Mme la présidente. Mes chers collègues, nous sommes parvenus au terme du temps alloué à l’ordre du jour réservé au groupe CRC.
Je constate que nous n’avons pas achevé l’examen de la proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’Agence de financement des infrastructures de transports.
Il appartiendra à la conférence des présidents d’inscrire la suite de la discussion de ce texte à l’ordre du jour d’une séance ultérieure.
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Exercice par les élus locaux de leur mandat
Discussion en deuxième lecture d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat (proposition n° 255, texte de la commission n° 291, rapport n° 290).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons ce soir pour la deuxième lecture d’une proposition de loi importante, issue des travaux des états généraux de la démocratie territoriale et dont l’objet principal est d’améliorer les conditions d’exercice des mandats locaux.
Depuis l’examen du texte en première lecture au Sénat, voilà tout juste un an, plusieurs textes importants pour notre vie démocratique ont été adoptés. Je pense notamment à la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
Demain, il y aura plus de diversité parmi nos élus, qui représenteront mieux la société. Grâce à la proposition de loi de Jacqueline Gourault et de Jean-Pierre Sueur, la vitalité démocratique de notre pays sera renforcée et nos citoyens pourront s’engager plus facilement dans la vie publique.
Nos élus locaux accomplissent une noble et difficile tâche. Chaque jour, ils mettent leur énergie au service de l’intérêt général. Dans une société de plus en plus impersonnelle et dématérialisée, où le lien social se distend, les élus locaux sont les garants de la continuité républicaine. Ils font face à des contraintes de plus en plus lourdes. L’argent public est rare, les normes sont multiples, la demande sociale est croissante…
Le choix de représenter ses concitoyens et de se mettre au service de l’intérêt général, beaucoup le font en conscience, par devoir, mais aussi parfois par défi. Pourtant, nous le savons bien, ce n’est pas un choix facile. Tout le monde ne concourt pas à égalité dans cette grande bataille démocratique.
À cela, il y a d’abord des raisons financières. Faut-il rappeler ici que 80 % des élus municipaux ne perçoivent aucune indemnité ? Leur investissement auprès des habitants, de jour comme de nuit, est bien souvent bénévole. Nous l’avons vu récemment, avec les tragiques événements survenus dans le sud de la France.
C’est un engagement lourd. La majorité des élus, notamment dans les petites communes et communautés de communes, sont obligés de garder une activité professionnelle à côté de leur mandat. Cela explique que les élus soient majoritairement fonctionnaires, statut qui offre la possibilité de retrouver son emploi au terme du mandat, retraités ou membres de professions libérales.
Je trouve choquant d’entendre des candidats à des élections annoncer par avance qu’ils renonceront à leur indemnité s’ils sont élus : c’est envoyer le message que, au fond, les élus n’ont pas besoin d’être rémunérés, en oubliant que certains d’entre eux, amenés à renoncer à leur activité professionnelle, n’ont aucune autre source de revenu que leur indemnité. Une telle attitude ne rend donc pas service à la démocratie, et j’espère que de telles déclarations ne se multiplieront pas. La représentation de nos concitoyens ne doit pas être réservée aux plus aisés, aux héritiers ou aux membres de professions suffisamment rémunératrices pour leur permettre de consacrer bénévolement du temps à l’exercice d’un mandat. La société est complexe, multiple : chacun doit pouvoir accéder aux mandats électifs.
Il nous incombe à tous de souligner que la vie de l’élu n’est pas facile, qu’elle suppose des sacrifices, qu’elle ignore souvent la sécurité et qu’elle est parfois marquée par la précarité.
Dans le climat actuel de défiance qui entoure l’action publique – à cet égard, les résultats de quelques récents sondages sont assez alarmants –, les élus doivent aussi faire face à toutes sortes de suspicions. Parce qu’ils incarnent l’autorité publique, les élus locaux sont en première ligne pour affronter les critiques de leurs concitoyens. Ils doivent donc être exemplaires en tous points, et ils le sont.
Le Président de la République a fait le choix clair d’une refondation profonde de notre vie politique. Nous devons aux Français l’exemplarité. Avec les réformes relatives à la transparence de la vie publique, à la lutte contre l’évasion fiscale, à l’instauration de la parité pour les conseillers départementaux, à la fin du cumul, nous avons déjà beaucoup fait. M. le Premier ministre le rappelait lors du dernier Congrès des maires : « partout où l’échelon communal retrouve les moyens d’agir, c’est la République qui progresse », car le maire est « la démocratie en personne ».
J’aimerais m’arrêter sur l’un des points qui alimenteront nos débats.
Depuis plusieurs années, le Sénat propose de modifier la définition de la prise illégale d’intérêt applicable à toute personne publique, au motif que celle-ci serait encore trop floue. Je sais toute l’importance que la Haute Assemblée accorde à ce sujet difficile, sur lequel elle travaille depuis plus de dix ans. Néanmoins, je tiens à dire ici, au nom de Mme la garde des sceaux et de l’ensemble du Gouvernement, que modifier cette définition n’est sans doute pas la meilleure solution.
En effet, en dix ans, la jurisprudence s’est stabilisée. Un changement législatif aurait pour conséquence immanquable de susciter de nouveaux débats d’exégèse médiatique et de bouleverser la jurisprudence que les élus connaissent bien.
Au-delà, il nous semble que légiférer dans ce domaine est peu lisible pour nos concitoyens. Chaque année, moins de trente condamnations concernent des élus, alors que ceux-ci sont au nombre de 618 384 : c’est très peu, et encore les citoyens ont-ils, dans la majorité des cas, rendu une forme de justice à l’élu mis en cause.
Dès lors, il n’y a pas lieu de protéger les élus contre de prétendues poursuites abusives.
M. Jean-Jacques Hyest. Si, un peu quand même !
M. Jean-Jacques Hyest. Pas forcément !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. C’est pourquoi le Gouvernement entend être aussi ferme aujourd’hui qu’il le fut lors des précédentes discussions sur ce sujet.
M. Pierre-Yves Collombat. On ne peut pas dire qu’il ait été très ferme contre les abus bancaires ! Avouez que les lois bancaires sont tout de même un peu laxistes !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je vois que MM. Hyest et Collombat sont prêts au combat ! (Sourires.)
Ce que je vous propose, c’est de travailler avec les juridictions compétentes pour établir un guide, à partir de la jurisprudence, afin que les choses soient claires pour tous les élus de France. Étant moi-même une élue locale, je crois qu’il est important de savoir à quel moment on doit se déporter et ne pas voter telle ou telle subvention.
Dans ce guide seraient précisés les droits et les devoirs des élus dans le domaine qui nous occupe. C’est à mes yeux la bonne solution.
Plus largement, le texte que nous examinons est le fruit d’un intense travail parlementaire, et le Gouvernement s’est appuyé sur de nombreux rapports pour proposer des avancées sensibles.
L’Assemblée nationale a conforté la vision du Sénat et proposé plusieurs mesures, comme l’instauration d’une charte des élus locaux, que certains d’entre vous approuvent et d’autres non ; nous en débattrons tout à l’heure. En tout état de cause, cette charte n’est pas un élément de droit ; sa valeur est largement symbolique, j’en conviens, mais sa mise en place n’en aurait pas moins de prix en une période où, malheureusement, les élus ne sont pas suffisamment respectés et où leur rôle est mésestimé.
L’Assemblée nationale a aussi créé la possibilité, pour les élus, de se faire rembourser des frais de garde d’enfants. Cette disposition, qui a été introduite par le biais d’un amendement du Gouvernement, vise à améliorer les conditions d’exercice du mandat de ceux qui assument également la charge d’une famille. Que de réunions à 18 heures 30 qui posent problème aux élus par ailleurs parents ! Aujourd’hui, le remboursement de ces frais est logiquement réservé aux conseillers municipaux qui ne perçoivent pas d’indemnité de fonction ou aux membres d’exécutifs locaux qui cessent leur activité pour assumer leur mandat. Le Gouvernement a donc souhaité élargir cette possibilité à tous les élus.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la France a besoin d’élus libres et compétents, de femmes et d’hommes de tous horizons, animés par la passion du bien public et capables de créativité et d’initiative.
C’est tout l’objet du projet de loi de mobilisation des régions pour la croissance et l’emploi et de promotion de l’égalité des territoires qui viendra en discussion dans quelques semaines et renforcera l’empreinte des élus locaux sur leur territoire.
Les élus devront et sauront, j’en suis certaine, prendre toutes leurs responsabilités. La présente proposition de loi les y aidera en leur donnant les moyens de bien exercer leurs fonctions.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de l’excellent travail accompli. Je sais que nos positions sont différentes, mais j’aime le débat ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Saugey, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de me réjouir que, après qu’une première proposition de loi adoptée le 30 juin 2011 par le Sénat eut été laissée sans suite par l’Assemblée nationale, celle dont nous débattons ce soir en deuxième lecture ait été soumise au vote des députés : le 18 décembre 2013, ils en ont approuvé l’économie générale et l’ont complétée sur plusieurs points.
Le dispositif sénatorial visait à mieux garantir les facilités déjà prévues par la loi pour l’exercice des fonctions électives.
Le Sénat a conforté la démarche des deux auteurs de la proposition de loi, nos collègues Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, qui se voulaient pragmatiques et réalistes en ciblant les dispositions les plus nécessaires pour endiguer le déclin du nombre des candidatures aux responsabilités locales et maintenir la vitalité et la diversité de la démocratie locale.
Le texte adopté en première lecture par la Haute Assemblée comporte des améliorations sensibles, susceptibles d’élargir le vivier des responsables locaux en favorisant notamment une meilleure conciliation entre fonction élective et activité professionnelle.
Il vise tout d’abord à harmoniser le régime indemnitaire des exécutifs, selon les quatre points suivants.
Premièrement, il prévoit que l’indemnité du maire soit fixée à un taux unique correspondant au taux maximal prévu par le barème de l’article L. 2123-23 du code général des collectivités territoriales.
Deuxièmement, il est proposé que le régime indemnitaire des membres de l’organe délibérant des communautés de communes soit aligné sur celui des autres établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.
Troisièmement, il instaure le reversement au budget de la collectivité concernée de la part écrêtée de l’indemnité au-delà du plafond fixé par la loi en cas de cumul de rémunérations et d’indemnités.
Quatrièmement, il exclut de la fraction représentative des frais d’emploi les revenus pris en compte pour le versement d’une prestation sociale sous condition de ressources.
Il s’agit ensuite de mieux protéger les élus salariés, par le biais des neuf dispositions suivantes : extension du congé électif aux communes de 1 000 habitants au moins ; mise en place d’un crédit d’heures pour les conseillers municipaux des communes de moins de 3 500 habitants ; élargissement du champ des bénéficiaires du droit à suspension du contrat de travail et à réinsertion dans l’entreprise à l’issue du mandat, et prolongation de la période d’effet jusqu’au terme du second mandat consécutif ; attribution de la qualité de salarié protégé aux bénéficiaires du droit qui n’ont pas cessé d’exercer leur activité professionnelle ; extension du droit au congé de formation professionnelle et au bilan de compétences aux adjoints au maire des communes d’au moins 10 000 habitants ; doublement de la période de perception de l’allocation différentielle de fin de mandat, pour la faire passer de six mois à un an ; suspension du décompte de la période de validité de la liste des lauréats à un concours de la fonction publique territoriale pour la durée du mandat électif ; ouverture aux titulaires d’une fonction élective locale du dispositif de validation de l’expérience acquise à ce titre pour la délivrance d’un diplôme universitaire ; institution de la faculté, pour les membres des assemblées délibérantes, de constituer un droit individuel à la formation.
La proposition de loi vise, enfin, à encourager la formation des élus locaux,…
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Bernard Saugey, rapporteur. … avec l’instauration d’un plancher de dépenses obligatoires pour la formation des membres des assemblées délibérantes, la mise en place d’un dispositif de report des sommes non dépensées une année sur le budget suivant de la collectivité, dans la limite du renouvellement général du conseil, et l’institution de l’obligation, pour les collectivités, d’organiser une formation au cours de la première année de mandat des conseillers municipaux, généraux, régionaux et des conseillers communautaires ayant reçu délégation.
Reprenant une disposition précédemment adoptée par le Sénat, en 2010, l’article 1er A vise à clarifier le champ des poursuites de la prise illégale d’intérêt.
Ce dispositif a été modifié par l’Assemblée nationale, qui a introduit dans le texte des propositions formulées par la mission d’information créée par sa commission des lois, sur le rapport des députés Philippe Doucet et Philippe Gosselin. Nous y reviendrons, car nous souhaitons défendre le texte que le Sénat avait adopté à l’unanimité en première lecture. La commission des lois du Sénat a en effet changé son fusil d’épaule ce matin, en revenant à la notion d’« intérêt personnel distinct de l’intérêt général », que notre assemblée avait jugée plus claire que celle d’« intérêt quelconque » figurant actuellement dans la loi.
Madame la ministre, vous avez indiqué que l’on relevait seulement trente condamnations pour plus de 600 000 élus. Cependant, il faut aussi penser à ceux qui ont été inquiétés, entendus par la gendarmerie et dont la vie a été longtemps gâchée. Je connais des cinquantaines de cas de cet ordre, mais j’évoque toujours le même, car il est révélateur : en Saône-et-Loire, un maire ayant fait voter par son conseil municipal une subvention au club de football de sa commune, qui opère à un bon niveau, a été mis en cause pour prise illégale d’intérêt, au seul motif que son neveu jouait dans une des équipes du club ! Au bout d’un an, évidemment, l’affaire a tourné en eau de boudin et le maire n’a pas été condamné, mais sa vie a été gâchée pendant tout ce temps…
Outre plusieurs coordinations rendues nécessaires par les lois promulguées depuis le vote du Sénat – concernant notamment l’attribution de l’indemnité de fonction des maires d’arrondissement de Paris, de Lyon et de Marseille –, les principaux ajouts adoptés par l’Assemblée nationale sont les suivants.
Premièrement, les députés ont institué une charte de l’élu local. Nous avons réduit de moitié, de douze à six, le nombre de ses articles, car certaines stipulations nous semblaient superfétatoires. Par exemple, il n’est pas utile de préciser que « les élus doivent respecter la loi » : c’est tout de même la moindre des choses !
Deuxièmement, l’application du taux unique pour fixer le montant de l’indemnité du maire a été restreinte aux communes de moins de 1 000 habitants.
Troisièmement, le bénéfice du dispositif de majoration des indemnités qui peut être mis en œuvre dans les communes chefs-lieux de canton a été maintenu pour celles d’entre elles qui perdraient cette qualité à la suite de la réforme en cours de la carte cantonale.
Quatrièmement, l’Assemblée nationale a prévu l’insertion obligatoire dans les règlements intérieurs des conseils généraux et régionaux du principe de la réduction du montant des indemnités de leurs membres à raison de leur participation effective aux séances plénières et aux réunions des commissions dont ils sont membres.
Cinquièmement, les députés ont étendu le droit à suspension du contrat de travail et de la qualité de salarié protégé aux élus des arrondissements de Paris, de Lyon et de Marseille.
Sixièmement, ils ont ouvert la faculté, pour les conseils municipaux, d’accorder à l’ensemble de leurs membres le remboursement des frais d’aide à la personne engagés par les élus pour participer aux réunions auxquelles ils sont convoqués ès qualités. Aujourd’hui, le bénéfice de ce mécanisme est réservé aux conseillers municipaux qui ne perçoivent pas d’indemnité de fonction. Parallèlement, ce dispositif est étendu aux conseils généraux et régionaux.
Septièmement, l’Assemblée nationale a adopté une modification du mode de financement de l’allocation différentielle de fin de mandat et instauré une dégressivité de son montant.
Enfin, elle a supprimé les dispositions instituant le droit individuel à la formation pour les conseillers communautaires.
Les députés ont reporté l’entrée en vigueur de certains articles de la proposition de loi au prochain renouvellement général des assemblées délibérantes concernées. Ils ont en outre prévu l’application dans les territoires ultramarins soumis au principe de spécialité législative des dispositions qui, aux termes de leurs statuts respectifs, relèvent de la loi ordinaire.
Sous certaines réserves, le texte proposé mérite d’être approuvé.
Pour la commission des lois, les compléments apportés par l’Assemblée nationale à la proposition de loi constituent généralement des prolongements du dispositif sénatorial.
Elle a, cependant, amendé le texte voté par les députés sur plusieurs points, pour clarifier la rédaction de la charte de l’élu local en la recentrant sur les comportements vertueux et les bonnes pratiques, indépendamment même des prescriptions ou interdictions de la loi ; supprimer l’article 1er bis A, préférant s’en remettre, pour sanctionner l’absentéisme des élus aux travaux de leur collectivité, à la libre décision des assemblées locales, lesquelles, aujourd’hui, ont dans l’ensemble déjà prévu des mesures répressives dans leurs règlements intérieurs ; maintenir les modalités en vigueur de financement du fonds de l’allocation différentielle de fin de mandat ; rétablir la faculté, pour les conseillers communautaires, de constituer un droit individuel à la formation ; ajuster l’extension des dispositions pertinentes de la proposition de loi à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française.
Cette proposition de loi constitue donc un ensemble d’améliorations notables, visant particulièrement à tenir compte des contraintes professionnelles des responsables locaux. Elle devrait conforter l’engagement des élus, alors que la gestion locale est aujourd’hui complexe et lourde, sous le poids des attentes et des exigences croissantes des administrés.
Au terme de ses travaux, la commission des lois soumet à la délibération du Sénat le texte qu’elle a établi pour cette proposition de loi. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que Jean-Pierre Sueur et moi-même avons déposée règle des questions très concrètes et fait suite aux états généraux de la démocratie territoriale.
Le code général des collectivités territoriales contient déjà des éléments constitutifs du statut de l’élu local. Ils sont regroupés dans le chapitre intitulé « Conditions d’exercice des mandats » pour chaque strate d’élus, municipaux, départementaux et régionaux. Toutefois, si nous avons déposé la présente proposition de loi, c’est parce que ces éléments se révèlent insuffisants et qu’il faut améliorer la situation des élus.
Pour faire pièce à certaines critiques que j’ai pu entendre, je soulignerai que ce texte répond aux principales attentes des élus, exprimées via des rapports ou même des propositions de loi qui, comme celle dont M. le rapporteur fut le coauteur, n’ont pu aboutir. Nous avons voulu rassembler toutes les mesures qui faisaient consensus et tendaient à améliorer le statut de l’élu.
Pour autant, cette proposition de loi n’est bien sûr pas exhaustive, même si son champ couvre un large spectre de sujets essentiels, notamment le droit d’absence, le droit à la suspension du contrat de travail, la prolongation de l’allocation différentielle de fin de mandat, la protection des élus, l’indemnisation des maires des petites communes, la formation des élus…
Nous souhaitons faciliter l’exercice des mandats locaux, en particulier pour les salariés du secteur privé, car, force est de le reconnaître, une profonde inégalité existe actuellement à cet égard entre ceux-ci et les fonctionnaires, qui disposent de facilités bien plus grandes pour s’organiser.
Au cours de la navette, l’Assemblée nationale a apporté diverses modifications à cette proposition de loi, que M. le rapporteur vient d’énumérer. J’insisterai, pour ma part, sur la création d’une charte de l’élu local. Cette disposition a été débattue assez longuement en commission des lois, ce matin et la semaine dernière, et modifiée par celle-ci. À cet égard, je tiens à saluer l’énorme travail accompli par M. Saugey, qui s’est efforcé de concilier les positions de l’Assemblée nationale et du Sénat, pour que ce texte ait le maximum de chances d’aboutir. Qu’il en soit remercié !
Sur le fond, la construction d’un statut de l’élu est une entreprise de longue haleine. Alors que l’acte I de la décentralisation commençait à peine à prendre forme, un rapport du sénateur Marcel Debarge, publié en janvier 1982, présentait la création d’un statut de l’élu local comme le complément nécessaire du basculement en cours, c’est-à-dire de la décentralisation.
C’est pourquoi l’article 1er de la loi du 2 mars 1982 indiquait que des lois détermineraient le statut des élus.
M. Pierre-Yves Collombat. On les attend toujours !
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. D’ailleurs, hier, en présentant ses vœux aux bureaux des assemblées parlementaires, le Président de la République a estimé que la limitation du cumul des mandats était inséparable de la définition d’un statut de l’élu. Comme on le voit, les grandes lois s’accompagnent d’une évolution du statut de l’élu, ou du moins de la promesse d’une telle évolution. (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.)
Rappelons que des avancées progressives et partielles ont été accomplies. Ainsi, le législateur a organisé les conditions d’exercice des mandats locaux par la loi du 3 février 1992, et il les renforce régulièrement en accordant aux élus un certain nombre de droits et de garanties de base. La présente proposition de loi visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat, s’inscrit dans cette logique, dont elle étend quelque peu la portée.
Cette démarche s’est révélée globalement efficace, car elle a permis la création d’un cadre juridique facilitant sensiblement l’exercice du mandat local. Certes, nombreux sont ceux aux yeux desquels il n’existe pas de véritable statut de l’élu, mais un certain nombre d’éléments sont néanmoins en place !
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Ces mesures sont adaptées aux réalités de l’exercice des mandats locaux. Par exemple, la modulation du régime des indemnités en fonction du type de responsabilité assumée et de la taille de la collectivité correspond aux besoins effectifs.
En revanche, d’autres dispositions, incontestables dans leur principe, peuvent poser des problèmes d’application. Il en est ainsi de l’extension, à compter du 1er janvier 2013, de la protection sociale à l’ensemble des élus qui n’en bénéficiaient pas jusqu’alors : il s’agit a priori d’un progrès indiscutable, mais elle a été conçue sans véritable concertation avec les associations d’élus, d’où des difficultés de mise en œuvre. En particulier, les indemnités de fonction sont assujetties à cotisations dès le premier euro, alors que la fraction représentative de frais d’emploi ne peut être considérée comme un revenu ; il s’agit plutôt d’un remboursement.
Peut-on d’ailleurs considérer l’indemnité elle-même comme un revenu, alors que la circulaire du ministère de l’intérieur en date du 15 avril 1992 relative aux conditions d’exercice des mandats locaux rappelle que l’indemnité de fonction allouée aux élus locaux ne présente le caractère ni d’un salaire, ni d’un traitement, ni d’une rémunération quelconque ? Certaines évolutions sont sans doute nécessaires.
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Bien entendu, le sempiternel débat entre bénévolat et professionnalisation des élus reste d’actualité.
J’ai l’honneur de présider la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, au nom de laquelle Philippe Dallier et Jean-Claude Peyronnet ont rédigé un rapport posant la question de la « professionnalisation des élus ». Ce matin encore, la commission des lois a évoqué cette question, en débattant d’un amendement de M. Collombat, qui n’a pas été adopté.
M. Jackie Pierre. Hélas !
M. Pierre-Yves Collombat. C’est fâcheux ! (Sourires.)
Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. J’ignore si les Français sont prêts ou non à accepter que les élus, sur lesquels ils se reposent en général avec une entière confiance, ne soient pas entièrement bénévoles. Il est bien difficile de concilier la figure de l’élu local compétent, disponible, indispensable au bon fonctionnement de la décentralisation, avec la nostalgie d’une époque où les élus, auxquels on ne demandait pas de posséder des compétences très larges, étaient issus d’un vivier socialement homogène, celui des notables locaux. C’est là une véritable question !
L’exercice d’un mandat exécutif est très spécifique et ne peut pas prendre la forme d’une carrière organisée. Le métier d’élu est par essence précaire. Il s’exerce différemment selon la taille des collectivités et correspond à des fonctions particulières. On y accède par la voie de l’élection politique. Il n’y a pas de barrière académique, mais la nécessité d’une formation initiale et continue pour l’exercer convenablement a été reconnue, de même que la valeur du savoir-faire acquis au cours du mandat, ce qui a justifié l’extension aux élus locaux du système de la valorisation des acquis de l’expérience.
En résumé, il s’agit d’un « métier » pas comme les autres,…