M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.
Mme Josette Durrieu. Madame la ministre, je crains que nous ne vous infligions un certain nombre de répétitions. Mais elles sont peut-être absolument nécessaires. Comme d’autres orateurs, je m’exprimerai essentiellement sur le monde rural,…
M. Charles Revet. C’est important ! Il est souvent oublié !
Mme Josette Durrieu. … cet espace qui est particulièrement délaissé.
M. Hervé Maurey. C’est vrai ! Il est délaissé !
Mme Josette Durrieu. Cet espace, je le connais bien, comme vous ici.
Cela a été dit, les opérateurs privés ont choisi d’investir dans les zones les plus rentables, laissant de côté 80 % du territoire, où vivent 14 millions d’habitants, délaissant, surtout, ce qu’on oublie de dire et qu’il faut donc redire, des espaces qui accueillent encore aujourd'hui plus de 50 % de l’industrie de notre pays, je dis bien « plus de 50 % » !
Sur ces territoires abandonnés, les collectivités locales ont, bien sûr, et c’est normal, réalisé des réseaux haut ou très haut débit. Elles ont créé, on l’a dit, des RIP, réseaux d’initiative publique, des « réseaux de gros ouvert », « opérateurs d’opérateurs. »
Il semble qu’il y ait aujourd'hui 8 millions d’usagers, dont 3 millions pour cette zone dite « rurale ». Et j’insiste sur le fait que les collectivités ont créé, d’abord, les réseaux de collecte et, après, éventuellement, la desserte. Mais l’État, lui, dans une cohérence que je n’ai jamais comprise, a financé la desserte et pas la collecte.
Pour les collectivités, on l’a dit, redisons-le, les enjeux sont évidents. Vous, messieurs Yves Rome et Pierre Hérisson, vous insistez sur ce point dans votre rapport. C’est le défi de la fracture numérique, on l’a dit, il faut le redire. Mais c’est surtout la volonté d’affirmer l’attractivité de son territoire. Sans cela, incontestablement, c’est l’exode numérique et, par conséquent, on est parti pour recommencer !
Donc, les collectivités locales ont été à la fois les maîtres d’ouvrage et les financeurs de ces opérations, alors même que ces équipements, ces autoroutes numériques relèvent, de toute façon et normalement, de l’équipement du territoire et, par conséquent, des missions de l’État, lequel n’est pourtant pas intervenu.
Je voudrais dire deux mots sur un département que je connais bien, celui des Hautes-Pyrénées. Tout à l’heure, on a cité comme exemplaires la Drôme et l’Auvergne. Je dois dire que les Hautes-Pyrénées ne se sont pas mal débrouillées. À ce moment-là, j’étais présidente du conseil général de ce petit département – qui compte 236 000 habitants – dont le budget est légèrement supérieur à 300 millions d’euros et le budget d’investissement compris entre 50 millions et 60 millions d’euros. Nous avons voulu 2 mégabits pour tous. Tout à l’heure, Mme Schurch a parlé de 0,512 mégabit, disant qu’il faut s’en satisfaire. Or sachez, chère collègue, que beaucoup n’ont même pas 0,512 ! Quoi qu’il en soit, nous avons dit 2 mégabits pour tous et 100 mégabits pour soixante sites prioritaires, notamment les zones économiques, en espérant aller plus loin. Cela a donné 422 kilomètres de fibre, l’ADSL, le wimax et le satellite pour tout ce qui serait résiduel. Et le coût pour notre département a été, pour 2012, de 29 millions d’euros. Il sera de 152 millions d’euros quand nous arriverons au terme de l’emprunt, dans vingt-cinq ans. Les aides s’élèvent à 800 000 euros au titre du FEDER. Combien avons-nous reçu de l’État ? Zéro, alors qu’il a tout de même profité des recettes fiscales engendrées par ces dépenses ! Voilà une situation qui est assez insupportable !
Alors, le très haut débit, oui, mille fois oui, partout et pour tous, oui ! J’ai envie de dire, d’expérience, que ce défi lancé par le Président de la République est un beau défi. Mais, comme tout défi, il faut le poser, il faut avoir de l’ambition. Monsieur Lenoir, vous parliez d’un rêve qui est devenu un cauchemar. Je vous dirai que toute aventure humaine commence par un rêve. Il faut le vouloir, tout simplement parce que c’est indispensable pour tous et partout ! On le veut, et on le veut parce que l’équipement numérique est indispensable pour le redressement industriel. Soyons réalistes, il n’y aura pas de redressement industriel sans l’équipement numérique ! Partant de cette base, il en faut donc partout !
Je reviens au département des Hautes-Pyrénées. On a fait les comptes. Combien cela coûte-t-il d’aller plus loin, c’est-à-dire d’aller vers le haut et le très haut débit pour tout le monde ? Hors zone dense, c’est-à-dire Tarbes et Lourdes, pour faire bénéficier de mesures égales l’espace qui reste, fort de 10 000 foyers, cela représente 152 millions d’euros – 2013 –, soit cinq fois le coût de l’équipement initial. C’est exorbitant !
Alors, je le redis : il faut vouloir. Cela signifie qu’il faudra savoir fixer les priorités. Ce ne sera pas facile. Mais il faut avoir cette ambition. Les collectivités ne pourront plus supporter ces investissements et elles le pourront encore moins demain qu’elles ne le pouvaient hier.
M. Hervé Maurey. Effectivement !
Mme Josette Durrieu. Pour nous, la charge est énorme, d’autant plus que le risque sur les investissements est doublé d’un risque commercial, et cela, on l’oublie ! Pour commercialiser, on est face aux trois opérateurs historiques qui maîtrisent 90 % de l’espace commercialisé. Ce n’est pas possible !
Qu’attendons-nous de l’État ? Je dirai, pour résumer, que nous attendons trois choses : premièrement, bien sûr, des aides financières. Il va falloir réalimenter le FSN, le FANT, et tout le reste. Mais, comme vous l’avez dit tout à l’heure, monsieur Hérisson, il faut vraiment mettre en place un réel mécanisme de péréquation,…
M. Jean-Claude Lenoir. Il a raison !
Mme Josette Durrieu. … sinon, on ne s’en sortira pas !
Deuxièmement, et c’est un point sur lequel je voudrais insister, relatif aux collectivités qui ont créé des RIP, vous devez sécuriser les RIP, car leur équilibre économique et financier est très fragile. Il faut protéger ces investissements publics déjà engagés. Il faut prendre les mesures nécessaires, et ce rapidement. Il faut créer un partenariat entre les grands opérateurs et les collectivités concédantes, qui ne doivent plus être livrées à la concurrence sauvage. Sinon, nous le regretterions et nous aurions investi pour rien.
Troisièmement, il faut maintenant maximaliser l’attractivité des RIP et accompagner le développement des usages. On ne les a pas assez évoqués, mais ils sont multiples et ils sont attendus. Oui, pour l’e-santé, oui, pour le domaine de la vieillesse, oui, pour l’éducation, oui, pour la formation, oui, pour le commerce. Finalement, on a besoin du numérique partout.
Je terminerai par cette question : Et l’Europe dans tout cela ? À l’échelon européen, c’est un défi, un grand projet, un grand dessein. Pourtant, quelqu’un l’a dit, l’Europe a déserté. Donc, un renoncement de plus ! Madame la ministre, si nous devons être seuls, eh bien, c’est seuls que nous devons relever ce défi ! Il est essentiel et il est prioritaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Hervé Maurey applaudit également.)
M. Jean-Claude Lenoir. Vous ne serez pas seule !
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac.
Mme Frédérique Espagnac. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, mes chers collègues, vous en conviendrez aisément, depuis le début des années 2000, notre monde est entré dans une ère numérique. Nos communications, nos divertissements, notre relation à la culture et, surtout, notre relation au travail… Ce sont nos modes de vie qui ont été profondément changés par l’arrivée du numérique dans des pans entiers de notre quotidien.
Dès lors, notre rapport au territoire a, lui aussi, été modifié par ce nouveau style de vie. Combien sommes-nous aujourd’hui à intégrer dans nos critères de séjours en vacances, voire d’installation définitive dans un territoire, la présence ou non d’internet à haut débit, du wifi, d’un réseau de téléphonie mobile, et même de la 3G ? Ces éléments sont encore plus cruciaux pour un entrepreneur qui cherche à s’implanter.
Pour autant, force est de constater qu’en 2013 une grande disparité existe sur notre territoire, vous l’avez tous rappelé, entre espace rural et urbain, plaines et montagnes, territoires riches et plus pauvres.
Or la présence d’un accès à internet, qui, il y a quelques années encore, constituait aux yeux des entrepreneurs un véritable atout compétitif, est, aujourd’hui, un impératif.
Ainsi, dans nos départements, comme dans celui que j’ai l’honneur de représenter au sein de cette assemblée, les Pyrénées-Atlantiques, partie de ce massif montagneux que Josette Durrieu vient d’évoquer, ce sont des zones énormes, le plus souvent rurales, qui se retrouvent déclassées, car incapables de mettre à disposition un outil internet de qualité devenu vital pour le monde de l’entreprise.
Aussi, alors que ces mêmes territoires souffrent le plus souvent du phénomène de désertification médicale, de l’absence croissante des services publics et parfois même d’un isolement extrême, nous ne pouvons que nourrir de grands espoirs quant à ce que le numérique peut apporter en matière de santé, d’éducation pour nos plus jeunes ou d’aménagement du territoire.
Dès lors, je souhaite saluer l’action des pouvoirs publics locaux et nationaux, qui s’engagent, jour après jour, à réaliser les objectifs ambitieux développés notamment à l’occasion du séminaire intergouvernemental du 28 février dernier à Gennevilliers, d’offrir d’ici à dix à douze ans un accès internet très haut débit à tous. Néanmoins, vous l’avez tous rappelé, il y a urgence. Nous n’avons plus le temps d’attendre.
Sur le haut débit et sur le très haut débit, si la situation que j’ai décrite n’est indéniablement pas des plus réjouissantes, il ne faut cependant pas oublier que notre pays a, je le dis haut et fort ici, de nombreux atouts. En effet, nous disposons d’une recherche publique de référence dans le monde et notre écosystème industriel est très dynamique pour l’innovation entre grands acteurs, PME-ETI et innovateurs.
Le Gouvernement s’est engagé sur trois axes. Je rappellerai simplement nos demandes, évoquées par Josette Durrieu : aide financière, bien sûr, dans nos collectivités locales, sécurisation des RIP et maximisation des usages.
Avant de vous laisser la parole, madame la ministre, je tiens à rappeler nos trois axes d’engagement.
Premièrement, il s’agit de faire du numérique une véritable chance pour la jeunesse de nos territoires, en particulier la jeunesse rurale, en facilitant l’apprentissage des outils informatiques dès le plus jeune âge ainsi que l’accès en ligne aux cours universitaires, et en développant les formations aux métiers du numérique, pour lesquels les besoins en emploi sont très importants.
Deuxièmement, il convient d’utiliser le levier du numérique pour renforcer la compétitivité de nos entreprises en soutenant la recherche et en finançant, comme s’y est engagé le Président de la République, à hauteur de 20 milliards d’euros le programme de couverture intégrale de la France en très haut débit.
Enfin, le numérique constitue un élément extraordinaire de promotion de nos valeurs républicaines, permettant de mobiliser pour réduire l’exclusion et les inégalités en matière d’emploi, de santé, d’accès à la culture ou aux services publics.
Vous le voyez, il s’agit là d’un levier extraordinaire de modernisation du rôle de l’État et de revitalisation de notre démocratie.
Tout comme les voies de chemins de fer et, plus tard, les autoroutes ont en leurs temps participé à l’aménagement du territoire et à sa prospérité, l’ère du numérique doit susciter une amélioration des conditions de vie et une prospérité nouvelle, notamment dans nos territoires ruraux, trop souvent oubliés.
Nous comptons sur vous, madame la ministre. Nous l’avons tous dit, il y a urgence. Certaines propositions viennent d’être formulées ; nous attendons vos réponses. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée auprès du ministre du redressement productif, chargée des petites et moyennes entreprises, de l'innovation et de l'économie numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureuse que la Haute Assemblée ait fait le choix d’inscrire à son ordre du jour ce débat sur « l’action des collectivités locales dans le domaine de la couverture numérique du territoire ».
C’est pour moi l’occasion de saluer le travail remarquable – nombre d’entre vous y ont insisté – accompli dans ce domaine par les collectivités locales dans notre pays, depuis plusieurs années, bien souvent en avance, ou en substitution à un État trop longtemps absent de cette politique d’infrastructures majeure, comme le rappelait tout à l’heure le rapporteur Yves Rome.
Je suis bien placée pour savoir que nous sommes en retard par rapport à d’autres pays. Ainsi, en Corée ou au Japon, où je me suis rendue la semaine dernière, il n’est plus question de 100 mégas, mais de commercialisation prochaine d’offres à 1 giga. Nous ne nous situons pas dans la même échelle de valeur ! Comme l’ont souligné notamment David Assouline et Mireille Schurch, nous devons absolument combler ce retard.
Le temps où l’État était absent de cette politique d’infrastructures majeure est néanmoins révolu. Le présent débat est ainsi l’occasion pour moi de répondre aux nombreuses interrogations légitimes dont vous m’avez fait part au travers de vos interventions, et de vous présenter dans le détail la stratégie du Gouvernement pour la couverture du territoire en très haut débit d’ici à dix ans.
Je propose, d’ailleurs, à cette occasion, que le Gouvernement fasse chaque année une présentation de suivi du plan « France Très haut débit »,…
M. Yves Rome, corapporteur. Très bien !
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. … en vue d’entretenir le débat avec la Haute Assemblée et de l’informer de l’avancée des travaux.
Cette stratégie est le résultat, vous le savez, de plusieurs mois de travail et de consultations, auxquelles nombre d’entre vous ont été associés. L’ensemble des parties prenantes – parlementaires, élus locaux, opérateurs – se sont impliquées dans le vaste débat que j’ai souhaité mener sur ce sujet. Tous ont bien compris qu’il s’agissait d’un enjeu d’une importance capitale pour l’attractivité et le futur développement économique de notre pays, comme l’ont souligné Mme Schurch, MM. Gattolin, Camani, Husson, Dufaut et Fichet, mais aussi pour l’équité sociale, ainsi que l’a rappelé M. Lenoir.
De nombreux modèles ont été mis sur la table, étudiés et expertisés. Toutes les pistes de financement ont été examinées, tous les modèles économiques débattus.
Nous avons pu nous nourrir des travaux réalisés par les parlementaires, notamment de ceux des sénateurs Leroy et Maurey, dont l’Assemblée nationale a examiné la proposition de loi le 22 novembre dernier. Tout en réitérant ici le respect que m’inspire ce travail, je maintiens que ce texte, tout comme certains propos tenus voilà quelques instants par M. Maurey, comportait quelques approximations, sur lesquelles je vais revenir.
Mme Françoise Férat. C’est sympathique !
Mme Fleur Pellerin, ministre déléguée. Nous nous sommes fortement appuyés sur les porteurs de projets, tous très impliqués, dont certains sont parmi vous aujourd’hui, et qui nous ont fourni des retours très concrets sur les enjeux opérationnels, techniques, financiers, sur cette connaissance du terrain qui est au cœur de ce grand chantier.
Permettez-moi d’emblée de revenir sur la stratégie et le plan d’investissement adoptés par le Gouvernement.
Ce plan d’investissement « France Très haut débit », dont le Président de la République et le Premier ministre ont indiqué les grandes lignes, je veux aujourd’hui en détailler devant vous l’articulation.
Le déploiement du très haut débit est, selon le Gouvernement, une nécessité pour la compétitivité de la France, un des axes essentiel de la politique de croissance que nous voulons mener, à côté du projet du Grand Paris.
Cette clarté sur l’enjeu global se double d’une clarté sur les objectifs pour y parvenir.
Le Gouvernement a toujours été clair : l’objectif de long terme est la fibre optique, au-delà des dix ans c’est un enjeu industriel et c’est l’assurance d’un investissement pérenne.
C’est autour de cette priorité que nous avons structuré notre stratégie : l’accompagnement du déploiement de la fibre optique. Je le précise à l’intention de Mme Schurch ainsi que de MM. Hérisson et Leroy, c’est bien le développement de la fibre optique qui constitue notre priorité.
Mais le programme d’investissement « France Très haut débit » vise également à apporter rapidement des solutions concrètes, de court terme, à nos concitoyens, car la fracture numérique est insupportable, ainsi que nombre d’entre vous l’ont dit.
Je suis tout à fait d’accord avec MM. Gattolin, Rome et Mazars : il faut absolument apporter à nos concitoyens des réponses concrètes avant la fin de la période de dix ans nécessaire pour déployer le très haut débit sur l’ensemble du territoire.
Je rejoins également M. Gattolin lorsqu’il insiste sur la nécessité de réfléchir en termes d’usages et, plus généralement, d’écosystème propre à garantir en termes d’infrastructures l’égalité des territoires.
Je crois que nous sommes crédibles dans notre approche car nous n’avons pas de position dogmatique. Notre seul guide et boussole, c’est la demande et l’attente de nos concitoyens auxquelles vous êtes quotidiennement confrontés.
Nous mobiliserons donc l’ensemble des financements possibles et toutes les technologies disponibles : fibre, montée en débit sur cuivre et sur câble coaxial, technologies hertziennes et satellitaires. Nous n’oublions pas, monsieur Lenoir, que 40 000 personnes ont aujourd’hui accès à cette technologie et, dans le cadre du plan « France Très haut débit », nous avons budgété l’accès de 300 000 de nos concitoyens au très haut débit grâce aux technologies satellitaires.
Ce choix technologique appartiendra bien sûr aux collectivités territoriales, même si l’État a prévu une enveloppe correspondant à un choix très ambitieux de 80 % de FTTH en 2022.
Dans de nombreux territoires, je le précise, la montée en débit, même si elle ne constitue pas une solution pérenne, permet néanmoins d’apporter des gains réels pour les utilisateurs dans un calendrier très accéléré. C’est tout particulièrement le cas dans certains territoires ruraux, mais également dans les tissus périurbains – où j’habite et où je bénéficie de 1 méga – de nos villes que l’action publique ne doit pas délaisser. L’État accompagnera de tels projets, mais tout en privilégiant l’accompagnement pour les déploiements de la fibre optique et se concentrera donc sur la partie réutilisable de ces projets.
Le réseau câblé – je ne l’oublie pas, monsieur Leroy – sera également pris en compte, par principe de neutralité technologique, comme l’ensemble des réseaux sur l’ensemble du territoire français.
Je pense que tous ces éléments sont de nature à répondre aux questions de Mme Schurch et de M. Mazars.
J’ajouterai un mot sur les réseaux mobiles sans fil. Les objectifs fixés aux opérateurs l’ont été dans le cadre des autorisations délivrées dans les licences, et ne font pas partie intégrante du plan « France Très haut débit ». Il s’agit donc d’un sujet différent.
Notre but, je le répète, est d’apporter des résultats concrets et de ne pas laisser des zones mal desservies dans l’attente pendant dix ans, contrairement à ce que prétend M. Maurey qui nous reproche de négliger le haut débit.
Le calibrage a donc été fait pour permettre, bien sûr, la couverture de l’ensemble du territoire en très haut débit d’ici à dix ans, mais également l’éligibilité au très haut débit dès 2017 de près de la moitié des foyers français, et de tous à un haut débit de qualité. Et par « haut débit de qualité », nous entendons un débit qui permette d’accéder à une offre triple play de qualité, c’est-à-dire de l’ordre de 3 à 4 mégaoctets au minimum.
Il a fallu, pour ce faire, bâtir un schéma de déploiement équilibré, efficace et réaliste.
Le schéma de déploiement du très haut débit retenu procède d’une complémentarité, appelée de ses vœux par M. Dufaut, entre les déploiements menés par les opérateurs privés, d’une part, et par les collectivités territoriales, d’autre part.
Ce schéma est celui qui permettra la mise en œuvre la plus rapide de la stratégie gouvernementale, fort bien présentée par M. Teston.
Les autres schémas de déploiement possibles, par un opérateur unique national ou par des utilities régionales s’appuyant sur des fonds d’investissement de long terme, ont également été étudiés.
Il faut être très clair, car je sais que la tentation existe peut-être encore : j’ai écarté ces solutions, parce qu’elles n’ont pas aujourd’hui de crédibilité industrielle, et que cela aurait nécessairement conduit à prendre un retard qui me paraît être une très mauvaise chose dans le contexte actuel, où nous devons rechercher la croissance, l’investissement. Ce chantier est justement l’occasion de retrouver ce chemin de la croissance.
Nous nous appuierons donc en partie sur les opérateurs privés. Ce sont eux qui tireront le marché et feront décoller les usages, lesquels sont traités dans le cadre du séminaire numérique que je coordonne, comme l’a rappelé Mme Espagnac.
Ces usages seront étudiés en même temps que les infrastructures. Tel est le cas en Corée et au Japon, où j’ai pu constater que le développement des infrastructures s’était accompagné d’un développement de services de e-santé, voire de m-santé, de gestion responsable de l’énergie au travers des smart grids, de logement intelligent. Du fait de la multiplicité de ces usages, ces pays considèrent qu’il est tout à fait normal de réfléchir à l’étape suivante : non plus 100 mégas, mais 900, voire 1 000 mégas, soit 1 giga.
La transparence des intentions d’investissement, que M. Gattolin appelle de ses vœux, en termes de déploiement des opérateurs privés est un point essentiel sur lequel je souhaite encore une fois insister. C’est la condition d’une bonne articulation entre acteurs privés et acteurs publics, au bénéfice de l’ensemble des acteurs et de nos concitoyens. Cela répond aussi, d’ailleurs, à la préoccupation exprimée par M. Dufaut.
Au niveau local, les intentions d’investissement des opérateurs privés se concrétiseront par des conventions tripartites que nous souhaitons équilibrées. La mission « Très haut débit », la mission Darodes, publiera d’ici à la fin du mois de juin une convention type en ce sens destinée aux collectivités territoriales, ce qui répond à une question de M. Camani. C’est une différence supplémentaire avec le plan Besson : nous passons de l’intention à l’action, à la convention.
S’agissant des opérateurs privés, nous souhaitons que ces conventions soient l’occasion de discuter sur des calendriers de déploiement zone par zone, y compris en discutant sur des re-priorisations de calendrier pour tenir compte des besoins urgents d’une meilleure couverture, notamment dans les zones rurales. Plusieurs d’entre vous ont ainsi mentionné l’urgence qu’il y avait à répondre aux attentes de nos concitoyens qui habitent dans ces zones, aujourd’hui très mal desservies.
Je souhaite que l’ensemble des opérateurs aient ce dialogue avec les collectivités couvertes et avec les porteurs de projets départementaux, interdépartementaux ou régionaux sous l’égide de l’État. L’exemple de la Bretagne, rappelé par M. Fichet, montre que c’est possible dans une stratégie gagnant-gagnant, avec une véritable péréquation et une égalité de déploiement entre les zones urbaines et les zones rurales. J’ai d’ailleurs assisté, avec mon collègue Jean-Yves Le Drian, à une réunion du comité de pilotage de e-mégalis, et j’ai pu constater à quel point le système fonctionnait bien en Bretagne.
Pour les collectivités, et tout particulièrement les agglomérations couvertes par les opérateurs privés, il s’agit de s’engager à faciliter les déploiements, par exemple en assouplissant les autorisations de voirie, ou en faisant de la pédagogie auprès des bailleurs ou syndics en vue d’une accélération de l’équipement des immeubles. Ces voies de simplification des autorisations d’urbanisme font partie des pistes envisagées par le comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, le CIMAP, aux travaux duquel j’ai assisté ce matin, pour améliorer les relations entre l’État ou les collectivités territoriales et les entreprises.
Je reviens une dernière fois, notamment à l’intention de M. Maurey, sur les interrogations concernant les projets intégrés.
Il faut tout de même bien garder à l’esprit qu’il ne pourra y avoir de RIP pérennes s’ils sont concurrencés par d’autres réseaux en fibre. C’est la raison pour laquelle les projets intégrés de manière inconditionnelle ne bénéficieront pas d’un accompagnement public.
En revanche, les projets intégrés, mais conditionnels, seront regardés attentivement, car ils permettent de mettre en œuvre rapidement des solutions palliatives, que certains d’entre vous appellent de leurs vœux, dans le cas où les intentions de déploiement des opérateurs privés ne se concrétiseraient pas.
Je veux vous dire un mot, à ce stade, du pilotage national que j’ai souhaité mettre en place, car il est à mes yeux une des conditions essentielle du succès futur, et constitue une grande différence avec le plan Besson.
La mission THD actuelle préfigure une structure de pilotage nationale qui aura pour objectif d’agir dans la durée et d’être un appui à l’action locale. Elle sera aussi le guichet unique pour toutes les questions des collectivités et centralisera l’harmonisation des déploiements. Les élus locaux seront bien entendu associés à sa gouvernance.
Nous allons mobiliser les services déconcentrés de l’État – c’était, d’ailleurs, une demande de M. Leroy –, les préfets, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, les DIRRECTE, et les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement, les DREAL, qui seront demain les interlocuteurs privilégiés des collectivités locales et des relais sur le terrain de la mission « Très haut débit ».
Nous souhaitons que la reprise de l’étude des projets, lesquels sont restés quelque peu en suspens, se fasse au plus vite.
Nous sommes actuellement en train de réviser le cahier des charges des projets RIP éligibles aux aides de l’État, pour tenir compte de l’accompagnement financier important que nous allons mettre en place – c’est, là encore, une différence avec le plan Besson – et qui sera plus favorable que l’ancien cadre. Il s’agira d’accompagner les projets, à hauteur de 50 % en moyenne. Je dis bien « en moyenne », car l’augmentation du taux de soutien bénéficiera essentiellement aux territoires ruraux pour lesquels la hausse du plafond sera plus forte.
Il n’y aura pas plus d’enveloppe réservée que de quota pour la montée en débit ou la fibre jusqu’à l’abonné. Ce qui est important, c’est que le Gouvernement accompagnera le déploiement des infrastructures pérennes, et donc principalement la fibre.
Ce cahier des charges sera prêt et publié dans quelques jours. Cette précision répond à la préoccupation exprimée notamment par Mme Espagnac.
Nous convoquerons de nouveau dans les prochains jours le comité des réseaux d’initiatives publiques, le CRIP, pour y présenter le nouveau cahier des charges d’accompagnement financier.
Le préfet Pierre Mirabaud assurera la présidence du CRIP. Il connaît bien ce comité pour avoir dirigé le pôle territorial du Commissariat général à l’investissement jusqu’à une date récente.
Nous souhaitons que le CRIP devienne une instance de concertation sur le sujet du très haut débit, qui puisse évoquer régulièrement des sujets n’étant pas directement liés aux projets déposés par les collectivités. Une telle instance manquait jusqu’à aujourd’hui et je souhaite que le CRIP soit cette instance.
Je conclurai sur le financement. C’est par là que se manifeste la volonté politique, que se démontre véritablement la volonté de faire. Là encore, le Gouvernement répond présent, contrairement au gouvernement précédent.
La couverture du territoire en très haut débit d’ici à dix ans va représenter un investissement de 20 milliards d’euros. C’est un choix majeur au cœur de la crise. Je veux le dire à cette tribune : c’est un choix d’avenir courageux, voire visionnaire, alors même que la crise des finances publiques que nous connaissons aurait pu nous conduire à différer une fois de plus ce chantier structurant !
À ceux qui nous parlent de continuité avec le programme national très haut débit d’Éric Besson, je réponds que 20 milliards d’euros de financement pèsent plus que bien des discours.
Comment vont se répartir ces 20 milliards d'euros ?
Les opérateurs apporteront les deux tiers du montant : d’abord, 6 milliards d’euros d’investissement direct dans les zones les plus denses du territoire, donc les plus rentables, où un modèle commercial existe, puis, progressivement, 6 autres milliards d’euros dans les zones les moins denses, rurales et périurbaines, par le biais des redevances qu’ils verseront aux collectivités locales pour l’utilisation des réseaux qu’elles auront déployés. Je rappelle que les opérateurs ont déjà apporté 3 milliards d'euros pour le très haut débit. En 2012, les opérateurs ont investi dans la fibre 500 millions d'euros, et non 200 millions d'euros comme M. Maurey l’a dit tout à l’heure. (M. Hervé Maurey s’exclame.)
Les pouvoirs publics apporteront le dernier tiers sous la forme de subventions pour développer le très haut débit dans ces zones peu denses et assurer la péréquation entre les territoires. Monsieur Lenoir, cette péréquation est effectivement une grande préoccupation pour ce gouvernement.
L’État accordera ainsi environ 3 milliards d’euros sur dix ans, voire un peu plus – péniblement, peut-être, monsieur Maurey, mais au moins, nous le faisons, contrairement au gouvernement précédent –, ce qui correspond à la moitié du besoin de subventionnement public, et là, il s’agit bien de péréquation. L’autre moitié sera apportée par les collectivités territoriales porteuses de projets de déploiement dans ces zones. Monsieur Doligé, l’État accordera aussi des prêts à long terme, et à des taux faibles afin d’étaler dans le temps la charge financière. Les taux qui ont été annoncés par le Premier ministre se situent à un niveau Livret A + 130 points de base, ce qui correspond aujourd'hui, compte tenu du taux du Livret A, à un taux de 3,05 % pour des maturités allant de vingt ans à quarante ans, qui est très compétitif au regard des taux du marché.
Nous financerons l’accompagnement de l’État grâce aux 200 millions d’euros par an de surplus de redevance sur les fréquences 1 800 mégahertz, qui s’ajouteront au reliquat des sommes allouées au très haut débit par le grand emprunt.
Pour le complément, de l’ordre de quelques dizaines de millions d’euros, le Gouvernement ne privilégie pas l’option d’un prélèvement sur les abonnements. Une contribution du secteur pour assurer la péréquation est en revanche à l’étude.
Une taxe sur les infrastructures cuivre, d’une dizaine à deux dizaines de centimes par mois et par paire de cuivre, pourrait être retenue dans le cadre du prochain projet de loi de finances. Il faut avoir en tête que ce montant est proche des variations du coût de la paire de cuivre observées chaque année, et ne se verra pas dans la facture du consommateur, ce qui nous paraissait important. C’est une manière d’organiser la péréquation au profit des zones les moins denses du territoire, conformément, d’ailleurs, au souhait de Mme Durrieu.
Pour les prêts, nous utiliserons les fonds issus du doublement du plafond du Livret A, pour proposer des produits utiles aux collectivités : j’ai rappelé voilà un instant les taux et les maturités.
La réponse du Gouvernement, dans les contraintes budgétaires actuelles, c’est non pas l’austérité, mais la définition de priorités, pour continuer à investir dans l’avenir.
J’en profite pour répondre aux interrogations de MM. Teston et Hérisson sur l’eurocompatibilité. Nous avons commencé à discuter avec la Commission européenne et nous notifierons très prochainement ces éléments de financement. Nous sommes très optimistes, car la Commission apprécie beaucoup le volontarisme de la France, notamment dans le cadre de son plan « France Très haut débit ».
Cet engagement financier de l’État, c’est une nouvelle fois le signe que le très haut débit est l’une de ses priorités, d’autant qu’il induira la création de 15 000 emplois à 20 000 emplois directs, dans le génie civil et l’équipement des logements, ce qui est loin d’être négligeable.
Nous voulons tous réussir ce chantier majeur avec les collectivités locales. À mon tour, une nouvelle fois, à la suite de Mme Espagnac et M. Leroy, je tiens à leur rendre hommage.
Nous nous en donnons les moyens en nous assurant aussi de la bascule technologique.
En effet, conformément aux attentes exprimées notamment par MM. Rome, Leroy et Doligé, le Gouvernent s’est très clairement positionné pour agir sur la question de l’extinction du réseau cuivre, dans l’intérêt de tous. La question est dorénavant regardée de près chez France Télécom-Orange.
Nous allons continuer à agir en ce sens et à instruire de manière approfondie la question, car c’est un dossier extrêmement complexe : nous parlons là du principal actif de France Télécom-Orange, et ce n’est pas neutre pour cette entreprise. De nombreux sujets juridiques, économiques, concurrentiels doivent être mis à l’étude. Je me suis récemment rendue en Australie et en Corée du Sud, deux pays qui ont fait des choix radicalement opposés pour l’extinction du cuivre : l’un a eu recours à la compensation, l’autre y a renoncé. Il est donc intéressant d’examiner la manière dont cette bascule technologique a été faite ailleurs avant de faire nos propres choix.
Une mission sera lancée dans les prochaines semaines sur ce sujet. La méthode est la suivante : autour d’une personnalité reconnue du secteur des télécoms seront associés des parlementaires, deux sénateurs et deux députés. L’objectif est clair : préciser les conditions et le calendrier de l’extinction du cuivre.
Cette mission se fera nécessairement dans la moyenne durée, car je souhaite qu’elle puisse intégrer les retours de l’expérimentation menée à Palaiseau par France Télécom-Orange.
Mais, je le redis là encore, les intentions du Gouvernement sont très claires : nous allons vers l’extinction programmée du cuivre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, le Gouvernement a en quelque sorte répondu à l’appel – au rêve – des collectivités locales, qui, les premières dans notre pays, ont su se lancer dans l’aventure du très haut débit.
Le plan « France Très haut débit » a tous les atouts pour réussir ; l’État est aux côtés des collectivités pour les aider, pour accompagner et harmoniser les déploiements. C’est un plan partenarial fondé d’abord et avant tout sur la notion de responsabilité, d’égalité, monsieur Gattolin. La responsabilité est triple : responsabilité tout d’abord de l’État envers les collectivités pour les sécuriser dans leurs investissements, responsabilité ensuite des collectivités envers l’État pour s’assurer d’un cadre juridique de déploiement harmonisé entre les territoires, responsabilité enfin des opérateurs envers les collectivités pour leur garantir le bon respect des engagements pris.
J’espère que ce rêve, mentionné par certains d’entre vous, deviendra très prochainement réalité, grâce à votre soutien collectif et grâce au soutien et aux engagements concrets du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur quelques travées de l’UMP. – M. Robert Tropeano applaudit également. – M. Jean-Claude Lenoir s’exclame.)