Sommaire
Présidence de M. Jean-Léonce Dupont
Secrétaires :
M. Jean Boyer, Mme Michelle Demessine.
2. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire russe
3. Simplification des relations entre l’administration et les citoyens. – Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale : Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique ; M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois.
MM. Alain Richard, Christian Favier, Yves Détraigne, Jean-Claude Requier, Mme Hélène Lipietz, M. Jean-Jacques Hyest.
Clôture de la discussion générale.
Article additionnel avant l’article 1er
Amendement n° 3 du Gouvernement. – Mme Marylise Lebranchu, ministre ; M. le rapporteur, Mme Hélène Lipietz. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 1 rectifié de Mme Hélène Lipietz. – Mme Hélène Lipietz, M. le rapporteur, Mme Marylise Lebranchu, ministre. – Retrait.
Adoption de l'article.
Amendement n° 4 du Gouvernement. – Mme Marylise Lebranchu, ministre ; M. le rapporteur. – Adoption.
Amendement n° 5 du Gouvernement. – Mme Marylise Lebranchu, ministre ; M. le rapporteur. – Adoption.
Amendement n° 6 du Gouvernement. – Mme Marylise Lebranchu, ministre ; MM. le rapporteur, Alain Richard. – Rejet.
Amendement n° 7 du Gouvernement. – Mme Marylise Lebranchu, ministre.
Amendement n° 9 de la commission. – M. le rapporteur.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée chargée de la décentralisation. – Retrait de l’amendement n° 7 ; adoption de l’amendement n° 9.
Amendement n° 2 de Mme Hélène Lipietz. – Mme Hélène Lipietz, M. le rapporteur, Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. – Rejet.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 8 du Gouvernement. – Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée ; M. le rapporteur. – Rejet.
Adoption de l'article.
Adoption de l’ensemble du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
4. Communication relative à une commission mixte paritaire
5. Attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public. – Adoption définitive en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale : Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois.
Mme Cécile Cukierman, M. Michel Mercier, Mme Esther Benbassa, MM. Jean-Michel Baylet, Jean-Pierre Vial, Thani Mohamed Soilihi.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.
Clôture de la discussion générale.
Amendements nos 1 à 3 de M. Jean-Jacques Hyest. – MM. Jean-Jacques Hyest, le rapporteur, Mme la garde des sceaux, M. Michel Mercier. – Rejet des trois amendements.
Adoption de l'article.
Amendement n° 4 de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, Mme la garde des sceaux. – Rejet.
Adoption de l'article.
Amendement n° 5 de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, Mme la garde des sceaux, MM. Stéphane Mazars, Michel Mercier, Jean-Jacques Mirassou. – Rejet.
Adoption de l'article.
M. Jean-Pierre Vial.
Adoption définitive, par scrutin public, du projet de loi dans le texte de la commission.
6. Décret complétant l'ordre du jour de la session extraordinaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
Secrétaires :
M. Jean Boyer,
Mme Michelle Demessine.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire russe
M. le président. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer, en votre nom, la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation de parlementaires du Conseil de la Fédération de Russie, la chambre haute du Parlement russe, conduite par M. Mikhail Margelov, président de la commission des affaires étrangères, président du groupe d’amitié Russie-France et représentant spécial du président Vladimir Poutine pour l’Afrique. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que Mme la ministre se lèvent et applaudissent.)
Lors de sa visite d’une semaine en France, cette délégation a assisté au défilé du 14 juillet ; elle vient d’être reçue par le groupe d’amitié France-Russie, présidé par notre collègue Patrice Gélard, et elle doit s’entretenir cet après-midi avec la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat.
Elle doit se rendre demain à Biarritz, puis à Mont-de-Marsan sur la base aérienne et, enfin, dans le Gers et à Toulouse, afin de visiter notamment l’escadrille de chasse Normandie-Niemen et l’usine Airbus.
Nous lui souhaitons de fructueux échanges ainsi qu’un excellent séjour parmi nous. (Applaudissements.)
3
Simplification des relations entre l’administration et les citoyens
Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les citoyens (projet n° 664, texte de la commission n° 743, rapport n° 742).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui, au nom du Premier ministre, exprime l’engagement du Gouvernement de moderniser notre action publique. Dans un monde qui change, nous souhaitons mieux répondre aux attentes des citoyens et des usagers, afin de conjuguer l’action publique de l’État aux collectivités locales.
Dans cette perspective, nous vous proposons d’engager trois réformes importantes pour les Français, qui permettront de simplifier et d’améliorer les relations entre les Français et les administrations, toutes les administrations : faciliter la saisine de l’administration par les usagers grâce à l’utilisation du numérique ; codifier les règles qui régissent les relations entre les citoyens et l’administration ; changer en profondeur la relation entre usager-citoyen et administration. Nous vous proposons ainsi d’inverser le principe du « refus tacite » qui prévaut aujourd’hui, au profit d’une généralisation de la règle de « l’accord tacite » de l’administration.
Voilà trois outils qui permettent de répondre mieux et plus vite.
La mise en place d’un droit de saisine des autorités administratives par courrier électronique permettra, d’une part, de sécuriser juridiquement les nombreux échanges numériques qui existent déjà via internet, y compris en dehors des téléprocédures dédiées, et, d’autre part, de donner à ces échanges une valeur de nature comparable au courrier papier.
Nous fixerons évidemment des garde-fous contre les demandes abusives, et le faible nombre de problèmes constatés dans les pays européens ayant déclenché cette évolution nous rassure.
Ce nouveau droit viendra compléter les efforts que réalisent la plupart des administrations, en mettant à la disposition des usagers des téléprocédures qui fonctionnent très bien, à l’instar de celle qui a permis à 13,5 millions de Français de déclarer en ligne leurs revenus cette année, soit 6 % de plus que l’an dernier. Je tiens également à souligner que c’est un levier d’amélioration des conditions de travail des agents, les demandes abusives étant moins délicates à gérer par mail que par téléphone, voire, plus éprouvant encore, au guichet.
Nous proposons d’autoriser, dans certains domaines, la communication des avis donnés par une autorité au cours de l’instruction d’un dossier pour permettre aux usagers d’améliorer leur projet et anticiper une décision défavorable.
Il s’agit, pour le Gouvernement, de renforcer la transparence de l’élaboration de la décision administrative, de limiter les risques contentieux et, surtout, de permettre à chacun, à sa place, de gagner du temps.
Dans son article 2, ce projet de loi prévoit la création, par ordonnance, d’un code relatif aux relations entre les administrations et les usagers.
Nous avons décidé de reprendre à notre compte ce projet de code de l’administration lors du premier comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, qui s’est tenu le 18 décembre 2012, tout en tirant les leçons de la précédente tentative, avec une circulaire datée du 30 mai 1996, qui, à la suite d’une mauvaise définition du projet, avait été abandonnée en janvier 2006.
C’est pourquoi nous proposons un code qui soit lisible pour les usagers, et qui soit centré sur la seule question de sa relation avec les administrations.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la complexité du monde appelle, c’est certain, des procédures pour protéger les citoyens et leurs droits fondamentaux. Elles sont l’apanage d’un État de droit.
Néanmoins, quand elles deviennent illisibles et à ce point complexes, quand elles freinent abusivement l’activité économique et les projets des Français, nous avons le devoir de rationaliser ces règles et de simplifier ces procédures.
Le Président de la République a fait de la simplification des normes et des démarches administratives un combat qui nous engage tous pour la compétitivité de notre pays et le bien-être de nos concitoyens.
Le Gouvernement sollicite votre habilitation pour ces réformes structurelles.
Avec le Premier ministre, nous avons souhaité insérer à l’ensemble de réformes que je vous présente aujourd’hui les autorisations tacites. C’est ainsi que l’amendement n° 3 du Gouvernement vise à lancer la mise en chantier de la mesure annoncée par le Président de la République sur l’effet du silence de l’administration.
Demain, le silence de l’administration sur une demande vaudra, en principe, acceptation.
Cette révolution administrative, une révolution juridique, facilitera les projets de développement publics ou privés et améliorera la réactivité des services administratifs chargés de veiller au respect des procédures légales.
Aujourd’hui, en vertu du principe général, le silence vaut rejet en l’absence de réponse de l’administration dans un délai de deux mois. C’est ce principe que le Gouvernement entend modifier.
Sachez qu’il existe d’ores et déjà plus de 400 procédures dérogatoires soumises à un régime d’approbation tacite, en vertu de l’article 22 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Toutefois, elles demeurent, malgré leur nombre, largement minoritaires dans le quotidien des Français.
Aussi, le Gouvernement propose de faire de la règle qui prévaut déjà pour la plupart des permis de construire, des autorisations de défrichement ou de recours au chômage partiel un principe de droit commun.
Néanmoins, le Gouvernement prendra ses précautions, notamment dans les cas où sont en cause les droits et libertés individuels et où l’application d’une règle différente est imposée par une convention internationale ou par le droit communautaire.
Seront aussi exclues les demandes à caractère financier et les procédures sensibles ou complexes mettant en cause des enjeux de protection de l’ordre public ou présentant des risques d’atteintes graves à la sécurité, à la santé ou à l’environnement.
C’est ainsi que nous proposons la constitution d’un groupe de travail avec les principales associations d’élus et des parlementaires des deux chambres pour identifier les procédures locales concernées.
La Commission consultative d’évaluation des normes, dont la réforme est en cours, sera, elle aussi, mobilisée en ce sens pour apporter aux collectivités toutes les garanties de transparence nécessaires à un tel exercice.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le choc de simplification annoncé par le Président de la République le 28 mars 2013 est au cœur de l’amélioration de la compétitivité hors coût de notre pays, comme l’ensemble de la démarche de modernisation de l’action publique.
Nous avons besoin d’une action publique forte, au service du quotidien et de l’avenir des Français, sur tous les territoires. Elle sera d’autant plus forte et efficace qu’elle sera simple et coordonnée.
La force de notre pays, c’est d’avoir su et de savoir s’adapter. La force de nos services publics, c’est aussi de s’adapter sans cesse. Par cette habilitation générale, nous proposons au pays des réformes structurelles majeures, qui auront des conséquences réelles sur la vie quotidienne des entrepreneurs et de tous les Français.
Telle est l’ambition du Gouvernement. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, le projet de loi d’habilitation qui nous est aujourd'hui présenté s’inscrit dans un mouvement législatif qui n’est pas spécifique à la France et qui a débuté il y a un peu plus de quarante ans.
Ce mouvement tend à mettre le service public au service du public, en modifiant radicalement les relations entre les administrations, qu’elles soient nationales ou locales, directes ou déléguées, et les usagers. Il concerne aussi bien les États de droit écrit que ceux de common law, et l’Union européenne comme le Conseil de l’Europe ont accompagné et favorisé ce processus.
En France, l’acte de naissance de ce mouvement est la loi du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur de la République. S’ensuivront la fameuse loi du 17 juillet 1978 relative à l’accès aux documents administratifs, qui a créé la Commission d’accès aux documents administratifs, la CADA, puis la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public et, surtout, la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
Toutes ces lois vont dans le même sens : simplifier et rendre plus transparentes les procédures administratives.
Cet ensemble de dispositifs présente les traits essentiels suivants : le contrôle par l’usager du service public des décisions prises à son égard, qu’il s’agisse de l’accès aux documents administratifs, de la motivation de ces actes ou de leur opposabilité ; la compréhension de ces actes, qui doivent être à la portée du public le plus large et le moins formé aux subtilités du droit administratif ; la possibilité d’utiliser les procédures les plus modernes et les moins contraignantes pour dialoguer avec les administrations ; l’accès à tous les niveaux et types d’administration.
Ce processus est encore loin d’être arrivé à son terme, car il s’est en permanence heurté à des barrages, au premier rang desquels la routine administrative, et à l’absence de volonté politique constante des gouvernements successifs pour avancer de façon non chaotique dans cette voie.
Les deux outils traditionnels de ce processus législatif et réglementaire sont la codification et les ordonnances. Les nombreuses lois de simplification adoptées au cours de la dernière décennie, qu’elles soient d’initiative gouvernementale ou parlementaire, y ont donc largement eu recours.
Après avoir été relancée dans la deuxième moitié des années quatre-vingt-dix et s’être quelque peu essoufflée, la codification semble connaître un nouvel élan avec la circulaire du Premier ministre en date du 27 mars 2013.
La codification avance lentement, du fait non pas de la Commission supérieure de codification, qui effectue un travail remarquable et a d’ailleurs rédigé quelques codes qui pourraient être mis en œuvre, mais de l’attitude des gouvernements successifs, lesquels laissent les travaux de la Commission en déshérence, au risque de les voir devenir obsolètes. Adopter les codes une fois ceux-ci élaborés est donc une urgence absolue.
La codification des différentes dispositions d’ordre législatif ou règlementaire relatives aux relations entre les administrations et leurs usagers est l’un des objectifs du projet de loi, qui prévoit notamment l’achèvement du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. En ce qui concerne ce dernier, les travaux de la Commission de codification sont très largement avancés – ils sont quasiment terminés – et n’appellent, pour l’essentiel, qu’une mise à jour rapide concernant la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
En revanche, l’élaboration d’un code des relations entre les administrations et leurs usagers est beaucoup plus complexe, car elle nécessite trois précautions.
Premièrement, il ne faut pas remettre en cause les codes existants comme le code de justice administrative, le code de l’environnement ou le code de l’urbanisme, car ils sont satisfaisants. Il conviendra d’utiliser la procédure des renvois vers ces codes.
Deuxièmement, il faut travailler non pas à droit constant mais en intégrant les objectifs de la loi d’habilitation.
Troisièmement enfin, et ce point est peut-être le plus important, il est nécessaire d’élaborer un code destiné au « public » le plus large, et donc maniable et compréhensible par les non-spécialistes du droit administratif.
Depuis 1999, la codification emprunte en effet de manière privilégiée la voie des ordonnances, son caractère technique le justifiant pleinement. Cependant, le recours aux ordonnances est freiné par l’incapacité chronique des pouvoirs publics, c’est-à-dire des gouvernements successifs, à mettre en œuvre les habilitations législatives. Celles-ci ont très souvent été dépourvues d’effet, faute d’élaboration des ordonnances par les gouvernements habilités : il a fallu réhabiliter les gouvernements suivants, souvent, sans le moindre résultat. De surcroît, les textes élaborés non soumis à ratification peuvent rapidement devenir obsolètes, faute d’un accord préalable sur un délai d’élaboration suffisamment long et sur un champ suffisamment large.
Aujourd’hui, le projet de loi dont nous sommes saisis a un air de famille avec les projets de loi d’habilitation antérieurs, puisqu’il puise en grande partie son contenu dans les lois d’habilitation qui ont successivement été votées par le Sénat et l’Assemblée nationale depuis 2004. Espérons que cette fois sera la bonne !
Quelles sont les grandes orientations de ce texte ?
Ce projet de loi vise à faciliter le dialogue entre les administrations et les citoyens par la généralisation du recours aux nouvelles technologies de l’information et l’adoption d’un code des relations entre l’administration et le public, mais il porte également en germe, Mme le ministre vient de le rappeler, une rénovation du processus de décision de l’administration.
Je dirai d’abord un mot de la simplification des relations entre les administrations et les usagers, ceux que l’on appelle « le public » dans le texte.
La première caractéristique du texte est la création d’un code relatif aux relations entre les administrations et le public. L’idée d’un tel code n’est pas nouvelle, comme l’a dit Mme le ministre. Mais, cette fois, la démarche est différente, car elle est plus pragmatique. En effet, tirant les leçons de l’échec de la précédente tentative d’élaboration d’un code de l’administration, le code envisagé est beaucoup plus modeste, plus orienté vers le citoyen que vers l’administration. Il n’est plus question d’une somme regroupant, en sus des dispositions ayant trait aux procédures administratives non contentieuses, l’ensemble des dispositions relatives à l’organisation de l’administration, y compris les autorités administratives indépendantes. Ceux qui sont intéressés par cette question peuvent se reporter au code administratif Dalloz, dans lequel le travail a déjà été fait. Je tiens à le préciser, il ne s’agit aucunement d’une page de publicité en direction des services de la séance. (Sourires.)
Aujourd’hui, l’objectif est d’élaborer un code plus instrumental, destiné au public, qui ne regroupera que les dispositions relatives aux relations entre l’administration et ses usagers, dont il énoncera les grands principes, tels l’obligation de motivation des décisions individuelles défavorables ou le droit d’accès aux documents administratifs ; ces grands principes pourraient faire l’objet d’un titre préliminaire, comme nous l’a dit M. le rapporteur général de la Commission supérieure de codification. Il contiendrait également les règles générales du régime des actes administratifs unilatéraux. Ce code sera donc généraliste et supplétif, le Gouvernement indiquant dans l’étude d’impact qu’il n’avait pas vocation à attraire dans son champ les dispositions déjà codifiées.
Le défaut d’organe de pilotage étant l’un des facteurs qui expliquaient l’échec des tentatives de codification antérieures, l’élaboration du nouveau code serait confiée au Secrétariat général du Gouvernement, qui aura la tutelle de la Commission supérieure de codification, afin de procéder à des consultations pour recueillir l’avis de tous ceux qui sont concernés, notamment les praticiens.
Le code relatif aux relations entre les administrations et le public ne se ferait pas à droit constant. C’est pourquoi des délais modulables ont été prévus afin de procéder par étape.
La seconde caractéristique du texte est la consécration de la place des nouvelles technologies par l’instauration d’un droit de l’usager à saisir l’administration par la voie électronique.
Ce type de démarche n’est pas nouveau, puisqu’il a été amorcé depuis 2005. Mais, cette fois, le Gouvernement demande une habilitation plus générale pour « adapter les relations entre les administrations et le public aux évolutions technologiques ». Il serait également habilité à « simplifier les démarches du public auprès des administrations et l’instruction de ses demandes ».
Qu’en est-il de la rénovation du processus décisionnel ?
Un nouveau régime des décisions implicites sera instauré. Lorsque le texte initial du Gouvernement était arrivé au Sénat, il n’y figurait pas. Nous avons donc demandé au Gouvernement d’intégrer ces dispositions dans le texte de façon à éviter que la loi d’habilitation ne devienne obsolète au bout de six mois.
Donc, à l’issue d’une micro-navette entre le Gouvernement, le Secrétariat général du Gouvernement et la commission, a été retenu un amendement tendant à insérer un article additionnel dans le projet de loi d’habilitation et intégrant la proposition du Président de la République selon laquelle le silence de l’administration à l’expiration d’un certain délai vaudrait non plus rejet mais autorisation.
M. Hugues Portelli, rapporteur. Cela reviendra à inverser le principe énoncé à l’article 21 de la loi du 12 avril 2000 : sauf dans les cas où un régime de décision implicite de rejet serait institué, le silence gardé pendant plus de deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaudrait décision d’acceptation.
Mme le ministre l’a rappelé tout à l’heure, il existe bien sûr toute une série de cas dans lesquels ce principe ne pourra s’appliquer. Comme le Conseil constitutionnel l’avait rappelé dans une décision en date du 18 janvier 1995, ne peut être institué « un régime de décision implicite d’acceptation lorsque les engagements internationaux de la France, l’ordre public, la protection des libertés ou la sauvegarde des autres principes de valeur constitutionnelle s’y opposent ». À ces principes, la loi de 2000 a ajouté – l’amendement du Gouvernement reprend cette mesure – que les décisions en matière financière, à l’exclusion du domaine de la sécurité sociale, sont également visées.
Cette inversion du principe emportera évidemment un profond changement de la culture administrative de l’État et des collectivités publiques. Aujourd’hui prévaut la logique du contentieux, qui offre à l’administré la possibilité de saisir le juge en cas d’inertie de l’administration. Demain, le risque de décisions tacites illégales agira comme un aiguillon de l’administration. Il faudra cependant veiller à ce que ne se mettent pas en place des dispositifs de contournement (M. Jean-Jacques Hyest opine.), par exemple par l’instauration de délais rallongés ou de moyens de retarder le déclenchement des délais de naissance des décisions implicites. En outre, il ne faudrait pas que les dérogations au nouveau principe conduisent, par leur nombre, à le vider de toute portée.
M. Jean-Jacques Hyest. Et voilà !
M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission des lois a donné un avis favorable à ce dispositif pour lequel le Gouvernement prévoit un délai d’un an pour sa mise en œuvre au niveau de l’État et un délai de deux ans au niveau des collectivités territoriales, afin de procéder, après concertation, au relevé de tous les cas dans lesquels ce principe devra être mis de côté.
Autre aspect de la rénovation du processus de décision : la possibilité, pour l’usager, d’accéder aux avis préalables et de modifier en conséquence sa demande en cours d’instruction.
En rupture avec la règle traditionnelle de non-communicabilité des documents préparatoires à une décision administrative en cours d’instruction posée par la loi du 17 juillet 1978, l’article 1er habilitera le Gouvernement à prendre les dispositions législatives pour prévoir qu’en principe sont communicables au demandeur les avis rendus sur sa demande avant que la décision ne soit prise.
Cette mesure concernerait tous les avis dès lors qu’ils seraient formalisés et émaneraient d’une autre instance que l’autorité administrative instructrice du dossier. Ne seraient exclus de son champ que les avis dont la communication porterait atteinte « à la protection d’un secret ou aux contraintes inhérentes à l’instruction des dossiers ».
La commission des lois a modifié ce texte de façon que les avis négatifs soient motivés et que l’usager puisse, le cas échéant, s’en prévaloir.
Troisième élément nouveau : le renforcement de la participation du public à l’élaboration des actes administratifs.
Sans reprendre les dispositions relatives aux enquêtes publiques figurant déjà dans le code de l’environnement et le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, le code des relations entre l’administration et le public pourrait toutefois poser les règles générales en la matière, tronc commun pour l’ensemble des autres codes que ceux qui sont exclus.
Quatrième élément : l’élargissement de la faculté de recourir aux nouvelles technologies pour délibérer ou rendre des avis à distance.
Le Gouvernement propose d’être habilité à étendre cette faculté à toutes les autorités administratives, y compris les autorités administratives indépendantes, ce qui permettrait évidemment un allégement des formalités. La commission des lois n’y est pas défavorable, à condition que soit préservée la collégialité des délibérations de ces autorités. Sur ce point, le Gouvernement nous a suivis.
Enfin, dernier point, la simplification et l’unification des règles relatives au régime des actes administratifs.
Le Gouvernement prévoit que le nouveau dispositif législatif aurait pour objet de « simplifier et, lorsque cela est possible, d’unifier les règles relatives au régime des actes administratifs ». L’exposé des motifs du projet de loi fait allusion au retrait des actes administratifs, mais après avoir dialogué avec le Gouvernement, nous y avons ajouté l’abrogation, de façon qu’aucun des champs de cette simplification ne soit oublié.
Je souhaiterais maintenant évoquer brièvement la refonte du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Cette refonte, qui est en cours depuis 2004, est quasiment terminée, d’après ce que nous ont dit les personnes que nous avons auditionnées. Nous pourrions donc enfin voir apparaître ce fameux code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Le travail de la commission, je vous l’ai en grande partie énoncé, a surtout porté sur deux points.
Le premier était de clarifier la rédaction du projet de loi, notamment pour expliciter la notion de « public », c’est-à-dire les bénéficiaires du texte.
Le public n’est pas une catégorie juridique très usitée en droit administratif. Nous avons donc essayé de faire sortir au maximum ce terme du libellé, mais sans contrarier le Gouvernement, et voulu l’utiliser le moins souvent possible, en lui préférant des circonlocutions permettant de parvenir au même résultat sans froisser les professeurs de droit public, que je connais bien. (Sourires.)
Le second point concernait les autorités administratives.
Là aussi, nous avons eu un dialogue intéressant avec le Gouvernement, car le projet de loi était souvent très fluctuant : d’un article à l’autre, d’un alinéa à l’autre, ce n’était pas le même mot qui était utilisé – tantôt des organismes, tantôt des autorités ou des administrations.
C’est la raison pour laquelle nous avons engagé à notre tour une démarche de simplification et employé la terminologie utilisée dans la loi du 12 avril 2000. Mais il nous a été expliqué, très récemment, que, en réalité, le Gouvernement faisait allusion non à cette loi, mais à la loi de 1978 sur la Commission d’accès aux documents administratifs et qu’il convenait donc de faire référence aux autorités administratives telles que la CADA les entend. Aussi, dans un esprit constructif, la commission s’est ralliée à ce point de vue.
Enfin, concernant les avis préalables, la commission a souhaité que deux garanties soient apportées : premièrement, les avis défavorables doivent être motivés et, deuxièmement les débats doivent être systématiquement collégiaux, même en cas d’utilisation des nouvelles technologies.
Mes chers collègues, voilà quels ont été, pour l’essentiel, les travaux de la commission. Cette dernière a exprimé, sur ce texte, un point de vue globalement positif. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du groupe socialiste. – Mmes Cécile Cukierman et Hélène Lipietz ainsi que M. Jean-Claude Requier applaudissent également.)
Mme Cécile Cukierman. Attention avec cette expression !
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me place bien entendu dans la droite ligne des propos tenus par M. le rapporteur, avec lequel je suis en complet accord.
Au nom du groupe auquel j’appartiens, je me concentrerai principalement sur la composante de codification, donc le texte d’habilitation que vous nous présentez, madame la ministre.
Cette démarche est en cohérence avec l’objectif de simplification qui a été fixé par le Président de la République, en réponse à une attente très profonde des différents partenaires de la société française. En effet, la perte de lisibilité de nombre de règles inspirant ou encadrant le travail de l’État crée aujourd’hui une situation de tension, voire de méfiance ou d’hostilité à l’égard de la puissance publique.
Hugues Portelli l’a très bien dit, la codification dont nous parlons aujourd’hui se fixe un objectif limité, mais non moins ambitieux. Ceux qui ont eu à se frotter à cet exercice apprécient que la délimitation, la fixation des bordures extérieures constitue un sujet des plus vertigineux. Évidemment, quand on part du cœur des missions de l’État, un tel travail peut conduire très loin. Le choix qui a été opéré, et que M. le rapporteur a parfaitement décrit, est indiscutablement le bon : c’est celui qui est cohérent avec la démarche de simplification.
Par mon témoignage personnel, je souligne simplement que c’est un processus intellectuellement très exigeant. En effet, il force à essayer de reconstituer une cohérence, celle du législateur dans sa continuité, à partir de textes épars, souvent adoptés sous l’empire de circonstances puis modifiés ou ajustés à de multiples reprises. C’est donc une des tâches les plus ardues, au cours desquelles on observe le mieux ce que les familiers de ce domaine nomment « la fabrique de la loi ».
À ce titre, et l’occasion de le faire n’est pas si fréquente dans cet hémicycle, je rends hommage à tous ceux qui constituent le noyau humain de la fabrication de la législation et de la réglementation du pays, autour, bien sûr, du Secrétariat général du Gouvernement. Mais je souligne aussi l’apport extrêmement utile de nombreux services ministériels, qui délèguent souvent un ou plusieurs agents de haute qualité pour concourir à ce travail de préparation.
Madame la ministre, j’en profite pour formuler une remarque que vous pourrez peut-être garder à l’esprit : sur la base des évolutions historiques, notamment celles qu’ont connues les découpages de départements ministériels, on peut dresser un petit guide des niveaux d’aptitude et des potentiels des différents services juridiques des ministères, en leur attribuant des étoiles.
M. Alain Richard. C’est vrai aussi bien pour le Gouvernement autorité réglementaire que pour le législateur : quand on a affaire à un ministère réellement démuni à cet égard, qui ne dispose plus du potentiel humain pour élaborer ses propres textes, la situation se révèle préoccupante.
Je le répète, l’ensemble des agents publics qui participent à la fabrication de la loi font preuve d’un très grand dévouement, et leur travail est extrêmement utile. Leur rôle est d’autant plus constructif qu’ils assument souvent ces tâches en plus d’autres attributions, au sein de la commission de codification.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Alain Richard. J’ai eu l’agrément de participer à cette instance dès sa création, il y a trente-cinq ans – il s’agissait d’une conséquence de la loi de 1978, à laquelle nous tenions particulièrement. Par la suite, j’ai pris part à ses travaux à plusieurs reprises, et je peux dire que la commission de codification est une véritable référence. Je l’ai d’ailleurs observé, chaque fois que j’ai pu en être témoin : le travail de révision opéré par le Conseil d’État en fin de parcours démontre que la codification préalablement accomplie a été parfaitement bien menée. Je n’aurai donc qu’un petit message à adresser à Mme la ministre : face à la pénurie d’effectifs, et compte tenu des efforts de répartition qu’il faut consentir, veillons à préserver les moyens humains de cette fabrique de la loi.
Le présent texte vise naturellement l’unification de notre droit, à partir de composantes qui n’ont pas forcément atteint complètement la cohérence. L’expérience a montré que, lorsque ce travail a été mené, c’est-à-dire lorsqu’on a réussi à recenser l’ensemble des textes visés, se font jour des différences historiques dont plus personne ne retrouve la justification.
Dans le cas des rapports administration-public, des écarts subsistent pour ce qui concerne les procédures d’examen des dossiers et de préparation de décisions qui s’appliquent dans les différents départements ministériels. Le travail de codification permettra d’expliquer ces différences ou, mieux encore, de les surmonter.
Dans la matière très particulière dont nous parlons, à savoir les procédures administratives abordées dans leur lien au public, par l’issue qu’elles apportent à la société dans son ensemble, la jurisprudence administrative joue un rôle essentiel. J’imagine que cette évolution ne se fera pas sans quelques réticences – c’est ce que j’ai encore entendu il y a quelques semaines, au sein de la commission de codification. Malgré tout, il faut dépasser le petit sens particulier de la propriété que peuvent encore éprouver quelques membres du Conseil d’État, pour que cette jurisprudence soit transférée dans des règles de droit positif. C’est ce travail qui a été mené, il y a quinze ans, pour créer le code de justice administrative, et dieu sait si ce document a rendu service !
Au sujet du périmètre et du champ d’application, Hugues Portelli a dit ce qu’il fallait dire. Toutefois, pour parler d’expérience, et en gardant à l’esprit la modestie qu’imposent ces travaux, je ne suis pas certain qu’il soit raisonnable de chercher à conclure de manière formelle au moment de la loi d’habilitation sur ce que sera le champ d’application final. En effet, ce dernier résultera également du travail de codification et de sa logique.
L’application de l’article 38 de la Constitution a déjà connu un net progrès, qui a abouti à un véritable système de validation a posteriori des codifications par ordonnance. Le projet de loi de ratification peut fournir l’occasion de compléter ou d’adapter des éléments du champ d’application qui ont émergé lors du travail de codification.
À cet égard, madame la ministre, – du fait, là aussi, des épisodes auxquels j’ai pu prendre part – je souhaiterais vous faire une suggestion, ainsi qu’aux services qui travaillent sur ce projet. Il me semble utile, notamment lorsqu’on travaille à droit non constant – ce qui est évident souhaitable en la matière –, qu’au moins un rendez-vous intermédiaire soit organisé entre les codificateurs et les commissions.
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. Alain Richard. Les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat voient de temps à autre arriver une ordonnance comptant bien souvent quelques dizaines voire, plus logiquement, quelques centaines d’articles, et constituant un produit fini. Or, au début du processus, elles n’avaient eu à débattre que d’un projet de loi d’habilitation présentant un caractère abstrait, ne permettant pas forcément d’entrevoir tous les sujets sur lesquels des options allaient être prises. C’est un réflexe que j’ai eu lorsque nous débattions de ce projet précis en commission de codification : je me suis permis de dire à mes collègues de cette instance que, sur ce sujet, mieux valait revenir auprès des deux commissions des lois à mi-parcours, notamment lorsque le plan est adopté et qu’a été défini le corpus global des textes destinés à être incorporés.
Cette procédure permettrait de prévenir toute méfiance, toute vigilance quelque peu négative que le Parlement manifeste nécessairement lorsqu’il voit revenir un texte totalement achevé. Nous, parlementaires, nous posons toujours cette question : le pouvoir réglementaire qui a préparé cette ordonnance a-t-il totalement respecté nos objectifs initiaux ?
J’ajouterai un mot sur la notion de « public ». Certes, ce terme est tout à fait inhabituel sur un tel sujet. Toutefois, si l’on se lance dans le débat – ce que nous avons fait au sein de la commission de la codification, je suis heureux d’en rendre compte au Sénat – on examine les autres solutions possibles, par exemple « les citoyens » ou « les usagers ». À l’issue de cette réflexion, il nous est apparu que le terme « public », nonobstant son abstraction et son caractère peu défini, était, en tout cas pour l’intitulé du code, la meilleure réponse. Ce qui a emporté ma conviction, c’est que ces dispositions concerneront largement les entreprises, au-delà des particuliers.
Comme pour certains textes passés, dont M. Hugues Portelli était également le rapporteur, mieux vaut adopter la définition la plus large, même si elle est imprécise, des destinataires de ce code.
Parallèlement, l’achèvement du code de l’expropriation sera une bonne nouvelle, lorsque nous le verrons réellement, très bientôt, je l’espère. D’autres urgences s’y ajoutent : je songe notamment au code électoral, qui est dans un état déplorable, mais au sujet duquel le travail est assez bien avancé, si je ne m’abuse.
J’émets en outre un message dont l’audace sera perçue par quelques personnes dans cet hémicycle : le contraire de l’urgence, c’est l’état du code général des impôts. Ce code est désormais dans un tel état que plus personne n’ose envisager sa recodification (M. Jean-Jacques Hyest opine.), excepté quelques fiscalistes endurcis,…
M. Alain Richard. … et encore faut-il plusieurs années pour parvenir à ce niveau de maîtrise.
Ce document, qui est tout de même vital pour la société et l’économie françaises, n’est absolument plus maniable.
Madame la ministre, malgré la difficulté de l’exercice, je me permets de vous suggérer d’insister auprès de vos collègues et voisins de Bercy pour que ce travail soit sérieusement entrepris. Il n’est en effet plus possible de continuer ainsi.
Autre message « personnel », nous avons manqué de peu l’adoption, au cours de cette session extraordinaire, de la proposition de loi de M. Sueur et Mme Gourault pour la révision du système d’évaluation des normes. Les services du Premier ministre nous ont pourtant confirmé que le résultat auquel nous avons abouti leur convenait parfaitement.
C’est la conséquence regrettable de la surcharge de travail des deux commissions des lois, notamment de celle de l’Assemblée nationale. Je ne doute pas que, comme nous, Mme la ministre sera d’avis d’insister auprès de nos collègues et amis députés pour que nous achevions l’examen de ce texte. Il faut que nous puissions disposer d’un véritable outil partenarial entre le monde des élus locaux et celui de l’administration centrale, notamment avec les services du Premier ministre, pour mieux contrôler et mieux maîtriser la production normative à venir.
Je conclurai en rendant hommage au travail déjà accompli pour la préparation de ce texte d’habilitation, et en saluant l’atmosphère de convergence entre le Gouvernement et l’ensemble des groupes de notre assemblée. C’est là, à mon sens, de bon augure pour la réussite de cette entreprise. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mmes Cécile Cukierman, Hélène Lipietz ainsi que MM. Jean-Claude Requier et Jean-Jacques Hyest applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Christian Favier
M. Christian Favier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi comprend trois articles autorisant le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance dans différents domaines. Avant de parler du contenu de ces dispositions, je dirai un mot de la forme.
Nul n’ignore que nous sommes, pour notre part, opposés à la pratique des ordonnances. L’article 38 de la Constitution permet notamment au Gouvernement de demander au Parlement l’autorisation de prendre, par ordonnances et pour une durée limitée, des mesures qui relèvent du domaine de la loi. Cette procédure est donc, dans les faits, un moyen de contourner les règles normales de la démocratie, notamment celles qui ont trait à l’élaboration et à l’adoption de la loi par le Parlement.
Quoiqu’elles soient encadrées par la loi, ces ordonnances constituent un empiètement du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif. D’une certaine manière, elles portent donc atteinte au principe de séparation des pouvoirs : dès lors que l’habilitation est accordée au Gouvernement, le Parlement n’a plus qu’un pouvoir de validation ou d’invalidation, et n’a plus aucune possibilité d’intervenir sur le contenu. Le Gouvernement agit donc en lieu et place du Parlement, et l’article 38 de la Constitution ne délimite son champ de compétences que de manière laconique, en ne mentionnant que « l’exécution de son programme ». En d’autres termes, aucun domaine ne lui est a priori interdit.
Si le Conseil constitutionnel effectue un contrôle a posteriori, nous considérons que ce dernier n’est pas suffisant.
Une nouvelle fois, nous mettons en garde contre la banalisation de ces pratiques, qui concernent des domaines de plus en plus larges.
En l’occurrence, ce texte vise à habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance dans plusieurs domaines distincts qui, en réalité, sont plus étendus que la seule simplification des relations entre l’administration et le citoyen, annoncée dans l’intitulé du projet de loi.
L’article 1er a pour objet d’habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures destinées à instaurer un droit des usagers à saisir les autorités administratives par voie électronique, à autoriser les délibérations à distance des services administratifs, à l’exclusion des instances délibératives de collectivités territoriales, et à prévoir que les avis préalables doivent être communiqués avant l’intervention de l’administration.
Cet article vise donc bien à la mise en œuvre d’une simplification des relations entre l’administration et les citoyens, ainsi qu’à l’établissement d’une plus grande transparence dans ces relations, en adaptant ces dernières aux technologies numériques et aux évolutions des usages qui en découlent.
Sur le fond, nous n’y sommes pas opposés, bien au contraire.
Il paraît en effet pertinent de créer une obligation de mettre en place davantage de téléprocédures et de services numériques à destination des citoyens, corollaire du droit des usagers à saisir les autorités administratives par voie électronique. Bien évidemment, et c’est une de mes préoccupations, nous devrons veiller à ce que le développement des procédures numériques ne conduise pas à créer une fracture avec une partie de nos concitoyens, qui peuvent se trouver éloignés de ces pratiques et de ces outils.
Il nous paraît également opportun de permettre que les avis préalables soient communiqués avant l’intervention de la décision de l’administration. Cela permet, en cas d’avis préalable négatif, par exemple, une modification du projet avant même la décision finale, ce qui garantit plus de transparence dans les décisions, mais aussi plus de rapidité dans l’exécution du projet qui pourra alors être réévalué avant la décision finale.
Dans le même esprit, l’amendement du Gouvernement visant à poser le principe selon lequel l’absence de réponse de l’administration dans les deux mois sur une demande vaut accord tacite nous semble constituer un vrai progrès pour les usagers. Se pose néanmoins la question des moyens accordés aux services publics pour pouvoir instruire les différentes demandes en deux mois dans des conditions satisfaisantes. Toutes les précautions doivent être prises afin qu’aucune acceptation ne soit le résultat d’un embouteillage des demandes : toutes les autorisations doivent être le fruit d’un examen attentif.
L’article 2, quant à lui, fait suite aux déclarations du Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, le CIMAP, qui a affirmé la nécessité de créer un code de relations entre l’administration et le citoyen comprenant les grands principes, comme l’obligation de motivation des décisions individuelles défavorables ou l’accès aux documents administratifs.
Ainsi, cet article a pour objet d’autoriser le Gouvernement à procéder par ordonnance à l’adoption de la partie législative d’un nouveau code relatif aux relations entre les administrations et le public : procédure administrative non contentieuse et régime des actes pris par les administrations en vigueur.
Il précise également que le Gouvernement pourra modifier des règles de procédure dans un but de simplification des relations et de développement des usages numériques.
L’édiction de ce code ne s’effectuera pas pleinement à droit constant et laissera au Gouvernement une marge de liberté qu’il nous paraît difficile de valider a priori, sans en connaître exactement l’étendue. Certes, le rapporteur a circonscrit le champ de ces habilitations, et nous nous en félicitons, mais il n’a pas créé pour autant les conditions d’une codification à droit constant, et donc les garanties d’une sécurité juridique.
En outre, la durée d’habilitation de vingt-quatre mois prévue à cet article est particulièrement longue.
Enfin, l’article 3 concerne le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique.
Il autorise le Gouvernement à agir par ordonnance pour simplifier le plan du code, donner les compétences en appel à la juridiction de droit commun, et y inclure la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Si cet article relatif au logement ne nous pose pas non plus de problèmes particuliers sur le fond, il n’en reste pas moins un véritable cavalier législatif. Il est étonnant que les mesures qui y figurent n’aient pas été incluses soit dans la loi du 1er juillet 2013 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction, soit dans le projet de loi Duflot sur le logement qui est examiné en ce moment même à l’Assemblée nationale.
Dans la mesure où ce projet de loi ne nous pose pas de problèmes majeurs sur le fond, nous le voterons, malgré notre opposition de principe à la pratique des ordonnances, nos réserves sur le domaine et sur la durée de l’article 2, ainsi que la présence d’un article concernant le logement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Hélène Lipietz et M. René Vandierendonck applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, le bilan que le groupe UDI-UC dresse de la politique menée pendant cinq ans par Lionel Jospin alors Premier ministre est parfois sévère.
Pour autant, au-delà de toutes les querelles persistantes, il existe aujourd’hui un vaste consensus autour de ce que la doctrine en droit public appelle les « lois de 2000 » et, au cœur de celles-ci, de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
Il y a treize ans, cette loi a permis de lever un certain nombre d’incertitudes sur l’opacité, parfois fantasmée, de l’action administrative. Elle a notamment permis d’inscrire dans la loi le principe selon lequel le silence de l’administration vaut décision de rejet, sauf pour des cas spécifiques énumérés par une importante série de décrets en Conseil d’État. À ce propos, j’ai des difficultés à comprendre pourquoi on va aujourd'hui inverser cette règle, qui, me semble-t-il, n’a pas si mal fonctionné.
Quoi qu’il en soit, la démarche engagée il y a treize ans reste inachevée à bien des égards. Voilà pourquoi il s’agit aujourd'hui de faire du service public un service « à destination » du public. En somme, le citoyen est plus qu’un simple administré et devient un acteur à part entière des relations administratives.
L’amélioration des relations entre l’administration et le citoyen est une préoccupation majeure pour les sénateurs. Un grand nombre d’entre nous ont la chance d’être à la tête d’une collectivité territoriale (M. Jean-Claude Requier s’exclame.) et donc d’une administration qui reçoit chaque jour des citoyens en tant qu’usagers de ladite administration et auprès de laquelle remontent un certain nombre de problèmes.
Depuis une quinzaine d’années, le traitement des demandes – qu’il s’agisse notamment d’une carte d’identité, d’un passeport ou d’un permis – a évolué vers plus de rapidité, mais des contraintes demeurent. Aujourd’hui, une certaine impatience et des exigences se font souvent jour dans les relations entre les citoyens et l’administration locale.
Le problème est le suivant : derrière les concepts juridiques, il y a d’abord des hommes et des femmes. Aussi, il n’est pas tout à fait anodin de modifier les règles relatives aux modalités de délais de retrait ou d’abrogation des actes administratifs.
Un grand pas en avant avait été fait en 2001 avec la décision « Ternon » du Conseil d’État : le citoyen disposait, même après la clôture du délai de recours en excès de pouvoir, de deux mois pour solliciter de l’administration le retrait d’un acte individuel créateur de droit.
Malheureusement, derrière ce débat de juriste, le citoyen maîtrise mal les subtiles différences entre un acte explicitement ou implicitement créateur de droit. De la même manière, tous ne manient pas avec autant d’aisance que les membres de la juridiction administrative la différence entre le retrait et l’abrogation d’un acte. J’avoue que j’ai parfois moi-même des doutes, et ce malgré mes études, qui sont maintenant un peu lointaines.
Beaucoup a été fait pour que la langue juridique de l’administration soit davantage accessible au plus grand nombre, mais l’essentiel du travail est encore devant nous, tant cette opacité reste l’un des attributs sinon un des éléments de puissance de l’administration.
Aussi, je ne peux qu’accueillir favorablement l’initiative prise par le Gouvernement de créer un code spécifique aux relations entre les citoyens et l’administration. Cette codification devrait offrir l’opportunité de clarifier les dispositions existantes, notamment la postérité de la jurisprudence « Ternon », que ce soit en matière de retrait ou d’abrogation.
Ce code sera également l’occasion de permettre aux relations entre l’administration et les citoyens de prendre la voie de la dématérialisation que l’informatique nous permet ou devrait nous permettre. La démultiplication des outils numériques doit être mise au service de l’action administrative. Le débat d’aujourd’hui est l’occasion de le dire, on peut faire évoluer de multiples manières les relations entre l’administration et l’usager, mais si on ne met pas l’accent sur le développement du numérique, il y aura encore un certain nombre de malentendus pendant un nombre certain d’années.
La rénovation des processus décisionnels de l’administration est également une avancée louable. Plus qu’une rénovation, c’est une révolution administrative qui est en préparation. C’est la fin du principe de non-communicabilité des documents préparatoires et le début d’un véritable dialogue entre le citoyen et l’administration, voire d’une coproduction de la décision, même si cette vision est encore quelque peu osée.
Enfin, la récente annonce faite par le Gouvernement d’inverser le sens du silence de l’administration pour en faire une décision positive par principe est un véritable gage de confiance pour nos concitoyens.
Le droit administratif ne sera peut-être plus caractérisé par son seul caractère exorbitant du droit commun, ou du moins dérogatoire du droit privé, mais sera défini comme un droit du dialogue, de la concorde et du consentement des citoyens-administrés.
Pour autant, madame la ministre, permettez-moi une remarque. Un projet de loi visant à habiliter le Gouvernement à prendre des mesures par voie d’ordonnance est toujours comme une promesse : on s’engage bien souvent sur un programme très ambitieux et force est de constater que, parfois, les mesures prises sont en deçà des espérances nourries.
Les dispositions de la nouvelle rédaction de l’article 38 de la Constitution ne nous permettent pas de contrôler directement le texte des ordonnances, elles nous permettent seulement de nous prononcer sur leur ratification. Aussi peut-il être considéré comme regrettable que les mesures que vous souhaitez introduire dans notre droit ne fassent pas l’objet d’un véritable projet de loi, qui aurait permis un examen plus « serré » en séance publique.
Quoi qu’il en soit, madame la ministre, nous sommes prêts à vous laisser le bénéfice du doute en ce qui concerne vos projets d’ordonnances, mais nous serons vigilants quant au contenu effectif de ce que vous mettrez en œuvre. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Bernard Fournier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, un constat s’impose : les Français expriment une profonde défiance à l’égard de leur administration, comme le révèle le dernier rapport du Défenseur des droits.
Celui-ci met en lumière un paradoxe qu’il est de notre devoir de corriger : des droits sont proclamés par le législateur, qui, dans le même temps, construit des labyrinthes pour permettre à chacun d’y accéder. Tels sont les termes employés par nos concitoyens pour décrire le paysage administratif français. D’après le rapport du Défenseur des droits, cette situation est d’autant plus préoccupante que « plus l’individu est précaire, plus les droits ne lui sont accessibles qu’au terme d’un dédale ».
La simplification des procédures administratives est indispensable si l’on veut renforcer l’efficacité de l’action de l’administration, et dans le même temps la confiance des citoyens envers leurs fonctionnaires.
L’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne prévoit-il pas que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » ? C’est une évidence, mais l’État doit être exemplaire, et donc ses agents administratifs doivent l’être également.
Tous les organismes chargés d’une mission de service public doivent être impliqués dans la recherche d’une modernisation de leur action, car elle constitue un levier puissant de réduction structurelle des dépenses publiques. Elle doit viser à rationaliser les dépenses de fonctionnement pouvant être réduites, afin de consacrer ces dépenses à l’investissement et à l’intervention publique. À la différence de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, les agents doivent être associés à ce changement profond de culture.
Cependant, cet idéal ne peut être atteint dans un environnement qui ne cesse de contribuer à la prolifération et à la complexification des normes. Un tel objectif suppose au contraire de revisiter l’organisation territoriale de l’État grâce à une meilleure répartition des rôles, ainsi que le préconise la Cour des comptes dans un rapport récemment publié.
Dans le même temps, l’excès de normes pèse sur les citoyens, sur les entreprises et sur les agents eux-mêmes. Pour ces derniers, l’accueil devient particulièrement difficile et peut être source de tensions.
Le temps des procédures correspond à des jours de congés pris par les salariés pour accomplir leurs démarches – parfois sans succès. Il s’impute sur le temps que les entreprises peuvent consacrer à leur activité pour la consolider et la faire grandir.
Dans son rapport, le député Thierry Mandon estime qu’il est possible de réduire de 80 % pour les entreprises les coûts liés à la complexité et à la lenteur des procédures. Il y a donc là un gisement substantiel d’économies, profitables à l’investissement et à l’emploi et permettant de relancer la compétitivité de notre pays.
En outre, la norme doit être stable et lisible afin de garantir une véritable sécurité juridique et limiter les recours devant des tribunaux que l’on peine à désengorger.
Enfin, pour être respectée, la norme doit être comprise par tous – « faire simple » en quelque sorte – et, en la matière, des progrès restent à faire. Aux multiples tentatives destinées à répondre à toutes les situations particulières, la raison d’être de la norme est souvent oubliée. Aux multiples tentatives de simplification, l’administration ne fait souvent que prouver son inertie. Je dirai, en citant Jean de la Fontaine, que « le trop d’attention qu’on a pour le danger fait le plus souvent qu’on y tombe ».
Alors, le présent projet de loi évitera-t-il cet écueil ? Le droit est-il simplifiable ? Cette question est récurrente et le « choc de compétitivité juridique » prôné dans le rapport Lambert-Boulard contre l’inflation normative ne saurait encore attendre. La volonté du Gouvernement semble bien réelle puisqu’il a procédé à la suppression récente d’une centaine de commissions consultatives dont le rôle était limité.
Nous le savons : il est nécessaire de partir de l’usager pour revisiter les procédures administratives. C’est l’approche retenue par la direction générale de la modernisation de l’État, la DGME. C’est la logique qui doit inspirer la rédaction du nouveau code de l’administration, tant attendu.
En effet, s’il voit le jour grâce à cette nouvelle habilitation, il permettra de rassembler et de mettre à disposition de manière claire les règles procédurales non contentieuses auprès des usagers et des entreprises.
La possibilité de régulariser une demande en cours d’instruction grâce à la communicabilité des avis préalables à la décision définitive constitue également une avancée.
Cette réforme doit être l’occasion d’étendre cette possibilité à l’ensemble des démarches administratives avec la consécration du droit de saisir l’administration par voie électronique.
Si la présence de l’usager peut se justifier, une fois son identité vérifiée, le reste des pièces justificatives à fournir doit pouvoir être communiqué par voie électronique, ou encore par correspondance.
À cet égard, l’utilisation accrue du numérique est un outil indispensable de la modernisation de l’action publique, ce qui requiert un investissement en logiciels et en formations ainsi que de nouvelles règles procédurales.
Toutefois, il faudra veiller à réduire la fracture numérique pour que l’ensemble de la population puisse accéder à ces services sur tout le territoire de la République.
Le silence de l’administration vaudra acceptation et non plus rejet, affirmait le Président de la République lors de sa conférence de presse du 16 mai dernier. Une telle perspective, aussi séduisante soit-elle, n’est pas sans soulever quelques questions.
Ainsi, le Gouvernement nous propose par la voie d’un amendement, et donc sans étude d’impact, d’adopter une telle logique. Cela induirait un changement radical, pour ne pas dire davantage, dans notre manière de concevoir le droit et implique une étude approfondie de l’ensemble des procédures qui pourraient être concernées. Il faut bien reconnaître que le moyen utilisé est d’autant plus contestable que le Gouvernement a déposé le présent projet de loi il y a tout juste un mois au Sénat et que cette « petite révolution », selon les termes employés par Mme le ministre Vallaud-Belkacem, avait été annoncée en mai.
Le motif d’une telle disposition est légitime : l’accélération des procédures. Bien sûr, nous y sommes favorables sur le fond.
Toutefois, dispose-t-on des moyens humains et organisationnels permettant aux services d’étudier les demandes dans un délai raisonnable ? Nous pensons en particulier dans les mairies aux certificats d’urbanisme et aux documents relatifs au droit du sol. Une fois ces moyens mis en place, les services doivent être responsabilisés car leur inaction produira des effets en droit. La réponse doit être claire pour le demandeur et ne doit pas dépendre de l’inertie ou de la rapidité d’un service administratif particulier. La cohérence des décisions doit être assurée sur l’ensemble du territoire de la République pour tous les citoyens français.
Il convient de s’interroger avant tout sur les raisons qui entraînent aujourd’hui de tels délais d’instruction : les délais prévus sont-ils raisonnables ? Toutes les étapes de la procédure sont-elles indispensables ? Les agents traitant certaines demandes sont-ils assez nombreux et suffisamment motivés ?
Il ne faudrait pas, mes chers collègues, que la précipitation aboutisse à un résultat contraire au but visé, qui est simplement d’assurer à nos concitoyens une bonne et juste administration. Elle ne doit pas aboutir à l’adoption ultérieure des mesures législatives destinées à apporter des exceptions à ce nouveau principe.
Par ailleurs, le Gouvernement avait également annoncé, à la suite du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique, le CIMAP, du 2 avril dernier, qu’il allait favoriser une interprétation facilitatrice du droit existant. Une attention particulière doit être accordée si l’on souhaite que le principe d’égalité devant la loi s’applique à tous les citoyens : les sénateurs du RDSE y sont très attachés.
En dépit de ces remarques, madame la ministre, nous approuverons ce projet de loi dont nous partageons la finalité : améliorer la qualité du service public, renforcer la qualité du dialogue entre les fonctionnaires et les citoyens, et permettre ainsi que soit restaurée la nécessaire confiance qui doit exister entre les premiers et les seconds. Il n’y a pas de démocratie véritable sans une administration compétente au service de l’État républicain et des citoyens. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.)
M. Jean-Michel Baylet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les habitants de notre beau pays ont eu de nombreux noms : Celtes, Gaulois, Gallo-romains, Mérovingiens, sujets puis administrés...
Pourtant, les Français aujourd’hui se rêvent citoyens-citoyennes entendus d’une administration perçue comme lointaine. Je ne dirai bien évidemment pas que l’administration soit sans problème, la Cour des comptes vient de nous le rappeler. La simplification des formalités administratives est incontestablement une nécessité. Les méandres de l’accès à certaines informations, de la préparation de dossiers, de leur dépôt, des recours sont des freins objectifs aux droits des citoyennes et des citoyens.
Par ailleurs, la large diffusion de l’accès à internet est une chance à saisir. Mais internet ne peut pas tout, car la vie sociétale, c’est d’abord des liens entre individus et non avec une machine.
La décision de simplifier les relations entre l’administration et les citoyens ne peut donc qu’être encouragée et l’idée de les codifier est bienvenue. Reste que ce texte, s’il a pour but écrit de renforcer le dialogue entre l’administration et les citoyens, ne renforce pas le dialogue entre le Gouvernement et les parlementaires, et c’est là son plus grand défaut.
Premièrement, ce projet de loi présente les parlementaires comme des êtres frustes, incapables de comprendre la complexité de l’administration, voire des thèmes techniques, qui seront abordés dans les ordonnances.
Mme Hélène Lipietz. Bref, « restons entre fonctionnaires pour arranger nos rapports avec les citoyens », sans laisser à leurs représentants le droit – c’est le cas de le dire ! – d’y mettre leur grain de sel...
Le Gouvernement pense-t-il que les parlementaires, les associations, les citoyens qui les épaulent ne sont pas capables d’effectuer des analyses techniques et que seuls les fonctionnaires des ministères le sont ? Je crois bien que non mais sans doute ai-je vraiment très mauvais esprit…
M. Jacques Mézard. Oh oui !
Mme Hélène Lipietz. Le second motif est que les ordonnances protégeraient d’un encombrement excessif le travail parlementaire.
Effectivement, en matière d’encombrement excessif ou non, le Gouvernement est un expert. Nous avons déjà eu tout notre soûl de projets de lois, et peu de temps pour réfléchir et préparer nos amendements.
M. Jacques Mézard. Ça, c’est vrai !
Mme Hélène Lipietz. Nous avons su faire face, mais combien de nos réunions ont été inutiles puisque les textes n’avaient pas été discutés en amont ?
L’amendement surprise du Gouvernement qui nous est arrivé ce matin en est l’exemple flagrant. Cet amendement modifie une loi dans le projet de loi même qui autorise le Gouvernement à la codifier. Long de deux pages, il fait droit au dicton « qui ne dit mot consent ». Mais cet amendement complexe, modifiant la loi et non la codifiant, mérite plus qu’une seule lecture en séance, le jour même de sa discussion dans l’hémicycle.
C’est pourquoi, rien que pour la forme, évoquée ici, les écologistes ne pourront le voter ; pour ce qui est du fond, je reprendrai la parole plus tard.
Ainsi, vouloir nous faire croire que c’est pour notre bien que le Gouvernement passe par-dessus nos votes ne laisse rien présager de bon concernant la ratification de ces ordonnances. Car si nous n’avons pas le temps aujourd’hui de discuter de ces mesures, aurons-nous plus de temps pour analyser lesdites mesures lorsqu’elles reviendront devant nous pour approbation ? Il faut en particulier souligner que cette codification n’est pas à droit constant mais à droit innovant.
Faudra-t-il alors avoir une confiance aveugle dans les techniciens qui ont rédigé ces mesures ? N’avons-nous rien appris des ratés techniques, a minima coûteux, prônés par des techniciens sans légitimité démocratique qui sauraient mieux que nous ce qui est bon pour tous ?
M. Jacques Mézard. Très bien !
Mme Hélène Lipietz. Ainsi, le nucléaire – je pense en particulier au surgénérateur, grâce auquel on nous promettait la lune énergétique et qui se révèle un puits financier sans fond – présente des risques sanitaires et économiques infinis.
Les organismes génétiquement modifiés, qui devaient nourrir la planète, apportent la pauvreté à des agriculteurs qui se retrouvent pieds et poings liés. Aux États-Unis, l’emploi des OGM a d'ailleurs permis de vérifier en moins de neuf ans l’adaptabilité du vivant, pied de nez à la brevetabilité de celui-ci !
L’informatisation de la sécurité sociale par la carte Vitale, coûteuse et qui n’est toujours pas au point, n’a pas permis d’atteindre les objectifs d’éradication de la fraude, de réduction des déficits et représente une violation manifeste du secret professionnel médical.
Le vote électronique, qui pose des problèmes de sécurité et de véracité du vote, n’a pas permis de réduire les coûts ni de diminuer l’abstention, objectifs pourtant mis en avant lors des premiers déploiements.
Permettez-moi, madame la ministre, de douter que votre administration, notre administration, sache mieux que nous, élus, qui n’avons pas su prendre la mesure des attentes citoyennes quant à la transparence de notre patrimoine, organiser sa propre transparence. Mais, encore une fois, je suis vraiment mauvaise langue. (M. Jean-Pierre Michel, vice-président de la commission des lois, applaudit. – Mme la ministre s’esclaffe.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jacques Mézard. Ce ne sera pas difficile…
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre administration s’est solidement établie sur une organisation hiérarchique et un pouvoir unilatéral.
D’ailleurs, à cet égard, monsieur le rapporteur, les termes sont intéressants, qu’il s’agisse d’« usager », ou d’« assujetti » – dans lequel on retrouve le mot « sujet ». On est « assujetti », c’est extraordinaire ! (Mme la ministre sourit.) « Public », c’est mieux, de ce point de vue.
Il faut bien reconnaître que l’autonomie croissante des collectivités locales et l’évolution culturelle qui anime nos concitoyens nous poussent aujourd'hui à refaçonner le fonctionnement de nos institutions.
Le droit, hélas ! se complexifie au fil du temps, et nous devons toujours veiller à ce qu’il soit accessible à nos concitoyens, qui sont, de surcroît, animés d’un souhait croissant de participation et de contrôle. On discute tout maintenant, des décisions du maire, etc.
Les textes qui visent à améliorer les relations entre l’administration et nos concitoyens doivent donc veiller à allier transparence et efficacité.
Comme l’a rappelé le rapporteur, le travail que nous effectuons n’est pas nouveau. Il a débuté avec la loi du 3 janvier 1973 instituant un Médiateur de la République – initiative soutenue par Jacques Thyraud –, qui n’était pas passée facilement, s’est poursuivi avec la loi du 17 juillet 1978 relative à l’accès aux documents administratifs, puis avec la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et a connu un regain avec la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration.
Le projet du Gouvernement s’inscrit donc dans la droite ligne des dispositions de la loi de 2000 qui engagent l’adaptation graduelle de l’administration face aux enjeux sociétaux et technologiques.
Sous la précédente législature, avec plus ou moins de bonheur, ou plutôt un bonheur décroissant, quatre lois de simplification sont intervenues – que personne n’a citées, peut-être parce qu’elles ont posé quelques problèmes au Sénat – en 2007, 2009, 2011 et de 2012. D’ailleurs, pour ce qui est de la loi de 2012, il s’agissait plus de complexification-simplification que de simplification. À cette occasion, je vous le rappelle, mes chers collègues, il était question de faire passer le code de l'expropriation pour cause d’utilité publique. Nous avions signalé que la question n'était pas mûre et qu’il fallait faire très attention.
Le projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l’administration et les administrés doit rendre le système plus efficace. On peut toujours dire qu'on est opposé aux ordonnances, mais, à un moment donné, on est bien obligé d’y recourir ! Néanmoins, la révision constitutionnelle nous oblige maintenant à ratifier explicitement toutes les ordonnances. Les textes résultant des travaux du Gouvernement nous seront donc soumis le moment venu.
La modernisation des techniques employées, par l’extension des voies électroniques, profite aux usagers du service public, qui utiliseront, à juste titre, les procédés proposés – je pense notamment aux avis préalables qui sont destinés à permettre l’élaboration d’une communication intelligible entre l’administration et les administrés. L’accessibilité et la multiplication des courriels adressés aux administrations faciliteront les tâches de ces dernières.
L’article 1er du projet de loi tend à permettre le recours aux technologies pour que des instances administratives collégiales puissent délibérer à distance. Nous devons utiliser cet élément de progrès, comme nous l'avions fait, madame le ministre, pour la justice, une mesure qui avait été critiquée. Mais comment réunir un tribunal entier pour rendre la justice à Saint-Pierre-et-Miquelon ?
M. Jean-Jacques Hyest. Si on procède par la téléconférence, on est plus efficace.
Force est d’admettre que la solution présentée est en adéquation avec les exigences d’efficacité imposées aux administrations françaises.
Le renfort technologique ne peut que contribuer à une amélioration du fonctionnement, supposé archaïque, de l’administration. Certaines procédures fonctionnent pourtant bien.
M. Jean-Jacques Hyest. Après quelques problèmes initiaux, l’obtention de la carte grise est devenue maintenant très simple, ce qui permet d’éviter une très longue attente au guichet de la préfecture ou de la sous-préfecture. Pour les passeports,…
M. Jean-Jacques Hyest. … la situation est encore compliquée, mais des progrès ont tout de même été réalisés.
Il est inutile de rappeler que les doléances formulées par nos concitoyens à l’égard du dysfonctionnement de l’administration abondent. S’agissant de l’utilisation des procédés électroniques, il faut toutefois prêter attention à deux éléments extrêmement importants : la sécurisation des données et leur protection, des questions qui font l’objet d’un débat au niveau mondial. La commission des lois est particulièrement vigilante à ce que le contrôle de la CNIL soit effectué avec rigueur.
Les bienfaits financiers de l’utilisation massive des moyens électroniques et l’abandon progressif des courriers « papier » devraient plaire à Mme Lipietz (Sourires.), mais apparemment rien dans ce texte ne la satisfait !
Ce projet de loi ne saurait, me semble-t-il, susciter de clivages idéologiques, et il m’est d’ailleurs agréable de constater que le type de mesures qu’il contient peut faire l’objet d’un consensus où l’enjeu d’efficacité prime.
Le texte comprend trois axes.
Il vise, d’abord, à simplifier les relations entre le public et les administrations par la création d’un code spécifique et l’instauration d’un droit à saisir l’administration par voie électronique. Cela soulève tout de même le problème de la fracture numérique qui existe toujours dans notre pays,…
M. Jean-Jacques Hyest. … y compris en Île-de-France, hors métropole parisienne bien sûr.
Comme maire, j’ai pu mesurer ce phénomène. Dans ma commune, tous les câbles téléphoniques avaient été volés. À cette occasion, je me suis rendu compte que, sur les quelque 150 abonnés de ma commune, vingt-cinq, essentiellement des personnes âgées ou défavorisées, n'avaient pas internet, soit une proportion non négligeable.
Le principe d'égalité devant la loi est régulièrement rappelé par le Conseil constitutionnel dans ses décisions – il n’est pas nécessaire que je les cite.
L’instauration d’un code visant à simplifier les relations entre l’administration et ses administrés doit permettre d’offrir un surplus de visibilité aux concitoyens désireux de maîtriser le fonctionnement des institutions.
Ensuite, et vous avez insisté sur ce point, monsieur le rapporteur, le projet de loi tend à rénover le processus décisionnel. En effet, est introduite la possibilité d’accéder aux avis préalables et l’usager peut modifier en conséquence sa demande en cours d’instruction. En matière d'urbanisme, madame le ministre, une telle disposition serait extrêmement utile,…
M. Jean-Jacques Hyest. … notamment à l’égard des services départementaux d'architecture et des architectes des bâtiments de France, ou ABF. Cette administration ne change pas (M. Alain Richard s’exclame.), contrairement aux doctrines qui évoluent selon les architectes…
M. Philippe Bas. C’est exactement ça !
M. Alain Richard. Pour ma part, je suis indulgent, car ils rendent tout de même service !
M. Jean-Jacques Hyest. Je le suis aussi, à condition que l’on puisse dialoguer. Or certains n'acceptent pas de discuter !
En rupture avec la règle traditionnelle de non-communicabilité des documents préparatoires à une décision administrative en cours d’instruction, posée à l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978, le présent texte habiliterait ainsi le Gouvernement à prendre les dispositions législatives pour prévoir qu’en principe sont communicables au demandeur les avis rendus sur sa demande avant que ne soit prise la décision. Cette mesure constitue, me semble-t-il, un progrès.
En somme, la rénovation du processus décisionnel tend à renforcer la participation du public à l’élaboration des actes administratifs, à élargir la faculté de recourir à de nouvelles technologies pour délibérer ou rendre des avis à distance et à unifier les règles relatives au régime des actes administratifs.
Enfin, madame la ministre, je suis d'accord avec mon éminent collègue sur la nécessité de rénover certains codes. Toutefois, vous le savez bien, pour le code électoral, cela ne peut se faire à droit constant. Nous avons débattu longuement de cette question en commission des lois à plusieurs reprises. En revanche, s’agissant du code général des impôts, c'est un monstre incompréhensible,…
M. Jean-Jacques Hyest. … sauf par quelques spécialistes,…
M. Jean-Claude Requier. Bien rémunérés !
M. Jean-Jacques Hyest. … et quelques spécialistes de Bercy, dont chacun se sent propriétaire de son article ou de son chapitre, qu’il maîtrise parfaitement. On a d’ailleurs l'impression que si on le leur retirait, ils perdraient leur raison d'être.
Vous proposez, Madame le ministre, la refonte du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Vous voulez inclure dans le code les dispositions de nature législative qui n’ont pas encore été codifiées, améliorer le plan du code et donner compétence en appel à la juridiction de droit commun. Nous sommes bien entendu d'accord avec ces trois objectifs.
Lors de sa conférence de presse du 16 mai 2013, le Président de la République a évoqué un « choc » : le silence de l’administration à l’expiration d’un certain délai vaudrait non plus rejet, mais autorisation. Cela reviendrait à inverser le principe énoncé à l’article 21 de la loi n° 2000–321 du 12 avril 2000 : à l’exception des cas où un régime de décision implicite de rejet serait institué dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État, le silence gardé pendant plus de deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaudrait décision d'acceptation.
Madame le ministre, on verra si vous y parviendrez !
M. Alain Richard. Vous irez directement au Panthéon !
M. Jean-Jacques Hyest. Nous avons tenté de faire la même chose à plusieurs reprises, notamment en matière d'urbanisme. Nous avons rapidement abandonné, en partie à cause des ABF, sans faire de fixation. (Sourires.)
Néanmoins, tant que la décision n’est pas prise, tout le monde a peur et préfère attendre. Ce serait donc un progrès.
M. Philippe Bas. Faire naître des décisions illégales, c’est très dangereux !
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà ! Vous le constatez, on assiste immédiatement à une réaction attendue de la part de ceux qui ont une longue expérience de l'administration.
L’avenir nous dira si la déclaration très empressée du Président de la République trouve à se réaliser, complètement ou, à tout le moins, de manière satisfaisante.
Après le travail soigné du rapporteur, notre excellent collègue Hugues Portelli, et de la commission des lois, le groupe UMP votera ce texte qui s’inscrit dans un processus législatif continu. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. Claude Dilain applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Article additionnel avant l’article 1er
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – La loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations est ainsi modifiée :
1° Le troisième alinéa de l’article 20 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Si l’autorité informe l’auteur de la demande qu’il n’a pas fourni l’ensemble des informations ou pièces exigées par les textes, le délai ne court qu’à compter de la réception de ces éléments. » ;
2° L’article 21 est ainsi rédigé :
« Art. 21. – I. – Le silence gardé pendant deux mois par l’autorité administrative sur une demande vaut décision d’acceptation.
« Le précédent alinéa n’est pas applicable et le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut décision de rejet :
« 1° Lorsque la demande ne tend pas à l’adoption d’une décision présentant le caractère d’une décision individuelle ;
« 2° Lorsque la demande ne s’inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d’une réclamation ou d’un recours administratif ;
« 3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ;
« 4° Dans les cas, précisés par décret en Conseil d’État, où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection des libertés, la sauvegarde de l’ordre public ou des autres principes à valeur constitutionnelle ;
« 5° Dans les relations entre les autorités administratives et leurs agents.
« II. – Des décrets en Conseil d’État et en conseil des ministres peuvent, pour certaines décisions, écarter l’application du premier alinéa du présent article eu égard à l’objet de la décision ou pour des motifs de bonne administration. Des décrets en Conseil d’État peuvent également fixer un délai différent de celui que prévoient les deux premiers alinéas, lorsque l’urgence ou la complexité de la procédure le justifie.
« III. – La liste des procédures pour lesquelles le silence gardé sur une demande vaut acceptation est publiée sur un site internet relevant du Premier ministre. Elle mentionne l’autorité à laquelle doit être adressée la demande, ainsi que le délai au terme duquel l’acceptation est acquise. » ;
3° L’article 22 est ainsi rédigé :
« Art. 22. – Dans le cas où la décision demandée peut être acquise implicitement et doit faire l’objet d’une mesure de publicité à l’égard des tiers lorsqu’elle est expresse, la demande est publiée par les soins de l’administration, le cas échéant par voie électronique, avec l’indication de la date à laquelle elle sera réputée acceptée si aucune décision expresse n’est intervenue.
« La décision implicite d’acceptation fait l’objet, à la demande de l’intéressé, d’une attestation délivrée par l’autorité administrative.
« Les conditions d’application du présent article sont précisées par décret en Conseil d’État. » ;
4° Au deuxième alinéa de l’article 22-1, les mots : « aux articles 21 et 22 » sont remplacés par les mots : « à l’article 21 ».
II. – Le I est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis-et-Futuna aux administrations de l’État et à leurs établissements publics.
III. – Le I entre en vigueur :
- dans un délai d’un an à compter de la publication de la présente loi, pour les actes relevant de la compétence des administrations de l’État ou des établissements publics administratifs de l’État ;
- dans un délai de deux ans à compter de la publication de la présente loi, pour les actes pris par les collectivités territoriales et leurs établissements publics, ainsi que ceux des organismes de sécurité sociale et des autres organismes chargés de la gestion d’un service public administratif.
IV. – Le Gouvernement est habilité, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution et dans un délai de douze mois à compter de la publication de la présente loi, à modifier par ordonnances les dispositions législatives prévoyant qu’en l’absence de réponse de l’administration dans un délai qu’elles déterminent, la demande est implicitement rejetée, pour disposer que l’absence de réponse vaut acceptation ou instituer un délai différent. Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans le délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de présenter mon amendement, je tiens à remercier le rapporteur pour la qualité de son travail et à répondre rapidement aux orateurs.
Monsieur Richard, le Gouvernement demandera au SGG d'organiser un rendez-vous avec la commission des lois au cours du travail sur les ordonnances afin de ne pas présenter au Parlement des ordonnances achevées. J’en prends l’engagement.
En ce qui concerne le champ du code relatif aux relations entre l'administration et les usagers, le Gouvernement demande une habilitation à codifier sur le champ de la loi relative à la CADA. Parmi les « grandes lois » à codifier, toutes n'ont pas le même champ, d’où l’obligation, pour nous, de retenir le champ le plus large.
Nombre d’entre vous se sont naturellement inquiétés du développement du numérique. M. Favier et les trois derniers intervenants y ont fait allusion. Le numérique devient une possibilité, pas une obligation. Il permet d’offrir un moyen de communication supplémentaire, mais, vous avez raison, il faut veiller à ce qu’il ne devienne pas une obligation, sinon on créerait une rupture du droit. Cela ne sera bien évidemment pas le cas.
J'ai entendu les inquiétudes sur l’accord tacite. J'assume cette proposition que j’ai faite au Président de la République, qui l’a acceptée avec enthousiasme et l’a décrite avec autant d'enthousiasme.
C'est pourquoi je vous demande d'accepter l'amendement n° 3, qui insèrent un article additionnel avant l'article 1er du projet de loi, pour modifier la loi n° 2000–321 du 12 avril 2000, dont j'apprécie qu'on reconnaisse, ici ou là, le bien-fondé.
Cet amendement tend à prévoir le principe selon lequel le silence gardé pendant deux mois par l’administration sur une demande vaut acceptation. Dans les domaines dans lesquels ce principe ne peut être appliqué, le silence vaudra rejet. Il institue également la possibilité d'écarter ce principe par décret en Conseil d'État et en conseil des ministres et celle de faire varier le délai de deux mois par décret en Conseil d'État. Il prévoit la publication sur un site internet des procédures pour lesquelles le silence vaut acceptation et du délai d'intervention de la décision tacite. Il fixe le début du délai à la date de réception du dossier complet par l'administration compétente. Enfin, il définit des mesures de publicité à l'égard des tiers et la possibilité pour le demandeur d'obtenir une attestation de l'administration.
D’aucuns nous ont souhaité bien du courage – voire de la chance ! – pour parvenir à mettre en œuvre ce principe. Nous avons déterminé, comme vous en avez tous exprimé le souhait au travers de vos interventions, un certain nombre de limites. Dans les dossiers relatifs par exemple à la santé, à la protection de l'environnement ou à l’application de nouvelles directives européennes, chacun en convient, le délai doit être plus long.
J'ai attaché beaucoup d'importance à ce que soit fixé de la façon la plus exacte possible le moment à partir duquel débute le délai. Connaissant et pratiquant le droit, je veux éviter que certains ne déposent un dossier – accidentellement, pas volontairement – incomplet et que le délai démarre à cette date. Je tiens à le dire de façon très explicite ici : le délai ne commencera à courir que lorsque le dossier sera complet. Nous devrons être très attentifs, mais je sais que vous le serez, au moment de la rédaction au fait qu’une administration pourrait faire des remarques sur le dossier, lesquelles feraient repartir le délai.
Je ne veux pas dire que se produira ce que chacun peut craindre, c'est-à-dire chaque semaine une remarque d’une partie – l’ABF a été souvent cité, je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi – faisant repartir le délai, la procédure finissant par durer un ou deux ans. Allons au maximum du droit, de la protection des citoyens. Un silence de deux mois après dépôt d’un dossier complet vaudra acceptation.
Cet engagement oblige les administrations. Je n'ai pas bien compris l'argument avancé par Mme Lipietz. Nous avons préparé un projet de loi qui porte sur le statut des fonctionnaires et leur impartialité, mais aussi sur les dispositions relatives à la transparence. Pour ma part, je leur fais confiance, y compris pour entendre ce qu'on leur demande au travers de cet amendement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a eu plaisir à vous présenter cet amendement et espère être suivi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. Favorable.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz, pour explication de vote.
Mme Hélène Lipietz. Je l’ai déjà dit : le fait de modifier par un amendement de presque deux pages la loi du 12 avril 2000, pour ensuite autoriser le Gouvernement à codifier son propre texte par voie d’ordonnance, me dérange.
Sur le fond, il est des cas où le fait que le silence vaille acceptation ne sert quasiment à rien si l'on ne clarifie pas le délai de retrait de la décision tacite. Ce casse-tête est connu, et je vous souhaite bien du plaisir pour le résoudre – nous l’avons toutefois résolu en matière d'urbanisme.
Sur le délai glissant que vous avez prévu si l'administration demande des documents, je vais forcément être mauvaise langue, en raison de mon trop long passé d’avocate d'administrés qui se faisaient renvoyer de délais en délais, l'administration n'ayant jamais assez de documents, même lorsque son silence vaut rejet au bout de quatre mois. Ainsi, en matière de contentieux des étrangers, lorsque je m'apprêtais à contester une décision de rejet devant le tribunal au terme du délai de quatre mois, voilà que l'administration me demandait subitement une pièce supplémentaire, et nous étions repartis pour un nouveau délai…
La rédaction de l’article 21 est sans doute celle qui me pose le plus de problèmes. Elle comporte tellement de dérogations au renversement du principe que l'on ne voit pas très bien finalement quel est le résultat pratique. Malgré les dérogations prévues au II, qui devront être prises par décret, je crains que la liste prévue au III ne permette à des sociétés d'obtenir des autorisations implicites, dangereuses ou nuisibles, alors même que le dossier aura parfois été bâclé.
En dépit des garde-fous, nous avons d'ores et déjà plus de permis de construire illégaux tacites qu'explicites.
Pour ma part, je limiterais l’application du principe « le silence vaut acceptation » aux demandes des personnes physiques – et encore !
Le III de cet article me semble aberrant. Si le principe est que les accords sont tacites, on ne doit pas faire une liste des cas dans lesquels le silence de l’administration vaut acceptation, au risque d'en oublier, mais bien une liste des cas inverses, dans lesquels le silence vaut refus.
L'article 22 énonce un principe, mais encore faudrait-il étendre le nombre de décisions qui doivent faire l’objet de mesures de publicité pour les tiers, qui n'existent guère en dehors de l'urbanisme et de la fonction publique. Par ailleurs, même si ces décisions, expresses ou tacites, sont publiées sur un site internet, se pose toujours le problème de la fracture numérique, comme certains orateurs l'ont fait remarquer.
Se pose aussi, de façon générale, le problème du retrait des actes tacites.
Au final, cet amendement mériterait une étude plus approfondie. Son principe est sans doute bon, mais il me semble choquant de le faire ainsi voter à la va-vite.
J'ai bien compris, madame la ministre, que nous devrions avoir le plaisir de discuter avec le Gouvernement en cours d’élaboration, mais nous aurions pu attendre les conclusions du rapport d'évaluation en cours sur la CADA.
Compte tenu des réticences qu’il éprouve à son égard, le groupe écologiste s'abstiendra sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. L'article 23 de la loi du 12 avril 2000 énumère déjà les trois domaines concernés par des délais de retrait. Ces dispositions figurent donc déjà dans notre droit.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 1er.
Article 1er
I. – Le Gouvernement est habilité, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution et dans un délai de douze mois à compter de la publication de la présente loi, à prendre par ordonnance des dispositions de nature législative destinées à :
1° Définir les conditions d’exercice du droit de saisir par voie électronique les autorités administratives et de leur répondre par la même voie ;
2° Définir les conditions dans lesquelles peuvent être communiqués aux pétitionnaires les avis préalables recueillis sur leurs demandes, conformément aux dispositions législatives et réglementaires, avant que les autorités administratives n’aient rendu leur décision, en particulier lorsque la communication de ces avis et de leur motivation lorsqu’ils sont défavorables est de nature à permettre à la personne concernée de modifier ou compléter sa demande et de réduire le délai de réalisation de son projet ;
3° Élargir les possibilités de recours aux technologies permettant aux organes collégiaux des autorités administratives de délibérer ou de rendre leur avis à distance, dans le respect du principe de collégialité.
Sont considérés comme autorités administratives au sens des 1° à 3° les administrations de l’État et des collectivités territoriales, les établissements publics à caractère administratif, les organismes de sécurité sociale et les autres organismes chargés de la gestion d’un service public administratif.
II. – Le Gouvernement est habilité, dans les mêmes conditions, à adapter les dispositions prises en application du I aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi qu’à les étendre, avec les adaptations nécessaires, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et aux îles Wallis et Futuna.
III. – Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 4
Compléter cet alinéa par les mots :
, définir les conditions dans lesquelles sont publiés des délibérations, actes et avis des administrations de l’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics et des organismes publics sur un site d’ouverture des données publiques, sous format ouvert, et utilisables gratuitement
II. – Pour compenser la perte de recettes résultant du I ci-dessus, compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
...- La perte de recettes éventuelle résultant pour l'État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et les organismes publics est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Nous avons parlé des décisions communiquées par internet, ou des discussions que les administrations et les citoyens pourraient avoir par voie électronique.
Les écologistes sont évidemment favorables à ces évolutions, non seulement parce qu’elles permettront d'économiser du papier, mais aussi parce qu’elles sont globalement moins énergivores.
Le numérique ne se résume toutefois pas à internet ; il englobe aussi la toile, c'est-à-dire l'ensemble des éléments que l'on peut avoir à sa disposition et réutiliser le cas échéant.
C'est pourquoi je propose cet amendement d'appel, même si je n'ai pas vraiment le droit de le déposer.
Je souhaiterais que les délibérations et les avis des administrations soient mis à la disposition de tous les citoyens en open data, afin que chacun puisse se les approprier et éventuellement les réutiliser dans des recherches. L'utilisation d'un site public d'ouverture des données est un gage de pérennité des décisions administratives.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hugues Portelli. La commission émet un avis défavorable. Comme Mme Lipietz vient de le dire, les parlementaires n'ont aucun droit d'initiative en matière d'ordonnance, celui-ci étant réservé au Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
L'ouverture des données publiques de l'État et des opérateurs a fait l'objet de plusieurs décisions dans le cadre de la modernisation de l'action publique, la MAP. Des travaux sont en cours entre Etalab et des collectivités locales regroupées au sein d’Opendata France pour avancer dans une direction commune.
Le projet de loi de développement des solidarités territoriales et de la démocratie locale, déposé sur le bureau du Sénat, prévoit des avancées supplémentaires.
Dans ce contexte, il me semble possible accepter l'amendement.
M. Hugues Portelli, rapporteur. Il est inconstitutionnel !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Dans ce cas, si cet amendement est inconstitutionnel, je demanderai à Mme Lipietz de bien vouloir le retirer.
M. le président. Madame Lipietz, l'amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
Mme Hélène Lipietz. Le Gouvernement pourrait reprendre cet amendement, ce qui aurait pour effet de lever son inconstitutionnalité.
M. Ladislas Poniatowski. Absurde ! C’est inconstitutionnel !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je ne peux pas ainsi reprendre cet amendement au pied levé, mais je m'engage à le faire devant les députés.
Mme Hélène Lipietz. Dans ces conditions, je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
I. – (Non modifié) Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à procéder par ordonnance à l’adoption de la partie législative d’un code relatif aux relations entre les administrations et le public.
II. – Ce code regroupe et organise les règles générales relatives aux procédures administratives non contentieuses régissant les relations entre le public et les administrations de l’État et des collectivités territoriales, les établissements publics à caractère administratif, les organismes de sécurité sociale et les autres organismes chargés de la gestion d’un service public administratif. Il détermine celles de ces règles qui sont en outre applicables aux relations entre ces administrations et entre ces administrations et leurs agents. Il rassemble également les règles générales relatives au régime des actes administratifs unilatéraux. Les règles codifiées sont celles qui sont en vigueur à la date de la publication de l’ordonnance ainsi que, le cas échéant, les règles déjà publiées mais non encore en vigueur à cette date.
III. – Le Gouvernement est autorisé à apporter aux règles de procédure administrative non contentieuse les modifications nécessaires pour :
1° Simplifier les démarches auprès des administrations et l’instruction des demandes, en les adaptant aux évolutions technologiques ;
2° Simplifier les règles de retrait des actes administratifs unilatéraux dans un objectif d’harmonisation et de sécurité juridique ;
3° Renforcer la participation du public à l’élaboration des actes administratifs ;
4° (Supprimé)
5° Assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés, harmoniser l’état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions, codifiées ou non, devenues sans objet ;
6° (Supprimé)
7° Étendre les dispositions de nature législative ainsi codifiées en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans le respect des compétences dévolues à ces collectivités, ainsi qu’aux îles Wallis et Futuna, et adapter, le cas échéant, les dispositions ainsi codifiées en Nouvelle-Calédonie et dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution ;
8° Rendre applicables à Mayotte les dispositions de nature législative ainsi codifiées issues des lois qui ne lui ont pas été rendues applicables.
IV. – (Non modifié) Cette ordonnance est prise dans un délai de vingt- quatre mois suivant la publication de la présente loi.
V. – (Non modifié) Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
à caractère administratif, les organismes de sécurité sociale et les autres organismes chargés de la gestion d’un service public administratif
par les mots :
et les organismes chargés d’une mission de service public
La parole est à Mme la ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. Favorable.
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2, troisième phrase
Supprimer le mot :
unilatéraux
La parole est à Mme la ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. Favorable.
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2, dernière phrase
Remplacer le mot :
publication
par le mot :
signature
La parole est à Mme la ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. L'avis de la commission est défavorable, monsieur le président. Habituellement, c'est plutôt le terme de publication qui est utilisé.
Or le Gouvernement arguait du fait qu'il pouvait y avoir un délai de quelques jours entre le moment où le texte était signé et le moment où il était publié.
Étant donné que ce sont les mêmes autorités qui publient et qui signent, il leur revient de s’organiser pour éviter ce genre de désagréments.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Il y a en effet un petit désaccord entre nous, monsieur le rapporteur.
En l'état, la rédaction retenue prévoit la codification des règles en vigueur à la date de publication de l'ordonnance. Toutefois, en pratique, des règles qui entreront en vigueur postérieurement à la signature de l'ordonnance et préalablement à sa publication ne pourront pas être codifiées, puisque l'ordonnance ne pourra pas être complétée après signature.
Cet amendement vise donc à rétablir la rédaction initiale du projet de loi, qui prévoyait de figer l'état des règles à codifier à la date de la signature de l'ordonnance.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Cette querelle ne peut être comprise que par quelques dizaines de personnes en France. Et elle n’a de surcroît aucun intérêt ! (Sourires.)
De quoi s'agit-il ? Quand on est en train de codifier, on collecte tout un ensemble de textes que l'on a appréciés comme devant entrer dans le code.
Toutefois, tant que le texte de codification n'est pas entré en vigueur, ces différents textes, encore autonomes, continuent de bouger, car, naturellement, la France ne peut pas se passer de quelques dizaines de changements de règles de droit par jour !
Une fois que les codificateurs ont terminé leur travail, que le Secrétariat général du Gouvernement, ou SGG, a figé la codification, il faut encore collecter les signatures et publier le texte au Journal officiel, ce qui prend en général quelques jours pour des textes aussi lourds. Entre-temps, il se peut que soit modifié, de manière séparée, l'un des textes en voie d’être codifié.
La seule solution est la suivante : le SGG, qui a tous les talents, devrait retarder la publication du dernier texte modifié, afin qu'il s'agisse de la première modification du nouveau code, plutôt que de jouer sur une date de signature, celle-ci étant impossible à déterminer dès lors qu'il y a quatre ou cinq contresignataires.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Hugues Portelli, rapporteur. En pratique, la parution d’un code prend des années – on le dit depuis le début de la discussion de ce texte. Et voilà que l’on se bagarre à présent pour quelques jours. Le SGG serait-il incapable de gérer cet intervalle, alors qu'il met des années à sortir un code ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 7, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
2° Simplifier et unifier les règles relatives au régime des actes administratifs ;
La parole est à Mme la ministre.
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par M. Portelli, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après le mot :
retrait
insérer les mots :
et d'abrogation
La parole est à M. le rapporteur.
M. Hugues Portelli, rapporteur. Le texte adopté par la commission visait le retrait des actes administratifs unilatéraux.
Le Gouvernement nous a expliqué qu'il s'agissait non seulement du retrait, mais aussi de l'abrogation.
Pour faire un pas vers lui, nous avons proposé, dans cet amendement n° 9, d'ajouter le mot « abrogation », tout en maintenant le texte de la commission.
Ainsi, les intentions du Gouvernement seront satisfaites et les préventions de la commission également. Nous n’avons en effet aucune envie de voir d'autres dispositifs venir se greffer sur ceux qui sont relatifs au retrait et à l'abrogation dans le texte de l'habilitation.
Nous souhaiterions en conséquence que le Gouvernement accepte de retirer l'amendement n° 7.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Le Gouvernement retire l'amendement n° 7 et émet un avis favorable sur l’amendement n° 9.
M. le président. L'amendement n° 7 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 9.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mme Lipietz et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Compléter cet alinéa par les mots :
en prévoyant les conséquences juridiques d'un avis défavorable ou avec réserve du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête
La parole est à Mme Hélène Lipietz.
Mme Hélène Lipietz. Il s'agit encore d'un amendement d'appel.
La loi 2002–276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a supprimé la seule règle de fond qui tirait une conséquence de l'avis défavorable à une enquête publique.
Avant cette loi, il fallait systématiquement un décret en Conseil d'État si l’avis n'avait pas été favorable. Cette exigence demeure d'ailleurs pour certaines opérations particulièrement importantes, mais le sens de l'enquête est dans ces cas indifférent.
Sans doute a-t-on considéré, voilà onze ans, qu’exiger un décret en Conseil d’État quand des élus responsables ont opiné en faveur de l’utilité publique de leurs projets, fussent-ils démesurés, était une forme de méfiance envers la représentation locale. C’est pourquoi, au titre de la démocratie locale, ou plutôt de l’idée que l’on s’en faisait alors, on a pris cette décision, qui était une régression par rapport à la démocratie locale réelle, fondée sur la consultation des citoyens.
Aujourd’hui, un avis défavorable à la suite d’une commission d’enquête n’a donc absolument aucune conséquence juridique, à l’exception de la présomption d’urgence en cas de référé-suspension.
Non seulement les conséquences sont inexistantes, mais les préfets font même preuve, en cas d’avis avec réserves, réputés défavorables si le projet n’est pas modifié dans le sens des réserves, d’une certaine tendance à ne pas tenir compte de ces dernières. Ils agissent ainsi par crainte qu’un requérant ne demande la tenue d’une autre enquête – cela c’est d’ailleurs vu – quand des modifications qui ne sont pas la conséquence directe de l’avis sont proposées. Il est à noter qu’il s’agit d’une règle prétorienne et que son écriture dispense d’une nouvelle enquête si les modifications apportées au projet aux seules fins de répondre aux réserves exprimées constituent une amélioration.
Bref, c’est bien l’inutilité de la démarche consistant, pour les citoyens, à aller faire connaître leur accord ou désaccord lors de ces enquêtes qui explique le faible nombre de personnes y participant.
Donner un sens à un avis négatif rendu dans le cadre d’une enquête publique est un souhait des écologistes, qui devrait être entendu, aujourd'hui ou demain, par le Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable. Le droit en vigueur, notamment le code de l’environnement, prévoit déjà un certain nombre de dispositions. Ainsi, en cas de conclusions négatives du commissaire enquêteur, la collectivité doit émettre une délibération motivée pour demander la suite de la procédure.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. Je ne peux pas donner meilleur avis que celui qui vient d’être émis par M. le rapporteur. Par conséquent, je demande à mon tour le retrait de cet amendement, faute de quoi l’avis du Gouvernement sera défavorable.
M. le président. Madame Lipietz, l’amendement n° 2 est-il maintenu ?
Mme Hélène Lipietz. Oui, je le maintiens, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à procéder par ordonnance à la modification du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique afin d’y inclure des dispositions de nature législative qui n’ont pas été codifiées, d’améliorer le plan du code et de donner compétence en appel à la juridiction de droit commun.
Il peut également apporter les modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés, harmoniser l’état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions, codifiées ou non, devenues sans objet.
En outre, le Gouvernement peut étendre, le cas échéant avec les adaptations nécessaires, l’application des dispositions ainsi codifiées en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et aux îles Wallis et Futuna.
II. – Les dispositions codifiées sont celles qui sont en vigueur à la date de la publication des ordonnances ainsi que, le cas échéant, les règles déjà publiées mais non encore en vigueur à cette date.
III. – (Non modifié) L’ordonnance est prise dans un délai de douze mois suivant la publication de la présente loi. Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’ordonnance.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer le mot :
publication
par le mot :
signature
La parole est à Mme la ministre déléguée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. Pour la même raison que celle qui a été exposée précédemment, l’avis est défavorable.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. Nonobstant l’avis défavorable de la commission, je voudrais tout de même insister sur le fait que nous faisons face à une forme de vacuité. Entre le temps de la signature de l’ordonnance et celui de sa publication, il se peut que des décisions doivent être prises et, dans ce cas, il y aura vacuité. J’insiste sur ce terme : ce n’est pas le vide… On est vraiment dans ce qui n’existe pas !
Voilà pourquoi le Gouvernement avait présenté cet amendement, que je veux à nouveau défendre avec vigueur et détermination.
M. Jean-Jacques Hyest. La vacuité, c’est une question d’organisation !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Hugues Portelli, rapporteur. Il n’y a aucune vacuité, et ce pour une raison très simple : on parle de codification. Celle-ci concerne donc non pas des décisions, mais des textes. (M. Jean-Jacques Hyest opine.) Dans le pire des cas, ces textes peuvent être des circulaires ou des directives, soit des actes administratifs que l’on est capable de planifier un tant soit peu ou que l’on peut aisément repousser, puisque les autorités décisionnaires sont les mêmes, que le processus se termine momentanément par une signature ou par une publication.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
(Le projet de loi est adopté.)
MM. Yves Détraigne et Antoine Lefèvre. Bravo !
M. le président. Je constate que ce projet de loi a été adopté à l’unanimité des présents.
4
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2012 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
5
Attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public
Adoption définitive en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique (projet n° 748, texte de la commission n° 754, rapport n° 753).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, je me retrouve à nouveau devant vous, après quelques jours, pour défendre ce projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique, texte que nous avons effectivement débattu ensemble, dans cet hémicycle, voilà un peu moins de deux semaines.
Ce projet de loi vous a été présenté concomitamment à un autre texte, un projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature dans sa composition et son fonctionnement, ainsi que dans les modalités de nomination de ses membres.
Il y avait bien entendu une cohérence à présenter conjointement ces deux textes, qui ont d’ailleurs été examinés ensemble par votre commission des lois. Tous deux concourent à assurer l’indépendance de la justice, à garantir les conditions d’impartialité dans l’exercice de juger et, pour le ministère public, de requérir et, surtout, à assurer le respect de la neutralité dans le cadre de cette mission. Ainsi, la disposition essentielle du présent projet de loi consiste à prohiber les instructions individuelles.
En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a introduit quelques modifications, qui, pour certaines, sont issues d’amendements votés par vos soins, au Sénat. À l’occasion de la première lecture, vous avez notamment choisi de rétablir les instructions individuelles…
Celles-ci sont actuellement inscrites à l’article 30 du code de procédure pénale, article modifié par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Cet article 30 modifié, qui consacre les attributions du garde des sceaux, alors que, depuis 1958, aucun chapitre particulier n’était consacré à cette question, dispose que le ministre de la justice est en charge de la conduite de l’action publique. Il maintient également une mesure datant, elle, de 1958 et ayant été précisée par les lois de janvier et d’août 1993, à savoir que les instructions individuelles doivent être écrites et versées au dossier de la procédure.
Je rappelle la nature de ces instructions : il s’agit de donner instruction de diligenter une enquête préliminaire, d’ouvrir une information judiciaire ou de poursuivre. En général, ceux qui sont favorables à ce procédé s’arrêtent là. Or l’article 30 du code de procédure pénale est bien plus complet puisqu’il prévoit que, lorsqu’une juridiction est saisie, les instructions individuelles peuvent être adressées à la juridiction saisie.
Cela signifie que, si les instructions données avant saisine d’une juridiction sont des instructions positives – diligenter une enquête, ouvrir une information judiciaire ou poursuivre –, la situation n’est plus la même à partir du moment où le garde des sceaux peut aussi donner des instructions individuelles une fois la juridiction saisie. Il peut alors donner instruction de requérir un non-lieu ou une relaxe, de faire appel ou de ne pas faire appel. Par conséquent, il intervient, et autant le ministre ne peut donner instruction de ne pas poursuivre, autant il peut donner instruction de ne pas condamner.
Nous avons vu à quel point, du fait de ces possibilités, la confiance que nos concitoyens investissent dans nos institutions, en particulier dans l’institution judiciaire, s’est quelque peu effritée. Il devient urgent et nécessaire d’agir face à cette situation, en garantissant que l’exécutif ne s’immiscera plus dans les dossiers individuels.
En prohibant les instructions individuelles, ce projet de loi vise donc, comme je l’ai déjà indiqué, à créer les conditions d’impartialité et, surtout, de neutralité. Ainsi, lorsque le ministère public interviendra dans les dossiers individuels, il ne pourra recevoir d’instruction de la part de l’exécutif.
Par ailleurs, nous proposons une rédaction de cet article 30 du code de procédure pénale précisant très clairement le rôle du garde des sceaux : celui-ci est responsable de la conduite de la politique pénale, de son exécution et de son application sur l’ensemble du territoire.
En effet, c’est bien à l’exécutif qu’il revient, au titre de l’article 20 de la Constitution, de définir les politiques publiques et, singulièrement, les politiques judiciaires, dont la politique pénale générale et, éventuellement, des politiques pénales thématiques, sectorielles ou territoriales. C’est bien à lui qu’il revient d’assumer cette responsabilité et de veiller à ce que, sur la totalité du territoire, l’accès à l’institution judiciaire, le traitement réservé par cette institution et l’application des lois adoptées par le Parlement soient les mêmes pour tous.
Cette réorganisation des attributions du garde des sceaux permet donc de définir clairement sa responsabilité en matière de politique pénale, étant précisé que, comme dans la rédaction actuelle de l’article 30 du code de procédure pénale, celui-ci ne peut prétendre à la conduite de l’action publique. En effet, seul le procureur peut déclencher et exercer l’action publique, le procureur général étant chargé de veiller à la bonne mise en œuvre de cette action et, donc, d’animer et de coordonner l’action de tous les parquets de son ressort.
Il y a, dans l’article 30 tel qu’il est actuellement rédigé, une espèce de mystère car il nous est difficile d’imaginer sous quelle forme le garde des sceaux peut exercer l’action publique. Nous nous préoccupons d’apporter une clarification en attribuant au garde des sceaux la conduite de la politique pénale, le ministère public étant chargé de sa mise en œuvre, au niveau du parquet, et, au niveau du parquet général, de son animation et de sa coordination.
Nous avons évidemment entendu tous les arguments en faveur du maintien des instructions individuelles.
J’ai veillé à ce que, dans l’étude d’impact, vous soient présentées les instructions individuelles qui ont été données au cours des dix dernières années, avec la nature de l’infraction, le contentieux et le type de procédure conseillée.
Les arguments qui plaident en faveur du maintien de ces instructions individuelles tiennent à une interrogation : que pourrait bien faire l’État si un procureur décidait de ne pas mettre en mouvement l'action publique alors que le pays serait en émoi à la suite d'une infraction extrêmement grave, telle qu’un acte de terrorisme ou la mise en péril des intérêts fondamentaux de la Nation ? N’y aurait-il pas là matière à instructions individuelles du garde des sceaux ?
Deux situations sont envisageables.
En premier lieu, il faut considérer les actes de terrorisme ou les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation. À partir du récapitulatif exhaustif que j'ai mis à votre disposition dans l'étude d'impact, vous aurez observé qu’aucune instruction individuelle n’a concerné ce type de contentieux.
En effet, la section antiterroriste du parquet de Paris fonctionne bien. Elle a été renforcée par une loi présentée en octobre 2006, adoptée définitivement en décembre 2006 au Sénat. Cette section, qui a une compétence concurrente sur les faits de terrorisme, est en réalité saisie de la totalité de ces contentieux, car les parquets se dessaisissent sans difficulté dès lors que des éléments laissent à penser qu’il s’agit de terrorisme. Ces dernières années, il n’y a jamais eu de rivalité sur ce type d'affaires. Au contraire, la section antiterroriste du parquet de Paris a amélioré ses procédures, tout comme ont été améliorées les méthodes de la police judiciaire, qui conduit les enquêtes.
Au total, il n’y a donc jamais eu d'instructions individuelles dans les affaires de terrorisme, et les procédures sont orientées sans délai vers la section antiterroriste du parquet de Paris, ce qui évite tout problème de fonctionnement.
Concernant les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, aucune instruction individuelle n’a davantage été donnée au cours de ces dernières années.
En somme, mesdames, messieurs les sénateurs, ces dernières années, aucun garde des sceaux ne s'est trouvé confronté à la nécessité d'exiger d'un procureur – ou, du moins, de lui demander – de déclencher l'action publique sur un contentieux relatif au terrorisme ou à la défense des intérêts fondamentaux de la Nation.
En second lieu, et cette situation constitue un autre argument pour ceux qui sont favorables au maintien des instructions individuelles, on peut penser à un procureur qui déciderait de ne pas bouger face à une infraction provoquant une vive émotion dans le pays. Imaginons – l'hypothèse me paraît peu probable, mais il convient aussi de prévoir les circonstances les plus inimaginables ! – qu’un procureur soit absolument sourd à l'émoi général et décide de ne pas déclencher l'action publique, en dépit de faits susceptibles d’une qualification grave ou inquiétante en raison de la qualité des personnes mises en causes ou de celle des victimes, en raison des lieux où ils surviennent, ou pour d'autres motifs qui justifieraient la mise en mouvement de l’action publique.
Parmi les exemples présentés à l’Assemblée nationale, il ne s'en est pas trouvé un seul qui ne puisse faire l'objet d'une circulaire générale, thématique ou sectorielle. Le garde des sceaux n’est en effet pas désarmé, l’article 30 du code de procédure pénale précisant, dans sa dernière rédaction, que le ministre peut donner des consignes par voie de circulaire générale et impersonnelle.
Si les instructions dans les affaires pénales individuelles sont prohibées, le garde des sceaux, assumant la politique pénale conduite sur l'ensemble du territoire, dispose au contraire de cet instrument, bien inscrit dans la loi, que sont les circulaires générales et impersonnelles.
Par ailleurs, nous ne touchons pas à l'ordonnance de 1958 et notamment à son article 5, qui définit l'architecture des relations entre le garde des sceaux, le parquet général et le parquet. L'article 5 indique que les magistrats du ministère public sont placés sous la direction et le contrôle hiérarchique du procureur général et sous l'autorité du garde des sceaux. Le rapport hiérarchique entre la Chancellerie et le ministère public demeure donc inchangé.
Dans l'hypothèse d'un procureur qui ne déclencherait pas l'action publique, le procureur général peut, en vertu de l’article 36 du code de procédure pénale, lui en donner instruction écrite – instruction alors versée au dossier.
Il reste à imaginer un procureur de la République qui resterait sourd à l'émoi de la société, qui n’exécuterait pas l'instruction écrite du procureur général et n’obtempérerait pas davantage à une circulaire générale préexistante ou qui serait diffusée à l'occasion du contentieux en question.
Suivant la nature du contentieux, le garde des sceaux, qui n’est pas exclu des corps constitués, pourrait alors saisir le procureur de la République sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale. Mais l'on peut ensuite imaginer, là encore, que le procureur n’obtempère pas.
La réponse définitive à cette situation, extrêmement improbable et dont personne n’est en mesure de trouver un exemple dans le passé même le plus lointain, serait alors de nature disciplinaire, mesdames, messieurs les sénateurs.
De mon point de vue, aucun argument de poids ne plaide donc pour le maintien de ces instructions individuelles. En revanche, leur maintien susciterait incontestablement des effets pervers. Même si les instructions individuelles sont écrites et versées au dossier, comme c'est le cas depuis les deux lois de 1993, elles constituent néanmoins l'antichambre supposée d'instructions orales, qui, elles, seraient données sans laisser de traces, continuant ainsi à alimenter la défiance des citoyens vis-à-vis de l'institution judiciaire.
Au vu de leurs effets pervers, il ne nous semble donc pas souhaitable que ces instructions individuelles, qui répondent à des situations susceptibles d'être traitées par voie de circulaires générales, figurent dans notre code de procédure pénale.
Je n’expliquerai pas longuement – je l'avais fait en première lecture – la différence entre la conception conventionnelle et la conception constitutionnelle du ministère public français, mais il est certain que ce dernier appartient bien à l'autorité judiciaire. Nous y tenons, et nous n’y touchons pas. Le ministère public français n’est pas une autorité de jugement ; c'est une partie au procès qui est chargée de l'intérêt général et de la défense de la société. À ce titre, il importe que le Gouvernement, par l'intermédiaire du garde des sceaux, réponde d’une prise en compte correcte, dans le cadre d'une politique coordonnée sur l'ensemble du territoire, de cet intérêt de la société.
Je rappelle enfin que, durant un quinquennat entier – de 1997 à 2002 –, avec Élisabeth Guigou et Marylise Lebranchu, gardes des sceaux sous l'autorité de Lionel Jospin, Premier ministre, il n’y eut pas d'instructions individuelles, sans que cela entraîne de problèmes ni dans les affaires de terrorisme ni dans les affaires liées aux intérêts fondamentaux de la Nation, ni de situations particulières dans lesquelles le Gouvernement ou la société auraient été confrontés à une attitude totalement irresponsable, rétive ou crispée d'un procureur de la République.
Aucun argument ne me semble donc plaider pour le maintien de ces instructions individuelles. En revanche, ce réaménagement a sa cohérence. Il permet de faire relever du Gouvernement la responsabilité de la politique pénale sur l'ensemble du territoire et de dégager le ministère public de l'ensemble des suspicions qui pèsent actuellement sur lui.
Mais il n’est pas ici nécessaire, selon moi, d'argumenter pour plaider. En effet, lors de l'examen du projet de réforme du Conseil supérieur de la magistrature, la disposition qui consistait à garantir la neutralité et l’impartialité du ministère public avait fait l'unanimité, votre assemblée s'étant prononcée, en matière disciplinaire, pour le respect de l'avis conforme du Conseil concernant les magistrats du parquet, alignant ainsi leur régime sur celui des magistrats du siège.
Voilà donc l'essentiel des dispositions du projet de loi qui vous est soumis, mesdames, messieurs les sénateurs. Votre commission des lois l'a adopté après en voir débattu ; j’espère que votre assemblée confortera ce choix. Il est urgent et indispensable, pour le bien des magistrats du ministère public, que ces derniers échappent à toute suspicion et, surtout, pour le bien-être des citoyens de ce pays, que l'institution judiciaire apparaisse clairement neutre, impartiale et à la portée de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à examiner en deuxième lecture le projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique.
Ce texte, vous le savez, a pour objet de clarifier les compétences respectives du garde des sceaux et des magistrats du parquet en restituant au ministre de la justice la responsabilité de l'animation de la politique pénale sur l'ensemble du territoire et, en même temps, en renforçant l’indépendance fonctionnelle du ministère public dans l’exercice de l’action publique.
Votre commission a adopté sans modification le projet de loi qui résulte des travaux en deuxième lecture de l’Assemblée nationale, car il s'agit d'un texte de compromis avec celui que nous avions voté en première lecture.
En effet, il maintient la suppression de la publicité des instructions générales, telle qu’elle avait été votée par le Sénat. Certaines instructions sur des thématiques ciblées, comme le terrorisme, le trafic de stupéfiants ou la criminalité organisée, fixant des stratégies judiciaires ou des techniques d’enquête, exigent en effet une discrétion absolue, sous peine d’entraver l’action pénale.
Avec une publicité systématique, le risque aurait été grand de voir les instructions générales se vider de leur substance, encourageant parallèlement des instructions plus informelles, ce qui serait parfaitement contraire à l’esprit du présent texte.
La publicité de ces instructions sera assurée par le rapport public annuel du garde des sceaux sur l’application de la politique pénale, que prévoit le texte. Ce rapport donnera la liste de toutes les instructions générales qui seront ainsi, en temps utile et selon des modalités appropriées à la politique pénale, rendues publiques.
Bien entendu, rien n’interdit au garde des sceaux, s’il l’estime opportun, de donner une publicité particulière à telle instruction générale, ou à telle circulaire. À cet égard, je note que l’ensemble des circulaires de politique pénale que vous avez prises, madame la garde des sceaux, depuis que vous êtes place Vendôme, ont été publiées.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a réintroduit l’interdiction des instructions données par le garde des sceaux au parquet dans des affaires individuelles. Vous vous êtes, madame la ministre, longuement exprimée sur cette question, en totale cohérence avec la position que vous aviez adoptée en première lecture.
Lors de l’élaboration de son texte, la commission des lois du Sénat a approuvé cette disposition, estimant que cette interdiction permettait une répartition claire des compétences respectives du garde des sceaux et des magistrats du parquet qui ont, seuls, la charge de mettre en œuvre l’action publique.
La suppression des instructions individuelles ne privera pas pour autant le garde des sceaux de ses moyens d’action. En effet, la plupart des cas réglés jusqu’à présent par des instructions individuelles pourront l’être par des instructions générales – à commencer par les regroupements d’affaires, alors même qu’ils concernent des dossiers particuliers identifiés.
De plus, en cas de manquement d’un procureur aux instructions générales, le garde des sceaux disposera toujours de la voie disciplinaire pour assurer l’application de la politique pénale dont il a la responsabilité. Il aura également la possibilité, en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale – comme toute autorité constituée, tout officier public ou tout fonctionnaire –, de donner avis sans délai au procureur de la République de sa connaissance, dans l’exercice de ses fonctions, d’un crime ou d’un délit qui n’aurait pas été poursuivi.
Enfin, le garde des sceaux conservera les attributions qu’il détient déjà, et sur lesquelles le texte ne revient pas, comme la possibilité de demander, par exemple, un pourvoi dans l’intérêt de la loi ou de former une demande de révision. Cet article ne dépossède donc pas totalement le ministre de ses pouvoirs en matière d’instruction au parquet pour mener la politique pénale dont il a la charge.
Votre commission a également approuvé le rétablissement, par l’Assemblée nationale, de la référence à l’impartialité des magistrats du parquet, à l’article 31 du code de procédure pénale.
Certes, cette notion d’impartialité ne peut revêtir la même signification pour les magistrats du parquet que pour les magistrats du siège, puisque les premiers incarnent l’autorité de poursuite et sont soumis à une autorité hiérarchique supérieure. Le terme a donné lieu à de longs débats à l’Assemblée nationale, en première puis en deuxième lecture.
Pour autant, cette posture procédurale particulière ne fait pas des membres du parquet des magistrats partiaux. Ils font appel aux mêmes qualités de discernement, d’objectivité, d’analyse juridique pour décider de l’opportunité des poursuites que celles qui sont exigées des membres du siège lorsqu’ils décident de condamner ou de ne pas condamner. Le parquet a d'ailleurs de plus en plus une fonction de pré-jugement dans un certain nombre de décisions qu’il prend. Dans ces cas-là, il faut bien qu’il fasse preuve d’« impartialité », d’« indépendance », d’« objectivité » – nous pourrions débattre sur les termes, mais Mme le garde des sceaux et M. le président de la commission des lois sont bien plus compétents que moi en sémantique…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ce n’est pas sûr – et je parle pour moi ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. De plus, la fonction du ministère public n’est pas limitée à l’accusation, fonction qui cristallise les critiques de la Cour européenne des droits de l’homme. En France, le ministère public intervient également en matière de prévention de la délinquance ou de mise en œuvre de mesures alternatives aux poursuites. Il joue un véritable rôle de protection de l’ordre public, tant en matière pénale qu’en matière civile ou commerciale.
Enfin, votre commission a approuvé la réintroduction, par l’Assemblée nationale, aux articles 2 et 3, d’une obligation d’information de l’ensemble des magistrats du siège et du parquet.
La nouvelle rédaction proposée pose le principe d’une information annuelle de l’assemblée de magistrats du siège et du parquet « des conditions de mise en œuvre dans le ressort de la politique pénale et des instructions générales » du garde des sceaux.
Une telle rédaction répond aux préoccupations qu’avait exprimées le Sénat en première lecture concernant le caractère potentiellement réglementaire de ce type de dispositions. Seul le principe de cette information est désormais posé par le législateur, le soin d’en fixer les modalités dans le code de l’organisation judiciaire étant laissé au pouvoir exécutif par voie réglementaire.
Pour l’ensemble de ces raisons, mes chers collègues, votre commission, sur ma proposition, a jugé qu’un équilibre acceptable avait été trouvé et vous propose donc d’adopter ce texte sans le modifier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, comme un certain nombre d’entre vous, je vais commencer par regretter le rejet par notre assemblée, il y a presque quinze jours, de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Ce rejet, qui laisse in fine la gestion des carrières des parquetiers entre les mains de l’exécutif, « impacte » inévitablement le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui, puisque ces deux textes, cela a été rappelé, sont indissolublement liés. Nous avions d'ailleurs souhaité qu’ils fassent l’objet d’une discussion générale commune.
Pour autant, le rejet de l’un ne doit pas nous conduire au rejet de l’autre. Ainsi, le texte visant à interdire les instructions individuelles, pour le résumer dans sa substantifique moelle, nous revient aujourd'hui fort heureusement réhabilité par nos collègues de l’Assemblée nationale. Celle-ci a en effet rétabli le texte vidé de son contenu par le Sénat.
Si, dans la période actuelle, les instructions écrites dans les affaires individuelles n’ont plus cours, conformément à l’engagement que vous aviez pris, madame la garde des sceaux, comme d’autres certainement avant vous, cela doit être acté et inscrit dans la loi, car tel n’a pas toujours été le cas. Rien ne nous assure en effet que cette situation perdure après vous, même si je vous souhaite naturellement d’occuper le plus longtemps possible vos fonctions, madame la garde des sceaux ! (Sourires.)
Alors, pourquoi un tel entêtement à maintenir les instructions individuelles, mes chers collègues ? Leur maintien est justifié, nous a-t-on dit – nous l’avons entendu en commission, puis en séance publique ; nous l’avons lu dans certains articles – par la spécificité de l’une des missions du parquet, qui est chargé de mettre en œuvre la politique pénale déterminée, en vertu de l’article 20 de la Constitution, par le Gouvernement - vous le rappeliez, madame la garde des sceaux – un gouvernement qui aurait de ce fait toute légitimité pour corriger, accompagner, ou enjoindre que tel ou tel acte soit fait pour le bien de l’autorité judiciaire et de la justice.
Cet argument, comme je l’ai dit en première lecture, est réfutable et doit être, à nos yeux, réfuté.
Premièrement, le parquetier est bien plus qu’un simple acteur de la politique du Gouvernement. Si l’on admet que l’acte de poursuite, qui est sa mission principale, est aussi grave que l’acte de juger, on ne pourra plus longtemps lui refuser sa totale indépendance. Cette mission de poursuite place en effet les magistrats du parquet aux avant-postes de la défense des libertés individuelles et ils doivent, aux termes de la loi, pouvoir choisir les modalités des poursuites qu’ils estiment adaptées.
Deuxièmement, un procureur est un magistrat responsable, je tiens à le rappeler ici : si une affaire le mérite, faisons-lui confiance pour y donner suite. Même s’il y a toujours un risque d’inertie dans la conduite de l’action publique – elle est menée par des femmes et par des hommes -, ce risque est considérablement amoindri dès lors que la nomination des procureurs est fondée sur des critères de professionnalisme, d’expérience et de compétence par un Conseil supérieur de la magistrature indépendant.
Nous sommes donc satisfaits que l’examen de ce texte soit mené à son terme, même si nous savons que la suppression des instructions individuelles écrites ne réglera pas tout, comme nous l’avions également dit précédemment.
Cependant, je vous le disais, la réforme nécessaire est autrement plus ambitieuse. Nécessaire, cette réforme l’est ; ambitieuse, elle devra l’être, mes chers collègues.
Elle est nécessaire, car la situation historique du parquet « à la française », pour employer l’expression consacrée, a été pointée et dénoncée par les juges de la Cour européenne des droits de l’homme.
Nous devrons donc mener cette réforme à son terme – ce n’est qu’une question de temps, je n’en doute pas –, non seulement du fait de ces condamnations, mais, plus largement, du fait du principe de séparation des pouvoirs, garant de la démocratie et dont nous souhaitons une application effective.
Malheureusement, la défiance que certains nourrissent vraisemblablement à l’égard des magistrats a mis un frein à toute évolution favorisant cette indépendance, défiance qui s’est manifestée, souvenons-nous, en 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, mais aussi, malheureusement, voilà quelques semaines seulement dans notre assemblée, sur les travées de droite, du centre, voire encore un peu plus à gauche…
Pourtant, madame la ministre, la réforme que vous avez engagée constitue indéniablement, nous en sommes convaincus, une réelle avancée : elle renforçait l’autonomie du parquet, en exigeant désormais un avis conforme du CSM sur les nominations proposées par le garde des sceaux ; elle accordait la présidence du CSM à un non-magistrat ; elle renforçait le rôle de la formation plénière par la création d’une faculté d’auto-saisine sur les questions de déontologie et d’indépendance ; elle supprimait la référence à toute mission d’assistance du CSM ; enfin, elle instaurait au sein du Conseil supérieur de la magistrature une parité entre magistrats et non-magistrats.
De notre côté, souhaitant une réforme ambitieuse, nous avions, après un travail sérieux avec les organisations syndicales représentatives du monde de la justice, déposé un certain nombre d’amendements visant à améliorer le texte et à poursuivre le débat, convaincus que l’indépendance de la justice est un ouvrage qu’il nous faut remettre sur le métier, parce qu’elle est une exigence de la démocratie.
Nous souhaitions donc une réforme ambitieuse, élaborée avec l’ensemble des acteurs de la justice, avec l’ambition de rapprocher les citoyens de la justice.
Nous avions ainsi soutenu ce texte attendu par l’ensemble du corps des magistrats, qui souhaitent l’instauration d’une distance entre le juge et le politique, indispensable à l’exercice de leur profession, clé de la légitimité inébranlable d’un pouvoir judiciaire au seul service des citoyens.
Nous avions réaffirmé leur souhait de parvenir à une réelle indépendance de cette justice, gage d’une politique équitable et impartiale, qui offre aux magistrats du parquet la garantie d’exercer leur mission en dehors de toute pression politique, c'est-à-dire dans le bon sens, et aux citoyens la garantie de leur propre liberté.
Nous comptons donc sur votre ténacité, madame la garde des sceaux, pour mener à bien cette réforme, et plus largement sur cet idéal que vous partagez et que vous voulez voir inscrit dans la Constitution, afin que soit donnée aux magistrats une indépendance pleine et entière, socle et garantie de notre démocratie.
Nous voterons conforme le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale, en attendant la suite, à l’automne, en dépit d’un calendrier parlementaire qui s’annonce chargé, parce que l’un ne va pas sans l’autre ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Madame le garde des sceaux, comme vous l’avez fort justement dit, ce texte est important, mais il lui manque l’essentiel pour être bien compris : il faut naturellement engager la réforme du statut du parquet, l’un n’allant pas sans l’autre, en effet.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je veux rappeler ici que le Sénat a voté une disposition dans la loi constitutionnelle qui donne la possibilité au Président de la République de réformer le statut des membres du parquet. C’est à lui de décider et, de ce point de vue, bien que n’appartenant pas à sa majorité, je lui fais confiance.
J’espère qu’il décidera d’engager cette réforme qui est nécessaire et attendue par tous ceux qui sont attachés au parquet à la française, une institution que l’on ne trouve pas forcément ailleurs, mais qui joue un très grand rôle dans notre pays et qui est indispensable au bon fonctionnement de notre justice.
Il faut faire en sorte que le parquet échappe aux critiques, externes et internes, qui lui sont adressées. Je rappelle que près de 60 % des affaires pénales sont résolues par les membres du parquet, sans autre intervention. Il faut donc réaffirmer, comme le disent la Constitution et le Conseil constitutionnel, que les parquetiers sont des magistrats. Je sais que telle est votre position, madame la garde des sceaux. Le projet de loi que vous nous soumettez aujourd'hui permet de le réaffirmer, c’est la raison pour laquelle nous y sommes très largement favorables.
Que nous proposez-vous ? Nous relevons trois grands thèmes dans le projet de loi : la suppression officielle des instructions individuelles, le pouvoir d’adaptation des instructions générales et l’officialisation de l’obligation de rendre compte.
Nous ne devons pas craindre de supprimer officiellement, de façon claire et définitive, les instructions individuelles. Comme vous l’avez fort bien noté, très peu de ministres de la justice ont donné des instructions individuelles. Quand bien même cela fonctionnerait, ce qui n’est pas le cas, ce ne serait pas utile, car les membres du parquet sont des magistrats loyaux à l’égard de la loi. Les prisons sont d'ailleurs plutôt surpeuplées, preuve que les magistrats ne sont pas laxistes – exerçant les fonctions qui sont les vôtres, je n’ai cessé de le dire, comme vous-même aujourd’hui, madame le garde des sceaux – et qu’ils appliquent la loi sans qu’il soit besoin de le leur rappeler toutes les cinq minutes !
Alors, oui à la suppression des instructions individuelles. Si cela est nécessaire, vous l’avez fort bien dit, il existe d’autres moyens pour faire en sorte que la loi soit appliquée.
S’agissant du droit d’adaptation des instructions générales du ministre, on pourrait, dans un premier temps, s’interroger : pourquoi reconnaître à des magistrats le droit d’adapter, d’interpréter les instructions générales du ministre ? Ils devraient normalement appliquer, bouche fermée, ces instructions. Toutefois, nous savons que telle n’est pas la tradition française : depuis toujours, les magistrats du siège comme ceux du parquet revendiquent à juste titre le droit d’interpréter et d’adapter les instructions qui leur sont adressées. La personnalisation de la peine en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de l’auteur est d’ailleurs un principe général du droit, et l’opportunité des poursuites permet cette adaptation du droit de poursuivre en fonction de la situation locale, notamment.
Je suis donc d’accord avec ce droit d’adaptation reconnu aux procureurs généraux.
Ce texte, qui réaffirme de manière forte le pouvoir des procureurs généraux, témoigne également d’une sorte de reprise en main du parquet, à tout le moins d’une reprise en main de la hiérarchie du parquet. Chacun ne fait pas ce qu’il veut dans son coin : comme vous le rappelez à juste titre dans ce texte, le parquet est un corps hiérarchisé.
Le troisième point que je voulais évoquer concerne l’obligation de rendre compte, qui signifie que le garde des sceaux est non pas simplement le ministre qui fait la loi, mais celui qui mène l’action publique. Il est donc informé en conséquence, soit volontairement, soit par l’intermédiaire de la Direction des affaires criminelles et des grâces, dont c’est le rôle.
Cette obligation de rendre compte n’entraîne pas, et ne doit pas entraîner, de subordination de l’exercice de l’action publique par le parquet vis-à-vis du ministère. Il n’en est pas moins indispensable au ministre, responsable devant le Parlement de la mise en œuvre de l’action publique et de la politique pénale du pays, de pouvoir suivre cette action publique. Le ministre de la justice est responsable devant l’Assemblée nationale, devant le Parlement, de la mise en œuvre de la politique pénale, et cette obligation de rendre compte est justement ce qui lui permet d’assumer cette responsabilité.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre, le groupe UDI-UC votera, je crois bien à l’unanimité, ce qui est d’ailleurs un événement en soi !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Surtout par les temps qui courent ! (Sourires.)
M. Michel Mercier. Monsieur le président de la commission des lois, je vous remercie de l’aide que vous voulez bien m’apporter dans cette affaire (Nouveaux sourires.),…
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Elle est sincère !
M. Michel Mercier. … mais, dans la vie parlementaire comme ailleurs, il y a des hauts et des bas. Il faut profiter des hauts et, lorsque les bas surviennent, attendre qu’ils remontent. Cela fait partie de la vie… (Mêmes mouvements.)
Plus sérieusement, je ne puis que vous exhorter, madame la ministre, à convaincre M. le Président de la République d’aller au bout de la réforme en organisant la modification du statut des membres du parquet, ce que le Sénat a permis la semaine dernière. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen du projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique intervient dans un contexte particulier, celui de l’échec de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Ces deux textes, dont nous devions débattre aujourd’hui, poursuivent un objectif commun : renforcer l’indépendance de la justice. Nous ne pouvons que regretter que cet élément vital pour notre démocratie n’ait pu faire l’objet d’un consensus transpartisan, en raison non seulement de l’opposition, mais aussi de certains groupes de la majorité.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il faut le dire !
Mme Esther Benbassa. L’objectif du texte qui nous occupe aujourd’hui est clair : il s’agit, afin de garantir l’indépendance de la justice, d’empêcher toute ingérence de l’exécutif dans le déroulement des procédures pénales ; il s’agit également, en restituant au ministre de la justice la responsabilité de mener la politique pénale et en renforçant l’indépendance fonctionnelle du ministère public dans l’exercice de l’action publique, de clarifier les compétences respectives du garde des sceaux et des magistrats du parquet. La mesure est indispensable.
À l’instar de ceux qu’a suscités la réforme du CSM, les débats autour de certaines dispositions de ce projet de loi ont été houleux et ont parfois abouti, me semble-t-il, à une certaine fragilisation du texte.
La Haute Assemblée était en effet revenue sur plusieurs éléments majeurs du texte, notamment sur l’interdiction faite au garde des sceaux de donner des instructions aux procureurs généraux dans des affaires individuelles, disposition fondamentale pour les écologistes.
Il nous aurait été difficile de voter ce texte en l’état et nous nous réjouissons que les députés, suivis par notre commission des lois, aient rétabli cette disposition, seule à même de mettre fin à des pratiques pour le moins contestables et dangereuses pour notre démocratie.
Le groupe écologiste considère comme une très bonne chose le rétablissement de l’article 1er bis, qui affirme l’exigence d’impartialité des magistrats du parquet dans l’exercice de l’action publique.
Nous nous félicitons également que le présent projet de loi prévoie la publication d’un rapport annuel sur l’application de la politique pénale déterminée par le Gouvernement précisant les conditions de mise en œuvre de cette politique et des instructions générales, adressées par le garde des sceaux aux magistrats du ministère public.
Dans le même sens, il est important que soit posé le principe d’une information annuelle de l’assemblée des magistrats du siège et du parquet concernant les conditions de mise en œuvre, dans le ressort, de la politique pénale et des instructions générales du garde des sceaux.
Le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui est donc un texte de compromis qui, espérons-le, recevra l’approbation d’une majorité d’entre nous.
De surcroît, si nous regrettons que la généralisation de la publicité des instructions générales de politique pénale n’y figure plus, ce texte rejoint les convictions et les préoccupations des écologistes, qui apporteront leur soutien et leur concours.
En effet, cette réforme, même amputée de celle du Conseil supérieur de la magistrature, reste emblématique de la volonté gouvernementale de donner un nouveau souffle aux principes directeurs de la politique pénale et, plus généralement, à l’indépendance de la justice.
J’avais eu l’occasion, madame la ministre, en première lecture, de saluer votre engagement sans faille en faveur d’une confiance retrouvée dans l’action publique et le fonctionnement de la justice de notre pays. Je veux aujourd’hui vous apporter tout le soutien du groupe écologiste.
Je vous remercie et espère, chers collègues, que notre vote sera positif, en ces jours un peu houleux que connaît notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en guise de prélude à mon intervention, permettez-moi d’évoquer un instant le vote de notre groupe sur le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Ce vote n’a pas été guidé par un prétendu corporatisme parlementaire, pas plus que par un sombre calcul politique, mais il a été émis au nom de la conception que nous nous faisons de la justice et de l’équilibre des pouvoirs.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Madame la ministre, vous avez annoncé qu’un nouveau projet de réforme du CSM serait présenté à la rentrée. Je vous invite donc amicalement – et je vous cite - à « prendre juste un peu de temps », le temps de la réflexion et, surtout, celui d’une véritable concertation.
Sur une question aussi primordiale que celle de l’organisation de l’institution qui assiste le Président de la République dans son rôle de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, le consensus doit être recherché, non seulement pour des raisons arithmétiques, mais surtout pour des raisons politiques.
Mais revenons à l’examen du texte restant en discussion, alors que notre assemblée s’offre un luxe devenu de plus en plus rare : entamer une deuxième lecture sur un texte relatif à l’organisation de nos institutions !
M. Jacques Mézard. C’est très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Tout d’abord, un constat s’impose à nous : le ministère public « à la française » est en pleine mutation, qu’il s’agisse de son statut, de ses modes de fonctionnement, de ses missions. Les sénateurs radicaux de gauche en sont conscients. La Cour européenne des droits de l’homme elle-même nous enjoint d’agir.
Il ne saurait y avoir d’État de droit sans justice indépendante, vous le savez, madame la ministre, vous qui en êtes la garante. Selon l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
La question se pose donc également en termes de séparation et d’équilibre des pouvoirs : afin de se prémunir contre tout abus, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir, comme nous l’enseigne Montesquieu.
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. L’équilibre des pouvoirs, nous le savons, est à la base de nos systèmes démocratiques, il en est le fondement. Chaque pays a, au cours de son histoire, cherché à corriger ces déséquilibres. En France, ce processus a abouti au système que nous connaissons aujourd’hui, sans aucun doute perfectible, à la condition de toujours garder à l’esprit cette recherche permanente de l’équilibre.
Nous devons saluer l’effort du Gouvernement en matière de déploiement de moyens en direction de la justice. Le Gouvernement a également souhaité en renforcer l’indépendance. L’idée est séduisante, à condition de ne pas confondre indépendance et irresponsabilité. Pour le dire autrement, nous nous opposons et nous opposerons toujours, nous, radicaux et républicains, à ce qui pourrait s’apparenter à un gouvernement des juges.
M. Jean-Pierre Vial. Très bien !
M. Jean-Michel Baylet. Nous souhaitons concilier indépendance des juges et conduite par le Gouvernement de la politique pénale. Or, en renforçant les prérogatives du procureur de la République sans conforter, malheureusement, celles du garde des sceaux, comment être sûrs que nous nous prémunissons contre tout abus ?
M. Jean-Pierre Vial. Tout à fait !
M. Jean-Michel Baylet. S’agissant de l’interdiction des instructions dans les affaires individuelles, il faut savoir que seule une dizaine de ces instructions sont versées chaque année aux dossiers. De surcroît, elles doivent, depuis 1993, être écrites et communiquées aux parties. Notre assemblée avait supprimé cette disposition en première lecture ; les députés l’ont réintroduite.
En outre, comme nous l’a rappelé M. le rapporteur, l’Assemblée nationale, en deuxième lecture, est également revenue sur une disposition, introduite par le Sénat, supprimant l’obligation de publicité des instructions générales que le garde des sceaux peut adresser aux magistrats du ministère public.
Dans son explication de vote, notre excellent collègue député Alain Tourret opérait une distinction fort intéressante entre indépendance et impartialité. Il proposait également, concomitamment à un accroissement des prérogatives des procureurs, un renforcement de celles du garde des sceaux.
Pour nous, la définition de la politique pénale ne peut et ne doit relever que du garde des sceaux, membre du Gouvernement et responsable devant le Parlement.
Vous avez fait un autre choix, madame la garde des sceaux, celui de vous éloigner de l’interprétation de l’article 20 de la Constitution, selon lequel « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ».
La version du texte qu’il nous revient d’examiner aujourd’hui ne lève pas, loin s’en faut, toutes nos inquiétudes. En effet, le danger de voir l’action publique se décliner de manière différente, et, pour le coup, en toute légalité, sur le territoire français n’est pas écarté. Autant de procureurs, autant de politiques !
Nous pouvons donc légitimement nous interroger : que restera-t-il du principe d’égalité devant la loi pénale ? Pour notre part, nous réitérons notre attachement à ce qu’il n’y ait pas, sur l’ensemble du territoire de la République, deux manières d’appréhender l’action publique.
Nous avons déposé deux amendements ; nous verrons le sort qui leur sera réservé. Mais nos inquiétudes sur ces sujets essentiels, sur ce que nous considérons comme les fondements mêmes de la République et d’une justice équitable sur l’ensemble du territoire, sont trop fortes. En conséquence, les radicaux de gauche et le RDSE ne voteront pas en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur quelques travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le présent texte revient au Sénat en deuxième lecture sans avoir rencontré de véritable succès, fût-il d’estime. Pourtant, son intitulé, d’une part, et l’étude d’impact, d’autre part, auraient pu laisser présager une paisible promenade législative.
Mais voilà, le diable se cache dans les détails ! Certains détails, d’ailleurs, n’en ont que l’apparence.
C’est bien le cas ici. Il s’agit, en effet, du principe de séparation des pouvoirs. Rien de moins ! On commence dans l’allégresse des principes, on poursuit dans la confusion, on termine dans le mélange des pouvoirs, quand ce n’est pas le pire qui survient.
Car on ne saurait aborder la question de l’indépendance de la justice sans évoquer celle de la séparation des pouvoirs. Les deux, en effet, sont intimement liées. Dans les faits, c’est la séparation des pouvoirs conçue par Platon et par Aristote qui fondera la spécialisation et l’indépendance des pouvoirs pensées par Sieyès.
Il n’y aurait aucun intérêt à retracer en ces lieux l’historique de cette théorie. Ses inconvénients, en effet, révélés par la pratique, ont entraîné l’apparition de souplesses constitutionnelles qui ont largement entamé l’interprétation stricte qui pouvait en être faite.
Néanmoins, peut-on nier que c’est en se référant à la première de ces notions, la séparation des pouvoirs, que l’on légitime la seconde, l’indépendance de la justice ? N’est-ce pas du pouvoir exécutif que l’on aimerait préserver l’institution judiciaire en empêchant, par exemple, que le garde des sceaux puisse transmettre au parquet des instructions individuelles ?
C’est très clairement ce que l’on comprend de l’exposé des motifs du présent projet de loi, selon lequel « l’indépendance de la justice constitue une condition essentielle du fonctionnement d’une démocratie respectueuse de la séparation des pouvoirs ».
Pourtant, il est bon de rappeler une chose : l’« autorité » judiciaire – et non le « pouvoir », ainsi le veut la Constitution – est consubstantielle au pouvoir exécutif. Les juges sont chargés d’appliquer la loi, fonction dont le pouvoir exécutif a la charge suprême.
Cette interprétation de l’esprit des lois est brillamment présentée par Stanislas Balestrier de Canilhac, quand il écrit : « Qui ne voit, messieurs, […] que Montesquieu n’a fait qu’une subdivision de la puissance exécutrice en puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens et puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit civil. C’est cette seconde qu’il appelle puissance de juger ou pouvoir judiciaire ; et certes ce n’est pas un troisième pouvoir primitif, indépendant et distinct du pouvoir exécutif ».
Que veut-on éviter, finalement, en limitant l’action des juges à l’application de la loi, si ce n’est le gouvernement des juges, des juges, je le rappelle s’il en était besoin, qui ne sont pas responsables devant les citoyens ?
Ainsi, vous l’aurez compris, mes chers collègues, supprimer les instructions individuelles, c’est purement et simplement empêcher le garde des sceaux d’exercer sa fonction exécutive et de rappeler à l’ordre le parquet lorsqu’il lui apparaît évident, dans une affaire particulière, que les poursuites qui ne sont pas engagées devraient l’être, en application de la loi.
Dois-je rappeler que ce droit d’instruction individuelle n’est ouvert que pour engager une action, et qu’il n’en est jamais fait usage pour que les poursuites ne soient pas engagées ? Il ne peut donc y avoir aucun malentendu à ce sujet. A-t-on déjà évoqué des exemples fâcheux de sollicitation des parquets ? Non, tout au contraire ! C’est bien la preuve que l’exécutif n’abuse pas de cette prérogative. L’utilisation qu’il en fait est même extrêmement rare. Selon l’étude d’impact jointe au projet de loi, longuement évoquée par les différents intervenants, entre 2003 et 2013 seules trente-sept instructions individuelles ont été données, soit moins de quatre par an !
Qu’en sera-t-il lorsque la sécurité ou les intérêts fondamentaux de l’État seront en jeu ? La réponse est simple : le Gouvernement ne pourra plus agir convenablement.
Au regard de ce qui est proposé par ce texte, on peut donc facilement imaginer les dérives qui résulteront.
Les instructions individuelles perdureront, mais elles seront orales et secrètes. Elles se feront discrètement, et sans que personne n’en soit informé. L’article 2 du présent projet de loi ne permet pas d’en douter, qui prévoit que le ministre puisse obtenir du procureur général des rapports particuliers. Des rapports, madame le garde des sceaux, mais pour quoi faire ?
Le présent texte tend donc à opérer un curieux retour en arrière. Il revient sur les dispositions qui consistaient à faire en sorte que les instructions particulières soient écrites, afin qu’elles soient connues de tous les acteurs du dossier, et en particulier de la défense.
Cette conception de la transparence est un peu étrange !
J’en conviens, ce qu’il faut prendre en compte – à mon sens, d’ailleurs, c’est ce à quoi fait référence l’article 64 de la Constitution quand il évoque la notion d’« indépendance » –, c’est l’autonomie dont doit pouvoir bénéficier l’ordre judiciaire dans l’application impartiale de la justice. J’ai bien dit « impartiale », et non politique. Les magistrats, en effet, ne doivent pas faire de politique, même sous la pression du Gouvernement. Pour cette raison, d’ailleurs, une précédente majorité avait adopté la loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale et l’autonomie du parquet. Reconnaissons que la lamentable affaire du « mur », dont le faîte était d’ailleurs bien bas, n’a pas conforté l’image de l’autorité judiciaire ; elle a même ravivé le doute pesant sur l’application impartiale de la justice.
Ainsi, l’autonomie de l’autorité judiciaire, qui transparaît à travers la procédure pénale actuellement applicable – liberté des réquisitions écrites ou des observations orales du procureur général, notamment – ne doit pas faire oublier l’essentiel : aux termes de l’article 20 de la Constitution, le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Cela justifie que le garde des sceaux soit placé au sommet de la hiérarchie du ministère public et qu’il assume, en tant que responsable politique, l’opportunité des poursuites.
C’est à ce titre que le garde des sceaux pourra « favoriser l’équité, la cohérence et l’efficacité de l’action du ministère public », conformément à la recommandation du Conseil de l’Europe du 6 octobre 2000, qui rappelait aux États membres que l’organisation hiérarchisée du parquet devait être privilégiée.
Nous sommes attachés aux droits des victimes, à la transparence de la procédure pénale et à l’action régalienne de l’État.
Ce que vous nous soumettez aujourd’hui traite d’une question isolée : les attributions du garde des sceaux. Demain, à une date encore inconnue, nous serons amenés à nous interroger sur le Conseil supérieur de la magistrature. Après-demain, il vous reviendra, étape après étape, j’allais dire glissade après glissade, de revoir le statut du parquet. À force, en effet, vous l’aurez remis en cause !
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici à nouveau réunis pour discuter, en seconde lecture, du projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique.
Ce texte a connu un parcours pour le moins particulier, pour ne pas dire chaotique. En effet, ce projet de loi allait de pair avec le texte relatif au Conseil supérieur de la magistrature, ou CSM, dont l’adoption a été, après son passage dans notre hémicycle, brutalement interrompue.
Faute de majorité qualifiée, le projet de loi constitutionnelle ne sera donc, pour l’heure, pas soumis au Congrès, ainsi que M. le ministre des relations avec le Parlement et vous-même, madame le garde des sceaux, l’avez annoncé.
À l’heure où les affaires politico-financières se multiplient, à l’heure où la France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en raison d’un statut des magistrats du parquet qui ne garantit pas, selon elle, leur indépendance, ce projet de loi constitutionnelle, dont les ambitions étaient certes mesurées, avait le mérite de faire progresser l’indépendance de la justice dans notre pays. Il le faisait non pas pour nous, parlementaires, non pas pour la corporation des magistrats, mais pour redonner confiance aux citoyens dans notre système judiciaire.
Que nous le voulions ou non, cette confiance est ternie. C’est une lapalissade de le dire.
Aussi, madame la garde des sceaux, ai-je été heureux de vous entendre dire que la suspension du parcours législatif de ce texte n’était que temporaire, que cette réforme essentielle n’avait pas été abandonnée, et que son examen serait réengagé dans le processus parlementaire, et ce dès la rentrée.
Nous comptons sur votre engagement, madame la garde des sceaux, pour aller jusqu’au bout de cette réforme du CSM. Vous pouvez, en tout cas, compter sur le groupe socialiste pour aller de l’avant. Tout à l’heure, j’ai entendu Cécile Cukierman et le groupe écologiste vous promettre leur détermination à accorder davantage encore d’indépendance à la magistrature.
J’espère sincèrement, et sans esprit de polémique, que, d’ici là, l’opposition se sera ressaisie et que les discussions annoncées et même promises auront bien lieu, afin d’avancer sur cette question cruciale.
Les députés ont rétabli le cœur du texte sur l’indépendance du parquet, qui inscrit dans le code de procédure pénale l’interdiction pour le ministre de la justice d’adresser aux magistrats du parquet des instructions individuelles. Sans la révision constitutionnelle, cette disposition est plus que jamais nécessaire.
Cela a été expliqué en long et en large, notamment par M. le rapporteur, le garde des sceaux conserve la maîtrise de la politique pénale et de la politique générale du Gouvernement en la matière.
Le texte que nous examinons en seconde lecture réintroduit la référence à l’impartialité du parquet. Il conserve également certains apports votés au Sénat, tels que la suppression de la publicité des instructions générales.
Le groupe socialiste votera ce projet de loi qui, dans la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, répond à l’objectif d’indépendance qu’il s’était fixé. Il s’agit, cela a été souligné, d’un compromis acceptable, d’un pas de plus vers une indépendance accrue de la justice.
Vous pourrez donc, madame la garde des sceaux, compter sur le groupe socialiste pour voter ce texte, qui n’a pas été modifié par des amendements de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens toujours, par correction et par égard pour les parlementaires, à remercier les intervenants au terme de la discussion générale et à répondre à leurs éventuelles interrogations et observations, indépendamment de ce que j’ai pu dire dans mon intervention liminaire.
Je remercie donc Mmes Benbassa et Cukierman de leurs interventions et de la manière dont elles ont souligné le lien existant entre la logique de ce projet de loi et celle du projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature. En effet, c’est bien ainsi qu’il faut lire ces textes. D’ailleurs, en 1998 et 1999, des textes similaires avaient été présentés par Élisabeth Guigou, garde des sceaux, et la non-convocation du Congrès avait conduit à l’abandon des modifications concernant les instructions individuelles prévues par l’article 30 du code de procédure pénale.
Monsieur Mercier, vous êtes intervenu avec encore plus de punch que d’habitude ! (Sourires.) Vous avez surtout rappelé que ce projet de loi comportait des dispositions claires. À ce titre, le moment me semble venu de redire, un peu plus sommairement sans doute que précédemment, que nous ne touchons pas aux rapports hiérarchiques, car nous ne modifions pas l’article 5 de l’ordonnance de 1958.
Il n’y a donc pas lieu de jeter la suspicion sur un parquet « lâché dans la nature » et « livré à lui-même », parce que le texte du projet de loi est très clair sur ce point. Contrairement à ce que vous nous reprochez, le Gouvernement assume totalement sa responsabilité en matière de politique pénale.
Pour répondre à M. Baylet sur ce point, je rappellerai qu’il n’y avait pas eu de circulaire générale de politique pénale depuis plusieurs années et que nous avons tenu à en élaborer une et à la diffuser dès le 19 septembre 2012.
Cette circulaire générale indique bien les orientations et les principes directeurs de la politique du Gouvernement. En nous appuyant sur l’article 20 de la Constitution, qui rend l’exécutif responsable de la conduite des politiques de la Nation, donc des politiques publiques, nous réaffirmons dans cette circulaire générale de politique pénale et dans la nouvelle rédaction de l’article 30 du code de procédure pénale la responsabilité du garde des sceaux en matière de politique pénale sur l’ensemble du territoire.
Il ne s’agit donc pas de dessaisir l’exécutif de cette politique pénale : au contraire, nous énonçons clairement ce principe de responsabilité, et pour la première fois ! Dans la rédaction actuelle de l’article 30 du code de procédure pénale – introduite par la loi du 9 mars 2004 –, le garde des sceaux « conduit la politique d’action publique » et il ne s’engage pas du tout sur la politique pénale. Non seulement il ne s’y engage pas dans l’article 30, mais il ne s’y engage pas non plus par circulaire générale puisque, je le répète, la nôtre vient introduire une innovation, même s’il ne s’agit pas de la première, qui représente un changement complet par rapport à la pratique observée pendant les dix dernières années au moins.
En ce qui concerne la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, monsieur Baylet, vous avez demandé un temps de concertation. La concertation a eu lieu, j’ai eu l’occasion de le dire lors de la première lecture : M. le Premier ministre avait souhaité, par égard pour les parlementaires, recevoir personnellement les présidents de groupe – il s’est attelé à cette tâche dès octobre 2012. Pour ma part, j’ai conduit toutes les autres consultations et j’ai proposé aux groupes parlementaires de me recevoir en audition, s’ils le souhaitaient – en ce qui concerne le groupe des radicaux et apparentés, j’ai eu le plaisir de le recevoir à la Chancellerie. Cela dit, j’ai bien entendu votre demande de concertation et nous ouvrirons encore des espaces de discussion sur cette réforme.
Pour ce qui est de la séparation et l’équilibre des pouvoirs, nous mettons justement un terme aux ingérences de l’exécutif dans l’exercice de la mission de requérir et dans celle de juger. Nous veillons donc à ce que « le pouvoir arrête le pouvoir », car Montesquieu avait effectivement bien vu les choses !
J’ai entendu M. Vial exprimer des inquiétudes sur les procureurs généraux, qui deviendraient gardes des sceaux dans le ressort de leur cour d’appel. Cette crainte n’a pas lieu d’être, parce que l’exécutif, en l’occurrence le garde des sceaux, engage sa responsabilité en matière de politique pénale sur l’ensemble du territoire national. Surtout, le code de procédure pénale reconnaît déjà aux procureurs généraux le pouvoir d’adapter les directives du garde des sceaux et la pratique est déjà bien établie, comme l’a rappelé M. Mercier.
Cela étant, cette adaptation intervient dans le champ défini par la circulaire générale, mais, les profils des délits et des crimes étant différents d’un ressort de cour d’appel à un autre, la circulaire générale de politique pénale, qui énonce les principes directeurs et les priorités, n’exige pas la même intensité d’effort pour tous les types de contentieux dans tous les ressorts. Ce cadre général fixe les limites de l’adaptation intelligente que doit effectuer le procureur général, dans un souci d’efficacité.
M. Mercier a bien expliqué que cette pratique n’était pas nouvelle, parce que les territoires sont différents.
Quand des territoires présentent de fortes spécificités en termes délictuels ou criminels, il peut être nécessaire de diffuser une circulaire territoriale, ce que j’ai fait : j’en suis à la sixième et nous mettons la dernière main à deux circulaires pour les outre-mer. Dès le mois d’octobre, j’ai diffusé une circulaire territoriale de politique pénale pour la Corse et une autre pour l’agglomération de Marseille.
Il convient donc, lorsque des territoires présentent un profil de délinquance très particulier, loin de se contenter des adaptations que le procureur général peut apporter à la circulaire générale de politique pénale, d’aller plus avant, pour faire en sorte que l’action publique soit efficace sans que le procureur général ait à outrepasser les orientations contenues dans la circulaire générale.
En outre, les procureurs sont appelés, dans certains ressorts et à certains moments, à faire un effort particulier sur tel ou tel type de délinquance. Je vous avais donné des exemples en première lecture. Ainsi, à Lille, on a décidé de consentir un effort particulier, à une période particulière, pour la répression des actes racistes et antisémites, et à un autre moment, un effort a été fait sur les armes ; à Marseille, une attention particulière a été portée aux mineurs. Ces efforts interviennent dans le cadre des circulaires générales que le procureur général peut adapter.
Monsieur Vial, vous craignez que les instructions individuelles écrites que nous supprimons ne soient remplacées par des instructions orales. Ce faisant, vous évoquez une pratique dont je n’ai pas connaissance, mais qui a peut-être existé ! En tout état de cause, le fait d’affirmer très clairement que nous mettons un terme aux instructions individuelles permettra aux magistrats de révéler des instructions orales, s’ils en reçoivent.
Vous savez qu’une commission d’enquête parlementaire, à l’Assemblée nationale, procède à ses dernières auditions et vous avez vu comment a fonctionné la justice. Il est donc possible de ne pas donner d’instructions individuelles : même si cette pratique a eu cours pendant cinq ans, je n’y ai pas eu recours depuis ma prise de fonction et M. Mercier a dit lui-même qu’il n’y recourait pas non plus quand il était lui-même garde des sceaux.
Par ailleurs, j’ai expliqué à la tribune les raisons pour lesquelles des situations particulières pouvaient inspirer des inquiétudes tout à fait légitimes, mais elles n’étaient absolument pas concernées par les instructions individuelles et ne le seront pas davantage à l’avenir.
Mesdames, messieurs les sénateurs, plus aucune instruction individuelle n’est et ne sera adressée, parce que nous tenons à mettre un terme à l’immixtion de l’exécutif dans l’acte de requérir et dans l’acte de juger, afin de permettre aux magistrats de rendre la justice en toute sérénité.
Je vois d’ailleurs difficilement comment certains d’entre vous peuvent sans contradiction exprimer leur crainte d’un « gouvernement des juges » - comment le fait de ne plus adresser d’instructions individuelles au ministère public constituerait-il les prémices de ce gouvernement des juges ? - et nous reprocher par anticipation des instructions orales que ces magistrats subiraient en silence. Outre que l’argumentation ne me semble pas cohérente, je doute qu’il en soit jamais ainsi.
Au demeurant, mesdames, messieurs les sénateurs, notre démocratie est assez solide pour que nous n’ayons pas à nous faire peur avec des inquiétudes infondées !
En conclusion, je vous remercie tous de la qualité de vos interventions et de la fermeté avec laquelle, pour certains d’entre vous, vous avez assuré le Gouvernement de votre volonté d’avancer, et même d’aller plus loin pour que l’action publique soit encore plus lisible. Je remercie aussi de leur constance ceux d’entre vous qui restent convaincus que les instructions individuelles demeurent l’alpha et l’oméga de la politique pénale, alors que celles-ci ne s’élevaient qu’à une dizaine par année, qu’elles n’ont jamais concerné des infractions essentielles telles que les actes de terrorisme ou les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation et qu’elles n’ont, en aucune circonstance, concerné le refus, par un procureur, d’engager l’action publique. Je m’incline devant cette conviction, même si je reste persuadée qu’elle n’est pas fondée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Je rappelle que, en application de l’article 48, alinéa 5, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n’ont pas encore adopté un texte identique.
En conséquence, sont irrecevables les amendements ou articles additionnels remettant en cause les articles adoptés conformes ou sans relation directe avec les dispositions restant en discussion.
Article 1er
(Non modifié)
L’article 30 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 30. – Le ministre de la justice conduit la politique pénale déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République.
« À cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales.
« Il ne peut leur adresser aucune instruction dans des affaires individuelles.
« Chaque année, il publie un rapport sur l’application de la politique pénale déterminée par le Gouvernement, précisant les conditions de mise en œuvre de cette politique et des instructions générales adressées en application du deuxième alinéa. Ce rapport est transmis au Parlement. Il peut donner lieu à un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 1, présenté par MM. Hyest, Vial et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 30 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 30. – Le ministre de la justice définit les orientations générales de la politique pénale. Il les adresse aux magistrats du ministère public pour application et aux magistrats du siège pour information. Il rend publiques ces orientations générales.
« Le ministre de la justice peut dénoncer aux procureurs généraux près les cours d’appel les infractions visées aux titres Ier et II du livre IV du code pénal dont il a connaissance et leur enjoindre, par des instructions écrites qui sont versées au dossier, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente des réquisitions écrites qu’il juge opportunes. Les instructions du ministre sont motivées, sous réserve des exigences propres au secret de la défense nationale, des affaires étrangères et de la sûreté intérieure ou extérieure de l’État.
« Sous réserve des dispositions de l’alinéa précédent, il ne peut donner aucune instruction dans les affaires individuelles.
« Il informe chaque année le Parlement, par une déclaration pouvant être suivie d’un débat, des conditions de mise en œuvre de ces orientations générales. »
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Il faut parfois savoir persévérer, même si nous sommes en deuxième lecture et que la commission a décidé de se satisfaire de ce qu’avait décidé l’Assemblée nationale !
S’agissant des infractions visées aux titres Ier et II du livre IV du code pénal, c’est-à-dire qui concernent les intérêts supérieurs de la Nation, il serait pour le moins utile de conserver la possibilité de donner des instructions.
L’amendement n° 1 vise à réintroduire le texte qui avait été voté par le Sénat lors de la réforme de 1999 que vous avez citée, madame le garde des sceaux. Nous sommes donc fidèles à ce qui avait été voté au Sénat, nous ne changeons pas d’avis.
M. Jean-Jacques Hyest. Pardon, madame le garde des sceaux, je n’ai pas changé d’avis sur le fait que les nominations des magistrats du parquet devaient recueillir l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature ! Le Sénat avait voté ce principe, et nous avions nous-mêmes contribué à son adoption. En revanche, nous sommes en désaccord avec vous sur la composition que vous prévoyez de donner au Conseil supérieur de la magistrature.
M. Michel Mercier. Exact !
M. Jean-Jacques Hyest. Je n’ai pas changé d’opinion sur ce point, et j’étais rapporteur de la loi constitutionnelle de 2008 ! Je ne permets pas que l’on me dise que je change d’avis comme de chemise !
M. Jean-Jacques Hyest. Madame le garde des sceaux, nous avons voté en faveur de l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature pour la nomination des magistrats du parquet. Si vous vous étiez contentée de cette mesure, nous aurions pu aller à Versailles ! Et c’est encore possible, d’ailleurs.
M. Michel Mercier. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest. En revanche, sur la composition du Conseil supérieur de la magistrature, c’est non !
Nous restons donc fidèles à la position que nous avions défendue en 1999, à savoir qu’il faut conserver la possibilité de délivrer des instructions individuelles, au moins dans certains cas.
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par MM. Hyest, Vial et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Il peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge opportunes.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, je considère que j’ai défendu les trois amendements, mais sans changer d’avis ! (Sourires.)
Madame le garde des sceaux, je défends toujours les mêmes positions et je fais preuve d’une certaine constance. Si vous voulez trouver des contradictions dans les positions que j’ai adoptées depuis que je suis parlementaire, vous devrez vraiment bien chercher !
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par MM. Hyest, Vial et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Cependant, il peut signaler au procureur général les manquements aux instructions générales dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d’engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de réquisitions conformes aux instructions générales.
Cet amendement a été précédemment défendu.
Quel est l’avis de la commission sur les trois amendements en discussion commune ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. M. Hyest a déposé trois amendements qui vont dans le même sens.
L’amendement n° 1 reprend, pour les instructions individuelles, la rédaction de la réforme avortée de 1999.
L’amendement n° 2 reprend, lui, l’article 40 du code de procédure pénale.
Enfin, l’amendement n° 3 tend à permettre au ministre de la justice de signaler les cas dans lesquels les procureurs de la République n’appliqueraient pas les instructions générales des procureurs généraux.
Ces trois amendements ont des objets très proches, ce qui leur vaut, à tous les trois, le même avis défavorable de la commission !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement est également défavorable à ces trois amendements.
L’intention de M. Hyest, au travers de ces trois amendements, est de rétablir les instructions individuelles. Or rien ne s’oppose à ce que l’article 40 du code de procédure pénale soit actionné à tout moment, y compris par le garde des sceaux. Par ailleurs, je tenais à signaler une imprécision dans la rédaction proposée.
Je ne souhaitais pas froisser M. Hyest, qui m’a semblé considérablement heurté par mes propos.
M. Jean-Jacques Hyest. Absolument !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Telle n’était pas mon intention, monsieur le sénateur, et je regrette d’avoir provoqué ce début de colère !
M. Jean-Jacques Hyest. Madame le garde des sceaux, vous ne m’avez jamais vu vraiment en colère ! (Rires sur les travées de l'UMP.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Certains périls ont leur attrait, et j’ai un certain goût du risque ! Mais pas cet après-midi ! Plus tard, en revanche, je ne dis pas... (Sourires.)
Je vous donne acte du fait que votre exigence, qui n’a pas été satisfaite lors de la réforme constitutionnelle de 2008, concernait l’avis conforme du CSM sur les nominations des magistrats du ministère public. La vérité est ainsi totalement rétablie.
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.
M. Michel Mercier. Je trouve ce débat intéressant, mais il semble que l’on aboutit, sans le dire, à peu près au même résultat.
S’agissant du statut du parquet, comme l’a dit M. Hyest, le Sénat a voté la réforme constitutionnelle et s’est prononcé clairement sur le statut du parquet. Il appartient désormais au seul Président de la République de décider si cette réforme sera mise en œuvre ou non. Il suffit qu’il nous convoque à Versailles ! C’est à lui de prendre cette décision, et pas à nous. Il a les moyens de le faire puisque le Sénat a voté la réforme. C’est suffisant pour réformer le statut du parquet !
S’agissant maintenant des instructions individuelles, j’ai bien entendu la ministre et le rapporteur : l’article 40 du code de procédure pénale peut être utilisé par le garde des sceaux, comme toute autorité constituée. Ce dispositif impose, je le rappelle, au garde des sceaux, notamment, de dénoncer au procureur de la République toute situation constituant une infraction dont il aurait connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Ce sont les termes mêmes de l’article !
Il ne s’agit pas d’une instruction individuelle, mais c’est bien la mise en œuvre d’une disposition du code de procédure pénale. C’est même écrit dans le rapport, que j’ai lu avec grand plaisir, au premier paragraphe de la page 13 !
J’ai l’impression que l’on joue un peu... S’il s’agit de voter le texte conforme, alors il faut le dire, mais sans oublier de rappeler les instructions autorisées par l’article 40. Ainsi, tout le monde sera satisfait !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vos propos me surprennent, monsieur Mercier ! Vous savez bien qu’un signalement au titre de l’article 40 ne vaut pas instruction individuelle, ne serait-ce que parce que l’issue peut en être très différente. Cela fait partie de la panoplie des initiatives à la disposition du garde des sceaux.
L’essentiel, ce sont évidemment les orientations de politique pénale, c’est l’instrument disciplinaire. Le garde des sceaux figure accessoirement au nombre des autorités constituées qui peuvent recourir à l’article 40, et donc faire un signalement au procureur de la République.
Il ne s’agit donc pas d’un retour des instructions individuelles, puisque l’article 40 existe déjà dans le code de procédure pénale. Personne n’y touche et on n’en modifie pas une virgule ! Je signale simplement que le garde des sceaux peut l’utiliser à l’occasion, s’il ne parvient pas à obtenir les résultats qu’il souhaite par une autre voie.
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote sur l’amendement n° 2.
M. Michel Mercier. C’était parfait, madame la garde des sceaux, mais je n’ai pas émis une opinion individuelle ! Je me suis borné à lire le rapport, que vous avez soutenu.
J’essaie de prendre mes informations aux meilleures sources. Pour moi, le rapport est parole d’évangile, ou quasiment, et le rapporteur est sans doute sur la voie de la rédemption... (Sourires.)
Mme Cécile Cukierman. Il faut parfois se détacher des Évangiles...
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
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Article 1er bis
(Non modifié)
L’article 31 du même code est complété par les mots : « , dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu ». – (Adopté.)
Article 2
(Non modifié)
Les deuxième et troisième alinéas de l’article 35 du code de procédure pénale sont remplacés par trois alinéas ainsi rédigés :
« Il anime et coordonne l’action des procureurs de la République, tant en matière de prévention que de répression des infractions à la loi pénale. Il précise et, le cas échéant, adapte les instructions générales du ministre de la justice au contexte propre au ressort. Il procède à l’évaluation de leur application par les procureurs de la République.
« Outre les rapports particuliers qu’il établit soit d’initiative, soit sur demande du ministre de la justice, le procureur général adresse à ce dernier un rapport annuel de politique pénale sur l’application de la loi et des instructions générales ainsi qu’un rapport annuel sur l’activité et la gestion des parquets de son ressort.
« Il informe, au moins une fois par an, l’assemblée des magistrats du siège et du parquet des conditions de mise en œuvre, dans le ressort, de la politique pénale et des instructions générales adressées à cette fin par le ministre de la justice en application du deuxième alinéa de l’article 30. »
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Chevènement, Collin, Collombat, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 2, deuxième phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Je souhaite rappeler notre position sur ce sujet.
La question des instructions individuelles est intéressante au niveau du principe. Mais, lorsqu’il y en a quatre par an, qui sont versées au dossier, comme cela a été rappelé, on ne peut pas dire qu’elles changent véritablement le cours des choses, ni d’ailleurs la position de la Cour européenne des droits de l’homme quant à l’indépendance de notre système judiciaire.
Je vous ai entendu dire, madame la ministre, qu’il fallait que la justice soit indépendante. Alors que vous êtes garde des sceaux depuis plus d’un an, je ne vous ferai pas l’injure de dire qu’elle ne l’est pas...
L’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 fixe le principe de la séparation des pouvoirs. Cet équilibre des pouvoirs est selon nous très important. Or vous voulez le modifier de manière importante en confiant au parquet, qu’il s’agisse des procureurs généraux ou des procureurs de la République, un pouvoir d’adaptation reconnu par des dispositions légales.
Recevoir une instruction générale et l’appliquer avec bon sens et professionnalisme, comme c’est le cas la plupart du temps, ce n’est pas la même chose que de se voir reconnaître par la loi la capacité d’adapter ladite instruction !
Cette question soulève plusieurs problèmes, et d’abord celui de la publicité, dont nous avons déjà débattu ici.
Nous considérons pour notre part que, dans l’intérêt de la société et du gouvernement de la République, certaines instructions générales ne doivent pas faire l’objet d’une publicité.
J’en viens à l’objet essentiel de l’article 2, qui est au cœur du dispositif du projet de loi : le pouvoir du parquet.
Vous confiez aux procureurs généraux un pouvoir de précision et d’adaptation de vos instructions générales. Et vous nous dites que vous-même, dans tel ou tel cas, envoyez dans certains territoires des circulaires précisant le contenu de votre politique.
Le présent article dispose donc que chaque procureur général aura, de par la loi, le pouvoir d’adapter vos instructions générales. Mieux encore, dans chaque ressort de tribunal de grande instance, le procureur de la République pourra adapter les instructions adressées par le parquet général.
Nous le savons, la justice est humaine : elle n’est pas toujours parfaite, même si, dans leur immense majorité, les magistrats font bien leur travail. Dans certains cas, la reconnaissance légale de ce pouvoir aura donc des conséquences graves sur la politique pénale de la Nation. Nous ne pouvons pas y souscrire !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Il nous a semblé légitime que les procureurs généraux dans leur ressort, et, aux termes d’un deuxième amendement qui va dans le même sens, les procureurs de la République dans leur département, disposent d’un pouvoir d’adaptation en fonction du territoire dans lequel ils exercent. On peut ainsi admettre que les instructions générales du garde des sceaux ne soient pas appliquées de la même manière, et avec la même vigueur, dans les départements d’outre-mer, à Marseille ou dans le Nord.
Dire qu’une telle disposition rompt l’égalité des citoyens devant la loi pénale, c’est aller très loin ! Mme la garde des sceaux nous donnera sans doute des explications complémentaires sur ce sujet.
La commission a émis un avis défavorable, estimant qu’il convenait de garder cette souplesse.
Je reconnais que l’adoption des amendements de M. Mézard ne changerait pas grand-chose : les procureurs pourraient toujours procéder à des adaptations en fonction des circonstances de leur ressort.
N’en faisons pas une affaire d’État ! Je préfère, pour ma part, que l’on s’en tienne à la rédaction actuelle et que l’on vote ce texte conforme, pour que nous en terminions tout à fait.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Indépendamment de toute considération sur la navette parlementaire, j’entends les préoccupations de M. Mézard.
Je le répète, l’adaptation n’est pas une notion vide de sens, ou un terme dont l’élasticité interne serait telle que nous pourrions l’interpréter à notre guise.
Je sais à quel point il est parfois nécessaire d’être précis. Nous avons déjà eu des discussions, tout à fait légitimes et passionnantes, de sémantique générale ou sur l’acception de notions juridiques incluses dans des textes de loi qui pouvaient faire l’objet d’interprétations différentes.
Ce n’est pas le cas en l’occurrence, car aucune ambiguïté n’est possible : les mots « adapter » et « adaptation » existent dans notre droit, et nous savons ce qu’ils signifient.
Le terme d’ « adaptation » n’autorise pas à aller au-delà de l’acception retenue dans le texte et vise les priorités définies par rapport au ressort.
La circulaire générale de politique pénale concerne l’ensemble du territoire et l’ensemble des types de délits ou de crimes. Le procureur général exercera donc le pouvoir d’adaptation en fonction de son ressort.
Je vous en ai donné quelques exemples : si les différences d’interprétation sont trop importantes, et si l’adaptation retenue est trop éloignée des orientations indiquées, nous publierons des circulaires territoriales.
J’entends vos préoccupations, monsieur le sénateur, mais la rédaction actuelle du texte ne justifie pas une telle inquiétude. L’adaptation est nécessaire et indispensable pour améliorer l’efficacité de la justice.
Nous disposons d’ailleurs, d’ores et déjà, d’instruments d’adaptation de la politique pénale. Je reprendrai l’exemple des groupes locaux de traitement de la délinquance, les GLTD, qui permettent d’adapter le contenu de la politique pénale dans un ressort en se concentrant sur un type particulier de délit ou de criminalité, avec une mobilisation particulière dans le cadre défini par la loi. Les GLTD mobilisent ainsi, au-delà du parquet, le maire, les services sociaux, la police municipale, l’éducation nationale, et dans certains cas le monde de la culture. C’est cela, l’adaptation !
Le procureur général n’invente pas d’autres incriminations, une autre procédure pénale : il ajuste la loi pénale pour qu’elle soit encore plus efficace dans son ressort.
Cette adaptation se fait souvent pour une période donnée. C’est en effet le propre d’un dispositif efficace de permettre de relâcher les efforts au terme d’un certain délai.
Vos inquiétudes, que je comprends, monsieur Mézard, n’ont pas lieu d’être. J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Madame la garde des sceaux, nous ne vous faisons aucun procès d'intention.
M. Jacques Mézard. Je n’ai aucune inquiétude sur la manière dont vous pouvez conduire la politique pénale du pays.
Toutefois, nous abordons ici une vraie question de fond. Pour le groupe du RDSE, il est inconcevable que l'on puisse appliquer différemment la loi pénale sur le territoire. En effet, la loi pénale est d'interprétation stricte ; elle ne peut, selon que l'on se trouve dans telle ou telle partie du territoire, être appliquée différemment. Un crime, qu'il soit commis à Marseille, à Guéret ou à Mende, reste un crime !
M. Jacques Mézard. Il est tout à fait naturel que les parquets généraux puissent mener certaines politiques de façon particulière, parce que les magistrats connaissent leur ressort, et l’on ne peut que s’en réjouir. Cela s’est toujours passé ainsi et cela pourrait continuer encore. Cependant, que, de par la loi, vous laissiez aux parquets la possibilité d’appliquer différemment, dans leur ressort, les instructions générales de la Chancellerie,…
M. Jean-Pierre Vial. Absolument !
M. Jacques Mézard. … voilà ce que nous ne pouvons accepter au regard de notre conception de la République et du pouvoir de l'État dans la République.
Ce n'est pas secondaire, c'est une différence importante.
En outre, madame la garde des sceaux, ce n'est pas cela qui changera l'appréciation que porteront les juridictions européennes sur la politique du parquet en France.
M. Jean-Pierre Vial. Absolument !
M. Jacques Mézard. Il faut remettre les choses à leur juste place.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Bien sûr, et ce n’est d’ailleurs pas ce que vise ce texte !
M. Jacques Mézard. Vous tenez à cette capacité d'adaptation et de précision, comme s'il appartenait au parquet de préciser votre politique : voilà qui dépasse l’entendement !
J'ai reçu des représentants du parquet, ainsi que le président de la conférence des procureurs généraux : leur discours est tout à fait raisonnable. Nous ne voulons pas leur faire de procès a priori, la réflexion est en cours, mais nous refusons tout ce qui permettra une différenciation dans la détermination et l'application de la loi pénale de la République.
Il s'agit pour nous d'une question de fond sur laquelle nous ne pouvons pas transiger !
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
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Article 3
(Non modifié)
L’article 39-1 du code de procédure pénale devient l’article 39-2 et l’article 39-1 est ainsi rétabli :
« Art. 39-1. – En tenant compte du contexte propre à son ressort, le procureur de la République met en œuvre la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la justice, précisées et, le cas échéant, adaptées par le procureur général.
« Outre les rapports particuliers qu’il établit soit d’initiative, soit sur demande du procureur général, le procureur de la République adresse à ce dernier un rapport annuel de politique pénale sur l’application de la loi et des instructions générales ainsi qu’un rapport annuel sur l’activité et la gestion de son parquet.
« Il informe, au moins une fois par an, l’assemblée des magistrats du siège et du parquet des conditions de mise en œuvre, dans le ressort, de la politique pénale et des instructions générales adressées à cette fin par le ministre de la justice en application du deuxième alinéa de l’article 30. »
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par MM. Mézard, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Chevènement, Collin, Collombat, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 39-1. – Le procureur de la République met en œuvre la politique pénale définie par les instructions générales du ministre de la justice.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Même cause, mêmes effets ! J'attire encore plus vivement l’attention de mes collègues sur les conséquences de cet article, qui concerne cette fois les procureurs de la République, c'est-à-dire ce qui se passera dans chaque tribunal de grande instance.
Certains départements comptent deux ou trois TGI, donc deux ou trois procureurs de la République, voire plus. Avec cet article, au sein d’un même département, un procureur de la République pourra avoir une lecture des instructions du garde des sceaux totalement différente de celle de son collègue ! Voilà ce que l'on est en train d'essayer de nous faire voter ! Oui, cela dépasse l'entendement, et c'est encore plus grave que pour les procureurs généraux, parce que, là, il n'y a plus aucune limite ! (Mme la garde des sceaux s’étonne.)
M. Jean-Jacques Hyest. Voilà !
M. Jacques Mézard. Ce que je décris n'est pas une vue de l'esprit.
C’est cela que vous voulez mettre en place, madame le garde des sceaux, même si je sais bien que c’est sans mauvaise intention. Il peut arriver qu’un procureur de la République ait une conception de l’application de la loi pénale totalement différente de celle de son collègue dans le même département. Comment fera-t-on lorsque vous découvrirez dans deux ans, cinq ans ou dix ans les difficultés que vous aurez vous-même provoquées ?
M. Jean-Pierre Vial. Absolument !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, il n’en sera pas ainsi, parce que nous n’aurons rien provoqué. Il n'est qu'à embrasser dans un large regard rétrospectif ce qui s'est passé ces dernières années. Quelles sont donc ces difficultés qui auraient été créées par le fait que les procureurs généraux, pour l'efficacité de l'action publique, adaptent… Adaptent quoi, d’ailleurs ? Car le complément est important !
Monsieur le sénateur, j’ai relevé qu’à plusieurs reprises vous avez parlé indifféremment des instructions générales et de la loi pénale. C'est sans doute pour cette raison que le malentendu persiste ! Il s'agit non pas d'adapter la loi pénale – la loi pénale s'impose à tous –, mais d'adapter, dans le cadre de la circulaire, des dispositions, des techniques, des méthodes.
Ainsi, une circulaire peut indiquer que, pour tel type de contentieux, il faut favoriser la comparution immédiate. (M. Jacques Mézard s’exclame.) Et le procureur de la République apprécie.
On sait, par exemple, que la comparution immédiate a produit un grand nombre d'effets pervers, notamment en ce qu’elle a fortement pénalisé les victimes. Si la situation particulière l’exige dans telle ou telle partie du ressort, le procureur général peut adapter les instructions générales, dans le respect de la loi pénale et dans le cadre des instructions qui lui sont données.
Monsieur le sénateur, je ne comprends pas la source de cette crainte et votre inquiétude n’est pas fondée. Je sais bien que je ne parviendrai pas à vous convaincre, mais je tiens à réitérer mes explications, parce que le sujet que vous soulevez est important et qu’il convient de dire exactement de quoi il retourne.
Nous avons mis en place les zones de sécurité prioritaires ; plus précisément, c’est le ministre de l'intérieur qui en est à l'origine. Je dis « nous » spontanément, parce que j'ai très vite mobilisé le ministère public pour la définition des périmètres et pour l'appréciation des délits et des crimes concernés. Dans ces zones de sécurité prioritaires, on ne modifie pas la loi pénale, pas plus que le quantum des peines ou les procédures. En revanche, le procureur général peut, dans son ressort, considérer qu’un effort particulier pour tel type de délits doit être consenti ; dans ce cas, dans le respect de la circulaire générale de politique pénale, il procède à des adaptations.
Je doute être en mesure de lever vos craintes, malgré tous mes efforts en ce sens, mais je vous répète que vos inquiétudes ne sont pas fondées.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement, qui n’a pas lieu d'être.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Le projet de loi prévoit que le procureur général peut préciser et adapter les instructions générales.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Il s'agit donc aussi de « préciser », et non pas seulement d'« adapter ». Voilà qui devrait rassurer le groupe du RDSE.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Mazars, pour explication de vote.
M. Stéphane Mazars. Je ne reprendrai pas l'argumentation de M. Mézard sur les procureurs généraux. Pour les procureurs de la République, c'est encore pire !
Dans un même département, deux procureurs de la République pourront « préciser » différemment les instructions du garde des sceaux ! Voilà qui ne manquera pas de poser problème. C’est d’ailleurs déjà le cas. Il n’est qu’à voir ce qui se passe sur le terrain avec la notion de trouble à l'ordre public. Les citoyens ont du mal à comprendre que la consommation de cannabis constitue un trouble à l'ordre public qui entraîne une réponse pénale à Rodez, mais pas à Toulouse ou à Montpellier !
M. Jacques Mézard. Oui !
M. Stéphane Mazars. Avec ce texte, sous couvert d’autoriser par la loi tous les procureurs de la République à « préciser » et à « adapter » sur leur territoire la réponse qui doit être apportée à une infraction, crime ou délit, vous légitimez une réponse pénale différente pour des actes de délinquance similaires. Les citoyens n’y comprendront plus rien !
Pour ma part, je souhaite que les citoyens aient le sentiment d'être logés à la même enseigne, que ce soit à Rodez, à Toulouse, à Montpellier ou à Paris. Avec ce texte, vous accentuez ce sentiment de différenciation du traitement des infractions et de la réponse pénale.
M. Jean-Pierre Vial. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est un débat éternel ! (Mme le garde des sceaux sourit.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.
M. Michel Mercier. Le problème que soulève Jacques Mézard est fondamental.
La question qu’il pose a reçu une réponse à peu près constante dans notre droit depuis très longtemps : seule la loi, notamment en matière pénale, permet l'incrimination et la poursuite. Reste que, quand on regarde l'histoire de notre droit, cela a fonctionné deux ans, pas plus ! Ce que nous a décrit M. Mézard, c'est en effet l'idéal révolutionnaire : avec la Révolution, le droit nouveau s'installe et il est décidé que seul le Parlement peut voter la loi, expression de la volonté générale, mais le système du référé législatif sera vite abandonné.
Je conseille à nos collègues, de Toulouse et d’ailleurs, de lire l'excellent ouvrage sur l'histoire de la magistrature française, publié en deux tomes l'année dernière par un grand historien du droit qui enseigne à Toulouse.
M. Jean-Pierre Michel. Jacques Krynen !
M. Michel Mercier. Exactement ! L’auteur démontre que, contrairement à ce que l'on pense, nous vivons dans un État de justice et non dans un État de droit.
On a eu récemment l’occasion de vérifier cette vérité fondamentale de notre droit sur un autre sujet tout aussi important, le rôle de la jurisprudence, notamment celle de la Cour de Cassation et de la chambre criminelle. Si la question prioritaire de constitutionnalité a entraîné autant de tensions entre le Conseil constitutionnel et la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire, c'est parce que la Cour de cassation, au nom de l'histoire de notre droit depuis le haut Moyen Âge, ne voulait pas que sa jurisprudence soit soumise au contrôle du Conseil constitutionnel.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
M. Michel Mercier. Pour l'instant, elle ne l'a jamais été. De temps en temps, la menace est agitée, mais jamais le Conseil constitutionnel n'a franchi le pas.
Je comprends la position de Jacques Mézard, parce que c'est celle des débuts de la Révolution française. Pourtant, cet idéal n'a jamais fonctionné. La réalité quotidienne qu’a décrite Mme le garde des sceaux est toute différente de cet idéal.
Il vaut mieux mettre le droit en accord avec les faits. Cela n’est en rien une abdication, mes chers collègues, c’est l’occasion de renouveler notre confiance en tous les magistrats français.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je souhaite dissiper toute confusion.
Michel Mercier vient de parler d'idéal révolutionnaire, cela ne me choque pas, parce que notre groupe s'est toujours inscrit dans cette tradition et dans l’héritage de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Cependant, pour avoir fréquenté pendant trente-huit ans les palais de justice, je peux témoigner que ce n'est pas de l'abstraction ! Je crois même y avoir passé plus de temps que notre collègue, même s'il a été garde des sceaux.
M. Michel Mercier. Cela dure si peu, mon cher ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Et vous oubliez vite, c’est vrai ! Peut-être d’ailleurs ferons-nous la même remarque à Mme le garde des sceaux dans quelques années… (Nouveaux sourires.)
Je le répète, je n’ai commis aucune confusion entre la loi pénale, qui s’applique sur tout le territoire de la même façon, et les instructions.
Dans le système français prévaut le principe non pas de la légalité des poursuites, mais de l’opportunité des poursuites. Madame le garde des sceaux, à partir du moment où vous donnez le pouvoir à ceux qui ont l’opportunité des poursuites de préciser et d’adapter vos instructions, il est évident que l’on entre dans un système différent. Sera ainsi reconnue par la loi la faculté d’appliquer de manière différente sur l’ensemble du territoire de la République française vos instructions générales, qui, elles, ne peuvent être qu’en harmonie avec la loi pénale.
Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit, il n’y a aucune confusion sur ce point !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Certes, je ne suis pas spécialiste du droit pénal, mais j’ai relevé une extrapolation, une exagération des risques, si tant est qu’ils existent, dans les arguments avancés.
Madame le garde des sceaux, à juste titre, vous avez fait allusion aux zones de sécurité prioritaires. En l’occurrence, le texte qui nous est proposé permettra une meilleure cohérence entre la finalité du dispositif et son application. C’est un gage d’efficacité.
De surcroît, n’importe quel citoyen de bonne foi qui voudra bien se pencher sur la question comprendra très facilement.
Malheureusement, des propos révolutionnaires tenus par nos collègues (Sourires.), on retirerait presque l’impression que la République une et indivisible est en danger. Très franchement, on se fait peur à peu de frais !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. J’ai bien pris note de vos arguments, monsieur Mézard, auxquels je suis toujours très sensible. Mais, en droit français, d’une part, le parquet apprécie l’opportunité de déclencher les poursuites et, d’autre part, les juges interprètent la loi. De ce fait, alors que les faits jugés sont analogues, les décisions peuvent être très différentes d’un tribunal à l’autre. Nous le constatons dans nos permanences, le justiciable s’en étonne. Faut-il pour autant revenir à la légalité des poursuites ?
Dans son ouvrage, Jacques Krynen décrit bien l’évolution : lors des dernières audiences solennelles de rentrée de la Cour de cassation, les chefs de cour, allant ce faisant un peu loin, selon moi, se sont d’ailleurs permis de dire : « Nous faisons la loi ». C’est peu ou prou ce qu’a déclaré, lors de la dernière rentrée, le premier président Vincent Lamanda, qui a avancé pour se justifier l’opportunité des poursuites dont disposent les magistrats.
Mon cher collègue, vous qui connaissez la justice mieux que moi, vous savez très bien que ce principe permet de choisir la voie procédurale - instruction, enquête préliminaire, citation à jour fixe -, ce qui est très important. Le procureur peut donc adapter.
Quant au juge, il peut interpréter, et même désormais en fonction de la Constitution.
Les parlementaires, quant à eux, ont pour rôle d’élaborer la loi et de mettre des barrières. Cela étant, le présent projet de loi, tel qu’il est rédigé, n’est pas, selon moi, liberticide et il ne va pas au-delà du raisonnable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
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M. le président. Les autres dispositions du projet de loi ne font pas l’objet de la deuxième lecture.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Vial, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Vial. Madame le garde des sceaux, à la fin de votre intervention, vous avez reconnu, sur l’analyse des quelques articles restant en discussion du présent projet de loi, l’existence d’une opposition de fond.
M. le rapporteur, à l’instant, a évoqué, lui, la reconnaissance de la place des magistrats du parquet qu’a revendiquée le premier président de la Cour de cassation.
Précisément, madame le garde des sceaux, avez-vous interrogé les procureurs généraux sur leur volonté de voir aboutir le présent texte ? À défaut, je vous suggère de le faire, car je suis convaincu que la très grande majorité d’entre eux, pour ne pas dire la totalité, souhaitent obtenir des instructions de votre part qui leur donnent la doctrine et les orientations nécessaires.
Les dispositions qui nous sont soumises ne sont qu’en apparence superficielles. Elles concernent des points fondamentaux. C'est pourquoi le groupe UMP, maintenant sa position, ne votera pas le présent projet de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans le texte de la commission.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 316 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l’adoption | 192 |
Contre | 154 |
Le Sénat a adopté définitivement le projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
6
Décret complétant l'ordre du jour de la session extraordinaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le président de la République en date du 16 juillet 2013 complétant le décret du 14 juin 2013 portant convocation du Parlement en session extraordinaire à compter du 1er juillet 2013.
Ce décret ajoute à l’ordre du jour de la présente session extraordinaire la proposition de loi fixant le nombre et la répartition des sièges de conseillers de Paris.
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 17 juillet 2013, à quatorze heures trente et le soir :
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (n° 690, 2012-2013) ;
Rapport de M. Alain Anziani et Mme Virginie Klès, fait au nom de la commission des lois (n° 738, 2012-2013) ;
Texte de la commission (n° 739, 2012-2013) ;
Avis de M. François Marc, fait au nom de la commission des finances (n° 730, 2012-2013) ;
- Projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au procureur de la République financier (n° 691, 2012-2013) ;
Rapport de M. Alain Anziani et Mme Virginie Klès, fait au nom de la commission des lois (n° 738, 2012-2013) ;
Texte de la commission (n° 741, 2012-2013).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures trente.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART