M. Jean-François Husson. C’est la démocratie participative version PS ?
M. Jean-Pierre Michel. Or je pense que les chefs de cour auraient pu consulter les parlementaires de leur ressort… On a donc supprimé toute une série de tribunaux dans le département dont je suis l’élu, sans jamais me demander ce que j’en pensais ni si l’on pouvait faire autrement. Peu importe, car ce que j’aurais pu dire n’intéressait pas, à l’époque, le ministère de la justice. C’est d’ailleurs un honneur pour moi, s’agissant de Mme Dati.
M. Jean-François Husson. Ce n’est pas très sympathique ! Restez courtois !
M. Jean-Pierre Michel. Je dis ce que je veux !
M. Jean-François Husson. Moi aussi !
M. Jean-Pierre Michel. Quoi qu’il en soit, les préconisations des chefs de cour n’ont pas été respectées. Elles étaient d’ailleurs souvent assez proches des recommandations du rapport de nos collègues : par exemple, la suppression d’un tribunal de grande instance à un endroit pouvait être compensée par la création d’une chambre économique et sociale ailleurs.
Le rapport dont nous discutons aujourd’hui aborde un certain nombre de solutions, et je voudrais en évoquer quelques-unes.
Ainsi, je rejoins Jean-Jacques Hyest sur la nécessité de supprimer carrément le tribunal d’instance et d’unifier les contentieux. Il ne doit plus être question de déterminer la compétence en fonction du montant du litige, qui de toute façon fluctue au gré du temps, comme l’inflation ou jadis le franc.
Il faut donc décréter la création d’un seul tribunal et éviter ce que connaît le tribunal de grande instance, à savoir que la compétence de droit commun dont il est en principe doté devienne dans les faits, compte tenu de la kyrielle de juridictions spécialisées, une compétence d’exception. Évidemment, personne ne veut toucher à cette situation, pour ne pas se mettre à dos des corporations très influentes. La réforme Badinter, par exemple, n’a jamais été appliquée aux tribunaux de commerce. Elle visait à faire intervenir des magistrats professionnels en première instance et des commerçants en appel. On y a renoncé, on a reculé, on a eu peur !
Pourquoi attendre pour réorganiser les conseils de prud’hommes, qui doivent faire appel au juge départiteur pour se prononcer dans les affaires importantes et difficiles ? Parce que les syndicats sont derrière ! Et l’on sait à quel point, dans certains cas, ils peuvent être conservateurs !
Je pourrais poursuivre l’énumération avec les tribunaux paritaires des baux ruraux, les tribunaux départementaux des pensions, les tribunaux des affaires de sécurité sociale, j’en passe et des meilleures. Il faut vraiment faire un tri, unifier toutes ces strates et créer un tribunal de première instance.
Cette réforme placera le juge au centre du dispositif et lui permettra d’exercer sa fonction, qui, je le rappelle, est de juger. Il en va en matière de justice comme en matière de santé : il est inutile de solliciter constamment le juge, comme il est inutile que tout le monde aille aux urgences, qui sont saturées. Certains problèmes peuvent être réglés sans son intervention. Le juge est là pour trancher des problèmes importants, difficiles. C’est pourquoi il faut satisfaire la demande des syndicats de greffiers et donner aux greffiers en chef des compétences juridictionnelles. Ils ont les connaissances et la formation requises pour les exercer. Il faut donc que les juges acceptent de se défaire de leur imperium.
Il convient également de développer la collégialité. La pratique démontre souvent, hélas ! la justesse du dicton qui assimile juge unique et juge inique. Ceux qui l’ont pratiquée le savent, la collégialité permet de confronter des points de vue souvent diamétralement opposés pour aboutir, après une discussion – qu’on appelle « délibéré », mais peu importe –, à un consensus médian. D’ailleurs, le justiciable a plus confiance dans ce genre de décision, et il a raison, que dans la décision rendue par un juge unique dont on suspecte toujours les motivations.
M. Christian Bourquin. Totalement !
M. Jean-Pierre Michel. Le juge doit donc retrouver son rôle. Pour ma part, je suis absolument hostile au fait que ce ne soit pas le juge qui rende les décisions, y compris en matière pénale. Ce pouvoir n’est pas du ressort du parquet. Or, aujourd’hui, on le voit bien, dans plus de 50 % des cas, les décisions sont rendues par le parquet : ordonnances pénales, reconnaissance de culpabilité, etc. Certes, on me dira que, ensuite, le juge entérine. Au vu des empilements d’ordonnances dans le cabinet des juges – c’est pareil en Italie –, on comprend que le juge signe sans prendre connaissance du contenu, sauf à y passer la semaine. Je n’appelle pas cela de la justice ! La justice doit être rendue par le juge et non par le procureur, qui est une autorité de poursuite.
Il faut donc revenir à ce rôle du juge, qui est essentiel et qui est aujourd’hui dévoyé par la création de toute une série d’institutions plus ou moins intéressantes – médiateur, conciliateur, délégué du procureur,… – qui rendent une justice molle. C’est ce que le Conseil d’État appelle le droit mou.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Le droit souple ! Le Conseil d’État a dit que le droit souple ne doit pas être confondu avec le droit mou !
M. Jean-Pierre Michel. On rend donc des décisions souples, des décisions molles, qui ne sont pas vraiment des décisions. D'ailleurs, peut-on appeler « décision de justice pénale » un rappel à la loi ? Non, un rappel à la loi ne veut rien dire et n’emporte aucune conséquence. Je conseille d’ailleurs à tous ceux qui me demandent ce dont il s’agit de refuser de signer le papier et de demander soit le classement sans suite, soit la saisine du tribunal. Tout cela doit être nettoyé, c’est le cas de le dire !
M. Christian Bourquin. Bravo !
M. Jean-Pierre Michel. Enfin, on l’a dit souvent, il faut mieux répartir les contentieux en recherchant la création de pôles par domaines. On pourrait, à l’occasion de la suppression des tribunaux d’instance, trouver un pôle pour les affaires familiales, un pôle pour les affaires de personnes, d’état civil. Pourquoi les tutelles devraient-elles être jugées par le tribunal d’instance et les divorces ou les abandons de famille par le tribunal de grande instance ? Cela n’a pas grand sens ! D'ailleurs, le justiciable n’y comprend pas grand-chose.
Si l’on acceptait de s’occuper de l’organisation des territoires sans trop mécontenter les élus locaux – ce qui est quelquefois utile –, on pourrait faire en sorte d’éviter de tout concentrer dans un seul endroit pour répartir ces pôles au sein du département. Une juridiction de première instance permettrait de faire ces répartitions.
D’autres questions se posent, dont certaines constituent d’ailleurs des petits poils à gratter.
La première question, sur laquelle mon collègue Simon Sutour va certainement revenir, concerne les cours d’appel.
M. Jean-Pierre Michel. Voilà des décennies que l’on parle de cours d’appel qui ont un volume d’affaires peu important.
M. Henri Tandonnet. Où donc ?
M. Jean-Pierre Michel. Inutile de les citer, tout le monde les connaît.
Je ne sais plus qui a proposé une cour d’appel par région. Encore faudrait-il commencer par s’accorder sur le périmètre de la région. Va-t-on regrouper certaines régions ?
M. Christian Bourquin. Oh non !
M. Jean-Pierre Michel. Je ne pensais pas à la vôtre, mon cher collègue, qui est tellement énorme qu’il sera impossible d’envisager un regroupement. On va plutôt la diviser. (Sourires.)
Après, peut-être pourra-t-on unifier les régions – pas demain, ni après-demain, je rassure certains de mes collègues – et faire en sorte qu’il y ait une cour d’appel par région.
La deuxième question, qui va provoquer chez mon collègue Alain Richard une deuxième grimace, porte sur les deux ordres ou plutôt sur les trois ordres de contentieux.
Le premier, c’est l’ordre judiciaire.
Le deuxième, c'est l’ordre administratif, créé par Napoléon…
M. Alain Richard. C’était sous la Révolution !
M. Jean-Pierre Michel. … pour protéger l’administration. Depuis lors, les choses ont évolué et ont atteint un tel degré de complexité qu’il a fallu prévoir des sortes de blocs de compétences. Les accidents de la circulation, par exemple, ont donné lieu à une abondante jurisprudence, notamment pour déterminer si la voiture concernée était un véhicule du service public. Si la voiture appartenait à la RATP, il fallait déterminer si la Régie était un service public ou un service privé.
M. René Garrec. Tout de même les choses ont évolué depuis !
M. Jean-Pierre Michel. Tout cela est tellement compliqué que vous avez proposé dernièrement une réforme du Tribunal des conflits.
Le troisième ordre de contentieux, ce sont les juridictions financières, créées après la décentralisation. Était-ce tellement utile ? Ne pouvait-on pas demander aux tribunaux administratifs, qui contrôlent les actes des collectivités locales, de contrôler également leurs comptes ?
M. Alain Richard. Les juridictions financières sont des juridictions administratives !
M. Jean-Pierre Michel. En outre, on peut relever une sorte de contradiction, de dissonance. Certaines de ces juridictions ne se privent pas – pour une, en tout cas ! – de donner des conseils, ce qui est souvent totalement incongru, surtout lorsqu’on critique ce qu’on a préconisé un ou deux ans auparavant.
M. Christian Bourquin. Oui !
M. Jean-Pierre Michel. Madame la garde des sceaux, vous avez fait des annonces au cours du colloque de l’UNESCO consacré à la justice du XXIe siècle. Vous avez demandé des rapports. Ils ont été déposés. Je crois que, maintenant, il faut agir, dans votre domaine, comme dans d’autres d'ailleurs. Je pense au domaine économique, par exemple. Les annonces doivent maintenant se traduire dans les faits. C’est ainsi que vous permettrez à nos concitoyens de mieux réagir qu’aujourd'hui à la pratique du pouvoir. Ils attendent des actes, des faits, des solutions, particulièrement dans votre domaine, madame la garde des sceaux. Je le sais, ces solutions sont compliquées à mettre en œuvre et difficiles à trouver. En période de vaches grasses, cela serait moins compliqué qu’en cette période de vaches très maigres, mais, tout de même, on peut commencer par faire un certain nombre de choses.
L’intérêt du rapport qui nous est présenté aujourd'hui et qui nous donne l’occasion de cet aimable échange est double.
Il s’agit d’abord de montrer une façon pragmatique de mener les choses à leur terme. Il est impossible de tout faire en même temps, mais on peut commencer par ce qui est peut-être le plus simple à mettre en œuvre, à savoir le guichet unique. Donnons ensuite aux greffiers en chef des compétences juridictionnelles. Après quoi, avançons petit à petit vers ce qui devrait être la justice de demain : un tribunal unique, un bloc des compétences et tout ce qui s’ensuit.
Il s’agit ensuite de montrer à ceux qui en douteraient encore que le Sénat, notamment sa commission des lois, produit régulièrement, aujourd'hui comme hier – et, je l’espère, encore demain ! –, des rapports présentés par des sénateurs de sensibilités politiques différentes. Nous parvenons à trouver un accord, à dégager un consensus, lequel permet de faire progresser les choses.
Cela prouve que notre rôle n’est pas seulement d’examiner un peu bêtement des lois, si je puis dire, qui finissent, comme l’a dit Jean-Jacques Hyest, par être votées parce que, à défaut d’être d’accord, on subit la tutelle de sa majorité. Nous sommes également là pour réfléchir, pour proposer des solutions nouvelles et innovantes. C’est ce que font aujourd'hui Virginie Klès et Yves Détraigne. Il faut les en remercier et, bien entendu, le groupe socialiste se félicite de cette méthode de travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Christian Bourquin. Bravo, mon cher collègue !
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi – une fois n’est pas coutume – de commencer cette intervention par une citation de Franklin Delano Roosevelt : « Gouverner, c’est maintenir les balances de la justice égales pour tous ». C’est en ce sens que, depuis toujours, les gouvernements successifs veillent, avec les moyens qui sont les leurs, à rendre la justice accessible à tous. Cela passe notamment par un arbitrage entre proximité et rationalisation, entre efficacité et économie, entre spécialité et lisibilité.
On le sait depuis près de quarante ans maintenant, la technicité des litiges a conduit les pouvoirs publics sur la voie de la spécialisation. C’est aussi la judiciarisation croissante des rapports sociaux qui nous a incités à développer les strates juridictionnelles pour pallier l’encombrement de certains tribunaux. Mais voilà, parce qu’il est bien difficile, dans toute action déterminée, de mêler la mesure à la vigueur, il nous faut aujourd’hui, pour les mêmes raisons de lisibilité et d’accessibilité, rationaliser notre organisation judiciaire pour lui rendre un peu de la clarté qu’elle a perdue. C’est essentiel pour la vie quotidienne de nos concitoyens.
Nous convenons tous qu’il ne faut plus forcément chercher d’antagonisme entre accessibilité et rationalisation. Nous savons que, en réalité, l’accessibilité n’est pas seulement physique et qu’un dossier peut être traité à distance, à condition que les citoyens aient accès au suivi de la procédure qu’ils ont entamée. C’est en ce sens que nous entendions développer les greffes uniques et les greffes universels.
Il est temps que nous engagions en profondeur cette réforme de la justice de première instance, en ayant toutefois conscience des difficultés que nous devrons surpasser.
Il convient de rassurer avant tout les personnels de justice, sans lesquels rien ne sera possible. Les erreurs d’hier ne doivent pas se reproduire, osons le reconnaître. Dans cette assemblée qui n’a jamais hésité à appeler l’attention des différents gouvernements sur les risques potentiels de réformes trop brutales, nous savons que l’initiative que nous défendons ici ne peut pas comporter que des mesures comptables.
Nous savons également que notre action doit s’inscrire sur le long terme, qu’il faut procéder à une répartition des contentieux et rapprocher progressivement les juridictions de première instance avant d’envisager toute unification.
Nous sommes convaincus, enfin, que l’expérience que nous avons dans ce domaine doit nous guider avec modestie. Certains tribunaux, caractérisés justement par la proximité et l’accessibilité de leurs décisions, ont fait leurs preuves. La rationalisation des conseils de prud’hommes et des tribunaux de commerce doit ainsi être appréhendée avec prudence, comme le préconisent nos rapporteurs.
Tous ces constats ont été développés très largement par Yves Détraigne et Virginie Klès dans leur rapport. J’en profite pour saluer à nouveau le travail très important qu’ils ont mené en ce sens.
Madame la garde des sceaux, nous sommes nombreux à savoir ici à quel point il peut être stimulant de réformer lorsqu’on est engagé dans la vie publique. Sur le plan national, l’un ou l’autre ministère – pas spécialement celui de la justice, je le concède – est connu pour engager une réforme à chaque changement de ministre, ou presque. Mais l’histoire sait également reconnaître les actions plus modestes, rendues vénérables par l’action du temps qui vient éprouver, à n’en pas douter, la solidité de leurs fondements.
Actuellement, vous l’aurez compris, il ne saurait à mon sens y avoir de « grand soir » de la justice de première instance. Mais trois actions importantes pourraient nous y préparer : tout d’abord, le développement des outils permettant un accès de proximité à la justice et, parmi ceux-ci, le développement des greffes universels ainsi que l’installation du logiciel Portalis offrant à ces greffes une base de données unique ; ensuite, cela a été dit, la rationalisation des contentieux et le rapprochement des juridictions de proximité ; enfin, un engagement budgétaire à la hauteur de l’ambition que nous affichons. La justice en a besoin ! Je n’y insisterai pas, car M. Mézard s’est largement exprimé sur le sujet. C’est seulement après que nous pourrons, à mon sens, entamer sérieusement la création d’une grande juridiction de première instance.
Je souhaiterais maintenant aborder un sujet spécifique à l’Alsace, ma région, et vous sensibiliser à nouveau, brièvement, aux importants problèmes liés aux transferts de compétences entre le tribunal de grande instance de Strasbourg et celui de Nancy.
À plusieurs reprises, les bâtonniers successifs du barreau de Strasbourg ont appelé l’attention de vos prédécesseurs, ainsi que la vôtre, sur les transferts progressifs de compétences qui ont eu lieu depuis le tribunal de grande instance de Strasbourg vers celui de Nancy, au détriment de la proximité, mais souvent aussi de la rationalité et, oserais-je dire, de la raison.
Lors d’une réunion à la Chancellerie, tenue il y a quelques mois en présence de plusieurs parlementaires de mon département, les différents services transférés successivement à Nancy vous ont été présentés. Permettez-moi de les citer ; cette énumération, certes fastidieuse, est nécessaire pour comprendre le problème qui se pose.
Ont donc été transférés à Nancy : le centre de protection judiciaire de la jeunesse du Grand Est ; la juridiction interrégionale spécialisée en matière de délinquance et criminalité organisée ; la juridiction interrégionale spécialisée en matière d’infractions économiques et financières ; le pôle de compétence en matière de pratiques restrictives de concurrence et de propriété intellectuelle, et Dieu sait pourtant si l’université de Strasbourg est compétente en la matière ; le pôle de compétence pour les contestations concernant les obligations de publicité et de mise en concurrence des contrats de droit privé relevant de la commande publique ; la juridiction spécialisée dans les procédures concernant les accidents collectifs ; enfin, le pôle interrégional des commissions de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux.
Dernièrement, dans le cadre de la loi de programmation militaire, une nouvelle juridiction, la juridiction spécialisée des forces armées du tribunal de grande instance de Strasbourg, a également été transférée à Nancy. Même si je reconnais que celle-ci n’avait qu’une activité limitée au sein du TGI de Strasbourg, son transfert a néanmoins une implication importante sur l’activité de ce dernier.
Outre le fait que le TGI de Strasbourg perd à nouveau une compétence, deux postes de greffiers vont être supprimés. Ils rendaient pourtant d’importants services au parquet ou aux juridictions correctionnelles. Leur disparition aura nécessairement des répercussions sur les autres postes, à un moment où ces fonctionnaires de greffe sont déjà surchargés de travail.
Madame la garde des sceaux, seule une volonté politique forte pourra stopper cette hémorragie. Dès lors, je compte sur vous pour prendre les mesures qui permettront de mettre définitivement fin, à l’avenir, à ces pratiques contraires aux intérêts de Strasbourg et de l’Alsace. Il y va aussi d’une forme d’équilibre à trouver entre la proximité et la rationalisation, lesquelles sont largement mises en exergue dans le rapport de Virginie Klès et d’Yves Détraigne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Simon Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je suis très heureux, en tant membre de la commission des lois, de pouvoir m’exprimer sur un sujet qui nous tient tous particulièrement à cœur : la réforme de la justice de première instance et, plus généralement, la réforme judiciaire.
Européen convaincu, j’agis, en tant que président de la commission des affaires européennes du Sénat, pour un rapprochement de l’Europe et des citoyens. Nous souhaitons par exemple que le parquet européen, dont le dossier avance, soit collégial. Cela n’est pas toujours facile, mais, dans de nombreux domaines, il y a des avancées notables. Je souhaite que le même rapprochement puisse s’opérer dans le domaine judiciaire.
Depuis que j’exerce mon mandat parlementaire, j’ai eu à me prononcer sur une multitude de textes tendant à réformer la justice. En effet, madame la garde des sceaux, un certain nombre de vos prédécesseurs souhaitaient, en quelque sorte, « imprimer leur marque ». Il faut bien l’avouer, ces réformes n’ont pas été toujours de grandes réussites. On ne peut, dans ce domaine en particulier, initier de grandes et profondes réformes quand le seul et unique objectif poursuivi est celui de faire des économies budgétaires.
Dès le départ, on connaît malheureusement les résultats : faute d’une grande réforme touchant aussi bien l’organisation juridictionnelle que la pratique du droit, on se retrouve avec une réforme tronquée et limitée. Trop souvent, en fait de réforme, il nous est présenté une carte de France avec des points noirs symbolisant les juridictions à supprimer. C’est pourquoi je me félicite que vous ayez lancé en ce début d’année le débat sur la justice du XXIe siècle, avec notamment pour objectif « de repenser le système judiciaire dans sa globalité et améliorer son fonctionnement, son efficacité et, finalement, le service rendu au citoyen ». Je pense que nous adhérons tous, mes chers collègues, à ces principes.
Pour ce faire, un certain nombre de rapports, d’origine parlementaire ou autre, seront très utiles pour l’élaboration et la mise en œuvre de cette grande réforme. Je suis certain qu’elle sera, de par votre volonté, madame la garde des sceaux, ambitieuse, et ce d’autant plus que ce gouvernement a fait de la justice l’une de ses priorités. À ce sujet, si je suis conscient des contraintes budgétaires actuelles, je sais que les efforts d’aujourd’hui sont non seulement source d’efficacité, mais aussi, à plus long terme, gage d’une bonne gestion et d’économies.
Parmi ces rapports, il faut souligner l’excellence du travail effectué par nos collègues Virginie Klès et Yves Détraigne. Dans leur rapport d’information fait au nom de la commission des lois du Sénat, intitulé Pour une réforme pragmatique de la justice de première instance, ils émettent un constat juste et sans concession sur la situation actuelle et livrent un ensemble de propositions concrètes qui, j’en suis persuadé, seront à même, non seulement d’améliorer sensiblement le fonctionnement de l’ensemble des juridictions de première instance, mais aussi et surtout de rapprocher la justice et les citoyens.
Ce rapport est d’ores et déjà une référence. Sans entrer dans le détail des propositions – d’autres orateurs l’ont fait précédemment –, je voudrais revenir sur deux points qui m’ont tout particulièrement interpellé, et positivement : le souci constant de placer l’intérêt du justiciable au cœur de toute future réforme de la justice de première instance et le souhait de maintenir une présence judiciaire au plus près de nos concitoyens.
Alors même que les effets de la réforme de la carte judiciaire se font encore sentir dans les départements qui ont alors été touchés, ce qui est le cas du Gard, département dont je suis l’élu et qui a subi la disparition du tribunal d’instance du Vigan, rappeler que la justice doit s’exercer au plus près des justiciables n’est pas anodin.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Simon Sutour. Cette proximité est bien évidemment indispensable en première instance. Mais nous ne pouvons pas écarter cette notion de proximité pour ce qui concerne les cours d’appel. Je suis persuadé que nos collègues Alain Richard et Bernard Saugey, chargés par la commission des lois d’un rapport d’information sur les cours d’appel, seront du même avis.
Certains rapports sont donc très bien accueillis, comme celui de nos collègues Virginie Klès et Yves Détraigne, qui tend à proposer des réformes pragmatiques, mais néanmoins substantielles et novatrices, basées sur la concertation. D’autres au contraire – je le déplore –, tel celui de M. Didier Marshall, premier président de la cour d’appel de Montpellier, qui vous a été remis le 16 décembre dernier, suscitent dès leur parution des controverses et des polémiques malheureusement bien légitimes.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Simon Sutour. En effet, comment ne pas s’émouvoir lorsqu’est proposée la disparition de sept cours d’appel et de quelque soixante juridictions de première instance ?
Comment est-il possible de parvenir à un tel résultat ? C’est finalement assez simple. Il suffit de proposer la « régionalisation » des cours d’appel, selon la méthodologie suivante : les vingt-huit départements qui dépendent d’une cour d’appel située hors de leur région administrative doivent être rattachés à la cour d’appel située dans le ressort de cette région. Simple, et même simpliste ! C’est la mort annoncée de nombreuses cours d’appel, notamment de celle de Nîmes. M. Didier Marshall a d’ailleurs confirmé à l’occasion d’interviews données à la presse locale gardoise que, en tant que premier président de la cour d’appel de Montpellier, il souhaitait la suppression de cette juridiction nîmoise.
On peut aussi s’interroger sur la pertinence de ces propositions, alors que le Président de la République vient de lancer le débat de la réorganisation administrative des régions et de leur redécoupage en vue d’un regroupement plus pertinent sur le plan européen.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Simon Sutour. Si je suis un farouche partisan de l’amélioration et de la réforme du service public de la justice, je suis également attaché à conserver ce qui fonctionne et, surtout, madame la garde des sceaux, ce qui fonctionne très bien.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Très bien !
M. Simon Sutour. Je suis heureux qu’une collègue de l’Hérault me soutienne.
M. Roland Courteau. L’Aude aussi vous soutient !
M. Christian Bourquin. Et la région !
M. Simon Sutour. Vous m’avez confirmé votre soutien, monsieur le président de région, et je m’en félicite. Mais cela ne suffira peut-être pas...
Je ne peux pas accepter qu’un rapport remette en cause des juridictions qui, à l’instar de la cour d’appel de Nîmes, font preuve d’excellence. Pourquoi supprimer une cour d’appel qui figure pourtant dans le premier tiers des cours d’appel du territoire en termes d’activité et d’efficacité ? En effet, selon les statistiques de 2012, en un an, celle-ci n’a pas traité moins de 6 185 affaires en matière civile et 2 128 en matière pénale, et ce dans des délais parmi les plus brefs de notre pays. On devrait plutôt la prendre en exemple !
M. Jacques Mézard. C’est sûr !
M. Simon Sutour. Les conclusions de ce rapport sont donc pour le moins surprenantes et ses motifs mal explicités.
La disparition de la cour d’appel de Nîmes, comme son démembrement, aurait des conséquences dramatiques non seulement pour les professions judiciaires, l’université et les professions juridiques proches – notaires, experts, huissiers, commissaires aux comptes,... –, dont les instances administratives et de formation sont toutes calquées sur le ressort de la cour d’appel, mais aussi et surtout pour les justiciables. À ce titre, nous sommes tous concernés.
En effet, l’éloignement des justiciables du lieu de jugement renchérit le coût du procès et complique l’accès à la justice, notamment pour les plus démunis d’entre eux qui, s’ils bénéficient de l’aide juridictionnelle, se verraient désigner un avocat loin de leur domicile et seraient contraints de multiplier les déplacements. Et que l’on ne nous rétorque pas que l’on pourrait simplement supprimer les deux chefs de cour et que la cour d’appel continuerait. Oui, cela nous a été dit, à nous, élus gardois !
Avec cette réforme globale de notre système judiciaire sont en jeu des centaines d’emplois publics, privés, libéraux, sans compter les retombées financières sur les bassins de vie. C’est à cela qu’est très attentif le président de la région Languedoc-Roussillon, Christian Bourquin, ici présent.