PRÉSIDENCE DE Mme Bariza Khiari
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Dépôt d’un rapport
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu, en application de l’article 2 du décret du 17 janvier 2006, le rapport du comité interministériel de prévention de la délinquance pour 2012.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des lois.
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Renvoi pour avis
Mme la présidente. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’enseignement supérieur et à la recherche (n° 614, 2012-2013), dont la commission de la culture, de l’éducation et de la communication est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des affaires économiques.
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Communication du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 30 mai 2013, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 225-27 et L. 225-28 du code du commerce (direction et administration des sociétés anonymes) (2013-333 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
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Modernisation de l'action publique territoriale et affirmation des métropoles
Suite de la discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant toute chose à vous adresser des remerciements sincères, au nom de Marylise Lebranchu et en mon nom propre, pour la très grande qualité des interventions que nous avons entendues au cours de la discussion générale. Les orateurs ont su garder la mesure et la sérénité qui leur permettent d’être entendus. L’esprit critique n’a pas pour autant était absent, mais il s’est toujours manifesté de façon constructive.
Mme Lebranchu et moi-même remercions de manière appuyée le rapporteur et les trois rapporteurs pour avis, ainsi que le président de la commission des lois. Je n’oublie pas Jacqueline Gourault, la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, qui est absente ce soir pour les raisons tristes que nous connaissons.
Mesdames, messieurs les sénateurs – j’ai failli dire « mes chers collègues », car j’ai l’impression d’être encore un peu parmi vous –,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Vous le serez toujours !
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. … certains d’entre vous ont regretté que les projets de loi, au lieu de former un ensemble, comme au moment de leur présentation, aient été « tronçonnés ». C’est un mot que je récuse : le texte est simplement examiné en trois temps distincts,…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Comme la valse à trois temps !
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. … pour répondre à trois objectifs particuliers. Nous considérons qu’il s’agit de trois actes, mais pas de l’acte III de la décentralisation. Si nous écartons cette expression, c’est parce que nous concevons les projets du Gouvernement beaucoup moins comme un nouveau temps de réforme de la décentralisation que comme le prolongement d’un mouvement déjà existant, auquel nous souhaitons apporter des améliorations pour le rendre plus opérant dans nos collectivités territoriales.
Nous avons parfois entendu des mots un peu violents pour dénoncer un manque de souffle ou la complexité que nous ajouterions. Dans le même temps, à vous entendre les uns et les autres vous exprimer avec passion, nous avons bien remarqué que le projet de loi avait suscité votre attention.
Ce soir, je veux d’abord m’attacher à ce qui nous réunit. Élus locaux et membres du Gouvernement, nous sommes tous des gens de terrain et nous avons la même volonté de simplifier, de clarifier et de maîtriser les dépenses. M. Patriat a d’ailleurs eu raison d’insister sur ces trois objectifs, qui sont pour nous prioritaires.
Dans son intervention, Mme Lebranchu a donné un certain nombre d’informations. Permettez-moi de revenir sur l’une d’entre elles, qui a rencontré une satisfaction sur vos travées : le projet de loi sur le statut de l’élu local et le projet de loi sur les normes seront examinés à la fin du mois de juin et au début du mois de juillet, à des dates qui restent à préciser. Ces textes répondent au souhait exprimé par le Président de la République lors des états généraux de la démocratie territoriale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai constaté que nous partagions certains objectifs, et d’abord celui de faire confiance aux élus locaux. Comme le Président de la République l’a indiqué, nous souhaitons un pacte de confiance pour instaurer un vrai dialogue entre nous. C’est ce qui s’est passé, et je crois que les interventions d’aujourd’hui en sont véritablement la preuve et la concrétisation.
Ensuite, nous sommes attachés à l’idée d’un pacte de solidarité entre toutes les collectivités territoriales. Nous ne voulons pas fixer des périmètres distincts entre les types de collectivités ou entre les niveaux de collectivités. Comme de nombreux orateurs l’ont souligné avec force et détermination, il n’y a pas un périmètre pour les collectivités en zone rurale et un autre pour les collectivités en zone urbaine. Plusieurs d’entre vous ont insisté sur les zones périurbaines, une véritable richesse qui permet de donner corps et dynamisme à nos territoires, qui n’appartiennent donc pas exclusivement à l’une ou à l’autre des catégories.
Enfin, vous avez insisté, à la suite de Marylise Lebranchu, sur l’unité de nos territoires en même temps que sur leur diversité. Unité et diversité : ces deux principes sont indissociables. Nous reconnaissons tous l’unité de la République ; elle n’est pas une unicité, elle repose sur la diversité de nos territoires, une diversité dont nous voulons tenir compte. À cet égard, vous avez donné, les uns et les autres, des exemples tout à fait probants.
Nous avons entendu également des critiques, notamment contre les conférences territoriales de l’action publique, que vous avez trouvées complexes. Vous vous êtes interrogés sur leur fonctionnement et leur utilité, vous demandant aussi si elles permettraient de trouver des accords.
Si le Gouvernement a proposé de créer ces conférences, c’est parce qu’elles sont le contrepoint obligatoire de la liberté donnée aux collectivités territoriales avec le rétablissement de la clause de compétence générale. Elles seront le lieu où les élus, en qui nous avons confiance, pourront débattre des conditions dans lesquelles seront réparties les fameuses compétences.
Vous avez également évoqué le pacte de confiance et de responsabilité, qui, avec l’ensemble des schémas prévus, sera à vos yeux quelque chose de bien lourd, alors que, peut-être, des formes de conventionnement auraient été plus simples. Sur tous ces points, le Gouvernement est prêt à vous écouter,…
M. René Vandierendonck, rapporteur. C’est très bien !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est encore mieux !
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. … afin de trouver des solutions permettant de répondre à vos attentes.
Mme Éliane Assassi. Mieux vaut tard que jamais !
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. Monsieur le rapporteur pour avis de la commission des finances, vous avez évoqué les problèmes financiers de nos collectivités, citant des montants qui ont de quoi nous émouvoir. Notre direction générale des collectivités locales a beaucoup travaillé pour essayer de vous apporter le plus rapidement possible des informations fiables sur les données budgétaires et financières dont nous disposons. Si elles ne vous ont pas été communiquées intégralement, c’est parce que nous sommes encore en train d’y travailler. Nous reviendrons bien entendu vers vous de la façon la plus transparente qui soit.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte porte à la fois sur la gouvernance et le fait métropolitain. Au sujet de Paris, Lyon et Marseille, nous avons entendu la force et la conviction avec laquelle vous avez évoqué les problématiques de ces trois métropoles.
Nous avons entendu les difficultés qu’elles pouvaient rencontrer. Nous savons que la commission des lois a travaillé avec la volonté de faire aboutir ces métropoles, pour qu’elles apportent un service cohérent aux citoyens. Là encore, l’objectif n’est peut-être pas parfaitement atteint. Des améliorations peuvent être apportées, vous l’avez dit avec flamme.
Parallèlement à ces remarques plutôt critiques, des observations solides, concrètes et pragmatiques ont été formulées par bon nombre d’entre vous.
M. Gaudin nous a parlé de Marseille, de ce territoire élargi et solidaire. Il l’a fait avec beaucoup de conviction, et l’intervention de Mme Ghali, qui a interrogé le Gouvernement sur les possibilités de financement et le fonctionnement de la nouvelle métropole marseillaise, a fait écho à ses propos.
M. Edmond Hervé a beaucoup insisté, et je l’en remercie, sur la définition des compétences obligatoires, les précisions à apporter concernant le chef de file, notamment pour ce qui concerne sa définition, qu’il nous faut reprendre en nous fondant sur les décisions du Conseil d’État et sur la Constitution.
M. Collomb, avec beaucoup de force et de conviction, a présenté la nouvelle organisation et le fonctionnement exceptionnel de Lyon, en précisant toutefois qu’il ne s’agit pas d’un modèle que l’on peut généraliser. La situation lyonnaise correspond, Michel Mercier l’a dit aussi, à un travail qui a été mené pendant plusieurs années. Il aura fallu s’apprivoiser, dialoguer longuement avant de parvenir à un accord.
MM. Nègre et Ries ont évoqué tous deux le problème de la dépénalisation du stationnement. Nous les avons entendus. C’est un sujet quelque peu difficile techniquement et juridiquement. Le Gouvernement écoutera leurs arguments avec une oreille très attentive, tout en approfondissant probablement les études juridiques qu’il estime nécessaires.
Enfin – comment ne pas le souligner ? –, vus avez, les uns et les autres, apporté la preuve que les collectivités territoriales ont à traduire dans un texte un très bel enjeu, qui correspond à la volonté et aux besoins des citoyens. Je le répète une nouvelle fois, ce texte n’a de sens que dans la perspective d’apporter un meilleur service aux citoyens.
Soyez tous pleinement remerciés du rôle que vous acceptez d’assumer. Soyez assurés que, tout au long de la discussion qui s’annonce, nous veillerons à travailler avec chacun d’entre vous avec la même sérénité et la même volonté d’avancer. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des motions.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mlle Joissains, d'une motion n° 263 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (n° 581, 2012-2013).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mlle Sophie Joissains, pour la motion.
Mlle Sophie Joissains. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, vous le savez tous, je suis contre la métropole que l’on veut imposer à la Provence.
Bien que le Gouvernement, en la personne de Mme Marylise Lebranchu, qui nous a reçus de multiples fois et n’a pas compté son temps, se soit montré très obligeant, aucune des démarches que nous avons entreprises n’a abouti, aucune des propositions que nous avons formulées ne s’est transformée en sujet de négociation. Pourtant, 109 communes qui font des propositions, ce n’est pas chose négligeable, du moins quand on respecte, comme, je le pense, Mme Lebranchu, la démocratie locale et les libertés qui s’y attachent.
Le point constitutionnel que je vais évoquer à présent reflète totalement notre analyse de la situation : pour Paris, on discute ; pour Lyon, tout le monde est d’accord ; pour Marseille, on passe en force !
L’article 30 du projet de loi vise à imposer la création, à compter du 1er janvier 2015 – le 1er janvier 2016 dans le texte de la commission –, d’un nouvel établissement public de coopération intercommunale, regroupant « l’ensemble des communes membres de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole, de la communauté d’agglomération du Pays d’Aix-en-Provence, de la communauté d’agglomération Salon Étang de Berre Durance, de la communauté d’agglomération du Pays d’Aubagne et de l’Étoile, du syndicat d’agglomération nouvelle Ouest Provence et de la communauté d’agglomération du Pays de Martigues ».
Cette création doit s’imposer en faisant disparaître les établissements publics de coopération intercommunale existants, sans consultation de ces établissements ni des communes appelées à devenir membres du nouvel établissement public de coopération intercommunale. Elle s’accompagne de nombreux transferts de compétences, au-delà de ceux qu’avaient consentis les communes aux établissements publics de coopération intercommunale existants. Pour ceux qui ne comprendraient pas bien ce mécanisme, je vais l’expliquer en quelques mots.
Les communes avaient délégué aux intercommunalités qu’elles avaient choisies ou qui étaient les leurs un certain nombre de compétences. Cependant, pour ce qui concerne les compétences optionnelles déléguées aux différents EPCI, le schéma n’était pas identique pour toutes les communes. Le Gouvernement, probablement animé d’une bonne intention, à savoir rester au plus près des territoires, a décidé de transférer au nouvel EPCI l’ensemble des compétences déléguées, ce qui oblige évidemment certaines communes, qui avaient conservé leurs compétences, à les déléguer, contrairement à leur choix initial.
L’article 30 du projet de loi est donc contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales consacré par l’article 72 de la Constitution et à la Charte européenne de l’autonomie locale.
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 janvier 2013 et le 8 mars 2013 de deux questions prioritaires de constitutionnalité posées respectivement par les communes de Puyravault et de Couvrot portant sur la conformité à la Constitution, pour l’une, du paragraphe II de l’article 60 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, qui définit la procédure de modification de périmètre des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, pour l’autre, du paragraphe III de l’article 60 de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales, qui définit la procédure de fusion des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Ces deux paragraphes font partie des dispositifs temporaires d’achèvement et de rationalisation de l’intercommunalité.
Le Conseil constitutionnel a déclaré les paragraphes II et III de l’article 60 de la loi du 16 décembre 2010 conformes à la Constitution, dans ses décisions n° 2013-303 QPC du 26 avril 2013 et n° 2013-315 QPC du 26 avril 2013, mais en faisant état dans ses considérants des garanties apportées aux communes préalablement à la modification de périmètre ou à la fusion des établissements publics à fiscalité propre.
Comme le relève le Conseil constitutionnel, les décisions de modification de périmètre ou de fusion ne peuvent intervenir qu’après, premièrement, consultation des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre intéressés et des communes incluses dans le projet de périmètre, objet de la modification ou de la fusion ; deuxièmement, consultation de la commission départementale de coopération intercommunale, pour permettre la consultation des élus locaux, dont il convient de rappeler qu’elle comprend 40 % de représentants des communes du département, 40 % de représentants des établissements publics de coopération intercommunale, 5 % de représentants des syndicats mixtes et des syndicats de communes, 10 % de représentants du conseil général et 5 % de représentants du conseil régional dans la circonscription départementale ; troisièmement, consultation de tout maire qui en fait la demande par la commission départementale de coopération intercommunale.
Or l’article 30 du projet de loi conduit à une fusion forcée, sans comporter aucune des garanties attachées au principe de libre administration des collectivités territoriales, alors que la création de la métropole d’Aix-Marseille-Provence doit s’accompagner de transferts supplémentaires de compétences par rapport aux établissements publics existants.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a considéré que ces garanties devaient s’appliquer dans le cas d’extension de périmètre ou de fusion concernant une ou quelques communes. Dans le cas qui nous occupe, c’est le cas de 109 communes sur 118. Avec l’article 30 de ce texte, il s’agit de fusionner six établissements publics de coopération intercommunale existants et, selon le périmètre et non plus selon l’échelle des Bouches-du-Rhône, leurs 90 communes, en créant un nouvel établissement public doté de nombreuses compétences antérieurement exercées par les communes.
En outre, l’article 30 du projet de loi est contraire à l’article 9-6 de la Charte européenne de l’autonomie locale, dont l’approbation a été autorisée par la loi n° 2006-823 du 10 juillet 2006, et dont la publication a été assurée par le décret n° 2007-679 du 3 mai 2007. L’article 9-6 de la Charte dispose en effet que « les collectivités locales doivent être consultées, autant qu’il est possible, en temps utile et de façon appropriée, au cours des processus de planification et de décisions pour toutes les questions qui les concernent directement ». Il est incontestable qu’un texte visant à fusionner des établissements publics de coopération intercommunale existants, en regroupant des communes dans un nouvel établissement, lequel doit bénéficier de transferts supplémentaires de compétences par rapport aux établissements fusionnés, « concerne directement » les communes de son périmètre.
Par comparaison, la création de la métropole de Paris – et c’est pour cette raison que le schéma est différent – doit être précédée par l’achèvement de la carte intercommunale de l’unité urbaine de Paris. À cette occasion, conformément à l’article 11 du projet de loi, une procédure d’établissement du schéma régional de coopération intercommunale doit être mise en œuvre avec l’obligation de consulter les communes et la commission régionale de coopération intercommunale.
Ainsi, au surplus, la loi établit une différence de traitement entre Paris et Aix-Marseille-Provence, en privant ce dernier territoire des garanties constitutionnelles relatives à la libre administration des collectivités territoriales. En ne prévoyant aucune procédure de consultation des communes concernées par le nouvel établissement public, le texte méconnaît la Charte européenne de l’autonomie locale.
Le projet de loi étant contraire à la Constitution, je vous demande, mes chers collègues, de le rejeter.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Collomb, contre la motion.
M. Gérard Collomb. Madame la présidente, mesdames les ministres, messieurs les rapporteurs, la première remarque que je voudrais faire, mes chers collègues, c’est que la procédure d’irrecevabilité qui vient de nous être présentée par Mlle Joissains ne se focalise que sur un seul aspect du projet de loi dont nous discutons aujourd’hui : la création de la métropole Aix-Marseille-Provence.
Je comprends évidemment, ma chère collègue, que vous soyez très attachée à cet aspect du texte, mais l’état d’esprit qui me paraît régner sur les différentes travées de notre Haute Assemblée me semble fort différent. Certes, nous pouvons porter des appréciations diverses sur tel ou tel point de la réforme, nous pouvons même avoir des divergences selon nos sensibilités. Toutefois, nous partageons tous, me semble-t-il, une conviction commune, la conviction que nous ne pouvons rester immobiles et qu’il nous faut changer. Changer parce que le monde bouge, changer parce que la France a bougé, parce que l’architecture institutionnelle que nous a léguée notre passé doit être amendée si nous voulons relever les défis qui sont ceux de notre pays et de nos territoires.
Cette volonté de changement, c’est celle qui animait déjà Gaston Defferre lorsque, le 27 juillet 1981, il présentait son premier projet de loi sur la décentralisation. Vous le rappeliez ce matin, madame la ministre, voici ce que déclarait alors celui-ci : « Ouvrons les yeux, regardons autour de nous, en quelques années, tout a changé. » C’était en 1981, mes chers collègues, mais depuis lors, le mouvement du monde n’a fait que s’accélérer. Tous les dix ans, nous vivons une ou deux révolutions technologiques, notre monde est en pleine mutation, des pays émergents qui, hier, n’étaient même pas dans notre champ de vision, s’imposent aujourd’hui comme des puissances économiques incontournables. Et nous, nous resterions immobiles, figés dans une organisation dont nous voyons tous les limites ? Qui peut le croire ?
Alors oui, il faut aller de l’avant, dépasser nos contradictions, faire surgir la modernité. La volonté de prendre en compte les changements ne date pas d’aujourd’hui. Elle s’est déjà exprimée à l’occasion de la réforme territoriale de 2010. Je me souviens que, dépassant nos sensibilités, nous avions réussi, avec André Rossinot, Jacques Pélissard, avec l’Association des maires de France, à faire surgir la notion nouvelle de pôle métropolitain. Depuis, il s’en est créé vingt-cinq dans notre pays.
Aujourd’hui, mesdames les ministres, c’est une nouvelle étape que vous nous proposez avec ce texte tel que vous l’avez écrit, mais aussi tel que l’a modifié la commission des lois, avec un grand esprit d’ouverture. Ce texte prévoit un certain nombre d’avancées, mais est aussi soucieux d’équilibre entre les territoires, entre les différentes collectivités locales. Vous le rappeliez, ce texte en appelle d’autres. Il affirme la métropole comme une réalité et comme un modèle d’organisation. Construction technocratique, disent certains ? Construction théorique ? Non, mes chers collègues, le fait métropolitain est aujourd’hui le fait majeur de notre époque ; il marque évidemment notre pays comme il marque le monde. C’est la réalité dans laquelle vivent des dizaines de millions de nos concitoyens.
Et si, parfois, ils subissent des conditions difficiles, c’est précisément parce que, dans ces aires métropolitaines, le manque de gouvernance adaptée est à l’origine de tous ces problèmes : celui du logement, celui de la fracture sociale, qui est avant tout une fracture spatiale, celui du manque de transports en commun à la bonne échelle, celle des bassins de vie. C’est de là que naissent doute et rancœur chez nos concitoyens, perte de confiance à l’égard d’élus qui se révèlent incapables de répondre aux besoins de la vie quotidienne, non pas par manque d’envie, mais par manque de moyens et de structures adaptées. Or quand naît le doute, c’est la démocratie et la République qui se fragilisent.
Ce texte fait surgir les métropoles, mais, nous l’avons déjà dit, il n’y a pas d’opposition entre cette affirmation du rôle des métropoles et le développement de tous les autres territoires. Vous le rappeliez, madame la ministre, ce texte n’est en effet que le premier maillon d’une nouvelle organisation qui permettra la mise en synergie de tous les territoires : les territoires ruraux et les territoires urbains, les petites villes et les grandes métropoles, les communes et les intercommunalités, les départements et les régions.
C’est sans doute parce que chacun, ici, est conscient qu’il faut poursuivre l’analyse et le dialogue sur des textes aussi fondamentaux que votre motion, mademoiselle Joissains, ne vise qu’un seul aspect, celui qui concerne la métropole Aix-Marseille-Provence. Et sur cette question elle-même, mes chers collègues, je pense que nous partageons la même analyse, sur quelque travée que nous siégions : Marseille connaît des problèmes, des problèmes économiques, des déséquilibres sociaux, une accentuation des inégalités entre les territoires et donc, au final, nous le voyons trop souvent hélas, une montée des violences urbaines.
Pourquoi ces problèmes ? Manque d’attention ? Manque de financement de l’État ? Je comprends que Jean-Claude Gaudin ait mis l’accent sur ces questions, mais, mes chers collègues, quand je regarde les financements du projet Euroméditerranée, ou, plus récemment, de Marseille-Provence 2013, capitale européenne de la culture, il ne me semble pas que Marseille ait fait partie des territoires qu’on laisse à l’abandon.
Je veux bien qu’on compare la masse de fonds publics dont ont bénéficié Marseille et l’agglomération lyonnaise…
M. Pierre-Yves Collombat. Et les communes rurales ?
M. Gérard Collomb. Non, ce qui, dès le départ, a été le point de faiblesse de ce territoire, c’est qu’il a été pensé depuis le début dans des conditions trop étroites, qu’il n’est devenu une communauté urbaine que très récemment, et encore, vu l’étroitesse du territoire, une communauté urbaine « réduite aux acquêts ».
Mes chers collègues, quand je compare avec la communauté urbaine de Lyon, c’est bien cela qui fait la différence. Le Grand Lyon, ce sont cinquante-huit communes ; ce sont, réunis dans un même ensemble, les territoires tertiaires du centre-ville et les grandes zones industrielles de la périphérie, le rassemblement des universités, des centres de recherche, des pôles de compétitivité, les grandes villes et les petites communes de nos zones rurales. Sur le plan social, ce sont les territoires les plus riches et les plus fragilisés réunis dans un même espace, et donc la possibilité de mener des politiques qui permettent de recréer une mixité sociale, qui rendent vivante et crédible la volonté de vivre ensemble.
Alors oui, je crois que Marseille ne pourra rebondir que si elle parvient à élargir son horizon, que si elle parvient à se rassembler avec les intercommunalités voisines dans une grande métropole comme celle qui nous est proposée dans ce texte, une métropole qui pourra définir des stratégies globales sur le plan économique comme sur le plan social.
Élargir le territoire, se donner une gouvernance globale, est-ce pour autant nier la diversité des territoires ? Je peux comprendre les craintes, mais je ne peux les partager. Permettez-moi de vous dire que l’expérience de l’agglomération lyonnaise me prouve le contraire – et ce qu’a dit tout à l’heure notre collègue Louis Nègre à propos de la métropole de Nice vient confirmer ma pensée. Mes chers collègues, quand la communauté urbaine de Lyon fut créée en 1966, au temps du général de Gaulle, elle ne put l’être que par un décret. À l’époque, cette décision ne suscita que des oppositions, hormis chez le maire de Lyon et celui de Villeurbanne.