M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous ne sommes pas étonnés du dépôt de cette motion par le groupe CRC, qui est fidèle à ses convictions et aux positions qu’il a prises depuis le début, et ce alors même que le projet de loi s’appuie sur un texte adopté majoritairement par des représentants de salariés.
Mettre en cause la constitutionnalité du projet de loi, c’est d’abord revenir sur la méthode employée. Lorsque l’ancienne majorité était au pouvoir, le groupe CRC faisait pourtant partie de ceux qui réclamaient à cor et à cri le respect des accords conclus.
Présenter le projet de loi comme une atteinte aux droits des salariés et viser dans l’objet de cette motion une atteinte aux droits de l’homme, c’est jeter de l’huile sur le feu…
Mme Éliane Assassi. Oh !
M. René-Paul Savary. … dans un contexte économique particulièrement difficile ; cela n’a échappé à personne. Oui, les mesures à prendre en cas de difficultés économiques sont difficiles.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ce n’est pas difficile d’empocher des dividendes !
M. René-Paul Savary. Elles sont difficiles pour les entreprises comme pour leurs salariés. Elles imposent des contraintes et des aménagements, en termes de salaire, de temps de travail et de mobilité, qui – on peut le comprendre – ne sont pas forcément simples à accepter.
Cependant, c’est l’intérêt des salariés qui est en jeu. Les accords collectifs sont conclus pour qu’ils gardent leur emploi.
Mme Éliane Assassi. C’est bien connu !
M. René-Paul Savary. L’objectif est d’être efficace dans la lutte contre le chômage. C’est tout le sens de la flexibilité, qui a permis à d’autres pays de protéger leurs salariés contre la perte de leur emploi. On cite couramment l’exemple de l’Allemagne, qui a résisté bien mieux que d’autres au moment de la crise : en 2009, au plus fort de cette crise, 1 600 000 salariés allemands étaient en activité partielle, contre seulement 200 000 salariés français.
Dans cet accord, flexibilité et sécurité sont liées. À l’article 10, le fait d’inscrire la mobilité dans un processus collectif garantit par nature une protection du salarié. À l’article 12, la négociation collective, comme la procédure d’homologation, protège les salariés. Il faut rappeler que l’application de cet article suppose que l’entreprise se trouve dans de graves difficultés conjoncturelles. Elle implique, de surcroît, une protection des salariés et une réversibilité totale, puisque l’effort accepté durera, au plus, deux ans.
Enfin, vous critiquez les mesures d’assouplissement de notre droit, sans relever l’ensemble des nouveaux droits créés pour les salariés.
Plusieurs sénateurs du groupe CRC. Lesquels ?
M. René-Paul Savary. Ils ont déjà été évoqués dans la discussion générale et rappelés par M. le ministre : temps partiel minimum de 24 heures, portabilité de la formation, droits rechargeables à l’assurance chômage, présence de salariés dans les lieux de décision.
On voit bien que la remise en cause de l’accord reviendrait à une remise en cause de l’équilibre trouvé.
Non, soyons réalistes, ces mesures ne sont pas une atteinte aux droits de l’homme.
Si risque d’inconstitutionnalité il y a, ce n’est pas au travers d’accords collectifs ! Nos collègues du groupe CRC auraient plutôt dû pointer l’article 1er et la clause de désignation – nous aurons l’occasion d’y revenir –, qui interroge véritablement la constitutionnalité du texte, puisqu’elle porte éventuellement atteinte au principe de libre concurrence.
D’ailleurs, notre collègue Jean-Noël Cardoux, suivi par le groupe UMP, défendra un certain nombre d’amendements pour supprimer cette clause de désignation, ainsi que nous l’avons déjà dit en commission.
Nous aurons ce débat tout à l’heure, ou peut-être demain, et il est permis d’espérer que cette mesure, dont la constitutionnalité est douteuse, disparaîtra du projet de loi.
En résumé, l’exception d’irrecevabilité nous semble tout à fait inappropriée dans le cas d’un projet de loi issu d’un texte soutenu par les partenaires sociaux. Même si nous considérons que la transposition législative n’est pas totalement fidèle, non seulement nous ne voterons pas, bien sûr, cette motion, mais nous ne participerons pas non plus au vote, ne boudant pas notre plaisir de voir s’exprimer les positions différentes au sein de la majorité. (MM. Jean-Noël Cardoux et François Trucy applaudissent.)
Mme Éliane Assassi. Il n’y aura pas de surprise !
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour explication de vote.
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il ne nous paraît pas non plus que ce projet de loi vienne à méconnaître les dispositions de notre Constitution, pas davantage que du bloc de constitutionnalité.
D’ailleurs, et cela a été souligné dans les échanges que nous avons eus, la procédure proposée est intéressante puisqu’elle découle de négociations sociales avec les partenaires sociaux, d’où qu’ils viennent. Un tel processus, qui consiste à intégrer le fruit de ces négociations dans la loi, est plutôt de nature à honorer les assemblées parlementaires.
Comme mon collègue René-Paul Savary, j’ai le sentiment d’être un peu à l’écart du débat, qui ne concerne qu’une partie de l’hémicycle, révélant un conflit que je qualifierais d’interne à la majorité un peu élastique de cette assemblée.
Aussi, parce que nous ne nous sentons pas concernés, nous ne participerons pas au vote et vous laissons décider librement du sort de cette motion par un dialogue qui a au moins le mérite d’être particulièrement original. (Mme Catherine Procaccia et M. François Trucy applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour explication de vote.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, je serai bref également, pour ne pas ajouter des mots aux mots que nous venons d’entendre. Ce serait un exercice inutile et redondant, puisque nous avons déjà tout entendu.
À mon sens, il est, en revanche, urgent de passer à l’acte. Nous sommes dans une situation de crise importante. Vous l’avez constaté et vous l’avez suffisamment exprimé tout à l’heure. Le nombre de gens que nous recevons dans nos permanences témoigne de la difficulté à trouver un emploi aujourd’hui.
Je ne suis pas sûr que le projet de loi que nous sommes appelés à discuter créé des emplois, mais il y a une chose dont je suis sûr, c’est qu’il peut en sauver. Il est donc important de passer à l’acte, en discutant des articles et en votant ce texte, plutôt que de perdre notre temps – pardonnez-moi l’expression ! – dans des conflits internes à la majorité.
Mme Éliane Assassi. Ce sont les procédures normales de notre assemblée !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Vous aurez conclu que nous nous abstiendrons sur cette motion. (MM. Aymeri de Montesquiou et Gérard Roche applaudissent.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 272, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité et dont l'adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 167 :
Nombre de votants | 208 |
Nombre de suffrages exprimés | 164 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 83 |
Pour l’adoption | 20 |
Contre | 144 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Watrin, Mmes David, Cohen et Pasquet, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 273.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la sécurisation de l’emploi (n° 502, 2012-2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, je regrette que la lecture d’un fameux journal du soir, comme l’on dit, vous ait plus intéressé que la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité présentée par mon ami Dominique Watrin. Je crois vraiment que vous avez tort, car, lorsque nous déposons une telle motion, ce n’est certainement pas pour nous faire plaisir ou pour faire perdre du temps à notre assemblée, c’est pour démontrer, comme son nom l’indique, d’ailleurs, l’inconstitutionnalité d’un texte ou d’une mesure contenue dans un projet de loi.
Nous l’avions fait récemment pour la fameuse proposition de loi Brottes sur l’énergie à propos du bonus-malus, dispositif qui vient justement d’être retoqué par le Conseil constitutionnel.
Cela étant dit, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’en viens au texte qui nous est soumis.
Avant moi, mes collègues Pierre Laurent, Dominique Watrin, mais aussi Laurence Cohen, ont rappelé la profondeur du gouffre qui sépare aujourd’hui nos concitoyens des politiques et de la politique.
Votre texte, dit de « sécurisation de l’emploi », constitue une des régressions sociales les plus importantes des trente dernières années, avec, en ligne de mire, la construction d’une civilisation de compromis social dominée par les exigences du MEDEF.
Pas de quoi, donc, combler ce gouffre, mais, bien au contraire, de quoi l’élargir encore, car, très vite, à l’épreuve des faits, le peuple de France, le monde du travail s’apercevront que votre texte constitue une rupture avec les acquis sociaux historiques du mouvement social français.
Pour notre part, nous ne pouvons l’accepter, car, pour le moins, il n’illustre pas une politique de gauche. Je dirais même plus : le Gouvernement rompt ici avec des valeurs et des combats de gauche.
D’ailleurs, même si ce n’est pas une de mes lectures quotidiennes, comment ne pas s’interroger quand le Wall Street Journal écrit qu’avec cet accord « le patronat a remporté une victoire historique », comme l’a rappelé Dominique Watrin ?
Alors, n’ayons pas peur des mots : ce projet de loi, copie conforme de l’ANI, est clairement l’expression d’un choix de civilisation qui ouvre un renversement de la hiérarchie des normes en plaçant l’accord d’entreprise devant la loi et en faisant glisser le motif d’intérêt général au cœur du droit social des salariés vers l’entreprise.
Eh bien, pour notre part, monsieur le ministre, nous n’en voulons pas ! Nous rejetons cette surenchère incarnée par votre texte qui, sur certains points, va même au-delà des désirs des plus fous de Nicolas Sarkozy, alors Président de la République. Je pense particulièrement aux accords compétitivité-emploi.
Pour mémoire, je rappelle que nous étions pourtant ici nombreux, je dirais même que nous étions majoritaires, à nous opposer à la politique de ce président de la République et de son gouvernement (M. René-Paul Savary s’exclame.),…
Mme Catherine Procaccia. Vous allez le regretter…
Mme Éliane Assassi. … à tel point que nous l’avons tous ensemble battu au printemps dernier, époque qui, vous en conviendrez, n’est pas si lointaine.
Mme Catherine Procaccia. Regardez les sondages !
Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, je vous le dis sans ambages : vous vous trompez, et c’est ce que nous allons vous démontrer tout au long du débat sénatorial, comme l’ont fait nos collègues du groupe GDR à l’Assemblée nationale. (M. Jean Desessard s’exclame.)
Ce qu’il faut pour notre pays, c’est non pas un texte de soumission au MEDEF, ce que vous appelez un accord, mais un texte centré sur les voies et les moyens d’une véritable sécurisation de l’emploi et de la formation. Voilà ce que nous allons donc démontrer dans nos interventions et à travers nos amendements.
Certes, il y a une concurrence mondiale, dont on parle beaucoup, mais celle-ci n’impose pas pour autant de rassembler salariés et syndicats derrière les entreprises et de se couler dans le moule d’un modèle de compromis social européen, au service des politiques d’austérité.
D’autres choix sont possibles, monsieur le ministre, et il va falloir que vous les entendiez !
Dans notre pays, les leviers pour préserver et développer l’emploi sont nombreux : assurer la reprise des entreprises viables, réformer l’impôt sur les sociétés, encadrer la rupture conventionnelle, etc. Nous avons fait des propositions, comme l’interdiction des licenciements boursiers, mais elles n’ont pas été prises en compte, encore moins au moment de la négociation du fameux accord.
Votre texte, monsieur le ministre, accroît encore la précarisation. Il est à ce titre bien mal nommé : c’est un projet de loi à contre-emploi ! Que l’on ne vienne pas nous dire que nous ne comprenons rien et qu’il faut faire preuve de pédagogie pour expliquer les bienfaits de ce projet de loi aux salariés. L’exigence exprimée par le patronat de ne rien changer à l’accord et les signes marqués de sa satisfaction, une droite parlementaire qui s’apprête à le voter pourvu que les amendements éventuels n’en modifient pas la substance sont autant d’indices qui suffisent à éclaircir son contenu.
Ce projet de loi revient à inscrire l’emploi dans les mouvements aléatoires des marchés financiers et c’est aux salariés qu’on laisse payer l’addition ! Il est donc nocif, et ce à bien des égards.
En ce qui concerne la mobilité, l’employeur peut imposer aux salariés, sous réserve d’un accord d’entreprise, des changements de poste ou de lieu géographique sans limitation kilométrique. En cas de refus du salarié, celui-ci est licencié pour motif personnel, sans aucune obligation pour l’employeur de motiver le licenciement ou de proposer des mesures de reclassement.
Une telle disposition est grave : en plus de la mobilité forcée, elle permettra aux employeurs de proposer des mobilités inacceptables, de façon à pouvoir licencier en masse pour motif personnel. Cette disposition, je le rappelle, est en contradiction avec la législation internationale et européenne en ce qu’elle est contraire à l’objet de la négociation collective qui doit porter sur l’amélioration des conditions de travail. Elle est contraire aux obligations de l’employeur en matière de licenciement économique, telles que les définit la directive 98/59/CE. Elle est contraire au droit concernant la justification du licenciement, tel qu’il résulte de la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail. Enfin, elle est contraire au droit de mener une vie normale.
Comme le soulignent à juste titre des médecins du travail, dont Alain Carré, les effets de ce projet de loi seront extrêmement négatifs en matière de santé au travail. Si un niveau de revenu très bas ne va pas dans le sens d’un bon état de santé physique, mental et social, la mise en œuvre des dispositions de ce texte aura bien d’autres conséquences néfastes sur la santé des salariés. La mobilité interne « forcée », puisque c’est ainsi qu’il faut véritablement la nommer, détruira les valeurs collectives qui président à la construction de la santé au travail.
En effet, et comme le confirment de nombreux spécialistes en la matière, « c’est la prise de pouvoir du management libéral sur la qualité comme qualité pour le marché dans le temps du marché, son imperméabilité voulue à la réalité du travail pour promouvoir la culture unique de son résultat qui sont les vecteurs de la souffrance au travail ». Or ce projet de loi ne pousse que dans ce sens !
Il en va ainsi s’agissant du maintien de l’emploi : le projet de loi réintroduit une demande exprimée par le gouvernement Fillon, avec son accord « compétitivité-emploi », à savoir l’échange d’une baisse de salaire contre l’hypothétique maintien de l’emploi.
Il en va également ainsi s’agissant du licenciement et de l’évitement de l’accord du juge. Ce texte, en facilitant les licenciements et en réduisant considérablement le contrôle du juge sur l’exécution et la rupture du contrat de travail, constitue une grave régression pour les droits des salariés et une nouvelle source de précarité. Malheureusement, la liste de ses effets néfastes est encore longue !
Nous ne pouvons pas accepter de voir le patronat s’attaquer aux garanties associées au contrat à durée indéterminée. La compétitivité ne peut pas être le cadre de la réforme du droit du travail, il faut affronter la logique financière et l’exigence de rentabilité exorbitante. Ce n’est sûrement pas au moment où la circulation des capitaux est totalement libre, au moment où les actionnaires ont la possibilité de reporter les risques sur les autres parties prenantes au sein de l’entreprise, qu’il faut réduire, qu’il faut rendre flexibles les droits des travailleurs !
Ce projet de loi est un nouveau rêve, mais un rêve du patronat exaucé, un rêve qui se joue sur tous les plans, le salaire, le travail et la mobilité. Mes chers collègues, quel reniement des engagements pris pendant la campagne pour l’élection présidentielle ! Quelle grave déception pour tous ceux qui ont fait confiance à cette gauche,…
Mme Catherine Procaccia. C’est sûr !
Mme Éliane Assassi. … qui, aujourd’hui, s’apprête à bafouer les droits des salariés, au motif qu’aurait été signé un accord prétendument historique ! Encore faudrait-il s’entendre sur le sens du mot « accord » et sur celui du mot « historique » ! Quelle occasion manquée après dix-sept ans de déferlante libérale et de « casse » sociale !
La majorité de gauche élue était attendue sur des mesures concrètes et efficaces pour mettre un terme à la toute-puissance patronale, incarnée par le MEDEF, qui fait chaque jour la preuve de son incompétence, voire de sa suffisance. Avec ce texte, vous lui offrez une main-d’œuvre flexible, soumise et peu chère, mais vous lui permettez aussi d’ouvrir de nouveaux marchés aux assureurs privés. Ainsi, la flexibilité, c’est maintenant ! Mais la sécurisation de l’emploi, c’est pour quand ? Quelles avancées pour les salariés ? Ce projet de loi multiplie les fausses avancées.
Pour ne citer que quelques exemples, le CDI dont on parle pour les intérimaires ne touchera que les plus qualifiés d’entre eux, qui représentent seulement 15 % de cette catégorie de salariés. En réalité, il ne s’agit que de la concrétisation d’une revendication du patronat de ce secteur, destinée à rendre les intérimaires qualifiés plus captifs. En effet, une fois le CDI signé, l’intérimaire ne sera plus en mesure de travailler pour une autre agence.
Concernant la taxation des CDD, si le projet de loi prévoit la mise en place d’une légère augmentation des cotisations patronales pour certains contrats, celle-ci n’est en aucun cas dissuasive. Il s’agit là d’un faux recul du patronat, puisque, pour un CDD de moins d’un an, cette mesure ne coûtera que 42 euros de plus à un employeur.
En clair, ce projet de loi est synonyme de garantie de souffrances au travail. Peut-être parviendrons-nous à égaler l’Allemagne et à atteindre ainsi le pourcentage de 20 % de travailleurs pauvres ?
Nous ne pouvons pas cautionner le recul historique du droit que représente ce projet de loi.
Par ailleurs, comment ne pas être choqué que le Parlement doive, en l’occurrence, se cantonner à un rôle de pure chambre d’enregistrement ? Que dire aussi des propos du Président de la République qui voudrait soumettre les éventuels amendements à l’accord des signataires ?
Je le répète, puisque la Constitution de notre République semble avoir été oubliée par certains, le Parlement tire sa légitimité du suffrage universel et non d’un quelconque accord national et interprofessionnel.
Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de le rappeler le 28 décembre 2011 : « il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie la Constitution et, en particulier, son article 34 ». Or l’article 34 confie au seul Parlement la compétence de déterminer « les principes fondamentaux […] du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale ». Un tel accord ne peut en conséquence nous être imposé !
Comment le Président de la République ose-t-il s’empresser, par voie de communiqué, de demander au Gouvernement de préparer, et ce sans délais, un projet de loi afin de retranscrire fidèlement les dispositions législatives contenues dans l’accord ? Que penser de l’insistance avec laquelle le Gouvernement nous « invite » à nous tenir au texte de l’accord ? C’est bien là un vice qui affecte l’élaboration de ce texte et il est assimilable à de l’antiparlementarisme !
Je tiens pourtant à souligner que, dans une décision du 9 décembre 2004, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de rappeler « qu’il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et les obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d’application des normes qu’il édicte en matière de droit du travail ». Aujourd’hui, on voudrait nous imposer la procédure inverse !
Nous ne pouvons accepter, monsieur le ministre, de voir notre prérogative législative bafouée, notre Constitution de facto méprisée et, plus encore, nous ne pouvons accepter de voir transposées dans la loi des mesures qui ne permettent en rien de répondre aux défis de l’emploi et au besoin de sécurisation effective des trajectoires professionnelles des salariés.
Pour toutes ces raisons, nous demandons au Sénat d’adopter cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, contre la motion.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en présentant cette motion, les membres du groupe CRC affirment que ce projet de loi ne répondrait pas à l’urgence de la situation économique et sociale et ne remplirait pas les objectifs fixés par le Gouvernement en matière de soutien public à l’emploi.
Avant de répondre sur ce point, permettez-moi de revenir un instant sur la stratégie retenue par la majorité gouvernementale et parlementaire en matière d’emploi, qui a notamment conduit à l’émergence de ce texte et à son adoption par l’Assemblée nationale.
Confronté à une situation sans précédent, le Gouvernement a engagé, dès l’été dernier, la « bataille de l’emploi ».
Tout d’abord, cette bataille est conduite selon une méthode. Après de longues années de reculs en la matière, notre majorité renoue avec le dialogue social et parie sur la mobilisation concertée et complémentaire de tous les acteurs et actrices concernés. Le texte que nous examinons aujourd’hui en est l’exemple même.
Cette bataille prend aussi appui sur le développement d’une véritable politique publique de l’emploi. Rappelons, à ce titre, la création des « emplois d’avenir » à l’automne 2012, le « contrat de génération », voté par notre assemblée en février 2013, ou encore la « garantie jeunes », annoncée à l’occasion de la conférence nationale contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale.
Notre majorité s’appuie également sur la coordination de deux dispositifs de fond complémentaires : la mise en œuvre, sur le plan économique, du « pacte de compétitivité », avec sa traduction territoriale, la Banque publique d’investissement, et la concrétisation législative, sur le plan social, de l’accord conclu en janvier dernier par les partenaires sociaux qui vise à la sécurisation de l’emploi.
C’est bien pour cela que nous sommes réunis dans cet hémicycle, car volonté politique, dialogue social et retranscription législative constituent les trois temps indispensables d’un parcours qu’il nous faut accomplir avec succès.
Ce texte s’attaque-t-il aux droits des salariés ? Il est le fruit d’un compromis, nous le savons tous, entre représentants des salariés et du patronat, car chacun a fait un pas, mais il donne indiscutablement de nouveaux droits aux salariés : taxation des CDD, généralisation de la complémentaire santé, formation, temps partiel minimum de 24 heures, droits rechargeables à l’assurance chômage et, surtout, priorité au maintien dans l’emploi. Oui, ce texte est au service du maintien et de la création d’emploi et ne facilite donc en rien les licenciements !
Le projet de loi améliore les dispositifs de maintien de l’emploi face aux difficultés conjoncturelles pour éviter les licenciements, en renforçant et unifiant les dispositifs d’activité partielle, en apportant des garanties juridiques aux salariés et aux entreprises, lorsque des accords collectifs visent à maintenir l’emploi et l’activité. Il améliore également les procédures de licenciements collectifs pour concilier un meilleur accompagnement des salariés et une plus grande sécurité juridique. Il renforce la sécurisation des parcours professionnels et l’efficacité des dispositifs de reclassement. Il donne un rôle plus important à l’accord collectif et aux services du ministère du travail.
Si, aujourd’hui, un chef d’entreprise peut décider seul de licencier avant d’informer et de consulter, n’oublions pas que, demain, il lui faudra l’accord majoritaire des salariés ou procéder à l’homologation administrative. Il n’y a donc là rien qui puisse faciliter, d’une quelconque manière, les licenciements.
Je reviens rapidement sur la méthode qui nous a conduits dans nos travaux. Pour la première fois, depuis très longtemps, les syndicats de salariés et d’employeurs ont mené une longue négociation débouchant sur un accord majoritaire, et donc légitime. Rappelons que cet accord est majoritaire selon les règles de représentativité d’hier et celles d’aujourd’hui.
Pourquoi vouloir faire échouer un texte directement issu de l’exercice réussi de la démocratie sociale ? S’il a puisé sa source dans la négociation entre partenaires sociaux, le projet de loi renforce le dialogue social dans les entreprises et conforte, à plusieurs niveaux, le rôle, les modes d’intervention et les moyens d’action des salariés et de leurs représentants.
À la suite des quatre mois de négociation à laquelle tous les partenaires sociaux ont contribué – qu’ils aient ou non signé l’ANI –, l’accord affiche un équilibre global, juste et nécessaire.
Loin d’être un simple « copier-coller », le projet de loi qui nous est soumis a permis de lever un certain nombre d’ambiguïtés, sur la complémentaire santé notamment. Il a été complété, clarifié, enrichi, par le ministre du travail tout d’abord, par l’Assemblée nationale ensuite, par le Sénat maintenant.
On peut penser qu’il n’est pas assez ambitieux. On peut vouloir aller toujours plus vite ou toujours plus loin. On peut ne pas croire aux mérites de la démocratie sociale et vouloir que l’État, seul, impose tout. Nous pensons, pour notre part, qu’il va dans le sens des salariés et qu’il leur permet de bénéficier dès aujourd’hui d’avancées concrètes.
Nous pensons qu’il faut donner sa chance à la négociation entre les partenaires sociaux, l’appuyer, la valoriser et respecter la négociation.
Ce texte n’est pas une fin en soi. C’est une première étape, une première garantie, une première porte... pour aller plus loin demain !
Dès lors, au nom du groupe socialiste, j’appelle à rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)