M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est essentiel de débattre de manière apaisée de l’immigration, d’évacuer les fantasmes et d’analyser les réalités auxquelles nous devons faire face. C’était un engagement du Président de la République, que nous commençons aujourd'hui à mettre en œuvre.
Des étudiants étrangers dans nos universités ? Les années étudiantes étant souvent parmi les plus marquantes de la vie, c’est une chance pour notre pays d’accueillir des jeunes à ce moment-là de leur existence. Si l’accueil et le cursus de ces étudiants se déroulent dans de bonnes conditions, ceux-ci iront ensuite exercer leur talent dans le monde et seront, pour la vie, des ambassadeurs de notre pays.
Une immigration professionnelle en adéquation avec les besoins du marché du travail ? C’est une nécessité pour nos entreprises. Si celles-ci ne trouvent pas les compétences dont elles ont besoin en France, elles y répondront en délocalisant, en passant des commandes de biens ou de services hors du pays, ce qui affaiblira notre situation économique. Nous perdrons des talents ainsi que des capacités d’innovation, de création et de développement.
Les grands pays d’immigration, ce que n’est plus la France, savent combien leur dynamisme, leur image et leur influence dépendent de leur ouverture à ces deux types d’immigration.
Par ailleurs, sait-on, par exemple, que moins de la moitié des personnes entrées en 2007 sur notre territoire pour raisons professionnelles y séjournent encore aujourd’hui ?
Une approche humaniste de l’immigration, respectant le droit à la vie en famille, oblige à établir un lien entre, d’une part, l’immigration étudiante et professionnelle et, d’autre part, l’immigration familiale qui peut en découler.
L’idée d’une immigration professionnelle choisie s’opposant à une immigration familiale subie est une caricature de la réalité : lesdits « choisis » sont aussi autorisés à venir avec leur famille et lesdits « subis » sont souvent aussi autorisés à travailler. C’est ainsi que peut s’engager un parcours d’intégration !
S’agissant de l’immigration étudiante, la France est en recul puisqu’elle est récemment passée de la quatrième à la cinquième place parmi les pays qui accueillent des étudiants étrangers.
De nombreux pays qui, traditionnellement, incitaient leurs jeunes à aller étudier en France se tournent aujourd’hui vers d’autres pays. La circulaire Guéant a eu une incidence réelle sur notre attractivité ; remonter la pente ne sera pas facile, car notre réputation est maintenant largement entamée en ce qui concerne notre volonté d’accompagner nos étudiants jusqu’au début de leur vie active et notre capacité à le faire. D’ailleurs, ce constat, loin de concerner seulement le séjour des étudiants étrangers, est un enjeu majeur pour l’ensemble de notre enseignement supérieur.
La simplification des démarches administratives d’arrivée et de séjour en France ne suffira pas à renforcer notre attractivité, qui dépend aussi de deux autres facteurs.
D’une part, elle est liée à la réputation de notre enseignement supérieur, qui ne pourra pas durablement être déconnectée de l’état de notre économie ; c’est sans doute la question la plus importante, bien qu’elle ne soit pas au cœur du débat de ce soir. À cet égard, il convient de souligner qu’accueillir les meilleurs talents du monde participerait à notre redressement.
D’autre part, notre attractivité dépend de notre outil de promotion de l’enseignement supérieur français à l’étranger : je veux parler de Campus France, qui connaît des dysfonctionnements. Cet organisme reçoit, dans les différents pays, les dossiers des étudiants étrangers désireux de poursuivre leurs études en France. Présenté comme un espace de conseil, il est d’abord et avant tout un espace payant de présélection des demandes de visa étudiant, suivant une procédure longue, opaque et coûteuse.
Initialement, Campus France devait jouer le rôle de guichet unique pour l’accès au visa en aidant à la décision des consulats, des universités et des étudiants. En réalité, Campus France émet un avis sur le dossier de l’étudiant au même titre que l’établissement d’accueil potentiel. Ensuite, indépendamment de l’avis dit pédagogique, le consulat décide si l’étudiant a droit ou non à un visa. Les divergences entre Campus France et les consulats sont souvent incompréhensibles et soulèvent la question du rôle effectif de cet organisme.
M. Jean-Pierre Chevènement. Très bien !
M. Jean-Yves Leconte. C’est ainsi qu’à Bamako, sur 2 000 demandes enregistrées pour l’année 2011-2012, 1 892 avis ont été rendus par Campus France et 527 dossiers instruits avec un avis favorable, mais seulement 213 visas ont été effectivement accordés. Cet exemple malien n’est pas une exception ; M. Chevènement a signalé la situation russe, qui est également scandaleuse. Mes chers collègues, pensez-vous qu’avec de tels chiffres et les coûts importants que les procédures occasionnent pour l’ensemble des demandeurs, les candidats aux études en France ne vont pas progressivement aller chercher ailleurs ?
Mme Dominique Gillot. C’est évident !
M. Jean-Yves Leconte. Sans compter que les espaces de Campus France sont parfois instrumentalisés pour améliorer artificiellement l’autofinancement des Instituts français, à l’intérieur desquels ils sont souvent hébergés.
Plutôt que d’être l’antichambre, pas toujours efficace, des consulats, Campus France doit réorienter son rôle vers l’information et l’orientation des étudiants, dans le respect de l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur et de leur processus de sélection. À cet égard, madame la ministre, je me demande pourquoi cet établissement n’est pas placé sous l’égide de votre ministère.
Depuis quelques années, la priorité est donnée à l’accueil des étudiants de second cycle. Est-ce pertinent ? Avec ce système, les étudiants issus d’un pays où l’enseignement supérieur est déficient présentent des carences à leur arrivée en France, ce qui pourrait être évité si nous les accueillions plus tôt. Par ailleurs, avant la fin du premier cycle, certains étudiants se sont déjà orientés définitivement vers d’autres pays.
Certes, l’argument tiré de l’hétérogénéité de niveau des étudiants à leur entrée à l’université est fondé pour certains pays. Reste que nous pourrions profiter de notre réseau d’écoles françaises à l’étranger pour offrir des cours, non seulement aux élèves qui y sont scolarisés, mais aussi à des candidats étudiants, qui seraient ainsi mis à niveau avant leur départ en France. Nous sommes le seul pays au monde à posséder un tel réseau : pourquoi ne pas tirer parti de cet atout ?
Mes chers collègues, nous devons bien mesurer que l’action que nous mènerons au cours des prochaines années dans ce domaine marquera profondément l’avenir de la francophonie et la place de la France en Afrique.
Le prochain boom démographique est en Afrique, continent partiellement francophone et dont plusieurs pays tirent aujourd’hui la croissance mondiale. Dans ces conditions, c’est à la fois notre devoir et notre intérêt culturel, économique et politique d’aider les autres pays africains à accrocher le train de la croissance ; or ce soutien passe d’abord par l’éducation. Aussi, ne faisons pas la fine bouche devant l’appétence pour l’enseignement en France qui se manifeste dans ces pays. Sachons y répondre avant que les étudiants africains ne s’orientent vers les universités d’Asie, qui, elles, ont parfaitement compris l’enjeu.
N’oublions pas que l’image d’un système d’enseignement supérieur forme un tout et que, de ce point de vue, il y a aussi des actions à mener à l’étranger. C’est ainsi que nous devons veiller à l’image et à la pérennité des universités françaises à l’étranger ; ce n’est pas gagné d’avance dans un certain nombre de pays. Nous devons aussi faire un effort pour développer une offre de formation professionnelle à l’étranger. Nous avons des compétences et, d’autre part, des entreprises formulent des demandes qui sont pertinentes au regard des besoins économiques et de leur capacité d’emploi. Il est donc très clair que nous avons un défi à relever dans ce domaine.
La généralisation du titre de séjour pluriannuel serait une excellente nouvelle. Cette disposition est comprise dans la proposition de loi de ma collègue Dominique Gillot relative à l’attractivité universitaire de la France : il s’agit de poser pour principe que le titre pluriannuel est la règle générale et le titre provisoire l’exception, ce qui simplifiera la vie des étrangers en France et allégera la charge pesant sur les préfectures.
Pourquoi aussi ne pas envisager les guichets uniques dont plusieurs orateurs ont déjà parlé pour l’ensemble des formalités administratives sur les campus, quitte à externaliser certaines opérations comme cela se fait dans les consulats pour les demandes de visa ?
Une fois qu’ils sont diplômés, l’accès au travail est, pour les anciens étudiants étrangers, le couronnement logique de leurs études. Nous ne pouvons ni nous en désintéresser ni l’entraver par des complications administratives. À cet égard, les premières mesures annoncées vont dans le bon sens. Je pense notamment à l’allongement de six mois à un an de l’autorisation provisoire de séjour entre l’acquisition du diplôme et le premier contrat de travail. Tous les nouveaux diplômés, quelle que soit leur nationalité, doivent pouvoir en bénéficier.
Les anciens étudiants doivent également pouvoir accéder à un CDI. On ne peut pas vouloir lutter contre le recours abusif aux CDD en général et contraindre les entreprises à n’offrir que ce type de contrat à certains étrangers.
Enfin, il faut mentionner la non-opposabilité de la situation de l’emploi pour les anciens étudiants étrangers diplômés en France. La suppression de la mention du retour au pays d’origine dans les dispositions réglementaires du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est une nécessité. Demander à ceux qui ont terminé leurs études et qui sont prêts à rejoindre le monde du travail de rentrer dans leur pays d’origine est un non-sens ; c’est seulement un prétexte pour se débarrasser d’eux. Au nom de quoi, parce qu’ils sont souvent des étudiants du Sud, devrait-on leur imposer leur destination ? D’ailleurs, si la France ne veut plus d’eux, ils pourront toujours aller ailleurs : en Allemagne, en Australie, aux États-Unis ou au Canada.
À propos du débat sur les frais de scolarité pour les étudiants étrangers, il faut se rendre à cette évidence : accompagner la forte croissance annoncée du nombre d’étudiants faisant leurs études hors de leur pays d’origine est une nécessité pour tenir notre rang. Pouvons-nous y parvenir avec l’actuel modèle économique de notre enseignement supérieur ? Ce serait audacieux de le prétendre dans une période aussi contrainte sur le plan budgétaire. (Mme Bariza Khiari acquiesce.) Face à des concurrents qui ont pour tradition de faire payer le prix de la scolarité, la France doit offrir une qualité d’enseignement maximale dans ses domaines de compétence, sans que le poids en soit supporté par les contribuables français.
Améliorer la qualité de l’offre et assurer l’autofinancement des formations proposées aux étudiants extracommunautaires doivent être des objectifs affichés. Toutefois, disons-le clairement, dans un pays inspiré par les valeurs universalistes, il m’apparaît difficile d’envisager des tarifs différenciés en fonction des nationalités, mise à part la séparation, juridiquement acceptable, entre les ressortissants de l’Union européenne et les autres. Dans ce cadre, il faut que les étudiants non européens aient droit à des bourses spécifiques pour faire face aux nouvelles exigences.
Permettez-moi d’aborder, pour conclure, certains aspects du débat sur l’immigration professionnelle. Je commencerai par formuler deux remarques incidentes.
D’une part, la circulaire du 28 novembre 2012 a permis la régularisation de salariés jusque-là non déclarés selon des critères très précis. Comment concilier sans hypocrisie cette possibilité avec l’obligation de lutter contre le travail illégal ?
D’autre part, en raison de la liberté de prestation de services et de la directive relative au détachement de travailleurs, les marchés du travail dans l’Union européenne ne sont pas indépendants les uns des autres, de sorte que, si nous ne nous ouvrons pas suffisamment aux compétences dont nous avons besoin, nous subirons des délocalisations ou des prestations de services extérieures réalisées en dehors de notre droit du travail.
J’en viens à l’analyse du marché de l’emploi, pour me demander s’il est logique, dans le contexte contraint que nous connaissons aujourd’hui en matière d’emploi public, de concentrer des moyens importants pour le suivi de procédures qui entraînent des délais pour délivrer des autorisations de travail. Ne vaudrait-il pas mieux s’orienter vers des principes plus simples ? Ne serait-il pas préférable de fonctionner sur la base de la confiance puis du contrôle sélectif sur le terrain, plutôt que par une procédure complexe et peu transparente qui nécessite d’importants moyens dans les bureaux au détriment de la présence sur le terrain ?
Enfin, nous devons aussi nous interroger sur l’Office français de l’immigration et de l’intégration, sur la pertinence des taxes affectées qui le financent à 84 % et sur ses actions.
Nous nous étions félicités d’avoir pu baisser, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2013, le montant des taxes dues par les plus démunis et par les étudiants. Je m’interroge sur la proposition, avancée dans le document de cadrage, de moduler la taxe OFII afin de favoriser des formes déterminées d’immigration, notamment par la suppression du plafond de 2,5 SMIC pour les hauts niveaux de rémunération. En effet, cette mesure risque de discriminer les profils les plus qualifiés dans l’accès à un emploi. Pourquoi taxer l’employeur qui recrute la personne dont il a besoin lorsqu’elle est étrangère, alors que c’est justement cet emploi qui dynamisera notre économie et financera notre système social ?
Telles sont, monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, les observations que je souhaitais présenter au sujet de l’immigration étudiante et professionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Kerdraon.
M. Ronan Kerdraon. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, j’ai entendu avec un grand plaisir les propos de Mme Fioraso et de M Valls sur l’immigration étudiante. Ils tranchent singulièrement avec ceux de leurs prédécesseurs !
La mondialisation des économies et la valorisation du rôle de l’enseignement supérieur dans la croissance font de la mobilité internationale des étudiants un enjeu politique majeur. Les pays occidentaux ont toujours cherché à attirer les étudiants étrangers pour accroître leur influence économique et politique, ainsi que leur rayonnement scientifique et culturel.
Depuis la fin des années 1990, le nombre d’étudiants étrangers dans l’enseignement supérieur français a fortement augmenté ; les étrangers représentent désormais plus d’un étudiant sur dix. En 2011, plus de 289 000 étudiants étrangers se sont inscrits dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur français, soit une augmentation de plus de 77 % depuis 1998.
Les principales raisons pour lesquelles la France est choisie par les étudiants sont la qualité de la formation, pour 45 % d’entre eux, la connaissance de la langue française, pour 37 %, et l’intérêt culturel, pour 31 %. La France est perçue comme un pays ayant un grand rayonnement culturel et artistique par 90 % d’entre eux ; en outre, 87 % considèrent qu’elle a un grand rayonnement intellectuel et scientifique et qu’elle est riche d’une histoire prestigieuse.
Les étudiants étrangers se répartissent en trois grandes catégories : ceux qui relèvent de la coopération internationale de l’État ; ceux qui relèvent de la coopération internationale des universités, qu’ils soient en mobilité dans le cadre du programme Erasmus ou de conventions conclues entre universités ; enfin, les étudiants à titre individuel.
Dans la plupart des cas, à l’exception de quelques établissements qui font des efforts remarquables, les étudiants, pardonnez-moi l’expression, débarquent seuls. Pour certains, la première arrivée en France et dans une université française constitue réellement une entrée dans un autre monde, un véritable choc de cultures. Songez qu’il faut à ces étudiants trouver leur université et leur département, comprendre comment s’inscrire administrativement et pédagogiquement, choisir leurs cours en fonction de leur cursus et prendre connaissance des lieux incontournables de l’université, comme le bureau des étudiants étrangers. Parallèlement, il leur faut trouver un logement, l’équiper, régler leur situation de séjour, ouvrir un compte bancaire et d’autres choses encore. Nous sommes au cœur de la problématique des rites de passage, qui va conditionner irrémédiablement le dépassement de cette étape initiatique après cette phase d’étrangeté.
De ce point de vue, le travail salarié joue aussi un rôle important. Les postes occupés par ces étudiants n’ont généralement aucun lien avec leurs études. Parmi les étudiants étrangers interrogés par l’Observatoire de la vie étudiante, 80 % ont déclaré souffrir de difficultés financières relativement importantes ou très importantes. Plusieurs enquêtes relèvent ces problèmes notables chez les étudiants étrangers, ainsi que leurs conséquences négatives sur le parcours universitaire.
Ces étudiants se plaignent aussi des trop mauvaises conditions d’accueil dans les universités françaises, où rien n’est prévu pour faciliter leur adaptation et où les professeurs, souvent les seuls interlocuteurs visibles, se montrent en général peu disponibles à leur égard.
Permettez-moi de vous décrire, par ordre de fréquence, les difficultés que rencontrent les étudiants étrangers. Il y a d’abord les difficultés liées aux démarches administratives, notamment à la préfecture de police. Viennent ensuite celles liées au logement, même si elles ne sont pas propres aux étudiants étrangers : manque de places dans les cités universitaires, niveau trop élevé des loyers, inconfort général des logements, mais aussi refus discriminatoires opposés aux étudiants étrangers candidats à des locations dans le privé.
Les autres difficultés sont liées aux informations sur les aides financières publiques, aux informations de type universitaire lors des inscriptions et aux informations sur la vie pratique en France.
Mes chers collègues, il est regrettable qu’un étudiant étranger ne puisse pas, au moment où il met en règle ses divers documents d’autorisation de séjour, entreprendre dans un dossier quasi parallèle ses démarches auprès de la préfecture et de l’Office des migrations internationales, puisque les documents demandés sont bien souvent identiques. Ainsi, les services universitaires ne sont pas les seuls à présenter un déficit d’information : les préfectures de police et les organismes d’aide au logement, notamment, semblent également fournir aux nouveaux arrivants des renseignements encore trop confus, parcellaires et offrant donc trop peu de garanties.
Nous devons être bien conscients des véritables difficultés que les étudiants étrangers non francophones, ou théoriquement francophones, rencontrent pour s’orienter dans les labyrinthes de notre administration. Je songe au témoignage d’un jeune étudiant étranger sur ses difficultés lors de son arrivée en France. Il souligne ce paradoxe : l’administration ne veut pas inscrire certains étudiants parce qu’ils n’ont pas la carte de séjour, alors qu’à la préfecture on leur demande d’abord leur inscription ! De même, il explique que, pour ouvrir un compte, la banque demande un titre de séjour, alors qu’il faut un compte bancaire pour avoir le titre de séjour…
Si la situation et les problèmes des étudiants étrangers sont maintenant très bien documentés, comme en témoigne le nombre de rapports qui ont été publiés récemment sur ces sujets, il reste au Gouvernement à prendre des mesures concrètes pour améliorer la situation. Vous avez d’ailleurs annoncé des mesures en ce sens, monsieur le ministre.
Dans leur ensemble, les associations d’étudiants étrangers militent pour un regroupement, une centralisation et une simplification des procédures, ainsi que pour un traitement à part de leur dossier. Elles réclament notamment la création d’un guichet unique.
Faciliter l’accès à l’enseignement supérieur tout en offrant une intégration plus efficace nécessite non seulement une réflexion sur le plan pédagogique, mais aussi l’élaboration d’une politique générale de développement de la dimension internationale de l’enseignement supérieur. Dans cette course à l’excellence, la France doit se donner les moyens de ses ambitions. Néanmoins, d’un point de vue général, il faut souligner que près de 80 % des étudiants étrangers sont satisfaits de leurs études universitaires en France.
Concernant les critères de délivrance d’un titre de séjour à un étudiant étranger, ceux-ci reposent sur la combinaison de son cursus pédagogique et de ses ressources financières. N’oublions pas, mes chers collègues, la très controversée circulaire Guéant en date du 31 mai 2011, qui restreignait la possibilité pour les étudiants étrangers diplômés de travailler en France. Abrogée le jeudi 31 mai 2012 par le Gouvernement, elle a été remplacée par un nouveau texte. Je salue cette initiative. Cette circulaire avait un impact extrêmement préjudiciable et portait atteinte à notre image dans le monde.
Améliorer l’accueil des étudiants étrangers passe, à mon sens, par des autorisations accordées de plein droit, et non plus au cas par cas, au gré des préfectures. Ainsi, des visas et des titres de séjour seraient remis aux étudiants en fonction de la durée de leurs études. Cela leur permettrait, en outre, de prolonger d’une année après l’obtention de leur diplôme leur séjour en France, pour y vivre leur première expérience professionnelle.
Ces mesures sont les bienvenues. Elles referment, je le souhaite ardemment, le chapitre de la politique menée par l’ancien gouvernement.
Je tiens à rappeler l’excellente initiative de Dominique Gillot, qui a déposé, le 12 février 2013, une proposition de loi visant à améliorer l’accueil des étudiants étrangers en France. Cette proposition de loi répond à une revendication forte des associations étudiantes concernant le dispositif des autorisations provisoires de séjour, les APS, notamment, qui était parfois vu comme un piège par les étudiants.
Les syndicats étudiants font d’autres propositions. Ils sollicitent la redéfinition du rôle de chaque organisme dans l’accueil des étudiants étrangers. Jean-Yves Leconte l’a souligné, d’ailleurs, à propos de Campus France.
Ils suggèrent aussi le retrait du décret du 6 septembre 2011 relatif aux conditions de ressources. Un étudiant étranger doit se prévaloir de plus de 7 000 euros de ressources annuelles, ce qui constitue mesure intenable socialement.
Ils demandent enfin l’ouverture du système d’aide sociale aux étudiants étrangers.
On le voit, l’accueil des étrangers en France doit représenter nos valeurs et témoigner de l’intérêt que nous portons à nos voisins, afin de nous permettre d’enrichir notre économie, notre culture et nos connaissances. Le Président de la République s’est engagé à continuer à accueillir 60 000 étudiants étrangers par an. Aussi devons-nous relever le défi et offrir à ces étudiants un accueil de qualité, à la hauteur de leurs attentes, eux qui viennent chercher dans notre pays l’excellence de nos universités. Je sais, madame, monsieur les ministres, que telle est votre ambition. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Geneviève Fioraso, ministre. Je tiens à remercier le groupe politique qui a pris l’initiative de la tenue de ce débat, qui en appellera certainement d’autres.
Je tiens également à tous vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, du climat serein dans lequel se sont déroulées nos discussions. En cette période, cela fait du bien à la démocratie, surtout que ce sujet a pu parfois être plus conflictuel. Malgré l’heure tardive, nous sommes donc heureux, Manuel Valls et moi, d’y avoir participé.
Un grand esprit de convergence nous a animés sur la question de l’amélioration des conditions d’accueil et de vie des étudiants étrangers. En effet, ces dernières font partie des conditions de la réussite de ces étudiants et peuvent contribuer à la rendre plus difficile.
J’ai rappelé l’engagement du Gouvernement en faveur du logement, qui bénéficiera également aux étudiants et aux chercheurs étrangers. J’ai déjà donné les chiffres et les indications sur les moyens que nous nous donnons pour y parvenir, je n’y reviendrai donc pas. Sachez toutefois que, avec Cécile Duflot, nous travaillons plus particulièrement sur la question des cautions. Celles-ci répondront à des critères de droit commun qui s’appliqueront également aux étudiants et aux chercheurs étrangers. C’est un sujet très important. Très souvent, en effet, l’absence de caution bloque l’accès à un logement.
Par ailleurs, je voudrais vous convaincre que le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche œuvre en faveur de la francophonie. C’est dans cet état d’esprit que nous voulons développer les échanges avec l’Afrique, plus particulièrement avec l’Afrique subsaharienne. Vous le savez, cette zone est aujourd’hui très convoitée par les pays asiatiques, notamment par les universités chinoises. Il s’agit d’un espace que nous avons peut-être un peu négligé. Pourtant, c’est l’un des leviers de notre développement et, plus largement, je suis convaincue que l’Afrique est l’un des leviers de la croissance de l’Europe.
Nous avons développé des relations avec le Maghreb, en particulier le Maroc, et le Sénégal, qui sont des lieux de passage et d’échange entre la France, l’Europe et l’Afrique subsaharienne. Nous avons notamment mis sur pied une coopération qui comprend deux volets : l’accueil d’étudiants, d’une part, les étudiants africains et maghrébins constituant environ 50 % des étudiants accueillis par la France, et, d’autre part, l’établissement de formations dans au Maroc et au Sénégal, qui désirent eux aussi accueillir des préparations ouvertes sur l’Afrique subsaharienne. Nous comptons sur ces coopérations très fortes pour conforter des liens précieux, voire indispensables avec l’Afrique.
Monsieur Chevènement, je vous remercie d’avoir insisté sur la deuxième lettre de l’acronyme BRICS. Nous avons, c’est vrai, des affinités linguistiques avec la Russie, pays dont beaucoup d’habitants connaissent notre langue. C’est d’ailleurs un fait historique : Saint-Pétersbourg était une ville où l’on parlait français.
La culture industrielle, scientifique et technologique est très importante dans ce pays, et le niveau des étudiants dans ces matières est très élevé. Ces métiers, qui requièrent un haut niveau de qualification, sont en tension dans notre pays. Nous avons donc besoin d’accueillir davantage d’étudiants et de chercheurs russes. Je sais que vous vous y employez dans le cadre de votre mission spécifique visant à favoriser les échanges avec la Russie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la défense de la francophonie n’est pas incompatible avec le constat que nous devons tirer de la faiblesse de notre accueil des étudiants des pays émergents, comme la Corée, l’Inde ou le Brésil. Lorsque nous allons dans ces pays, les scientifiques, les universitaires et les politiques nous disent tous que l’obstacle du langage est important. Il l’est certes moins pour les formations artistiques, mais il est considérable pour les formations scientifiques et technologiques. Il faut savoir l’entendre.
C’est pourquoi nous avons proposé d’élargir le champ des dérogations à la loi Toubon, qui ne pourront se faire que dans un cadre extrêmement précis, matérialisé par des conventions. Nous avons donc décidé d’autoriser, sous conditions, les formations en langues étrangères. Cela concernera surtout, bien sûr, les formations en anglais, mais également en d’autres langues. J’ai vu récemment, à Tours, des cours dispensés en allemand et portant sur le droit roman, qui est, vous le savez, différent du droit saxon.
Cette mesure nous permettra d’accueillir des étudiants, qui, sans cela, se rendraient en masse dans les universités anglo-saxonnes. Nous avons imposé la condition expresse d’un accompagnement en français langue étrangère, qui leur permettra de passer et de valider leurs diplômes en français.
Vous le voyez, le dispositif est extrêmement encadré, et ce qui a été dit sur le sujet ne correspond pas toujours à la réalité. Nous nous inscrivons bien dans une logique d’élargissement de la francophonie et de développement de l’influence de la France dans le monde. Il nous semble simplement que nous ne pourrions pas le faire si nous n’accueillions pas ces étudiants.
J’ajoute que cela nous permettra de faciliter nos échanges économiques avec les pays émergents, marchés qui grossissent et qui peuvent accueillir nos produits. Ces pays nous aideront même à faire monter nos produits en gamme, en nous apportant, grâce aux échanges avec notre industrie et ses services, leur qualification en la matière.
Le programme Erasmus a également été évoqué. Je serai moins pessimiste que ce qui a été dit. Ce programme a bénéficié d’un financement en augmentation. En revanche, les actions à destination des pays de voisinage, notamment ceux de la Méditerranée, ont effectivement pâti des dernières décisions européennes. Nous le regrettons !
En revanche, la mobilité des étudiants en Europe – la France, je le rappelle, est le deuxième pays d’accueil d’étudiants dans le cadre du programme Erasmus, juste derrière l’Espagne – a été préservée. Elle s’est même accrue. Je me suis battue, avec mes collègues britanniques, espagnols, italiens et allemands, pour ce faire. Nous avons envoyé un courrier commun aux commissaires européens concernés, afin de développer davantage la mobilité des apprentis, des étudiants des filières professionnelles et technologiques, toujours dans le cadre d’Erasmus. Ces filières concernent en effet des étudiants issus de milieux plus modestes et qui n’ont pas acquis la pratique des voyages et de la mobilité. On le sait, la pratique d’une langue étrangère et les séjours à l’étranger représentent un vrai plus dans un curriculum vitae.
C’est donc une démarche que nous soutenons et qui, je l’espère, aboutira. Un programme a d’ailleurs été lancé par la Commission européenne sur le sujet.
Je ne dirai qu’un mot sur les droits d’inscription. Ce sujet n’est pas tabou. Néanmoins, il ne faut pas penser que les augmenter pour les étudiants étrangers nous permettra de faire entrer des devises. En effet, les ressortissants de l’Union européenne ne peuvent pas être concernés, pas plus que ceux des pays qui bénéficient d’une convention signée avec la France. Cela fait déjà beaucoup d’étudiants en moins !
Parmi les 290 000 étudiants étrangers en France, 50 000 ont passé leur baccalauréat et vivent dans notre pays. De ce fait, ils bénéficient des mêmes conditions que les étudiants français. Au final, il ne reste que peu d’étudiants à qui l’on pourrait appliquer des tarifs différenciés. Historiquement, d’ailleurs, les droits d’inscription dans les universités françaises sont assez bas. Il serait donc difficile de les multiplier par dix et de bénéficier, ainsi, d’un apport important.
Il faut regarder ce sujet de près. Pratiquer la discrimination tarifaire entre étudiants s’avère complexe, tout comme l’appréciation du niveau de ressources. Pour autant, accueillir des étudiants dont les familles ne paient pas d’impôts en France représente une charge supplémentaire pour la France. Ce débat est donc nécessaire. Il devra être serein, et ne pas exagérer l’afflux de devises que cette éventualité pourrait générer. Pourquoi, d’ailleurs, ne pas faire un avantage de nos droits d’inscription, historiquement peu élevés ? Profitons-en pour accueillir des étudiants asiatiques ou africains, doués mais disposant de peu de ressources familiales, et qui, de fait, seraient susceptibles d’être davantage attirés par notre pays que par d’autres ! J’ai envie de retourner le problème et d’en faire un argument en faveur de l’attractivité de notre pays.
Je terminerai mon propos en évoquant les démarches qu’il nous reste à accomplir.
Félicitons-nous des cartes de séjour pluriannuelles et de l’extension d’un an du visa des étudiants après leurs études. Un peu comme les étudiants boursiers, les étudiants étrangers pourront disposer d’une carte leur permettant de rester en France le nombre d’années nécessaires aux études plus un an. En effet, on peut estimer que, en la matière, les étudiants étrangers ont plus de difficultés que les étudiants français.
Félicitons-nous également des convergences entre le ministère de l’intérieur, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et le ministère des affaires étrangères, malgré les différentes contraintes qu’ils rencontrent tous trois.
L’agence Campus France, quant à elle, fait l’objet d’une évaluation par une inspection conjointe, car elle est placée sous une double tutelle : celle du ministère des affaires étrangères et celle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Un bilan sera fait à l’issue de cette inspection. Rappelons-nous qu’il s’agit, malgré tout, d’une structure assez récente et que les problèmes que nous constatons tous sont peut-être également dus à la phase de démarrage. Pour autant, si Laurent Fabius et moi-même avons décidé de la soumettre à une inspection, c’est que nous estimions que ces dysfonctionnements étaient très importants. Vous serez naturellement tenus au courant des résultats de cette inspection, mesdames, messieurs les sénateurs. Nous aurons donc l’occasion d’en reparler.
En attendant, je vous remercie de partager l’état d’esprit qui est le nôtre, visant à ouvrir notre pays à la coopération internationale, dont l’impact sur notre économie, mais aussi sur la diffusion de notre culture et sur l’extension de nos réseaux à l’étranger est extrêmement bénéfique. J’insiste sur ce point de progression, car nous savons insuffisamment animer nos réseaux d’alumni, terme un peu barbare pour désigner les anciens étudiants. D’autres pays le font bien plus efficacement que nous. C’est un outil non seulement culturel, qui tend à promouvoir l’universalité, mais également économique, qui peut s’avérer redoutablement efficace. Notre marge de progression en la matière est réelle. Nous avons la volonté de nous améliorer, et cela sera fait au cours de ce quinquennat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)