M. Marcel-Pierre Cléach. C’est vrai !
M. Daniel Reiner. Nous sommes dans un de ces moments républicains où l’on débat de la place et du rôle de la France dans le monde.
M. Marcel-Pierre Cléach. Très bien !
M. Daniel Reiner. Le groupe socialiste votera ce texte ; j’invite le Sénat à faire de même. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, force est de le constater, crise et programmation ne font pas bon ménage et l’instabilité financière fait courir le risque de mettre à mal la cohérence de notre outil de défense, malgré les garanties posées par notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sous l’impulsion de son président, Jean-Louis Carrère.
Je me bornerai à formuler une série de remarques, qui porteront sur la partie « nucléaire » et la partie « commandement et maîtrise de l’information », domaines auxquels je m’intéresse plus particulièrement.
Tout d’abord, monsieur le ministre, l’honnêteté commande de dire que ce projet de loi de programmation est sans doute le moins mauvais possible dans le cadre budgétaire donné. Le mérite vous en revient en grande partie.
Aucun grand programme d’armements n’a été abandonné. Les réductions ont été réparties sur l’ensemble des programmes.
Certes, l’aviation de chasse a été particulièrement affectée ; je le déplore, mais l’on peut espérer – c’est un pari raisonnable – que les succès à l’exportation du Rafale permettront de passer ce moment difficile. Sinon, nous devrons rapidement nous revoir pour redessiner la trajectoire financière du présent projet de loi…
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. On est d'accord !
M. Xavier Pintat. Quoi qu’il en soit, cette façon de faire permet de ne renoncer à aucune grande capacité ; je pense en particulier à la patrouille maritime, qui a été sauvegardée. Mais elle a aussi, monsieur le ministre, ses inconvénients : aucun grand programme d’armements n’a été lancé, et ceux qui l’ont été encourent le risque de devenir sous-critiques, c’est-à-dire trop chers, parce que trop étalés dans le temps avec des cibles trop réduites.
On risque d’aboutir ainsi à une armée « bonzaï », à une armée « échantillonnaire », avec un peu de tout, mais rien en quantité. Or, n’oublions pas que, en matière militaire, la quantité compte aussi…
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Eh oui !
M. Xavier Pintat. Il faudra également veiller attentivement à la cohérence capacitaire. Maintenir les cibles pour faire tourner les chaînes de production industrielle, c’est bien ; satisfaire les besoins opérationnels, c’est mieux. À quoi serviraient nos avions et nos frégates sans missiles et sans munitions en quantité suffisante ? Je crois, je suis même certain que, cette fois-ci, nous sommes allés trop loin et qu’il faudra donc revoir cela.
Ma deuxième série d’observations portera sur la dissuasion nucléaire.
Je me réjouis que le projet de loi de programmation prévoie le maintien des deux composantes. Un débat a eu lieu sur ce point et le Sénat y a pris sa part, puisque nous avons publié l’an dernier un rapport d’information plaidant non seulement pour le maintien des deux composantes, mais aussi pour leur modernisation. Nous avons été entendus : c’est bien.
Toutefois, ne nous berçons pas d’illusions. La trajectoire financière qui sous-tend la programmation prévoit que, si tout se passe bien – c’est-à-dire si la LPM est exécutée à l’euro près –, notre effort de défense représentera 1,3 % du PIB dans cinq ans. Cela veut dire que, à cette échéance, nous n’aurons plus les moyens de tout faire et qu’il faudra choisir, c’est-à-dire renoncer à une capacité majeure.
On peut donc dire que, sur ce volet, nous « passons à l’orange »… Mais le prochain feu sera rouge et nous risquons fort de devoir nous arrêter. D'où ma question, monsieur le ministre : serez-vous capable de tenir vos engagements et de leur donner une traduction dans les six prochains budgets de la défense ?
Ma troisième série d’observations aura trait aux systèmes de force en matière de commandement et de maîtrise de l’information.
Tout d’abord, je me réjouis de l’arrivée prochaine des drones Reaper dans les forces. Le Sénat, en particulier Daniel Reiner, Jacques Gautier et moi-même, avait pris une position en pointe sur le sujet, différente de celle du gouvernement de l’époque. Nous l’avions fait parce que nous pensions que c’était un équipement indispensable pour nos armées, le seul disponible dans des délais et à un coût raisonnables. C’est la mission du Sénat que de prendre ses décisions en toute indépendance.
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Très bien !
M. Xavier Pintat. Le Sénat n’est pas la chambre qui dit toujours « non », ni toujours « oui ». Là encore, nous avons été écoutés.
Concernant la position du Sénat, j’effectuerai toutefois un rappel : de grâce, ne perdons pas notre temps ni notre argent à essayer de « franciser » un drone qui fonctionne, pour le rendre inopérant ! Consacrons plutôt notre temps et notre argent à la construction, avec nos amis européens, d’un drone de troisième génération et proposons une feuille de route réaliste et financée pour le sommet des chefs d’État et de Gouvernement européens de décembre prochain.
M. Robert del Picchia. Très bien !
M. Xavier Pintat. En ce qui concerne les drones tactiques, nous sommes plusieurs, au Sénat, à dire que nous n’accepterons pas que l’État en acquière un, quel qu’il soit, sans appel d’offres. Ce serait contraire aux intérêts financiers de l’État. Monsieur le ministre, j’espère que vous saurez nous écouter. L’histoire de la Haute Assemblée tend à prouver que nous avons souvent le tort d’avoir raison trop tôt… (M. Daniel Reiner sourit.)
L’acquisition d’un drone tactique sans appel d'offres irait à l’encontre de la satisfaction des besoins opérationnels de nos armées. Ne réitérons pas les erreurs commises par le passé : tirons-en plutôt les enseignements qui s'imposent…
J’en arrive à ma quatrième série d’observations, qui concernera l’espace militaire.
La programmation prévoit de poursuivre les programmes déjà engagés : Musis, Syracuse, etc. C’est bien, mais demeure une grande absente dans ce projet de LPM : l’alerte spatiale. Cela pourrait nous coûter très cher !
Je le dis avec gravité : il faut être cohérent. On ne peut pas, à longueur de Livre blanc et de LPM, parler de « souveraineté nationale », d’« indépendance stratégique », insister sur l’importance de l’« autonomie d’appréciation », puis y renoncer pour quelques centaines de millions d’euros, faute de commander les équipements propres à atteindre ces objectifs.
Il importe vraiment que les Européens se réveillent et se mobilisent sur cette question cruciale. Il est inadmissible, inconcevable que l’Europe, et la France en particulier, soient incapables d’apprécier la situation par elles-mêmes et doivent s’en remettre à des images livrées par d’autres pour évaluer la gravité de la menace en Syrie, au Liban, en Irak ou en Iran.
Cela me conduit à ma dernière série d’observations.
Comme je l'ai dit, ce projet de loi de programmation est le moins mauvais possible dans le cadre budgétaire donné. Cependant, ce cadre budgétaire n’est peut-être pas le bon. Certes, il faut faire des choix, et c'est sur ses choix que, le moment venu, le Gouvernement sera jugé. Toutefois, il ne me semble pas que l’intérêt de notre pays soit de continuer à réduire inéluctablement l’effort de défense – effort qui descendra vraisemblablement en dessous de 1,3 % du PIB à l’horizon 2018 – et de continuer à faire des dépenses excessives que personne ne demandait. Je pense, en particulier, à la garantie universelle des loyers, aux contrats d'avenir – qui sont toujours d'avenir… –, au recrutement d'enseignants supplémentaires : ce sont des milliards d'euros qui manqueront cruellement à la défense de notre pays. Ou alors, soyons cohérents : si nous sommes incapables de nous donner les moyens de nos ambitions, réduisons nos ambitions à la hauteur de nos moyens.
Pour conclure, monsieur le ministre, nous attendons de ce débat des avancées concrètes sur la sincérité de la programmation de ce texte, très attendu par nos armées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées du groupe socialiste. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est l’une des grandes nations militaires du monde. Pour les experts du Pentagone, l’autre grande puissance militaire européenne, le Royaume-Uni, n’aurait pas été capable, seule, de projeter ses troupes sur les théâtres d’opérations de la Libye et du Mali comme l’a fait notre pays. Nous en sommes fiers, et à juste titre. Malgré les contraintes budgétaires, le Livre blanc et le projet de loi de programmation militaire qui en est issu sont l’expression de cette satisfaction.
Notre monde a changé depuis 1945, et surtout depuis 1989. Aujourd’hui, les risques et les menaces ne sont plus étatiques ou continentales. Nous n’affrontons plus l’Allemagne. Nous ne combattons plus le pacte de Varsovie. Dans le prolongement de l’action de vos proches prédécesseurs, monsieur le ministre, votre projet de LPM est la constatation que la construction européenne a contribué à pacifier notre continent et qu’il est inutile, en Europe, de préparer manœuvres et exercices dans l’hypothèse d’une invasion d’un pays voisin, comme la Suisse l’a pourtant fait…
Malgré cela, monsieur le ministre, l’Européen convaincu que je suis regrette que le projet de LPM laisse la défense européenne dans un angle mort.
Le xxie siècle voit l’émergence de grands ensembles continentaux et le retour à un réarmement généralisé des grands pays émergents, notamment dans la zone Asie-Pacifique, où l’Europe est présente par le biais des territoires français. Ce mouvement recoupe le désengagement relatif des États-Unis, encore puissance globale, de la scène européenne et moyen-orientale.
C’est à l’échelle de notre continent que doit se mesurer une défense adaptée au xxie siècle.
Le présent projet de loi de programmation militaire, qui manifeste cette absence d'ambition européenne, illustre les difficultés structurelles que nous rencontrons, en France, pour nous projeter dans ce grand projet fédéraliste. En effet, face à un monde qui change plus rapidement que nous, la France et ce projet de LPM restent prisonniers d’une logique westphalienne de la défense qui n’est pas à la mesure du monde qui se dessine sous nos yeux.
Dans un récent rapport d’information que j’ai commis avec quelques collègues de la commission des affaires étrangères, nous avons déclaré la mort clinique de la défense européenne pour en appeler à une véritable Europe de la défense. Les difficultés rencontrées sont historiques. Depuis 1954 et l’échec de la Communauté européenne de défense, la CED, il est apparu que la seule solution de défense européenne viable était celle définie dans le cadre de l’OTAN.
Ni l’Union de l’Europe occidentale ni la PESD – la politique européenne de sécurité et de défense – définie par le traité de Maastricht ne sont parvenues à donner à notre continent l’impulsion nécessaire à la construction d’une grande défense fédérale à l’échelle d’un monde globalisé.
Les inégalités militaires, la divergence des doctrines stratégiques et des intérêts nationaux entre États membres ont fortement réduit l’ambition défensive de l’Europe. Les forces européennes de défense sont soit des forces de police périphériques, soit des forces supplétives engagées dans des opérations pour le maintien de la paix.
Au-delà des missions de Petersberg en matière humanitaire ou de lutte contre le terrorisme ou la piraterie, nous n’avons pas de doctrine claire d’emploi des forces actuelles de la politique européenne de sécurité et de défense commune instaurée par le traité de Lisbonne.
Or, l’article 24 du traité sur l’Union européenne tel que modifié par le traité de Lisbonne stipule que les États membres s’engagent dans « la définition progressive d’une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune ».
À l’instar du rapport d’information de notre commission, du texte préparatoire de la Commission européenne du 27 juillet 2013 ou de la communication de Mme Ashton en date du 15 octobre dernier, je refuse de croire que la mutualisation des moyens suffise à concevoir une défense européenne.
Monsieur le ministre, nous avons besoin de gestes forts. Les sénateurs du groupe UDI-UC entendent que la France soit le fer de lance d’une impulsion politique, et non pas seulement économique et financière. Nous souhaitons que la France soutienne cette ambition à l’occasion du Conseil européen de décembre, qui, je le rappelle, sera presque intégralement dédié à la question de l’Europe de la défense.
C’est à la France, première puissance militaire d’Europe, de porter l'ambition politique de l’Europe de la défense. C’est à la France d’être le catalyseur et l’aiguillon de cette ambition. C'est à la France d'entraîner les peuples européens à prendre conscience d'eux-mêmes.
Quelle feuille de route comptez-vous dresser pour redéfinir les fondements d’une politique européenne de la défense ? Quels moyens entendez-vous mobiliser, et en fonction de quelle vision ? J’espère que le débat qui s’ouvre, que la discussion budgétaire qui suivra et le débat qui précédera le Conseil européen de décembre vous permettront, monsieur le ministre, de répondre à nos inquiétudes, car nous savons que ce sujet vous tient à cœur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Daniel Reiner applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Berthou.
M. Jacques Berthou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 tend à mettre en œuvre les orientations de la politique de défense française pour les six prochaines années.
Très attaché au maintien de nos capacités de défense, je me félicite, monsieur le ministre, que notre Gouvernement ait favorisé cet effort significatif : entre 2014 et 2019, ce sont 190 milliards d’euros courants, soit 179,2 milliards d’euros constants, qui seront alloués à la défense.
Conformément aux orientations fixées par le Président de la République, l’effort consacré par la nation à sa défense sera maintenu. En ces périodes de restrictions budgétaires, marquées par une situation financière difficile et un environnement stratégique incertain, il me semble que la clarté du choix opéré par l’exécutif mérite d’être saluée.
Cette voie nous permettra, à court et moyen terme, d’assurer à notre pays de tenir son rang sur la scène internationale, tout en garantissant la protection de sa population et la nécessaire modernisation de nos équipements.
Les dispositions du projet de loi de programmation militaire comportent deux volets : un volet programmatique, qui détermine les objectifs de la politique de défense –programmation financière, prévisions d’équipement et format futur de nos armées –, et un volet normatif.
Je m’intéresserai spécifiquement au volet normatif, qui traite du cadre juridique du renseignement, mais également de la cyberdéfense. Depuis de nombreux mois, je travaille avec notre collègue Jean-Marie Bockel sur les questions de cyberdéfense et je souhaite, une nouvelle fois, revenir sur la justesse des dispositions contenues aussi bien dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale que dans ce projet de loi.
Le développement continuel des nouvelles technologies de l’information et des communications a révolutionné le monde numérique. Aujourd’hui, ces technologies sont indispensables à la croissance de nos sociétés et occupent une place irremplaçable. Cela constitue un atout, mais également un danger, qu’il convient de considérer à sa juste mesure.
En effet, force est de constater que le développement continu des différents systèmes d’information et de communications n’a pas tenu compte de l’impérieuse nécessité de les protéger efficacement. Chaque jour, des millions d’attaques perturbent le fonctionnement des systèmes informatiques. Les États, les industriels, les acteurs de la recherche, les bureaux d’études et toutes les infrastructures du pays – voies ferrées, lignes électriques à très haute tension, pour ne citer que ces exemples – sont concernés.
Mais que dire du secteur de la défense ? Je ne passerai pas sous silence les attaques contre les systèmes d’information et de communications, les systèmes d’armes et l’informatique embarquée, ainsi que les plateformes de combat de notre système de défense. De telles attaques pourraient avoir des conséquences dramatiques pour notre pays, en mettant en cause notre sécurité nationale et notre souveraineté.
La lutte contre les cyberattaques est érigée en priorité nationale dans le Livre blanc et dans le présent projet de loi, comme en témoigne l’augmentation des moyens qui seront mis à la disposition de toute la chaîne de commandement interarmées et ministérielle, des groupes d’intervention rapide et du Centre d’analyse de lutte informatique défensive, le CALID, eux-mêmes en lien suivi avec l’ANSSI, instance proche de toutes les structures qui gèrent des activités de cyberdéfense et dont les effectifs seront accrus.
Pour parfaire ces dispositifs, notre système juridique évoluera et imposera des obligations d’information et des règles de bons usages aux opérateurs stratégiques.
J’ai la certitude, monsieur le ministre, que cette organisation, avec ses différentes entités, sera mieux à même de relever le défi de la cyberdéfense.
Évolution des formations, recours à des spécialistes en cyberdéfense, mais également appel, dans le cadre de la réserve citoyenne, à des réservistes spécialisés dans ce domaine seront des facteurs déterminants pour mener cette lutte qui doit se développer au plus vite.
En rappelant à nouveau tous les dangers liés aux cyber-attaques et en soulignant que beaucoup d’acteurs économiques n’ont pas encore pris conscience de l’importance des moyens qu’ils doivent mettre en œuvre pour se sécuriser sur ce plan, je formule le vœu, monsieur le ministre, que nous utilisions tous les moyens pour mieux informer, mieux sensibiliser les entreprises qui n’ont pas encore pris des dispositions, parfois élémentaires, pour se protéger, en dispensant nos préconisations au plus près des acteurs économiques.
J’ai l’intime conviction que, en renforçant les moyens consacrés à la lutte contre les cyberattaques, le Gouvernement combattra avec efficacité ce fléau mondial. C’est pour nous une raison supplémentaire, monsieur le ministre, de voter votre projet de loi de programmation militaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Depuis des semaines, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a beaucoup travaillé, avec votre aide, monsieur le ministre, et celle de nombreuses personnalités extérieures, sur le contenu de ce projet de loi de programmation militaire. Je bornerai mon intervention à sept observations.
Premièrement, le projet de loi de programmation militaire qui nous est soumis est le moins mauvais possible dans le contexte budgétaire donné.
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. C’est vrai !
M. Jacques Gautier. Je vous en donne volontiers acte, monsieur le ministre, il maintient les forces de dissuasion nucléaire et préserve la cohérence, stratégique mais aussi capacitaire, de notre format d’armée.
Deuxièmement, comme dans la précédente loi de programmation, la priorité est, dans l’intention au moins, donnée aux équipements. Il s’agit de constituer une armée moins nombreuse, plus réactive parce que mieux équipée, mais aussi mieux valorisée. C’est une priorité que les armées connaissent bien et, n’en déplaise aux uns et aux autres, c’est la même qu’en 2008 : dont acte également.
Troisièmement, tout cela ne vaut que sous réserve que la programmation soit exécutée à l’euro près, ce qui, je le rappelle, n’a jamais été le cas dans le passé.
Divers amendements émanant de sénateurs de notre commission ou d’autres tendent à garantir la bonne exécution budgétaire de la LPM, qu’il s’agisse du niveau des ressources exceptionnelles ou du maintien des crédits budgétaires en cas de non-exportation du Rafale, de dépassement de l’enveloppe destinée aux OPEX ou de reports de charges au titre de l’année 2013. Le président Carrère, toujours en pointe, en a longuement parlé ce matin. Je souscris pleinement à ces propositions, mais ne nous leurrons pas : chaque année, c’est la loi de finances, et elle seule, qui est le juge de paix.
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. Tout à fait !
M. Jacques Gautier. La commission a souhaité également que le Parlement se donne les moyens de contrôler l’application de cette programmation. J’y suis bien entendu, comme tous mes collègues, très favorable ; je n’y reviens pas. Tous ces éléments ont pesé sur la détermination de mon vote.
Quatrièmement, le prix à payer pour dégager des marges de manœuvre en faveur de l’équipement est élevé.
Il s’agit d’abord de la réduction du format, qui touche aussi bien les équipements que les effectifs. Je rappelle que nous considérions déjà ce format « juste insuffisant ». On se demande quels qualificatifs nous emploierons dans notre prochain rapport ! Cette réduction du format est rude en termes tant d’effectifs, dans l’armée de terre en particulier, que d’équipements : je pense aux avions de chasse. N’oublions jamais que la quantité compte aussi, monsieur le ministre.
De plus, les commandes de pièces de rechange et, plus encore, de munitions revêtent autant d’importance que celles d’avions, de bateaux, d’hélicoptères, de moyens terrestres. Cela est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit de bombes et de missiles, dont nous savons tous ici qu’ils sont longs à fabriquer : c’est un euphémisme ! De ce point de vue, le projet de LPM va trop loin dans la réduction des stocks de munitions. C’est pourquoi je proposerai, avec quelques collègues, un amendement visant à y remédier. Nous ne pouvons pas prendre la responsabilité d’envoyer des soldats au combat sans leur donner les moyens de combattre ! La satisfaction des besoins opérationnels de nos forces est essentielle !
Un autre vrai problème tient à l’étalement des programmes dans le temps et à la réduction des cibles. Nous le savons tous, cela se traduit mécaniquement par une explosion des coûts unitaires et une obsolescence native des derniers équipements livrés. Cela n’est pas satisfaisant. La seule voie, pour sortir de cette situation, est la coopération européenne. Comme beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, j’attends avec impatience des avancées concrètes et pragmatiques du sommet des chefs d’État et de Gouvernement européens qui se tiendra en décembre. Le Sénat, au travers de notre rapport, a ouvert des pistes que je crois porteuses d’avenir.
Cinquièmement, le cadre budgétaire tracé n’est pas le bon. Si tout se passe bien, l’effort de défense de la nation descendra en dessous de 1,5 % du PIB, pour atteindre 1,3 % en 2018. À ce niveau-là, il nous faudra renoncer à des capacités, ce qui sera particulièrement douloureux.
Sixièmement, devant cette diminution programmée de l’effort de défense, il est facile de polémiquer ou de se rejeter mutuellement la faute, mais cela ne fera pas avancer les choses. C’est pourquoi nous devons au contraire essayer de trouver ensemble des solutions, parce que c’est ensemble que nous aurons demain à répondre des choix qui seront faits aujourd’hui.
C’est pour cette raison que je crois profondément que la réflexion sur les questions de défense doit transcender les clivages partisans et que nous devons nous efforcer de rester unis à vos côtés, monsieur le ministre. Vous héritez des choix, bons ou mauvais, de vos prédécesseurs ; de la même façon, vos successeurs hériteront de vos choix et de nos choix. Aussi, je vous propose dès aujourd’hui d’élaborer des solutions pour desserrer cet étau budgétaire, au moins le temps nécessaire afin de retrouver une meilleure fortune.
Précisément – ce sera ma septième et dernière observation –, nous avons cette possibilité.
Monsieur le président Carrère, vous avez appelé à de multiples reprises à un maintien de l’effort de défense à hauteur de 1,5 % du PIB, et même à une remontée dès que possible à 2 % du PIB. Nous souscrivons tous sans réserve à cet objectif, mais je dis que cela est possible dès maintenant : il suffit de s’en donner les moyens, en cédant une vingtaine de milliards d’euros de participations publiques sur cinq ans. C’est ce que j’inviterai à faire, avec d’autres collègues, lors de la discussion des amendements. Nous pourrons ainsi, les uns et les autres, mettre nos actes en accord avec nos paroles. Cette proposition peut être mise en œuvre puisque nous savons que l’État dispose encore de plus de 75 milliards d’euros de participations dans des sociétés cotées, sans parler des sociétés de défense non cotées, telles que Nexter ou DCNS, qui valent ensemble plusieurs milliards d’euros.
Engager une telle démarche est nécessaire car les prérogatives de l’État, en matière de politique industrielle de défense, passent non plus par une participation au capital d’une entreprise, mais par la détention d’actions spécifiques : les fameuses golden shares. On sait que, de plus, la participation de l’État au capital entrave souvent tout rapprochement à l’échelon européen.
Le Gouvernement de Jean-Marc Ayrault s’est déjà engagé dans cette voie en vendant 2 milliards d’euros de participations, notamment en cédant 3 % du capital de Safran. Je propose qu’il continue, monsieur le ministre, et que le produit de ces cessions profite directement au budget de la mission Défense. Sinon, nous aurions les privatisations sans sauvegarde de la défense.
C’est en pensant aux hommes et aux femmes de la défense, à la préservation de nos capacités opérationnelles, à la sauvegarde de nos industries de défense et de leurs emplois, ainsi qu’au nécessaire soutien à notre recherche et technologie, que nous présenterons plusieurs amendements en ce sens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jeanny Lorgeoux.
M. Jeanny Lorgeoux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je le confesse, j’aurais aimé que le projet de loi de programmation militaire, au-delà de la nécessaire régulation budgétaire, consacre à l’Afrique une part plus importante.
L’Afrique offre en effet une profondeur stratégique et géopolitique incontestable. Elle reste l’espace où la France agit sur le monde, et pour le monde. Après la doctrine du « ni-ni » – ni ingérence ni indifférence – des années quatre-vingt-dix, qui a engagé la multilatéralisation, la régionalisation et l’africanisation des dispositifs de sécurité, ainsi que la renégociation de l’implantation des bases militaires et des accords de défense, l’on semblait s’acheminer vers un abandon des interventions – il y en avait eu trente et une en trente ans ! – et un éloignement inexorable du théâtre africain, à tous égards.
Mais les faits géopolitiques sont têtus : les guerres au Tchad et en République centrafricaine naguère, en Lybie et en Côte d’Ivoire hier, et présentement au Mali, démontrent sans conteste l’absence de capacité d’intervention européenne ou africaine rapide en cas d’extrême urgence. On peut, on doit le regretter, mais c’est un fait, et ce n’est pas en sautant comme un cabri et en chevrotant « Françafrique, Françafrique » que l’on jugulera le danger mortel du dénuement extrême, du trafic crapuleux et du terrorisme fanatique.
Il faut donc, à la faveur de cette nouvelle séquence de l’histoire pour la paix et la sécurité en Afrique, s’interroger sur le sens et l’organisation de notre présence militaire sur ce continent. Disons-le franchement : le maintien d’une présence pré-positionnée au sol est indispensable au regard de l’intensité des menaces d’AQMI et de Boko Haram et de la faiblesse actuelle des armées africaines.