M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je voulais tout d'abord remercier notre rapporteur, René Vandierendonck, pour tout le travail qu’il a accompli, pour sa grande compétence et pour son souci du respect de toutes les opinions.
Nous voterons ce texte…
M. Roger Karoutchi. Quelle déception !
M. Jacques Mézard. Merci, monsieur Karoutchi !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Quelle satisfaction !
M. Jacques Mézard. Nous voterons ce texte, sachant que le volet relatif à la création des trois grandes métropoles nous paraît, sur le principe, une novation indispensable.
Au début de mon intervention, mes chers collègues, je voulais vous demander d'imaginer ce qu’aurait été le travail législatif sur cette réorganisation territoriale s'il ne s'était trouvé aucun responsable d'un exécutif local siégeant au Parlement.
M. Philippe Dallier. Très bonne remarque !
M. Jacques Mézard. Imaginez quel eût été le débat dans nos deux hémicycles sur la métropole de Lyon, sur la métropole de Marseille – je ne ferai pas de commentaires sur celle de Paris – sans un seul président, un seul vice-président, un seul maire, un seul adjoint…
Je vous laisse conclure, mais je sais que nous aurons bientôt, malheureusement, à constater quelques dégâts sur le terrain…
Mme Catherine Procaccia. Alors, il ne faut pas voter cette loi !
M. Jacques Mézard. C’est parce que la Constitution fait du Sénat de la République le représentant des collectivités territoriales que notre voix, nourrie de la diversité de nos opinions, doit prendre une portée particulière quand il est question des collectivités. C’est d’ailleurs ce qui justifie que l’article 39 de la Constitution confère au Sénat la priorité pour l'examen des projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales.
C’est aussi parce que la Constitution fait du Sénat de la République une chambre législative à part entière que ce que nous décidons collectivement fait partie intégrante du processus législatif et ne saurait être passé par pertes et profits.
Mesdames les ministres, le Sénat n’a pas à se justifier de jouer sa propre partition et de faire entendre une voix différente parmi les institutions, sous réserve, bien sûr, du respect de l’attribution des compétences qu’opère la Constitution.
Dans ces conditions, vous avez compris le sens du combat d’une grande partie de nos collègues, et en particulier des membres de mon groupe, lorsqu’il s’est agi de s’opposer à la création du Haut Conseil des territoires. Je le répète, nous n'aurions pas voté ce texte s'il avait inclus ce projet. Mesdames les ministres, je le dis très clairement : si cette instance venait à réapparaître sournoisement, sous une autre forme, nous saurions voter contre tout texte l'incluant.
Que n’avons-nous pas entendu à ce propos ! Il s'agissait du combat d’arrière-garde d’un Sénat conservateur qui refusait toute modernisation des institutions – comme si la plupart des pays européens changeaient constamment leurs institutions et leur Parlement...
Avouez que nous avions des raisons de nous inquiéter de l’avenir de notre institution, alors que certains la qualifiaient, au début de ce siècle, d’« anomalie », ou que d’autres en proposaient la fusion pure et simple avec le Conseil économique, social et environnemental !
Pour notre part, notre position était connue, n’en déplaise à ceux, parmi les députés, pour qui l'avis du Sénat ne compte guère : nous avons refusé et refuserons encore et toujours la création de ce Haut Conseil des territoires, organisme destiné à être présidé par le Premier ministre et appelé à être consulté sur la politique du Gouvernement à l’égard des collectivités territoriales, sur la programmation pluriannuelle des finances publiques, sur les projets de réforme concernant l’exercice des politiques conduites par les collectivités territoriales ou sur tout projet de loi relatif à l’organisation et aux compétences des collectivités.
Et ce même conseil aurait été compétent pour faire des propositions de réforme concernant l'exercice des politiques publiques conduites pas les collectivités territoriales.
Mesdames les ministres, heureusement que nous étions là, car, sinon, je vous aurais souhaité bon courage pour supporter, au fil de chaque projet, les avis contradictoires des différentes associations d'élus !
En d’autres termes, sous couvert de créer une instance consultative, le « cœur nucléaire » du Sénat aurait été vidé de sa substance, car nous sommes encore – et, nous le souhaitons, pour longtemps ! – l’émanation directe des collectivités.
Nous acceptons les propositions de réforme, mais à la condition expresse et loyale que cette volonté soit clairement exprimée et qu’elle respecte les procédures tracées par la Constitution, notamment en son article 89. Le Sénat ne saurait être enfermé dans une spécialisation confinée aux collectivités, mais il ne saurait davantage en être subrepticement dépossédé par une novation inacceptable.
Pourtant, telle aurait été la situation. Quelle aurait été alors notre latitude d’action, à nous, Haute Assemblée, devant un projet de loi sur lequel le Haut Conseil des territoires, censé prétendument représenté les élus, aurait rendu un avis positif ? Nous voyons bien ce qu’auraient été les conséquences…
Cela n’aurait pas été raisonnable et aurait contribué à affaiblir le Sénat, ce dont rêvent toujours certains contempteurs de la liberté de ton et de vote qui ne jurent que par le scrutin proportionnel.
C’est la raison pour laquelle les membres de mon groupe se sont battus contre ce « Haut Conseil », qui n’avait de haut que le nom ! Nous sommes fiers d’avoir été à l’initiative de sa suppression lors de la deuxième lecture devant notre Haute Assemblée. Nous sommes fiers de continuer à défendre la spécificité sénatoriale dans le bicamérisme que prévoit la Constitution de la Cinquième République.
Nous tenons au demeurant à remercier le Premier ministre de la position qu’il a adoptée in fine en tenant l’engagement qu’il avait pris de ne pas entamer un nouveau bras de fer avec le Sénat en respectant son choix, cela en dépit des velléités omnipotentes de certains de nos collègues députés.
Je l'ai dit : soyez assurés que nous veillerons à ce que ne revienne pas par le soupirail ce que nous avons fait sortir par la porte !
Cela étant dit, la CMP a été amenée à opérer un subtil travail d’équilibre entre les positions parfois divergentes de nos deux assemblées. Elle y a globalement parvenue ce qui, reconnaissons-le, est devenu assez exceptionnel ces derniers temps.
Les sujets d’opposition n’étaient pourtant pas des moindres, à commencer par les fameuses conférences territoriales de l’action publique.
Nous avions apporté notre soutien à la commission des lois, dont la position consistait à laisser un maximum de souplesse aux collectivités pour organiser ces conférences. En effet, plus la procédure se compliquera avec des cadres stricts, moins cela fonctionnera. Il faut laisser aux représentants des collectivités le soin de se concerter sans tutelle d’une collectivité sur une autre.
Nous regrettons que la commission mixte paritaire ait arrêté une position à mi-chemin, en donnant aux présidents de région la présidence de ces instances. Toutefois, nous sommes plutôt satisfaits que ces conférences n’aient pas été transformées en instances décisionnelles, comme pouvait le souhaiter initialement le Gouvernement.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Jacques Mézard. Nous sommes en particulier satisfaits qu’ait été abandonnée l’idée de créer des schémas de compétences dont le respect conditionnait notamment l’octroi de subventions aux collectivités.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
M. Jacques Mézard. Non seulement ces documents venaient encore complexifier le paysage administratif, mais ils s’apparentaient à une tutelle qui ne disait pas son nom, que nous avions combattue, pour notre part, sous une autre forme, lors du projet de création du conseiller territorial.
Alors que la simplification de notre organisation territoriale est un objectif assez communément partagé, il est tout de même malheureux que nous en soyons encore à démultiplier les instances consultatives et autres commissions de réflexion !
Certes, sur le terrain – puisque nous sommes encore nombreux, ici, à présider un exécutif –, nous constatons que la multiplication de ces instances pollue le plus souvent le débat et ne facilite pas les choses, bien au contraire. Nous passons notre temps en débats pour malheureusement ne pas aboutir à des conclusions positives.
Mme Isabelle Debré. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Les écueils de notre organisation sont pourtant bien connus et appellent de vraies décisions dans le sens de la simplification souhaitée par nos concitoyens, dont la plupart ne connaissent pas, et ne peuvent pas connaître, les méandres des processus de prise de décision. Je vous invite, à ce sujet, à lire certaines des propositions récentes de notre délégation aux collectivités territoriales sur les conséquences du non-cumul ; vous verrez très clairement que tout ce que nous avions dit correspondait à la stricte réalité.
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Jacques Mézard. Nous aurons l’occasion de le rappeler au début du mois de janvier prochain…
Ce que nous pensons être le plus juste et le plus efficace doit être une réelle simplification, dans tous les domaines : il y a trop de lois, de règlements, de contraintes administratives, de blocages, d’enterrement de projets avec, au bout du compte, la lassitude des élus et l’égarement des citoyens-administrés.
Ce que les élus ont en outre exprimé, c’est leur soif de simplification et de clarification des compétences. Sans partager peut-être l’optimisme qui s’est exprimé tout à l’heure, je veux souligner que la question des compétences et de la clause générale de compétence se posera de nouveau, inéluctablement.
M. René Vandierendonck, rapporteur. Il le faut !
M. Michel Mercier. Tout à fait !
M. Jacques Mézard. Il faudra la poser, quelles que soient nos sensibilités politiques. Et je ne regrette pas d’avoir voté contre le rétablissement de la clause générale de compétence avec d’autres de mes collègues il y a peu.
Nous venons ainsi de transformer la commission consultative d’évaluation des normes en « conseil national d’évaluation des normes » ; j’espère que cela aura des effets positifs.
J’en viens à la création des métropoles.
Comme nous l’avions dit, il est évident que la structure administrative de notre pays n’est plus adaptée au grand jeu européen, où la concurrence entre territoires est devenue une réalité quotidienne. Nous ne sommes pas des laudateurs d’une concurrence sauvage où la compétitivité tiendrait lieu de seul critère d’évaluation du bien-être d’un territoire. Toutefois, la réalité étant ce qu’elle est, nous ne pouvons pas laisser nos territoires désarmés au sein d’une Europe qui se transforme chaque jour.
C’est la raison pour laquelle il nous a semblé évident, depuis le début, que Paris, Marseille et Lyon devraient bénéficier d’un statut particulier, conforme à leur poids dans le pays et à l’avenir qui doit être le leur.
Nous sommes, en revanche, plus réservés quant à la multiplication des métropoles sur tout le territoire, devenue d’autant plus facile que les conclusions de la CMP ont acté l’automaticité de la transformation de la plupart des communautés urbaines. Ne l’oublions pas, à côté des métropoles existent des territoires enclavés, moins dynamiques, qui ne demandent qu’à être aidés pour assurer à leurs habitants les mêmes chances que les autres, et les départements constituent encore un échelon de proximité qui, s’il doit évoluer, sera difficile de remplacer, à moins de bouleverser vraiment l’organisation administrative.
Je citerai enfin l’un des volets de ce texte que nous devons au Sénat, et plus spécialement à nos collègues Pierre-Yves Collombat et Louis Nègre, dont je salue le travail. L’introduction de dispositions relatives à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations vient utilement combler un vide juridique.
Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, ce projet de loi n’est pas, tant s’en faut, la « révolution copernicienne » de la décentralisation que d’aucuns attendaient. L’objectif de simplification reste un horizon et nous n’en apercevons pas encore complètement le commencement. Cependant, pour toutes les raisons que j’ai dites, compte tenu en particulier de la suppression du Haut Conseil des territoires, notre groupe, très majoritairement, sera en mesure d’approuver l’économie générale du texte issu des conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et de l'UDI-UC.- Mme Isabelle Debré applaudit également.)
Mme Isabelle Debré. J’applaudis vos propos sur le non-cumul des mandats et le Haut Conseil des territoires !
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous sommes parvenus au terme de la discussion de ce projet de loi qui nous a, toutes et tous, beaucoup mobilisés. Je voudrais à mon tour remercier le rapporteur et le président de la commission des lois, qui sont les principaux « accoucheurs » de ce texte. C’est que rechercher le compromis est probablement inscrit dans leurs gènes, comme la marque de leur origine, le signe de là d’où ils sont issus ; ce qui fait que, avec Jean-Jacques Hyest, nous sommes au moins quatre ! (Sourires.)
M. René Vandierendonck, rapporteur. J’assume !
M. Michel Mercier. Nous devions trouver les moyens de parvenir à un résultat, probablement avec cette philosophie, pour la simple et bonne raison que notre pays a changé : ne vouloir rien toucher à l’administration territoriale, c’est ne pas répondre à la demande de nos concitoyens, qui sont bien plus prêts que nous à accepter une réforme locale. Les gens vivent différemment, leur mode de vie a changé : il convient d’en tenir compte.
L’idée métropolitaine, c’est d’abord cela. Le temps est révolu où l’on naissait, étudiait, travaillait, habitait toute sa vie dans le même quartier ou dans la même commune. Nous vivons tous dans des espaces plus grands, qu’il faut organiser. Le rôle du droit local est d’organiser la vie quotidienne des gens, et ce texte, je crois, y pourvoit.
Est-il le texte parfait que l’on pouvait espérer ? Sûrement pas ! Il s’agit d’un texte de compromis, cela a été dit à plusieurs reprises. Nous avons parfois pu vérifier la pertinence de la maxime du cardinal de Retz. Vous n’avez pas hésité, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, à rester dans l’ambiguïté, lorsqu’il le fallait pour que le texte puisse exister. J’en relève au moins deux exemples.
Le premier, qui est peut-être excessif, d'ailleurs – et je m’adresse ici notamment au Gouvernement – concerne la dénomination de « métropole ». Vouloir baptiser ainsi tous les regroupements, n’est-ce pas nuire, d’une certaine façon, à l’idée même de métropole ? Je ne suis pas certain que toutes les métropoles qui vont s’appeler « métropole » soient des métropoles…
Madame la ministre, vous avez bien évidemment tous les droits, mais je voudrais être sûr que vous n’allez pas défaire, dans la loi suivante, ce que vous avez fait dans celle-là.
M. Michel Mercier. En effet, créer cinq métropoles et conserver la région n’a guère de sens. (Mme la ministre s’exclame.) Nous verrons bien les limites de l’exercice à ce moment-là. Le Gouvernement et ses services ne manqueront sans doute pas d’inventer habilement une nouvelle de notion de « région régionnante », par exemple, pour pouvoir accepter une « région régionnante à métropoles multiples », et cela dans le plus grand respect de l’ambiguïté…
Non, mesdames les ministres, on ne peut pas tout appeler « métropole » parce que tout n’est pas métropole !
Le second exemple d’ambiguïté concerne le mode d’élection des conseillers métropolitains. J’ai bien compris qu’il ne fallait pas changer, tout en changeant… Je vais tenter l’optimisme et voter pour le texte proposé par les rapporteurs : certes, ils avaient tous deux une idée contraire, mais, en fin de compte, ils montrent le chemin. En 2020, des changements profonds se produiront en ce qui concerne le mode d’élection des conseillers métropolitains. Il est faux de penser que l’on pourra construire un système métropolitain sans rien changer ; cela ne fonctionnera pas !
Mme Hélène Lipietz. Eh oui !
M. Michel Mercier. Si nous avons relativement bien réussi à Lyon, ce n’est pas simplement parce que Gérard Collomb et moi-même nous entendons bien depuis plus de trente ans, ce qui est, vous en conviendrez, plutôt accessoire,…
M. René Vandierendonck, rapporteur. Cela ne nuit pas !
M. Michel Mercier. … mais c’est parce que nous avons accepté qu’une collectivité disparaisse. Sinon, la métropole ne pouvait pas exister. Si l’on veut conserver toutes les couches administratives et en ajouter une, on va droit à l’échec ou à la complexification, qui n’est que la petite sœur de l’échec.
Le département du Rhône a accepté – il a fallu l’y pousser un peu… – de disparaître sur le territoire de la métropole. Or l’apport du département est majoritairement technique, même s’il est essentiel, notamment dans le domaine social. Les élus communautaires et métropolitains de demain vont donc devoir effectuer un important travail d’apprentissage en la matière, car ils ne se rendent pas tout à fait compte de la charge qu’ils s’apprêtent à assumer.
Quoi qu’il en soit, ce choix était indispensable pour créer une métropole complète, responsable.
Pour revenir au projet de loi, il s’agit d’un texte d’attente, ou d’espérance, comme on voudra, mais je pense que, pour M. Vandierendonck et moi-même, ce sera plutôt l’espérance, chère à Péguy.
Car il faudra bien aller plus loin : là où il y a métropole, il ne peut y avoir département ; sinon, cela ne fonctionnera pas.
M. Philippe Dallier. C’est certain !
M. Michel Mercier. Si l’on est optimiste, on voit dans ce texte une étape et l’on se prend à espérer pouvoir , un jour, créer les véritables métropoles dont nous avons besoin. Or, pour cela, il faut des élus qui soient responsables, et eux seuls, du devenir de cet ensemble humain que constitue la métropole.
Permettez-moi quelques mots sur le département du Rhône.
Si ce projet de loi est adopté, la loi sera promulguée, après une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel, dans un mois et demi environ. Il existera donc un département du Rhône et une métropole de Lyon.
Mesdames les ministres, j’invite le Gouvernement à le vérifier sur un calendrier de la poste – Noël est la bonne période pour vous en procurer un auprès de votre facteur (Sourires.) - il ne reste pas dix mois à l’État pour s’organiser.
Certes, une ordonnance est prévue – un peu bancale, c’est le moins que l’on puisse dire –, mais on ne sait pas quels seront les tribunaux compétents. J’attends une réponse sur ce point.
Il faudra même une loi organique, mais quand interviendra-t-elle?
Le Gouvernement, je lui en rends hommage, avait bien tenté de prendre des dispositions pour régler le problème lors des élections régionales, s’agissant du département et de la métropole. Et puis, badaboum, tout est tombé à l’Assemblée nationale ! Quand prévoyez-vous de présenter un projet de loi à ce sujet ? À moins que cela ne relève pas du domaine de la loi, tout est possible, mais cela m’étonnerait… Vous trouverez autre chose ! (Sourires.)
Y aura-t-il une ou deux chambres d’agriculture ? Aujourd'hui, le bâtiment est situé dans la métropole de Lyon alors que les paysans sont, eux, dans le département du Rhône ! Comment fera-t-on ? Nous comptons trois morceaux de chambres de commerce et d’industrie. Quand mettra-t-on un peu d’ordre dans tout cela ?
Il serait bon que le Gouvernement nous précise ses intentions, notamment pour ce qui est du calendrier. J’ai conscience que l’on ne peut tout faire en un seul jour, mais ce que nous votons aujourd’hui doit avoir tout son sens le 1er janvier 2015. Alors, oui, que les collectivités soient organisées, mais à l’État de s’organiser également ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de nos travaux sur le projet de loi dit « de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles ».
Chacune des étapes de ce marathon législatif fut en fait une course de vitesse. À cet égard, la dernière, celle de la CMP, n’est pas en reste : les sénatrices et les sénateurs n’auront disposé que de quelques heures pour prendre connaissance du texte final qui nous est soumis ce matin. Cette manière de procéder n’est respectueuse ni du travail des parlementaires ni du Parlement lui-même.
En fait, tout au long de nos débats, plus que de modernisation, il fut surtout question de mesures visant à toujours plus encadrer et toujours plus réduire l’action des collectivités territoriales. L’objectif évident était de répondre aux injonctions de Bruxelles en réduisant la dépense publique au niveau local.
Dès le début de nos travaux, en avril dernier, nous avions fait part de nos interrogations, de nos réticences et de nos désaccords sur un grand nombre des articles de ce projet de loi.
Nous espérions être entendus, même partiellement, sur les nombreuses propositions que nous avons soumises au débat, en particulier celles qui concernaient le développement du pouvoir d’intervention de nos concitoyens.
Tous nos amendements étaient fondés sur le respect de notre architecture institutionnelle locale – communes, départements, régions – et le renforcement de l’action de chacun de ces échelons par le développement de coopérations multiformes à partir de projets partagés tendant à toujours mieux répondre aux attentes de nos populations.
Plus précisément, nous avons en permanence soutenu l’idée que les intercommunalités devaient rester des outils de coopération entre les mains des communes, et non des instruments d’intégration visant à la disparition de ces dernières.
Dans le même temps, nous avons toujours refusé de nouveaux désengagements de l’État, lequel, se défaussant de ses responsabilités sur les collectivités territoriales, met à mal l’égalité des citoyens et brouille toute perspective d’un développement équilibré et harmonieux de nos territoires, ces territoires qu’il préfère mettre en concurrence.
Nos propositions reprenaient, pour l’essentiel, les préoccupations qui s’étaient manifestées au cours des États généraux de la démocratie territoriale, organisés par le Sénat, afin de permettre l’émergence d’un « acte III » de la décentralisation, fondé cette fois sur les besoins des élus locaux et des populations et faisant confiance à l’« intelligence territoriale », comme aime à le rappeler notre rapporteur.
Chacun d’entre nous doit se souvenir des rencontres départementales que nous avons organisées, au cours desquelles les prises de parole furent libres et exigeantes. Des centaines d’élus locaux participèrent aux débats au sein des ateliers et lors de la séance plénière à Paris.
Nous souvenant de ces paroles échangées, de ces exigences partagées, nous sommes bien obligés de constater que votre projet de loi et ceux qui vont suivre ne répondent nullement aux attentes fortes qui s’étaient alors exprimées.
Cette volonté d’un acte III de la décentralisation, dont plus personne ne parle, était née particulièrement du constat que la réforme de 2010, condamnée sur toutes les travées de gauche, avait été jugée trop éloignée des attentes des différents acteurs de nos territoires.
Malheureusement, le texte que vous nous avez proposé, madame la ministre, s’inscrivait dans les pas de cette loi de 2010 pourtant décriée par vous et vos amis, ainsi que par de très nombreux élus, bien au-delà de la gauche.
Je me souviens qu’un certain jour de novembre 2010, à quelques pas de l’Assemblée nationale, alors que se réunissait la CMP sur ce projet de réforme des collectivités territoriales, une députée socialiste, présidente de la Fédération nationale des élus socialistes et républicains, dénonçait, aux côtés des élus communistes, républicains, et citoyens, cette réforme mettant à mal la libre administration des collectivités territoriales. Nous étions alors en plein accord, madame la ministre.
Pour notre part, nous n’avons pas changé et continuons le même combat : d’abord, celui du respect de notre démocratie locale, qui permet aux citoyens, dans la proximité, d’intervenir et d’être partie prenante de l’action publique ; puis, celui du développement de l’action publique au service de tous, au plus près des besoins et des attentes des populations, en particulier de celles qui souffrent le plus de la crise.
Il est vrai qu’une telle volonté, qu’une telle perspective, semblent ne plus être à l’ordre du jour de la majorité gouvernementale. Nous ne pouvons que le regretter et n’acceptons pas que les politiques d’austérité deviennent aujourd’hui la norme dans nos collectivités territoriales ni que les citoyens soient toujours plus écartés des lieux de décision.
Dans ces conditions, compte tenu de notre critique sur les orientations portées par ce projet de loi et par cohérence avec notre position lors de chaque lecture, nous ne voterons pas les conclusions de la commission mixte paritaire.
Qu’il me soit cependant permis de vous livrer quelques remarques sur ce texte, qui ne peuvent que nous renforcer dans notre position.
Si nous n’avons pu, lors de chaque lecture, que voter contre le texte issu des travaux du Sénat, nous avons malgré tout pris note des amendements retenus par notre commission et de ceux qu’a adoptés la Haute Assemblée qui différaient des orientations des textes présentés par le Gouvernement et adoptés par l’Assemblée nationale. Certains de nos amendements ont même été retenus, quand d’autres ont reçu notre soutien.
Aussi, force est de constater que le texte qui nous est présenté ne ressemble en rien, sur des points essentiels, à celui que le Sénat a adopté.
En effet, la CMP, ce petit comité qui, dans le secret, met à mal tout le travail des deux chambres pour parvenir à un accord, en dehors de toute publicité des débats et sans aucune transparence, a pour l’essentiel repris les mesures contenues dans le texte initial – certes, réaménagé – du Gouvernement, particulièrement bien soutenu par nos collègues députés.
Ces derniers ont agité le chiffon rouge du Haut Conseil des territoires, dont vous n’aviez pas soutenu la création, madame la ministre, en deuxième lecture dans cet hémicycle.
En échange du retrait de ce Haut Conseil, l’essentiel des autres divergences entre la version du projet de loi issue des travaux des députés et la nôtre ont été tranchées très largement en faveur de l’Assemblée nationale, réduisant à néant les efforts de notre rapporteur pour faire évoluer le texte gouvernemental.
Ainsi, la création automatique des métropoles devient la règle pour la quasi-totalité des aires urbaines en devenir, alors que le Sénat refusait jusqu’ici cette automaticité et souhaitait au contraire que les intercommunalités et les communes soient consultées.
Le Sénat n’a pas été entendu !
Pour la métropole du Grand Paris, c’est la vision des députés qui a été retenue, celle qui a été portée par ce que certains ont appelé « le putsch organisé par les amis du président de l’Assemblée nationale ».
Les intercommunalités de projet vont disparaître et l’ensemble de leurs attributions remonter à la métropole, contre l’avis de l’immense majorité des élus franciliens. Il s’agit d’un coup d’arrêt brutal à la dynamique des territoires et au polycentrisme qui vient d’être imposé au cœur de l’Île-de-France.
Le Sénat n’a pas été entendu sur ce point non plus !
Ainsi, plus de 10 000 agents des intercommunalités vont être transférés et la métropole devra gérer un ensemble de compétences disparates sur certaines parties seulement de son territoire via les conseils de territoire, structures sans autonomie juridique, ne pouvant rien faire sans l’autorisation ni les moyens financiers de la métropole. Une telle situation, à l’évidence, se révèlera complètement ingérable.
En plus de cela, contre toute attente, de nouvelles compétences sont transférées à la métropole de Paris, plus larges que les seuls axes stratégiques que soutenait notre Haute Assemblée.
Enfin, la perspective de la disparition des départements de la petite couronne est dorénavant ouverte par les plus hautes autorités, qui se sont engagées sur un rapport allant dans ce sens.