M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons s’inscrit dans le cadre du « choc de simplification » annoncé en mars dernier par le Président de la République. Il entend mettre en œuvre le programme triennal de simplification de la vie des entreprises.
Le choix des mots n’étant pas innocent, nous n’avons guère été surpris de la teneur de ce texte qui s’inscrit largement dans la lignée des textes de simplification, ou d’allégement, de la législature précédente. Si le rapporteur de la commission des lois, à l’Assemblée nationale, précise à cet égard que, « conformément au souhait du Président de la République, le Gouvernement a engagé un nouveau processus de simplification, qui tire les leçons des dysfonctionnements constatés sous la précédente législature », nous constatons, quant à nous, que la « modernisation de l’action publique » n’est qu’une nouvelle version de la révision générale des politiques publiques.
Dès lors, vous comprendrez que le recours massif aux ordonnances de l’article 38 de la Constitution, l’absence de justification par l’urgence, l’habilitation demandée sur un contenu large et évasif, nous conduisent à émettre les mêmes critiques qu’hier. Il est vrai que le texte comporte un nombre raisonnable d’articles, mais il procède trop souvent à des regroupements anarchiques de sujets divers au sein d’un même article.
À cela s’ajoute que le contenu des dispositions s’éloigne de la seule simplification de la vie des entreprises. Il en va ainsi du régime de la participation des employeurs à l’effort de construction. Sur ce sujet, le Parlement a d’ailleurs adopté en juillet dernier une loi habilitant le Gouvernement à prendre des mesures de nature législative pour accélérer les projets de construction.
Rien ne justifie non plus les articles 12 et 13 qui portent habilitation pour transposer les recommandations de Bâle III ou le mécanisme de surveillance unique. Ce débat doit avoir lieu devant le Parlement et non rester calfeutré dans les bureaux de la Commission européenne ou du ministère des finances.
Au-delà du lien ténu de certaines dispositions avec le sujet annoncé, ce projet de loi se caractérise également par des occasions manquées. Tel est le cas de l’article 16 qui, après une réécriture par un amendement de l’opposition en commission, a été complètement vidé de son contenu. Tel est aussi le cas de l’article 12 qui autorise le Gouvernement à réformer les procédures relatives au traitement des entreprises en difficulté par voie d’ordonnances et qui prévoit de donner compétence au Gouvernement pour modifier le titre VI du code de commerce relatif aux entreprises en difficulté, notamment sur les questions de régime procédural. Pour notre part, nous attendions un projet de loi qui réforme la justice consulaire afin de mettre un terme aux situations de conflits d’intérêts au sein même de l’institution judiciaire.
Enfin, ce projet de loi entend dessaisir le pouvoir législatif dans des domaines particulièrement sensibles, dans un contexte économique où le marché impose sa loi, faisant du travail sa variable d’ajustement. Ainsi, il nous est demandé d’habiliter le Gouvernement à modifier le droit du travail, tout en précisant, pour nous rassurer, que les partenaires sociaux seront associés.
Après le projet de loi sur l’accord national interprofessionnel, et à l’heure où le Gouvernement annonce son intention de supprimer les élections prud’homales, vous comprendrez que nous ne soyons pas enclins à laisser au pouvoir réglementaire le soin de réformer les obligations faites aux employeurs en matière d’affichage et de transmission de documents à l’administration.
De plus, dans un contexte de crise sociale, de remise en cause du code du travail, les salariés ont besoin d’une inspection forte et indépendante et non pas d’une réforme par le bas des droits existants. La simple mise à disposition des informations, prévue à l’article 1er, risque d’entraîner une moindre détection des irrégularités par l’administration.
En ce qui concerne l’habilitation pour réformer le délai de prévenance, vous prévoyez de raccourcir ce délai afin qu’il ne prolonge pas la période d’essai. Cette modification risque de pénaliser les salariés. Il n’est pas anodin que les députés socialistes aient voté un amendement de la droite, visant à préciser que les modifications se feront également dans l’intérêt des employeurs, et non plus seulement des salariés.
L’article 14 ne nous satisfait pas non plus. Nous avons débattu de la libéralisation de l’implantation des éoliennes lors de l’examen de la loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes. La procédure unique intégrée expérimentée pour les installations classées pour la protection de l’environnement vise à favoriser l’industrie éolienne. Selon nous, il est important d’associer les populations locales à de tels projets, comme il est fondamental d’avoir une réelle cohérence de la politique énergétique et du mix énergétique sur l’ensemble du territoire.
L’article 10, quant à lui, prévoit d’autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure visant à moderniser la gouvernance des entreprises dans lesquelles l’État détient une participation, majoritaire ou minoritaire. Il s’agit pour cela d’améliorer « l’efficacité et la souplesse de la gestion » de ces participations. Justifié par la volonté de simplification, cet article n’est pas fait pour nous rassurer. Le projet d’ordonnance ne nous a pas été présenté et, en l’état, le champ de l’habilitation est particulièrement large.
On tente également de nous convaincre, en renvoyant à l’exposé des motifs, que les ordonnances préserveront pleinement la spécificité de la représentation des salariés au sein des entreprises publiques. Pourquoi ne pas l’avoir écrit dans l’article 10, ou dans l’amendement que vous avez déposé sur cet article pour être discuté en séance publique ?
Par ailleurs, la volonté de rapprochement des entreprises visées avec celles du secteur privé n’est pas acceptable pour nous. Un amendement déposé sur l’initiative de la commission des affaires économiques précise, pour « les règles concernant les opérations en capital », que le Gouvernement n’aura pas l’habilitation pour modifier « des dispositions particulières imposant un seuil minimum de détention du capital de certaines de ces entreprises par l’État ou ses établissements publics ». Cette précision est très utile et elle montre que les inquiétudes sont partagées.
Ensuite, nous ne voyons pas l’intérêt de modifier le recrutement des administrateurs qui représentent l’État dans ces entreprises. La recherche de talents ne le justifie pas, et le risque de conflit d’intérêt devrait l’interdire.
Nous considérons que ces entreprises dans lesquelles l’État détient une part du capital ne doivent pas être assimilées à des entreprises du secteur privé, elles sont avant tout propriété de la nation. Il y a quelques mois Arnaud Montebourg déclarait dans une interview au Wall Street Journal : « Dans le cadre de la restructuration budgétaire et [de] la modernisation des politiques publiques, nous réfléchissons en effet à un changement de nos participations. »
Il serait inacceptable de brader une partie du patrimoine de l’État pour répondre à des politiques d’austérité, là où l’intérêt général appelle une consolidation de la présence de l’État. Nous pensons qu’il est urgent de renationaliser des outils industriels stratégiques, je pense en particulier au secteur énergétique. De même, il est nécessaire d’assurer une gouvernance qui garantisse la démocratisation et l’appropriation sociale des choix stratégiques et de la gestion de ces entreprises.
Enfin, j’exprime, à nouveau, notre vive inquiétude quant à la régression des droits du Parlement. Ce projet de loi en est un exemple presque complet : recours massif aux ordonnances, urgence déclarée, amendements du Gouvernement portant articles additionnels examinés en commission sans avoir été soumis à l’Assemblée nationale. À cela s’ajoutent d’autres verrous dont il est fait une application zélée : utilisation de l’article 40 de la Constitution, argument tiré de la transposition maximale d’actes européens, vote bloqué, etc. Lors de l’examen du projet de loi relatif à la consommation, nous avons même vu le Sénat adopter un amendement sous réserve de la décision de la Commission européenne !
Mes chers collègues, vous comprendrez que, face à de tels griefs, tant sur la forme – qui devient une question de fond – qu’en raison de l’importance et de la diversité des sujets couverts par l’habilitation, l’appréciation du groupe CRC soit plus que réservée.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a un peu plus d’un an, le Gouvernement présentait son pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, inspiré des conclusions de l’excellent rapport Gallois.
Depuis, la mesure phare de ce pacte, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, a été mise en œuvre et commence à produire ses effets positifs sur l’emploi et la compétitivité. La Banque publique d’investissement a également été mise en place pour faciliter l’accès au financement des TPE et des PME.
Le pacte de compétitivité prévoyait également d’engager « cinq chantiers de simplification des démarches des entreprises ». Le plus emblématique est sans doute l’application du principe « Dites-le nous une seule fois », qui vise à éviter que les entreprises n’aient à fournir à de multiples reprises les mêmes informations à différentes administrations. Madame la ministre, vous avez déclaré : « Plus de métier, moins de papiers », je dirai quant à moi : « plus de métier, plus de chantiers, et moins de papiers ».
Dans la continuité de ce pacte, dont les propositions ont été complétées par le rapport du député Thierry Mandon, et par les mesures annoncées dans le cadre du comité interministériel pour la modernisation de l’action publique du 17 juillet dernier, nous examinons aujourd’hui un projet de loi qui vise à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances certaines mesures pour simplifier et sécuriser la vie des entreprises.
Comme tout parlementaire responsable, les membres du RDSE ne sont guère enclins à autoriser la multiplication des habilitations à légiférer par ordonnances, autrefois appelées « décrets-lois ». Toutefois, ils sont conscients de la nécessité, dans le domaine qui nous intéresse aujourd’hui, d’agir vite et avec précision. Quelques mois de « gagnés » peuvent être vitaux pour le développement, voire pour la survie, de certaines entreprises. C’est pourquoi ils soutiennent la plupart des articles de ce projet de loi, qui répondent bien à l’objectif de simplification et de sécurisation, et sont donc attendus par les entreprises.
L’article 1er, qui comporte un certain nombre d’habilitations portant sur des sujets variés, est certainement l’un des plus importants. Il prévoit notamment que les micro-entreprises, c’est-à-dire celles qui comptent moins de dix salariés et réalisent un chiffre d’affaires net inférieur à 700 000 euros – je rappelle qu’elles représentent 80 % du tissu entrepreneurial français –, pourront être exemptées de l’obligation d’établir une annexe aux comptes annuels et de publier leurs comptes annuels. En revanche, l’obligation de déposer leurs comptes est maintenue, à juste titre. Il est aussi prévu de simplifier les obligations comptables des micro-entreprises et des petites entreprises, en les autorisant à établir un bilan et un compte de résultat abrégés. Près de 97 % des sociétés commerciales seront concernées par ces mesures de simplification, qui auront un effet positif sur notre économie.
L’obligation de facturation électronique entre les personnes publiques et leurs fournisseurs est également une mesure de simplification importante. Toutefois, elle peut présenter des difficultés pour les plus petites entreprises. C’est pourquoi je me réjouis de l’adoption en commission d’un amendement du rapporteur, qui prévoit l’entrée en vigueur progressive de cette mesure « afin de tenir compte de la taille et des capacités des entreprises concernées ».
Le texte prévoit aussi de faciliter certains projets d’immobilier d’entreprise, grâce à la création d’une procédure administrative intégrée. En outre, la mise en œuvre expérimentale, dans quelques régions, d’un certificat de projet, est très encourageante. En effet, la sécurité juridique et la stabilité des normes garanties par ce certificat aux porteurs de projet pendant les dix-huit mois qui suivent sa délivrance démultipliera très rapidement les initiatives, qui sont encore trop souvent freinées par la complexité, mais aussi par l’instabilité de tout un ensemble de règles fiscales, sociales et environnementales. Les mesures visant à favoriser le financement participatif des entreprises sont également les bienvenues dans le contexte actuel.
Quant à l’article 2, qui porte sur le droit des entreprises en difficulté, il aurait sans doute mérité, comme l’a souligné le rapporteur, de faire l’objet d’un projet de loi à part entière. Si cet article vise, à juste titre, à renforcer l’efficacité des procédures de prévention et à faciliter la recherche de nouveaux financements, il instaure également une nouvelle procédure de liquidation judiciaire « ultra-simplifiée », qui soulève quelques difficultés. Dans son rapport, Thani Mohamed Soilihi exprime la crainte « que cette nouvelle procédure soit une occasion de fraude, de la part de débiteurs organisant leur insolvabilité ou souhaitant soustraire des actifs à leurs créanciers ». Pour limiter ce risque, le rapporteur a fait adopter un amendement prévoyant des mécanismes de contrôle ; c’est une bonne chose. Cependant, il est permis de s’interroger sur l’intérêt d’une procédure « ultra-simplifiée » qui nécessite la mise en œuvre de contrôles supplémentaires qui vont forcément l’alourdir : s’agit-il réellement d’une simplification ?
Permettez-moi d’observer également que ce projet de loi comprend un certain nombre d’habilitations dont le lien avec la simplification et la sécurisation de la vie des entreprises est loin d’être évident. Même si certaines d’entre elles sont très importantes, leur introduction dans ce texte donne l’impression d’un manque de cohérence et peut susciter une certaine confusion.
Parmi ces articles dont le lien avec l’intitulé du projet de loi n’est pas flagrant figure l’article 20, auquel les membres du RDSE sont très attachés, et dont je souhaite souligner l’importance. Même si cet article ne se trouve probablement pas dans le bon véhicule législatif, son adoption est absolument indispensable, sinon la caisse commune de sécurité sociale de la Lozère, mise en place à titre expérimental depuis 2009, cesserait tout simplement d’exister le 1er janvier prochain. Actuellement, seule la Lozère, chère à notre collègue et ami Alain Bertrand, a instauré un guichet unique pour le régime général de sécurité sociale, la branche famille et le recouvrement des cotisations. Cette expérimentation a fait ses preuves pour répondre aux besoins des territoires ruraux et péri-ruraux et pour éviter d’accroître la fracture territoriale au détriment des populations. À la lumière de cette expérience, mon département, le Lot, pourrait d’ailleurs envisager de bénéficier du même système.
Permettez-moi d’exprimer des regrets quant aux conditions d’examen de ce texte, soumis à la procédure accélérée et dont le nombre d’articles a significativement augmenté à l’Assemblée nationale, du fait de l’adoption d’amendements du Gouvernement, et surtout lors des travaux de la commission des lois du Sénat. Assurément, la loi devient bavarde. Même s’il s’agit d’habilitations à prendre des ordonnances, les articles de ce projet de loi n’en nécessitent pas moins un contrôle parlementaire rigoureux. Celui-ci est rendu en partie impossible par l’adoption de mesures complémentaires que nous n’avons pas pu examiner dans des conditions et des délais satisfaisants, puisqu’elles ont été annoncées à la dernière minute.
Malgré ces réserves, et en espérant l’adoption de notre amendement sur la signalétique du tri des déchets, le groupe RDSE soutiendra ce projet de loi qui est attendu par les entreprises. Je rappelle que la Commission européenne estime qu’une baisse de 25 % des charges administratives des entreprises, ce qui représenterait une économie de 15 milliards d’euros, permettrait une augmentation de la croissance française de 0,8 point à court terme et de 1,4 point à long terme. Il faut donc poursuivre nos efforts en ce sens.
Pour terminer, je rappelle que la France est le pays d’Europe où les prélèvements obligatoires sur les entreprises sont les plus élevés : ils atteignent 26,5 % de la valeur ajoutée. Dès lors, il conviendra aussi d’alléger ces prélèvements, en particulier les charges sociales des entreprises. Les membres du RDSE espèrent que la grande remise à plat fiscale prévue dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015 en sera l’occasion. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Madame la ministre, il me revient de vous apporter le soutien du groupe socialiste, en l’assortissant de quelques observations et suggestions afin d’améliorer ce projet de loi, qui a déjà reçu l’approbation de l’Assemblée nationale.
La simplification est une mission à laquelle nous adhérons tous. Il nous faut toutefois prendre un bref temps de réflexion pour essayer de comprendre les questions de société sous-jacentes. Quand on parle de simplification, on porte une appréciation économique, sociale ou sociétale : on affirme que le dispositif d’encadrement juridique des activités de la société est excessif et en partie dysfonctionnel. Il arrive trop souvent, au Parlement ou dans les débats académiques qui accompagnent les débats parlementaires, que l’appréciation soit traduite en termes de bien et de mal, en cherchant qui est fautif de l’absence de simplification et de la surcharge juridique et réglementaire qui en résulte.
Il me semble que, face aux difficultés sérieuses que connaissent un certain nombre de fonctions sociales, dont la fonction d’entreprendre, notre mission n’est pas de distribuer les bons et les mauvais points, mais de réfléchir sur les mouvements d’intérêts en confrontation qui ont conduit à l’empilement normatif, et de rechercher les intérêts communs, qui peuvent exister dans une société complexe, pour rétablir un système de règles opérationnel, équitable et durable. Je souhaite, très modestement, que nous n’ayons pas une approche moralisatrice ou distributrice de critiques : essayons plutôt, comme nous l’avons fait la semaine dernière sur l’initiative de la commission pour le contrôle de l’application des lois, de comprendre les mécanismes qui ont conduit à l’empilement, afin de traiter le fond des problèmes.
Le présent projet de loi comporte certes quelques éléments de dispersion, mais ses objectifs sont essentiellement concentrés sur les charges normatives qui pèsent sur les entreprises. Le principal mérite de ce texte est de proposer, sous la forme, il est vrai, d’habilitations à prendre des ordonnances, une série de modifications concrètes qui produiront leurs effets dès les premiers mois de l’année 2014.
Pour contrebalancer les observations, tout à fait légitimes et justifiables, de ceux qui regrettent l’absence de débat parlementaire approfondi, je tiens à souligner – et Mme la ministre pourra le repréciser lors de l’examen de tel ou tel article – que l’essentiel des mesures de simplification ont déjà fait l’objet de concertations préalables approfondies. J’en profite pour relever la grande qualité des travaux du rapporteur et des rapporteurs pour avis, qui font état des nombreuses concertations qui ont été réalisées. Elles montrent bien que les mesures de simplification envisagées n’ont pas été inventées dans l’improvisation, mais sont le résultat d’une réflexion en lien avec les différents intérêts de la société. Je pense d’ailleurs que ces mesures recevront l’approbation générale des acteurs concernés lorsque les ordonnances seront publiées.
J’ajoute, en réponse aux interrogations qui portent sur le défaut d’urgence ou la possibilité de poursuivre le débat parlementaire, que certaines des dispositions proposées, qui pourraient entrer en vigueur dans un délai assez court, répondent à un objectif de sécurisation. Une partie des modifications qui interviendront par voie d’ordonnance, si l’habilitation est approuvée, permettra de régler des situations de fragilité juridique dues soit à l’existence de textes contradictoires qui soulèvent des difficultés dans l’application de la loi, soit à des décisions de l’autorité judiciaire ou du Conseil constitutionnel qui ont fragilisé le droit existant.
Il me semble donc qu’il existe des arguments sérieux pour justifier le recours à l’habilitation. Comme il est naturel, ce choix suscite des interrogations ; il en allait de même sous la précédente majorité. Cependant – André Reichardt l’a dit très justement –, suivant le type de dispositions envisagées et leur degré de maturation en termes d’apport juridique, on peut, me semble-t-il, émettre un jugement nuancé et reconnaître l’utilité de cette procédure que, du reste, personne n’a jamais modifiée depuis cinquante-cinq ans qu’elle figure dans la Constitution.
Je mentionnerai quelques-unes des mesures que, pour ma part, j’approuve pleinement. Grâce à l’expérience que mes fonctions de législateur m’ont permis d’acquérir au contact des entreprises, et notamment des petites et moyennes entreprises, je sais que ces mesures apporteront des progrès concrets. Je pense par exemple à la réduction des obligations de publication de comptes pour les micro-entreprises, à l’encouragement de la facturation électronique pour les entreprises fournisseurs de marchés publics, ou encore au développement du financement participatif, qui bénéficie à présent d’un fort soutien au sein de la société française.
Des mesures de simplification sont également prévues dans le domaine du droit des affaires. Il est vrai que, sur un plan purement théorique, il serait intéressant d’en débattre au Parlement. Mais nous savons d’expérience qu’il s’agirait d’un débat de spécialistes, auxquels seuls quelques-uns d’entre nous prendraient part. Si le Gouvernement – c’est un point sur lequel je reviendrai – se montre vraiment déterminé à poursuivre la concertation avec les parlementaires pendant la période d’habilitation, la qualité du débat ne sera pas très éloignée de ce qu’elle aurait été si nous avions examiné ces mesures en séance publique.
Mes chers collègues, je souhaite appeler votre attention sur trois ou quatre mesures qui me paraissent particulièrement positives, même si elles peuvent donner lieu à discussion. Je pense notamment à l’adaptation de notre code monétaire et financier au droit de l’Union européenne en matière de surveillance prudentielle des établissements financiers. Alors que, pendant des mois, la France a mené le débat au sein de l’Union européenne pour obtenir des décisions de principe importantes, qui habilitent la Banque centrale européenne à mettre en place un système efficace d’encadrement prudentiel, il serait singulier que nous soyons parmi les derniers à transposer ces nouvelles dispositions européennes.
Nos échanges dans le cadre de la commission des affaires européennes ont montré que ces dispositions faisaient l’objet d’un accord très large. Leur adoption représente un succès pour la France, d’autant que, au départ, il n’existait pas de convergence avec l’Allemagne sur ce sujet. Notre pays a fait sérieusement avancer la réflexion européenne en matière d’encadrement et de sécurisation du système bancaire. À partir de ce constat, j’estime que nous pouvons en confiance habiliter le Gouvernement à transposer rapidement les nouvelles dispositions dans notre droit financier.
Je voudrais également insister sur la réforme, d’ailleurs limitée, des procédures collectives. Dans une période de ralentissement économique qui voit un nombre croissant d’entreprises aller devant les tribunaux de commerce, cet ensemble de dispositions relatives à un sujet dont on discute depuis des années, et sur lequel les positions des uns et des autres sont bien connues, favorisera le sauvetage de ce qui peut l’être dans les entreprises en difficulté. Nous jouons notre rôle en permettant au Gouvernement de prendre des ordonnances – j’indique au passage que je suis favorable à la précision de l’habilitation suggérée par notre rapporteur Thani Mohamed Soilihi – plutôt que de reporter une nouvelle fois la réalisation de cette réforme.
Par ailleurs, des orateurs ayant exprimé la même position que celle du groupe socialiste, je ne reviendrai que brièvement sur les deux procédures spécifiques introduites en matière de droit de l’environnement. À cet égard, je tiens à remercier notre collègue Esther Benbassa, qui s’est exprimée au nom du groupe écologiste, de la bonne foi avec laquelle elle a abordé le sujet. En effet, il faut préciser que ces deux procédures simplifiées ne réduisent aucune des obligations écologiques de fond, c’est-à-dire que les obligations au regard du respect de l’environnement, du paysage et du voisinage qui s’appliquent, par exemple, lors de l’implantation d’éoliennes, restent en vigueur. C’est simplement la procédure de vérification du respect de ces conditions qui va être simplifiée. Il en va de même pour le certificat de projet.
Madame la ministre, mes chers collègues, il est vrai que quelques cas spécifiques soulèvent des interrogations, car ils constituent, pour le dire sobrement, des adjonctions au cœur du projet de loi.
C’est le cas pour la réforme qui affecte les relations entre le Syndicat des transports d’Île-de-France et la Société du Grand Paris, mais, sauf erreur de ma part, ce texte recueille l’accord de tous les partenaires du système de transport parisien. En outre, il permet une réalisation plus fluide, plus efficace d’un projet majeur, dont le coût financier s’élèvera à près de 30 milliards d’euros, et qui sera un des facteurs les plus importants du rebond économique de la région capitale. Ce n’est donc pas tout à fait sans lien avec l’objet du projet de loi.
Il est vrai que ce projet de loi d’habilitation comporte aussi des dispositions relatives aux professions réglementées, notamment les avocats aux conseils et les notaires. Mes chers collègues, nous ne pouvons pas nous plaindre à longueur d’année de la rigidité de ces professions en raison de leur numerus clausus et désapprouver en même temps une remise en cause de ce dernier qui aura pour effet, tout simplement, d’atténuer le caractère malthusien du fonctionnement de ces professions, ce qui pourra se retrouver dans les tarifs pratiqués.
J’ajoute un autre dispositif qui est, me semble-t-il, cohérent avec l’objectif de faciliter la vie des entreprises. Même si elle a été introduite sous forme d’amendement au Sénat, pour une question de calendrier, il me semble, madame la ministre, que nous sommes tous favorables à la réforme du régime de l’assurance vie qui conduira cette forme d’épargne à contribuer substantiellement au financement des PME. La partie fiscale de cette réforme va figurer en toute logique dans la loi de finances rectificative, mais la partie relative au droit des assurances doit bien trouver un support si nous voulons que cette mesure importante pour le financement des PME soit applicable en 2014. Dans cette optique, le texte que nous présente Mme la ministre est tout à fait adapté.
Je termine en soulignant, et j’y insiste, que tous ces projets d’habilitation ont fait l’objet d’une concertation et ne surprendront aucun des partenaires concernés. Si nous voulons analyser, comme l’a fait légitimement M. Reichardt, la manière dont le Gouvernement joue le jeu de l’habilitation, deux dossiers sont déjà sur la table.
En effet, d’une part, nous avons déjà habilité le Gouvernement à adopter des ordonnances tendant à faciliter la construction de logements. En l’espèce, tout le monde a pu observer que le contenu de l’ordonnance en question, qui a été publiée en peu de mois, répondait très exactement, sans qu’aucune discussion ne s’élève, à l’habilitation qui avait été donnée.
D’autre part, mes chers collègues, s’agissant de l’habilitation votée pour permettre au Gouvernement de prendre une série de mesures de simplification des relations entre l’administration et les citoyens, je puis vous dire, pour siéger en votre nom à la Commission supérieure de codification, que le premier projet de code des relations entre l’administration et le public y sera examiné vendredi prochain. Cette seconde habilitation est donc bien, elle aussi, en train d’être mise en œuvre loyalement et fidèlement.
Néanmoins, madame la ministre, il vous reste à lever, dans le cours de notre débat, tout doute sur la volonté déterminée du Gouvernement de jouer le jeu de l’association du Parlement à la préparation de ces ordonnances. Plus d’une fois, cet affichage a pu constituer un élément de langage utilisé par l’exécutif lors des débats parlementaires, mais la traduction effective de ce souhait a laissé quelques-uns d’entre nous un peu perplexes. Comme nous aurons, en fin de parcours, un rendez-vous à la fois légal et politique, à savoir la ratification, je pense que le Gouvernement se simplifierait la vie en démontrant de façon tout à fait franche et effective sa volonté de faire participer les parlementaires spécialisés dans chacun des domaines – ils sont connus et identifiés – à la préparation des ordonnances dont nous parlons.
S’il agit de cette manière, et je suis sûr qu’il en sera ainsi, la ratification des ordonnances, qui aura lieu de toute façon, sera beaucoup plus simple. Le Gouvernement doit nous offrir un véritable contrat de confiance qui nous aidera à soutenir ce projet de loi d’habilitation, lequel, je le crois, repose sur de bons motifs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)