M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, sur l'article.
Mme Catherine Morin-Desailly. Évoquant cette réforme, le Gouvernement parlait initialement d’« acte III de la décentralisation ». Telle était l’ambition, après les lois Defferre de 1982 et les lois Raffarin de 2003-2004. Cela permettait également de minorer, voire d’ignorer, le travail réalisé par le précédent gouvernement qui avait abouti à la loi du 16 décembre 2010, texte qui n’est certes pas parfait, mais qui a eu le mérite de s’attaquer à certaines pesanteurs de notre organisation administrative.
Cette ambition d’un nouveau grand acte de la décentralisation est mort-née. Le Gouvernement s’est heurté aux résistances des associations d’élus, pourtant dirigées par ses propres amis politiques, et a été obligé de revoir sa copie. Celle-ci est devenue quasi incompréhensible.
Le Président de la République avait annoncé vouloir simplifier le millefeuille administratif, mais c’est un pudding encore un peu plus lourd et indigeste qui nous est proposé. Le rejet, hier, par le Sénat, des dispositions relatives à la métropole de Paris en est la démonstration.
Le saucissonnage en trois textes distincts fait perdre à cette réforme toute cohérence et lisibilité. Je l’ai d’ailleurs rappelé dès le début du débat sénatorial : il aurait été préférable d’aborder les choses dans leur globalité, même si cela supposait un texte assez long. J’y voyais deux avantages.
Cela nous aurait permis tout d’abord de mieux appréhender les perspectives qui attendent chaque niveau de collectivité. Au lieu de quoi, le découpage en trois textes nous impose de travailler en ce moment sur le statut des métropoles et des grandes zones urbaines sans mener une réflexion corrélative sur nos territoires ruraux, voire en faisant abstraction du sort réservé qui leur sera réservé. Il s’agit d’une erreur profonde dans la manière d’envisager la notion de territoire, car il y a une nécessaire et évidente complémentarité entre secteur urbain et secteur rural.
Cette solution aurait en outre permis la simplification souhaitée : ne se serait-on pas mieux rendu compte de l’édifice incertain et tentaculaire que cette loi construit, si l’ensemble avait été contenu dans un seul et même texte ? Ici, au contraire, on voit déjà poindre les difficultés : les incohérences auront encore la part belle, car chaque projet de loi sera l’occasion d’ajouter telle ou telle disposition afin de satisfaire la demande de Pierre, sans déshabiller Paul et tout en ne mécontentant pas Jacques...
L’un des mérites du texte élaboré en 2010 était d’avoir su poser un premier jalon sur le long chemin de la simplification de notre millefeuille territorial, notamment à travers la création du conseiller territorial.
Les nécessaires réorganisations ne sont pas faites pour plaire à tel ou tel, mais doivent avoir pour seul objectif de rendre l’action publique plus lisible, plus cohérente, plus efficace.
Il ne faut pas s’y tromper : le citoyen, quel que soit le niveau administratif qui intervienne, y voit toujours la marque de l’hydre étatique. Or c’est bien là que le bât blesse : le Gouvernement a encore ajouté quelques couches au millefeuille en proposant de créer les conférences territoriales et le Haut conseil des territoires. Toujours plus de structures pour s’éloigner encore un peu plus du citoyen…
De ce point de vue, il est étonnant que le Gouvernement ne conçoive la décentralisation que de façon désincarnée et théorique. J’en veux pour preuve ce qui nous occupe ici, la métropole.
Ce projet de loi ne crée pas les métropoles. Je tiens à redire que c’est bien la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010 qui a créé ce nouveau type d’EPCI. Le texte dont nous débattons tend à instaurer un régime plus intégré à travers le transfert de compétences plus étendues. Soit ! Parallèlement, il prévoit la mise en place d’instances consultatives inframétropolitaines. Pourquoi pas ?
Toutefois, le critère retenu pour accéder à ce statut est uniquement démographique et a même été durci par notre commission des lois.
Là aussi, je tiens à le dire, il s’agit d’une aberration qui démontre le défaut de vision quant à ce qu’est, ou plutôt ce que doit être la décentralisation.
L’ensemble métropolitain doit avant tout répondre à une logique de projet plutôt que satisfaire à un seuil de population. Ce qui fait sens dans la constitution d’une métropole, c’est le projet de développement économique qui peut y être mené selon, bien sûr, la configuration socio-économique du territoire. C’est aussi l’intérêt que peut présenter le fait de conférer ce statut à un territoire de par son ouverture à l’international, notamment à l’Europe, du fait de son positionnement géographique ou de la présence d’infrastructures importantes. C’est encore la possibilité de mener sur ce territoire une politique d’aménagement global du territoire grâce à la présence d’axes de communication de première importance, de grandes entreprises, d’universités ou de grandes écoles.
Je tire bien évidemment cette réflexion de la réalité territoriale qui est la mienne en Seine-Maritime, plus particulièrement à Rouen, positionné, en lien avec Le Havre, au cœur du grand et ambitieux projet Axe Seine lancé sous la précédente mandature.
Bref, si la démographie est un élément important à prendre en compte afin que la masse critique soit atteinte, il apparaît qu’une réforme de la décentralisation qui sait où elle va et quels résultats elle souhaite produire se doit de dépasser cette seule vision arithmétique. Aussi serai-je très attentive aux amendements portant sur le seuil afin d’éviter que ne soient définitivement figés, voire enterrés, des projets substantiels, porteurs de développement. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l'article.
M. Pierre-Yves Collombat. Au moment où nous nous apprêtons à faire éclore les métropoles comme les champignons au printemps (Sourires.), vous me permettrez de revenir sur un sujet que nous avons déjà abordé.
Qu’il existe un fait urbain, tout le monde en est d’accord. Mais quand il s’agit de savoir ce que signifie « fait urbain » et quelles conséquences en tirer, les choses commencent à se gâter…
En un sens, aujourd’hui, nous sommes tous des urbains, à des degrés divers : de par notre vision du monde, façonnée par les médias, et surtout de par nos besoins.
Plutôt que d’« urbanisation » au sens absolu, nous devrions parler de « gradients d’urbanité », comme disent certains géographes, en fonction de la densité démographique et de l’activité sociale et économique des secteurs.
Si nous retenions cette acception du « fait urbain », l’objet du projet de loi serait alors de permettre à chacun, où qu’il soit, d’accéder au mode de vie, aux aménités et aux services sans lesquels il n’est pas d’urbanité.
Cela aurait supposé de penser notre organisation territoriale en termes de réseaux plutôt qu’en termes d’isolats concentrant plus ou moins de compétences, de pouvoir et de richesse selon leur densité.
Telle est, par exemple, toutes choses inégales par ailleurs, l’organisation de l’Émilie-Romagne, l’une des régions les plus dynamiques d’Italie, dont l’appareil de production est fragmenté en petites zones urbaines maintenant un lien fort entre ville et campagne.
La cité la plus importante de cette région, Bologne, assume des fonctions éminentes, sans toutefois exercer d’hégémonie sur le réseau de villes moyennes et des unités du district industriel.
Ce n’est pas le point de vue adopté pour ce projet de loi, qui ne dit rien ou presque des réseaux, de leur organisation et de leur gouvernance, à la recherche qu’il est de la circonscription censée pouvoir résoudre l’ensemble des problèmes sur un territoire continu.
Le terme « urbain » signifie parfois « l’hyperurbain » – je pense que c’est le cas de Lyon –, parfois encore un ensemble de communes très différentes, de la dimension d’un département – c’est le cas de Marseille –, voire d’une région - c’est le cas de la métropole parisienne. Dans cette acception-là, « urbain » devient un concept flottant.
Cette manière de penser le développement territorial ne me semble pas vraiment compatible avec une politique d’égalité des territoires, objectif poursuivi, ai-je cru comprendre, par le Gouvernement.
D’abord, parce qu’il n’est pas certain, contrairement à ce qui se dit – je pense au dernier ouvrage de Laurent Davezies et aux échanges qui ont eu lieu ici – que ce soient les territoires dynamiques qui financent le bien-être des territoires qui ne le sont pas. En fait, nous ne disposons d’aucune étude récente retraçant les flux financiers et humains complexes qui s’opèrent entre eux.
Celles dont nous disposons, qui datent de la fin des années quatre-vingt-dix, montrent plutôt le contraire : non seulement la concentration urbaine a un coût, mais c’est surtout là, tout particulièrement en Île-de-France, que les financements de l’État vont prioritairement. Certes, les territoires adjacents bénéficient des retombées, mais il s’agit seulement de retombées.
N’en déplaise à ceux qui se satisfont du discours ambiant, les trois-quarts des emplois dépendent non de la compétitivité internationale des entreprises, mais de la dynamique économique endogène, autant dire des débouchés locaux, que l’on a bien tort de négliger. Il s’agit donc de conforter la dynamique économique, non seulement des ensembles urbains les plus riches, mais de l’ensemble du territoire.
Quoi qu’il en soit, le transfert de compétences aux métropoles privera les départements et les régions d’une part essentielle de leur pouvoir unificateur et péréquateur sur leur territoire.
Pour prendre un exemple que je connais bien, si la communauté d’agglomération Toulon-Provence-Méditerranée devient une métropole, plus de la moitié des moyens humains et financiers de mon département - le Var -, pourraient lui être transférés. On mesure ce qui restera de la capacité d’intervention du département, voire de sa liberté politique, avec le changement de mode de scrutin.
S’il est donc cohérent d’envisager une forme d’intercommunalité particulièrement intégrée pour les communes très urbanisées, la création d’une entité nouvelle disposant à la fois des compétences communales et départementales – c’est actuellement le cas de Paris -, par scission d’un département - c’est l’exemple de Lyon que nous venons de voter -, la multiplication d’intercommunalités puissantes, disposant d’une partie des compétences des départements et des régions, aura des effets ravageurs sur leurs départements et leurs régions de naissance.
Une telle politique de développement séparée, si elle ne s’accompagne pas d’une vigoureuse péréquation et d’une mise en réseau, risque d’aggraver encore les inégalités territoriales devenues « fissures » et le sentiment d’abandon qui va avec, sentiment qui se traduit de plus en plus dans les votes.
Le processus de métropolisation de fait engagé depuis une trentaine d’années a eu, en effet, un double résultat. Tout d’abord, il a abouti à la création, d’une part, de villes sans peuple, par appropriation des classes moyennes du bâti ancien où elles résidaient – centres villes et banlieues proches – et, d’autre part, de métropoles concentrant à la fois les élites sociales et, dans des îlots sensibles, les populations les plus en difficultés qui fuient dès qu’elles le peuvent.
Ensuite, il entraîne le refoulement de l’essentiel des classes populaires dans le halo urbain extérieur.
Le renforcement de cette tendance, ce que prévoit le projet de loi, apportera-t-il une réponse aux problèmes des unités urbaines denses, et plus encore, de leur halo périphérique ? Vous me permettrez d’en douter ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE.)
M. Yvon Collin. Bien !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. L’intervention de Mme Morin-Desailly, qui m’a quelque peu étonné, me pousse à réagir.
En effet, j’ai eu le sentiment, chère collègue, que vous auriez pu tenir le même discours si la commission n’avait pas autant travaillé sur ce texte. Pourtant, les critiques que vous avez émises sur le titre Ier ont été prises en compte par la commission et par le Sénat.
Madame la ministre, je le redis, tout en partant du texte que vous avez déposé, nous avons cru devoir y apporter des modifications significatives, afin d’aller dans le sens de la simplicité et d’une meilleure intelligibilité que vous appelez de vos vœux.
Madame Morin-Desailly, lisez le titre Ier dans le texte de la commission. Les articles adoptés ont fait l’objet d’un large accord, et les suppressions aussi, d’ailleurs. Vous le verrez, nous avons introduit suffisamment de souplesse pour aller dans la direction que vous indiquez.
Nous avons eu, par ailleurs, un très long débat à propos des métropoles. Sur ce sujet, il ne faut pas, mes chers collègues, s’en tenir à des questions purement sémantiques.
Nous avons beaucoup travaillé sur ce point, qui a fait apparaître plusieurs visions.
Certains, et certaines, d’ailleurs, pensent qu’il faut un nombre très limité de métropoles, correspondant à quelques grandes agglomérations.
D’autres souhaiteraient que l’on pût appliquer ce terme à la totalité des agglomérations françaises. Si cependant toute ville peut être nommée « métropole », je ne suis pas certain que ce terme garde beaucoup de signification !
Mais je suis sûr que vous avez pris connaissance de nos travaux, chère collègue. C’est en prenant en compte tous les avis qu’elle a reçus que, lors de sa dernière réunion, la commission des lois est revenue sur le seuil de 400 000 habitants, qui aurait entraîné la création d’une douzaine de métropoles. Elle a également choisi, à cette occasion, de favoriser la transformation de communautés d’agglomération en communautés urbaines dès lors que les agglomérations le souhaiteront. Ce volontarisme nous paraît très important. Enfin, elle a convenu de la nécessité de prendre en compte les critères que vous avez évoqués.
Je ne dis pas que tout est parfait, mais une évolution ne sera possible que si ces cinq critères sont remplis, et si les élus le souhaitent.
Je tiens donc à vous dire, madame la sénatrice, que nous nous sommes efforcés de prendre en compte vos remarques, développées dans les deux volets que comptait votre intervention. Vous jugerez, bien sûr, si nous y sommes parvenus. Le texte, en outre, pourra encore évoluer.
Mme Catherine Morin-Desailly. C’est pour cela que nous sommes ici !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Tout à fait !
J’ajouterai qu’il faut prendre en compte les observations faites par M. Collombat. Je l’ai déjà dit, mais je me permets de le répéter, il n’y a pas, d’un côté, l’urbain et, de l’autre, le rural. C’est une conception complètement révolue !
Des départements entiers, que l’on peut qualifier de « rurbains », se caractérisent par leur zone intermédiaire. Beaucoup de villages, de petites villes ou de villes moyennes vivent en lien avec les plus grandes villes du département, dont elles sont éloignées de quelques dizaines de kilomètres, formant ainsi des bassins de vie, de travail et d’emploi, du moins quand il y a des emplois. (M. Francis Delattre s’exclame.)
C’est la réalité géographique d’une France qui a énormément changé. C’est pourquoi je serai hostile à des conceptions qui tendraient à isoler ou à sanctuariser les grandes métropoles,…
M. Charles Revet. C’est ce qui est en train de se produire !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … comme si elles étaient seules au monde,…
M. Charles Revet. C’est l’orientation de ce texte !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … de sorte que les autres entités devraient uniquement se déterminer par rapport à elles.
M. Charles Revet. On est en train de créer des déserts !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mon cher collègue, vous voudrez bien me laisser finir mon intervention. Bien sûr, j’écouterai vos propos avec beaucoup d’attention, comme j’ai eu déjà l’occasion de le faire récemment, sur un autre sujet.
Un mot, pour moi, est essentiel, celui de « réseau ». Quand nous disons vouloir une France avec des communautés fortes, cela vaut pour toutes ! Il n’y a pas à opposer les grandes et les petites. Nous avons besoin de communautés urbaines, qui, pour certaines, s’appelleront des « métropoles », et d’un réseau de communautés de communes qui travaillent ensemble et qui, ensemble, s’organisent pour encourager le développement. Cela me semble très important. Sans cela, nous risquons de renvoyer à des clivages qui ne correspondent plus à la France du XXIe siècle.
M. le président. La parole est à M. Edmond Hervé, sur l’article.
M. Edmond Hervé. Mesdames les ministres, je considère que les articles relatifs à la création des métropoles donnent une vraie densité en termes de modernité et d’anticipation au présent projet de loi.
Mes chers collègues, je ne confonds pas le fait urbain et le fait métropolitain. Je ne pense pas, non plus, qu’un statut définisse le rayonnement d’une entité.
Parler des métropoles, c’est faire directement allusion à des fonctions métropolitaines. Or ces fonctions intéressent la totalité de notre nation et de nos territoires. Vous connaissez bien ces fonctions, mes chers collègues. Elles ont trait à la recherche, à la formation au sens général du terme – ce que l’on appelle la compétence des personnes –, au transfert, à l’innovation et à l’anticipation. (M. Charles Revet s’étonne.)
Ces fonctions métropolitaines concernent aussi la gouvernance. Que serait une métropole qui ne serait pas respectueuse des citoyennes et des citoyens, du cadre de vie, et des relations que nous devons tisser ? Car c en se fondant sur ces relations personnelles et en faisant de la métropole une humanité que l’on peut espérer et conquérir.
Vous avez raison, monsieur le président de la commission des lois, une entité métropolitaine n’est pas enfermée dans des frontières. Elle tisse des relations avec un bassin de vie mais aussi avec des villes étrangères. À ce sujet, je souhaiterais, mesdames les ministres, que la discussion du budget des relations internationales de la France, par exemple, soit l’occasion de prendre en compte la coopération décentralisée de nos communes, qui n’est jamais comptabilisée.
MM. Michel Delebarre et Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. Edmond Hervé. Pardonnez-moi cette digression, mes chers collègues, mais, puisque j’en suis à évoquer la question des relations internationales, je tiens à dire que nous ne pourrions pas aujourd’hui parler de l’Europe si, à la fin des années quarante, des villes n’avaient pas très courageusement tissé des relations de jumelage avec des villes allemandes.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est vrai !
M. Edmond Hervé. Voilà ce que signifie aussi la coopération internationale.
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. Edmond Hervé. Ces métropoles ont également des relations avec l’ensemble des territoires. Ce que Gérard Collomb a indiqué il y a quelques instants est prouvé de manière statistique : la fonction d’entraînement et de déversement des métropoles sur l’ensemble des territoires adjacents est toujours positive.
Mes chers collègues, je vous sais attachés à l’égalité des territoires. La condition de l’égalité des territoires, c’est, précisément, de disposer de métropoles fortes. Sans universités fortes, sans CHU forts, sans ces fonctions métropolitaines que j’ai rappelées tout à l’heure, les territoires s’affaibliront ; les personnes les plus riches iront se faire soigner ailleurs ; elles iront faire de la recherche et suivre des enseignements ailleurs. Cette notion d’égalité des territoires, je ne l’invente pas, je la vis comme beaucoup d’entre vous !
Un autre élément me paraît essentiel. J’ignore si Jean Germain reviendra sur ce point, dont nous avons débattu en commission des finances, mais, quant à moi, je m’opposerai à ce que l’établissement d’un nouveau régime financier pour les métropoles contribue à appauvrir les autres collectivités en diminuant leurs ressources. (Très bien ! et applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) On ne peut pas plaider la cause des métropoles et appauvrir les départements ! J’ai mes thèses sur le département, et je regrette qu’elles n’aient pas été suivies. D’autres débats viendront, qui seront tout à fait profitables.
M. Jean-Pierre Plancade. En tout cas, nous l’espérons !
M. Edmond Hervé. Enfin, je considère que le transfert de compétences entre départements, régions, intercommunalités et métropoles ne peut être que volontaire ; il ne saurait être unilatéral. C’est la raison pour laquelle, madame la ministre, je ne suis pas d’accord avec l’obligation de transfert des compétences des départements vers les métropoles au 1er janvier 2017, instaurée, me semble-t-il, par l’article 31 du projet de loi que vous avez présenté !
M. Jean-Jacques Mirassou. Bravo !
M. René Vandierendonck, rapporteur. Très bien !
M. Jean-Jacques Filleul, rapporteur pour avis de la commission du développement durable. Oui, Très bien !
M. Edmond Hervé. Laissons plutôt jouer l’intelligence territoriale de nos métropoles et de nos collectivités ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Éliane Assassi et M. Claude Dilain, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Christian Favier, sur l’article.
M. Christian Favier. Mes chers collègues, il aurait été plus logique d’aborder les articles relatifs aux métropoles en général avant d’examiner la situation particulière de Paris ou de Lyon, et non l’inverse.
Cela dit, depuis 2010, la position du groupe CRC concernant le développement des métropoles n’a pas changé. À nos yeux, ce processus fragilise les structures de la République, auxquelles, malgré ce que l’on voudrait nous faire croire, les citoyens sont très attachés, nous le savons.
On nous parle sans cesse du célèbre « millefeuille » français. Pourtant, il faudrait le rendre plus complexe encore, et développer des métropoles sur tout le territoire national ! Je suis d’accord avec Edmond Hervé quand il dit que l’on ne peut pas créer des métropoles sur la seule base de la population d’un territoire, et que d’autres conditions doivent être réunies. (Mme Catherine Morin-Desailly marque son approbation.) Quelle sera la lisibilité de cette institution pour les citoyens ? Vers qui ces derniers pourront-ils se tourner lorsque leur mairie ne sera plus qu’une mairie d’arrondissement ? La métropole sera bien loin d’eux !
Ces métropoles, mes chers collègues, sont de véritables « pompes aspirantes » non démocratiques, dans lesquelles des communes pourront être intégrées de force, éloignant d’autant la prise de décision des citoyens. D’une région ou d’une métropole à l’autre, les compétences ne seront pas exercées par les mêmes instances. Cette architecture « à la carte » remet en question à la fois la lisibilité de nos instances locales et l’unicité de la République, pourtant proclamée par la Constitution.
Malgré ce qui vient d’être dit, ce processus n’encourage pas l’égalité des territoires qu’Edmond Hervé appelle de ses vœux ; on en est même très loin.
En réalité, ce développement ne laisse rien présager de bon. Plus encore qu’avec la loi de 2010, le transfert de compétences aux métropoles instauré par ce texte affaiblira terriblement les collectivités territoriales, et plus précisément les communes et les départements. Pourtant, un sondage récent sur les collectivités territoriales a montré que les mots de « commune » et de « département » étaient ceux auxquels les Français étaient le plus attachés !
Ce projet de loi tend à un véritable démantèlement des structures institutionnelles qui ont façonné notre pays et son histoire, avec, en filigrane, la suppression de certains échelons administratifs. Le groupe écologiste, d’ailleurs, a déposé un amendement tendant à supprimer le département ! (M. Ronan Dantec ironise.)
Les départements et les régions qui auront une métropole sur leur territoire verront celle-ci capter l’essentiel de leurs compétences et de leurs moyens. Cela procède d’une vision exclusivement urbaine de notre société. Aucune responsabilité de péréquation envers le reste du territoire ne pèsera sur les métropoles. Par conséquent, les autres zones deviendront les parents pauvres de l’aménagement du territoire.
Dès lors, on se demande comment le département et la région, ainsi dépouillés de leurs ressources, seront en mesure de réparer les dégâts causés par cette fracture sociale et territoriale.
De fait, les métropoles, en concentrant aides, investissements et emplois, vont mettre en concurrence nos territoires, non seulement au niveau européen, mais surtout au niveau local : concurrence entre territoires, entre métropoles, entre milieux urbain et rural. Les territoires ne sont pas des entreprises, pas plus que les élus ne sont des directeurs financiers !
Plus profondément, quelle politique voulons-nous pour nos territoires, qui sont la richesse de notre République ? La compétitivité et la concurrence au lieu de la solidarité ? Le rôle des politiques est-il d’accompagner et de renforcer un mouvement qui s’amorce déjà de lui-même ? Ne faut-il pas plutôt le contrebalancer, en renforçant la solidarité pour le rendre plus efficace ? On peut construire des structures en réseau, avec des villes moyennes connectées aux métropoles et au territoire rural, comme cela se pratique chez nos voisins européens.
Non seulement nous risquons de manquer notre développement métropolitain en créant trop de métropoles, au lieu de les intégrer dans un fort réseau urbain et rural, mais, en plus, nous allons faire perdre leur attractivité, dont il faut bien avoir conscience, à nos politiques de cohésion et de lien social en dépouillant les départements !
Par conséquent, nous proposerons la suppression de l’article.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, sur l'article.
M. Ronan Dantec. Comme c’était prévisible, beaucoup de peurs s’expriment à l’occasion de l’examen de l’article 31. Elles sont logiques. D’ailleurs, nous avions nous-mêmes regretté le saucissonnage du texte et la séparation entre les volets « régions » et « métropoles », sans que soit l’articulation forte entre les deux soit montrée. Certes, la discussion a commencé par l’examen du titre Ier, qui affirme le rôle de « chef de file » de la région. Mais l’ensemble manque de clarté. En fait, c’est un pari. Il est prévu de renforcer la métropole tout en espérant que, dans sa grande sagesse, le législateur donnera ensuite à la région des compétences en matière d’aménagement du territoire, afin de maintenir l’égalité des territoires. C’est ainsi que le texte sera examiné. Soit !
Certains ont affirmé que les métropoles allaient « démanteler la République ». C’est excessif. Ce ne sont pas les structures de la République qui sont en cause. N’exagérons rien !
La question qui nous est posée est celle de la prise en compte du fait urbain, qui est la caractéristique du XXIe siècle. Aujourd'hui, plus de 50 % des habitants de la planète vivent en ville, et cette proportion s’élève à plus de 70 % en Europe. Le fait urbain est central. C’est aussi l’histoire du XXe siècle en France : notre société est devenue très majoritairement urbaine. Il faut que la loi le reconnaisse et organise l’action publique autour de cette réalité.
Il est vrai que nombre de craintes sont liées à une histoire assez récente. Je suis moi-même élu d’une grande ville, Nantes ; nous nous sommes peu intéressés, notamment dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, à l’avenir des villes moyennes, qui étaient pourtant sous l’influence des grandes villes. Par exemple, le territoire de Châteaubriant n’était clairement pas la priorité des élus nantais…
Songeons également au grand bassin de Toulouse.
Beaucoup de petites villes et de territoires ont donc souffert durant ces deux décennies et, au fond, nous payons aujourd'hui le fait que les grandes villes ont donné le sentiment de s’en sortir au détriment du reste du territoire, et ce sans se soucier des autres, ou rarement.
Mais c’est une vision aujourd'hui datée. Reprenons l’exemple nantais. À notre grande surprise, un certain nombre de ces territoires qui avaient énormément souffert sont aujourd'hui en reconquête. Ainsi, Redon a gagné un certain nombre d’habitants ces dernières années en profitant d’une dynamique plus métropolitaine ou de réseau entre les grandes villes, en l’occurrence Nantes, Rennes et Vannes.
Et cela se vérifie aussi dans les territoires ruraux. Alors que d’aucuns évoquaient jadis la mort programmée du centre de la Bretagne, le nord du Morbihan progresse aujourd'hui grâce à la dynamique de l’agglomération lorientaise, ce qui n’était absolument pas prévu ; d’ailleurs, ce n’est probablement pas encore entré dans notre représentation collective.
Dans ce contexte, le présent article vise non pas à geler un état de fait, celui de la société urbaine, en se contentant d’appeler « métropoles » les grandes villes pour mieux les renforcer, mais à affirmer l’interdépendance des territoires, avec une dynamique de mise en réseau à partir de cette réalité. C’est là que réside, me semble-t-il, le cœur de notre discussion.
À cet égard, je rejoins notre collègue Pierre-Yves Collombat – nous assistons aujourd'hui à des convergences inédites sur l’aménagement du territoire (Sourires.) – quand il rappelle qu’il n’y a pas que la compétitivité, la concurrence internationale. Oui, le développement endogène de nos territoires est une question centrale. Or renforcer des fonctions « métropolitaines », même si le terme est sans doute excessif, c’est aussi renforcer, j’en suis profondément convaincu, notre capacité de développement endogène. C’est en ce sens qu’il faut appréhender le renforcement des « communautés métropolitaines », pour reprendre une formule dont nous débattrons bientôt et que je trouve intéressante.
N’ayons pas peur ! Ne choisissons pas le repli ! Dans les mois précédents, lorsqu’il s’est agi de renforcer la région et de lui donner plus de pouvoirs prescriptifs, ce qui va de pair avec l’affirmation des métropoles, je n’ai pas eu le sentiment qu’il y avait un fort consensus…
Entrons dans le débat de plain-pied, sans peur ancienne, même si la peur se nourrit d’une certaine réalité, et les grandes villes ont leur part de responsabilité. Affirmons l’extrême interdépendance des territoires et le renforcement des dynamiques de réseau ! C’est autour de cela que le débat doit avoir lieu. (Mme Hélène Lipietz applaudit.)