Mme la présidente. Les amendements nos 387 rectifié et 739 rectifié sont identiques.
L'amendement n° 387 rectifié est présenté par MM. C. Bourquin, Bertrand et Collombat.
L'amendement n° 739 rectifié est présenté par MM. Patriat et Eblé, Mmes Espagnac et Génisson, MM. Percheron, Besson, Le Vern et Fauconnier et Mme Herviaux.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 12
Rédiger ainsi cet alinéa :
5° L’article L. 1111-8 devient l’article L. 1111-8-1 et au premier alinéa, les mots : « qu’il s’agisse d’une compétence exclusive ou d’une compétence partagée » sont supprimés ;
II. – Après l’alinéa 12
Insérer six alinéas ainsi rédigés :
6° L’article L. 1111-8 est ainsi rétabli :
« Art. L. 1111-8. – Sauf lorsque sont en cause des intérêts nationaux et dans les domaines prévus par la loi, l’État peut déléguer à une collectivité territoriale ou à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre l’exercice de tout ou partie de ses compétences.
« Les compétences déléguées en application du présent article sont exercées au nom et pour le compte de l’État.
« Aucune délégation ne peut porter sur l’exercice de missions de contrôle confiées aux services de l’État par les lois et règlements.
« Les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre qui souhaitent bénéficier d’une délégation de compétences en font la demande auprès du représentant de l’État dans la région qui la transmet au ministre chargé des collectivités territoriales accompagnée de ses observations et de l’avis de la conférence territoriale de l’action publique prévue à l’article L. 1111-9-1.
« La délégation est décidée par décret. Elle est régie par une convention qui en fixe la durée, définit les objectifs à atteindre, précise les moyens mis en œuvre ainsi que les modalités de contrôle de l’autorité délégante sur l’autorité délégataire. Les modalités de cette convention sont précisées par décret en Conseil d’État. »
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour présenter l'amendement n° 387 rectifié.
M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement a un objet quasi identique : il explore la possibilité de déléguer des compétences de l'État à la région. Cette disposition est tout à fait intéressante et j’espère que nous nous en souviendrons lorsqu'il sera question des transferts de compétences des départements ou des régions aux métropoles.
En effet, la délégation permet aussi, sans dépecer les départements, surtout là où les métropoles ne s'imposent pas véritablement, de rationaliser la gestion sans porter atteinte aux collectivités territoriales qui exercent initialement ces compétences.
Mme la présidente. L'amendement n° 739 rectifié n'est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 387 rectifié ?
M. René Vandierendonck, rapporteur. La commission est conquise par l'avancée que permettent ces amendements, singulièrement par la pertinence de l'amendement n° 684 rectifié ter, qui tend à faire figurer dans la future loi que la délégation intervient au nom et pour le compte de l'État, et à la demande de la collectivité. Par les temps qui courent, cette précaution est opportune !
Par conséquent, la commission vous demande, monsieur Collombat, de bien vouloir retirer l'amendement n° 387 rectifié au profit de l'amendement n° 684 rectifié ter, plus intégrateur et plus précis.
M. Pierre-Yves Collombat. Je retire d’ores et déjà mon amendement, madame la présidente !
Mme la présidente. L'amendement n° 387 rectifié est retiré.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l'amendement n° 684 rectifié ter ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Le Gouvernement est tout à fait favorable à cet amendement, d'autant que, avant que nous n’entamions l'examen de l’article 2, j'ai expressément indiqué que le renoncement à l'expérimentation ne valait pas approbation de la délégation de compétences.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Cet amendement est très sympathique et je comprends la précipitation de la commission et du Gouvernement à l’approuver. Pourtant, au risque de déplaire à ses auteurs, je trouve qu'il y manque certains éléments sur la compensation.
Nous nous battons depuis des décennies pour savoir comment le transfert de compétences est compensé par l'État et nous ne cessons d'appeler à la vigilance à ce sujet. Là, il s'agit d'inverser la charge de la preuve et de préciser que la délégation doit faire l’objet d’une demande des collectivités.
J'aurais souhaité non seulement qu’il soit indiqué que cette demande doit être acceptée, mais aussi que soient prévues un certain nombre de garanties sur les équilibres et les compensations. Il faut notamment que ces dernières soient effectuées dans les mêmes conditions et par les mêmes opérateurs que lorsque c'est l'État qui demande un transfert.
En effet, la collectivité peut, pour des raisons de gestion, avoir besoin d'un transfert, sans forcément avoir une idée précise de son coût réel. Il faudrait en quelque sorte une étude d'impact.
Peut-on avoir des garanties en la matière ?
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Ce mécanisme existe déjà ! Certaines dotations sont calculées annuellement en fonction des frais engagés. Ce dispositif me paraît moins périlleux que les transferts de compétences, car, en la matière, on sait très bien que les dépenses croissent en réalité plus vite que ce qui était estimé au moment où le transfert est décidé.
Il me semble que le principe d’une dotation tenant compte des dépenses réalisées par les collectivités pour l'exercice d'une compétence de l'État, dans le cadre, non pas d'un transfert, mais d’une délégation, est déjà appliqué.
M. Michel Mercier. Oui !
M. Pierre-Yves Collombat. Si même M. Mercier le confirme... (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Lipietz, pour explication de vote.
Mme Hélène Lipietz. À partir du moment où ce sont les collectivités qui sont à l'initiative de la demande de délégation, on peut supposer qu'elles savent ce qu’elles font et se sont interrogées avant de s’engager. Je fais confiance aux territoires.
Par ailleurs, cette délégation n'est pas sans garantie.
Ainsi, la convention fixe la durée de la délégation. Si, au terme des cinq années, la région ne peut assumer, elle n’en demandera pas le renouvellement.
Par ailleurs, la convention définit les objectifs à atteindre, précise les moyens mis en œuvre ainsi que les modalités de contrôle de l'État. En outre, les modalités de cette convention sont fixées par décret en Conseil d'État.
Tous ces éléments devraient rassurer M. Karoutchi !
M. Roger Karoutchi. Je ne suis jamais rassuré quand je prends des charges ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. Avec cet amendement, on est dans la même situation que lorsqu'on dit qu'une collectivité peut accorder un allégement d'impôt. C'est exactement pareil ! On ouvre la bonde : la collectivité peut, mais, ensuite, c'est elle qui paye !
J'avoue être assez sceptique. La délégation de compétence en matière de logement dans les territoires accordée aux collectivités se traduit par une baisse importante des dotations de l'État et par une compensation financière de plus en plus importante des intercommunalités ! En d'autres termes, on est en train d'ouvrir la porte à l’abandon progressif par l'État de ses compétences régaliennes.
Je ne partage pas du tout l'optimisme de ma collègue sur cette question et ne suis pas favorable à l’amendement n° 684 rectifié ter.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. René Vandierendonck, rapporteur. Les questions que posent mes collègues sont importantes et je tiens à les rassurer.
Existe-t-il aujourd'hui des délégations de ce type ? La réponse est « oui », mais seulement entre collectivités territoriales.
Quel est l’objet de cet amendement ? Il s’agit de généraliser cette possibilité et de prévoir des délégations entre l'État et les collectivités.
Quelles précautions faut-il prendre pour se prémunir du risque d'un transfert de charges ? Du fait de la nature de la délégation, la collectivité continue à agir au nom et pour le compte du délégant.
Par conséquent, les garanties existent. Elles sont même supérieures à celles qui sont prévues pour les appels à projet, ce dispositif pernicieux qui se développe et qui consiste à dire : « Je décide et vous payez une partie. »
Je préfère de loin la clarté de la mesure proposée. Elle a été discutée en commission et il faut la considérer comme un progrès majeur par rapport aux pratiques actuelles.
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote.
M. Vincent Capo-Canellas. M. le rapporteur vient de répondre en partie aux interrogations que je souhaitais formuler.
Pour la clarté du débat, je pense que l'on gagnerait à « documenter » le sujet. Pour le rapporteur, il s'agit d'un renversement important. Quitte à choisir la voie du renversement ou de la révolution, faisons-le consciemment !
Sans doute cet amendement a-t-il une portée politique majeure, en tout cas une portée intramajoritaire qui n'a échappé à aucun d'entre nous. Dont acte. Cependant, il faut savoir ce qui change véritablement par rapport à la loi de 2010.
Je n'ai pas le sentiment que nous soyons particulièrement éclairés sur le champ des délégations que nous ouvrons.
Si nous ne pouvons qu'être favorables au fait que les collectivités puissent d'elles-mêmes avoir une faculté de propositions, au lieu de subir des transferts, il est tout de même nécessaire que le Parlement soit un peu plus renseigné qu’il ne l'est. Nous avons l'impression de délibérer vite et parfois à l’aveuglette.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. René Vandierendonck, rapporteur. Il faut faire confiance à l'intelligence territoriale !
De ce point de vue, l'amendement que nous examinons est remarquablement rédigé, puisqu'il est précisé que la délégation ne s’applique que lorsque la collectivité en fait la demande.
Je le répète, des garanties sont prévues. Il s'agit d'une délégation ; en d’autres termes, les collectivités continuent d'agir au nom et pour le compte de l'État. En outre sont exclus du champ de la délégation les domaines de prérogatives régaliennes non déléguables.
Par conséquent, faisons confiance aux collectivités, parce que toutes les précautions auront été prises pour que le dispositif en cause puisse fonctionner.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Je suis assez favorable à cette logique.
J’ai travaillé sur la délégation de la compétence d’attribution des aides à la pierre et du contingent préfectoral en matière de logement. Pour le contingent préfectoral, par exemple, la pratique a précédé la loi. Pourtant, une fois la loi adoptée, la délégation a été décidée à certains endroits et pas à d’autres...
Permettre la délégation, c'est bien. Mais quelle garantie a-t-on que l'application sera équitable sur tout le territoire ? Qu'il faille distinguer entre territoires de nature différente, je le comprends. Mais quid des territoires de nature équivalente ? Comment avoir la certitude qu’ils seront traités de la même manière ? Je m'interroge…
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Il s'agit d'une délégation dans le cadre d'une convention et non d'un transfert obligatoire. Je ne peux pas imaginer, y compris après délibération en commission permanente, qu'un responsable d'exécutif signe une convention qui soit totalement défavorable à sa collectivité. La convention en question prévoit une double signature, donc une double garantie.
M. Philippe Dallier. Mais si la collectivité demande et que l'État dit « non » ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Si vous voulez que nous obligions l'État à déléguer des compétences que les collectivités territoriales lui demandent, une suspension de séance s’impose : il nous faut discuter... (Sourires.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article additionnel après l'article 2
Mme la présidente. L’amendement n° 614 rectifié bis, présenté par MM. Delahaye, Guerriau et Arthuis, est ainsi libellé :
Après l'article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - La région ne peut participer au financement de l’activité d’une personne morale que pour un montant supérieur à 1 centime d'euro par habitant de la collectivité.
II. - Le département ne peut participer au financement de l’activité d’une personne morale que pour un montant supérieur à 1 centime d'euro par habitant de la collectivité.
La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Cet amendement, comme l’amendement n° 616 rectifié bis, a pour origine la volonté de la majorité de cet hémicycle de rétablir, à la demande du Gouvernement, la clause de compétence générale. Dans mon amendement précédent, je proposais de limiter les interventions réalisées à ce titre par les départements et les régions par référence à leur budget. Pour sa part, le présent amendement tend à éviter l’émiettement et le saupoudrage des subventions, et donc à aider les exécutifs à résister à la tentation, parfois légèrement clientéliste, de soutenir un peu tous les projets sans distinction.
L’idée est de fixer le plancher des participations de la région et du département au financement de l’activité d’une personne morale ou d’une association à un centime d’euro par habitant de la collectivité.
La définition d’une somme minimale devrait également permettre d’alléger la charge de travail des services administratifs des collectivités qui instruisent les dossiers de financement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. René Vandierendonck, rapporteur. La commission est défavorable, l’amendement étant contraire au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. J’ai toujours soutenu jusqu’à présent les amendements du groupe UDI-UC, mais, en l’occurrence, je ne comprends pas très bien le sens de celui que vous venez de présenter, monsieur Delahaye.
Mme Nathalie Goulet. Il ne s’agit pas d’un amendement du groupe !
M. Roger Karoutchi. Parce que je souhaite en effet limiter la dispersion des subventions en tout genre, je n’ai pas envie que ma région ne puisse pas accorder d’aide inférieure à 1,2 million d’euros. Cette règle inciterait tous ceux qui touchent moins à réclamer la revalorisation de leur subvention ! (Sourires.) Non merci ! (Mme Nathalie Goulet applaudit.)
Mme la présidente. Monsieur Delahaye, l'amendement n° 614 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Vincent Delahaye. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 614 rectifié bis est retiré.
Chapitre II
Les collectivités territoriales chefs de file, la conférence territoriale de l’action publique et le pacte de gouvernance territoriale
Section 1
Les collectivités territoriales chefs de file
Article 3
L’article L. 1111-9 du code général des collectivités territoriales est ainsi rédigé :
« Art. L. 1111-9. – I. – La région est chargée d’organiser, en qualité de chef de file, les modalités de l’action commune des collectivités territoriales et de leurs établissements publics pour l’exercice des compétences relatives à l’aménagement et au développement durable du territoire, aux développements économique et touristique, à l’innovation et à la complémentarité entre les modes de transports.
« II. – Le département est chargé d’organiser, en qualité de chef de file, les modalités de l’action commune des collectivités territoriales et de leurs établissements publics pour l’exercice des compétences relatives à l’action sociale et à la cohésion sociale, à l’autonomie des personnes, à l’aménagement numérique et à la solidarité des territoires.
« III. – La commune, ou l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre auquel elle a transféré ses compétences, est chargée d’organiser, en qualité de chef de file, les modalités de l’action commune des collectivités territoriales et de leurs établissements publics pour l’exercice des compétences relatives à l’accès aux services publics de proximité, le développement local et l’aménagement de l’espace.
« IV. – Les modalités de l’action commune des collectivités territoriales et de leurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre pour l’exercice des compétences mentionnées aux alinéas précédents sont définies par la conférence territoriale de l’action publique, prévue à l’article L. 1111-9-1. »
Mme la présidente. La parole est à M. Christian Favier, sur l’article.
M. Christian Favier. Cet article met en place dans notre législation le chef de filat, prévu dans la Constitution comme étant une possibilité offerte au législateur de désigner par la loi une collectivité territoriale chef de file sur une compétence déterminée.
Cette faculté a été introduite dans notre texte fondamental à la suite des réformes menées par notre collègue Jean-Pierre Raffarin quand il était Premier ministre.
Il s’agit cependant d’un concept vide de portée juridique, car cette notion n’a jamais réellement été définie, pas plus hier qu’aujourd’hui dans le présent projet de loi qui pourtant la consacre. Si nous adoptons l’article 3 tel qu’il est actuellement rédigé, nous ne saurons pas ce qui sera mis en place au nom de cette notion de chef de file, notamment quel type de relation se nouera entre les collectivités.
Tous les risques sont donc devant nous.
De surcroît, le dictionnaire ne nous est pas d’une grande utilité, précisant, à propos du chef de file, qu’il s’agit de celui qui est à la tête d’un groupe ou d’un mouvement. Il n’indique pas son rôle. Or, pour nous, c’est la véritable question.
Il semble que cette notion ait aussi une origine financière : elle désigne alors l’établissement bancaire qui dirige une opération financière et assure les relations entre une entreprise cliente et les autres banquiers. Nous pourrions nous satisfaire d’une telle vision d’entremetteur, à condition, dans ce cas, qu’il revienne aux parties en présence de désigner leur chef de file. C’est pourquoi nous sommes opposés à ce que la loi opère cette désignation. Nous préfèrerions que ce soient les collectivités qui décident.
Toutefois, en lisant l’exposé des motifs du présent projet de loi, il ne semble pas que cette vision de coordonnateur soit celle du Gouvernement. En effet, cette notion est visée dans le cadre de la clarification des compétences de chacune des collectivités territoriales. Ce n’est donc pas au sens de la coordination que nous devons examiner le concept contenu dans l’article 3, mais bien au sens de la direction effective par une collectivité de l’action de chaque collectivité pour l’exercice d’une compétence définie. C’est l’option dirigiste qui doit être retenue pour comprendre la portée de cet article.
Il s’agit donc, selon nous, d’un encadrement renforcé de la libre administration des collectivités et, en quelque sorte, d’une forme de tutelle exercée par une collectivité sur les autres.
Dans ces conditions, vous comprendrez que nous ne puissions accepter le principe même de chef de filat. Cette notion n’étant pas définie et sa mise en œuvre n’étant pas encadrée, tout devient possible. Une collectivité pourrait non seulement interdire à d’autres d’intervenir dans un domaine, mais aussi les obliger à agir en son nom, sans aucun garde-fou, y compris les contraindre à effectuer des dépenses.
Aussi, chacun le comprend bien, sans définition et sans encadrement, il n’est pas possible que notre droit public intègre une telle notion, qui ouvrirait la porte à de nombreux conflits potentiels.
C’est pourquoi nous avons déposé un amendement tendant à supprimer le concept de chef de file. Si toutefois nous n’étions pas suivis, nous avons aussi déposé un amendement de repli visant à faire respecter le principe constitutionnel de non-tutelle d’une collectivité sur une autre.
En résumé, l’article 3 nous semble dangereux, sa portée normative faible et floue ouvrant la porte à de nombreux conflits.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Cazeau, sur l'article.
M. Bernard Cazeau. À l’article 3 est proposée une nouvelle rédaction de l’article L. 1111-9 du code général des collectivités territoriales, qui désigne chaque niveau de collectivité comme chef de file pour la mise en œuvre de compétences nécessitant l’intervention de plusieurs collectivités territoriales d’échelons différents.
Pour ce qui concerne les départements, la commission des lois a souhaité supprimer le tourisme de la liste des compétences pour lesquelles le conseil général est chef de file, ayant estimé plus « opportun » de désigner la région en la matière.
Je m’interroge sur le qualificatif « opportun ». Dans son ouvrage Un amour, l’écrivain italien Dino Buzzati écrivait : « Un baiser donné en temps opportun épargne bien des salutations distinguées. » (Sourires.) Manifestement, la commission des lois aurait bien fait de s’inspirer de cette citation. Cette modification majeure du texte sur la compétence touristique a suscité un profond mécontentement chez les élus de terrain.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous l’avons entendu !
M. Bernard Cazeau. En effet, lors des auditions menées par M. le rapporteur, il avait été fait mention d’une discussion en amont au sujet de la meilleure coordination de certaines compétences régionales et départementales, et non d’une suppression de compétence de la deuxième collectivité au profit de la première. Le président de l’Assemblée des départements de France, l’ADF, Claudy Lebreton, s’était d’ailleurs déclaré favorable à un dialogue, qui semble refusé dans cet article. Une telle méthode n’est pas acceptable.
Les élus de proximité le regrettent très vivement, car ces décisions mettent clairement à mal l’avenir institutionnel du niveau de collectivité qui se trouve au cœur des solidarités humaines et territoriales, à savoir le département.
Nous ne prendrons que les deux exemples les plus significatifs : la désignation en tant que chef de filat, d’une part, de la région en matière de tourisme et, d’autre part, du bloc communal pour les politiques relatives à l’accès aux services publics de proximité, au développement local et à l’aménagement de l’espace.
De fait, par ce biais, vous reléguez quasi exclusivement les départements à l’exercice de leurs compétences sociales, alors qu’un consensus avait été trouvé avec le Gouvernement sur leur rôle essentiel d’aménageurs du territoire et d’acteurs dans le domaine de l’emploi de proximité. Où est désormais la cohérence avec les dispositions prévues, notamment, dans le deuxième projet de loi que nous examinerons après l’été ?
Pour notre part, nous estimons que la désignation d’un chef de file en matière de tourisme présente plus d’inconvénients que d’avantages. La recherche de synergies serait plus utile. Pourquoi trancher ici alors qu’il appartiendra aux collectivités d’organiser les structures en fonction de la réalité ? Dans le Nord-Pas-de-Calais et l’Alsace, le bon niveau de collectivité, c’est la région, mais tel n’est certainement pas le cas pour la Dordogne, l’Aisne, l’Aude le Calvados, le Lot, notamment.
Nous défendrons donc des amendements qui vont dans ce sens.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Dubois, sur l’article.
M. Daniel Dubois. Sans relancer la discussion sur les principes constitutionnels, je voudrais à mon tour intervenir sur cette notion de chef de filat, qui soulève, selon moi, un problème de cohérence, de complexité, mais aussi un risque.
Il me semble tout d’abord incohérent de déléguer la responsabilité de chef de file à la région pour l’aménagement du territoire. Car le conseil général a lui aussi une responsabilité dans l’aménagement solidaire et équilibré d’un territoire rural. De surcroît, si, demain, nous allons vers la création de métropoles pour les agglomérations importantes – je suis plutôt favorable à cette évolution –, il est sûr que certaines collectivités vont devenir de véritables territoires ruraux. Dès lors, cette notion de solidarité dans l’aménagement équilibré du territoire va devoir très clairement s’exprimer. Malheureusement, on a instauré chef de filat la région et déshabillé le département. Cela pose un vrai problème, au-delà même du tourisme, dont vient de parler notre collègue Bernard Cazeau.
En revanche, on a désigné la commune comme chef de file pour ce qui concerne l’accès aux services publics. Je suis frappé de ce manque de responsabilité de l’État ! En effet, mis à part l’État, qui peut se porter garant de la solidarité nationale et faire en sorte que les services publics de proximité soient garantis aux citoyens dans les territoires les plus isolés ?
On ne peut pas demander à une commune isolée, dépourvue de moyens, d’assumer cette responsabilité, de conserver un bureau de poste alors que la fermeture de celui qui existe est d’ores et déjà décidée, une école sans instituteur, et de faire en sorte que les moyens de communication numériques arrivent jusqu’à son territoire.
Il y a là, me semble-t-il, une incohérence majeure et une vraie responsabilité de l’État à l’égard des territoires ruraux dans le domaine de l’aménagement et des services publics. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé un certain nombre d’amendements. Toutefois, ne sachant pas si je pourrai les défendre, je tenais à m’exprimer dès à présent sur le sujet.
Le flou, les difficultés et l’incohérence engendrés par les dispositions que nous examinons nous renvoient au débat que nous avions tout à l’heure : si l’on voulait donner davantage de liberté aux collectivités, il fallait oser créer un cadre. Car nous ne sommes véritablement libres que si nous savons dans quels domaines nous pouvons agir librement ; nul ne l’ignore.
Malheureusement, le Gouvernement ne prend pas cette responsabilité. Loin de créer le cadre, il met en place un système extrêmement complexe, qui orchestre en particulier l’abandon des territoires. On a éloigné le conseiller général, modifié l’élection dans les communes, laissé les territoires ruraux sans un responsable chargé de leur aménagement équilibré. En définitive, on les isole, ce qui constitue un vrai risque pour l’unité et l’unicité de nos territoires.
Cela étant, je ne suis pas un partisan de l’immobilisme, mais il convient d’avancer avec une ligne conductrice forte qui, je le déplore, fait défaut dans le présent projet de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, sur l’article.