M. Jean-Pierre Caffet. Bien évidemment... Alors laissons-les vivre (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.), mais ne l’inscrivons pas dans la loi !
M. Jean-Claude Lenoir. M. Longuet a convaincu les socialistes !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. M. Longuet nous a longuement parlé du régime par capitalisation.
Mme Laurence Cohen. Je tiens à porter une information à votre connaissance : 4,5 % du montant total des cotisations sociales sont détournés vers la capitalisation au détriment de la sécurité sociale, soit la bagatelle de 10 milliards d’euros de pertes...
Poursuivons sur le régime par capitalisation, puisqu’il ne faut pas bouder un débat lorsqu’il est intéressant. Les banques n’ont pas confiance dans la capitalisation, car c’est un système à cotisations définies.
M. Jean-François Husson. C’est ce que vous avez voulu !
Mme Laurence Cohen. Si elles avaient confiance dans ce système, elles proposeraient des systèmes à prestations définies. Or tel n’est pas le cas. Les banques font donc supporter les risques uniquement aux assurés, tandis qu’elles n’en prennent aucun.
M. Jean-François Husson. Pas sur les retraites, c’est faux !
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote.
M. Claude Domeizel. Je m’étais promis de ne pas intervenir sur ce type d’amendements, car ils n’apportent en général pas grand-chose. Mais, en l’occurrence, je me sens non pas obligé,...
M. Claude Domeizel. ... mais tenu d’apporter mon concours.
Lorsque notre système de retraite par répartition a été créé à la Libération, il était fondé sur deux principes, l’un dépendant de l’autre : la solidarité, qui est le plus important, et l’obligation,...
M. Claude Domeizel. ... principe lié au précédent.
L’alinéa 4 de l’article 1er concerne les systèmes de retraite « obligatoires », un mot que, selon moi, il aurait fallu écrire dans la loi. Cet article dispose toutefois que le choix de la retraite par répartition est « au cœur du pacte social qui unit les générations entre elles », ce qui signifie bien que ce régime est obligatoire.
Les auteurs de ces deux amendements adoptent deux points de vue complètement opposés. Ils ne prennent pas en compte ce caractère obligatoire, et s’éloignent donc du sujet qui nous intéresse dans cet alinéa.
En ce qui concerne le choix entre la répartition ou la capitalisation, chacun a raconté son histoire à sa façon. La capitalisation n’est pas un gros mot. Ce système a été employé – je l’ai dit dans mon intervention lors de la discussion générale – avant même le fonctionnement par répartition. Vous seriez surpris de constater qu’à la création du système par répartition, à la Libération, le sujet a été l’objet d’un débat intense et très difficile, parce que la capitalisation comptait des partisans, parmi lesquels la SFIO, la CGT et les mineurs.
Pourquoi les mineurs étaient-ils favorables à un système par capitalisation ? Parce qu’ils disposaient déjà d’un régime de retraite, fonctionnant par capitalisation, auquel ils tenaient. Les mineurs ont accepté le système par répartition et renoncé à la capitalisation, car ils ont obtenu en contrepartie que le régime ne soit pas unique.
M. Claude Domeizel. Je tenais à faire ce rappel, parce que le souvenir de ces débats m’a été transmis au cours de conversations autour de la table familiale.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Nous sommes vraiment dans le vif du sujet et tous les éléments historiques abordés par nos collègues sont tout à fait intéressants. Il résulte de cette discussion qu’il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
Par cet amendement, nous vous proposons quelque chose de très simple : « Le système de retraite français est composé des régimes de base obligatoires par répartition, » – c’est une affirmation incontestable, largement partagée sur toutes nos travées –, « des régimes de retraite complémentaire obligatoire » – que l’on ne peut pas remettre en cause – « et, le cas échéant, des régimes par capitalisation à travers notamment l’épargne retraite collective ou individuelle ».
Nos concitoyens ont besoin de transparence et de confiance. Ce n’est pas le signe que vous leur donnez, madame le ministre, d’autant plus que la stabilité fiscale est régulièrement remise en cause par des mesures rétroactives portant sur ces placements. C’est dangereux, et cela effraie nos concitoyens.
Il est important, à travers cet article 1er et les objectifs qui y sont définis, de rappeler les efforts qu’ont faits certains et les garanties qu’ils doivent obtenir pour avoir une retraite décente.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Quand on entend nos collègues de l’UMP, je réalise que l’on a beau chasser le naturel, il revient au galop. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
J’accepte que l’on m’explique l’histoire des régimes de retraite, mais, en tout cas, la position de la gauche depuis la Libération est constante : nous sommes défavorables à un régime de capitalisation, fût-il marginal. Nous soutenons un régime par répartition, ce qui ne signifie pas que les Français ne placeront pas leurs économies, afin de mettre du beurre dans les épinards au moment de leur retraite. De tels placements ont toujours existé, mais ne correspondent en rien à la mise place d’un régime par capitalisation.
Quand une part de capitalisation vient compléter un régime par répartition, elle finit par le remplacer. Ceux qui doivent contribuer fortement trouvent en effet illégitime de payer pour les autres, puisqu’ils peuvent placer leur argent, ce qui leur apporte un rendement supérieur. Tous les exemples de système mixte ont fini par basculer vers des régimes où la part de capitalisation était majoritaire.
M. Jean-François Husson. Interdisez la capitalisation ! Allez au bout de votre pensée !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. La seule chose qui a freiné cette dynamique, et qui vous a amenés à plus de modération, c’est la crise financière. Dans les autres pays, tous ceux qui avaient des retraites par capitalisation se sont effectivement retrouvés dépouillés. Vous êtes d’un seul coup plus nuancés, mais dès que la financiarisation repartira de l’avant, vous serez de nouveau pour la capitalisation.
Lorsque la retraite fonctionne par capitalisation, le système s’oriente fondamentalement vers la recherche d’un rendement élevé du capital, ce que l’on constate avec l’arrivée de fonds de pension en France. Il faut alors légitimer ce rendement maximal du capital au détriment du travail, au nom de la capitalisation. Pour financer les retraites de nos anciens, il faut exploiter les travailleurs d’aujourd’hui, afin que le prélèvement capitalistique soit supérieur au prélèvement sur le travail.
Lorsque le financement des retraites repose sur d’autres critères que la seule capitalisation, le système prélève des fonds sur l’ensemble des richesses produites par la nation, en particulier le travail – qui doit être mieux rémunéré –, pour financer les retraites. Il existe donc, de fait, une solidarité intergénérationnelle entre salariés et retraités. Les travailleurs en activité n’ont pas à subir un prélèvement plus important, afin d’assurer la rémunération du capital qui permet de verser leurs retraites aux anciens salariés.
Ce système est donc fondamental dans notre République depuis la Libération. La gauche et le parti socialiste sont hostiles à toute évolution vers un fonctionnement par capitalisation. Les dispositifs de capitalisation existants ne doivent pas être développés ni bénéficier d’aides fiscales. S’il n’est pas facile de revenir en arrière, il faut se garder de permettre le développement de la capitalisation, qui représente un danger mortel pour la répartition. Je voterai évidemment contre l’amendement proposé par M. Longuet. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je voudrais m’inscrire dans la continuité de ce que vient de dire Mme Lienemann, à travers deux remarques.
Premièrement, un certain nombre de pays d’Europe centrale, ayant mis en place une part de capitalisation dans leurs retraites, comme vous le suggérez par cet amendement, reviennent sur ces réformes pour une raison simple : lorsque les ressources sont insuffisantes pour financer la part du système fonctionnant par répartition, les déficits publics se creusent au profit des citoyens bénéficiant d’un régime par capitalisation. Par conséquent, la capitalisation aggrave les déficits publics.
Deuxièmement, comment qualifier une société qui, au lieu d’appeler à la solidarité, dirait aux citoyens que le travail de toute une vie ne permet pas d’avoir le droit à une retraite décente ? Comment appeler une société où il faudrait que chacun pense à sa propre retraite en la constituant seul, sans compter sur la solidarité ? Il ne s’agirait plus réellement d’une société.
M. Jean-François Husson. C’est de la caricature !
M. Jean-Yves Leconte. Si vous croyez à la valeur travail et à la solidarité, il faut absolument garder le fonctionnement par répartition, en l’affirmant clairement et précisément. Faire un tel choix témoigne que l’on croit à la valeur travail et que le travail fait progresser la société, pour assurer qu’à la fin d’une vie de travail le système sera capable de verser des retraites. On se refuse alors de dire aux travailleurs qu’ils doivent faire des économies chacun de leur côté, parce que la société ne leur garantit rien.
Quelle société voulez-vous finalement construire ? Une société solidaire ou une société égoïste ? Croyez-vous à la valeur travail ? Si tel est le cas, il faut reconnaître que le travail enrichit la société, permet la solidarité, et qu’il faut donc opter pour le système par répartition ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. L’amendement n° 11 rectifié bis, présenté par Mmes Lienemann et Claireaux et M. Rainaud, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il garantit à chaque génération un âge de départ offrant une durée de retraite au moins égale à la moitié de la durée de l’activité professionnelle.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. J’aurai l’occasion de le rappeler, je ne suis pas favorable à l’allongement de la durée des cotisations. J’ai déposé des amendements en ce sens, car j’y suis hostile depuis toujours.
Je rappelle à mes collègues que, dans l’opposition, je prends des orientations que j’estime réalisables par la gauche, une fois au pouvoir. Je formule donc toujours les mêmes critiques sur les réformes faites par MM. Balladur, Juppé, Raffarin et Fillon. Elles n’ont pas résolu les problèmes, ont accru les inégalités et affaibli les retraités. Je garde la même analyse.
M. Jean-François Husson. Remettez tout en cause ! Allez jusqu’au bout !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je reste fidèle à ce que j’ai toujours voté, conformément à mon opposition aux allégements de cotisations sociales, surtout dans un contexte de chômage massif des jeunes. Indépendamment de mon hostilité, je crains que cette mesure ne soit mise en place.
À l’instar de ce qu’a proposé mon collègue Jean-Marc Germain à l’Assemblée nationale, je pense qu’il faut prévoir un garde-fou pour le futur. Chaque génération doit avoir un âge de départ offrant une durée de retraite au moins égale à la moitié de la durée de l’activité professionnelle.
Vous me ferez la même réponse qu’à mon collègue Jean-Marc Germain, madame la ministre, en m’objectant que ce ratio est actuellement respecté en moyenne. Il faut néanmoins l’inscrire dans le texte de l’article 1er du projet de loi, parce que nous y fixons le cadre de notre régime de retraite et que, pour plusieurs raisons, ce qui est vérifié aujourd’hui ne le sera plus nécessairement demain.
Premièrement, en neuf ans, de 2001 à 2010, l’âge moyen de départ en retraite s’est élevé de deux ans. Dans la même période, nous n’avons pas tous gagné deux années d’espérance de vie. Un décalage se creuse donc entre l’allongement de l’espérance de vie et celui de la durée de l’activité professionnelle. Il s’agit d’un risque majeur : les textes proposaient d’affecter les deux tiers de l’allongement de l’espérance de vie à la durée de l’activité professionnelle contre un tiers seulement à la durée de retraite. A minima, il faudrait que 50 % de cette augmentation se traduise dans la durée de retraite.
J’ai l’impression que l’on découvre seulement maintenant une tendance pourtant séculaire. Depuis que l’humanité existe, on vit plus longtemps, et on travaille moins longtemps ! C’est le progrès humain ! Je ne vois pas pourquoi en 2009, 2010, 2011 ou 2014, il faudrait soudainement inverser cette donne, à rebours des positions historiques de la gauche. Cette dernière n’a jamais allongé ni la durée de cotisation ni le temps de travail. Pour résumer, les années de vie gagnées sont essentiellement consacrées au travail. Quel progrès !
Deuxièmement, la durée de vie moyenne diminue dans certains pays. Contrairement à une opinion répandue, plus la durée de l’activité professionnelle est longue, plus l’espérance de vie baisse. De surcroît, il faut prendre en compte que l’on vivra moins longtemps en bonne santé. J’évoquerai le sujet au moment de la discussion de l’article 2.
Comme l’espérance de vie risque de baisser et que la durée de cotisations devrait s’accroître, à long terme, une divergence entre la durée de l’activité professionnelle et la durée de retraite pourrait se faire jour.
Troisièmement, la durée de la vie active des jeunes est menacée. Effectivement, depuis les années 2008-2009, concomitamment à la montée en flèche du travail des seniors, le taux d’activité des autres actifs, et surtout des jeunes, baisse.
En conclusion, puisque nous serons obligés de travailler plus longtemps, le temps passé à la retraite sera proportionnellement grignoté par le temps passé au travail.
Personnellement, je me contenterai de la suppression de l’article 2. Dans la mesure où, selon moi, le projet de loi risque tout de même de conserver les dispositions relatives à l’allongement de la durée de cotisation, il est nécessaire, par précaution, de mettre en place le cliquet évoqué : la durée moyenne de la retraite doit être au moins égale à la moitié de la durée de l’activité professionnelle.
M. Jean-François Husson. Cela ne veut rien dire !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Christiane Demontès, rapporteur. Madame Lienemann, vous proposez de garantir à chaque génération une durée de retraite au moins égale à la moitié de la durée de l’activité professionnelle.
Je vous signale que la prise en compte de l’espérance de vie est déjà prévue à l’alinéa 6 de l’article 1er du projet de loi. En outre, cette espérance fait partie des paramètres au regard desquels le comité de suivi formulera chaque année des recommandations publiques.
Dans ces conditions, la commission vous demande de retirer votre amendement ; si vous le maintenez, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marisol Touraine, ministre. Madame Lienemann, j’ai bien entendu vos arguments et les objectifs que vous visez, mais, pour des raisons de cohérence, je sollicite le retrait de votre amendement et, si vous le maintenez, j’y serai défavorable.
Le projet de loi comporte, dans son article 1er, la réaffirmation du principe d’un système de retraite par répartition, dont il est rappelé avec la plus grande clarté qu’il repose sur l’équité et sur la solidarité.
En ce qui concerne la durée d’assurance, notre détermination va de pair avec l’attachement à trois principes : la prévisibilité, parce qu’il nous paraît absolument nécessaire que nos concitoyens sachent à quoi s’en tenir, la justice et l’équité. Oui, madame Lienemann, l’article 2 du projet de loi prévoit l’allongement de la durée de cotisation ; mais cet allongement est prévisible, puisqu’il se produira à partir de 2020 et à un rythme fixé par la loi, et il sera modulé selon les caractéristiques de la vie professionnelle.
Par ailleurs, cette hausse la durée de cotisation étant inscrite dans la loi, une éventuelle évolution en la matière, dans un sens ou dans l’autre, devrait être soumise au Parlement. En d’autres termes, si le comité de suivi des retraites instauré par l’article 3 peut formuler des recommandations portant sur cette durée, dans un sens ou dans l’autre – j’insiste sur cette précision –, toute décision supposerait l’adoption d’une loi.
Madame Lienemann, hormis la question de principe de l’allongement de la durée de cotisation, dont nous débattrons à l’article 2, vos objectifs sont satisfaits par le projet de loi : le principe de solidarité est réaffirmé, la lisibilité et la prévisibilité sont assurées, les caractéristiques de la carrière professionnelle seront prises en compte et le contrôle par le pouvoir politique sera garanti avec l’intervention nécessaire du Parlement. Par rapport à ce dispositif, votre amendement ne me semble pas apporter d’éléments nouveaux.
M. Jean-Pierre Caffet. En effet, il est satisfait !
M. le président. Madame Lienemann, l’amendement n° 11 rectifié bis est-il maintenu ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Oui, monsieur le président, car j’estime nécessaire de fixer des garde-fous pour éviter que le pouvoir politique, sous prétexte que l’argent manque, décide d’allonger la période de cotisation d’une durée supérieure à celle de l’allongement de l’espérance de vie. La disposition que je propose représente, à mes yeux, une balise a minima !
Je risque d’être assez seule, car j’imagine que nos collègues hostiles à l’allongement de la durée de cotisation pourraient être tentés de ne pas voter cet amendement. Néanmoins, je pense que je prends date pour l’histoire en défendant une mesure qui me paraît cohérente avec les combats que j’ai menés, et que le parti socialiste a menés, pendant de nombreuses années.
M. Jean-François Husson. Cherchez la cohérence au PS !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Lenoir. L’amendement n° 246 et l’amendement n° 11 rectifié bis font apparaître le décalage entre le pragmatisme, le réalisme, le bon sens et la rêverie.
L’amendement de bon sens déposé par Gérard Longuet affirmait la nécessité d’un système obligatoire par répartition, d’un système obligatoire de retraite complémentaire et, le cas échéant, d’un régime par capitalisation. Franchement, je suis surpris qu’on ait pu voter contre ; nul doute que ceux qui liront nos débats le seront aussi.
Voilà que, quelques instants plus tard, notre collègue Marie-Noëlle Lienemann, pour qui j’ai le plus grand respect, propose un système de son invention, à la fois audacieux et généreux. Il est audacieux puisqu’il consiste à décréter, par une disposition législative, que chacun doit avoir un temps de retraite au moins égal à son temps de travail.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. En moyenne !
M. Jean-Claude Lenoir. Il est évidemment généreux, puisqu’il s’agit de donner une assurance-vie à toute personne à l’issue d’une carrière de 40 ans ou 42 ans, ce qui suppose un pouvoir considérable, que certains jugeront peut-être surnaturel… Pour ma part, ayant cotisé depuis l’âge de 18 ans, je peux envisager, si cet amendement est adopté, de vivre une longue retraite !
M. Jean Desessard. Ça ne fera pas des économies !
M. Jean-Claude Lenoir. Madame Lienemann, croyez-vous vraiment que la loi puisse en décider ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je ne vise pas des individus, mais des générations !
M. Jean-Claude Lenoir. Soyez un peu réaliste : à tout instant, l’un d’entre nous peut disparaître. De grâce, donc, ne trompez pas l’opinion française en laissant entendre que la loi pourrait assurer à chacun une retraite paisible, d’une durée au moins égale à la moitié de sa vie active !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Caffet. Madame Lienemann, je ne sais pas si vous prenez date pour l’histoire, mais je ne souscris pas à votre vision optimiste de l’histoire de l’humanité. En effet, je ne crois pas que cette histoire ait été, comme vous l’affirmez, un long mouvement vers la diminution du temps de travail et l’augmentation du temps passé en retraite dans le bonheur.
À la vérité, ma chère collègue, ce phénomène est extrêmement récent : il date du XIXe siècle et résulte des premières lois sociales…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Grâce à la gauche !
M. Jean-Pierre Caffet. … et de la mise en place, par Bismarck, des premières assurances sociales en Europe. Auparavant, on travaillait toute sa vie ou, lorsqu’on arrêtait, on ne bénéficiait d’aucune assurance sociale.
La vision d’une longue marche de l’humanité vers le temps heureux à la retraite ne correspond pas à la réalité ! Il a fallu attendre le XIXe siècle et, en ce qui concerne la France, la loi de 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, fondée sur un système de capitalisation, qui a été combattue, si je ne m’abuse, par Jean Jaurès…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Non, Jaurès était pour ! C’est Jules Guesde qui était contre !
M. Jean-Pierre Caffet. À présent, où en sommes-nous ? Là est la question importante, madame Lienemann ! Pour ma part, j’ai la conviction, même s’il faudrait s’en assurer, que le cliquet que vous proposez existe aujourd’hui dans les faits.
Du reste, je vous fais observer que les dispositions de l’article 2 du projet de loi, relatives à la durée de cotisation, sont plus protectrices que la législation de 2003. Celle-ci, en effet, prévoit le maintien d’un rapport constant entre le temps passé au travail et la durée de la retraite, mais d’une manière indéfinie : c’est un décret qui, pour chaque génération, lorsqu’elle atteint 58 ans, fixe la durée de cotisation.
Le présent projet de loi présente l’avantage de mettre un terme à ce mécanisme, à l’horizon de 2035. Il prévoit qu’à partir de la génération née en 1973, la durée de cotisation ne sera pas supérieure à 43 ans, alors que, dans le système issu de la réforme de 2003, comme Yannick Moreau l’a signalé dans son rapport, la génération née en 1989, par exemple, aurait pu être obligée de cotiser jusqu’à 44 années, sans avoir la certitude que le rapport que Mme Lienemann veut imposer par la loi serait respecté.
Ma chère collègue, le projet de loi va plus loin que la réforme de 2003 en mettant un terme à l’augmentation de la durée de cotisation. Votre amendement est donc satisfait et, en ce qui me concerne, je ne le voterai pas.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Je dois dire que nous sommes très intéressés par ce débat interne au parti socialiste.
M. Jean Desessard. Vous avez aussi les vôtres !
M. Gérard Longuet. Nos collègues ont l’immense mérite d’essayer de clarifier les engagements contradictoires pris lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2012.
Il faut reconnaître que l’intervention de Mme Lienemann avait quelque chose d’émouvant dans sa sincérité et dans sa fidélité aux engagements de 1982. Ces engagements ont été répétés, puis écartés, ou transmutés dans leurs conséquences, mais il y a un gardien de l’authenticité : c’est Mme Lienemann, et on ne peut pas lui adresser de reproche à cet égard !
En tout cas, son intervention nous montre que le régime de retraite par répartition n’offre pas toutes les sécurités louées par M. Leconte.
Nous sommes tout à fait d’accord pour reconnaître l’impératif de la solidarité.
Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Surtout celle des plus pauvres envers les plus riches !
M. Gérard Longuet. En effet, pour instaurer une solidarité nationale dans le cadre d’une communauté républicaine, il faut un régime obligatoire de base.
Pour les retraites complémentaires, c’est déjà plus surprenant. Pourquoi diable sont-elles obligatoires ? MM. Caffet et Domeizel pourront peut-être nous en expliquer les raisons historiques. Pour ma part, je suis profondément convaincu que les retraites complémentaires sont nées du développement industriel des Trente Glorieuses : à une époque où la main-d’œuvre était rare, il a fallu la drainer vers des activités nouvelles pour nombre de nos compatriotes. Aussi a-t-on on a mis en place cet effort, généralisé à tous les secteurs, si je me souviens bien, dans les années 1970.
Seulement, le principe d’un régime par répartition, c’est qu’on ne peut payer que ce que l’on gagne. Or pour gagner quelque chose, il faut des cotisants, qui perçoivent des revenus suffisants pour dégager des marges. C’est une vérité que certains, accrochés à l’idée que la répartition garantit tout, ne veulent pas accepter. (Mme Marie-Noëlle Lienemann le conteste.)
Que se passe-t-il si la démographie régresse, ce qui peut se produire ? À ce jour, le renouvellement des générations n’est pas assuré dans notre pays. Sans doute, la France gagne de la population, mais c’est surtout par l’allongement de la durée de la vie ; qu’elle gagne de la population par le solde démographique n’est pas certain.
Sans compter qu’il existe un phénomène extrêmement préoccupant, sous-estimé par nos collègues de la majorité : la France, terre d’immigration, est devenue aussi une terre d’émigration. C’est ainsi que plus de 300 000 Français vivent aujourd’hui à Londres : ils ne sont pas des millionnaires ou des milliardaires, ni de riches rentiers qui fuient l’ISF, mais de jeunes actifs issus des écoles d’ingénieurs et des écoles de gestion, ou qui ont simplement leur enthousiasme pour réussir.
Ces jeunes, dont nous avons financé la formation, ont décidé d’aller tenter leur chance ailleurs ; qui nous prouve que cet exode des talents ne va pas se prolonger durablement, au détriment des forces vives de notre pays ?
Comment pourrez-vous alors assurer la répartition, si vous n’avez pas fait l’effort de réfléchir à des formules complémentaires ? Si vous n’avez pas la volonté d’attirer les capitaux ? Après tout, ce mot n’est pas grossier ! (Mme Cécile Cukierman proteste.)
Je sais que vous n’êtes pas capitaliste, ma chère collègue. Le livre de Marx sur cette notion est d’ailleurs absolument passionnant. Simplement, il faudrait choisir entre le rendement décroissant du capital, que nous servent les sociaux-démocrates, et l’accumulation croissante et indéfinie des capitaux, que nous servent les marxistes de stricte obédience.