niger, pays qui est l’une de nos principales sources d’approvisionnement en uranium, nous n’en avons pas au Mali. Je voulais le signaler, pour répondre à une antienne souvent reprise.
Mme Goulet, comme d’ailleurs M. Lorgeoux, est intervenue sur la question turque et sur le soutien à l’Azerbaïdjan. Je lui confirme que la France, qui co-préside le groupe de Minsk, maintient une position forte, conforme aux principes de Madrid. Nos relations avec ce pays très important qu’est la Turquie se sont beaucoup améliorées ces derniers mois, même s’il subsiste encore quelques points de discussion. J’ai récemment annoncé à mon homologue turc, M. Davutoglu, que, sans préjuger de l’avenir, qui comme chacun sait n’appartient qu’à Dieu – quand on y croit ! (Sourires.) –, nous étions d’accord pour ouvrir le chapitre régional, à savoir le chapitre 22. Nos amis Turcs souhaitent que beaucoup d’autres soient également ouverts ; nous n’en sommes pas encore là, mais il nous a semblé que cette initiative était utile. D’autres sujets devront bien entendu être débattus, pour aboutir à un apaisement ou à une clarification. Nous pensons que l’Europe et la France doivent entretenir de bonnes relations avec cette puissance d’avenir qu’est la Turquie. C’est dans cet esprit que nous avons pris cette position.
M. Baylet a notamment parlé du Mali, de l’Iran et de la Syrie ; j’y reviendrai.
Mme Aïchi est intervenue essentiellement sur le Mali, l’Afghanistan, l’Égypte et la Tunisie, faisant ainsi un petit tour du monde. Le Premier ministre du Mali, M. Sissoko, que je viens de rencontrer, m’a confirmé les dates de l’élection présidentielle. Je lui ai dit à quel point il était important que l’on s’en tienne à ces dates, pour des raisons sur lesquelles je reviendrai.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Absolument !
M. Laurent Fabius, ministre. M. Larcher s’est livré à une analyse extrêmement pertinente, en tant que co-président, au côté de Jean-Pierre Chevènement, du groupe de travail sur le Sahel. Les questions qu’il a soulevées rejoignent d’ailleurs ce que j’ai pu dire à propos des conclusions à tirer d’autres interventions pour éviter la répétition de toute une série d’erreurs ayant pu être commises sur d’autres théâtres.
Mme Durrieu a parlé des printemps arabes et posé des questions redoutables : l’Islam et la démocratie sont-ils compatibles ? La loi s’imposera-t-elle à la religion ? Ne voulant pas vous retenir toute la nuit, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne me risquerai pas à essayer d’y répondre. En tout cas, vous avez raison de souligner, madame Durrieu, que nous devons être attentifs à la terminologie que nous employons. En effet, notre ambassadeur dans un pays du Golfe m’a alerté sur la traduction souvent très surprenante donnée par la chaîne Al-Arabiya de certains de nos propos. Ainsi, lorsque nous parlons des « islamistes », cette chaîne traduit ce mot par « musulmans » et en vient à faire dire au Président de la République ou à tel ministre français que notre pays intervient au Mali pour lutter contre les groupes musulmans… Ce n’est évidemment pas du tout ce que nous avons à l’esprit, mais nous devons donc faire très attention à notre vocabulaire. Il en va de même pour le terme « djihad » : quand nous parlons de « djihadistes », il ne s’agit généralement pas de formuler un compliment, mais, pour un musulman, le djihad ne désigne pas nécessairement une position extrémiste ; c’est avant tout une recherche pour aller au bout de soi-même. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Président de la République, le Premier ministre, mon collègue Jean-Yves Le Drian et moi-même parlons désormais de groupes terroristes ou narco-terroristes lorsque nous évoquons les groupes auxquels nous faisons face.
Beaucoup d’entre nous peuvent, me semble-t-il, se retrouver dans les propos qu’a tenus M. Boutant sur l’Algérie. Il est vrai que, pour des raisons historiques, nos relations avec ce pays ont longtemps été délicates, mais je constate une évolution très positive ces derniers temps, tant avec les autorités qu’avec la population. Je m’en réjouis, eu égard à la proximité de nos deux peuples. Cela peut s’expliquer par l’effet du temps, mais aussi par des événements dramatiques, comme celui d’In Amenas. En l’occurrence, les autorités françaises ont pris, me semble-t-il, la position qui convenait. Les Algériens ont souffert peut-être plus qu’aucun autre peuple du terrorisme, puisque celui-ci a fait, dans les années quatre-vingt-dix, environ 150 000 victimes parmi eux. Ils voient bien, surtout après l’épisode d’Ansar Eddine, à qui ils avaient cru pouvoir faire confiance mais qui a finalement voulu marcher sur Bamako, que les groupes terroristes ne peuvent pas être différenciés.
Nous avons donc pu établir une coopération pleine et entière avec les autorités algériennes, ce qui est évidemment très important, au-delà des conflits actuels, pour envisager l’avenir du Maghreb et de l’Afrique.
M. Guerriau a posé une série de questions sur le Mali et la Libye. Comme il le sait sans doute, à la demande des autorités libyennes, en particulier du président de l’assemblée nationale et du Premier ministre, qui sont des personnalités tout à fait remarquables, nous avons tenu, la semaine dernière, une réunion de deux jours sur la sécurité dans leur pays. De nombreux ministres libyens y ont participé, malgré la difficulté des temps, et nous avons saisi cette occasion pour les mettre en contact avec des ministres français et de nombreux responsables d’affaires.
Une ambassadrice, Mme Malika Berak, a été nommée pour suivre les questions libyennes au quotidien, car j’ai senti que cela répondait à un besoin. Elle m’a transmis son compte rendu des entretiens bilatéraux et des rencontres qui ont eu lieu avec les responsables d’entreprises. Mon cabinet pourra vous le communiquer si vous le souhaitez, mesdames, messieurs les sénateurs. Les choses progressent, mais un suivi au jour le jour est nécessaire. La Libye est un pays ami, qui dispose de ressources potentielles considérables et s’apparente à certains égards, sur le plan économique, aux pays du Golfe. La volonté de travailler ensemble est partagée.
M. Couderc, changeant de continent, a consacré son propos à la Corée du Nord et à la sécurité nucléaire. Il est vrai que ce qui vient de se passer en Corée du Nord est d’une importance considérable. Ce pays, dont la population est affamée, a été capable de mettre sur orbite un missile balistique avec une très grande précision, au dire des techniciens. Surtout, il a fait exploser l’autre jour un élément miniaturisé dont la puissance, selon les experts, se situe tout de même entre 25 % et 100 % de celle de la bombe d’Hiroshima. On ne sait pas exactement quel matériau a été utilisé, car il est impossible de l’identifier quelques heures après l’explosion. Toutefois, s’il s’agit effectivement du matériau que nous redoutons, cela place alors la menace coréenne à un très haut niveau. J’ai reçu plusieurs appels téléphoniques à ce sujet, dont l’un, très alarmiste, de mon homologue japonais. Les Chinois, qui peuvent avoir une influence décisive dans cette affaire, ont condamné cet essai et convoqué l’ambassadeur de Corée du Nord à Pékin. Nous sommes en train de travailler, au Conseil de sécurité des Nations unies, sur les termes d’une résolution. Ce n’est pas une affaire que l’on peut prendre à la légère. Les spécialistes nous expliquent que ce lancement est intervenu à un moment très particulier, alors que le président Obama prêtait serment et que les nouvelles autorités chinoises s’installaient. La réalité, c’est que nous sommes en présence d’un régime qui possède désormais à la fois des lanceurs et la technique nucléaire. C’est à l’évidence une situation extrêmement dangereuse.
M. Roger s’est exprimé, en des termes que chacun peut faire siens, sur les industries de défense et le rôle de la France. Toutefois, je ne suis pas tout à fait d’accord avec lui sur l’OTAN. Pour ma part, je me sens très proche de la position d’Hubert Védrine quant aux conséquences de la réintégration de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN. Vous savez que, à l’instar de la formation politique à laquelle j’appartiens, je n’y étais pas favorable. Mais, après en avoir tiré le bilan, nous estimons aujourd’hui que la question d’une sortie de l’OTAN n’est pas du tout d’actualité. Le président Sarkozy avait invoqué deux arguments en faveur de cette réintégration : elle devait nous permettre, d’une part, d’occuper une position beaucoup plus forte au sein de l’OTAN, et, d’autre part, de développer une défense européenne. Sur ce second point, nous attendons encore, mais nous sommes partisans de la construction d’une défense européenne, qui n’est pas contradictoire avec l’existence de l’OTAN.
Sur ce sujet, les mentalités sont peut-être – j’insiste sur ce « peut-être » – en train d’évoluer. En effet, de nombreux pays européens, notamment ceux dits « de l’Est », s’en sont longtemps remis au parapluie américain, sans doute en partie par un antisoviétisme devenu un « anti-russisme ». Cependant, ils constatent que les États-Unis, qui s’intéressent de plus en plus à l’Asie et au Pacifique et connaissent eux aussi des problèmes budgétaires, ne sont pas nécessairement prêts à consacrer des sommes considérables pour assurer la défense des pays d’Europe. Il peut être tentant, pour les Américains, de dire à la première puissance économique et commerciale du monde qu’est l’Europe qu’il lui revient de faire les investissements nécessaires à cette fin. En outre, les événements en cours au Mali montrent aux Européens quelles sont à la fois les nécessités et les apories.
Même si le processus peut être lent, je sens donc se dessiner une certaine évolution. On a parlé, de manière un peu négligente, de « Weimar » ou de « Weimar plus », mais on s’aperçoit qu’il y a place pour la mutualisation de certaines démarches. Les Français, les Allemands, les Italiens, les Espagnols, les Polonais – je laisse de côté le cas spécifique des Britanniques – ne vont pas décider, le cas échéant, de construire des avions ravitailleurs, des avions transporteurs ou des drones chacun de leur côté !
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Cela n’aurait pas de sens !
M. Laurent Fabius, ministre. De tels processus de mutualisation seraient positifs non seulement au regard de notre idée de l’Europe, mais aussi pour l’industrie de défense européenne, qui est largement une industrie française. C’est dans cet esprit-là que nous souhaitons travailler.
M. Beaumont a fait une communication passionnante sur la « maritimisation » et la nouvelle carte des océans. Je suis pleinement d’accord avec ses propos et me tiens à sa disposition pour en parler plus longuement s’il le souhaite.
M. Berthou a évoqué la diplomatie économique ; j’y reviendrai dans quelques instants.
Je confirme à M. del Picchia que je mets sur pied le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie, le CAPS. Jusqu’à présent, il existait un Centre d’analyses et de prévision. Ce dernier organisme est très utile et la qualité de son personnel n’est pas en cause, mais la réflexion doit servir notre stratégie et ne pas demeurer dans l’abstraction. À l’instar de M. del Picchia, je pense que plus l’horizon est incertain, plus l’anticipation stratégique est nécessaire.
Enfin, M. Lorgeoux a consacré son propos à la Turquie ; je pense lui avoir déjà répondu.
Je consacrerai la fin de mon intervention aux trois sujets que j’ai annoncés en préambule.
La diplomatie économique, tout d’abord, n’est pas un gadget. Il s’agit d’un choix absolument décisif pour préparer les années qui viennent.
Le Quai d’Orsay s’occupe de toutes les questions internationales, et notamment des crises, à l’exclusion de la crise économique. À mon arrivée à la tête de ce ministère, j’ai trouvé cette situation assez paradoxale, vu la prégnance des problématiques économiques. Que l’on me comprenne bien : je ne prétends pas que les ambassadeurs m’aient attendu pour s’occuper d’économie. Ils le font déjà, et très bien au dire des grandes entreprises. Cependant, il s’agit d’afficher expressément cet objectif.
Le ministère de l’économie et celui du commerce extérieur mènent bien sûr une action très importante, mais il se trouve que nous disposons du deuxième réseau diplomatique au monde, fort de 15 000 personnes. Au regard de l’ampleur du déficit de notre commerce extérieur, de l’ordre de 68 milliards d’euros, de notre situation difficile en matière de compétitivité et des problèmes que rencontrent nos moyennes entreprises pour exporter, nous devons prendre des initiatives, allant de la simple instruction donnée à tous les ambassadeurs de se fixer un objectif en termes économiques à la création, au Quai d’Orsay, d’une direction chargée de suivre l’élaboration des normes internationales, qui est lourde de conséquences pour les entreprises françaises. Nous devons également mettre en place une interface avec les PME et les organisations économiques. Des personnalités, dont M. Raffarin, que je salue, ont accepté d’assumer une part de la relation bilatérale, en particulier sur le plan économique, avec certains pays : je pense à l’Algérie, à la Russie pour Jean-Pierre Chevènement, au Mexique pour Philippe Faure, au Japon pour Louis Schweitzer, qui fut à l’origine de l’alliance entre Renault et Nissan.
Tout cela est modeste, me direz-vous, mais c’est l’addition de choses modestes qui peut permettre de débloquer des situations. Il faut que cent fleurs jaillissent. Un certain nombre d’ambassadeurs de grande qualité n’étant pas affectés, j’ai proposé aux présidents de région de les placer à leurs côtés, afin qu’ils mettent leur connaissance des réseaux diplomatiques au service des PME exportatrices.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. Ces initiatives ne produiront peut-être pas toutes des résultats, mais la situation de notre économie nous impose d’orienter davantage notre appareil diplomatique vers l’économie.
Dans cette perspective, il nous faut aussi ajuster notre réseau diplomatique en fonction des réalités du XXIe siècle, en renforçant sa présence en Chine, en Inde, en Indonésie, là où se bâtit le futur. Les contraintes budgétaires ne nous permettant pas de créer de nombreux emplois, cela doit peut-être nous conduire à être un peu moins présents dans des postes réputés prestigieux, mais où nous n’avons pas besoin d’être représentés par des centaines de personnes. Il importe de s’adapter dans la concertation au monde de demain, au monde nouveau. La Chine compte 1,3 milliard d’habitants, la population de l’Inde dépassera bientôt ce chiffre. Dans vingt ans, 143 villes chinoises regrouperont plus de 1 million d’habitants : nous avons à promouvoir notre savoir-faire en matière d’urbanisation.
En ce qui concerne le Mali, il faut prendre en compte trois volets inséparables : la sécurité, la dimension politique et le développement. Si nous ne travaillons pas de concert sur ces trois volets, nous n’arriverons à aucun résultat.
S’agissant de l’aspect sécuritaire, nous avons, avec les Maliens et les autres troupes africaines, reconquis des villes, souvent dans des conditions extrêmement périlleuses. Au fur et à mesure que progresse la sécurisation de ces villes, les Français doivent être remplacés par des Maliens et des Africains : nous n’avons pas vocation à rester éternellement au Mali. Après avoir fait ce que nous avons à faire, selon des objectifs précis, nous réduirons notre présence, comme je l’ai encore expliqué cet après-midi au Premier ministre du Mali, M. Cissoko. Bien évidemment, nous n’allons pas laisser tomber nos amis Maliens, dont on a vu l’accueil qu’ils ont réservé à François Hollande, mais il doit être bien clair que, une fois le Mali rétabli dans son intégrité, nous n’assurerons pas une présence permanente.
Il appartiendra à l’armée malienne, dont la formation sera assurée, y compris sur le plan moral afin de prévenir les exactions, par 500 personnes mises à disposition par l’Europe, de prendre le relais avec les troupes africaines, celles-ci étant d’ores et déjà plus nombreuses sur le terrain que les nôtres.
La recherche des groupes terroristes et de leurs chefs fait bien sûr partie de ce volet sécuritaire : nous faisons le maximum, dans la discrétion, pour essayer de récupérer les otages français détenus dans cette région. Ces opérations, très difficiles, font appel à des techniques bien spécifiques, sur lesquelles je ne m’étendrai pas.
Madame Demessine, nous avons l’intention de transformer la base juridique de notre intervention au Mali, comme vous le souhaitez. Actuellement, cette intervention se fonde sur la résolution 2085 des Nations unies, prise au mois de décembre dernier et présentant certaines limites, s’agissant, par exemple, du champ d’action géographique de la MISMA. En plein accord avec les autorités maliennes – le président Dioncounda Traoré a d’ailleurs écrit à M. Ban Ki-moon en ce sens –, nous demandons une transformation de la base juridique de notre intervention en une opération de maintien de la paix, ce qui donnera un cadre durable à notre action, sécurisera juridiquement les choses et, ce qui n’est pas négligeable, permettra la prise en charge par l’Organisation des Nations unies du financement, jusqu’à présent largement assumé par la France et un certain nombre de pays voisins. Cette nouvelle base juridique, sans bouleverser les modalités de commandement, permettra de poursuivre les opérations de maintien de la paix au Mali, la France continuant bien sûr à remplir son rôle.
Cette démarche est sur le point d’être engagée. Nous ne prévoyons pas de grandes difficultés, car les autres pays membres du Conseil de sécurité approuvent cette orientation, mais il s’agira d’un changement important. Comme le rappelait tout à l'heure l’un d’entre vous, nous sommes allés au Mali dans un but précis, selon un délai précis. Nous avons tiré la leçon des interventions en Somalie ou en Afghanistan. C’est pourquoi le Président de la République, Jean-Yves Le Drian et moi-même avons pu dire, ce qui a un peu surpris, que si tout se passe comme prévu, nous devrions pouvoir commencer à réduire la présence de nos forces à partir du mois de mars. Il n’est pas du tout question de partir du jour au lendemain, nous allons faire notre travail jusqu’au bout, mais il ne faut pas donner le sentiment que notre présence est appelée à devenir permanente.
L’aspect politique est fondamental. Bien sûr, il faut rétablir la sécurité et l’intégrité du territoire malien, mais le dialogue est nécessaire. À cet égard, je vous informe que M. Sissoko m’a confirmé l’installation avant la fin du mois de la commission du dialogue.
M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Laurent Fabius, ministre. Nous y tenons beaucoup. En outre, l’élection présidentielle est programmée pour le mois de juillet. Le Premier ministre Sissoko m’a assuré qu’il ferait le maximum pour que les choses se passent comme prévu. Je lui ai indiqué que cela était essentiel à nos yeux. En effet, à cause de la saison des pluies, les électeurs risquent de ne pas pouvoir accéder aux bureaux de vote si l’élection est organisée avec retard. De plus, si le gouvernement et le président actuellement en place sont bien sûr légitimes, ils sont de transition et ne peuvent se représenter. Une nouvelle équipe, avec laquelle nous devrons travailler, arrivera donc au pouvoir.
Par ailleurs, nous avons beaucoup insisté sur le fait qu’il fallait veiller à empêcher les exactions. Sur ce point, le Premier ministre Sissoko m’a assuré que des enquêtes seront diligentées – des représentants des Nations unies sont d’ailleurs arrivés hier à Bamako – et que les soldats maliens mis en cause ne bénéficieraient pas de l’impunité.
Les difficultés, notamment avec certaines populations du Nord, doivent être traitées par le dialogue, fondé sur deux principes intangibles : le respect de l’intégrité du Mali et l’exclusion des groupes terroristes. Tel est le cahier des charges.
En ce qui concerne le développement, des actions ont déjà été engagées et d’autres vont l’être, notamment par l’Europe. Au mois de mai sera organisée à Bruxelles une conférence internationale des donateurs, coprésidée par les autorités européennes et la France, afin d’assurer au Mali, et au-delà à l’ensemble du Sahel, les moyens du développement, en tirant là aussi les leçons de l’expérience.
Le développement doit porter sur les besoins de base de la population : l’électricité, l’eau, les transports… Le représentant que j’ai dernièrement envoyé à Kidal pour discuter avec les autorités locales a été frappé par l’absolu dénuement de la population. Il faut donc que les services publics soient rétablis, tout comme le drapeau malien ! C’est ainsi que pourra réussir l’intervention au Mali.
J’évoquerai enfin la situation dramatique en Syrie, reflétée par une espèce de comptabilité macabre : selon John Kerry, on dénombrerait près de 100 000 morts. Les réfugiés se comptent en centaines de milliers, sinon en millions : la seule Jordanie, qui n’est pas un grand pays, en accueille environ 600 000. Au mois d’août dernier, j’ai visité le camp de Zaatari, situé en plein désert ; il hébergeait alors 15 000 personnes, contre plus de 100 000 aujourd’hui. Imaginez leurs conditions de vie, avec le froid qui sévit en cette période !
La situation est terrible pour la Syrie, mais aussi pour la Jordanie, le Liban, qui risque d’être déstabilisé, la Turquie et l’Irak. Il faut que cela cesse !
La bonne solution, c’est le départ de Bachar El-Assad, on le sait bien. La France a été la première à miser sur la coalition nationale syrienne, dont le président, M. Al-Khatib, est un homme remarquable. Ses dirigeants soutiennent des principes qui nous agréent, en particulier le respect des droits de toutes les communautés, à commencer par celle des Alaouites. Si les droits de ces derniers étaient niés, l’ensemble de l’armée s’insurgerait. On aurait alors un schéma à l’irakienne : après le départ du raïs, le chaos règnerait pendant une décennie. Toute la difficulté est d’obtenir le départ de Bachar El-Assad sans que s’installe un vide institutionnel.
Nous soutenons donc M. Al-Khatib, mais la situation est compliquée, en raison de l’existence d’une certaine diversité au sein de sa coalition, d’une part, et de la question des armements, d’autre part. De l’autre côté, des armes arrivent d’Iran ou de Russie : le rapport de force est inégal, même si certains pays que je ne nommerai pas fournissent des armements à la coalition. Imaginez la situation de ces combattants presque dépourvus de moyens, soumis à des bombardements ! Pour autant, si on lève l’embargo sur les armes, il faut être sûr de leurs destinataires, afin qu’elles ne se retournent pas ensuite contre nous, comme ce fut le cas en Libye…
Dernièrement, M. Al-Khatib a fait preuve d’un esprit d’ouverture que je tiens à saluer : s’il refuse de discuter avec Bachar El-Assad, il accepterait de dialoguer avec un certain nombre de représentants du régime qui n’ont pas de sang sur les mains. Cette proposition responsable et très courageuse constitue déjà une évolution considérable.
Nous discutons avec les Russes et les Américains. Allons-nous réussir à nouer le fil d’un tel dialogue ? Le médiateur de l’ONU, M. Brahimi, partage la même position. Nous espérons que les choses vont pouvoir avancer en ce sens. À défaut, on risque d’assister à une escalade du nombre des victimes et à une victoire des extrémistes absolus, d’Aqmi ou d’autres mouvances. Contrairement à ce que disent les Russes, il s’agit d’une affaire non pas locale, mais internationale. Elle nous concerne tous.
Mesdames, messieurs les sénateurs, veuillez m’excuser d’avoir été beaucoup plus long que je ne le souhaitais. Exerçant depuis maintenant neuf mois mes fonctions, après huit tours du monde, j’ai la conviction que la France est une puissance d’influence, qu’elle est entendue, attendue, écoutée lorsqu’elle s’exprime. Son influence se fonde sur toute une série d’éléments disparates : son siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, son armement conventionnel et nucléaire, sa puissance économique, son rayonnement culturel, les principes de la Révolution française, son histoire, son action internationale pour les autres, au service de la régulation internationale, de la paix, de la démocratie.
Je suis heureux de constater que vous êtes nombreux à vous rassembler autour de la politique étrangère de la France. J’ai toujours plaisir à venir au Sénat, où prévalent l’élévation de pensée et l’esprit de rassemblement. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la politique étrangère.
10
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 20 février 2013 :
À quatorze heures trente :
1. Débat sur l’avenir de l’industrie en France et en Europe.
À dix-sept heures :
2. Débat sur la situation à Mayotte.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures vingt-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART