8
Nomination des membres d’une mission commune d’information et des membres d’une commission d’enquête
M. le président. Je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidatures :
- d’une part, pour la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République ;
- d’autre part, pour la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l’efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre.
La présidence n’a reçu aucune opposition.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées, et je proclame :
- MM. Philippe Adnot, Alain Bertrand, François-Noël Buffet, Pierre Camani, Luc Carvounas, Philippe Dallier, Marc Daunis, Éric Doligé, Jean-Léonce Dupont, Christian Favier, Jacques Gillot, Mme Jacqueline Gourault, MM. Charles Guené, Yves Krattinger, Gérard Larcher, Dominique de Legge, Mme Hélène Lipietz, M. Rachel Mazuir, Mme Michelle Meunier, MM. Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Raffarin, Henri de Raincourt, Yves Rome, Mme Mireille Schurch, M. Bruno Sido, Mme Catherine Troendle, M. René Vandierendonck, membres de la mission commune d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République ;
- MM. Michel Bécot, Michel Berson, Éric Bocquet, Mme Corinne Bouchoux, MM. Jacques Chiron, Yvon Collin, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, M. Christophe-André Frassa, Mme Nathalie Goulet, MM. Joël Guerriau, Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Roland du Luart, François Pillet, Charles Revet, Mme Laurence Rossignol, M. Richard Yung, membres de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l’efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre.
9
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de deux projets de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen, d’une part, du projet de loi organique et du projet de loi relatifs à la transparence de la vie publique, déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale le 24 avril 2013 ; d’autre part, du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 24 avril 2013.
10
Nomination de membres de commissions
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe socialiste et apparentés a présenté une candidature pour la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, et que le groupe du Rassemblement démocratique et social européen a présenté une candidature pour la mission commune d’information sur l’action extérieure de la France en matière de recherche et de développement.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame Mme Frédérique Espagnac membre de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, en remplacement de M. Gaëtan Gorce, démissionnaire, et M. Robert Hue, membre de la mission commune d’information sur l’action extérieure de la France en matière de recherche et de développement, en remplacement de M. Yvon Collin, démissionnaire.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quarante, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Didier Guillaume.)
PRÉSIDENCE DE M. Didier Guillaume
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
11
Débat sur l'immigration étudiante et professionnelle
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur l’immigration étudiante et professionnelle, organisé à la demande du groupe socialiste.
La parole est à M. le ministre.
M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, parce qu’elle est une part constitutive de notre nation, de son histoire, de son présent et, surtout, de son avenir, l’immigration doit intéresser au premier chef la représentation nationale. Que celle-ci puisse se saisir pleinement de cette question, tel était l’engagement du Président de la République, telle est la raison du débat que nous allons avoir.
Il s’agit de débattre non pas de l’existence en soi des phénomènes migratoires – c’est un fait majeur et incontestable, dont le développement s’accélère à l’échelle de notre planète –, mais des priorités que nous voulons instaurer pour notre immigration, en particulier pour les mobilités professionnelles et étudiantes : une immigration qui répond aux besoins de notre économie et permet le rayonnement de notre pays dans le monde.
La France est belle de ses paysages, de la diversité de ses reliefs, de la variété de ses plaines, du contraste de ses littoraux. La France est belle, car elle est plurielle. Elle a mille visages, mais elle n’a en tête qu’un seul et même idéal : la République. Cet idéal républicain de liberté, d’égalité, de fraternité, de solidarité et, bien sûr, de laïcité est, comme notre langue, notre culture, le garant non négociable de notre unité.
Dans notre monde globalisé, un monde d’échanges qui a considérablement réduit les distances, la France doit être sûre d’elle-même, de ses atouts. La France s’est en partie construite et renforcée au fur et à mesure des vagues d’immigration venues d’abord d’Europe, puis d’Afrique du Nord, d’Amérique latine, de Chine, ou encore de l’Afrique de l’Ouest. Sait-on que 19 % de celles et de ceux qui vivent en France sont immigrés ou fils d’immigrés ? La France a été un grand pays d’immigration. Elle ne peut le demeurer qu’à la condition de définir un cadre réfléchi, organisé, régulé.
Ce débat est l’occasion d’éclairer la représentation nationale pour que nous puissions aborder sereinement, dans un esprit de responsabilité et d’apaisement, cette question de l’immigration, loin des clichés, des raccourcis – des outrances, aussi – qui l’entourent depuis longtemps.
Nous devons engager ce débat dans un esprit de responsabilité, d’abord, parce que, nous le savons, l’immigration, pour être acceptée, doit être maîtrisée, contrôlée. Ne faisons pas semblant d’ignorer les inquiétudes, les peurs, les pulsions qui peuvent se manifester sur ce sujet et dont témoignent les enquêtes d’opinion. Comment pourrions-nous être faibles lorsque des filières exploitent la misère humaine, lorsque des marchands de sommeil ou des employeurs, en toute illégalité, profitent de la détresse de ceux qui n’ont rien ? Il nous faut aussi être fermes lorsque des étrangers sans titre se maintiennent, en toute connaissance de cause, illégalement sur notre territoire.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Manuel Valls, ministre. La République implique des règles, qui doivent être appliquées avec fermeté : c’est cela, l’esprit de responsabilité.
Nous devons engager ce débat dans un esprit d’apaisement, ensuite, car comment bâtir notre société, qui est ouverte sur le monde, si l’étranger y est vu avec méfiance, si nous confondons la maîtrise – indispensable – des flux migratoires et la stigmatisation – inacceptable – de l’autre ?
Depuis onze mois, c’est une nouvelle politique en matière d’immigration qui a été mise en place, et je ne laisserai pas caricaturer ce qui a été fait. Nous avons agi et nous continuerons à agir avec beaucoup de réalisme et de pragmatisme, avec humanité, bien sûr, mais sans naïveté, avec fermeté, mais sans arbitraire ni outrance.
La circulaire Guéant sur les étudiants étrangers a été abrogée. Ma collègue Geneviève Fioraso et moi avons défini des critères de régularisation exigeants, clairs et uniformément appliqués.
Nous avons mis un terme, sauf circonstances exceptionnelles – je pense au cas difficile de Mayotte –, à la rétention des familles avec enfants. Nous avons – enfin ! – abrogé le délit de solidarité qui pesait sur les personnes de bonne foi apportant aide et assistance. Nous avons, à la suite de la décision de la Cour de cassation de juillet 2012, confirmant celles de la Cour de justice de l’Union européenne de juin et de décembre 2011, créé une retenue de seize heures permettant aux services de police et de gendarmerie, ainsi qu’aux préfectures, de vérifier, dans de bonnes conditions, le droit au séjour de personnes étrangères se trouvant sur le territoire ; nous en avons débattu ici même.
Enfin, dans quelques semaines, en fonction de l’avancée des travaux législatifs, nous vous proposerons de généraliser le titre de séjour pluriannuel, en nous appuyant, pour ce faire, sur le rapport qui sera remis par le député Matthias Fekl.
Aujourd’hui, nous débattons de l’immigration professionnelle et étudiante. Cette volonté de débattre, je le sais, a pu surprendre, notamment parmi ceux qui pensent que l’on parle déjà suffisamment d’immigration. Mais la vérité, c’est que nous ne parlons jamais de nos flux migratoires. Lorsque nous débattons de l’immigration, nous mélangeons tout : des personnes d’origine étrangère, mais nées françaises, sont confondues avec des naturalisés ; des immigrés sont confondus avec des étrangers ; des enfants de Français sont, du fait de leur couleur de peau ou de leur religion, assimilés à des immigrés. Jamais, dans notre pays, nous n’acceptons de regarder sereinement nos flux migratoires, puis de nous poser ces questions simples : au regard de nos flux actuels, de nos valeurs et de nos besoins, quelle politique est la mieux adaptée ? Quels étrangers pouvons-nous ou devons-nous accueillir ? Dans la circulation mondiale des personnes que j’évoquais il y a un instant, comment se situe la France ? Que souhaite la représentation nationale ? Ces questions simples – je reconnais que les réponses le sont sans doute moins –, je propose que nous nous les posions ensemble.
Au préalable, il m’apparaît cependant nécessaire d’établir précisément ce qu’a été la politique menée, au cours des dernières années, par le précédent gouvernement. Une formule la résume, même si je ne sous-estime pas les problèmes : empressement dans les réformes, emportement dans les discours, mais, en vérité, des flux migratoires inchangés.
D’abord, on a expliqué qu’il fallait faire baisser l’immigration dite subie, et donc qu’à l’immigration familiale, indésirable, il fallait préférer une immigration triée sur le volet – à un point tel, d’ailleurs, que l’on a créé un titre de séjour spécifique, la carte « compétences et talents », qui a été attribuée à moins de 300 personnes par an.
M. Jean-Pierre Sueur. Quel succès !
M. Manuel Valls, ministre. Ce n’est pas vraiment ce que l’on peut appeler une politique d’attractivité…
M. Jean-Pierre Sueur. C’est une antipolitique !
M. Manuel Valls, ministre. Puis, devant l’impossibilité de faire diminuer l’immigration familiale, qui obéit à des principes enchâssés dans la Convention européenne des droits de l’homme – j’y reviendrai dans un instant –, on a expliqué que l’urgence était – quel non-sens ! – de faire fuir les étudiants étrangers très diplômés souhaitant travailler dans nos entreprises. On a également estimé que le problème, c’était que la France naturalisait trop…
Ensuite, on nous expliqua qu’il y avait, de toute façon, trop d’immigrés, qu’il fallait diviser les flux migratoires par deux. Mais, pour diviser les flux migratoires par deux – en partant des vrais chiffres, pas des chiffres fantasmés –, il faudrait réduire drastiquement les mobilités étudiantes. Est-ce bien ce que nous voulons pour notre pays ? De telles approximations ne peuvent pas faire une bonne politique.
J’ai demandé au secrétariat général à l’immigration et à l’intégration de préparer notre débat en entendant l’ensemble des acteurs concernés par l’immigration professionnelle et étudiante, puis de vous soumettre, dans un rapport, l’ensemble de ces contributions et des données à ce jour disponibles. Ce rapport a été élaboré en lien avec tous les ministères concernés : les ministères des affaires étrangères, du travail et de l’emploi, de l’économie et des finances, du redressement productif, du commerce extérieur et, bien sûr, chère Geneviève Fioraso, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans un partenariat étroit. C’est comme cela que nous pourrons, ensemble, définir des priorités d’action ; c’est comme cela que nous pourrons regarder nos flux migratoires les yeux ouverts.
Ces flux, quels sont-ils ? Pour une part – un peu plus de la moitié, soit environ 100 000 personnes par an –, ils obéissent à une logique de droits, protégés par la Constitution et les conventions internationales. Parce que vous épousez une Française ou un Français, parce que vous êtes persécuté dans votre pays d’origine, parce que vous êtes gravement malade, vous avez un droit au séjour en France. Ces flux migratoires ne sont pas subis ; ils sont la traduction de ce que nous sommes, un État de droit, et des valeurs que nous défendons.
Concernant ces flux migratoires, nous devons viser deux objectifs.
Le premier est de lutter efficacement contre les détournements de procédure, bref contre la fraude. Or, disons-le simplement, notre organisation administrative fabrique aussi de la fraude.
En effet, les préfectures, confrontées à un flux incessant de demandeurs, renouvellent les titres de séjour sans pouvoir exercer de contrôle : 99 % des titres de séjour « vie privée et familiale » sont renouvelés chaque année. Demain, le titre de séjour pluriannuel nous permettra de passer d’une logique de suspicion à une logique d’intégration, d’une logique de guichet à une logique de contrôle.
De même, le droit d’asile – faut-il le rappeler ? – est un droit fondamental, qui doit être protégé. Toutefois, notre procédure d’asile, trop longue, trop complexe, peut conduire, si nous n’y prenons garde – c’est le cas déjà, je vous dois cette franchise –, à des détournements. Il nous faudra également la réformer en profondeur pour raccourcir les délais de manière drastique, comme s’y était engagé le chef de l’État, dans l’intérêt des demandeurs d’abord, qui ont le droit à une réponse rapide, et dans l’intérêt de la société ensuite, pour permettre l’éloignement – ce qui n’est pas le cas aujourd’hui – de ceux à qui le statut de réfugié aura été refusé.
Le second objectif consiste à mieux accueillir ceux qui ont vocation à rester en France.
L’instauration du titre de séjour pluriannuel répond à cet objectif. Surtout, le contrat d’accueil et d’intégration – dont je ne conteste pas le principe ni la finalité – mérite d’être revu. Pour 75 % de ses signataires, son contenu se limite à quelques heures de formation sur le « vivre en France » et à un bilan de compétences. Cela n’est pas à la hauteur de la République ni des besoins de ceux qui arrivent dans notre pays. Une réforme d’ampleur sera là aussi nécessaire. Nous devons faire vivre le principe, cher à Jean-Pierre Chevènement, des droits et des devoirs.
Le rapport qui vous a été remis décrit plus finement les autres flux migratoires, ceux sur lesquels les pouvoirs publics ont la plus grande maîtrise et qui font l’objet de notre débat : l’immigration professionnelle et étudiante.
Regardons, en premier lieu, l’immigration de travail. Contrairement à ce que l’on entend parfois dire, la France se caractérise par une immigration de travail très réduite depuis 1974 : environ 20 000 cartes sont délivrées à ce titre chaque année. Nous sommes donc loin, très loin des chiffes fantasmés que certains – et certaine – mettent en avant !
Cette immigration est strictement encadrée par un système très dissuasif : aucun étranger ne peut venir travailler en France sans autorisation de travail. Cette dernière est délivrée après prise en compte de toute une série de paramètres, parmi lesquels la situation de l’emploi dans la profession considérée, le niveau de rémunération ou encore la formation de l’étranger.
Malheureusement, notre droit, devenu bien bavard, fait coexister pas moins d’une quinzaine de titres de séjour différents à destination des étrangers désirant travailler dans notre pays : à chacun son régime, ses modalités d’obtention, sa durée, sa procédure. Certains titres ne concernent que quelques dizaines de personnes chaque année.
En outre, la règle d’opposabilité de la situation de l’emploi a été contournée par le biais de tant d’exceptions qu’elle est devenue illisible. Je ne vais pas vous la décrire par le menu, mais sachez, par exemple, qu’il existe une liste des métiers dits « en tension », c’est-à-dire pour lesquels on a du mal à trouver des postulants aux offres d’emploi, élaborée en 2008 selon une nomenclature datant de 2003, et que ces métiers « en tension » ne sont pas les mêmes suivant que vous êtes Sénégalais, Gabonais ou Tunisien ! Bref, plus personne ne s’y retrouve. Nous avons, là aussi, besoin de lisibilité et de stabilité.
À cette complexité pointilliste, coûteuse et inutile, j’ai l’ambition d’opposer des principes simples.
Le premier est contenu dans le pacte national pour la compétitivité, la croissance et l’emploi : certains étrangers, par leurs talents, constituent non pas un risque pour l’emploi, mais une chance pour notre croissance. Il existe aujourd’hui, à l’échelle du monde, une concurrence acharnée pour attirer ces étrangers, ces chercheurs, ces créateurs, ces investisseurs. Dans l’économie mondiale d’aujourd’hui, la compétence est une richesse à part entière : l’Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie, les pays scandinaves, le Canada modifient leur législation pour attirer et retenir ces talents. Si nous n’y prenons garde, si nous conservons notre droit complexe, alors nous courons le risque d’être, demain, marginalisés, dépassés. Je propose donc de simplifier notre droit en rapprochant, autant que nous le pourrons, tous ces dispositifs afin de rendre nos règles plus lisibles, plus stables, plus claires.
Le droit au séjour pour les talents étrangers devra reposer sur un titre pluriannuel. Il devra offrir des garanties de renouvellement à l’étranger et à son conjoint. Les conditions d’accueil des talents étrangers dans nos préfectures et nos consulats seront spécifiquement adaptées. Ces étrangers devront aussi savoir qu’ils pourront bénéficier d’un accès privilégié à un visa de circulation, même après l’expiration de leur titre de séjour.
La France, mesdames, messieurs les sénateurs, doit changer de discours : les talents étrangers doivent savoir qu’ils sont et seront toujours bien accueillis dans notre pays. À la suspicion généralisée, il faut préférer la confiance liée au mérite. C’est d’ailleurs cette confiance méritée, cette confiance sélective qui a guidé mon action lorsque j’ai signé, le 22 mars dernier, avec le ministre des affaires étrangères, une instruction aux postes consulaires visant à faciliter la délivrance des visas de circulation pour les talents étrangers. Soyons attentifs à la mise en œuvre de ces préconisations.
Le second principe, c’est que nous devons, particulièrement dans le contexte économique que nous connaissons, protéger notre marché de l’emploi. Ainsi, face à un besoin en main-d’œuvre, comme il s’en manifeste dans certains secteurs, il faut d’abord penser à former des chômeurs. Tel est le sens de l’action menée par le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Toutefois, il peut exister, dans une région ou un bassin d’emploi, des besoins précis et ponctuels tels que notre formation professionnelle ne pourra y répondre. Je propose donc la mise en place, dans chaque région, d’un dispositif souple pour actualiser en continu, avec les partenaires sociaux, ces besoins exceptionnels. Mes services travailleront avec ceux de Michel Sapin à la définition de ce dispositif.
Nous devons donc attirer les talents étrangers et identifier, au plus près des besoins et dans le dialogue social, les quelques métiers ou secteurs pour lesquels des tensions exceptionnelles justifient le recours à la main-d’œuvre étrangère. Je ne sous-estime pas les obstacles techniques – je pense notamment aux accords de gestion concertée des flux migratoires –, mais voilà notre feuille de route.
La mobilité étudiante constitue, quant à elle, une des mutations les plus profondes de notre monde contemporain. Le nombre d’étudiants dans le monde a doublé en quinze ans ; il doublera encore d’ici à 2020. En Chine, en Inde, au Brésil, dans toute l’Amérique latine ou l’Asie du Sud-Est, en Russie, des jeunes qualifiés aspirent à donner une dimension internationale à leur carrière. Les accueillir n’est pas faire preuve de générosité : c’est jouer sur un levier stratégique pour assurer la place de la France dans le monde d’ici à vingt ou trente ans, c’est agir avec réalisme au regard de la concurrence actuelle entre les pays et les continents. Réussir à attirer ces chercheurs, ces scientifiques, ces étudiants, c’est assurer à la France une place centrale dans la circulation des savoirs et de la recherche, c’est favoriser l’ouverture internationale et le rayonnement de nos universités, c’est promouvoir aussi la francophonie ; c’est choisir, tout simplement, de compter dans le monde de demain.
La France, terre de savoir, d’excellence, de culture et d’innovation ne doit pas rester à la traîne. Nous avons des résultats intéressants – 41 % des doctorants, par exemple, sont de nationalité étrangère –, mais nous perdons du terrain. En 2012, nous avons accueilli 10 % d’étudiants en moins, notamment en raison de la circulaire Guéant, alors que les flux mondiaux d’étudiants augmentaient. L’Allemagne est en train de nous dépasser, et nous ne sommes plus le premier pays non anglophone pour l’accueil des étudiants étrangers. Il est de bon ton de mettre en cause l’Allemagne, mais regardons aussi ce qui se passe chez nous !
Pour tenir notre rang, nous avons deux possibilités.
La première consiste à privilégier une approche quantitative : il y a plus d’étudiants dans le monde, nous devons donc en accueillir plus encore. Cette voie, qui a été retenue à la fin des années quatre-vingt-dix, a ses défenseurs. Toutefois, notre situation budgétaire ne nous permet pas aujourd’hui d’accroître indéfiniment le nombre d’étudiants accueillis.
Ce que je crois, c’est que la France a des marges de manœuvre substantielles pour améliorer qualitativement l’accueil des étudiants étrangers. Plusieurs chantiers peuvent être ouverts. Il s’agit, d’abord, de repenser nos dispositifs de sélection en les centrant davantage sur les étudiants de niveau master et doctorat. Il s’agit, ensuite, de tenir un discours clair et transparent à ceux qui choisissent de nous rejoindre : venir en France pour étudier, c’est venir en France pour réussir. Nous devons poser des exigences claires à cet égard : il me semble que prévoir un seul redoublement possible par cycle d’études pour les étudiants étrangers est, sauf cas particulier, suffisant.
Parce que nous voulons attirer les meilleurs, nous devons aussi mieux les accueillir : je proposerai la généralisation du titre de séjour pluriannuel pour les étudiants étrangers, ainsi qu’un rapprochement entre universités et préfectures pour limiter le plus possible les démarches inutiles ou redondantes. Notre stratégie en matière de versement de bourses devra également être repensée pour l’orienter vers les étudiants les plus prometteurs.
Notre capacité à attirer les meilleurs étudiants ne dépend pas que de la réglementation du séjour, mais aussi – Geneviève Fioraso y reviendra – de l’accompagnement que les universités sont en mesure de fournir. Elle dépend également des stratégies internationales de l’enseignement supérieur.
Afin de répondre à cet enjeu, certains interlocuteurs nous ont suggéré de faire contribuer davantage les étudiants étrangers des pays émergents au coût de leur formation universitaire. Cette idée, qui n’appelle pas de réponse simple ni évidente et qui a déjà fait couler un peu d’encre, pourra être débattue entre nous.
Enfin, un mot doit être dit du passage du statut d’étudiant à celui de salarié. Là encore, notre dispositif législatif est mal rédigé, trop complexe, et peut recevoir des interprétations divergentes. Il nous faudra préciser, dans la loi, quels étudiants ont la possibilité de changer de statut, et ce sans que puisse leur être opposée la situation de l’emploi. Étant donné le contexte économique, je pense qu’il faudra centrer le changement de statut sur les étudiants à haut potentiel qui ont accès à un emploi de haut niveau.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en matière de gestion des flux migratoires, la fermeté est nécessaire, indispensable. Mais la fermeté, ce n’est pas la fermeture : si des talents étrangers peuvent, demain, contribuer à notre croissance, à notre rayonnement, notre droit doit savoir les distinguer, nos préfectures et nos consulats les accueillir dans les meilleures conditions.
Il nous faut faire vivre ensemble, dans un cadre partagé, ces deux exigences : maîtriser les flux migratoires et faire de notre pays une destination de choix au titre des mobilités de la connaissance et de l’excellence. Voilà le chemin que nous vous proposons, voilà ce sur quoi il nous appartient de débattre collectivement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà près d’un an, confirmant ainsi les engagements du Président de la République, le Gouvernement abrogeait la circulaire du 31 mai 2011, dite circulaire Guéant, texte de fermeture, de repli sur soi, marquant une rupture avec la longue tradition d’accueil et de rayonnement scientifique de notre pays. En interdisant aux meilleurs chercheurs et étudiants étrangers un accès au marché du travail, cette circulaire les dissuadait de fait de choisir la France et nous privait de l’apport culturel, scientifique, affectif et économique de ces échanges.
Nous avons pris, Manuel Valls et moi, un engagement devant les Français : la nouvelle politique d’attractivité universitaire et scientifique de la France ne s’arrêterait pas à ce geste aussi nécessaire que symbolique. Il fallait aller plus loin et redonner à notre pays toute sa place dans la compétition scientifique mondiale pour attirer les talents, en premier lieu les étudiants et les chercheurs.
Cette priorité du Gouvernement recouvre un enjeu stratégique. Nous assistons en effet, à l’échelle internationale, à un double mouvement : d’un côté, la diversification des pays d’origine des étudiants internationaux ; de l’autre, un renforcement de la compétition entre les pays d’accueil pour les attirer.
Les pays émergents fondent leur développement sur l’élévation du niveau de qualification et sur la recherche. L’exemple de la Corée du Sud, qui compte 3,3 millions d’étudiants pour 59 millions d’habitants et consacre 4,34 % de son PIB à la recherche et au développement, illustre ce fait de manière frappante. La France, quant à elle, compte 2,4 millions d’étudiants et la part de son PIB allouée à la recherche et au développement plafonne depuis dix ans à 2,2 %, bien loin de l’objectif de 3 % arrêté à Lisbonne.
La France n’est que le huitième pays d’accueil des étudiants coréens : alors que 154 000 d’entre eux partent chaque année à l’étranger, seulement 5 500 sont inscrits dans nos établissements, dont 3 % en ingénierie et en sciences. Ces étudiants coréens s’inscrivent principalement dans des filières artistiques ou littéraires, pour étudier les humanités, parce qu’ils ne perçoivent absolument pas la France comme une puissance scientifique et technologique. Par ailleurs, le fait qu’aucun cours ne soit dispensé en anglais les amène assez systématiquement à se diriger vers les universités anglo-saxonnes. Or nous manquons d’étudiants en sciences et technologies, et notre industrie en souffre.
L’Inde veut doubler le nombre de ses étudiants, mais ceux-ci ne sont que 3 000 en France, tandis que seulement 1 000 étudiants français sont en mobilité dans ce pays de près de 1 milliard d’habitants. La mondialisation des connaissances est une réalité en marche. Dans le monde, le nombre d’étudiants en mobilité internationale a doublé depuis 2005. Il doublera à nouveau d’ici à 2020.
Face à ces flux croissants, les pays d’accueil s’organisent. Alors que l’accueil des étudiants internationaux était concentré, jusqu’à une période assez récente, au sein de quelques grandes institutions disposant de traditions universitaires anciennes, il fait désormais l’objet de politiques nationales ambitieuses. Le président Barack Obama, par exemple, vient de lancer une politique d’attractivité scientifique pour attirer les talents du monde entier. Les grands pays, en particulier anglophones, prennent des positions offensives dans les échanges internationaux : je pense notamment au Canada ou à l’Australie. Plus près de nous, l’Allemagne et les pays scandinaves ont développé une stratégie d’accueil qui a déjà prouvé son efficacité.
La France ne doit pas rester à l’écart de ces dynamiques. Nous sommes le premier pays d’accueil non anglophone des étudiants internationaux, au coude à coude avec l’Allemagne, qui vient de nous dépasser, alors qu’elle était loin derrière nous il y a seulement cinq ans.
Chaque année, 290 000 jeunes étrangers font le choix d’étudier dans notre pays ; 41 % des thèses soutenues en France le sont par des étudiants étrangers ; 60 000 titres de séjour de longue durée sont accordés annuellement à des étudiants, contre 17 000 à des salariés et 90 000 au titre du regroupement familial. Notre pays peut s’honorer de ce rayonnement international, qui témoigne à lui seul de la qualité scientifique et pédagogique de nos universités et de nos établissements d’enseignement supérieur.
Mais cette position est fragile. La France a perdu du terrain, passant en dix ans de la troisième à la cinquième place dans le classement des pays les plus attractifs en matière d’études supérieures. L’impact n’a pas seulement été quantitatif ; il a aussi, et surtout, été qualitatif, les meilleurs étudiants, surtout en sciences, se détournant de notre pays pour trouver des destinations plus propices à leur épanouissement.
La politique migratoire mise en œuvre par le précédent gouvernement a fait des ravages en termes d’attractivité universitaire et scientifique. La complexité et la lenteur des démarches administratives, la défiance manifestée à l’égard des étrangers, les mesures dissuasives que j’ai évoquées : tout était réuni pour décourager les candidats à la mobilité. À force de considérer les chercheurs et les étudiants étrangers comme une menace migratoire dont il convient de se protéger, on a durablement entaché la réputation d’accueil de notre pays. Il fallait inverser la tendance.
À l’occasion de ce débat, nous souhaitons rappeler notre philosophie en matière de mobilités étudiantes et scientifiques. Je voudrais le redire ici, ce gouvernement considère que les étudiants et les chercheurs étrangers sont une richesse, une chance, et certainement pas un problème.
Nous constatons chaque jour le rôle primordial joué par les chercheurs étrangers dans nos écosystèmes scientifiques : nombreux sont ceux que l’on retrouve coordonnant de remarquables projets de recherche fondamentale ou technologique. Mais il s’agit également d’un enjeu pour notre compétitivité et notre politique d’influence, reposant sur la diffusion à travers le monde de notre langue, de notre culture et de nos valeurs. Les étudiants étrangers que nous accueillons sont les cadres de demain. Quel que soit leur parcours professionnel, qu’ils retournent dans leur pays d’origine, mènent une carrière à l’international ou restent en France, ils connaîtront et aimeront toute leur vie notre pays et notre langue. Ces mobilités créent les conditions de partenariats professionnels ultérieurs, bien utiles pour notre balance commerciale extérieure, dont nous voulons combler le déficit abyssal, qui n’a cessé de se creuser depuis dix ans.
Pour être de nouveau compétitive, la France doit non seulement continuer à attirer les meilleurs étudiants internationaux, mais aussi diversifier leur origine géographique. J’identifie deux priorités : nous devons nous tourner vers les pays émergents – les « BRICS » –, mais nous devons également être accueillants à l’égard de l’Afrique, car c’est aussi au travers des échanges avec ce continent, où la Chine est déjà très présente, notamment en Afrique subsaharienne, que se joue une partie du rebond économique de l’Europe.
Pour atteindre ces objectifs ambitieux, nous devons agir dans trois directions : l’intensification de l’internationalisation et des partenariats entre universités, l’amélioration des conditions d’accueil et de séjour des étrangers et la sécurisation des premières expériences professionnelles.
Je souhaite tout d’abord renforcer les politiques d’internationalisation des universités et développer des partenariats diversifiés et équilibrés. La France n’est pas seulement une terre d’accueil, elle doit aussi savoir envoyer ses étudiants dans les universités des pays émergents, notamment en Asie. Nous devons parallèlement développer l’implantation d’établissements d’enseignement supérieur français dans les pays d’Afrique, du Maghreb, mais aussi dans les pays émergents, pour les aider à satisfaire leurs besoins croissants en matière de formation d’étudiants à tous les niveaux.
L’université scientifique et technologique d’Hanoï, l’École centrale de Pékin, celle de Casablanca ou l’université de Galatasaray sont des exemples de ce dynamisme. Le développement de diplômes conjoints entre la France et l’étranger me paraît tout aussi intéressant pour intensifier ces coopérations internationales.
Pour attirer les étudiants internationaux, nous devons aussi améliorer la lisibilité de notre enseignement supérieur à l’étranger et des formations que nous dispensons. La simplification de l’offre de formation que j’ai engagée le permettra. Personne, en France, ne s’y retrouve parmi les quelque 10 000 spécialités et mentions de master et les plus de 3 000 intitulés de licence. Imaginez ce que cela donne, vu de Séoul ou de São Paulo ! Le regroupement des établissements sur chaque territoire permettra de coordonner et de simplifier la carte des formations.
Pour attirer les étudiants internationaux, je souhaite également faciliter l’organisation d’enseignements en langues étrangères dans nos universités. Je sais que cette question suscite un débat, qu’il nous faut mener sans tabou.
L’un des obstacles à la venue des étudiants des BRICS dans les filières scientifiques et technologiques françaises, c’est la maîtrise de la langue. Je souhaite que les étudiants étrangers puissent suivre des enseignements en langues étrangères tout au long de leur cursus, mais obligatoirement accompagnés de cours en français, afin qu’ils puissent valider leur formation en langue française. La langue de l’enseignement dans notre pays demeurera le français, contrairement à ce que l’on peut entendre ou lire ici ou là, mais nous élargirons le socle de la culture francophone en accueillant des étudiants qui, aujourd’hui, se dirigent massivement vers les universités anglo-saxonnes. C’est ce que prévoit, de façon très encadrée, sur la base de protocoles et de conventions, l’article 2 du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche, qui sera débattu à l’Assemblée nationale à partir du 22 mai prochain.
Il est également indispensable d’améliorer les conditions d’accueil des étudiants étrangers dans notre pays. C’est toute la chaîne de l’accueil qui doit être simplifiée et rendue plus cohérente. Ne fermons pas les yeux sur le parcours du combattant que représente trop souvent l’obtention d’un visa ou le renouvellement, chaque année, d’un titre de séjour. Il n’est pas possible d’étudier ou de mener sereinement ses activités de recherche sous la menace d’une interruption, d’une année sur l’autre, de son droit au séjour ou d’une reconduite à la frontière.
Nous allons aussi encourager la dématérialisation et la simplification des procédures d’inscription universitaire et de délivrance des visas. Les rôles seront clarifiés : les consulats et les préfectures devront rendre un avis administratif, en s’appuyant sur l’avis pédagogique et scientifique des universités.
Nous souhaitons améliorer le positionnement et le fonctionnement de Campus France, dont la mission essentielle consiste à faire la promotion de nos formations à l’international. À l’issue de l’évaluation en cours, nous examinerons avec Laurent Fabius comment favoriser une meilleure articulation des acteurs, notamment avec le réseau des œuvres universitaires.
Nous devons surtout attribuer des titres de séjour « étudiant » valables pour tout un cycle d’études. Le renouvellement annuel de leur titre de séjour angoisse les étudiants et encombre les administrations. Le prix Nobel de physique Serge Haroche m’a présenté un jeune chercheur ukrainien de grand talent, très convoité par les États-Unis, qui a choisi de travailler à ses côtés, compte tenu de l’excellence des travaux menés dans son laboratoire. Ce dernier est régulièrement contraint de se rendre en famille à la préfecture et de se joindre à une interminable file d’attente pour régulariser sa situation administrative.