M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’enthousiasme suscité par ce qu’il est convenu d’appeler « l’acte III de la décentralisation » – je ne sais d’ailleurs pas pourquoi – est pour le moins mitigé, c’est un euphémisme.
M. Gérard Larcher. Enthousiasme maîtrisé, en tout cas !
M. Jean-Jacques Hyest. Dans la bonne tradition socialiste, on omet de citer toutes les réformes intervenues depuis 1982. Vous-même, monsieur le président de la commission de lois, n’avez-vous pas soutenu, quand vous étiez secrétaire d’État aux collectivités territoriales, un projet de loi de décentralisation…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. La loi ATR !
M. Jean-Jacques Hyest. On l’a oubliée. Pourtant, la loi relative à l'administration territoriale de la République avait apporté son lot de progrès.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Elle a créé les communautés de communes !
M. Jean-Jacques Hyest. Les communautés de villes, elles, n’avaient pas résisté, et il avait fallu attendre la loi Chevènement pour les voir réapparaître, sous une autre forme.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il avait fallu sept ans de maturation !
M. Jean-Jacques Hyest. J’imagine que cette loi Chevènement a constitué l’acte II de la décentralisation !
Mais n’oublions pas non plus la loi Raffarin, de 2003. (Protestations amusées.)
M. Roger Karoutchi. Qui pourrait oublier la loi de notre collègue, aujourd’hui président de séance ?
M. Jean-Jacques Hyest. C’est pour cela que je la cite ! Au demeurant, je l’aurais fait même si vous ne présidiez pas nos débats, monsieur Raffarin. (Nouveaux sourires.)
Cette loi a tout de même fait progresser les choses. Rappelons-nous également la loi de 2010, car les métropoles, dont il va être abondamment question, en sont issues. Certaines d’entre elles sont d’ailleurs une réussite.
Nous n’avons qu’une vague idée des autres volets de la présente réforme, qui a été saucissonnée. Nous commençons par examiner les dispositions relatives aux métropoles, ce qui est tout de même un peu regrettable. Où est la cohérence ? Surtout, on occulte complètement l’aspect financier, qui est fondamental. Bien sûr, les mesures financières ne doivent figurer que dans une loi de finances. Néanmoins, il me semble que nous pourrions bénéficier d’un certain nombre d’indications ! Il y a bien eu un article 14, qui surnageait, en quelque sorte, mais la commission des finances a proposé à juste titre son report. Comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, il reposait, c’est le moins que l’on puisse dire, sur des critères orientés et injustes.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Je suis très tenté de vous dire tout l’intérêt que je trouve au texte présenté par la commission des lois. M. le rapporteur et M. le président de la commission des lois, dont je salue le travail et la volonté de progresser vers un consensus, l’ont dit très explicitement, la philosophie du texte de la commission ne correspond pas tout à fait à celle du projet de loi initial.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je l’ai dit clairement !
M. Jean-Jacques Hyest. Nous allons bien évidemment travailler sur le texte de la commission des lois, d’autant qu’il se réfère explicitement aux travaux menés par le Sénat dans le cadre de la commission dite « Belot-Krattinger ». Cependant, il y a lieu de se pencher sur le texte initial du Gouvernement, parce que c’est sur ce texte-là que nous devons nous engager politiquement.
On affirme la clause de compétence générale, notion que beaucoup de juristes sérieux considèrent comme peu pertinente.
M. Pierre-Yves Collombat. Des juristes sérieux ?
M. Jean-Jacques Hyest. À cet égard, nous nous souvenons des débats interminables que le sujet a suscités dans notre assemblée en 2010. C’était formidable ! Ce matin encore, l’un de nos collègues a démontré que, pour ce qui concerne les communes, la clause de compétence générale n’avait pas grand sens.
Immédiatement après, saisi d’effroi devant la liberté d’administration prétendument retrouvée des collectivités locales, on encadre les conférences territoriales de l’action publique dans le carcan étroit du pacte de gouvernance territoriale.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela a été supprimé !
M. Jean-Jacques Hyest. On avait rarement fait plus technocratique ! Je pense aux schémas territoriaux volontaires, mais en fait imposés – en Île-de-France, on connaît, on a le SDRIF, ce qui n’est déjà pas mal ! –, avec intervention des préfets de région à tout moment et évaluation par les chambres régionales des comptes.
Voilà pour le titre Ier du projet de loi, dont il ne reste, dans le texte de la commission, que la conférence territoriale de l’action publique, que j’estime utile. Il y avait d’ailleurs, et depuis longtemps, un consensus sur la coopération nécessaire entre les divers niveaux de collectivités.
Quant aux métropoles, il s’agit d’une nouveauté, même si leur création est permise par l’article72 de la Constitution, dans sa version, je le rappelle, du 28 mars 2003, dont la rédaction avait été très compliquée, certains voulant que toutes les collectivités fonctionnent suivant le même régime.
En Alsace, une tentative n’a pas abouti. Nous aurons désormais une métropole lyonnaise, collectivité locale se substituant non seulement au département, mais aussi, largement, aux communes ; une métropole Aix-Marseille, qui a, quoi qu’on en dise, sa logique de territoire et demeure un EPCI, et, enfin, la métropole parisienne, dont la gouvernance est pour le moins curieuse, avec un conseil métropolitain composé du maire de Paris et des présidents des intercommunalités obligées. Bel exemple de démocratie locale que cette superstructure et le schéma de coopération interdépartementale qui l’accompagne !
On oublie ainsi totalement que les départements de la grande couronne ont déjà élaboré leur schéma départemental de coopération intercommunale. Il va leur falloir recommencer le travail, six mois plus tard, alors qu’il avait été très difficile de fédérer les uns et les autres.
Le schéma départemental…Que n’ai-je entendu sur cette formule si critiquée de la loi de 2010, dont l’opposition de l’époque disait qu’elle accordait trop de pouvoirs aux préfets. J’en conclus qu’aujourd’hui les mêmes, cette fois dans la majorité, trouvent les préfets très bien ! (Sourires sur les travées de l'UMP.) C’est d’ailleurs ce que j’ai toujours pensé : les préfets sont indispensables à notre société.
Bien sûr, le retard apporté au développement de la coopération entre Paris et les communes de l’unité urbaine nuit à l’aménagement du territoire de la métropole, cela fait longtemps qu’on le dit. Pour autant, celle-ci ne peut se développer contre la région. Telle qu’elle est bâtie, elle risque de faire des départements de la grande couronne des ensembles appauvris et sans avenir, surtout si l’on s’ingénie à les transformer en super-bureaux départementaux d’action sociale.
Reste le chapitre IV, qui concerne les métropoles : c’est un vocable magique, un titre que le moindre chef-lieu de département, voire d’arrondissement, aurait tendance à revendiquer. Sans remettre en cause l’existence des métropoles, prévue par la loi de 2010, évitons de les multiplier au-delà des cas de Lille et de Strasbourg, spécifiques en raison de l’environnement européen de ces villes, alors que la structure des communautés urbaines est adaptée à beaucoup de nos territoires.
Ces réformes partielles, dont le moins que l’on puisse en dire est qu’elles n’ont rien à voir avec un jardin à la française, ne constituent certes pas un « choc de simplification » ; elles accroissent au contraire la complexité de nos structures locales, au point que nos concitoyens risquent de ne plus rien y comprendre.
Mes chers collègues, je voudrais maintenant vous faire part d’observations plus générales.
Depuis quelques années, on assiste à une offensive permanente contre la commune et le département, échelons prétendument obsolètes. Ainsi, en particulier dans le rapport Attali, le rapport Balladur ou le rapport Jospin, seules apparaissent modernes les intercommunalités – qui sont en fait de plus en plus des « supracommunalités », et l’on nous invite à aller encore plus loin –…
M. Ronan Dantec. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest. … et, jusqu’à aujourd’hui, les régions. On assiste à une asphyxie des départements sous la charge croissante de leurs dépenses d’aide sociale, non compensées, et il est proposé de transférer aux métropoles l’essentiel des compétences communales. On attend la suite annoncée…
Dans nos campagnes, chacun fait l’éloge de la commune, berceau de la démocratie locale, mais on la cantonne, comme le département, « dans la gestion de la vie quotidienne et l’organisation des services de proximité », pour reprendre les termes d’un rapport de l’Assemblée des communautés de France. (Mlle Sophie Joissains applaudit.) Demain, en créant de nouvelles collectivités locales, on complexifiera encore le millefeuille territorial, coûteux en moyens et en efficacité.
La réforme de 2010, que j’ai soutenue, était une tentative courageuse pour apporter une réponse nouvelle. Vous n’en avez pas voulu, certains d’entre vous souhaitant maintenir les baronnies qui se sont constituées au fil des temps, avec leur cortège de petites prébendes, d’obligés et de dépenses somptuaires. Pensons aux hôtels que se sont fait construire certaines collectivités !
Pourtant, on nous dit que les collectivités locales doivent contribuer au redressement financier de notre pays. Nous ne voyons pas la logique de ce projet, bien éloigné de l’engagement du Président de la République de conclure « un pacte de confiance et de solidarité […] entre l’État et les collectivités garantissant le maintien des dotations à leur niveau actuel ».
J’approuve certaines dispositions du projet de loi, notamment la création de la métropole lyonnaise, qui peut être un modèle. Cependant, même amendé, ce texte ne me paraît pas répondre à l’objectif affiché d’une véritable modernisation de l’action publique. Je le regrette profondément et j’ai vraiment le sentiment que nous perdons notre temps. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Edmond Hervé.
M. Edmond Hervé. Selon vous, mesdames les ministres, ce texte constitue l’acte I d’un projet et non l’acte III de la décentralisation. Nous attendons beaucoup de ce projet, qui comprendra, je l’espère, une réforme profonde, moderne et juste de la fiscalité locale.
Quelle est l’origine de ce premier texte ? Elle se trouve dans l’engagement pris par le candidat à la présidence de la République François Hollande de conduire une « nouvelle étape de la décentralisation », assortie de la conclusion d’un « pacte de confiance et de solidarité ».
Lors des états généraux de la démocratie territoriale, le Président de la République a assigné deux objectifs à ce pacte, la relance de la croissance et le rétablissement des comptes publics, en prenant soin de préciser que les collectivités territoriales étaient aussi concernées.
Il s’agit aussi d’une nouvelle étape parce que le paysage territorial a changé.
J’ai beaucoup regretté que, au cours des années passées, la polémique et les préjugés l’aient emporté sur la prise en considération de la réalité. La coopération intercommunale a connu une formidable avancée, même si quelques régions sont encore en retard.
Monsieur Vandierendonck, vous avez eu raison de souligner, à la page 17 de votre rapport, l’excellence et l’expertise de la fonction publique territoriale, qui n’a aucun complexe d’infériorité à nourrir à l’égard d’autres fonctions publiques.
M. Claude Dilain, rapporteur pour avis. Bravo !
M. Edmond Hervé. Il faut avoir à l’esprit que, en vingt ans, la part des collectivités territoriales dans le produit intérieur brut a doublé, tout comme le montant de leurs investissements. Rappelons également que, au cours de ces dernières années, l’État s’est affaibli, devenant « distant » et parfois « incertain ».
Il s’agit d’une nouvelle étape, enfin, parce que le rôle de l’État a changé. L’État dispose de la « compétence de la compétence », est le garant du pacte républicain, mais toutes les politiques publiques sont nécessairement partenariales. Vous n’y changerez rien !
En outre, l’État, ne vous en déplaise, n’a plus le monopole de la promotion de l’intérêt général, de la coordination et de la régulation, auxquelles participent nos collectivités territoriales, quelles qu’elles soient.
Quels sont les principaux choix politiques et institutionnels qui découlent de notre analyse ?
Tout d’abord, une première évidence s’impose : celle de la solidarité entre l'État et les collectivités territoriales, ainsi qu’entre les collectivités territoriales elles-mêmes. C'est dans le cadre de cette solidarité que nous devons apprendre à conjuguer la libre administration et l'autonomie juridique, financière et fiscale. Par ailleurs, nous sommes liés par la discipline européenne, et le temps est révolu où l'on pouvait distinguer, au sein de notre système financier public, la composante « État », la composante « collectivités territoriales » et la composante « organismes sociaux ». Nous sommes liés par d’évidentes solidarités et nous avons à bâtir un nouvel ordre financier et fiscal public.
Je voudrais insister sur une seconde évidence, qui n'est à mon sens pas suffisamment présente dans nos réflexions : nous avons un vaste territoire, faiblement peuplé, avec des densités régionales tout à fait variables. La France ne compte que quatre aires urbaines « millionnaires » : Paris, Lyon, Marseille et Lille. Les causes de cette situation sont très simples : au XIXe siècle, notre pays a pris un très grand retard, en matière d’industrialisation, par rapport à l'Allemagne et au Royaume-Uni, retard qui s'est répercuté sur la formation des villes. Le fait communal est une autre particularité de la France, que nous ne saurions nier. Évitons d’importer des modèles qui ne correspondent ni à notre géographie ni à notre culture !
Quelles propositions pouvons-nous formuler ? Certaines d’entre elles se retrouvent dans les travaux de notre délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, dont je suis heureux de saluer les présidents successifs, tout spécialement Mme Gouraud.
Dans son rapport de synthèse, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation consacre plusieurs pages aux métropoles. Elle se réfère à la loi du 16 décembre 2010, ainsi qu’aux travaux du professeur Christian Saint-Étienne, qui rappelle que « l’institutionnel ne doit pas primer sur le fonctionnel et le stratégique ».
Dans un rapport d’information fait au nom de la délégation et daté du 28 juin 2011, je suggérais de conjuguer des critères quantitatifs et qualitatifs pour définir les métropoles. C’est donc sans surprise que la délégation propose de réexaminer les critères de création des métropoles.
Si l’on ne gouverne pas une société par décrets, il ne suffit pas d’un statut pour consacrer une influence, un rang éventuel. Nous savons tous que l’économie d’une région, la cohésion d’un département sont profondément liées à l’existence d’une métropole active ; vouloir opposer régions, départements, métropoles et communes n’a aucun sens.
Je reconnais la nécessité, pour notre pays, de compter de grandes agglomérations. Paris, Lyon, Marseille sont des atouts incontestables, qu’il nous faut enrichir, mais ces agglomérations ne résument pas, à elles seules, le fait métropolitain français qui, bien évidemment, ne se confond pas avec le fait urbain.
Mes chers collègues, nous devons également nous dégager d’un certain jacobinisme qui hiérarchise nos territoires, les classe, les oppose sans tenir compte de leurs qualités particulières, de leur gouvernance. C'est un héritage dont il faut nous défaire. L’avenir est aux réseaux, aux filières, à la coopération, à la territorialisation.
Concernant la clarification des compétences, nous devons privilégier le principe des compétences obligatoires partageables par accord contractuel. Aucun juriste n’est capable, aujourd'hui, de définir de manière pragmatique la notion de bloc de compétences. Cela n'existe pas ! (M. Bernard Cazeau applaudit.) C'est la raison pour laquelle je suis très attaché à la notion de compétences obligatoires.
Pour prendre le cas de la région, chacun conviendra qu’elle a une responsabilité économique ; elle ne peut cependant l’exercer sans lien avec les départements, qui sont compétents en matière d'insertion sociale, ou avec les métropoles, les bassins de vie, les intercommunalités… L’exercice d’une compétence passe par des contrats, des conventions de site liant les différents acteurs. Si l'on veut que les différents schémas de la région, du département ou de l’intercommunalité aient une valeur prescriptive, ils doivent être fondés sur un minimum de concertation et de contractualisation.
Je suis très heureux que la définition du chef de file ait été rectifiée grâce à votre éclairage, monsieur le rapporteur, et conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le chef de file ne décide pas, il n’ordonne pas : il organise, il met en rapport.
Madame Lebranchu, vous avez souligné à juste titre que le problème essentiel de notre administration, aujourd'hui, c'est celui de la transversalité, et non pas celui de la hiérarchie !
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. Edmond Hervé. Lors de la réforme de 1982-1983, nous avons modifié le statut préfectoral. La transversalité est nécessaire, fondamentale. Qui peut l’assurer ? Les grands exécutifs, quels qu'ils soient, en s'appuyant sur la concertation et la coordination.
Nous sommes tous d'accord pour dire que notre territoire est différencié. Il faut assumer ces différences, tout en respectant nos grands principes constitutionnels. Cela appelle l'expérimentation, l'adaptation aux réalités locales : l'indivisibilité n'implique pas l'uniformité.
Enfin, permettez-moi d’évoquer un passage du rapport de notre collègue Jean Germain aux termes duquel, financièrement, eu égard à la conjoncture, il n’est pas de bonne politique d’allouer des subsides aux métropoles au détriment des autres collectivités, tout spécialement des départements et des communes. (Applaudissements sur certaines travées du groupe CRC et de l’UMP.)
En conclusion, madame la ministre, je voudrais saluer la démarche de M. le Premier ministre, qui a mis en place par anticipation, le 12 mars dernier, une préfiguration du Haut Conseil des territoires. Six chantiers ont été identifiés ; je souhaite que le Sénat soit régulièrement informé des travaux de cet organisme.
Monsieur Vandierendonck, vous avez évoqué la grande course cycliste Paris-Roubaix : je souhaite qu’il n’y ait pas de faux départ, que le carrefour de l’Arbre et la tranchée d’Arenberg puissent être franchis rapidement et dans de bonnes conditions, que chacun se retrouve dans les vestiaires avec sa plaque. (Sourires.) Madame Lebranchu, permettez-moi de vous rappeler que l’un des plus beaux vainqueurs du Paris-Roubaix fut un breton, Bernard Hinault ! (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je voudrais évoquer le sort particulier réservé, dans ce projet de loi, à mon département et à Marseille.
Les Bouches-du-Rhône sont coupées en deux avec, à l’ouest, une population d’environ 150 000 personnes vivant sur des territoires essentiellement ruraux, et, à l’est, des territoires industrialisés à forte densité urbaine que le texte prévoit de regrouper autoritairement au sein d’une métropole à qui l’on assigne comme priorité essentielle de faire entrer dans l’ère de la compétitivité ses entreprises et quelque 1,7 million d’habitants. Faire concurrence à Gênes et à Barcelone, tel est le cap, telle est l’ambition.
Pour mettre fin aux trafics qui trop souvent s’accompagnent de sanglants règlements de comptes : la métropole ! Pour circuler rapidement et confortablement d’un bout à l’autre du département : la métropole ! Pour permettre le développement de l’université : la métropole ! Pour assurer le développement du grand port maritime : la métropole ! Pour favoriser l’essor industriel : la métropole ! Cela paraît simple, mais le simplisme du raisonnement est assez confondant pour qui a pris le temps de la réflexion, pour qui a échangé avec les acteurs sociaux des quartiers, les syndicalistes des entreprises en lutte, les acteurs du monde économique, les élus, celles et ceux qui se battent pour faire de ce territoire un espace vivant, un espace commun à l’échelle de sa population.
Le désengagement flagrant de l’État s’agissant du port et de ses infrastructures, les abandons des années soixante-dix en termes de création de filières industrielles à partir de la sidérurgie et de la chimie du pétrole, l’inadaptation aux usages contemporains d’un réseau ferré à bout de souffle, alors que notre territoire se situe au carrefour de flux européens en constante augmentation : là sont les causes premières des difficultés que nous traversons actuellement.
Les résistances à ce projet de loi qui s’expriment aujourd’hui et que le Gouvernement dénigre en les apparentant à des réactions épidermiques de caciques locaux plus préoccupés de clientélisme que de l’intérêt général traversent tout l’échiquier politique : elles rassemblent 109 maires sur 119, la majorité des exécutifs communautaires, des sénateurs et, sans doute, des députés ; elles reflètent les inquiétudes de nos populations, qui, sur le fond, voient se profiler un monstre administratif et technocratique, et, sur la forme, constatent la négation de la démocratie, de la citoyenneté se construisant dans chacun des territoires de notre département.
Chacun sait bien que le mode d’élection au sein de la métropole, même s’il respecte le principe de la représentation des communes, aboutira à la formation d’un « gouvernement » de gestionnaires, dans la mesure où les membres de l’organe délibérant seront élus non pas sur un programme, un projet, mais au travers d’un fléchage lors des élections municipales. Il n’y aura pas de débat sur les orientations de la métropole, et donc pas d’appropriation citoyenne des grandes décisions à prendre à l’échelle de ce territoire ; il y aura seulement des conseils de territoire, dont le rôle consultatif laisse assez facilement augurer que, au final, tout se décidera ailleurs qu’à l’échelon des communes.
Marseille, la deuxième ville de France, cette ville sans banlieue que tout le monde plaint pour l’extrême pauvreté de ses quartiers populaires, mais dont on ne dit pas assez que s’y développe aussi la richesse la plus opulente. Voilà deux ans, La Provence classait déjà Marseille au quatrième rang des communes où vivent les Français les plus fortunés, derrière Lyon, mais devant Nice. Je ne pense pas que les choses aient évolué depuis.
Attaquons-nous à la répartition des richesses créées dans ce pays, à Marseille comme à Aix-en-Provence et dans tout le département. Travaillons avec l’ensemble des collectivités à partir des communes, liées par des coopérations mutuellement avantageuses, choisies. La liste est longue de ce qui peut être fait en commun si les incitations financières de l’État remplacent l’autoritarisme administratif qui, jusqu’à aujourd’hui, a tenu lieu de ligne directrice. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Roland Povinelli applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi, le premier d’une trilogie, n’est pas l’acte III de la décentralisation. Le Gouvernement l’a reconnu avec une lucidité que je salue. Le groupe centriste ne peut que regretter cette orientation : ayant toujours été favorables à un approfondissement de la décentralisation, nous restons sur notre faim.
Mesdames les ministres, vous avez des circonstances atténuantes. L’exercice est risqué : simplifier, clarifier en matière de décentralisation, c’est bien sûr arbitrer. Il fallait pour cela partir d’une vision nouvelle de notre organisation territoriale et faire évoluer notre système en fonction de celle-ci.
Il faut dire à votre décharge, mesdames les ministres, que vous n’aviez pas une feuille de route bien claire. La clôture par le Président de la République des états généraux de la démocratie territoriale organisés par la Haute Assemblée fut l’occasion d’une synthèse certes brillante, mais inopérante.
À trop vouloir concilier les points de vue, on finit par perdre le cap : ce qui manque à votre projet de loi, c’est sans doute une ligne directrice. Chacun peut y trouver ce qu’il veut, personne n’est réellement enthousiaste et, au final, beaucoup sont insatisfaits. Nous verrons si la discussion permet d’améliorer le texte.
Le débat sur la décentralisation soulève des questions récurrentes. La place des communes peut paraître remise en cause par le rôle grandissant des intercommunalités. Nous voulons réaffirmer notre attachement au couple commune-intercommunalité, conçu comme un moyen de souveraineté pour la commune.
Le rôle du département est, quant à lui, mis en question depuis plusieurs années en raison de la métropolisation et de la montée en puissance des régions. Il l’est à juste titre, de mon point de vue, pour les zones urbaines, tandis que, au contraire, le département joue un rôle majeur dans les zones rurales et est un facteur de cohésion et de solidarité territoriale. On s’interroge de toute façon partout sur la place des départements, du fait du poids des prestations sociales.
Le deuxième mouvement majeur est la baisse de l’ensemble des dotations publiques aux collectivités locales, qui s’accentuera encore dans les prochaines années, en raison des décisions récemment annoncées. Cela nous oblige à faire évoluer notre organisation territoriale et à avoir quelques idées claires.
Vous serez confrontées à un choix, notamment en zones urbaines. À Lyon, le choix est fait… par les élus. En Île-de-France, il n’y a pas aujourd’hui de vision partagée, et vous contournez le problème. En province, vous laissez les élus démêler la contractualisation entre métropoles et départements ; c’est sans doute un moindre mal.
Chacun peut trouver, dans ce texte compliqué, foisonnant, souvent bavard, quelques motifs de satisfaction et des motifs de mécontentement, plus nombreux à ce stade.
Au titre des motifs de satisfaction, je relèverai la structuration de la métropole lyonnaise et la reconnaissance du fait métropolitain, même si le terme de métropole reste ambigu dans le projet de loi, comme l’a souligné ce matin notre collègue Jacqueline Gourault. Il recouvre en effet trois réalités : une collectivité territoriale de plein exercice à Lyon, un EPCI en province et, curieusement, un syndicat mixte à Paris. Cette réalité polymorphe sur le plan juridique n’empêche pas de constater l’envie de métropole chez les élus, pour qui elle constitue une reconnaissance de leur territoire, et chez les habitants, pour qui elle signifie, à terme, plus de services. À notre sens, l’organisation des territoires en métropoles conçues comme pôles de développement est un facteur de croissance économique. Il faut aussi organiser la solidarité entre les métropoles, d’une part, et le monde rural et périurbain, d’autre part.
Au titre des motifs de mécontentement, je soulignerai la multiplication des instances et des schémas à travers les conférences territoriales de l’action publique. Elle conduit à complexifier l’action publique territoriale à tous les niveaux. Cette voie, certes diplomatique et conventionnelle, mais floue, va rendre encore plus difficile la prise de décision à tous les niveaux, avec un risque d’embouteillage, voire de contentieux. Elle va également rendre plus illisibles, pour nos concitoyens, les politiques conduites par les collectivités. Saluons toutefois les efforts de la commission des lois, de son président, de son rapporteur et de l’ensemble de ses membres, pour apporter de la clarté à ce texte.
Le rétablissement de la clause de compétence générale pour les départements et les régions est emblématique de ce refus de clarifier les compétences des collectivités. Convenons que le débat est un peu théorique.
Rétablir la clause de compétence générale est une concession symbolique : elle fait plaisir aux élus, mais, bien souvent, elle sera sans effet, car la réalité des finances locales fait que les collectivités ne pourront plus agir au-delà des compétences obligatoires qui sont les leurs. D’ailleurs, notre collègue Hervé Maurey proposera de maintenir la suppression de la clause de compétence générale, qui était une première étape dans la simplification et la clarification.
Le « chef de filat », me direz-vous, se veut un début de clarification des politiques locales. Il peut aboutir à un fatras, avec, au surplus, un risque de mise en place d’un tutorat de certaines collectivités sur d’autres. Encore la commission des lois a-t-elle, avec brio, évité le pire à cet égard ! Félicitons-la aussi d’avoir supprimé le pacte de gouvernance territoriale, trop complexe, et son corollaire, l’abominable sanction financière pour les collectivités non signataires de ce pacte.
J’en viens maintenant au cas de l’Île-de-France. Cependant, avant d’arriver à Paris, il faut passer par Lyon et le département du Rhône.