Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée auprès de la ministre de la réforme de l’État, de la décentralisation et de la fonction publique, chargée de la décentralisation. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’exact moment où Mme Lebranchu et moi-même saluons à l’Assemblée nationale la qualité des travaux et de la réflexion de la Haute Assemblée,…
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. … qui s’est attachée à clarifier et à simplifier l’organisation administrative de notre territoire, je ne peux que me féliciter, à nouveau, du pragmatisme éclairé de votre démarche.
Fort de sa connaissance approfondie du fonctionnement de nos collectivités territoriales, de sa pratique au quotidien des difficultés auxquelles sont confrontés nos élus locaux, tirant profit de son expérience du droit comparé, le Sénat s’est saisi de la possibilité de créer, au bénéfice des collectivités territoriales, un nouvel instrument au service de l’action publique.
Tel est l’objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, fruit d’une forte mobilisation des élus et des acteurs économiques.
J’avais eu l’occasion, le 30 octobre dernier, lors du congrès de la Fédération des entreprises publiques locales, que préside votre collègue Jean-Léonce Dupont, d’écouter avec une particulière attention les interventions du président lui-même et de deux autres orateurs sur la création de cette nouvelle catégorie de sociétés d’économie mixte. Le premier d’entre eux, juriste confirmé, s’interrogeait sur la légalité de ce nouvel outil de la commande publique, tandis que le second, « pratiquant de la SEM contrat en Europe », était quant à lui convaincu de son bien-fondé.
J’avais bien noté, lors de cette rencontre, que le Sénat serait très vite saisi d’une proposition de loi, en vérité de trois propositions de loi rédigées en termes identiques, ayant pour auteurs respectifs Jean-Léonce Dupont et Hervé Marseille, Antoine Lefèvre, Daniel Raoul. Il faut y ajouter les propositions de loi déposées à l’Assemblée nationale par des députés membres de différentes instances, notamment l’Association des maires de France, l’Association des régions de France ou l’Assemblée des communautés de France.
Voilà qui est donc fait. Cela a permis à l’excellent rapporteur de la commission des lois, Jacques Mézard, d’apporter un certain nombre d’aménagements, de corrections, de compléments, tous collectivement et fort opportunément réfléchis, pour livrer ici un texte très abouti.
Monsieur le président de la commission des lois, je ne peux m’empêcher de penser qu’en proposant à Jacques Mézard d’être le rapporteur de cette proposition de loi, vous avez choisi un expert en la matière, puisqu’il a été, il n’y a pas si longtemps, le rapporteur de la proposition de loi pour le développement des sociétés publiques locales.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Vous avez tout à fait raison, madame la ministre. Vous êtes très perspicace !
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. J’en profite pour rendre hommage à son auteur, Daniel Raoul.
En tout état de cause, je relève en premier lieu que ce texte répond clairement à un souhait partagé non seulement par les élus locaux, mais par tous les praticiens de la commande publique. Il crée un nouvel outil à mi-chemin entre l’exploitation et la réalisation en régie et l’externalisation par voie de délégation de service public.
Il entend satisfaire, comme cela a été précisé par plusieurs orateurs, plusieurs priorités : un contrôle étroit de l’exploitation ou de la réalisation ; une meilleure information de la personne publique, plus sûre que dans le cadre de la délégation de service public ; une implication accrue dans la gouvernance de la part tant du donneur d’ordre que de l’opérateur ; le recours à l’expertise d’un partenaire économique ; le partage des risques avec l’opérateur privé à hauteur de sa participation au capital de la société commune.
Ce sont là autant de raisons de pur bon sens qui ont milité pour l’approfondissement d’un dispositif qui, sous la forme d’un partenariat public-privé institutionnalisé, aurait fait l’objet d’un avis contrasté.
En effet, si les partenariats public-privé institutionnalisés sont reconnus par le droit européen – je ne reviendrai pas sur les longs développements de Jacques Mézard sur la communication interprétative du 5 février 2008 de la Commission européenne et sur l’arrêt Acoset du 15 octobre 2009 de la Cour de justice de l’Union européenne –, aux yeux du Conseil d’État, ils sont malvenus pour être introduits dans le droit français, selon l’avis rendu le 1er décembre 2009.
Du fait de l’application de la règle de l’identité entre le candidat et le titulaire du contrat à l’issue de la mise en concurrence, le droit interne de la commande publique ne permet pas la constitution d’une société à capital mixte à laquelle l’opérateur privé serait tenu de participer. Le juge administratif semble écarter, dans le cours de la procédure de passation, toute « substitution » d’une personne morale distincte incluant une participation du pouvoir adjudicateur à un candidat participant à la sélection lorsqu’il est susceptible d’être retenu.
La relation entre candidature et attribution serait garante des principes de valeur constitutionnelle de liberté d’accès à la commande publique, de traitement égal des candidats et de transparence des procédures.
Dès lors, le texte proposé veut éviter le piège tendu par le mécanisme des partenariats public-privé institutionnels et, dans le prolongement des sociétés publiques d’aménagement, créées dès 2006, puis des sociétés publiques locales, créées en 2010 et dont le succès a été rappelé, institue la formule de la société d’économie mixte à opération unique.
Il s’agit là d’une nouvelle forme de société d’économie mixte, qui se caractérise par les conditions de son actionnariat et de sa gouvernance, son objet social unique, la mise en concurrence par la procédure spécifique d’appel public à manifestation d’intérêt, ainsi que le bénéfice du régime juridique applicable aux SEM locales s’agissant de l’interdiction de participation dans les sociétés commerciales et de la protection des élus mandataires.
Votre commission, au-delà du changement de nom initial, qui clarifie en tout état de cause cette nouvelle forme de SEM, a apporté trois améliorations essentielles.
D’abord, elle a supprimé toute possibilité de transformation de la société d’économie mixte à l’issue de l’exécution du contrat, dans le strict respect du principe d’unicité de l’objet social.
Ensuite, elle a clarifié les étapes de la procédure de création de cette société d’économie mixte à opération unique et de la conclusion du contrat, avec la mise en place d’une délibération préalable de l’organe délibérant de la personne publique chargée d’encadrer la procédure et la sécurisation de la procédure unique de sélection de l’actionnaire opérateur.
Enfin, elle a supprimé la possibilité de conclure des contrats de partenariat, mettant ainsi fin à la contradiction avec les dispositions de l’article L. 1414-1 du code général des collectivités territoriales.
Je veux saluer tout spécialement la qualité de vos travaux, qui font de cette proposition de loi un texte dont j’ai dit qu’il était abouti – presque abouti, oserais-je dire.
M. Charles Revet. Ah !
Mme Anne-Marie Escoffier, ministre déléguée. En effet, j’émettrai quelques remarques.
S’agissant d’abord du quantum du capital détenu par l’actionnaire public, la possibilité de créer une SEM à opération unique dont le capital est détenu majoritairement par l’actionnaire opérateur, personne privée, est certes la principale innovation de ce texte. Mais ne crée-t-on pas là une nouvelle exception au principe posé par l’article L. 1522-1 du code général des collectivités territoriales ? Cet article dispose en effet que les collectivités ou leurs groupements doivent détenir, séparément ou à plusieurs, plus de la moitié du capital de la société et des voix des organes délibérants.
Bien sûr, il existe déjà plusieurs exemples de SEM locales dérogeant à ce principe, dans lesquelles les collectivités ou leurs groupements n’en jouent pas moins un rôle déterminant. Citons les SEM relevant des décrets de la loi Poincaré de 1926, les SEM remontées mécaniques de 1983, la SEM relevant du droit spécifique d’Alsace-Moselle de 1895, les SEM sportives de 1984, les SEM immobilières d’outre-mer de 1946, la société du marché d’intérêt national de Rungis créée en 1984 par décret spécifique en Conseil d’État.
Néanmoins, contrairement à ces SEM locales, les SEM à opération unique auront un champ d’application très large compte tenu de leur objet, par exemple des opérations d’aménagement ou la gestion d’un service public.
Je veux bien admettre qu’il s’agit là d’une exception encadrée, d’une part, par la présidence de droit du représentant de la collectivité, d’autre part, par la minorité de blocage applicable au sein des sociétés anonymes : les décisions prises par les assemblées générales extraordinaires le sont à la majorité des deux tiers. Avec une part minimale fixée à 34 %, la personne publique conserverait cette possibilité de blocage au sein des organes de la SEM à opération unique.
Rien n’interdirait d’ailleurs d’imaginer une augmentation de la part minimale détenue par un actionnaire privé. Actuellement fixée à 15 %, elle pourrait également constituer un moyen d’efficace pour rééquilibrer les rapports entre actionnaires en procédant à un meilleur partage des risques, sans pour autant accroître le quantum minimal de détention publique.
Je retiendrai, en deuxième lieu, les contrats de sous-traitance dont l’encadrement a été opportunément affiné afin de nous tenir à l’écart de deux écueils, à savoir la conclusion de ce type de contrat sans que leur objet soit précisé, d’une part, ou sans faire une quelconque mention de la procédure de mise en concurrence, d’autre part.
Conscients des difficultés juridiques qu’un tel dispositif aurait pu engendrer, le rapporteur et la commission des lois ont proposé d’y remédier en limitant la conclusion de contrats de sous-traitance aux seuls contrats concourant à la réalisation de l’objet du contrat confié à la SEM à opération unique. Afin d’écarter toute ambiguïté, il est également proposé que la procédure d’appel public à manifestation d’intérêt tienne lieu de mise en concurrence pour les contrats de sous-traitance.
J’éprouve, en revanche, une légère inquiétude s’agissant de la notion d’opérateur économique, notion conforme au droit communautaire, contrairement à celle de personne privée.
La référence à une personne privée exclut une personne publique qui se présenterait comme opérateur économique au sens des directives communautaires. Cette exclusion est contraire aux principes constitutionnels de liberté d’accès à la commande publique et d’égalité de traitement des candidats.
Enfin, je ne veux pas gâter votre plaisir, à vous qui, en réécrivant complètement le dispositif de cette proposition de loi, avez très largement contribué à assurer la clarté et la lisibilité de ce texte, garantes de sécurité juridique lors de sa future application.
Néanmoins, concernant la procédure de mise en concurrence, quelques doutes peuvent encore subsister. Il aurait peut-être été envisageable de renvoyer aux règles de procédure applicables au contrat envisagé et de n’indiquer, dans l’article concerné, que les éléments spécifiques à la procédure de création de la SEM à opération unique et d’attribution du contrat à cette société.
Vous n’aurez pas manqué, mesdames, messieurs les sénateurs, de relever l’extrême prudence qui est la mienne, non pas pour avancer quelque critique, mais simplement quelques questionnements purement amicaux. Je sais trop votre souci de perfection qui a trouvé ici toute sa place, pour venir bousculer un texte dont le Gouvernement se satisfait.
Il s’en satisfait, fort de l’expérience réussie des sociétés publiques locales nées dans cet hémicycle, fort aussi de la conviction et de la détermination des auteurs de cette proposition de loi, fort enfin de sa propre conviction que les collectivités locales ont besoin plus que jamais qu’on leur fasse confiance et qu’on facilite et simplifie toutes nos procédures administratives.
C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère pouvoir rester jusqu’à la fin des travaux sur ce texte, afin d’assister avec satisfaction au vote final qui ne manquera pas d’être émis dans les meilleures conditions possible. Cependant, d’ores et déjà, je vous prie de m’excuser si je devais vous abandonner pour participer aux débats à l’Assemblée nationale sur un texte dont j’ai dit que vous l’aviez examiné avec beaucoup de sagesse, le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi déposée par de nombreux groupes parlementaires à la demande, en quelque sorte, de la Fédération des entreprises publiques locales et largement réécrite par la commission des lois – cela a été rappelé.
Si nous pouvons souscrire aux motifs ayant conduit à cette réflexion qui vise à élargir la palette des outils à disposition des collectivités pour développer leurs projets, nous considérons que la présente proposition de loi soulève cependant un certain nombre de questions.
Certes, la création des SEM contrat, qui deviendront, si cette proposition de loi est adoptée, des SEM à opération unique, est laissée in fine à l’appréciation des collectivités locales, qui pourront, ou non, faire le choix d’y recourir. Cependant, dans sa conception même, cette structure nouvelle suscite nos interrogations.
Autant nous avons soutenu pleinement la création des sociétés publiques locales et en particulier celle des sociétés publiques locales d’aménagement, lesquelles permettent de sauvegarder les outils des collectivités mises à mal par le droit communautaire, en étendant le concept de in house, autant il nous semble que les présupposés de cette nouvelle SEM à opération unique sont fondamentalement différents.
Nous savons bien que cette proposition de loi est née dans un contexte spécifique. Elle s’insère dans le cadre national d’une diminution des marges de manœuvre des collectivités du fait de l’assèchement de leurs ressources par la baisse des dotations de l’État.
Elle s’inscrit également dans un contexte où nombre de nos communes veulent sortir de délégations de service public ou de contrats de partenariat qui ne donnent pas satisfaction, sans avoir, au fond, ni les compétences ni les ressources pour exercer ces responsabilités en régie.
Cette proposition de loi tente donc, finalement, avec la création de ce nouveau type de société hybride, de pallier ces difficultés en conciliant les impératifs d’un contrôle accru de la puissance publique qui serait partie prenante de la société délégataire avec la nécessité de l’apport financier du secteur privé, ainsi que, dans certains cas, de son savoir-faire.
Il faut alors savoir que, conscientes du risque d’être évincées par un recours accru aux régies, les entreprises privées accueillent cette proposition avec enthousiasme. Ainsi, Philippe Maillard, directeur général de la Lyonnaise des eaux, estime que « cet outil vient compléter la gamme des possibilités pour les collectivités de chercher un partenaire en amont. Nous y sommes très favorables, parce que nous le pratiquons depuis longtemps en Espagne ou en Italie ». Il s’agit ainsi clairement d’une alternative ouverte à la régie.
Ce nouvel outil présente également l’intérêt, dans le contexte que je viens d’évoquer, d’éviter de considérer la participation de la collectivité comme un endettement. Cette démarche peut sembler utile et efficace en ces temps de disette budgétaire, car la participation de la collectivité n’est plus considérée comme un investissement mais comme une dépense de fonctionnement. Nous comprenons donc bien pourquoi un tel dispositif peut sembler séduisant aux élus locaux dans leur grande diversité, comme vous l’avez rappelé.
Cependant, sur le fond, nous trouvons cette proposition ambiguë, voire ambivalente. Les SEM à opération unique seront, selon toute vraisemblance, utilisées principalement dans le cadre de futures délégations de service public, notamment celles qui concernent les services publics de réseau, comme cela se fait déjà dans les autres pays européens.
Dans ce cadre, alors que les SEM traditionnelles associent souvent des acteurs privés locaux, les futurs partenaires au sein des SEM à opération unique seront probablement des mastodontes de l’environnement et des transports, tels que Veolia ou Transdev, etc. – on comprend donc qu’ils se réjouissent.
De plus, en matière de gouvernance, à l’inverse de ce qui prévaut pour la grande majorité des SEM actuelles, la puissance publique pourrait, si elle le décide, ne plus être majoritaire face à ces partenaires privés.
Certes, des exceptions existent aujourd’hui – madame la ministre, vous les avez évoquées en détail –, mais elles restent extrêmement minoritaires et touchent des secteurs d’activité spécifiques, tels que les SEM du secteur de la remontée mécanique, celles qui relèvent du droit local en Alsace et en Moselle, les SEM sportives, les sociétés immobilières d’outre-mer ou les SEM créées par décret, etc.
Nous pouvons donc légitimement nous interroger sur la capacité d’une collectivité qui aurait fait le choix d’être minoritaire à peser réellement sur les choix et décisions au sein de la SEM à opération unique, a fortiori si le partenaire est un mastodonte de l’environnement. Or, si on nous dit effectivement qu’elle conservera une minorité de blocage, rien n’indique aujourd’hui, dans la lettre de cette proposition de loi, que 34 % des voix constitueront bel et bien une minorité de blocage, surtout dans ce rapport de force, ce bras de fer, avec les acteurs du secteur privé qui commencent à se manifester, lesquels ne seront plus de même nature et n’auront plus le même poids que les acteurs privés actuels. Certes, tout dépendra du choix de la collectivité qui déterminera, dans le contrat, son niveau de participation au capital, mais nous pouvons nous interroger sur la pertinence d’une telle disposition.
Traditionnellement, en effet, les SEM et notamment les SEM d’aménagement ont été les bras séculiers de nos collectivités, l’outil qui leur a permis de mener des politiques d’aménagement ambitieuses pour répondre aux besoins des femmes et des hommes. Qu’en sera-t-il demain avec ces nouvelles SEM, lorsque les collectivités auront fait le choix de ne pas être majoritaires dans leur capital ? Comment un rapport de force favorable à la collectivité pourra-t-il être créé face à Suez ou à Veolia, une fois le pacte d’associés défini et le contrat attribué ?
Certes, la création de ces SEM à opération unique permettra, selon ses partisans, de répondre à la volonté des collectivités de mener des politiques volontaristes dans un cadre économique particulièrement contraint – l’auteur de cette proposition de loi et le rapporteur l’ont rappelé.
Il existe cependant une contrepartie. En effet, en participant au capital de cette SEM, la collectivité sera amenée à assumer, avec le partenaire privé, un financement – fût-il minimal – et un risque qui sera reflété au sein du pacte d’associés.
Si cette prise de risque et ce financement public peuvent se comprendre dans certains cas, notamment celui de la construction de logements, cela est difficilement envisageable pour des secteurs qui n’appellent pas actuellement de financement public de la part de la collectivité. Ainsi, je rappelle qu’aujourd’hui, dans le cadre d’une délégation de service public, la rémunération du délégataire est liée principalement au résultat d’exploitation.
Finalement, cette proposition de loi n’a pas d’effet sur les différents types de marchés publics, mais bien sur les prestataires, en mettant en concurrence à la fois les projets et les partenaires.
En conclusion, si on revient aux principes des marchés publics, il semble surprenant de considérer que la mise en concurrence puisse concerner autre chose que la prestation elle-même ou un service, à savoir le choix du partenaire. D’un point de vue conceptuel, cette innovation ne manque pas de susciter nos interrogations.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, les sénateurs du groupe CRC, dans leur majorité, s’abstiendront sur cette proposition de loi qui soulève, en somme, plus de questions qu’elle n’apporte de réponses.
La véritable réponse réside selon nous dans le relèvement des dotations aux collectivités locales et l’arrêt des politiques de rétraction de l’action publique, ainsi que, parallèlement, dans la définition, pour les grands services publics de réseau, d’un pôle public national permettant réellement une maîtrise publique et la solidarité territoriale en ce qui concerne les enjeux de ces secteurs.
M. Daniel Raoul. C’est Noël !
Mme Cécile Cukierman. C’est bien Noël, mais c’est aussi le changement, monsieur Raoul ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck.
M. René Vandierendonck. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la ministre, mes chers collègues, ce qu’a fait le rapporteur Jacques Mézard, à savoir désigner ce dont nous parlons, me paraît important pour nous prémunir contre toute dérive.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
M. René Vandierendonck. Je crois que l’abandon de toute référence aux partenariats public-privé institutionnels purge le débat d’un facteur grave de confusion. Vous constaterez vous-même, cher président, que la page « Région » de La Voix du Nord de ce jour produit une comparaison intéressante. Après que l’Inspection générale des finances et le Conseil général de l’environnement et du développement durable ont conduit l’audit de l’ensemble du PPP du canal Seine Nord en mars 2013, le député-maire de Maubeuge remet au ministre des transports, M. Frédéric Cuvillier, un rapport montrant que, pour le même tracé – si on excepte deux zones portuaires en Picardie –, avec la même déclaration d’utilité publique, la formule PPP coûte 1,5 milliard d’euros de plus que la formule qui sera probablement adoptée, à savoir un marché en conception-construction ou en conception-réalisation.
Le parti socialiste, que j’essaie de représenter, a d’abord voulu exclure du débat la référence aux PPP. Cela ne signifie pas que nous soyons pavloviens. En ces temps de réforme difficile de la décentralisation – que j’espère voir aboutir prochainement en commission mixte paritaire – et de raréfaction de la ressource publique,…
M. Éric Doligé. Eh oui !
M. René Vandierendonck. … mes chers collègues, vous ne pourrez pas faire l’économie d’une réflexion comme celle que ce fabuleux binôme Mézard-Raoul a menée en mai 2010 sur la société publique locale.
M. Daniel Raoul. C’est le mariage pour tous ! (Sourires.)
M. René Vandierendonck. Je sais que la référence au binôme fait très plaisir à notre collègue. (M. Jacques Mézard sourit.)
Vous n’empêcherez pas les interrogations autour de la meilleure façon d’« hybrider » la culture du public et celle du privé, car la réflexion doit pouvoir progresser sur ce sujet. À cet égard, la discussion au sein de la commission des lois a été très constructive, ce dont nous nous félicitons.
Nous souhaiterions faire remarquer au gouvernement français très modestement…
M. Henri de Raincourt. Et respectueusement !
M. René Vandierendonck. … que, quand l’Europe ouvre la porte en permettant des assouplissements, il est paradoxal que le débat franco-français la referme.
M. Éric Doligé. Oui !
M. René Vandierendonck. On le voit bien pour les crédits européens ! Dans le même registre, je voudrais ajouter que le Conseil d’État,…
M. Jacques Mézard, rapporteur. Ah !
M. René Vandierendonck. … d’ailleurs très écouté au Sénat et dont les avis sont lus pratiquement en temps réel, a formulé des observations très approfondies. Ce que M. Mézard appelle des « remarques circonspectes » ne conduit pas à une interdiction ; au contraire, tout ce qu’il a prévu est directement rendu possible par l’avis du Conseil d’État. Par conséquent, nous tenons beaucoup à ce que, conformément à la jurisprudence Acoset, dans le cadre d’un appel à concurrence unique, le dispositif permette le choix d’un opérateur et la constitution d’une société mixte, dont les dotations en capital devront être connues de manière très précise.
Il convient également, comme l’a prévu M. Mézard dans son rapport, de limiter les contrats trop connexes, et de bien préciser que la société aura un objet unique : ainsi, à l’expiration du contrat pour laquelle elle aura été constituée, la société d’économie mixte sera dissoute, ce qui veut dire que l’appel à concurrence devra être rouvert à terme échu.
Je vous le rappelle, en France, la participation moyenne dans les sociétés d’économie mixte des acteurs privés purs et durs, banques et entreprises privées – je ne parle pas du groupe Caisse des dépôts –, est extrêmement faible, de l’ordre de 15 %. Il est donc indispensable de rechercher d’autres modes de partenariat.
Souvenez-vous : lors de la création des SPLA, et surtout des SPL, en 2010, des réserves importantes avaient été émises quant à leur efficacité. Pourtant, aujourd’hui, il doit en exister 110 ou 120, cher Daniel Raoul.
M. Jean-Léonce Dupont. Exactement 130 !
M. René Vandierendonck. Honnêtement, parmi les maires de toutes tendances politiques que je côtoie, il n’en est pas un seul qui voudrait faire marche arrière, d’autant que le dossier ciblera essentiellement la délégation de service public.
Mes chers collègues, faites le test dans vos communes ou vos intercommunalités : je vous défie de trouver un élu ou un chef de service qui soit capable, par exemple, d’expliquer de manière simple l’évolution du compte de provisions pour travaux dans le cadre de délégations de service public à trente ou quarante ans – reportez-vous sur ce point aux observations de la Cour des comptes.
M. Daniel Raoul. C’est certain !
M. René Vandierendonck. Il est bien meilleur que la collectivité soit représentée au sein du conseil d’administration.
M. Jacques Chiron. C’est cela qui est important !