M. Jean Arthuis. En effet !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Au rythme actuel, on dépassera bien vite les 100 % du produit intérieur brut…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … et on s’éloignera encore davantage du point où la dette en capital pourra commencer à refluer.
Il faut prendre garde, mes chers collègues, de ne pas déboussoler l’opinion en lui donnant le sentiment que, par souci d’opportunité, on change de thermomètre. Aujourd'hui, on semble réaliser que trop d’efforts seraient préjudiciables à la croissance, mais on le savait tout aussi bien il y a six mois, quand Pierre Moscovici affirmait que le déficit ne dépasserait pas 3 %, le Gouvernement s’y engageait.
À l’automne 2012, en effet, devant notre commission des finances, Pierre Moscovici affirmait : « Nous avons une obligation d’exemplarité, de qualité et de crédibilité. Le débat budgétaire permettra d’illustrer que pour nous ce ne sera pas 3,1 %, pas 3,2 %, pas 3 % en tendance, pas 3 % à peu près, pas 3 % si on peut, mais 3 % ». Et aujourd'hui, tout cela a disparu !
Le fait de passer d’une parole à une autre parole crée, que vous le vouliez ou non, un problème de crédibilité.
Il faut en outre rappeler que c’est à partir du déficit effectif que la procédure communautaire pour déficit excessif est susceptible d’être mise en œuvre. Une telle menace ne saurait être sous-estimée.
Il faut enfin se demander, monsieur le ministre, quelle est la bonne répartition des efforts entre 2013 et 2014.
Il n’y aura pas de loi de finances rectificative en 2013, tout le monde l’a compris. Sans mesures correctrices, nous aurons un déficit estimé aujourd'hui à 3,7 %. Vous annoncez pour 2014 un déficit de 2,9 %. La marche sera bien haute à franchir et les efforts que l’on ne peut, que l’on ne veut pas faire aujourd'hui seront encore plus difficiles et encore plus douloureux demain. Il n’y aura pas de miracle qui rendra plus acceptable la rigueur de demain par rapport à la rigueur d’aujourd'hui.
Et encore faut-il que le Conseil européen se range à cette cible de 2,9 % et ne soit pas plus exigeant. Peut-être y parviendrez-vous, mais on ne saurait malgré tout, aujourd'hui, considérer cela comme une certitude.
Il faut également rester vigilant sur notre capacité à respecter la trajectoire de solde structurel. Nous avons enregistré un dérapage de 0,1 point de PIB en 2012, et le programme de stabilité acte un dérapage de 0,4 point de PIB en 2013. Bien sûr, le ministre nous montre les bouteilles à moitié pleines et moi, je vois les bouteilles à moitié vides ! Qu’il ne m’en veuille pas, chacun est tout naturellement dans son rôle.
Mais ce dérapage du solde structurel représente quand même 0,5 point de PIB en deux ans, donc en moyenne 0,25 point de PIB par an, c’est-à-dire suffisamment pour que soit déclenché en 2014 le mécanisme de correction automatique des dérapages que nous avons nous-mêmes créé dans la loi organique du 17 décembre 2012.
Mes chers collègues, la programmation qui nous est proposée se caractérise par un fort décalage entre les ambitions annoncées et les conditions dans lesquelles ces dernières seront mises en œuvre.
Les ambitions, quelles sont-elles ? L'équilibre structurel comme objectif de moyen terme ; le quasi-équilibre effectif à la fin du quinquennat ; la diminution du taux de prélèvements obligatoires et du ratio des dépenses par rapport au produit intérieur brut ; un effort reposant davantage à l’avenir sur les dépenses que sur les recettes ; la stabilisation en valeur des niches fiscales.
Comment ne pas adhérer pour l’essentiel à ces objectifs de bon sens ? La plupart d’entre eux sont, en réalité, de véritables portes ouvertes que nous pouvons enfoncer de concert ! Cependant dans l'adversité, on fait appel aux vieilles recettes. À l'automne dernier, le Gouvernement tenait un discours selon lequel l'effort serait concentré sur les recettes en 2013 puis, les années suivantes, uniquement sur les dépenses. Or, on l'a vu, ce discours peut déjà être quelque peu relativisé, et les ministres ont annoncé des mesures nouvelles pour un montant de 6 à 7 milliards d’euros…
Mes chers collègues, si nous augmentons les recettes à chaque difficulté conjoncturelle, comment pouvons-nous être sûrs que, sur la période, l’effort portera vraiment surtout sur les dépenses ?
J’aimerais insister sur un point : on observe que les dépenses publiques dans leur ensemble – je ne parle pas des seules dépenses de l'État stricto sensu – ont crû plus vite que prévu en 2012, alors même que le programme de stabilité durcit encore les objectifs de maîtrise des dépenses. Dans ces conditions, on attendrait de vous, monsieur le ministre, que vous nous fassiez, aujourd'hui – ou en tout cas à brève échéance –, une présentation détaillée des économies à réaliser.
Il peut être bien pratique de raisonner en termes d'effort structurel, car il s’agit d’une construction macro-économique et intellectuelle permettant de développer bien des assertions, mais on est là loin des crédits réels, en euros réels, qui seront dépensés, contenus ou réduits au titre des missions et des programmes, bien réels eux aussi, composant notre budget.
La Commission européenne trouvera-t-elle dans le programme de stabilité les précisions qui lui permettraient de réviser à la baisse la prévision de déficit qu’elle a fixé à 3,9 % pour 2014 ?
Je terminerai sur une considération de méthode.
Sur les niches fiscales, le Gouvernement annonce son intention de tenir le principe d'une stabilisation en valeur de leur coût total. J'imagine – j’espère que vous me le confirmerez, monsieur le ministre – que cela s'entend hors CICE. Car, à la vérité, ce crédit d’impôt est la plus importante niche créée depuis les allégements de charges sociales sur les bas salaires ! Une évaluation du dispositif est d’ailleurs en cours, conformément à la dernière loi de programmation des finances publiques. Quand connaîtrons-nous les dispositifs de dépense fiscale qui devront être revus ?
Le pacte de compétitivité invite à la stabilité fiscale et à la lisibilité pour les agents économiques. Ces principes seront-ils appliqués dès cette année ?
Compte tenu de ce qui précède, vous aurez compris, mes chers collègues, que, en cas de vote, l’attitude de plusieurs groupes aurait été de rejeter, de façon unanime,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Bien sûr !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … des perspectives aussi floues et contradictoires, annonciatrices d'une politique menée au gré des circonstances.
Alors, certes, cette politique nous est présentée de façon très habile, en utilisant toutes les ressources de la dialectique,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est vrai !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. … mais elle ne saurait emporter notre conviction ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’aimerais d'abord remercier l'ensemble des orateurs, de la majorité comme de l'opposition, de la qualité de leurs interventions à l'occasion de ce débat, qui nous a permis, même s’il n’est pas sanctionné par un vote, comme vous l’avez regretté, d’évoquer le sujet en toute franchise.
Je voudrais reprendre quelques-uns des éléments du débat en essayant, pour faire plaisir à Mme Des Esgaulx et au président Marini, de m’en tenir aux chiffres. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx approuve.)
Madame Des Esgaulx, vous avez tenu avec passion et talent un discours qui m'a impressionné par la force de sa sincérité, mais beaucoup déçu par ses approximations.
Nous pouvons tous nous féliciter, et nous avons raison de le faire, de disposer de cet outil qu’est le Haut Conseil des finances publiques. Il nous permet d'avoir désormais des éléments objectifs sur les trajectoires des finances publiques que nous présentons au Parlement à l'occasion du débat sur le projet de programme de stabilité.
Certains considèrent les avis du Haut Conseil des finances publiques comme autant d'avertissements au Gouvernement ; d’autres estiment, à l’inverse, que ce sont autant d'encouragements donnés à ce dernier pour continuer à agir. C'est bien le signe que cette instance est juste et équilibrée, qu’elle fait bien son travail, et qu’elle a gagné en crédibilité à l'occasion de la publication de son premier avis.
Je vois dans la création de cette instance un progrès dans l'effort de transparence réclamé par le Parlement, progrès dont la représentation nationale peut s'enorgueillir lorsqu'il s'agit de faire la lumière sur nos trajectoires de finances publiques.
Nous continuerons à prêter une grande attention aux travaux du Haut Conseil des finances publiques. Il est faux de penser que nous n'avons pas tenu compte de son avis. Dans ce document, figurent des éléments contrastés : certains pointent des éléments d'optimisme, d'autres traduisent, au contraire, le fait que nous avons été prudents. Cet avis équilibré témoigne de l'objectivité et du niveau élevé de professionnalisme et d'exigence du Haut Conseil.
Avant d'aborder les autres sujets, nous pouvons tous nous accorder, mesdames, messieurs les sénateurs, pour reconnaître que le Haut Conseil est une instance utile à la démocratie, qui permettra de faire progresser la qualité de nos débats sur les questions de finances publiques.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Tout à fait !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je voudrais maintenant remercier les orateurs de la majorité du soutien qu'ils ont apporté, chacun avec ses nuances et son tempérament, au projet de programme de stabilité que nous vous présentons.
J'ai écouté avec beaucoup d'attention Jean-Vincent Placé, qui a exprimé l’opposition du groupe écologiste. Je regrette qu'il ne soit plus là, car j’aurais voulu lui dire qu’il était surtout en désaccord avec ses amis, son groupe ayant hier voté massivement à l'Assemblée nationale le programme de stabilité !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Le Sénat, ce n’est pas l'Assemblée nationale !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. J'en déduis que, dans cette affaire, M. Placé ne représente, comme aurait dit le président Edgar Faure, que lui-même, et encore pas tous les jours ! (Sourires.) Cela me dispensera d'avoir à lui répondre de façon trop précise.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. N’agressez pas les sénateurs !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je tiens à remercier Jean Arthuis de la qualité de son propos, de l'exigence de précision qui préside toujours à ses interventions dans cet hémicycle et des précieux conseils qu’il dispense à tous les gouvernements, et ce qu’il les soutienne ou non.
En ce qui concerne le CICE, M. Arthuis a souligné que le dispositif était complexe, et parfois inaccessible à l'entendement des entrepreneurs. Je veux lui rappeler que ce crédit d’impôt n'est rien d'autre que l'extension de dispositifs mis en œuvre par d'autres gouvernements à travers le crédit d'impôt recherche, lui-même étendu voilà quelques semaines avec le crédit d'impôt innovation.
Par conséquent, le CICE est un dispositif extrêmement simple d'accès pour les entreprises, qui peuvent immédiatement en bénéficier, moyennant des formalités elles-mêmes extrêmement simples. Grâce à la mobilisation de la BPI, qui a permis d’obtenir une avance, les entreprises ayant des difficultés de trésorerie pourront bénéficier, dès 2013, de ce crédit d'impôt.
J'ai également entendu quelques critiques de la part de Mme Des Esgaulx qui comparait l'impact du CICE à celui de la TVA sociale.
Le CICE représente un effort de 20 milliards d’euros de crédit d'impôt là où la TVA sociale coûtait 12 milliards d’euros d'allégements de charges. Cependant, vous le savez, lorsque les charges baissent, l'impôt augmente, et une partie de l'effet de la diminution des charges est récupérée par l'État via l’impôt sur les sociétés appliqué aux entreprises. On se souviendra en effet que l’assiette de l’IS, constituée pour partie par les bénéfices, est plus importante quand les charges diminuent. Par conséquent, vous récupériez, par l'intermédiaire de l’impôt sur les sociétés, une partie de l'effort que vous faisiez au travers de la TVA sociale.
Pour que la TVA sociale ait le même effet que le CICE, il aurait fallu, en raison du mécanisme que je viens d'évoquer, que l’effort en matière de TVA sociale soit de l'ordre de 30 milliards d'euros, ce qui n’a pas été le cas.
Il me fallait bien rappeler ces chiffres pour permettre la comparaison des deux dispositifs, laquelle nécessite de décortiquer la mécanique qui s'attache à chacun d’eux et d’examiner les conditions dans lesquelles ils s'appliquent.
Je tenais à corriger vos affirmations, madame Des Esgaulx, et à vous dire que je ne partage pas du tout votre analyse, pour les raisons que je viens d'indiquer.
Monsieur Mézard, je vous remercie de votre soutien. Vous avez eu raison de le souligner, l'exercice est difficile. Nous ne pouvons pas nous assigner de tels objectifs de croissance si nous ne sommes pas nous-mêmes volontaristes. Nous multiplions les actions pour relancer la croissance, et je voudrais d’ailleurs en rappeler quelques-unes.
Au niveau de l'Union européenne, une action a été engagée pour stabiliser le système financier européen, afin qu'il soit de nouveau en situation de financer l'économie réelle.
Cela se fera au travers de l'union bancaire, de la supervision des banques, d’un dispositif de résolution des crises bancaires, de la garantie des dépôts et du nouveau programme d’intervention de la Banque centrale européenne, qui lui permet d'intervenir sur le marché secondaire des dettes souveraines. Il s’agit de faire en sorte que les taux soient contenus et n’augmentent pas au point d’obérer les chances de croissance d'un certain nombre de pays qui font des efforts – je pense à l'Espagne et à l'Italie. Ce fameux programme, appelé Outright monetary transactions, a permis d’éviter une envolée des taux.
Outre donc le fait que la Banque centrale européenne est plus accommodante qu'elle ne l'était par le passé, je dois citer encore le plan de 120 milliards d'euros et la volonté que nous avons, au travers des négociations en cours sur le budget de l'Union européenne, de conforter les augmentations de crédits alloués à la croissance. Je rappelle que, d’un budget à l’autre, les crédits de la rubrique 1a augmenteront de 40 % et ceux du programme Connecting Europe, de 120 %. Cela devrait permettre la réalisation d’investissements au sein de l'Union européenne et, ainsi, favoriser la croissance.
Au niveau national, maintenant, nous avons aussi pris des initiatives pour soutenir la croissance. J’ai évoqué les 20 milliards d'euros sur dix ans consacrés au développement du numérique, ainsi que notre ambition pour le logement, qui passe par une réduction de la TVA pour développer la construction de logements sociaux, mais je pourrais multiplier les exemples.
Mme Des Esgaulx, MM. Mézard, Marini et Marc ont eu raison de le dire, la croissance ne se décrète pas, elle est un combat, un combat qu’il faudra mener, et je veux rassurer M. Bocquet, ce combat, nous le menons, avec les contraintes qui sont les nôtres. Nous avons fait le choix, que nous assumons et qui nous paraît juste, de demeurer dans l’Union européenne, parce que nous estimons que l'Europe est une solution, et non un problème. Notre gouvernement est résolument européen. Nous voulons utiliser tous les outils qui sont à notre disposition pour rendre la croissance possible.
Je voudrais contester certains des chiffres avancés par Mme Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela ne m’étonne pas !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je ne suis pas dans la rhétorique. J’accorde, moi aussi, du crédit aux chiffres. Je me fonde sur les données qui figurent dans nos livres de comptes et, par conséquent, dans les documents de la commission des finances.
J’aimerais prendre quelques exemples concrets des désaccords qui peuvent exister entre nous, ce qui nous permettra sans doute de prolonger le présent débat.
Vous utilisez de façon particulièrement habile, je le reconnais, l’argument de l’évolution des dépenses publiques rapportées au PIB. Mais, comme vous le savez, cette évolution dépend non seulement de celle des dépenses publiques, mais aussi de celle du PIB lui-même, si bien que, lorsque la croissance est plus forte, le ratio des dépenses publiques sur le PIB devient plus favorable au Gouvernement – dès lors qu’il veut démontrer qu’il diminue la dépense publique…
Vous évoquez l’évolution de ce ratio depuis 2011. Or, cette année-là, la croissance du PIB a été plus importante qu’en 2012 et, par conséquent, lorsque vous évoquez cet indicateur plutôt qu’un autre, vous savez parfaitement ce que vous faites : vous ne voulez rien dire de très précis sur l’évolution réelle des dépenses publiques !
Je veux d’ailleurs le prouver. Vous avez indiqué que les dépenses publiques avaient fortement diminué en 2011 et que l’année 2012, pour laquelle j’évoquais une diminution de 300 millions d'euros des dépenses de l’État, n’était donc pas la seule année où des efforts avaient été faits. Je tiens juste à vous signaler qu’en 2011 les dépenses de l’État n’ont pas diminué. Au contraire, elles ont augmenté de 4,4 milliards d'euros !
Je vous demande d’ailleurs, madame Des Esgaulx, d’aller vérifier si ce que je dis est vrai – je sais que, derrière votre vivacité et votre ténacité à la tribune, il y a une honnêteté qui peut nous rassembler. Et si c’était faux, nous aurons l’occasion, lors de notre prochaine rencontre en commission des finances, de nous expliquer de nouveau. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx acquiesce.)
Par ailleurs, je reviens, en quelques mots, sur le budget de 2012, car vous nous faites à son propos quelques reproches que je trouve injustes. Je voudrais rappeler la situation que nous avons trouvée, et ce que nous avons fait en conséquence. Vous voulez que l’on soit précis : sachez que je fais mien cet objectif. C’est pourquoi je vous renvoie à un document sur lequel nous pouvons nous retrouver, émanant de la Cour des comptes.
Car vous ne pouvez pas considérer que, lorsque ses meilleurs éléments formulent des avis au sein du Haut Conseil des finances publiques, la Cour des comptes parle juste, mais que, lorsqu’elle fait des rapports sur les comptes que vous avez laissés en 2012, elle parle faux. Or, dans ses rapports, la Cour dit que les dépenses que vous aviez projetées pour l’élaboration du projet de loi de finances pour 2012 étaient sous-évaluées à hauteur de 2 milliards d'euros, et que les recettes étaient, elles, surévaluées.
Que se serait-il passé si nous n’avions pas pris des mesures de « surgel » et de documentation des économies nécessaires pour éviter un tel dérapage, si nous n’avions pas diminué de 8 milliards d'euros vos hypothèses de recettes et, pour compenser cela, décidé 7 milliards d'euros de prélèvements supplémentaires ? Et nous avons fait cet effort sans augmenter, pour autant, le montant des prélèvements sur les Français puisque, en 2012, il doit s’élever à 913 milliards d'euros, toutes activités confondues, là où vous aviez projeté un prélèvement de 915 milliards d'euros. Ce prélèvement a donc été moindre, malgré l’effort fourni à l’occasion de la loi de finances rectificative.
Au final, nous parvenons à 4,8 % de déficit, au lieu des 5,5 % que nous aurions obtenus sans cet effort. Et si, comme vous le dites, ces 4,8 % sont critiquables parce nous sommes éloignés de notre objectif de 4,5 %, je ne peux que le reconnaître, mais je veux en rappeler les raisons.
D’une part, il a fallu procéder à la recapitalisation de Dexia, à hauteur de 2,5 milliards d'euros. Je suis sûr que vous n’aurez pas la malhonnêteté de considérer que c’est notre faute. D’autre part, le budget européen a entraîné 800 millions d'euros de dépenses supplémentaires parce qu’en novembre 2010, ses crédits de paiement ont été sous-budgétisés. Ce n’est pas non plus notre faute si nous avons dû procéder à cette correction…
Ce qui, en revanche, est de notre responsabilité – et je l’assume parce que, selon moi, il faut être d’une honnêteté scrupuleuse sur ces sujets –, c’est le décalage existant entre la croissance réelle et les hypothèses sur lesquelles nous avons construit le projet de loi de finances rectificative, c'est-à-dire 0,3 % de croissance. En effet, dans le courant de l’année 2012, on s’est acheminé vers une croissance constatée proche de zéro.
Voilà pour ce qui concerne les chiffres. Je ne cherche pas, à travers eux, à dire des choses qui ne soient pas exactes, car je pense que, malgré nos différences et compte tenu de la gravité de la situation du pays, nous devons essayer, sur les questions que nous abordons dans cet hémicycle, d’être d’une précision et d’une rigueur absolues et de faire en sorte que le débat s’articule, dans toute la mesure du possible, sur des éléments incontestables.
Monsieur le président de la commission des finances, sans être trop long, car nous avons déjà beaucoup parlé et sommes tous appelés à d’autres obligations, je terminerai par vous.
Vous avez une habilité, un talent, une connaissance des dossiers que je ne veux pas remettre en cause. Du reste, ces qualités viennent d’être déployées à la tribune derechef. Mais je voudrais tout de même rappeler certaines vérités.
Vous indiquez que nous n’avons pas conscience de la situation, que nous reportons les échéances à demain et que nous ne prenons pas les responsabilités qui nous incombent. Sans recommencer la démonstration que je viens de faire, j’affirme que nous avons pris nos responsabilités comme il se devait dans une situation particulièrement difficile.
Comme vous le savez, le déficit nominal est le seul véritable indicateur pour l’évolution du niveau de la dette. Malgré tout, nous maîtrisons la dette. Nous voulons en effet, dans notre trajectoire, que la dette baisse de six points de PIB à partir de 2015, et nous nous y employons. Je veux vous rappeler, sans esprit de polémique, qu’elle a crû de vingt-cinq points de PIB au cours des dix dernières années, ce qui, en volume, représente une augmentation de la dette de près de 900 milliards d'euros ! (M. le président de la commission des finances acquiesce.)
Vous dites, par ailleurs, que nous reportons le retour sous le seuil de 3 % de déficit public à 2014 en prenant le risque de devoir franchir alors une marche beaucoup plus haute. Cependant, cela donne le temps d’approfondir la réflexion sur des économies intelligentes, de les documenter devant vos assemblées. En effet, il est très important que nous puissions dire, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, là où se feront les économies, et que nous le fassions de façon extrêmement précise.
Je voudrais conclure sur cette question des économies, car la réalité est moins manichéenne que nos débats pourraient le laisser penser.
J’entends dire que nous ne serions pas prêts à faire des économies et à les documenter, et que la précédente majorité aurait toujours, de façon extrêmement méticuleuse, procédé à ces économies avec des résultats spectaculaires.
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Nul n’est parfait, hélas !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Je vais livrer quelques chiffres sur la révision générale des politiques publiques, la RGPP. Ils sont particulièrement précis, incontestables et de nature à mettre tout le monde d’accord – et pour toujours, puisque la RGPP est derrière nous !
Sur la période 2009-2012, les gains cumulés de la RGPP se sont élevés à 11,9 milliards d'euros. Sur ces 12 milliards d’euros environ, 30 % sont imputables à la masse salariale, soit 3,6 milliards d'euros, 22 % ont été réalisés sur le fonctionnement, soit 2,6 milliards d'euros, et 48 % sur les interventions, soit 5,7 milliards d'euros.
Il faut préciser, concernant les économies sur la masse salariale, que les 3,6 milliards d'euros représentent un gain brut : en réalité, le gain réel ne s’est élevé qu’à 1,7 milliard d'euros, compte tenu du recyclage d’une grande partie des économies réalisées sur la masse salariale en mesures catégorielles.
Bref, si l’on retient toute la période du précédent quinquennat, l’économie réelle n’a été que de 10,2 milliards d'euros, puisqu’il faut retrancher des 11,9 milliards d'euros 1,7 milliard d'euros de recyclage.
Chaque année, la RGPP n’a donc permis de dégager que 2,5 milliards d'euros d’économies nouvelles.
J’entends les propositions des groupes de l’opposition, notamment des partis politiques qui les soutiennent : l’UMP voudrait revenir à 3 % de déficit public dès 2013 et nous demande des lois de finances rectificatives à cet effet. Cela revient à demander 15 % d’économies complémentaires sur les dépenses – puisque ce même parti ne souhaite pas que nous augmentions les impôts.
On aimerait comprendre comment il serait possible de réaliser en une année six fois plus d’économies que la RGPP n’en aura permis sur toute la durée du quinquennat précédent !
On voit bien que ces débats sont de pure politique, qu’ils ne sont articulés à rien d’opérationnel, à rien de pragmatique, à rien de sérieux. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Madame Des Esgaulx, ce n’est pas la rhétorique, ce sont les chiffres qui parlent. Si je faisais ce que vous me demandez, des chiffres incontestables montrent que je prendrais alors des mesures totalement absurdes, et vous seriez la première à me les reprocher. C’est d’ailleurs parce que je ne veux pas essuyer de reproches supplémentaires – compte tenu du nombre et de l’injustice de ceux que vous m’adressez – que je ne ferai pas ce que vous me suggérez !
Voilà ce que je voulais vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, en vous remerciant pour votre présence à ce débat et dans l’attente des prochaines occasions d’échanges sur ces questions rigoureuses, difficiles mais passionnantes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec la déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur le projet de programme de stabilité.