M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Leconte et Yung, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code civil est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa de l’article 171-2 est supprimé ;
2° Les articles 171-3 et 171-4 sont abrogés ;
3° Le deuxième alinéa de l’article 171-5 est supprimé ;
4° L’article 171-6 est abrogé ;
5° Les premier et deuxième alinéas de l’article 171-7 sont supprimés.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement vise à simplifier les démarches que doivent accomplir les couples binationaux à l’occasion de leur mariage célébré à l’étranger. En effet, depuis la loi du 14 novembre 2006, obligation est faite aux couples binationaux souhaitant se marier à l’étranger d’obtenir auparavant un certificat de capacité à mariage auprès de l’ambassade ou du consulat.
L’évaluation de cette loi nous permet de constater que la souveraineté des États s’impose et que le certificat de capacité à mariage n’empêche pas la célébration du mariage à l’étranger. En revanche, pour les consulats, qui sont déjà surchargés, cette mission est très lourde. Ainsi, en un an, 1 500 auditions ont été organisées à Casablanca, 170 à Shanghai, 141 à Sao Paulo et 56 à Genève.
On peut cependant s’interroger sur l’utilité d’une telle mesure, qui ne produit aucun effet en droit français et qui, je le répète, n’empêche rien. Seule la transcription des mariages célébrés à l’étranger a une incidence. Par ailleurs, quand le certificat de capacité à mariage n’est pas accordé, le procureur est saisi, ce qui contribue à surcharger également le parquet.
La loi a-t-elle vocation à imposer à des Français des certificats de capacité à mariage qui n’ont de toute façon aucune incidence sur la possibilité qu’ils ont de se marier à l’étranger ? Je ne le crois pas.
De surcroît, dans bien des cas, l’acquisition d’un tel certificat s’apparente à un véritable périple : l’obtention d’un rendez-vous prend quelquefois plusieurs mois, ce qui provoque des situations délicates et retarde, parfois de plus d’un an, le mariage. En outre, une fois le certificat de capacité à mariage délivré et le mariage célébré, la procédure de transcription est souvent longue. Certains couples doivent attendre un an, deux ans, voire trois ans et se trouvent, là encore, confrontés à des situations dramatiques. En effet, tant que le mariage n’est pas transcrit, le membre du couple étranger ne peut obtenir de visa et venir en France. Par conséquent, à cause de ces dispositions, des dizaines et des dizaines de couples ne peuvent vivre ensemble. C’est la raison pour laquelle il faut selon moi changer la loi.
Le certificat de capacité à mariage a pour objet de protéger contre la polygamie, les mariages forcés et les mariages blancs. L’information et les conventions bilatérales, qui peuvent produire des effets en droit dans les pays signataires, seraient plus efficaces que ce certificat, qui n’empêche pas les mariages. Celui qui veut forcer son enfant à se marier ne demandera pas de certificat de capacité à mariage, pas plus que le couple qui fait un mariage blanc. Il est donc préférable de trouver d’autres solutions.
C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de ce projet de loi de simplification et par le biais de cet amendement, je propose de laisser l’amour triompher et de permettre aux gens de se marier. La transcription sera le moment où le mariage pourra produire ses effets en droit français.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Cet amendement a pour objet de supprimer la plupart des formalités préalables au mariage d’un Français célébré à l’étranger par une autorité étrangère. Il tend à la suppression de l’obligation d’obtenir un certificat de capacité à mariage, qui justifie que les formalités prévues à l’article 63 du code civil, en particulier l’audition des époux, ont bien été accomplies. Il vise également à la suppression de la procédure d’opposition ouverte aux autorités diplomatiques et consulaires ainsi qu’au parquet en cas d’indices sérieux laissant présumer que le mariage est frauduleux.
L’objectif poursuivi par les auteurs de cet amendement est de répondre à des difficultés administratives auxquelles sont confrontés nos concitoyens établis à l’étranger : difficultés à obtenir rapidement un rendez-vous au consulat, lenteur de la procédure allongeant d’autant les délais pour pouvoir se marier…
Il me paraît donc tout à fait souhaitable d’attirer l’attention du Gouvernement sur cette situation particulièrement problématique et de recueillir ses observations.
Cependant, je m’interroge sur l’opportunité de supprimer purement et simplement ces formalités préalables. Je crains que cela n’affaiblisse notablement le contrôle a priori de la validité des mariages.
Certes, il existe également un contrôle a posteriori au moment de la transcription du mariage sur les registres de l’état civil, mais il est toujours plus délicat de procéder à une annulation une fois le mariage célébré.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je constate que le mariage soulève toujours de la passion, au point que vous cherchiez désespérément à nous convaincre, monsieur le sénateur. (Sourires.)
L’intention qui sous-tend cet amendement, à savoir faciliter les procédures pour les futurs époux, est indiscutablement bonne. Néanmoins, comme vous l’avez rappelé, une transcription a lieu après le mariage. Par conséquent, supprimer le contrôle en amont risque d’alourdir les formalités de transcription en les rendant plus rigoureuses.
L’adoption de cet amendement déplacerait en fait le problème. Certes, elle permettrait de gagner un peu de temps avant le mariage, mais elle en ferait perdre beaucoup plus ensuite.
Vous indiquez que les délais de transcription eux-mêmes sont longs. Si tel est le cas, il s’agit d’un dysfonctionnement et il nous faut y remédier : il n’est pas normal que, si toutes les formalités avant le mariage ont été accomplies, la transcription pose problème.
Je relèverai également une autre difficulté, à la suite de M. le rapporteur. Cette simplification entraînerait une rupture d’égalité, dans la mesure où l’audition préalable prévue à l’article 63 du code civil aurait lieu pour les mariages célébrés en France et non pour ceux qui seraient célébrés à l’étranger.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, le Gouvernement entend la préoccupation que vous exprimez et il sait aussi que l’amour est souvent impatient. (M. Jean-Jacques Hyest s’exclame.)
Vous craignez le pire, monsieur Hyest !
M. Jean-Jacques Hyest. Non, il faut être patient !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je sais que je me trouve à la Haute Assemblée et que la solennité s’impose. C’est la raison pour laquelle j’en resterai strictement à des points de droit et de philosophie et ne me livrerai à aucune considération personnelle.
Je reste persuadée que les formalités en vigueur sont nécessaires. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la garde des sceaux, je suis sensible à vos explications. Nous pourrions tout à fait envisager, tout en supprimant le certificat de capacité à mariage, une procédure selon laquelle l’audition préalable à la transcription soit organisée avant le mariage pour les couples qui le souhaitent.
D’une certaine manière, l’inégalité de droit est logique, puisqu’il s’agit d’un mariage célébré à l’étranger et non en France. Aujourd'hui, la loi française s’impose à un Français qui se marie pourtant à l’étranger. Le mariage en France se fait au moment de la transcription, qui, seule, produit des effets en droit.
Il y a un certain impérialisme à vouloir imposer un certificat de capacité à mariage à une personne qui souhaite se marier à l’étranger, parce qu’elle est française, alors que le droit français ne s’appliquera qu’après la transcription de cette union.
En outre, c’est nier l’évidence que d’imaginer que le certificat de capacité à mariage constitue un outil efficace contre la polygamie, les mariages forcés et les mariages blancs. Il faut donc combattre ces actes par d’autres moyens, car il existe des voies de contournement et la souveraineté des États où sont célébrés ces mariages s’impose.
En résumé, la loi française impose aux Français une condition complémentaire. L’adoption de cet amendement ne provoquerait pas de rupture d’égalité, puisqu’il s’agit d’un mariage célébré à l’étranger. C’est la raison pour laquelle je défends cette position.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je souhaite revenir sur le terme « impérialisme » que vous avez employé.
Notre système de droit est très fortement fondé sur les libertés individuelles. Aussi avons-nous en général intérêt à privilégier l’application de la législation française, notamment pour les Français qui se trouvent à l’étranger ; ceux-ci s’en félicitent d’ailleurs. Les vérifications qu’elle impose ne sont donc pas mauvaises.
M. Jean-Jacques Hyest. Oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pour ma part, je ne perçois pas d’impérialisme. Nous avons eu un débat récent sur ces questions. À raison, nous avons introduit dans la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe que l’ordre public français s’appliquait. La loi personnelle française prime, parce qu’elle est plus large et qu’elle dispense ceux dont la loi personnelle est plus restrictive.
Les libertés ne vont jamais sans sécurité. Il ne s’agit pas, pour faire plaisir à des personnes française et étrangère amoureuses l’une de l’autre, de réduire les formalités en amont mais de compliquer leur situation ensuite ! Le législateur doit veiller à ce que les simplifications qu’il décide soient effectives et ne pas déplacer les difficultés à la fin de la procédure administrative.
Monsieur le sénateur, les conventions bilatérales que vous avez évoquées en présentant cet amendement ne peuvent se substituer aux formalités de droit commun qui s’imposent à des personnes entreprenant une démarche. Je rappelle que le mariage est une institution officielle.
Je comprends votre ardeur, mais je reste persuadée que les dispositions en vigueur protègent mieux les deux membres du couple et rendent ensuite la transcription de leur mariage plus facile.
S’ils existent, les dysfonctionnements de l’administration dont vous avez parlé doivent être corrigés. Ce ne sont pas des points de droit. Pour ces couples, une fois le mariage célébré, il vaut mieux que la transcription soit aisée et que les effets de cette union interviennent immédiatement,…
M. Jean-Jacques Hyest. Exactement !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … plutôt que les formalités s’accumulent et que les effets de cette union soient retardés.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er
I. – Dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance les mesures, relevant du domaine de la loi, nécessaires pour :
1° Simplifier les règles relatives à l’administration légale en :
- permettant au juge, lorsque l’administration légale est exercée sous son contrôle, d’autoriser, une fois pour toute ou pour une durée déterminée, l’administrateur légal à effectuer certains prélèvements périodiques ou certaines opérations répétitives, voire de le dispenser d’autorisation pour certains actes ;
- clarifiant les règles applicables au contrôle des comptes de gestion ;
2° Aménager le droit de la protection juridique des majeurs en prévoyant un dispositif d’habilitation par justice au bénéfice des membres proches de la famille d’un majeur hors d’état de manifester sa volonté, permettant de le représenter ou de passer certains actes en son nom sans qu’il soit besoin de prononcer une mesure de protection judiciaire ;
3° Aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d’assurer la mise en œuvre et de tirer les conséquences des modifications apportées en application du présent I.
II (nouveau). – Le code civil est ainsi modifié:
1° La deuxième phrase du troisième alinéa de l’article 426 est ainsi rédigée :
« Si l’acte a pour finalité l’accueil de l’intéressé dans un établissement, l’avis préalable d’un médecin, n’exerçant pas une fonction ou n’occupant pas un emploi dans cet établissement, est requis. » ;
2° Au premier alinéa de l’article 431, il est ajouté une phrase ainsi rédigée :
« Ce médecin peut solliciter l’avis du médecin traitant de la personne qu’il y a lieu de protéger. » ;
3° L’article 431-1 est abrogé ;
4° Le premier alinéa de l’article 500 est ainsi modifié :
a) Les mots : « Sur proposition du tuteur, le conseil de famille ou, à défaut, le juge » sont remplacés par les mots : « Le tuteur » ;
b) Cet alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Le tuteur en informe le conseil de famille ou, à défaut, le juge qui arrête le budget en cas de difficulté. »
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
– supprimant le contrôle systématique du juge lorsque l’un ou l’autre des parents est décédé, ou se trouve privé de l’exercice de l’autorité parentale ou en cas d’exercice unilatéral de l’autorité parentale ;
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dans la version initiale du présent projet de loi, le Gouvernement a souhaité mettre un terme à l’intervention systématique du juge dans l’établissement d’actes relatifs au patrimoine de l’enfant mineur en cas de décès de l’un de ses parents. Cette mesure concerne évidemment les couples mariés. Une personne veuve, dès l’instant où commence son veuvage, est chargée des intérêts de ses enfants mineurs et, à ce titre, elle est appelée à accomplir des actes juridiques.
En l’état actuel du droit, le juge intervient alors systématiquement. Dans les faits, c’est parfois le greffier, compétent à l’égard de toute une série d’actes, qui agit.
Les dispositions en cause, qui figurent dans la loi de 1964 – elles ont donc plus de cinquante ans –, étaient motivées par le souci de veiller, lorsque le patrimoine était important, à ce que le parent survivant ne dilapide pas les biens des enfants mineurs.
Or un élément extrêmement important a été oublié à l’époque : le décès de l’un des parents est un moment difficile et douloureux et c’est justement à ce moment-là que le parent survivant doit se rendre au tribunal pour soumettre systématiquement au juge tous les actes qu’il accomplit.
Le Gouvernement estime qu’il n’y a plus lieu aujourd’hui de maintenir cette intervention systématique, même s’il est tout à fait persuadé que le contrôle de la bonne gestion du patrimoine par le juge est nécessaire, voire que le contrôle de certains actes est obligatoire.
Par ailleurs, eu égard aux évolutions sociologiques, les familles monoparentales, dans lesquelles un seul parent prend soin du patrimoine de ses enfants, sont de plus en plus nombreuses. Là encore, il existe une rupture d’égalité. C’est pourquoi nous avons introduit dans le présent projet de loi une modification de cette règle d’administration légale.
La commission a modifié le texte initial en apportant une souplesse qui ne nous paraît pas suffisante, d’où l’objet de cet amendement. J’espère, mesdames, messieurs les sénateurs, que sa rédaction vous conviendra et que vous le voterez.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Comme Mme la garde des sceaux vient de l’expliquer, cet amendement vise à supprimer le contrôle systématique du juge dans le cadre de l’administration légale sous contrôle judiciaire.
Il tend à revenir à la rédaction initiale du présent projet de loi pour ce qui concerne l’habilitation du Gouvernement à prendre par ordonnances des dispositions modifiant le régime de l’administration légale sous contrôle judiciaire. Il est contraire à la position de la commission, qui a modifié les contours de cette habilitation.
Lorsque l’un des parents est décédé ou privé de l’exercice de l’autorité parentale, ou encore en cas d’exercice unilatéral de l’autorité parentale, la commission a estimé nécessaire, contrairement à ce que propose le Gouvernement, de conserver l’actuel contrôle systématique du juge pour les actes de disposition sur le patrimoine de l’enfant.
Je vous rappelle, mes chers collègues, la définition de ce type d’actes : ce sont des actes qui engagent le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou pour l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire. Il n’est donc pas paru illégitime à la commission que le juge effectue un contrôle sur ces actes lorsqu’un parent exerce seul l’autorité parentale.
Certes, ce dispositif est loin d’être parfait. L’intervention du juge peut être est mal vécue par le parent survivant ou dans les familles monoparentales. De surcroît, en l’absence de recensement possible des familles relevant de ce dispositif, le juge des tutelles n’est pas toujours en mesure d’exercer efficacement son contrôle.
Cependant, la protection des intérêts de l’enfant mineur et de son patrimoine doit l’emporter sur les inconvénients du mécanisme.
Pour autant, afin d’éviter à l’administrateur légal d’être soumis en permanence à des autorisations judiciaires, la commission a précisé le champ de l’habilitation donnée au Gouvernement. La rédaction qu’elle a retenue reprend d’ailleurs l’une des options développées dans l’étude d’impact annexée au projet de loi.
Le juge pourra lui-même décider d’alléger les modalités de son contrôle. Il pourra ainsi autoriser, sous certaines conditions, une fois pour toutes, certains prélèvements périodiques ou certaines opérations répétitives, voire dispenser purement et simplement d’autorisation certains actes.
C’est pourquoi je suis contraint d’émettre un avis défavorable sur l’amendement n° 17, contraire à la position de la commission des lois.
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 12
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° L’article 441 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le juge qui prononce une mesure de tutelle, peut, par décision spécialement motivée et sur avis conforme du médecin mentionné à l’article 431, constatant que l’altération des facultés personnelles de l’intéressé décrites à l’article 425 n’apparaît manifestement pas susceptible de connaître une amélioration selon les données acquises de la science, fixer une durée plus longue, n’excédant pas dix ans. »
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La loi du 5 mars 2007 a instauré une obligation de révision des mesures de tutelle tous les cinq ans. Autrement dit, au mois de décembre dernier, toutes ces mesures devaient avoir été révisées. Je vais rapidement reprendre les explications assez précises que j’ai fournies sur ce point à la tribune lors de la discussion générale.
Lorsque le Gouvernement est entré en fonction, voilà maintenant presque vingt mois, le stock de mesures à réviser était tel qu’une révision complète au mois de décembre 2013 était impossible. Dans un premier temps, à la demande des juridictions, nous avons envisagé de différer la date de résorption de ce stock, mais nous nous sommes rapidement rendu compte que l’année suivante de nombreuses mesures s’accumuleraient de nouveau, et donc, de cette manière, nous n’en sortirions jamais.
J’ai alors pris des mesures conservatoires en renforçant l’effectif des juridictions en magistrats, greffiers, fonctionnaires et vacataires, ce qui leur a permis d’aboutir à la résorption du stock de mesures au mois de décembre dernier.
Nous avons tiré les enseignements des difficultés rencontrées en l’espèce. À cet égard, les juridictions, mais aussi tous les acteurs de la protection juridique des majeurs, nous ont signalé que, dans certaines situations, cette révision au bout de cinq ans ne se justifie pas.
Je rappelle, en outre, que, aux termes de la loi de 2007, après la première révision à l’issue de cinq ans, le juge peut décider que la prochaine révision sera quasiment reportée sine die, en tout cas la loi n’impose aucune limite. Nous proposons donc – et cette disposition résulte d’une demande des familles – que, dès la mesure initiale, le juge puisse décider que la révision aura lieu au-delà de cinq ans, sans toutefois que ce délai puisse excéder dix ans, en cas de pathologies lourdes, dont l’évolution est très peu probable – certes, la médecine peut toujours accomplir des exploits – et eu égard à la situation de la famille.
La commission a modifié cette disposition, ne permettant plus au juge de décider une révision au-delà de cinq ans. Le présent amendement a donc pour objet de rétablir cette possibilité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement vise à permettre au juge de prononcer une mesure initiale de protection d’un majeur pour une durée pouvant aller jusqu’à dix ans si l’altération des facultés de la personne n’apparaît manifestement pas susceptible de connaître une amélioration selon les données acquises de la science. Il tend ainsi à modifier le régime mis en place par la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs.
Ce dispositif prévoit que la mesure initiale de protection ne peut excéder cinq ans. À l’expiration de la mesure initiale, le juge peut renouveler la mesure pour une durée supérieure.
Je suis bien conscient des difficultés que les juridictions d’instance ont rencontrées pour procéder à la révision, avant le 31 décembre dernier, de l’ensemble des mesures de tutelle prises avant le 1er janvier 2009.
Cependant, à l’avenir, cette charge de travail devrait être moins importante pour les juridictions, car, désormais, les nouvelles mesures seront révisées année par année, au terme de leur durée initiale.
Je ne conteste pas non plus que, dans certains cas, dès le prononcé de la mesure initiale, il est évident, compte tenu des connaissances scientifiques disponibles, que l’état de la personne n’est pas susceptible de s’améliorer dans les années à venir.
Pour autant, s’il permet de vérifier que le régime de protection est bien ajusté à l’état de santé de la personne, le rendez-vous au terme des cinq ans est aussi le seul moment où le juge peut apprécier les conditions d’exécution de la mesure après quelques années de mise en œuvre. Ce rendez-vous lui permet, par exemple, de s’interroger sur le choix du tuteur, sur l’opportunité de nommer un subrogé tuteur, des cotuteurs, ou de confier la mesure à la famille, ou inversement.
Au moment de la révision, si aucune amélioration de l’état de santé n’est constatée et si l’organisation de la mesure est adaptée, le juge pourra, comme le prévoit le droit en vigueur, renouveler la mesure pour une période bien plus longue.
C’est pourquoi, souhaitant conserver le dispositif actuel, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, je comprends bien l’argument central que vous venez d’avancer : ce rendez-vous au bout de cinq ans permettrait à toutes les parties de se réunir de nouveau et au juge de procéder à des vérifications diverses. Mais vous avez vous-même souligné que l’état des connaissances scientifiques permet de conclure à la très faible probabilité d’évolution de certains états pathologiques.
Je rappelle à ce propos une donnée statistique : neuf fois sur dix, la mesure de tutelle est reconduite par le juge parce qu’il est évident que la tutelle doit être maintenue. C’est un fait que l’on ne peut pas ignorer.
S’il s’agit de maintenir un dispositif si lourd et si contraignant simplement pour permettre à plusieurs parties de se retrouver, instaurons à cette fin un rendez-vous régulier, éventuellement quinquennal, mais ne confondons pas ce rendez-vous avec la procédure de contrôle.
Nous discutons de cas graves, douloureux ; il ne s’agit pas de dispositifs légers comme la curatelle. C’est pourquoi, j’y insiste, je tiens à ce que les juridictions puissent faire leur travail correctement.
Je rappelle, en outre, que nous plafonnons la durée de la mesure à dix ans. Aucun amendement tendant à modifier la loi et à limiter la durée n’a été déposé. Si le texte de la commission était adopté, le juge fera un premier contrôle, et puis vogue la galère !
Bref, compte tenu des statistiques, de la demande des familles, de la réalité tangible de la situation de ces majeurs protégés, il me semble plus raisonnable de permettre aux juridictions d’examiner correctement ces mesures de tutelle, plutôt que de les engorger et de prendre des risques dans un certain nombre de cas graves.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Mme la garde des sceaux cherche à me prendre au mot, mais elle est tombée sur le mauvais client ! (Sourires.)
Il ne s’agit pas simplement de réexaminer l’état de santé de l’intéressé. Il est avant tout question de l’organisation de la mesure de tutelle, et, à cet égard – les associations tutélaires y ont insisté –, le rendez-vous au terme des cinq ans est extrêmement important.
Je le comprends, les juridictions sont engorgées, et tout le monde en a conscience. Nous convenons tous de la nécessité de chercher par tous les moyens à remédier à cet état de fait. Mais ne déplaçons pas le débat !
Ce rendez-vous est extrêmement important pour la personne concernée et sa famille, et certains impératifs liés à l’organisation de cette mesure nous semblent relever d’une nécessité supérieure.
C’est pourquoi, malgré la belle plaidoirie de Mme la garde des sceaux, la commission maintient son avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Hyest. En effet, s’il ne s’agit que de prendre des mesures de tutelle, une durée plus longue est envisageable, en fonction de la situation de la personne. Mais n’est-il vraiment question que de cela ?
Car s’il s’agit aussi de vérifier le bon fonctionnement de la mesure de tutelle, le report pose déjà plus de problèmes. Certaines vérifications, qui sont le plus souvent effectuées par les greffiers, sont en effet obligatoires, comme le contrôle des comptes, lequel est d’ailleurs très instructif. Il est aussi parfois nécessaire d’accomplir des vérifications relatives, entre autres, à la personne à laquelle est confiée la tutelle.
L’on peut imaginer qu’une personne soit placée sous tutelle pour une durée supérieure à cinq ans à l’issue de la première phase. De ce point de vue, votre raisonnement est logique, madame la garde des sceaux. S’il s’agit uniquement de confirmer la mesure de tutelle, j’ai envie de vous donner raison. La question centrale reste toutefois de savoir si l’on va bien vérifier, au bout de cinq ans, que la tutelle est exercée dans de bonnes conditions.
Je suis donc hésitant.
Ce que je n’aime pas – c’est également valable pour d’autres mesures –, c’est l’idée de devoir renoncer à faire quelque chose faute de moyens. Ce n’est pas de cette manière que l’on peut résoudre les problèmes de fonctionnement de la justice.
Certes, il y a le rapport de la Cour des comptes, mais il ne m’impressionne pas.
En revanche, je dois avouer que votre interrogation est légitime, même si M. le rapporteur a tenu une position extrêmement ferme.
S’il s’agit simplement de confirmer la mesure de tutelle, sans faire de vérifications sur son fonctionnement, alors je vous donne raison, parce que la limitation à cinq ans ne sert strictement à rien. En revanche, si la révision, au bout de cinq ans, est l’occasion de vérifier les conditions dans lesquelles la tutelle est exercée, il me semble important de conserver ce rendez-vous.
C’est pourquoi, une fois n’est pas coutume, madame la garde des sceaux, je vais m’abstenir !