M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Eh oui !
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas ce qu’il a dit !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Ce n’était pas d’une grande clarté !
M. Éric Bocquet. ... ce qui confirme les propos tenus à ce sujet en début d’année sur un plateau de télévision par votre prédécesseur, M. Jérôme Cahuzac.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. N’importe quoi !
M. Éric Bocquet. Cette situation quelque peu contradictoire ne manque pas de nous interpeller et nécessiterait, pensons-nous, quelques explications.
De la même manière, afin que nos débats se déroulent dans un cadre clair, il faudrait lever l’ambiguïté évidente des propos de votre collègue ministre de l'économie et des finances, M. Pierre Moscovici.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il n’est pas là !
M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il est rarement là !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Un petit tour et puis s’en va !
M. Éric Bocquet. Celui-ci affirmait à la fin du mois de septembre dernier : « Nous n’aurons pas besoin de changer le budget, car nous avons intégré les règles européennes. Dans ce cadre, nous demandons la liberté de faire à notre manière. »
Paroles magnifiques, qui viennent malheureusement après les conclusions émises le 20 septembre 2013 par le Haut Conseil des finances publiques : « Le Haut Conseil note qu’en tout état de cause, sauf à modifier la loi de programmation et le calendrier de redressement des finances publiques, le mécanisme de correction sera déclenché mi-2014,… » – vous noterez, mes chers collègues, l’emploi non du conditionnel, mais de l’indicatif, mode de la réalité – « … appelant des efforts supplémentaires par rapport à la loi de programmation pour atteindre l’équilibre structurel en 2016. »
Nous pensons sincèrement, monsieur le ministre, qu’il est urgent de clarifier les options dans l’intérêt de nos débats.
Tels étaient les éléments, mes chers collègues, dont je voulais vous faire part.
Notre appréciation des propositions s’appuie sur trois axes : le Parlement et sa souveraineté, le choix contesté de l’austérité, le déficit de lisibilité.
En son état actuel, les sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen ne peuvent approuver le projet de budget pour 2014.
Le consentement à l’impôt, dont vous avez fait mention ce matin dans votre propos, monsieur le ministre, repose effectivement sur certains principes fondamentaux, notamment sur celui, évident, d’une fiscalité juste et progressive, qui sollicite la valeur là où elle se trouve et qui implique que personne ne puisse échapper à l’impôt. Chacun dans cette enceinte connaît les dommages qui sont causés à notre République lorsque ce principe n’est pas respecté par ceux-là mêmes qui édictent les règles. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.– M. François Trucy applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon groupe votera très majoritairement la première partie du projet de loi de finances.
Ce vote s’explique, en premier lieu, par la volonté de voir examiner par le Sénat la deuxième partie de ce texte. Mais il est possible, voire probable, que nos voix ne suffisent pas à permettre cet examen. Si tel est le cas, nous le déplorerons, mais la responsabilité ne saurait en incomber à la seule Haute Assemblée.
Ce serait d’autant plus regrettable que vous, monsieur le ministre chargé du budget, avez toujours manifesté à titre personnel une volonté de dialoguer avec le Sénat, en répondant à nos questions et en expliquant votre politique – vous l’avez encore fait pendant la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, et tout le monde ne saurait en dire autant.
Ce n’est pas en marginalisant, voire en méprisant le Sénat et en déclarant péremptoirement, comme l’ont fait dans cet hémicycle certains ministres, que, de toute façon, on ferait passer sans la moindre modification les textes à l’Assemblée nationale que l’on peut travailler de manière constructive et, tout simplement, respecter les institutions de la République. Restaurer la confiance, c’est d’abord rétablir le dialogue !
Quand la croissance est étale, la résolution de l’équation relève de la quadrature du cercle, car les recettes rentrent plus difficilement. La recherche de nouvelles ressources et la réduction des dépenses doivent donc devenir un objectif prioritaire.
Quand on y ajoute l’impérieuse nécessité de réduire les déficits, voilà les ingrédients d’un mécontentement généralisé. Nos cahiers de doléances sont remplis : nos concitoyens attendent la définition d’un cap et le maximum de justice, à la fois dans la répartition du poids de la fiscalité et dans la solidarité, le tout en ne coupant pas les jarrets à nos entreprises. Ce n’est pas simple…
Après des résultats encourageants au deuxième trimestre de cette année, l’INSEE vient d’annoncer pour le troisième trimestre une rechute de la croissance, une décélération des dépenses de consommation des ménages et un recul des exportations.
La reprise tant attendue est-elle vraiment en train de s’amorcer ? Nous le souhaitons, et nous pensons en effet qu’il n’est jamais bon de développer systématiquement des discours pessimistes.
Une chose est sûre : la croissance et l’emploi sont encore bien loin d’atteindre un niveau optimal ou même simplement acceptable.
Les mesures proposées permettront-elles d’y parvenir ? Là encore, nous le souhaitons, mais nous considérons qu’elles méritent d’être complétées, notamment sur la question du pouvoir d’achat et la relance de la consommation.
C’est pourquoi mon groupe proposera un amendement visant à revenir sur la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
M. Antoine Lefèvre. Très bonne idée !
M. Jacques Mézard. Il faut savoir parfois modifier des dispositions dont on a pu considérer qu’elles ne produisaient pas les effets escomptés.
Si nous partageons la volonté de redresser les finances publiques, nous estimons que, dans le contexte actuel d’une lente et difficile sortie de crise, une augmentation trop importante de la pression fiscale sur les ménages et sur les entreprises nuirait gravement à la reprise et à la croissance sur le long terme. Or c’est bien la croissance qui sera, in fine, la clef du redressement durable de nos comptes publics.
Nous saluons, monsieur le ministre, vos efforts pour protéger les plus modestes grâce au dégel du barème de l’impôt sur le revenu et à la revalorisation de la décote. Cependant, il faut aller encore plus loin et il eût été opportun d’anticiper les conséquences néfastes de décisions antérieures, dont vous ne devriez pas porter la responsabilité.
Les Français souffrent du chômage, ceux qui travaillent ont peur de perdre leur emploi, l’accès au logement est problématique, la précarité et l’exclusion sociale progressent…
Or certaines mesures fiscales risquent de renforcer ce climat d’anxiété et de défiance néfaste non seulement pour l’économie, mais aussi pour la démocratie.
L’un des fondements de la démocratie est le consentement à l’impôt. Or ce consentement est aujourd’hui souvent mis à mal.
D’une part, des considérations simples et mathématiques doivent être relevées : de très nombreux Français, et pas seulement les plus favorisés de nos concitoyens, ont vu leurs impôts augmenter très significativement, bien que leurs revenus soient souvent égaux à ceux de l’année précédente.
D’autre part, malgré les efforts du Gouvernement pour réintroduire de la justice dans notre système fiscal – ils sont réels et nous les soutenons –, les Français doutent de cette justice, doutent de l’équité.
Pourquoi ? Tout d’abord, parce que nous continuons à « vider » progressivement les assiettes de nos principaux impôts, percées de toute part par des niches fiscales et sociales. Résultat : notre système fiscal est illisible, complexe, souvent inéquitable, ce qui réduit non seulement le consentement à l’impôt, mais aussi notre potentiel de croissance. En effet, les entreprises investissent moins, elles s’installent moins dans notre pays à cause de l’instabilité et de la complexité de nos règles fiscales et administratives – je reconnais toutefois que la responsabilité en incombe aux gouvernements de tous bords qui se sont succédé aux affaires depuis plusieurs décennies.
Je me réjouis de voir que le Premier ministre semble partager ce constat.
Ce constat est non seulement exact, mais il est aussi très grave. Après les nombreuses promesses de simplification, le Premier ministre nous annonce une « remise à plat » complète de notre système fiscal pour l’année prochaine. Il eût sans doute été opportun de le faire avant – ma remarque s’adresse aussi aux gouvernements précédents.
En attendant le projet de loi de finances pour 2015, qui doit donc résoudre, comme par miracle, tous les problèmes que je viens d’évoquer, que propose le projet de loi de finances pour 2014 ?
L’article 17 supprime un certain nombre de dépenses fiscales considérées comme inefficientes ou inutiles. Je m’en réjouis. Mais les députés ont fait adopter l’augmentation du plafond ou la reconduction d’autres niches. La cohérence de ce projet de loi de finances en matière d’économie sur les dépenses fiscales en est donc quelque peu affectée, et ce d’autant plus quand on se penche sur l’article 13, qui porte sur les « défiscalisations outre-mer ». Cet article crée deux nouveaux crédits d’impôt, sans supprimer pour autant les défiscalisations existantes, dont l’inefficacité a pourtant été maintes fois dénoncée sur toutes les travées de cet hémicycle.
Ni la fiscalité des ménages ni celle des entreprises ne sont simplifiées par le présent projet de loi de finances. Certes, ce dernier contient un certain nombre d’améliorations, mais elles ne répondent que partiellement et imparfaitement aux enjeux et aux difficultés que j’ai évoqués précédemment.
J’en viens maintenant à quelques points particuliers qui nous tiennent à cœur, notamment à une question primordiale pour les Français, celle du logement. Le RDSE a toujours défendu une fiscalité qui dissuade la rétention foncière. En ce sens, la suppression des abattements pour durée de détention sur les plus-values de cession de terrains à bâtir nous convient tout à fait. Nous pensons toutefois qu’il faut aller plus loin.
Par ailleurs, nous sommes préoccupés par une certaine improvisation en ce qui concerne les dispositions de ce projet de loi relatives aux finances locales – elles figurent dans la deuxième partie du texte, mais c’est justement le moment d’en parler ! (Sourires.)
Je ne m’attarderai pas sur la baisse importante des dotations aux collectivités. Chacun doit assumer sa charge, et je sais que ce point sera largement commenté par la suite.
Dans le désormais fameux pacte de confiance et de responsabilité entre l’État et les collectivités locales, le Gouvernement s’est engagé à trouver des solutions pour que les départements puissent faire face aux charges croissantes induites par le financement des allocations de solidarité, en particulier par le revenu de solidarité active. Le reste à charge des départements serait de plus de 6 milliards d’euros ; le projet de loi de finances, si j’ai bien compris, en couvrirait environ 2 milliards d’euros.
L’article 26 prévoit d’affecter aux départements les recettes des frais de gestion de la taxe foncière sur les propriétés bâties, soit 827 millions d’euros. Ces nouvelles ressources seront réparties dans un fonds entre une fraction de compensation et une fraction de péréquation. Or les critères de répartition de cette fraction « péréquée » n’ont pas été définis en amont et ne figuraient donc pas dans le projet de loi de finances transmis à l’Assemblée nationale.
Ils l’ont été au cours de l’examen du projet de loi de finances, par le biais d’un amendement du Gouvernement, qui s’inspire des critères qui ont été retenus pour le fonds de soutien exceptionnel aux départements en difficulté mis en place l’année dernière. Je ne reviendrai pas sur les critères de répartition de ce fonds, qui ont déjà largement fait polémique. Et cela continuera, parce que des critères qui sont en partie calés sur la Seine-Saint-Denis et la Corrèze ne pourront qu’être suspects.
Comme l’an dernier, les droits de mutation à titre onéreux, ou DMTO, sont au cœur d’une polémique, avec l’article 58. Là encore, il est absolument indispensable d’avoir davantage de clarté et de lisibilité.
À l’Assemblée nationale, le Gouvernement a fait adopter un article 58 bis, qui crée un nouveau prélèvement venant s’ajouter au fonds de péréquation des DMTO existant. Encore une fois, les critères de répartition de ce nouveau fonds ne sont pas définis et le texte renvoie à un décret. Quels sont vos projets, monsieur le ministre ?
Enfin, l’article 73 revoit les critères d’attribution du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Il a été modifié à l’Assemblée nationale par un amendement de la commission des lois, adopté malgré l’avis du Gouvernement et qui vise à rendre contributeurs les ensembles intercommunaux et les communes isolées, dont le potentiel financier agrégé est supérieur à 100 % du potentiel financier agrégé moyen national par habitant. Lisibilité et équité doivent être au rendez-vous ; il y a encore du chemin à parcourir !
Pour conclure, monsieur le ministre, les modifications constantes des taux d’imposition, la suppression ou la création d’impôts ont, au fil du temps, occulté la visibilité des citoyens contribuables.
Je le répète, la TVA est irremplaçable, et aucun débat n’est tabou à ce sujet. Mais la danse de Saint-Guy à laquelle nous assistons est déraisonnable. Comment, pour finir, ne pas dire un mot de la surévaluation de l’euro, dont les effets néfastes sont évidents ? Quelle est votre politique à ce sujet ?
Monsieur le ministre, dans le mauvais temps, et dans l’intérêt général, nous vous apporterons notre soutien sur ce premier volet budgétaire. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier.
M. Albéric de Montgolfier. « Non, il n’y a pas aujourd’hui de volonté de bouleverser le système fiscal, c’est une fois que la croissance aura repris que, peut-être, nous pourrons passer à des réformes plus importantes. Le mot d’ordre sur la fiscalité, c’est stabilité, c’est prévisibilité, c’est lisibilité. » Tels étaient, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, voilà seulement deux semaines, les propos de Pierre Moscovici.
C’était avant l’annonce, par le Premier ministre, d’une réforme fiscale en 2015, dont le Président de la République a informé depuis qu’elle s’étendrait jusqu’à la fin du quinquennat.
Voilà très exactement un an, à cette tribune, nous dénoncions le tournis fiscal du Gouvernement. C’était sans compter sur ce projet de loi de finances, à l’occasion duquel le contribuable a été promené parmi les annonces contradictoires : souvenez-vous des épisodes relatifs à la taxation de l’excédent brut d’exploitation, de l’épargne ou des plus-values qui ont provoqué quelques crises des parlementaires de la majorité. Aux promesses s’ajoutent de multiples contradictions et rétropédalages.
Ce deuxième projet de loi de finances du quinquennat était pourtant censé nous donner plus de lisibilité sur l’action du Gouvernement qui a été pour le moins confuse depuis un an et demi, après moult revirements et contradictions.
Une fois encore, tout s’est grippé, et les contradictions, par exemple sur la fiscalité immobilière ou celle des entreprises, les hésitations et les revirements ont ressurgi et n’ont cessé d’alimenter l’actualité de ces dernières semaines.
À cette incroyable improvisation se sont ajoutées des annonces diverses.
Ainsi, de pause fiscale, nous sommes passés à un ralentissement fiscal, à mettre en parallèle avec une baisse des dépenses, qui est en fait un ralentissement de la hausse.
Bref, pour ce qui concerne la fiscalité, on est dans l’instabilité, l’imprévisibilité et l’illisibilité.
Voilà très précisément un an, le groupe UMP dénonçait à cette tribune le matraquage fiscal du Gouvernement. L’an passé, nous nous élevions déjà contre l’effort trop excessif, quasi exclusif, porté sur les recettes.
Au lieu d’un partage équilibré de l’effort entre hausse d’impôts et réduction des dépenses, vous aviez alors fait le choix de ne pas mécontenter votre électorat et de tenir des promesses, parfois démagogiques, d’augmentation des dépenses.
Si ces promesses vous ont permis de parvenir au pouvoir, elles n’étaient en revanche pas responsables. En reportant de plus d’une année l’effort sur les dépenses, vous preniez le risque de trop solliciter fiscalement les ménages et les entreprises.
Un an après, les faits nous ont donné raison et le constat est absolument implacable : le matraquage fiscal a abouti, pour reprendre les mots de Pierre Moscovici, à « un ras-le-bol fiscal » qui a conduit nos compatriotes à un niveau d’exaspération, voire de révolte, très préoccupant.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Il faut assumer votre part au matraquage !
M. Albéric de Montgolfier. Le plus sidérant, c’est que vous ne changez rien ! Pis encore, vous continuez de prétendre que les difficultés ne sont que le résultat de la politique du précédent gouvernement. Je pense d’ailleurs que vous utiliserez encore cet argument en 2016 ou 2017. Or il ne trompe déjà plus personne. Les choix que vous avez opérés en 2012 et 2013 ont, en raison de leurs effets récessifs, plombé notre économie.
Ce n’est pas l’annonce, voilà quelques jours, d’un grand soir fiscal qui va calmer les esprits. Il fallait établir dès 2014 un moratoire fiscal.
Certes, les Français sont prêts à consentir des efforts, à condition toutefois que ceux-ci aboutissent à des résultats. Mais vos choix ont été contreproductifs.
Nous sommes pris dans un cercle vicieux : le matraquage fiscal a assommé la consommation et les investissements et, de ce fait, obéré nos possibilités de croissance économique.
Le moindre niveau des rentrées fiscales résultant de la TVA et de l’impôt sur les sociétés en 2013 est catastrophique. Monsieur le ministre, vous le chiffrez à 5,5 milliards d’euros. En réalité, ce montant pourrait être plus de deux fois supérieur et il vous faudra bien trouver cette somme quelque part !
Désormais, hélas, vous n’avez plus de marges de manœuvre, sauf à entreprendre de grandes réformes structurelles, ce que vous ne cessez de repousser. Une éventuelle amélioration de la situation économique ne dépend en grande partie plus de vous. Vous comptez d’ailleurs sur les facteurs extérieurs, ceux que vous ne maîtrisez pas.
Vous espérez ainsi un retour de la croissance, notamment à l’échelon européen, dont profiterait la France. Notre économie, qui est ouverte sur les marchés extérieurs, pourrait en effet être tirée par une reprise environnante.
Vous comptez essentiellement sur des marchés financiers cléments. Comme l’a très bien analysé Philippe Marini, président de la commission des finances, pour le moment, la finance est votre alliée !
Les très faibles taux d’intérêt nous protègent encore, car ils ne plombent pas le deuxième plus important budget de l’État, celui de la charge de la dette. Mais jusqu’à quand ?
Notre niveau d’endettement s’établit à 2 000 milliards d’euros, frôlant désormais le taux record de 95 % du PIB. De ce fait, la France doit trouver chaque mois des milliards d’euros pour répondre aux impératifs de financement que sont, par exemple, le salaire des fonctionnaires, les allocations de solidarité, les allocations chômage, les pensions de retraite. Sur ces emprunts, 20 % proviennent de prêteurs français ; le reste est assuré par des prêteurs étrangers.
Dès lors, la dépendance de la France à l’égard des marchés financiers est évidente, car sans le soutien de ces derniers, notre pays ne pourrait plus faire face à ses engagements financiers et continuer, comme il le fait, à vivre au-dessus de ses moyens.
Certes, de cet endettement, nous portons peut-être tous une part de responsabilité depuis les années quatre-vingt, mais la crise y est aussi pour beaucoup.
Désormais, l’essentiel est de faire en sorte que nous continuions à emprunter dans les conditions actuelles, qui sont, je le reconnais, bonnes. Cela nécessite d’avoir un cap, des objectifs auxquels on se tient. Hélas, ce n’est pas le cas, car vos objectifs de réduction des déficits ne sont pas respectés, et votre cap affiché de retour à la croissance et à l’emploi n’est pas tenu.
Notre croissance est plus que fragile. J’en veux pour preuve le mauvais chiffre du dernier trimestre : une baisse de 0,1 %.
L’inversion de la courbe du chômage avant la fin de l’année, l’alpha et oméga des promesses, ne sera pas avérée, malgré les dizaines de milliers d’emplois aidés, financés par le contribuable et le déficit, et qui n’ont qu’une incidence artificielle et trompeuse sur le chômage des jeunes. La réalité, c’est que le chômage atteint actuellement un niveau record, tristement historique.
Alors, dans ce contexte, quel jugement porter sur le présent projet de loi de finances ?
Reconnaissons que, sur le papier, la communication gouvernementale était au départ très claire : après la hausse des impôts, la baisse des dépenses, à hauteur de 80 % de l’effort. Telle est la présentation qui nous fut faite dès le projet de loi de finances de l’année dernière, et qui a été répétée pour celui-ci.
La réalité des chiffres, c’est que, par rapport à la loi de finances pour 2013, les dépenses du budget général ne diminueront que très faiblement, à hauteur de 700 millions d’euros. C’est un chiffre inquiétant comparé aux 294,5 milliards d’euros du budget général. Cette situation place la France en première position mondiale en matière de dépenses publiques, lesquelles atteignent 57 % du PIB, sans pour autant qu’elle possède le meilleur des services publics.
Cette très faible diminution des dépenses repose, il est vrai, sur la baisse des dotations de l’État aux collectivités territoriales, qui est, elle, bien réelle et s’élèvera à 1,5 milliard d’euros en 2014.
À ce montant s’ajoutent 2 milliards d’euros de dépenses nouvelles pour les collectivités, en particulier pour mettre en œuvre la réforme des rythmes scolaires. Ce chiffrage est celui qu’a cité le ministre lui-même devant le Comité des finances locales.
De même, la « pause fiscale » ou même le « ralentissement fiscal » ne sont que mensongers.
Les ménages seront les grands perdants de l’année 2014, puisqu’ils supporteront 12 milliards d’euros de prélèvements, taxes, impôts et cotisations supplémentaires.
Les entreprises ne seront pas non plus épargnées. On leur vend le CICE, mais on leur impose par ailleurs une hausse de la surtaxe sur l’impôt sur les sociétés, qui fait passer le taux nominal de l’impôt sur les sociétés français à un niveau record en Europe, alors que la plupart de nos voisins le diminuent.
Cette mesure pèsera à hauteur de 2,5 milliards d’euros sur nos grandes entreprises, sur lesquelles reposent nos exportations et, par voie de conséquence, notre balance commerciale et dont dépendent économiquement nombre de fournisseurs ou de sous-traitants, qui sont des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire.
Par ailleurs, les entreprises vont être très fortement affectées, en 2014, par le durcissement du plafonnement de la déductibilité de leurs charges financières, à hauteur de 2,7 milliards d’euros.
En outre, n’oublions pas la hausse des cotisations sociales imposée aux entreprises pour financer la miniréforme des retraites : 12 milliards d’euros sur quatre ans qui s’ajoutent aux 10 milliards d’euros de la réforme du mois de juin 2012. Je rappelle que chaque augmentation de cotisations sociales patronales entraîne la destruction automatique de milliers d’emplois.
Il faut également ajouter le milliard d’euros supplémentaire à la charge des entreprises afin de financer les comptes individuels de pénibilité, et, bien sûr, le CICE, dont les quelques effets, parfois vertueux, seront malheureusement annihilés par ces hausses de fiscalité.
Toutes ces mesures sont en pleine contradiction avec le cap affiché pour le projet de budget 2014 : celui de la compétitivité et de l’emploi.
Il existe une impressionnante dichotomie entre la réalité et votre discours d’affichage selon lequel tout va mieux et tous les signaux sont au vert.
La réalité, nous la connaissons : les entreprises sont en difficulté, les faillites ont augmenté de 20 % en un an. Je pense, notamment, aux 13 000 entreprises qui ont mis la clef sous la porte cet été. C’est un chiffre inégalé ! Malheureusement, nous battons ainsi les mauvais records : ceux du nombre de faillites d’entreprises, du taux de chômage, de la baisse des marges des entreprises.
En résumé, ce projet de budget comporte des mesures parfois contradictoires, souvent insuffisantes, voire dangereuses, certaines dispositions pouvant avoir très nettement un impact récessif.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Vous vous contredisez !
M. Albéric de Montgolfier. Pas de pause fiscale, une diminution des dépenses insuffisante, un cap de compétitivité et d’emploi qui ne sera pas tenu. Visiblement, le changement, ça n’est pas encore maintenant !
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP s’opposera fermement au présent projet de budget tel qu’il est issu des travaux de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 2014 correspond au budget d’une France qui connaît la nature de son État. L’État français est non seulement une République, mais, officiellement depuis 1946 et comme l’a réaffirmé la Constitution de la Ve République, une « république sociale ». Cela implique, particulièrement pour un gouvernement de gauche, de suivre un cap : celui de maintenir, de renforcer et de développer un État où service public et protection sociale ont un sens, ainsi que vous nous l’indiquiez dans votre intervention ce matin, monsieur le ministre.
Cet État, qualifié par certains de « providence » – nous constatons combien il est utile de la retrouver quand le pays va mal –, auquel nous, socialistes, sommes attachés, et dont nous sommes fiers, n’est pas en crise, comme certains le serinent avec gourmandise, à longueur de proclamations tristement récurrentes. Il est en grave difficulté, parce que c’est l’économie qui est en crise, voire qui se trouve dans une situation pire, nous le savons bien ! Depuis 1973, l’économie connaît une longue crise de mutation, dont le monde n’est pas près de « sortir », comme on le dit souvent.
Toutefois, ce n’est pas une raison pour profiter de cette situation, chaque fois que cela paraît possible, pour essayer de jeter aux orties ce qui fait la force de notre République, notamment les services publics et la protection sociale.
Aussi le projet de loi de finances pour 2014 est-il un projet clair, qui se caractérise par une orientation, un impératif, un objectif, une stratégie.
L’orientation consiste à renouer avec la croissance, pour permettre aux Français de trouver les emplois qui leur font trop souvent défaut.
L’impératif a trait à la souveraineté. En effet, la souveraineté de la France ne peut être assurée et confortée qu’en recherchant la réduction du déficit public et, partant, de la dette qui en découle.