M. Daniel Raoul. Ah !
M. Ronan Kerdraon. Il était temps ! Après dix minutes de discours !
M. André Reichardt. … fixait des limites claires et justes à ce que nous pouvions tolérer. Chers collègues, vous l’aurez compris, nous ne renions pas l’édifice normatif passé.
M. Ronan Kerdraon. Même pas une petite critique ?
M. André Reichardt. Nous assumons ce que nous croyons être une œuvre équilibrée et qui n’aura pas vu un mauvais sentimentalisme conduire notre action au mépris de la réalité des phénomènes migratoires contemporains.
Avec la même force, nous tenterons de promouvoir notre vision d’une politique migratoire généreuse et pleinement consciente des nouveaux enjeux économiques que soulève l’immigration, particulièrement dans ces circonstances économiques et sociales difficiles.
Fondamentalement, malgré le caractère polarisant des décisions politiques relatives à l’immigration, nous visons le même but : faire de l’immigration, notamment de l’immigration étudiante et professionnelle à laquelle le présent débat est consacré, une réussite, une source de richesses et non un handicap pour la France, les immigrés et leur pays d’origine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot.
Mme Dominique Gillot. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, depuis très longtemps les puissances du monde ont mesuré l’enjeu de la formation des élites des pays étrangers. La mondialisation est aujourd’hui un élément moteur de la mobilité étudiante et étend les logiques concurrentielles à l’université.
Les meilleures universités ont essaimé. Comme les précédents orateurs l’ont déjà évoqué, l’Amérique du Nord et l’Europe rivalisent désormais avec les pays émergents où rayonnent des établissements réputés pour l’excellence de leurs formations. Pour exister, les universités doivent attirer les meilleurs étudiants et les meilleurs chercheurs.
Au-delà de l’attractivité et de la compétitivité, l’enjeu est bien stratégique : l’enseignement supérieur contribue au soft power des États, à leur politique d’influence, à la diffusion de leur culture, de leur langue et de leurs valeurs à travers le monde.
Dans cette évolution du paysage universitaire mondial, la France a perpétué une longue tradition d’accueil des étudiants étrangers, et ce avec raison puisque notre enseignement supérieur a bénéficié des apports de brillants esprits venus d’ailleurs, sans oublier les prix Nobel ou médailles Fields d’origine étrangère dont la France s’enorgueillit.
Prenant conscience du risque d’érosion du rayonnement de nos universités dans un contexte de concurrence mondiale, le gouvernement Jospin a affirmé une nouvelle ambition pour notre pays. Entre 1998 et 2002, le nombre de visas étudiants est ainsi passé de 29 000 à 65 000. Le rapport de Patrick Weil sur la politique d’immigration a entraîné un travail de simplification des démarches administratives. La politique de bourses d’études, déjà généreuse, a été renforcée. Un Conseil national pour l’accueil des étudiants étrangers en France a été mis en place. Enfin, Claude Allègre et Hubert Védrine ont créé l’agence EduFrance pour promouvoir l’enseignement supérieur français à l’étranger.
Les gouvernements ultérieurs ont poursuivi cette action, jusqu’à la création d’un opérateur unique, Campus France, destiné à faire connaître les formations françaises à l’étranger et à gérer l’ensemble de la chaîne de l’accueil des étudiants, dont l’efficacité et la fiabilité restent à construire. Madame la ministre, je sais que vous en êtes convaincue.
Notre pays a donc mené, sur le long terme, une politique constante mais non moins entachée d’incohérences et de brutalités, nuisibles à sa lisibilité au-delà de nos frontières. Les dommages à l’attractivité de notre système universitaire sont évidents, tant celle-ci est autant déterminée par les conditions de vie et d’accueil que par la qualité de la formation et de la recherche.
Malgré des évolutions plutôt positives des échanges intellectuels et l’augmentation du nombre d’étudiants étrangers accueillis – environ 290 000 actuellement –, notre pays accuse un retard par rapport à ses concurrents directs : la France est désormais reléguée au cinquième rang mondial des pays d’accueil des étudiants étrangers, derrière l’Australie et l’Allemagne.
En la matière, le retard français a plusieurs causes.
Il s’explique par l’hésitation entre l’intérêt d’accueillir les meilleurs éléments et l’obsession du « risque migratoire », revenant à considérer l’étudiant étranger comme un clandestin potentiel.
À cela s’ajoute une autre ambiguïté : la volonté de tirer immédiatement parti des compétences des meilleurs au service de l’influence française et l’affirmation récurrente que l’étudiant étranger a vocation à rentrer dans son pays d’origine sitôt sa formation terminée.
Cette politique brouillonne s’est illustrée par la circulaire Guéant du 31 mai 2011, qui a considérablement abîmé l’image de la France.
M. Ronan Kerdraon. C’est peu de le dire !
Mme Dominique Gillot. Un décret du 6 septembre 2011, toujours en vigueur, a relevé à 615 euros mensuels le niveau de ressources exigibles pour l’admission au séjour en France, montant bien supérieur aux bourses des gouvernements français ou étrangers, et qui fait barrage à bien des vocations.
Sans tarder, le Gouvernement a abrogé cette circulaire inconséquente et injuste du 31 mai 2011 et l’a remplacée, le 31 mai 2012, par de nouvelles dispositions qui permettent de rétablir l’image de notre pays auprès des étudiants et chercheurs du monde entier. Malgré tout, il reste encore beaucoup à faire pour assurer la considération que l’on doit à ces étrangers qui deviennent, après leurs études, les meilleurs ambassadeurs de notre pays.
C’est ce qui m’a conduite à déposer, le 12 février dernier, une proposition de loi relative à l’attractivité universitaire de la France,…
M. Ronan Kerdraon. Excellente proposition de loi !
Mme Dominique Gillot. … dans le but de lever des obstacles qui nuisent au rayonnement international de nos universités. Je remercie Mme la ministre d’avoir salué ce texte.
Les difficultés liées aux démarches administratives restent l’obstacle majeur, totalement désastreux pour la France, comme Mme Khiari l’a souligné. Pour venir étudier en France, les étudiants étrangers, coupés de leur environnement culturel et social, doivent en effet s’engager dans un véritable parcours du combattant.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Dominique Gillot. Dans une enquête récente, 53 % d’entre eux dénoncent des processus administratifs kafkaïens. Le renouvellement des titres de séjour constitue notamment « un cauchemar annuel » à cause de démarches inutilement complexes et souvent vexatoires.
Cette situation est nuisible à la renommée de notre pays. « Je ne recommanderais pas à un ami non européen de venir passer son doctorat en France en raison des problèmes de visa », lit-on par exemple sous la plume d’un étudiant brésilien. À l’heure d’internet, un tel constat fait un mal considérable.
Malgré les récentes mesures de simplification mises en œuvre, les complications inutiles perdurent, y compris dans le cadre de mobilités encadrées. Je ne multiplierai pas les exemples à ce propos, car mon temps de parole est compté.
Des progrès importants restent à accomplir, et c’est avant tout dans les pays d’origine qu’il faut améliorer les dispositifs d’accueil, en limitant le nombre de demandes par candidat et en imposant un délai de réponse rapide de l’établissement, en identifiant dans tous les établissements un correspondant chargé du suivi « recrutement international » et en centralisant les dossiers dématérialisés à transmettre à un correspondant désigné de l’établissement.
S’agissant des conditions d’entrée et de séjour, je me réjouis de l’annonce d’un titre de séjour pluriannuel pour la durée des études. Le texte de ma proposition de loi prévoit la délivrance de ce titre pluriannuel après un an seulement de présence sur le territoire.
L’effectivité de l’inscription et le sérieux des études devraient être attestés chaque année afin d’en garantir le bon fonctionnement, l’absence de ces éléments entraînant l’annulation du titre de séjour. Une année supplémentaire devrait être accordée à l’étudiant étranger qui en aurait besoin pour compléter son cycle d’études, comme c’est le cas pour les étudiants boursiers.
De telles mesures soulageraient les étudiants des tracasseries qui les distraient de leurs études et ajoutent du stress à la nécessaire concentration sur ce qui doit être leur objectif final : le diplôme ! Elles simplifieraient aussi le travail des préfectures, qui gagneraient à dématérialiser certaines tâches ou à les déléguer aux universités, comme c’est déjà le cas avec les mairies pour la réalisation des passeports.
L’annonce de la création de guichets uniques sur les sites universitaires, où toute l’information sur les droits et devoirs des étudiants étrangers sera disponible, va assurément dans le bon sens.
Afin d’amplifier les échanges fructueux, j’ai inscrit dans ma proposition de loi un droit illimité au séjour pour tout étranger diplômé d’un doctorat obtenu en France, lui permettant de s’installer et de travailler, le cas échéant avec sa famille, autant que de besoin. Je me réjouis, madame la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, que vous souteniez cette idée.
Je suggère aussi de faciliter la liberté d’aller et venir hors du territoire national, y compris hors de l’espace Schengen, à tout étudiant ou chercheur ayant un titre de séjour, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Les aspirations des étudiants étrangers ne se limitent pas au suivi d’une formation ; une expérience professionnelle dans le pays d’obtention du diplôme est très recherchée. C’est pourquoi je propose d’assouplir les conditions d’insertion professionnelle des étrangers diplômés en France. Quel est en effet l’intérêt, pour les pays d’origine et pour la France, de renvoyer chez eux les étrangers dès la fin de leurs études et l’obtention de leur diplôme ? Ce n’est qu’après une mise à l’œuvre professionnelle que ces diplômés pourront, à leur retour chez eux ou ailleurs, déployer les compétences acquises en France.
Il n’est pas non plus très pertinent que d’autres pays bénéficient de la formation dans laquelle la France a investi : la délivrance automatique, en cas d’embauche, d’un titre de séjour « salarié » de trois ans, par exemple, paraît ainsi indispensable au retour sur investissement en augmentant les chances de maintenir ces talents au service de la France.
La situation administrative des jeunes chercheurs étrangers est indigne de notre pays et de ce qu’ils lui apportent. Il est urgent de résoudre les difficultés de recherche d’emploi et de changements de statut, en clarifiant le régime de la carte de séjour « scientifique-chercheur ». Tout comme le caractère pluriannuel des titres de séjour, les règles régissant ces changements de statut devront être clarifiées par la loi, le cadre législatif et réglementaire assurant une homogénéité de traitement selon le consulat ou la préfecture de rattachement.
La simplification des démarches administratives ne peut cependant résumer une politique d’immigration étudiante. Les choix stratégiques restent en discussion pour enclencher une véritable rupture avec la séquence antérieure. Il me semble que la stratégie de rayonnement et d’attractivité de la France pourrait se déployer selon trois axes.
Le premier concerne les pays en développement. En conciliant les intérêts de la France et ceux des pays d’origine, l’attraction de leurs étudiants ne conduit pas au pillage des cerveaux des pays les plus faibles. La formation des étudiants étrangers relève de l’aide au développement et nécessite l’identification de cibles prioritaires. Peut-on en effet considérer de la même façon étudiants chinois et étudiants togolais, alors que les enjeux sont différents ?
Ainsi, les bourses du gouvernement français pourraient être orientées vers les étudiants originaires des pays dont le système d’enseignement supérieur est encore peu développé ou servir à attirer des publics moteurs de développement, comme les jeunes femmes africaines, par exemple, qui sont très sous-représentées.
Le deuxième axe a trait aux pays émergents, dont les étudiants cherchent à se doter de compétences recherchées dans leurs pays et sont disposés à investir financièrement pour cela, le coût de la formation étant souvent un indicateur de sa qualité. Au-delà de la répétition des principes, il faudra donc examiner objectivement une modulation des droits d’inscription en fonction du pays de résidence des étudiants étrangers et du cadre des conventions bilatérales. Une telle politique pourra être compensée par un renforcement des bourses, corrélé à une meilleure qualité de l’accueil et des services proposés aux étudiants étrangers et, par extension, à l’ensemble de la communauté étudiante.
Cependant, face aux flux croissants d’étudiants étrangers à travers le monde, nos capacités d’accueil ne seront pas extensibles. Poursuivre notre politique d’influence et de rayonnement nécessitera donc d’accompagner les établissements d’enseignement supérieur pour développer des formations à l’étranger, en y implantant des campus délocalisés.
Le troisième axe consiste à attirer des profils scientifiques de très haut niveau. Il faudra les accueillir dans des conditions administratives et matérielles favorables afin de les retenir dans notre pays, en finançant substantiellement, par exemple, leurs études de troisième cycle et leur assurant un débouché à l’issue de leur doctorat.
Madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, les étudiants et chercheurs étrangers contribuent à la construction de nouveaux savoirs, à l’élévation du niveau de compétence de nos universités et de nos entreprises, à l’innovation et aux transferts technologiques utiles au redressement de la France.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Dominique Gillot. Partie intégrante de la jeunesse de France, ils permettent aux étudiants français d’apprendre l’ouverture à l’autre, la capacité à collaborer comme à échanger et participent à affermir nos relations diplomatiques, culturelles et commerciales. L’accueil des étudiants et chercheurs étrangers est donc bien un investissement d’avenir durable.
Si nous devons assurer respect et dignité à tous les étrangers qui viennent sur notre territoire, dans le cadre d’une politique d’immigration juste, exigeante et bienveillante, les étudiants étrangers doivent recevoir une considération particulière au sein de la masse globale des flux migratoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est toujours intéressant que le Parlement prenne le temps de débattre de sujets sensibles dans la société, comme l’est l’immigration.
On se souvient des très fortes mobilisations du monde associatif et de forces politiques de gauche contre des mesures prises par les précédents gouvernements, sous la houlette des ministres de l’intérieur – voire de l’intérieur et de l’immigration –, qui ont plongé des milliers de personnes étrangères dans des situations précaires et ont privé certaines d’entre elles de leurs droits. À ce titre, nous pensons avec de nombreuses associations, dont la CIMADE, qu’il serait peut-être temps de réformer en profondeur le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et de revoir l’ensemble des législations adoptées sous le règne de la droite, qui n’ont cessé de se durcir au fil des années.
On peut donc regretter que le débat qui nous occupe ce soir se limite aux migrants qualifiés et ne soit pas plus large. Or les migrants qualifiés – je parle des hommes comme des femmes – sont déjà très nombreux sur notre territoire et participent au développement économique de notre pays alors même que beaucoup d’entre eux n’ont pas de papiers. Je profite donc de ce débat pour me faire la porte-parole de toutes celles et de tous ceux qui demandent la régularisation de ces sans-papiers selon des critères justes. Sur ces deux questions, peut être pourriez-vous, monsieur le ministre, nous donner ce soir quelques éléments ?
Sur le sujet du débat qui nous occupe, je partirai du rapport du secrétariat général à l’immigration et à l’intégration publié il y a peu, qui précise que la France ne serait plus « un très grand pays d’immigration ». En d’autres termes, elle ne serait plus un pays attractif. Elle connaît en effet moins de flux migratoires que ses voisins européens : 110 000 entrées-sorties en France, contre 200 000 au Royaume-Uni et 400 000 en Espagne et en Italie. Le solde migratoire global apparaît donc modéré, du fait de la relative faiblesse des flux migratoires.
Si l’on compare les sondages d’opinion, les discours de Nicolas Sarkozy et ce rapport récent, on peut aisément conclure à un décalage important entre le sentiment répandu selon lequel il y aurait « trop d’étrangers sur notre territoire » et la réalité chiffrée. Reste que ce n’est pas selon moi le plus important : il faut dépasser les idées reçues et « sortir des fantasmes avec des données chiffrées », pour reprendre vos propres termes, monsieur le ministre. Mais encore faut-il passer aux actes !
Près d’un an après l’élection d’une majorité parlementaire et d’un Président de la République de gauche, où en est-on en matière de politique à l’égard des étrangers ? Certes, nous n’avons pas été abreuvés de promesses sur ce sujet durant la campagne électorale, les attentes n’étaient donc pas très élevées. Malgré cela, le bilan est en deçà de ce que l’on pouvait espérer. On ne perçoit pas réellement de changement en profondeur. En témoignent notamment vos affirmations concernant les régularisations. Elles indiquent clairement que vous n’entendez pas dépasser le chiffre maximum de 30 000 cartes de séjour délivrées par an.
Il est important de peser cet immobilisme gouvernemental. Il s’apparente à un renoncement à améliorer le sort des étrangers et refuse de fait l’ouverture d’une réflexion en vue de poser les bases d’une réforme en profondeur à moyen ou long terme. Ce débat est donc bienvenu ; nous espérons qu’il sera l’occasion de cette réflexion et non une simple façade sans conséquences concrètes.
Voyager et changer de pays sont des libertés individuelles dont jouissent tous les riches, partout dans le monde. Les mesures de limitation de l’immigration ne s’appliquent donc qu’aux pauvres. Certes, on ne peut nier la demande migratoire exercée aux frontières. Elle existe, en particulier au travers de la procédure de demande d’asile, mais ne peut aucunement être assimilée à une invasion, car elle correspond pour l’essentiel à un mouvement régulier en provenance de nos anciennes colonies d’Afrique et d’Asie, où les étudiants sont de plus en plus nombreux.
Cela n’a rien à voir avec les migrations massives que l’Allemagne a accueilli en provenance de l’ex-Union soviétique et de l’ex-Yougoslavie, ni avec les migrations de main-d’œuvre qui affluent vers les pays d’Europe méditerranéenne. L’immigration étudiante et professionnelle est un vrai sujet en soi, dont la droite pensait se débarrasser en prônant le concept d’immigration choisie.
En se limitant volontairement à l’immigration étudiante, ce débat s’attelle à une question spécifique de l’immigration mais ne permet pas de cerner le sujet en totalité dans l’ensemble de ses tenants et aboutissants. Mais puisqu’il faut s’y restreindre et se cantonner à la question de l’immigration étudiante et professionnelle, je tiens à soulever plusieurs points.
Le savoir est la propriété de l’humanité, et son partage se situe au cœur du mouvement d’émancipation des peuples. L’échange, que l’accueil d’étudiants permet, est source d’enrichissement pour les étudiants, et plus largement pour la France. En effet, les connaissances, les savoirs, plutôt que d’être dispersés en multitudes de propriétés nationales et individuelles, sont forgés collectivement dans le partage et dans la confrontation.
Ainsi, l’immigration est une chance fantastique pour le pays d’accueil. C’est la preuve qu’il fait encore rêver, qu’il peut séduire. On ne choisit pas un pays dans lequel on ne voudrait pas vivre. Il ne faut pas croire que les jeunes et les étudiants des pays d’émigration se dirigent n’importe où. Ils vont là où ils ont les meilleures chances de réussir, là où la société est la plus fluide et la plus attentive aux capacités de chacun.
La France que veulent construire ceux qui font de l’immigration le problème clé du XXIe siècle est une France tout juste capable de rêver de son passé, ce n’est pas la nôtre.
Nous assistons aujourd’hui à un double mouvement marqué, d’une part, par la privatisation des savoirs, qui sacrifie leur construction collective, et, d’autre part, par les mesures de restriction du séjour des étudiants étrangers sur le territoire.
Si le nombre d’étudiants admis au séjour en France n’a cessé de croître d’année en année depuis la fin des années 1990, les étudiants sont de plus en plus sélectionnés dès leur pays d’origine par le biais des centres d’études en France, qui conditionnent leur autorisation à venir étudier en France à leurs ressources financières : 7 680 euros sur l’année, soit un revenu de 620 euros par mois.
Plus les ressources de l’étudiant sont limitées, plus la liste des justificatifs à fournir à la préfecture s’allonge. Les étudiants étrangers, précaires, ne pouvant prétendre à aucune aide sociale, sont jetés « tout crus » dans la gueule du patronat, où ils s’épuiseront en heures de travail non déclarées, avant, malheureusement, de tomber sous le coup de l’expulsion.
Nous pourrions avoir l’illusion que la vie est bien plus rose du côté des programmes d’échanges européens. Mais il n’en est rien ! Le processus de Bologne n’a pas seulement conduit à une harmonisation des diplômes, il a également abouti à une harmonisation des exigences patronales à l’échelle européenne.
Aujourd’hui, le programme Erasmus tant vanté, en l’absence quasi totale de cadrage structurel et financier, permet à moins de 2 % des étudiants français de partir étudier à l’étranger. Il s’agit le plus souvent d’ailleurs d’étudiants favorisés par leurs ressources familiales. Il paraît donc important de remettre le savoir au cœur de la solidarité.
Le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration énumère douze leviers d’action pour rationaliser la politique sur cette question, mais on ne peut que déplorer l’absence, dans ce texte, de réflexion sur les immigrés travaillant illégalement. Le document du ministère de l’intérieur n’aborde pas ce sujet, alors même qu’un grand nombre de migrants viennent actuellement en Europe en se contentant de visas de tourisme.
Pour s’assurer que « l’investissement dans la formation d’étudiants étrangers rapporte à la France », puisque tel est le souci du Gouvernement, le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration suggère de s’interroger sur le nombre de redoublements autorisés ou sur le niveau des frais d’inscription. Or il ne nous semble pas que l’augmentation des frais d’inscription contribue à l’amélioration de l’accueil des étudiants étrangers.
Comme cela a été souligné, la France a décroché de la quatrième à la cinquième place des pays les plus accueillants. Pourtant, notre pays dispose de nombreux atouts sur la scène internationale, qu’il s’agisse de la qualité de sa formation et de ses diplômes ou du faible montant des frais d’inscription à l’université, un point sur lequel nous ne devons en aucun cas revenir, car cela constituerait un recul majeur.
Certes, nous devons faciliter les démarches administratives, mais nous devons aussi nous atteler à la mise en place d’une véritable politique de simplification des formalités administratives, qui favorisera l’attractivité de la France et essaiera de faciliter au mieux la vie des étudiants étrangers.
Tels sont, à nos yeux, les axes prioritaires de la politique qui doit être menée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a souhaité organiser au Parlement un débat préparatoire à une future loi relative à l’immigration. Par d’heureuses vicissitudes du calendrier parlementaire, ce débat a lieu en premier devant la Haute Assemblée. Nous sommes donc ravis d’avoir la primeur des annonces du Gouvernement.
Nous traitons ce soir de l’immigration légale et, plus encore, de l’immigration professionnelle et étudiante. On pourrait soutenir qu’il s’agit des immigrations qui suscitent le moins de passions, mais nous le vérifierons à l’issue du débat.
Il est en effet consensuel de veiller à la venue d’étudiants étrangers pour étudier dans nos universités et dans nos écoles. Reste encore à convenir des modalités, du contrôle et des flux. Sur ce point, il y a eu débat, un débat que vous nous invitez à dépasser, madame, monsieur les ministres, ce dont je me félicite.
Pour ce qui concerne l’immigration professionnelle, on peut l’aborder sous l’angle de l’évidence : nous ne devons pas empêcher une entreprise française de recruter un salarié étranger qualifié qui possède les compétences recherchées par cette entreprise pour développer son activité.
Mais ces deux sujets peuvent en eux-mêmes susciter des interrogations sur l’ensemble de la politique migratoire. Il faut donc les aborder avec prudence, et on ne peut le faire sans partir de la politique migratoire.
En organisant ce débat parlementaire, vous souhaitez traiter la question de l’immigration de façon apaisée. Dans ce contexte de crise économique et en ces temps troublés pour nos concitoyens, nous approuvons cette volonté de dépassionner le débat. Les questions d’immigration, du droit au séjour et de l’asile entraînent malheureusement trop souvent dans le débat public des affrontements idéologiques et démagogiques, qui peuvent empêcher d’aborder réellement ces sujets.
Sur cette question de l’immigration, il peut y avoir une grande variété d’approches. Par simplification, j’en retiendrai deux : une approche idéologique, non dénuée d’angélisme, qui voudrait que notre pays accueille tout étranger se présentant à ses frontières, et, à l’opposé, la fermeture totale de nos frontières, avec l’immigration zéro, qui ne peut être qu’un slogan.
Pour notre part, nous défendons une approche réaliste. Oui, la France se caractérise par une tradition humaniste d’accueil ! Mais cela ne veut pas dire que nous devons être favorables à l’entrée et au séjour irréguliers d’immigrés, ni à des régularisations massives. La lutte contre l’immigration clandestine est non seulement indispensable, mais aussi légitime. Si nous voulons que notre pays reste un pays d’intégration et conserve sa tradition d’accueil, il faut rester ferme dans la lutte contre l’immigration illégale.
Par ailleurs, il faut également s’interroger sur les conditions d’accueil que nous pouvons offrir et, je veux le dire posément, sur la constitution de ghettos qui, peu à peu, parfois presque inexorablement, se développent.
Ce non-dit, souvent commode, nous devons l’aborder avec franchise, car il conduit, à terme, à isoler les populations en difficulté et a pour effet de jouer contre la volonté d’intégration. Il faut vivre dans ces territoires pour le mesurer, cette situation est très mal vécue par nos concitoyens. Ce non-dit porte aussi en lui-même les risques d’une explosion sociale dans certains quartiers.
Il nous faut donc trouver un équilibre entre une politique migratoire respectueuse de la dignité humaine et le refus de tout angélisme en matière d’immigration clandestine. Comme vous aimez à le citer, monsieur le ministre, Michel Rocard avait rappelé que notre pays ne pouvait plus accueillir toute la misère du monde, même s’il devait y prendre toute sa part.
Nous devons aussi nous interroger sur une forme de territorialisation de fait de l’accueil des populations étrangères. Je le dis avec prudence et mesure, il faudra bien, un jour, se pencher sur les effets de la territorialisation de fait de l’accueil des étrangers. Aujourd'hui, ce sujet est éludé.
Monsieur le ministre, depuis votre arrivée place Beauvau, votre politique en matière d’immigration se veut réaliste et responsable et, dites-vous, sans naïveté et ferme. Ce discours et cette politique peuvent recevoir notre assentiment, mais nous jugerons bien sûr aux actes. Il est vrai que vous faites preuve de fermeté en démantelant les camps illicites de Roms notamment. Cette fermeté, nous l’approuvons, mais nous savons aussi que vous faites preuve de beaucoup d’humanisme.
Dans mon département de la Seine-Saint-Denis, nous avons compté plus d’une centaine de camps en lisière des habitations, où vivaient près de 8 000 personnes. Outre la misère de ces populations, que nous reconnaissons, bien sûr – comment pourrait-il en être autrement ? –, nous constatons bien souvent de multiples trafics et un développement d’une forme de délinquance de proximité. Ces situations ne sont pas tolérables, et je salue votre lucidité.
Mon groupe soutient votre approche réaliste et conforme au droit. J’ai cru entendre qu’elle était fortement critiquée par une partie de votre majorité...
Cette approche réaliste se traduit par plusieurs principes affichés. Vous avez ainsi affirmé qu’il n’y aurait pas de régularisations massives comme celles qui ont été opérées par les gouvernements de gauche en 1981 et en 1997. C’est heureux, car la situation économique et sociale nous l’interdit. Il ne saurait être question de procéder ainsi aujourd’hui.
Vous vous êtes également engagé – c’est important pour nous – à ne pas régulariser plus d’immigrés que lors du précédent quinquennat. La régularisation d’un immigré clandestin par l’administration doit en effet rester une exception. Ces régularisations se feront, dites-vous, sur la base de critères définis, clairs et objectifs prenant en compte notamment la réalité de l’intégration à la société française. Nous sommes tous pour des critères clairs et transparents, mais encore faut-il les définir. Nous savons aussi que cela n’évitera pas l’examen des situations individuelles, au cas par cas, dans les préfectures.
Enfin, il faut poursuivre la lutte contre l’immigration clandestine, en menant un combat déterminé contre les filières d’immigration clandestine qui exploitent la misère humaine et en tirent profit.
Ces préalables étant posés, venons-en à l’immigration professionnelle et étudiante.
Certes, la nécessaire maîtrise des flux migratoires ne doit se faire au détriment ni de l’attractivité de l’enseignement supérieur ni des besoins de nos entreprises en compétences spécifiques de haut niveau. Toutefois, nous savons que ce sujet est particulièrement sensible en période de crise économique. D’ailleurs, l’immigration professionnelle ne se limite pas aux compétences de haut niveau.
Je tiens à le dire en préambule, compte tenu de la situation actuelle du marché de l’emploi et du niveau de chômage dans notre pays, il serait dangereux de modifier l’équilibre général de la réglementation actuelle en matière d’autorisation du travail. La protection du marché du travail impose en effet de conserver une procédure administrative claire et opposable.
Il faut l’affirmer clairement, le régime d’autorisation du travail existant doit être maintenu, car il permet de réguler efficacement l’entrée de salariés étrangers pour occuper des emplois dans des secteurs qui ne sont pas en tension.
N’oublions pas que des étrangers présents au titre de l’immigration familiale ou de l’immigration étudiante occupent des emplois sans passer par la procédure de l’autorisation de travail. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas simplifier les procédures lorsqu’elles sont trop complexes, pour permettre aux employeurs de recruter des travailleurs étrangers qualifiés répondant aux profils des postes recherchés ou pour remplir des missions spécifiques et temporaires. C’est une demande légitime des entreprises, notamment celles qui sont ouvertes à l’international et qui éprouvent des difficultés à recruter des salariés étrangers, alors que seuls ces salariés permettent de conquérir des marchés, notamment dans leur pays d’origine. Le document préparatoire suggère d’ailleurs, avec beaucoup de précautions, de promouvoir, dans le cadre de l’immigration professionnelle, une politique d’attractivité favorisant l’immigration de travailleurs hautement qualifiés, une sorte « d’immigration choisie » qui ne dirait pas son nom en quelque sorte.
De même, dans une perspective d’attractivité du territoire, on peut réfléchir à simplifier et à faciliter les procédures pour les secteurs d’activité et les emplois pour lesquels notre pays connaît une pénurie de main-d’œuvre. C’est une nécessité pour notre économie et pour nos entreprises qui recherchent, par exemple, des informaticiens ou des techniciens supérieurs. Nous ne pouvons nier cette réalité, qui existe déjà dans des secteurs en tension où les entreprises sont exonérées de la procédure d’autorisation de travail pour recruter plus facilement.
Le document préparatoire à ce débat nous invite à anticiper les pénuries de main-d’œuvre et de compétences qui se feront jour à l’avenir dans certains secteurs professionnels.
Une vision prospective du marché du travail serait sans doute un élément utile, mais veillons à ne pas ouvrir les vannes. L’immigration professionnelle doit rester principalement un moyen de répondre aux difficultés structurelles du marché du travail et, sous certaines conditions strictes, aux réalités conjoncturelles. Revoir régulièrement la liste des métiers ouverts aux étrangers sans opposition de la situation économique pour tenir compte des évolutions du marché du travail peut être une voie à explorer.
Vous nous invitez à réfléchir à des adaptations de la législation pour faciliter l’immigration de salariés étrangers qualifiés. Cela nécessite d’abord une plus grande efficacité et une plus grande fermeté dans la lutte contre le travail illégal et les fraudes. C’est l’une des conditions de l’acceptabilité de l’assouplissement des règles existantes en matière d’immigration professionnelle. Cela pose aussi la question des conditions d’accueil que nous pouvons offrir aux personnes immigrantes pour motifs professionnels.
Abordons maintenant l’immigration étudiante, qui fait l’objet d’un large accord parmi nous. En ce domaine, des mesures ont été récemment annoncées par le Gouvernement. J’y vois là une relation de cause à effet, ces sujets étant plus consensuels.
L’internationalisation des études est un phénomène établi aujourd’hui. Les pays émergents fondent de plus en plus leur développement sur l’élévation de leur niveau de qualification. L’accueil des étudiants étrangers est aujourd’hui un instrument d’influence majeur. Il existe d’ailleurs une concurrence entre les pays développés pour attirer les meilleurs étudiants, en développant des stratégies de recrutement, notamment des étudiants en master et en doctorat, issus des pays cibles, principalement les pays émergents, les BRICS, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Bien entendu, il faut veiller à ce que cela ne s’apparente pas à une fuite des cerveaux des pays en développement.
Tout le monde admet qu’il faut mener une politique ambitieuse pour attirer les meilleurs étudiants, en privilégiant les niveaux master et doctorat et en favorisant les mobilités au travers d’accords entre les établissements d’enseignement supérieur.
Avec près de 290 000 étudiants étrangers dans ses universités et ses grandes écoles, principalement d’ailleurs à un niveau master et doctorat, la France occupe une place honorable, même si elle a perdu du terrain au cours de ces dernières années. Ce serait une erreur pour notre pays de se tenir à l’écart des échanges internationaux d’étudiants, car cela fait partie de la politique d’attractivité d’un pays.
Je pense que cette question fait consensus entre nous : l’accueil des étudiants étrangers bénéficie non seulement au rayonnement de notre culture, mais aussi à la compétitivité de nos entreprises.
Le document préparatoire pointe un certain nombre de questions, notamment les freins posés à l’accueil des étudiants étrangers dans notre pays, malgré le rôle utile joué par Campus France, alors que nous sommes en concurrence avec nos voisins.
Vous avez fait conjointement des annonces la semaine dernière pour renforcer l’attractivité de notre pays, en proposant d’améliorer les conditions d’accueil des étudiants étrangers, notamment en matière de logement, de guichet unique et de formalités administratives. En revanche, reste encore à traiter, semble-t-il, la question des frais de scolarité.
La principale mesure que vous proposez est un titre de séjour pluriannuel, afin d’éviter les complications inutiles et l’accueil déplorable des étudiants étrangers dans les préfectures. Ces annonces ne nous posent pas de difficultés, et elles sont attendues, nous le savons, par la communauté universitaire. Certes ces mesures sont utiles, mais il faut veiller à faire en sorte que l’administration puisse continuer à contrôler la réalité et le sérieux des études entreprises.
Vous le voyez, madame, monsieur les ministres, en matière d’immigration, nous sommes réalistes : nous sommes prêts à discuter des modalités de simplification et d’assouplissement des procédures dans les champs de l’immigration professionnelle et étudiante si, en parallèle, vous poursuivez votre politique de maîtrise des flux migratoires et si vous faites preuve de fermeté dans la lutte contre l’immigration illégale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – Mme Bariza Khiari applaudit également.)