M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Lorsque j’ai dit qu’il était préférable que les juridictions soient en mesure d’apprécier toutes les mesures de tutelle au moment de la révision, plutôt que de les engorger régulièrement à ce sujet, je ne plaidais pas pour des effectifs supplémentaires, même si la question est loin d’être négligeable.
M. Jean-Jacques Hyest. Je n’ai pas dit cela !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je sais bien, mais je souhaite dissiper tout malentendu.
Nous créons 500 emplois tous les ans – 590 cette année –, ce qui est sans précédent. Nous ne cherchons donc pas spécialement à faire des économies, mais il faut bien que le travail ait un sens, tout simplement. N’oublions pas que nos tribunaux d’instance ont à connaître de multiples contentieux.
Je réponds à présent à votre interpellation très précise, monsieur Hyest : oui, il s’agit simplement de renouveler la mesure de tutelle, et rien d’autre. Je rappelle que, selon l’article 442 du code civil, toute personne mentionnée à l’article 430 du même code peut saisir le juge pour lui demander de mettre un terme à la mesure de tutelle ou de la modifier.
La rédaction du présent amendement précise que le juge apprécie la demande au regard de la situation de la personne sous tutelle et des connaissances scientifiques du moment.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote sur l'article.
M. Jean-Yves Leconte. Je me permets d’utiliser cette explication de vote pour continuer d’essayer de convaincre sur le sujet que j’ai abordé précédemment. Je me suis en effet aperçu que j’étais très minoritaire, et donc que je n’avais sans doute pas été très convaincant.
Je voudrais, madame la garde des sceaux, vous rappeler notre combat de l’année dernière à propos du droit au mariage, du droit d’avoir une union protégée. Or ce combat vaut aussi pour les binationaux.
Si les certificats de capacité à mariage mettent du temps à être délivrés, c’est parce que certains pays dont l’un des membres du couple possède la nationalité ont souvent, en raison d’un état civil défaillant et erroné, des difficultés à les établir. Ces unions ont donc encore plus besoin d’être protégées.
Vous avez parlé de protection, mais en réalité, si ces couples respectent la loi française, ils ne sont pas protégés, puisqu’ils peuvent attendre un, deux ou trois ans avant de pouvoir se marier.
Une telle situation ne peut pas perdurer et je ne désespère pas de parvenir à la faire évoluer au cours de cette année, au nom du droit à chaque couple d’avoir une union protégée, parce que c’est justement dans ces cas-là que la protection s’avère la plus défaillante.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas vraiment l’objet de l’article 1er !
M. Jean-Yves Leconte. Je suis désolé d’avoir utilisé mon explication de vote à cette fin, mais je ne désespère pas de convaincre sur ce sujet.
M. le président. Dans sa grande sagesse, la présidence vous a laissé vous exprimer, monsieur Leconte.
Je vous rappelle toutefois que les explications de vote sur article doivent exclusivement porter sur l’objet du texte mis aux voix.
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
I. – Dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance les mesures, relevant du domaine de la loi, nécessaires pour :
1° (Supprimé)
2° (Supprimé)
3° Articuler, en cas de divorce, l’intervention du juge aux affaires familiales et la procédure de liquidation et partage des intérêts patrimoniaux des époux, en octroyant au juge qui prononce le divorce, la possibilité de désigner un notaire, éventuellement accompagné d’un juge commis, pour conduire les opérations de liquidation et de partage, s’il s’avère qu’un règlement amiable ne paraît pas envisageable ;
4° (Supprimé)
5° Aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d’assurer la mise en œuvre et de tirer les conséquences des modifications apportées en application du présent I.
II (nouveau). – Le code civil est ainsi modifié :
1° Les troisième et quatrième alinéas de l’article 972 sont remplacés par cinq alinéas ainsi rédigés :
« Toutefois, lorsque le testateur ne peut parler, mais qu’il peut écrire, le notaire l’écrit lui-même ou le fait écrire à la main ou mécaniquement d’après les notes rédigées devant lui par le testateur.
« Dans tous les cas, le notaire doit en donner lecture au testateur.
« Lorsque le testateur ne peut entendre ni lire sur les lèvres, il prend connaissance du testament en le lisant lui-même, après lecture faite par le notaire.
« Lorsque le testateur ne peut parler ou entendre, ni lire et écrire, la dictée et la lecture peuvent être accomplies par le truchement de deux interprètes en langue des signes, choisis l’un par le notaire et l’autre par le testateur, et chargés chacun de veiller à l’exacte traduction des propos tenus.
« Il est fait du tout mention expresse. » ;
2° À l’article 975, après les mots: « acte public » sont insérés les mots: « ou interprètes en langue des signes pour ce testament ».
M. le président. L'amendement n° 21, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rétablir cet alinéa dans la rédaction suivante :
4° Instaurer un nouveau mode de preuve simplifié pour justifier de la qualité d’héritier dans les successions d’un montant limité ;
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je crois profondément aux vertus du débat parlementaire, qui permet de clarifier les choses et de défendre des convictions. La séance plénière est justement conçue pour permettre aux uns et aux autres de confronter leurs arguments. D’expérience, je peux vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, que les textes évoluent au cours du débat parlementaire, et c’est pourquoi, aujourd’hui, le Gouvernement essaye encore de vous convaincre.
Cet amendement vise à rétablir la disposition qui, dans le projet initial de loi d’habilitation, concernait les héritages modestes.
Je rappelle que 30 % des héritages en France sont inférieurs à 5 300 euros. En l’état actuel du droit, pour ces successions modestes, les héritiers doivent s’adresser au maire afin que ce dernier leur délivre un certificat d’hérédité. Or les maires sont prudents, ce que l’on peut concevoir, parce qu’ils craignent de voir leur responsabilité engagée. De fait, l’on constate que 60 % des demandes de certificats de ce type sont refusées.
Si ces héritiers veulent passer outre le refus de délivrance du certificat par le maire, ils doivent s’adresser à un notaire qui accomplit un certain nombre de formalités dont le coût peut atteindre 200 euros.
En revanche, s’ils n’ont pas recours à un notaire, ils renoncent alors à la succession.
Non seulement les héritages en cause sont modestes, mais surtout ils sont, le plus souvent, faits de souvenirs ou d’objets personnels que les héritiers souhaitent conserver.
Je comprends l’inquiétude des maires ; ils peuvent craindre que des héritiers ne soient peut-être oubliés et pénalisés s’ils délivrent le certificat d’hérédité.
Toutefois, c’est logiquement que la loi a confié à ces élus cette responsabilité, car ces premiers magistrats détiennent les registres d’état civil, et donc les informations qui permettent de savoir quels sont les héritiers.
En réalité, le Gouvernement souhaite faciliter la vie de ces personnes qui héritent de sommes modestes et qui, en renonçant à une succession, renoncent surtout à des souvenirs personnels. C’est pourquoi il propose d’introduire un peu de souplesse dans l’établissement de la preuve de la qualité d’héritier.
Je rappelle en outre que, entre 2004 et 2012, nous avons observé une augmentation de 25 % des renoncements à ces héritages modestes.
J’espère avoir convaincu cette fois la commission des lois.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Je salue la pugnacité de Mme la garde des sceaux, dont on peut dire qu’elle ne lâche rien !
Le Gouvernement souhaite rétablir l’habilitation relative à la définition d’un nouveau mode simplifié de preuve de la qualité d’héritier, que la commission a supprimée.
Nous avons déjà été saisis de cette question lors de l’examen du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires : il s’agissait de faciliter l’accès au compte bancaire du défunt dans le cas des successions modestes. La commission s’était alors opposée au dispositif envisagé par le Gouvernement, parce qu’il ne présentait pas suffisamment de garanties et qu’il risquait de préjudicier aux droits des héritiers qui auraient agi les derniers.
Aujourd'hui, le Gouvernement souhaite adopter par ordonnance un dispositif proche, puisqu’il s’agirait d’un acte notarié qui ne mentionnerait que la qualité d’héritier, sans déterminer pour quelle part l’intéressé peut hériter. Ainsi, un enfant d’une fratrie de trois pourrait se faire remettre la totalité des fonds, alors que sa vocation successorale n’est que d’un quart.
Le Gouvernement justifie sa proposition au regard du coût trop élevé de l’acte de notoriété actuellement établi par les notaires. En l’occurrence, le tarif est seulement de 50 euros : ce qui coûte cher – une ou deux centaines d’euros, selon les cas –, ce sont les formalités auxquelles le notaire doit procéder pour s’assurer de la part que chacun doit recevoir.
L’acte qu’envisage le Gouvernement sera certes moins coûteux, mais il en résultera une diminution des garanties pour les autres héritiers. Il semble que la réflexion doive encore être poursuivie.
En réalité, les difficultés sont apparues depuis que, par souci de simplification, la compétence reconnue aux greffiers pour établir les actes en cause a été supprimée en 2007. À ce propos, je ne conteste nullement celles que Mme la garde des sceaux a soulignées.
Toutefois, pour des impératifs de sécurité juridique, la commission des lois n’a pas souhaité émettre un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. M. le rapporteur vient d’expliquer que cette disposition risquait de pénaliser d’autres héritiers. Je partage aussi ce souci. Néanmoins, comme je l’indiquais tout à l’heure, le maire dispose en principe des éléments nécessaires pour retrouver les héritiers.
Cela étant, lorsque les héritiers doivent se rendre devant le notaire, le coût de la prestation de celui-ci n’est pas négligeable. Je ne sais pas d’où provient votre chiffre de 50 euros, monsieur le rapporteur, mais ce n’est pas celui que nous avons obtenu en travaillant avec le Conseil supérieur du notariat.
Je rappelle quand même qu’il s’agit de successions modestes, qui ne dépassent pas 5 300 euros, sans bien immobilier, avec un taux de renoncement de 25 % et des héritiers qui ne peuvent pas récupérer des objets personnels. J’ai l’impression que vos arguments vaudraient surtout pour une succession qui comprendrait un immeuble, et dont on ne saurait pas s’il faut le diviser en quatre ou en six.
La fraude existe, bien entendu, comme, hélas, dans tout acte accompli par les êtres humains. Mais on va compliquer la vie de milliers de personnes en se fondant sur l’hypothèse très peu probable et très résiduelle qu’un ou deux héritiers pourraient être oubliés.
Imaginons une succession comprenant dix héritiers : sur 5 300 euros de succession, chacun perdrait 530 euros. Est-ce bien nécessaire de compliquer la vie de milliers de Français pour de telles sommes ?
Je me permets donc d’insister, mais, évidemment, si je n’arrive pas à convaincre la commission des lois, j’en prendrai acte.
M. le président. La parole est à M. Claude Dilain, pour explication de vote.
M. Claude Dilain. Madame la garde des sceaux, vous n’avez manifestement pas convaincu la commission des lois, mais vous avez convaincu un certain nombre de parlementaires, dont je fais partie. Je voterai votre amendement, car j’ai été confronté dans mes fonctions de maire aux situations que vous avez décrites.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Nous sommes là pour débattre, et, le cas échéant, pour nous laisser convaincre. Les membres du groupe CRC voteront l’amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Je tiens à vous rassurer, madame la garde des sceaux : les chiffres que j’ai cités m’ont été confiés par les notaires que j’ai auditionnés.
Cela étant, votre pugnacité va payer. Votre dernier argument m’a convaincu, dans la mesure où le dialogue pourra se poursuivre entre le Gouvernement et les notaires ; je ne doute pas que les discussions permettront d’aboutir à une solution. J’émets donc, au nom de la commission, un avis de sagesse plutôt favorable.
M. Claude Dilain. Bravo !
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 31, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 8
Rédiger ainsi cet alinéa :
1° L'avant dernier alinéa de l'article 972 est remplacé par quatre alinéas ainsi rédigés :
II. - Alinéa 13
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Il s'agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 32, présenté par M. Mohamed Soilihi, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 14
Après le mot :
ou
insérer le mot :
pour
La parole est à M. le rapporteur.
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Il s'agit là encore d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article additionnel après l'article 2
M. le président. L'amendement n° 12 rectifié, présenté par MM. Mézard, Mazars, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin et Fortassin, Mme Laborde et MM. Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le dernier alinéa de l’article L. 213-4 du code de l’organisation judiciaire est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Elle doit obligatoirement être composée de juges des deux sexes. »
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Cet amendement, déposé par les membres du groupe RDSE, va vous étonner ; vous auriez pu penser qu’il émane plutôt du groupe écologiste. (Sourires.)
Quoi qu’il en soit, les hommes représentent moins d’un élève sur quatre à l’École nationale de la magistrature de Bordeaux. Le mouvement n’est pas propre à la justice, qui est ouverte aux femmes depuis 1946. Le barreau a aussi vu son effectif féminin augmenter de plus de 50 % en dix ans, pour culminer aujourd’hui à 53 %. Or nous pensons que l’équilibre judiciaire doit aussi passer par le prisme de la mixité dans certaines formations de jugement. À l’heure de la parité, inscrite à l’article 1er de la Constitution depuis 2008, la question de la mixité au sein des formations ayant à juger des divorces ou de la séparation de corps peut ainsi être posée.
C’est pourquoi nous vous proposons un amendement visant à établir la mixité des sexes dans la composition de la formation collégiale mentionnée à l’article L. 213-4 du code de l’organisation judiciaire. Le juge aux affaires familiales peut en effet renvoyer le dossier à la formation collégiale du tribunal de grande instance qui statue comme juge aux affaires familiales. Ce renvoi est de droit, à la demande des parties, pour le divorce et la séparation de corps.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Cet amendement vise à imposer que la formation collégiale du tribunal de grande instance compétente en matière familiale soit composée de magistrats des deux sexes. Outre les difficultés pratiques que soulèverait l’application de cette mesure, la magistrature et l’activité de juge aux affaires familiales étant très féminisées, l’amendement pose une question de principe : le sexe du juge détermine-t-il ses choix, et une composition paritaire apporte-t-elle une garantie supplémentaire aux justiciables ?
Mme Éliane Assassi. C’est la vraie question !
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Les études effectuées montrent que, contrairement à un préjugé tenace, les décisions rendues par les juges ne sont ni plus ni moins clémentes lorsque les justiciables sont du même sexe qu’eux. La neutralité exigée du service public s’opposerait d'ailleurs à de telles déviations du jugement. La commission émet donc un avis défavorable.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je tiens tout d'abord à vous exprimer ma gratitude, monsieur Dilain, pour votre intervention décisive sur l'amendement n° 21.
M. Claude Dilain. Ce fut un plaisir, madame la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cela étant, je m’interroge sur la pertinence du raisonnement qui sous-tend l’amendement n° 12 rectifié. On sait ce qu’il en est de la composition des assemblées parlementaires,…
Mme Éliane Assassi. Encore à dominante masculine !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … mais je ne doute pas qu’elles légifèrent en vue de l’intérêt général.
Toutefois votre amendement, monsieur Requier, soulève un vrai sujet : la féminisation de la magistrature. Soit dit en passant, cette féminisation n’est pas une faute en soi : il est heureux que de plus en plus de jeunes femmes s’intéressent à ce très beau métier. Je vous ferai cependant observer que la société a ses freins et ses mécanismes, ainsi que son plafond de verre. Si les femmes sont plus nombreuses que les hommes dans la magistrature, en réalité, elles sont surtout majoritaires parmi les magistrats de base, même si, depuis vingt mois, nous avons amélioré de façon vraiment significative la féminisation de la haute hiérarchie.
M. Jean-Jacques Hyest. J’espère que vous avez respecté les avis du Conseil supérieur de la magistrature !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oui, nous les avons respectés même pour les nominations qui concernent les magistrats du parquet. Nous conservons néanmoins un pouvoir de proposition, monsieur Hyest, ce qui nous a permis de renforcer singulièrement la féminisation de la haute magistrature.
Une étude de l’Institut des hautes études sur la justice a démontré que les magistrates statuaient en droit et que leurs jugements n’étaient ni plus cléments ni plus sévères que ceux des hommes. Je comprends votre préoccupation, monsieur Requier, mais il ne me semble pas pertinent d’introduire la parité dans la formation collégiale du tribunal de grande instance qui statue comme juge aux affaires familiales. Au passage, si on suivait votre logique, que ferait-on pour les affaires impliquant des couples de personnes de même sexe ?
À mon sens, aucun problème ne se pose. Dans leurs fonctions de magistrat, les femmes sont aussi rigoureuses que les hommes ; elles travaillent aussi sérieusement que les hommes ; elles ont la même capacité que les hommes à se défaire de leurs éventuels préjugés ; elles jugent en droit, de la même manière et avec les mêmes scrupules que les hommes. Par conséquent, cet amendement n’a pas lieu d’être.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Votre amendement ne nous étonne pas, monsieur Requier, puisque votre groupe avait déjà posé au mois de septembre dernier, lors de l’examen du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, la question de la partialité des femmes magistrats, censées avantager systématiquement les mères en ce qui concerne la garde des enfants.
Je dénonce bien évidemment cet amendement, qui se réclame du combat pour la parité, pour l’égalité entre toutes les citoyennes et tous les citoyens, en particulier en matière de droit et de justice, alors qu’il vise en fait à créer de l’inégalité et à relancer un débat de manière abrupte. La question du devenir des enfants en cas de séparation des parents est douloureuse ; il faut la traiter avec sérénité et non à coups d’amendements ou en haut d’une grue.
Je voterai contre cet amendement, car il cache des projets de société que je ne partage pas ; je tiens à le dire en cet instant. On voit émerger dans notre pays un certain nombre de groupes qui s’appuient sur la douleur des pères privés de la garde de leurs enfants pour promouvoir des idées de type réactionnaire. J’invite donc l’ensemble de mes collègues à voter contre cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Lipietz, pour explication de vote.
Mme Hélène Lipietz. Ce n’est pas en tant qu’écologiste, mais en tant qu’avocate et femme que je m’exprime. Lorsque, à l’âge de treize ou quatorze ans, j’ai commencé à m’intéresser à la justice, j’ai lu les livres de Gisèle Halimi, notamment celui dans lequel elle raconte qu’elle a été la première à obtenir – en se battant, car cela a été extrêmement dur – qu’un viol soit jugé en cour d’assises. En effet, à l’époque, les viols étaient jugés en correctionnelle, notamment parce qu’on estimait que les jurys des cours d’assises prendraient fait et cause, d’une manière très nette, pour la femme et contre le violeur.
Heureusement, les viols ont fini par être jugés en cour d’assises. Les avocats se sont alors demandé s’ils devaient récuser les jurys exclusivement masculins ou féminins. Cependant, des études ont prouvé que les jurys composés uniquement d’hommes ou de femmes n’étaient ni plus sévères ni plus cléments que les autres. On juge avec son histoire, eu égard au droit, mais certainement pas – et heureusement – en fonction de son sexe. Comme on me l’a dit lorsque je suis devenue avocate, il n’y a point de sexe sous la robe.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 12 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 3
(Supprimé)
M. le président. L'amendement n° 39, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Dans les conditions prévues par l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d’ordonnance les mesures, relevant du domaine de la loi, nécessaires pour modifier la structure et le contenu du livre III du code civil afin de moderniser, de simplifier, d’améliorer la lisibilité, de renforcer l’accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l’efficacité de la norme et à cette fin :
1° Affirmer les principes généraux du droit des contrats tels que la bonne foi et la liberté contractuelle ; énumérer et définir les principales catégories de contrats ; préciser les règles relatives au processus de conclusion du contrat, y compris conclu par voie électronique, afin de clarifier les dispositions applicables en matière de négociation, d'offre et d'acceptation de contrat, notamment s’agissant de sa date et du lieu de sa formation, de promesse de contrat et de pacte de préférence ;
2° Simplifier les règles applicables aux conditions de validité du contrat, qui comprennent celles relatives au consentement, à la capacité, à la représentation et au contenu du contrat, en consacrant en particulier le devoir d’information, la notion de clause abusive et en introduisant des dispositions permettant de sanctionner le comportement d'une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l'autre ;
3° Affirmer le principe du consensualisme et présenter ses exceptions en indiquant les principales règles applicables à la forme du contrat ;
4° Clarifier les règles relatives à la nullité et à la caducité, qui sanctionnent les conditions de validité et de forme du contrat ;
5° Clarifier les dispositions relatives à l’interprétation du contrat et spécifier celles qui sont propres aux contrats d’adhésion ;
6° Préciser les règles relatives aux effets du contrat entre les parties et à l'égard des tiers, en consacrant la possibilité pour celles-ci d’adapter leur contrat en cas de changement imprévisible de circonstances ;
7° Clarifier les règles relatives à la durée du contrat ;
8° Regrouper les règles applicables à l’inexécution du contrat et introduire la possibilité d'une résolution unilatérale par notification ;
9° Moderniser les règles applicables à la gestion d’affaires et au paiement de l’indu et consacrer la notion d’enrichissement sans cause ;
10° Introduire un régime général des obligations et clarifier et moderniser ses règles ; préciser en particulier celles relatives aux différentes modalités de l'obligation, en distinguant les obligations conditionnelles, à terme, cumulatives, alternatives, facultatives, solidaires et à prestation indivisible ; adapter les règles du paiement et expliciter les règles applicables aux autres formes d’extinction de l’obligation résultant de la remise de dette, de la compensation et de la confusion ;
11° Regrouper l’ensemble des opérations destinées à modifier le rapport d’obligation ; consacrer dans les principales actions ouvertes au créancier, les actions directes en paiement prévues par la loi ; moderniser les règles relatives à la cession de créance, à la novation et à la délégation ; consacrer la cession de dette et la cession de contrat ; préciser les règles applicables aux restitutions, notamment en cas d’anéantissement du contrat ;
12° Clarifier et simplifier l’ensemble des règles applicables à la preuve des obligations ; en conséquence, énoncer d’abord celles relatives à la charge de la preuve, aux présomptions légales, à l’autorité de chose jugée, aux conventions sur la preuve et à l’admission de la preuve ; préciser ensuite les conditions d'admissibilité des modes de preuve des faits et des actes juridiques ; détailler enfin les régimes applicables aux différents modes de preuve ;
13° Aménager et modifier toutes dispositions de nature législative permettant d'assurer la mise en œuvre et de tirer les conséquences des modifications apportées en application des 1° à 12° du présent article.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement vise à rétablir l’article 3, qui habilite le Gouvernement à prendre des ordonnances pour réformer le droit des contrats et le régime des obligations.
Je rappelle que le droit des contrats date de la promulgation du code civil, en 1804. Depuis lors, il a été modifié exclusivement par la jurisprudence. Or ce droit est essentiel, dans la mesure où il intervient constamment dans la vie quotidienne des Français : on signe un contrat avec son plombier, par exemple. Les dispositions actuelles du code civil n’offrent pas une lisibilité suffisante pour que chaque partie soit totalement éclairée sur les conséquences du contrat.
La nécessité d’une réforme du droit des contrats est admise depuis longtemps : cela fait vingt ans qu’on en parle, vingt ans que d’éminents esprits y travaillent, vingt ans que d’excellents rapports sont rédigés par des parlementaires, des universitaires, des magistrats, des juristes, ou encore des représentants du monde socioprofessionnel. Il y a dix ans, à l’occasion du bicentenaire du code civil, une réforme a été annoncée, mais aucun projet de loi ni aucune proposition de loi n’ont été déposés.
Je le répète, le droit des contrats intervient tous les jours dans la vie des Français. Il est également essentiel pour les relations avec les autres pays. Et le point de vue international n’est ni banal ni négligeable. Ainsi, de nombreux pays se sont inspirés de notre code civil pour élaborer le leur, avant de le moderniser depuis plusieurs années en introduisant de nouvelles notions, en en supprimant d’autres qui figurent encore dans notre droit. Je pense notamment à la notion de cause qui n’est pas claire dans les relations internationales et dont nous proposons la suppression dans le présent projet de loi.
J’ai déposé cet amendement, avec l’espoir – minime, j’en conviens – de vous convaincre, mesdames, messieurs les sénateurs. La discussion est nécessaire. Après avoir entendu les arguments qui ont été formulés durant la discussion générale, je suis persuadée que nous devrions explorer davantage la question.
Quels furent ces arguments ?
Nous le savons tous, l’ordonnance…