compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Bel
Secrétaires :
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx,
Mme Marie-Noëlle Lienemann.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Accès au logement et urbanisme rénové
Discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (projet n° 851 [2012-2013], texte de la commission n° 66, rapport n° 65, avis nos 29, 44 et 79).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au moment de monter à cette tribune, je mesure la gravité du sujet qui nous occupe et l’importance du travail commun que nous devons poursuivre pour faire émerger le meilleur texte de loi possible.
Qui aujourd'hui peut nier l’état de tension de notre pays ? Les difficultés nous blessent et les peurs nous assaillent. La tentation du repli sur soi innerve chaque pan de notre vie sociale. À ceux qui pensent qu’il y aurait d’un côté une crise identitaire et de l’autre une crise sociale, je suis obligée de répondre que le mal qui vient naît de la conjonction de ces deux périls, et qu’il nous faut répondre aux deux aspects de la crise qui frappe notre pays si nous voulons – et je pense que cette volonté est partagée dans cet hémicycle – continuer à défendre ensemble les mêmes valeurs républicaines.
Ces valeurs sont attaquées non pas seulement par la montée des populismes, mais aussi par la dissolution de l’esprit de solidarité. C’est donc en ayant en tête que notre mission est la construction d’une République qui fait place à chacun que j’aborde notre débat. Faire France ensemble, voilà l’objectif. La cohésion sociale est bel et bien l’horizon de nos politiques publiques. Or chacun sait que les questions relatives à l’urbanisme et surtout au logement sont centrales dans la construction de la cohésion sociale.
Forte de cette conviction, j’ai l’honneur de défendre devant vous le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dit ALUR. Il vous appartient de tout faire pour donner à ce texte l’efficacité la plus grande ; je suis persuadée que vous vous y emploierez. J’ai pu mesurer l’intérêt du Sénat pour le sujet qui nous occupe. Je vous remercie d'ores et déjà du souci que vous avez manifesté pour la discussion qui s’ouvre. Ces remerciements, je ne les formule pas uniquement en mon nom propre, mais au nom d’une certaine idée de la République et de la défense de l’intérêt général.
Je le répète à dessein dans les mêmes termes que ceux que j’ai utilisés devant l’Assemblée nationale : ce qui est en jeu, en discussion, en gestation, c’est la situation de millions de femmes, d’hommes et d’enfants qui veulent pouvoir se loger et être logés dignement, de millions de femmes et d’hommes qui veulent mettre leur famille à l’abri des difficultés de l’existence. Je le dis paisiblement, mais avec solennité : nous avons un devoir de réussite.
En conséquence, je tiens à ce que chaque sénateur, chaque sénatrice mesure l’impérieuse nécessité de se départir des réflexes partisans traditionnels dans ce qu’ils ont de confortable mais aussi, parfois, de sclérosant. Nous ne sommes pas là pour mesurer nos capacités d’influence respectives ou nous écharper dans de vaines querelles, mais bel et bien pour construire l’outil législatif adapté à la situation d’urgence que traverse notre pays.
L’abandon des réflexes partisans est d’autant plus nécessaire que des tensions – tous les républicains les connaissent – pèsent actuellement sur le champ démocratique : la montée des extrémismes, phénomène puissant sur tout le continent européen, trouve dans notre pays une traduction particulière qui ne peut être combattue que si chacun, à la place qui est la sienne, s’attache à redonner à l’action publique ses lettres de noblesse. J’espère donc que le débat qui va nous animer sera de qualité.
M. Roland Courteau. Nous l’espérons aussi !
Mme Cécile Duflot, ministre. Quel est l’enjeu ? La réalité, c’est que notre pays est confronté à une fracture résidentielle d’une telle ampleur qu’elle constitue une bombe à retardement qu’il nous faut absolument désamorcer. Le projet de loi ALUR entend le faire, en rétablissant l’égalité d’accès au logement. Pour y parvenir, il fallait tourner le dos à une vision qui a trop longtemps eu cours, selon laquelle le marché pourrait, seul, parvenir à répondre aux besoins collectifs en matière de logement.
Nous avons souhaité ouvrir une voie nouvelle, adaptée à la violence de la crise vécue par nos concitoyens. Cette voie est fondée sur le volontarisme et la prise en compte de la complexité. Volontarisme, parce que l’État doit jouer un rôle de régulateur des excès du marché pour garantir à chacun la possibilité de se loger. Complexité, parce qu’il est impératif que les enjeux économiques, sociaux, écologiques et, au final, civiques soient embrassés d’un même mouvement, pour qu’une politique publique du logement soit efficiente. C’est l’esprit et la lettre du texte en discussion.
Le moteur du projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui se résume en un objectif : favoriser l’accès au logement pour tous. De ce « tous », nul ne doit être exclu, et surtout pas les plus précaires, qui sont frappés de plein fouet par la crise du logement. Si vous le permettez, je citerai des mots anciens de l’Abbé Pierre : « Quand la loi est ainsi faite que, pour les travailleurs, avec leur salaire légal, il est impossible d’avoir un logis pour abriter humainement un foyer, un berceau, ce n’est pas d’entreprendre une construction sans permis, c’est la loi qui est illégale ».
La logique qui a largement prévalu ces dernières années reposait sur la croyance qu’il suffisait de laisser le marché agir pour régler la crise. C’était une funeste illusion que de croire que le laisser-faire pouvait offrir des garanties d’accès au logement, d’équité et de cohésion sociale. Notre projet de loi tire les leçons de l’expérience et propose une autre voie : celle de la détermination et de l’action régulatrice de la puissance publique. Notre texte marque ainsi une rupture salutaire et rétablit le logement à sa juste place : il s’agit d’un bien de première nécessité.
Le projet de loi concrétise d’abord un engagement du Président de la République, à travers l’encadrement des loyers. Le bon sens, qui n’est le monopole d’aucune formation politique, commande de bien saisir l’urgente nécessité d’une telle démarche. Cette mesure repose avant tout sur un constat unanime : dans certaines zones, les loyers ont augmenté deux fois plus vite que l’indice des prix, ce qui a provoqué un véritable décrochage avec le niveau de revenu. Les locataires du parc locatif privé supportent les taux d’effort les plus élevés. Il faut noter que, en 2010, ils dépensaient en moyenne plus de 26 % de leurs revenus pour se loger ; les dépenses de logement de certains d’entre eux représentaient jusqu’à 40 % ou même 50 % de leurs revenus. Cette situation n’est pas soutenable. Elle n’est pas non plus acceptable.
À travers le dispositif proposé, nous avons souhaité, avec pragmatisme et réalisme, limiter les excès sans pour autant entrer dans une logique de prix administrés. L’examen du texte par l’Assemblée nationale et par la commission des affaires économiques du Sénat a renforcé notre mécanisme, le rendant à la fois plus lisible et plus efficace, notamment en fixant un seuil au loyer médian minoré.
Pour s’assurer que l’encadrement des loyers profite aux plus modestes, nous avons précisé que la fixation des loyers médians de référence s’opérerait au niveau des loyers au mètre carré. Ce sont en effet les ménages les plus défavorisés qui paient les loyers au mètre carré les plus élevés, puisqu’ils vivent dans des logements de plus petite superficie. Votre commission s’est saisie du sujet en affirmant que les caractéristiques du complément de loyer seraient exceptionnelles.
Les avancées issues du débat parlementaire sont donc importantes, et je pense que nous devons poursuivre cette dynamique et ce dialogue. C’est ensemble que nous aboutirons à un dispositif fonctionnel et pérenne qui pourra répondre aux attentes légitimes de nos concitoyens.
Une autre mesure du projet de loi est particulièrement représentative de notre volontarisme : je veux parler de la garantie universelle des loyers, la GUL. Cette garantie universelle porte l’ambition d’ouvrir, à terme, un nouvel âge de la recherche de logement. Cette ambition n’est pas vaine. Le parcours du combattant que décrivent des centaines de milliers de personnes désireuses de se loger dignement doit trouver un terme.
Si nous lui donnons vie, la GUL permettra d’apaiser les relations entre propriétaires et locataires, en les protégeant contre les coups durs de l’existence, dont nul n’est à l’abri : le locataire ne sera plus laissé seul s’il est frappé par un drame de la vie, et le propriétaire ne sera plus démuni face à l’impayé. Un tiers prendra en charge à la fois le risque et la responsabilité. Cette fonction sera assurée par des professionnels, dont l’intervention sera agréée par un cahier des charges et régulée.
Il est essentiel d’adopter cette mesure, qui, je le pense, est une mesure de concorde et, je pèse mes mots, de progrès social. En effet, la première injustice en matière de logement n’est-elle pas de s’en voir refuser l’accès ou d’être obligé de produire des preuves exorbitantes de solvabilité ? Nous devons faire reculer l’angoisse face au sentiment d’arbitraire. Les jeunes, les précaires, les familles monoparentales, les personnes âgées, et en particulier les femmes disposant d’une très faible retraite, ou encore les personnes que leur origine, leur couleur de peau ou leur patronyme expose à la discrimination, sont autant de catégories de population qui désirent sortir de cette angoisse.
La GUL permettra de lutter contre toutes les discriminations à l’entrée du logement en recréant les conditions de la confiance. Avec la GUL, les propriétaires et les locataires seront accompagnés : les propriétaires seront indemnisés, se verront proposer un plan d’apurement réaliste pour garantir leurs revenus, plus souvent modestes qu’on ne le dit, et recevront, s’il y a lieu, l’assistance nécessaire pour faire face à un locataire de mauvaise foi ; aux locataires de bonne foi, on offrira la main tendue dont chacun peut avoir besoin, et on proposera l’accompagnement nécessaire dans leur recherche d’un nouveau logement.
La GUL sera un outil nouveau au service de la détection et de la prévention des situations d’urgence sociale avant que la spirale de la dette devienne infernale. C’est pourquoi, lorsque nous avons réfléchi à la mise en place de la caution solidaire pour les jeunes promise par le Président de la République, il est vite apparu que la seule solution était de mutualiser les risques sur la base la plus large, c'est-à-dire sur l’ensemble du parc locatif privé, que pour répondre aux préoccupations de la jeunesse, il fallait répondre aux préoccupations de tous.
Cette solution ne tombe pas du ciel : elle est le fruit de plusieurs années de réflexion et d’engagements de la part de parlementaires mais aussi de ministres. Elle avait également été recommandée par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, en 2010, pour faire cesser les discriminations dans le secteur du logement au cas où la garantie des risques locatifs, la GRL, ne réussirait pas.
On entend ici et là poindre l’argument selon lequel les locataires se trouveraient déresponsabilisés, absous par avance de leurs impayés. Non, naturellement ! C’est même l’inverse que permet la GUL. Les locataires de mauvaise foi, qui ne sont pas très nombreux, seront redevables vis-à-vis d’un système organisé et protecteur des propriétaires. Au propriétaire démuni face à l’impayé se substituera le relais de professionnels de l’accompagnement du locataire et du recouvrement, ce qui permettra de recouvrer efficacement l’impayé en limitant l’extension indéfinie de la dette de locataires qu’on laisse s’enfoncer.
Cela signifie-t-il que le Gouvernement veut créer une nouvelle administration ?
M. Philippe Dallier. Oui !
Mme Cécile Duflot, ministre. En aucun cas. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, pour mettre en œuvre cette mission nouvelle d’indemnisation et de prévention, le Gouvernement s’appuiera sur un système public et privé, car, dans cette matière, ceux qui savent faire ne sont pas nécessairement des agents publics. (M. Philippe Dallier s’exclame.)
Vous l’aurez compris, la GUL est une avancée législative majeure, parce qu’elle défend des principes de justice et les ancre dans la réalité de la vie quotidienne. Je postule que, dans quelques années, cette mesure qui suscite aujourd’hui des débats fera partie de notre patrimoine de droits républicains précieux. C’est à vous, comme chaque fois que la République fait progresser certains droits, qu’il revient d’accomplir ce pas en avant.
Je le répète, favoriser l’accès au logement pour tous est l’objectif de ce projet de loi. À cet égard, je tiens à mettre en exergue devant vous deux enjeux essentiels auxquels tend à s’attaquer le projet de loi : l’orientation de la politique d’hébergement vers le logement, d’une part, et la prévention des expulsions, d’autre part. Je suis ici parfaitement lucide : ces dispositions n’auront rien de magique ni d’instantané. Elles n’en sont pas moins capitales.
En effet, depuis trop longtemps, les secteurs de l’hébergement et du logement fonctionnent comme deux ensembles distincts, deux mondes étrangers qui ne communiquent pas ou du moins pas assez. Or cette séparation condamne les personnes les plus en difficulté qui n’ont pour quotidien que des aller et retour entre la rue et les centres d’hébergement. Les mesures du projet de loi consacrées aux services intégrés d’accueil et d’orientation et aux plans départementaux d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées ont le mérite de construire les ponts pour rapprocher ces secteurs. L’hébergement est un moyen, lorsqu’il est nécessaire, mais le logement demeure l’objectif primordial, assorti d’un accompagnement adapté aux personnes qui ont besoin d’un soutien avant d’être à même de vivre de manière autonome.
Une articulation plus fine entre ces mondes de l’hébergement et du logement permettra, j’en suis convaincue, de favoriser l’accès et l’insertion durable dans un logement digne et adapté des personnes les plus démunies.
Le second enjeu que je mentionnais est celui de la prévention des expulsions. Améliorer les dispositions en la matière signifie contribuer à enrayer la mécanique de l’exclusion et agir pour anticiper les ruptures.
En période de crise, cette réalité se pose avec d’autant plus d’acuité. Le chemin qui mène à l’expulsion n’est pas si long, le décrochage peut être brutal et pousser n’importe quelle personne, fragilisée par la vie pour une raison ou une autre, dans la rue ou vers des solutions très précaires d’hébergement. La perte du logement est souvent synonyme de fêlure, de brisure des liens sociaux et même familiaux. C’est un effondrement, une humiliation, une blessure terrible pour celle ou celui qui la subit.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Cécile Duflot, ministre. Améliorer la prévention des expulsions, c’est tout faire pour que les ménages puissent se maintenir dans leur logement. J’étais très attachée à ce que le projet de loi contienne des mesures visant à traiter les impayés le plus en amont possible et à renforcer le rôle des instances chargées de coordonner la prévention des expulsions.
Mais je tiens à souligner combien le travail parlementaire a permis de renforcer ce volet : le signalement obligatoire des impayés à la CCAPEX, la Commission départementale de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, a été élargi ; les possibilités du juge d’accorder des délais aux ménages en impayés ont été accrues ; le maintien des aides personnelles au logement pour les allocataires de bonne foi a été inscrit dans le projet de loi. Je me réjouis de savoir que nombre d’entre vous partagent ma volonté de poursuivre la réflexion sur ce sujet et que nous aurons ainsi l’occasion d’en débattre et d’approfondir le texte dans cet hémicycle.
Enfin, le projet de loi ALUR prévoit aussi de développer, sur des bases plus larges, la participation des personnes en situation de pauvreté et de précarité à l’élaboration et au suivi des politiques publiques. Promouvoir des méthodes de coconstruction et d’évaluation participatives, c’est assumer que la meilleure appréciation du bien-fondé d’une politique émane de celles et ceux qui en vivent les effets.
Mesdames, messieurs les sénateurs, mon intervention n’aurait pas tout son sens si je n’abordais pas la question de la construction de logements.
La nécessité de développer l’offre de logements pour lutter contre la crise du logement nous engage toutes et tous, chacun dans nos responsabilités.
La responsabilité du Gouvernement, c’est de conduire la politique de la nation. Pour ce faire, nous avons choisi de faire confiance à la démocratie, d’être attentifs aux femmes et aux hommes de notre pays plutôt qu’à la seule rentabilité financière.
En tant que ministre du logement, je ne peux me satisfaire de la manière dont le marché du logement fonctionne aujourd’hui, de son blocage, de l’exclusion qu’il produit. Quand je dis que le logement est un bien de première nécessité, je veux vous rappeler à quel point il conditionne tout le reste, la scolarité des enfants comme l’accès à l’emploi. Que l’on ne s’y trompe pas : bien plus que de parcours résidentiel, on parle de trajectoire de vies, de vies tout simplement !
La responsabilité du législateur, c’est de voter la loi et de déterminer les règles qui vont permettre d’organiser la société. En matière de logement, force est de constater, et j’y reviendrai, que ces règles ne sont pas satisfaisantes. S’agissant des politiques foncières, d’urbanisme ou d’aménagement, la loi définit les outils qui seront à la disposition des élus locaux pour organiser le fonctionnement du territoire dont ils ont la responsabilité.
La responsabilité des élus locaux, de nos villes comme de nos campagnes, c’est de se saisir de ces outils au service d’un projet pour leur territoire, dans le respect de la loi.
Pour résoudre la crise du logement, il faut que chacun soit tourné vers cet objectif, contribue à lever les difficultés, les blocages, et mette à disposition les moyens nécessaires.
L’État doit en prendre sa part, et il l’a fait, en mobilisant le foncier public susceptible d’accueillir des projets de logement.
Grâce aux premières ordonnances publiées depuis le mois de juillet 2013, le Gouvernement a créé les conditions les plus favorables à une relance de la construction, celles qui permettront de lever les freins et les contraintes techniques qui font qu’un projet ne se fait pas, non pas parce qu’il est mauvais, mais parce qu’il est singulier, ponctuel et doit être fait sur mesure.
Au-delà de ces dispositions d’urgence, nous vous proposons d’adopter des mesures structurelles. L’orientation de ce gouvernement, que je suis fière de porter, consiste à affronter les questions qui se posent, avec détermination, courage et fermeté.
Rendre possible ce qui n’est aujourd’hui que souhaitable, c’est affronter la question de la préservation des terres agricoles et des terres naturelles.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Cécile Duflot, ministre. On ne peut plus faire ou laisser faire ce que chacun reconnaît comme une fuite en avant, c’est-à-dire continuer de consommer des terres naturelles et agricoles de manière inconséquente au rythme où nous le faisons, rendant plus difficile encore, chaque jour, l’installation de jeunes agriculteurs.
M. René Vandierendonck, rapporteur pour avis de la commission des lois. C’est vrai !
Mme Cécile Duflot, ministre. Pour lutter efficacement contre l’étalement urbain, il faut non seulement définir une politique de maîtrise et d’anticipation foncière intelligente, mais aussi donner aux élus les moyens de cette politique.
Les communes et les intercommunalités doivent disposer de l’ingénierie foncière la plus efficace possible pour répondre aux besoins spécifiques de chaque territoire, ce qui veut dire avoir des moyens qui leur permettront au mieux de concrétiser leurs stratégies de développement et de mettre en œuvre des projets de réhabilitation de leurs centres anciens et des projets d’aménagement résolument tournés vers l’avenir.
C’est la raison pour laquelle je souhaite que les opérateurs fonciers se développent, qu’il s’agisse d’établissements publics fonciers d’État ou d’établissements publics fonciers locaux, les uns comme les autres étant au service des territoires. La différence entre les deux ? C’est que l’État, au nom de l’égalité des territoires et de l’intérêt général, ait la capacité d’intervenir quand la volonté ou les moyens sont défaillants. L’État intervient pour garantir le respect des orientations stratégiques qu’il fixe et qui visent, par exemple, à ce que l’opérateur foncier dont il assure la tutelle permette aux collectivités en situation de carence d’optimiser la ressource foncière pour respecter la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, la loi SRU. En revanche, là où des établissements fonciers publics locaux existent et remplissent déjà leur mission de façon satisfaisante, le projet de loi vient conforter leur mission et étayer leurs outils.
En portant le projet de loi ALUR, je vous présente aujourd’hui un droit de l’urbanisme rénové, un régime de planification réformé et résolument tourné vers la transition écologique des territoires.
Je veux remettre au cœur de l’objectif de la construction de logements la question de l’aménagement du territoire. Trop longtemps, on a refusé de voir que l’urbanisme est un enjeu politique qui se trouve aux confluents de la question de la géographie sociale, de la question environnementale, des questions économiques et de la question sociale. L’urbanisme, c’est l’espace vécu, ressenti, et parfois subi.
Ces dernières années, par choix ou par renoncement, les ménages se sont essentiellement tournés vers la périphérie des villes. Aujourd’hui, ce sont plus de 80 % de la population et des emplois qui trouvent place dans l’espace périurbain. Or, nous le savons, malheureusement, la périurbanisation est synonyme de consommation excessive de nos espaces naturels.
Pourtant, l’urbanisation galopante et la concentration de nos cités ne sont pas une fatalité.
Un autre modèle urbain est indispensable, mais il ne pourra émerger sans un changement d’approche. Tirons les leçons de l’intelligence écologique accumulée depuis de longues années : rien de ce qui détruit indûment des espaces naturels ne saurait être considéré comme durablement profitable à l’intérêt général.
Nos terres naturelles, forestières et agricoles doivent être préservées ; elles sont devenues un bien précieux qui nécessite d’être protégé, un bien commun dont la préservation constitue un devoir républicain à part entière.
Il est temps de mettre un terme à l’artificialisation des sols. Là encore, je fais confiance aux élus pour qu’ils définissent les conditions de constructibilité sur leur territoire au travers de documents de planification. En revanche, il faut mettre un terme à la logique des dérogations partielles, au coup par coup, qui sont le contraire d’une politique durable en la matière. La constructibilité limitée en l’absence de document d’urbanisme est avant tout une invitation aux élus à se doter de documents d’urbanisme et à faire le choix d’exercer pleinement leurs compétences en se dotant d’un outil de planification.
Nous devons être ambitieux en engageant une mutation de notre habitat au sens large, c’est-à-dire de nos quartiers, de nos villes, de nos territoires.
Le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové donne à voir une façon nouvelle de penser, de fabriquer, et, au final, d’habiter la ville. Bien sûr, il s’agit d’une vision à long terme. Le tournant écologique ne se réalisera pas en un jour, mais je prends ma part de cet aggiornamento dans le champ ministériel dont j’ai la charge : la ville durable verra le jour !
Elle dépendra largement de nos stratégies de développement mises en œuvre à travers les politiques d’aménagement et d’urbanisme et de notre capacité à construire plus tout en construisant mieux, c’est-à-dire là où sont les besoins.
Les documents de planification seront demain plus que jamais essentiels à cette démarche de transition écologique des territoires à laquelle nous travaillons. C’est pourquoi ils doivent gagner en sécurité juridique, en lisibilité, et remplir les objectifs qui leur sont assignés à chaque échelle du territoire.
C’est dans ce sens que sera renforcé le schéma de cohérence territoriale, le SCOT. Il assurera, demain, l’intégration de l’ensemble des politiques d’aménagement à l’échelle du bassin de vie. Le plan local d’urbanisme, le PLU, quant à lui, traduira les objectifs du SCOT au niveau opérationnel.
Si le SCOT définit des espaces naturels à préserver, le PLU organise leur protection jusqu’à l’échelle la plus fine, celle des parcelles, en classant les espaces boisés, en adaptant le zonage et son dispositif réglementaire, en formulant des orientations d’aménagement et de programmation spécifiques, ou encore en organisant la maîtrise de l’étalement urbain par la densification des zones déjà bâties.
Cette organisation spatiale de nos territoires sera d’autant plus pertinente qu’elle aura associé à son élaboration l’ensemble des communes à l’échelle intercommunale.
Vous le savez, car cette discussion a eu lieu ici déjà plusieurs fois, je suis convaincue que l’aménagement durable passe par l’élaboration de documents d’urbanisme à l’échelle intercommunale. Je connais, pour les avoir entendues, les réserves qui se sont exprimées sur certaines travées de cet hémicycle et je souhaiterais ici y répondre, en espérant vous convaincre.
M. Gérard Cornu. Ce n’est pas possible !
M. François Grosdidier. N’importe quoi !
M. Gérard Cornu. Laissez la liberté aux maires !
M. Marc Daunis. Mais c’est bien le cas !
Mme Cécile Duflot, ministre. L’élaboration à l’échelle intercommunale, par la mutualisation des moyens et des compétences qu’elle permet, exprime et incarne la solidarité entre les territoires que nous appelons de nos vœux.
M. Charles Revet. C’est vraiment méconnaître le terrain !
Mme Cécile Duflot, ministre. L’efficacité d’abord. Nous le savons, les Français ne travaillent plus là où ils vivent. Il s’agit donc de se doter d’une politique qui, au plus près des territoires, met en cohérence les politiques de l’aménagement, du logement et de l’urbanisme choisies et décidées par les élus. L’intercommunalité vise à coordonner…
M. François Grosdidier. En dépossédant les communes !
Mme Cécile Duflot, ministre. … et non pas à se substituer à l’action des communes.
La mutualisation des moyens ensuite. À l’heure où l’état des finances publiques, au niveau local comme national, exige de nous une plus grande efficacité, cela doit nous permettre de mettre en commun les savoir-faire, de favoriser la rencontre des ingénieries et des expertises, de choisir l’intelligence commune.
La solidarité enfin. C’est le meilleur niveau pour que s’exprime une véritable solidarité entre les collectivités, chose à laquelle je suis particulièrement sensible en tant que ministre de l’égalité des territoires.