M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Non, je ne l’ai pas dédicacé. (Sourires.)
Monsieur le président, monsieur le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, le rapport public annuel de la Cour est sa publication la plus emblématique. Il est désormais loin d’être la seule : en 2013, la Cour a publié quarante rapports, dont quinze portent sur des sujets choisis par le Parlement ; sept lui ont été remis en application de la loi, notamment les lois organiques relatives aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale ; vous ont également été présentés un rapport public annuel, treize rapports publics thématiques et trois rapports sur la générosité publique. S’y ajoutent un rapport sur un sujet choisi par le Gouvernement et le rapport sur les comptes de la présidence de la République.
Outre ces quarante rapports, la Cour vous a transmis trente-trois référés et vingt-cinq rapports sur des entreprises publiques. Enfin, une soixantaine d’analyses détaillées sur l’exécution des dépenses et recettes de l’État accompagnent le rapport de la Cour sur l’exécution du budget.
En vous livrant toute cette matière, la Cour s’efforce ainsi – vous l’avez rappelé, monsieur le président – de remplir sa mission constitutionnelle d’assistance au Parlement et de répondre aux attentes que vous placez en elle. Je me réjouis de la qualité des relations entre la Cour et le Parlement, tout particulièrement les commissions des finances et des affaires sociales du Sénat.
Dans chacune de ces publications, sans porter d’appréciation sur les objectifs qui sont assignés aux différentes politiques publiques par les décideurs que vous êtes, la Cour établit des constats sur l’atteinte ou non de ces objectifs et invite les décideurs, Gouvernement et Parlement, à en tirer les conséquences. Elle manifeste ainsi son attachement à une dépense publique de qualité, c’est-à-dire efficace et économe. Cette exigence est permanente. Elle est plus pressante encore dans la situation actuelle des finances publiques, qu’aborde le rapport dans son premier chapitre.
La Cour y livre quatre messages sur les finances publiques.
Le premier est qu’en 2013, malgré un effort considérable, concentré essentiellement sur des recettes nouvelles, la réduction du déficit public sera limitée.
M. Jean Arthuis. Eh oui !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Il existe un risque réel que le déficit public excède la dernière prévision du Gouvernement, de 4,1 % du PIB, contenue dans les annexes à la loi de finances pour 2014.
M. Philippe Dallier. Eh oui !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. L’effort considérable de 2013, de 1,7 point de PIB, portant pour plus des trois quarts sur des recettes nouvelles, a produit des effets tangibles, mais plus lents et donc plus limités que prévus. En effet, le déficit public ne s’est réduit que de 0,7 point de PIB. Ce sont avant tout les recettes qui ont manqué par rapport aux prévisions, en raison des effets combinés d’une nette dégradation de la conjoncture et d’un excès d’optimisme dans le choix des hypothèses techniques utilisées pour le calcul des recettes. Ce dernier constat est d’ailleurs récurrent. Il serait heureux que cette pratique cesse.
Ce ne sont pas seulement les recettes qui ont manqué : les dépenses totales ont augmenté plus vite que ce qui était prévu par le Gouvernement au printemps 2013, sans que l’on puisse à ce stade analyser en détail les causes de ce résultat. Compte tenu des incertitudes qui demeurent sur les comptes de l’année 2013, il existe, selon nous, un risque significatif que le déficit public excède la dernière prévision de 4,1 %.
Le deuxième message concerne l’année 2014, qui marque un changement : l’effort programmé de 0,9 point de PIB repose désormais principalement sur la dépense, rejoignant en cela une orientation préconisée de longue date par la Cour. La tenue des objectifs ambitieux de maîtrise semble possible, mais il n’existe aucune marge de manœuvre pour faire face aux dépenses imprévues, qui adviennent fréquemment. En effet, les hypothèses de croissance pour 2014 s’appuient sur des prévisions de niveau d’emploi et de progression de la masse salariale du secteur privé qui paraissent fragiles, tout comme celles relatives à l’élasticité des recettes. Au total, la Cour estime que le produit des recettes pourrait être surestimé de 2 milliards à 4 milliards d’euros. En outre, le rendement des nouvelles mesures fiscales serait de 1 milliard à 2 milliards d’euros inférieur aux prévisions.
M. Jean Arthuis. Eh oui !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. L’objectif de maîtrise des dépenses en 2014 est ambitieux et suppose des économies de l’ordre de 15 milliards d’euros par rapport à leur rythme tendanciel d’accroissement. La Cour relève qu’un effort a été fait pour mieux justifier les économies programmées, par rapport aux années précédentes. Cependant, une part des économies n’est pas encore documentée à ce stade et certaines sont surestimées. La tenue des objectifs de dépenses de l’État paraît possible, mais nécessitera d’importantes annulations de crédits pour y parvenir. Il n’existe en outre aucune marge pour faire face à des dépenses imprévues.
La Cour insiste pour que l’effort soit mieux partagé entre l’ensemble des acteurs publics, particulièrement ceux qui y ont le moins contribué jusqu’ici. Les économies attendues du secteur des collectivités territoriales sont chiffrées à 2 milliards d’euros, mais leur traduction concrète est hypothétique. En effet, si l’État a prévu de réduire les concours qu’il verse aux collectivités, le manque à gagner sera compensé par l’affectation de nouvelles ressources fiscales pour un montant égal, sinon supérieur. Rien ne permet donc d’anticiper un ralentissement des dépenses du secteur local dans son ensemble. Un freinage sensible des dépenses locales est pourtant nécessaire pour que la participation des collectivités territoriales au redressement des comptes publics devienne une réalité tangible, conformément à la trajectoire des finances publiques fixée par les pouvoirs publics, que le Parlement a approuvée. Il faut néanmoins relever que les communes et intercommunalités, qui ne sont pas bénéficiaires des nouvelles ressources, devront consentir un effort significatif.
Enfin, le secteur de la protection sociale devrait davantage contribuer aux économies, compte tenu de son poids dans les dépenses des administrations publiques et, surtout, de l’existence d’une dette sociale croissante, qui, selon nous, est une profonde anomalie. Nous pensons que, sans remettre en cause l’accès aux soins et la qualité des soins, il existe des marges de manœuvre.
Au total, compte tenu des nombreuses incertitudes et des risques significatifs que la Cour a relevés, l’atteinte de l’objectif de déficit public en 2014, de 3,6 %, n’est pas assurée à ce stade.
M. Jean Arthuis. Eh oui !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Le troisième message est que, compte tenu du retard pris, l’effort sur la dépense devra être poursuivi et amplifié pendant les trois prochaines années pour respecter l’engagement du Gouvernement, approuvé par le Parlement, d’assurer le retour à l’équilibre structurel des comptes publics en 2016.
L’écart par rapport à la trajectoire fixée dans la loi de programmation des finances publiques, votée à la fin de 2012, va croissant. Il devrait être d’au moins un point et demi de PIB pour le déficit effectif en 2014. Tout retard supplémentaire dans la consolidation des comptes se traduirait par une divergence sensible par rapport à nos voisins européens ainsi que par une nouvelle dette importante et porterait une atteinte grave à la crédibilité financière de la France.
Le quatrième et dernier message sur les finances publiques est qu’il faut changer de méthode pour obtenir les économies programmées. Plutôt que de ponctionner tous les services, il faut engager les réformes de fond permettant la modernisation des administrations publiques, pour qu’elles puissent atteindre avec une plus grande efficacité les objectifs fixés par les pouvoirs publics.
Le Gouvernement envisage actuellement de réaliser chaque année, jusqu’en 2017, un effort concentré sur les seules économies en dépenses. Cet effort devrait représenter 17 milliards d'euros par an, soit un niveau supérieur à celui de 2014. Sa réalisation est possible, compte tenu des marges existantes. Cela suppose d’engager des réformes de fond dans les différentes administrations publiques.
La Cour et les chambres régionales identifient de nombreuses pistes de réforme, qui touchent une grande diversité de politiques publiques et d’acteurs. Additionnés, ces constats montrent que des réformes structurelles, si elles sont engagées, peuvent permettre des économies importantes.
Chaque acteur public, quel que soit son rôle, son statut, même s’il dispose de budgets limités, doit s’interroger en permanence sur la performance de son action : quels sont ses objectifs, les atteint-il et, si oui, est-ce à un coût raisonnable ? Pendant des années, ces questions n’ont pas été assez posées dans nos administrations. Lorsque l’on se donne la peine de les mesurer, les résultats atteints par les politiques publiques ne sont souvent pas à la hauteur des moyens consacrés. Il faut rompre avec l’indifférence devant les résultats insuffisants de nombreuses politiques publiques ou leurs coûts excessifs, faute de l’organisation la plus optimale. La Cour invite les décideurs publics, dont vous êtes, ainsi que les gestionnaires publics à un changement de culture pour s’intéresser davantage aux résultats obtenus – insuffisamment mesurés – qu’aux moyens déployés, souvent mis en avant, comme si l’utilité des dépenses allait toujours de soi.
Les informations riches livrées au Parlement au moment du débat sur la loi de règlement constituent une occasion privilégiée pour que celui-ci exerce sa mission de contrôle du Gouvernement et examine si des marges de manœuvre peuvent être trouvées. Le Parlement doit pouvoir consacrer davantage de temps à débattre du projet de loi de règlement pour tirer les conséquences des résultats très inégaux des politiques publiques et prendre ainsi toute sa place dans l’engagement des réformes de fond qui sont nécessaires.
Pour vous assister dans ce travail, je l’ai dit, la Cour vous livre régulièrement de nombreux rapports contenant des propositions sur des sujets de votre choix ou des sujets choisis par elle. Je ne peux que souhaiter que le Parlement se saisisse davantage encore de ces travaux et des recommandations qu’ils mettent sur la table, sachant que le dernier mot revient toujours – c’est légitime – aux représentants du suffrage universel que vous êtes.
Le rapport est, cette année, plus spécifiquement centré sur l’État et ses satellites. Il ne cherche pas en priorité à mettre sur la table de nouvelles pistes d’économies de grande ampleur. D’autres rapports de la Cour s’en chargent, dans une grande diversité de domaines, qu’il s’agisse par exemple de la maîtrise des dépenses de personnel dans les fonctions publiques, des achats de maintenance au sein des armées, de l’organisation de la permanence des soins, du développement de la chirurgie ambulatoire, de la gestion des régimes de protection sociale ou encore des mutuelles étudiantes, pour ne citer que des sujets évoqués en 2013.
Le rapport public annuel livre des cas illustratifs des forces et faiblesses, à différents degrés, d’un échantillon de services publics. Le rapprochement de ces différents exemples, petits ou grands, permet de mettre en évidence les différentes modalités de réformes nécessaires, allant de la refonte complète à l’adaptation, en passant par la simplification et le ciblage. C’est ainsi toute une panoplie de méthodes de réforme qui est présentée. Je les aborderai successivement, en commençant par la nécessaire refonte des politiques inefficaces.
Les juridictions financières constatent que certaines politiques – peu nombreuses, heureusement – sont particulièrement inefficaces. Souvent, les objectifs que visent ces politiques n’ont pas été explicités ou adaptés à l’évolution des besoins des citoyens et usagers. J’en prendrai deux exemples tirés du rapport, d’importance modeste, j’en conviens, mais représentatifs de ces situations.
Le premier est la politique en faveur du tourisme en outre-mer. En dépit d’un récent redressement, le tourisme dans les Antilles françaises, en Polynésie et à La Réunion est en crise, alors que certaines îles voisines et concurrentes connaissent un réel dynamisme. Les politiques de développement du tourisme mobilisent des moyens importants – entre 10 millions et 20 millions d'euros chaque année par collectivité – au service de stratégies datées, toujours marquées par le souhait d’accueillir un tourisme de masse. Surtout, la priorité est donnée à de coûteuses actions de promotion en métropole ou à l’étranger, sans s’assurer auparavant que l’offre répond quantitativement et surtout qualitativement aux attentes de la clientèle internationale : confort des hôtels, qualité de l’accueil, accessibilité des sites, du littoral, des sentiers et gîtes de montagne.
Le deuxième exemple de nécessaire refonte d’une politique publique est celui de la documentation pédagogique au service des enseignants de l’éducation nationale. Celle-ci est mise en œuvre par un réseau de trente et un établissements publics distincts et autonomes employant 1 918 agents et n’éditant pas moins de cinquante-sept collections et dix-sept revues mises à disposition dans 133 médiathèques. Ces moyens importants – 92 millions d'euros par an de subvention de l’État – répondent de moins en moins aux besoins des enseignants. J’en veux pour preuve que la moitié d’entre eux ne connaît pas les revues de la documentation pédagogique. La Cour recommande de regrouper le centre national et les centres régionaux de la documentation pédagogique en un organisme unique, dont l’activité serait recentrée sur les besoins essentiels des enseignants, en particulier pour mettre à leur disposition des supports numériques éducatifs.
Dans certaines situations, la Cour constate de graves dysfonctionnements. Il faut distinguer deux cas de figure que j’évoquerai successivement. Le premier correspond à des gaspillages, le second à des structures devenues inutiles qu’il faut avoir le courage de supprimer.
Le programme de second porte-avions français a été officiellement lancé en 2005 et suspendu en 2008. La coopération franco-britannique répondait notamment au souhait de dégager des économies pour contourner la contrainte budgétaire imposée aux armées. Cependant, dès l’origine, le Royaume-Uni avait clairement fait savoir que ni les caractéristiques, ni le calendrier, ni le projet industriel qu’il menait n’étaient susceptibles d’être adaptés. Malgré cela, la France a signé en 2006 un accord voué à l’échec. Il permettait à la France d’acheter l’accès aux études britanniques, au prix élevé de 103 millions d'euros, afin de s’en inspirer. Cette somme n’a été in fine qu’une pure subvention au programme anglais. D’autres dépenses ont été consacrées à la production d’études inutilisables, portant la dépense à 196 millions d'euros. Il peut arriver que des programmes d’armement n’aboutissent pas à des réalisations concrètes, il est en revanche plus anormal que des sommes aussi importantes aient été engagées, alors que l’impasse de la coopération était très largement prévisible.
J’en viens au second cas de figure, où les dysfonctionnements sont ceux de structures tout entières qui appellent une reprise en main totale de celles-ci, voire leur disparition. J’évoquerai deux exemples tirés du rapport : une caisse de protection sociale et un établissement public.
La Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse des professions libérales, la CIPAV, est chargée de verser les prestations de retraite de base et de retraite complémentaire d’un professionnel libéral sur deux, appartenant à près de trois cents professions aux revenus très divers. La qualité du service rendu à ses 545 000 affiliés est déplorable. Pourtant, contrairement au régime général, la Caisse dispose d’un nombre croissant d’agents rapporté aux affiliés. Les délais de prise en charge sont parfois très longs. La Caisse n’est capable de liquider à bonne date les pensions des nouveaux retraités que dans un cas sur deux, alors que cette proportion est de 96 % pour le régime général de sécurité sociale. Devant de telles défaillances et à défaut d’engager une action de redressement rapide, la Cour recommande qu’un administrateur provisoire soit nommé et se substitue au conseil d’administration.
De graves dysfonctionnements ont également été relevés une nouvelle fois dans la gestion de la chancellerie des universités de Paris, dont la Cour propose la suppression.
La Cour formule aussi de vives critiques à l’endroit d’une société à capitaux d’État chargée d’un rôle très contestable d’opérateur foncier, la Société de valorisation foncière et immobilière, la SOVAFIM.
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. Bruno Sido. Il reste à faire !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Ces critiques et cet appel à des réformes profondes ne concernent qu’une minorité de services publics, mais l’État doit montrer qu’il est capable de les engager. Bien plus fréquemment, la Cour constate des politiques qui, sans être inefficaces, doivent être simplifiées et mieux ciblées sur leurs objectifs essentiels. C’est une caractéristique récurrente des politiques publiques dans notre pays : les dépenses d’intervention, c’est-à-dire les prestations, les subventions et les aides diverses, qui représentent plus de la moitié des dépenses publiques, sont souvent insuffisamment dirigées vers le public qui en a réellement besoin. La tolérance envers les effets d’aubaine est trop fréquente. Or un meilleur ciblage de l’action publique constitue de loin la principale source d’économies dans les administrations publiques.
Ce constat a quelque chose de rassurant : pour réaliser des économies massives, particulièrement dans les domaines de la formation professionnelle ou du logement, il n’est pas nécessaire de priver d’aide ceux qui en ont besoin ; il suffit de veiller à ce que le bénéficiaire soit réellement celui que vise la politique publique à travers le dispositif mis en place.
Ces réformes de ciblage et de simplification permettraient, en contrepartie, de renforcer la prise en charge de ceux qui sont au cœur de la cible, en leur assurant un meilleur accès aux droits. Je prendrai deux exemples qui illustrent la nécessité de mieux cibler certaines actions publiques.
Le premier est l’indemnisation des victimes de l’amiante. Les travailleurs de l’amiante se voient offrir des possibilités de départ anticipé à la retraite grâce au Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, le FCAATA. Il est choquant de constater qu’alors que de nombreux travailleurs exposés à l’amiante n’ont pas accès à ce dispositif avant d’être effectivement malades – les artisans, par exemple –, le fonds a été fréquemment détourné de sa vocation pour prendre en charge la reconversion d’entreprises industrielles. En effet, ce fonds constitue aujourd’hui le dernier moyen de prise en charge publique de préretraites. L’inscription d’un établissement sur une liste aux critères peu précis suffit à faire bénéficier l’ensemble de ses salariés de départs anticipés, même s’ils n’ont pas été directement en contact avec l’amiante – par exemple, le personnel administratif. Le rapport cite le cas d’un établissement dont 96 % des salariés n’avaient jamais été exposés à l’amiante. Le défaut de ciblage sur les travailleurs les plus exposés à l’amiante entraîne une injustice et des dépenses publiques élevées.
Le rapport évoque aussi les missions des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les SAFER, qui se sont éloignées de leurs missions originelles de remembrement agricole et d’aide à l’installation de jeunes agriculteurs...
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. ... pour servir le plus souvent de pur intermédiaire dans des transactions sur des biens fonciers dont la vocation est parfois résidentielle, en faisant bénéficier les parties privées de son privilège fiscal.
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Un contrôle plus étroit par l’État de l’activité des SAFER devrait permettre de les recentrer sur leurs missions d’intérêt général, avec des exigences déontologiques renforcées.
La simplification est un puissant levier d’économies et de ciblage de l’action publique. J’en prendrai un exemple tiré du rapport : des missions de recouvrement d’impôts divers ont été confiées au réseau des douanes pour compenser la perte de l’activité douanière traditionnelle. La Cour a relevé le nombre important d’impôts indirects à faible rendement : quarante-deux taxes ont un rendement inférieur à 100 millions d'euros. Certaines sont archaïques, comme la taxe sur les flippers...
M. Bruno Sido. Ah !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. ... qui a été réformée en 2007 sans être supprimée. Son coût de gestion dépasse son produit, qui est de 500 000 euros. La Cour invite les pouvoirs publics à supprimer les taxes obsolètes. Le retard d’informatisation des douanes est significatif : la Cour estime que 40 millions d'euros pourraient être économisés chaque année. Faut-il d’ailleurs que le ministère des finances conserve en son sein deux réseaux comptables de recouvrement des recettes fiscales ? La Cour pense que non.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. La Cour recommande également la mise en place de l’autoliquidation de la TVA à l’importation, pour répondre à un enjeu important de compétitivité des plateformes portuaires et aéroportuaires du territoire.
Vous le constatez à travers cet exemple, la mise en œuvre d’économies n’est pas contradictoire avec l’amélioration de la qualité du service public, la simplification et le redressement de la compétitivité de notre économie, bien au contraire. C’est un constat que la Cour fait régulièrement et qui va souvent à l’encontre des idées reçues.
La Cour conçoit son rôle avant tout comme un aiguillon pour la modernisation des administrations. Pour cela, il est normal qu’elle souligne les insuffisances et les dérives – je le fais –, mais il est important aussi qu’elle souligne les progrès constatés, qu’elle valorise ce que l’administration sait faire et bien faire, qu’elle encourage les réformes ainsi que les décideurs et les gestionnaires qui les conduisent.
Le service civique doit répondre à une ambition forte : offrir dans trois ans à 100 000 jeunes par an l’opportunité de s’engager pour un projet d’intérêt général. Il en est encore à un premier stade de développement, avec 20 000 contrats par an, dont les premiers résultats sont encourageants. La poursuite du développement du service civique suppose toutefois de former les tuteurs, de maîtriser le coût pour l’État et de veiller à ce que les contrats ne se substituent pas à des emplois salariés.
Le rapport illustre les cas, nombreux, où les exemples vertueux ne sont pas sans lien – nous nous en réjouissons – avec des travaux précédents de la Cour. Vous le savez, celle-ci est attentive aux suites concrètes données à ses recommandations. Elle répond ainsi à une prescription que vous-mêmes avez inscrite dans la loi. Le nombre de recommandations partiellement ou totalement mises en œuvre progresse, passant de 560 en 2011 à 1 033 en 2013, soit un quasi-doublement. Si le taux de recommandations suivies affiche un tassement, passant de 72 % à 62 %, ce résultat est imputable au caractère très récent de nombreuses recommandations et au choix de la Cour d’être sensiblement plus restrictive pour considérer qu’une recommandation est partiellement suivie.
Le rapport illustre des situations où les recommandations de la Cour ont été suivies. La gestion des amendes de circulation et de stationnement routiers, dont le produit est de 1,6 milliard d’euros, s’est améliorée avec le développement des procès-verbaux électroniques, plus fiables, moins coûteux et laissant moins de prise à des possibilités d’« indulgence », qui sont en rapide régression. La généralisation des PV électroniques doit être menée à son terme. Le redressement d’un régime de retraite complémentaire pour les enseignants du privé récemment mis en place avait été demandé par la Cour ; il a été engagé rapidement.
Dans d’autres cas, les évolutions engagées sont trop lentes. C’est pourquoi la Cour « insiste ». C’est le cas par exemple de l’adoption internationale ou de l’accueil téléphonique de l’enfance en danger, encore très peu performant. Si Pôle emploi a fait de sensibles efforts pour lutter contre la fraude aux cotisations et aux indemnisations chômage, beaucoup reste à faire pour mieux cibler les contrôles, utiliser les données disponibles et rendre les sanctions plus rapides et plus efficaces.
Ce n’est pas parce qu’une appréciation positive est formulée sur une politique publique qu’il faut se désintéresser de son avenir. Toutes sont soumises à des environnements changeants, et certaines doivent être confortées pour préparer leur avenir. La Cour souligne l’importance des décisions à prendre concernant le transport spatial. Elle a examiné le recours aux partenariats public-privé pour le financement des investissements hospitaliers. La précipitation dans laquelle ces contrats ont été lancés explique une partie des dérives constatées, qu’il s’agisse des coûts ou de la qualité des réalisations, en particulier pour l’hôpital sud-francilien à Évry. La Cour formule des recommandations tirées de l’expérience passée, pour que les hôpitaux aient recours à ces partenariats à meilleur escient et dans des conditions financières beaucoup mieux maîtrisées.
Les économies n’ont pas pour seule vocation de participer au redressement des comptes ; elles permettent aussi de dégager des marges de manœuvre pour que les pouvoirs publics puissent investir dans des dépenses porteuses de croissance future et de donner à des services publics essentiels les moyens adéquats pour fonctionner de manière satisfaisante. La Cour constate que ce n’est pas toujours le cas, faute de définir des priorités ou de faire des choix.
L’enquête sur la santé des détenus montre que, en dépit des efforts des vingt dernières années, les importants besoins de soins de cette population en croissance continue sont encore très mal pris en charge, alors qu’elle se caractérise par une prévalence beaucoup plus forte des maladies psychiatriques et infectieuses que dans la population générale. Sur un autre sujet, la sécurité sanitaire des aliments, la Cour relève que le ministère de l’agriculture exerce de moins en moins ses missions de contrôle, particulièrement sur les produits phytosanitaires utilisés dans la culture et sur les établissements de transformation de denrées animales.
M. Jean Desessard. Voilà !