M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat organisé à la demande du groupe UDI-UC sur l’application des 35 heures à l’hôpital nous apparaît comme l’occasion de réaffirmer l’immense qualité des professionnels médicaux, paramédicaux, administratifs et techniques qui œuvrent dans nos établissements hospitaliers. Alors que les conditions de travail y sont de plus en plus difficiles, ils et elles font face aux attentes importantes des patients et de leurs familles. Je tiens, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, à les en remercier.
La majorité de nos concitoyens partagent ce constat : à leurs yeux, le service public hospitalier constitue encore aujourd’hui un pilier dans l’organisation publique de notre pays, comme le souligne le 10e baromètre de la Fédération hospitalière de France, publié en mai dernier, à l’occasion des Salons de la santé et de l’autonomie.
Les personnels des hôpitaux sont pourtant mis parfois à rude épreuve. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, comment croire que le niveau de saturation de certains services, notamment les urgences, peut rester sans conséquences sur eux et sur les patients en attente de soins depuis plusieurs heures ?
Cette pression constante confirme l’urgence d’embauches supplémentaires, à rebours de la poursuite des restructurations et des fusions dont il a été beaucoup question lors de la discussion de notre proposition de loi visant à instaurer un moratoire à cet égard.
La mise en cause des 35 heures touche à la conception même du service public et à son organisation. Au groupe CRC, contrairement à d’autres, nous sommes convaincus que la réduction du temps de travail peut constituer un levier permanent vers une société plus humaine. À l’inverse de notre collègue Jean Arthuis, nous ne considérons pas que cet objectif relève de l’utopie.
Malheureusement, au sein des établissements publics de santé, cette réduction du temps de travail n’a pas été suffisamment accompagnée et préparée avec les organisations syndicales. Les créations d’emplois, indispensables pour remplacer les agents publics sollicitant l’usage des heures de repos accumulées sur leurs comptes épargne-temps, étaient et demeurent manifestement insuffisantes.
Alors que la réduction du temps de travail était estimée à 10 %, seulement 5 % d’emplois en plus auraient été créés. Les principales organisations syndicales évoquent ainsi la création de 35 000 postes, quand l’application effective des 35 heures en exigeait 80 000.
Tout cela a conduit à ce que certains ont appelé la « crise de 2011 ». Pour mémoire, les comptes épargne-temps, sur lesquels étaient stockés les jours de RTT dus aux médecins et aux agents publics, devaient être apurés. Or, du fait de l’insuffisance du nombre de médecins dans les établissements publics de santé, près de 41 000 d’entre eux avaient accumulé six mois de congés au titre de la réduction du temps de travail. Pour l’ensemble des personnels hospitaliers, ce n’étaient pas moins de 3,3 millions de journées de RTT accumulées pour lesquelles il fallait trouver une solution.
Le gouvernement de l’époque a finalement fait le choix d’un accord, considéré comme coûteux, favorisant la monétisation partielle de ces journées et la possibilité d’accumuler une partie des jours dus en vue d’un départ anticipé à la retraite.
Depuis, les choses n’ont pas réellement changé. Les agents publics auraient accumulé 10 millions de jours sur les comptes épargne-temps, et les médecins, plus de 2 millions supplémentaires. Ces jours, les agents publics et les médecins ne peuvent toujours pas en bénéficier, faute de personnel de remplacement. La tendance actuelle conduit plutôt au rappel des agents publics durant leurs jours de repos, de vacances ou de récupération, afin de pallier les absences de leurs collègues.
En réalité, l’application des 35 heures a, d’abord et avant tout, entraîné une pression plus forte sur les agents hospitaliers, pour qu’ils fassent plus en étant moins nombreux, plus vite en ayant plus de tâches à réaliser, et mieux avec des moyens matériels toujours plus insuffisants. Cela se traduit concrètement par une pression psychologique et physique qui abîme les corps comme les âmes et s’accompagne d’une augmentation significative des congés pour maladie ou des maladies professionnelles.
Dès lors, tant dans l’intérêt des personnels hospitaliers que pour assurer un bon fonctionnement des hôpitaux, la question de l’application des 35 heures doit être abordée avec à la fois audace et responsabilité.
En 2002, des budgets dédiés avaient été prévus pour financer des embauches. Cela nous conduit à vous interroger, madame la ministre, sur l’adéquation des aides prévues aux besoins réels en matière de création d’emplois. Ces aides ont-elles été véritablement destinées à la création des emplois associés à l’application des 35 heures ?
Nous devons également réfléchir pour aujourd’hui et pour demain. Force est de constater que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, sans embauches supplémentaires en nombre suffisant, la situation ne sera toujours pas apurée, les comptes continueront à amasser toujours plus de jours de RTT dus et les agents hospitaliers seront toujours contraints de subir un temps de travail hebdomadaire largement dérogatoire au droit commun.
Il faut donc embaucher, ce qui, dans le contexte d’une réduction jamais vue de l’ONDAM, est difficilement envisageable. Sans s’y résigner, mon groupe formule la proposition suivante : puisque, dans le secteur privé, les 35 heures se sont accompagnées d’exonérations de cotisations sociales, pourquoi ne pas envisager, de manière temporaire, une suppression ou une réduction de la taxe sur les salaires pour les établissements publics qui embaucheraient des personnels supplémentaires afin de faire face aux besoins nés de l’application des 35 heures ?
M. Jean Arthuis. Très bonne idée ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
Mme Laurence Cohen. Permettez-moi, mes chers collègues, d’élargir mon propos.
À mon sens, la question des 35 heures n’est sans doute pas, aujourd’hui, la plus importante pour l’hôpital. Mes collègues du groupe CRC et moi-même sommes beaucoup plus inquiets, par exemple, de la situation mise en lumière par le rapport du député Olivier Véran concernant le recrutement de médecins temporaires dans les hôpitaux. Comparés à des « mercenaires », ceux-ci coûtent extrêmement cher aux pouvoirs publics : plus du triple du coût normal d’une journée de travail pour un praticien hospitalier. Le coût global et national de ces recrutements avoisine les 500 millions d’euros, soit le montant du déficit des établissements publics de santé, tel qu’il est estimé par la Fédération hospitalière de France.
La tentation de certains directeurs d’établissement de mettre en œuvre la journée de travail de 12 heures constitue un autre sujet d’inquiétude pour notre groupe. Le lien entre cette mesure et les 35 heures tient évidemment à l’annualisation du temps de travail, mise en place en 2002 pour accompagner la réduction du temps de travail. Comment croire que ce mode d’organisation du travail n’emporte aucune conséquence sur la santé des agents hospitaliers ?
Madame la ministre, que pensez-vous de la généralisation de cette journée de 12 heures ? À nos yeux, une telle mesure est inacceptable !
En tout cas, cette affaire montre une nouvelle fois combien il est urgent de repenser la politique d’emploi dans la fonction publique hospitalière et de vivifier la démocratie sanitaire par des actes, pas seulement par des mots.
Les constats que je viens de rappeler illustrent le bien-fondé de notre opposition aux politiques d’austérité, qui déstabilisent les services publics et qui pèsent aussi bien sur les femmes et les hommes assumant ces missions que sur les patients.
Ce débat aura au moins eu le mérite de souligner la nécessité de mettre un terme à la politique de casse de l’emploi public. Elle découle de choix économiques dont je regrette qu’ils s’inspirent beaucoup, aujourd’hui encore, de ceux d’hier, voire en aggravent les conséquences. Cette nécessité nous conforte dans notre rejet du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, manifestement insuffisant pour renforcer le service public hospitalier et répondre aux besoins humains exprimés par le personnel comme par les patients.
L’hôpital, selon nous, n’est pas une entreprise comme les autres. Les solutions avancées durant ce débat, qui tendent à alourdir encore le poids des gestionnaires, ne me semblent efficaces ni en termes d’économies, ni au regard de la continuité des soins, ni en ce qui concerne les réponses à apporter aux besoins des patients.
Examiner les 35 heures en dehors du contexte politique, économique et social, sans remettre en cause la loi HPST, relève d’une hypocrisie, que je veux dénoncer ici, monsieur Larcher ! Il nous revient de prendre en compte tous les éléments de ce contexte afin de faire en sorte que la politique de santé publique réponde réellement aux besoins, plutôt que de chercher à économiser quatre sous.
Enfin, il faudrait qu’on cesse, sur certaines travées, notamment à droite, de pleurer sur le manque de financements ! Sur ce point, je suis en désaccord avec les propositions du Gouvernement : nous devons avoir le courage de nous procurer des moyens, non pas au détriment des salariés des hôpitaux, mais bien en mettant un terme aux exonérations des patrons de grandes entreprises et en taxant davantage les profits !
M. Alain Gournac. Ah ! le leitmotiv du grand capital !
Mme Laurence Cohen. C’est peut-être un leitmotiv,…
M. Alain Gournac. Vous n’en sortirez jamais ! C’est le même disque qui tourne, toujours !
Mme Laurence Cohen. … mais je le préfère à l’obsession de l’UMP qui consiste à mettre continuellement la pression sur les salariés, en versant des larmes de crocodile sur la situation des hôpitaux sans proposer les mesures adéquates !
M. Alain Gournac. La seule solution, c’est le retour aux 39 heures, point final !
Mme Laurence Cohen. Cela ne vous plaît pas, mais il faut savoir faire preuve de courage politique ! Ce courage, le groupe CRC l’a. En tout cas, nous nous efforçons de contribuer, au sein de la majorité,…
M. Jean-François Husson. C’est une majorité bien élastique!
Mme Laurence Cohen. … à faire émerger des solutions différentes. Revenir sur les 35 heures à l’hôpital, ce n’est certainement pas la solution !
M. Alain Gournac. Temps de parole dépassé d’une minute vingt-cinq !
Mme Laurence Cohen. Certes, mais j’ai tout de même été moins prolixe que Gérard Larcher, qui a dépassé le sien de trois minutes !
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en tant que membre du conseil de surveillance d’un hôpital rural, dans le cadre du groupement hospitalier Aube-Marne, ainsi que du centre hospitalier universitaire de Reims, je souhaite vous faire part de mon témoignage. Celui-ci va confirmer ce qui a été largement exprimé par mes collègues Jean Arthuis et Gérard Larcher : l’application des 35 heures provoque des difficultés, notamment dans les zones rurales, caractérisées par le manque de personnel qualifié.
Je m’attacherai tour à tour aux questions organisationnelles et financières, puis j’ajouterai un volet relatif à l’absentéisme, thème qui n’a pas été abordé précédemment.
M. Jean Arthuis. C’est la question du jour de carence !
M. René-Paul Savary. L’organisation de la réduction du temps de travail a permis un gain de temps de 10 %, mais celui-ci n’a pas été compensé à une hauteur satisfaisante.
Dans le cadre de la dotation globale – puisque, à l’époque, la T2A, la tarification à l’activité, n’avait pas encore été mise en place –, le ministère des affaires sociales et de la santé avait autorisé les établissements à procéder à un recrutement supplémentaire à hauteur de 5 % environ, le reste devant être comblé grâce à la réorganisation du temps de travail, mais sans qu’il y ait de directive précise en la matière : il appartenait à chacun des établissements de trouver les modalités adéquates.
Ainsi, l’ensemble des organisations a été revu, les temps de transmission ont été réduits et la pose de journées de RTT a été particulièrement encadrée. D’ailleurs, compte tenu de la complexité du travail, les structures hospitalières ont bien souvent fait appel à des cabinets spécialisés. C’est finalement l’annualisation du temps de travail qui a vraiment permis de régler les difficultés.
Je me permets d’évoquer ici le témoignage d’une aide-soignante : elle commençait sa journée à cinq heures trente-huit pour la terminer à onze heures douze ou, d’autres jours, à douze heures trente-huit. C’était précis ! Elle devait respecter scrupuleusement son temps de travail, même si elle se trouvait, au moment de la fin de son service, au chevet d’un malade, en train de lui dispenser des soins. La personne qui lui succédait devait prendre le relais en plein milieu des soins ! La seule valeur prise en compte était la valeur comptable du temps de travail. (Mme Catherine Génisson le nie.)
Certaines équipes se sont constituées sur la base d’une durée de travail journalière de 8 heures, souvent de 10 heures pour les agents de nuit, voire 12 heures pour les personnels des urgences ou les sages-femmes, ce qui a entraîné des repos compensateurs mixtes dus au titre de la RTT ou d’heures supplémentaires diverses. Comme l’a relevé notre collègue Gérard Larcher, il en est résulté une refonte complexe de l’organisation temporelle du travail.
Celle-ci, fondée sur des bases uniquement horaires, et non fonctionnelles, s’est faite au travers d’accords locaux, largement déterminés par l’état des rapports de force avec les syndicats. Elle a, en fait, provoqué une désorganisation importante et, surtout, une hétérogénéité des situations, qui s’est ajoutée aux coûts non compensés, très variables d’une structure hospitalière à l’autre.
Des aménagements ont été apportés, tels que la réduction des temps de transmission, l’encadrement des RTT ou la mise en place des fameux repos compensateurs. Toutefois, cette situation a entraîné une diminution du temps d’échange, ce qui n’a fait qu’accentuer la position de défense des équipes du matin par rapport à celles de l’après-midi ou de la nuit. La mise en place des 35 heures a en effet augmenté la concentration de la charge de travail des infirmières et des aides-soignantes sur un temps de présence plus court, principalement pour les équipes du matin, qui doivent assurer une tâche beaucoup plus lourde dans la plupart des services.
De même, par manque de personnels soignants, certains établissements ont dû faire appel à des médecins ou des infirmières, venus éventuellement d’autres pays, ou encore à des intérimaires, à qui il a fallu quelquefois dispenser une formation courte. Tout cela a représenté un coût important pour les établissements.
Cela m’amène justement à aborder maintenant les conséquences financières de la réforme.
La mise en place des 35 heures a été, je l’ai dit, compensée à hauteur de 5 %. Ces compensations financières se discutaient directement avec le ministère. Ainsi, eu égard notamment aux forces politiques en présence dans les conseils d’administration, certains établissements ont peut-être, à l’époque, été davantage indemnisés que d’autres, ce qui a créé des inégalités budgétaires. En revanche, certains établissements ont été mieux pourvus lors du passage à la T2A. Les établissements les mieux dotés dans le cadre de la dotation globale ne sont pas toujours ceux qui ont été le plus avantagés avec la T2A.
La T2A a, certes, permis une amélioration, mais elle n’a pas conduit à une évolution du comportement des personnels, soignants ou non soignants. Elle a induit une vision un peu plus productiviste du soin, davantage liée à la progression des activités. Au vu des enseignements que nous pouvons en tirer aujourd'hui, il conviendrait peut-être de revoir certains aménagements.
Rappelons quelques chiffres indispensables à la réflexion sur notre modèle social, qui, il faut l’avoir à l’esprit, vit à crédit. Car on oublie trop souvent que nous empruntons pour préserver notre modèle social !
Tout d’abord, la France compte 17,8 employés hospitaliers pour 1 000 habitants, un ratio parmi les plus élevés d’Europe, pour un taux de remplissage de 75 % en moyenne, l’un des plus faibles de l’Union ! Voilà qui devrait nous interpeller.
Au cours des deux dernières années, le Gouvernement a fait le choix de dégager 2,5 milliards d’économies, un objectif tout à fait respectable. Mais il faut savoir que les établissements ont affiché un déficit de 400 millions d’euros, un déficit chronique imputable pour une bonne part aux 35 heures. Je rappelle que le coût de cette réforme pour les établissements hospitaliers s’élève actuellement à plus de 600 millions d’euros.
On parle de réduire les dépenses publiques : le chiffre de 50 milliards d’euros a été évoqué, mais, on l’a bien compris, sans que des domaines aient été ciblés ! Les dépenses de santé sont donc concernées et peuvent être directement mises en cause, madame Cohen.
Les témoignages que j’ai recueillis sont concordants : l’état d’esprit du personnel hospitalier a évolué avec le passage aux 35 heures. Auparavant, bon nombre de personnels soignants ne comptaient pas les heures, encore moins les minutes !
Mme Catherine Génisson. Ce n’est pas vrai !
M. René-Paul Savary. Et puis, ils ont appliqué la loi au pied de la lettre, décomptant scrupuleusement leur temps travaillé. L’exemple le plus emblématique est celui des médecins et des cadres de santé, qui ont dû établir – tâche particulièrement complexe – des tableaux de service, en indiquant très précisément les heures travaillées, les jours de congé et les RTT : bref, un véritable casse-tête ! D’ailleurs, cela se fait souvent au détriment du malade. Où est l’avantage pour les patients, qui voient les personnels se relayer régulièrement à leur chevet ?
Deux questions se posent.
Premièrement, le personnel hospitalier a-t-il une meilleure qualité de vie au travail ? Pas forcément, me semble-t-il !
Mme Catherine Génisson. On n’a pas le droit de dire cela !
M. René-Paul Savary. Ils ont certes davantage de temps libre, mais ils se sentent moins investis sur le plan professionnel. Les temps conviviaux ont été réduits.
Deuxièmement, y a-t-il moins de souffrance au travail ? Je n’en suis pas certain du tout. Les statistiques, peu nombreuses en la matière, ne semblent pas probantes. À écouter le personnel hospitalier, les contraintes budgétaires, dont une part est, bien sûr, imputable au temps légal du travail, sont, fonctionnellement, souvent mal vécues.
Dès lors, deux problèmes se dégagent : la dette sociale, dont il faut bien parler, ainsi que l’engagement et l’implication des personnels.
Compte tenu de la demande supplémentaire, les 35 heures ont entraîné une pénurie d’infirmières et, donc, une pression sur les personnels en poste. Elles ont aussi contribué à créer une dette sociale pour les hôpitaux au travers des comptes épargne-temps. Or, rappelons-le, cette dette sociale n’est pas provisionnée. De fait, si l’ensemble des employés décidaient d’un seul coup de solder leur compte, l’hôpital se trouverait dans l’incapacité de régler les heures supplémentaires et les congés dus. Voilà un élément qui mérite aussi d’être pris en compte !
J’en viens à ce point dont il n’a pas été question jusqu’à présent : l’absentéisme. Celui-ci est évidemment lié à la question de l’engagement et de l’implication du personnel au sein d’une équipe.
On note que le taux d’absentéisme dans les hôpitaux est important : un jour sur huit, soit 12 % du temps de travail. C’est un indice significatif de la pénibilité du travail à l’hôpital. Force est d’en déduire que les 35 heures n’ont pas amélioré les conditions de travail des personnels hospitaliers.
La contrainte réside par défaut dans la notion de « présentéisme », pour laquelle les 35 heures ont eu un effet négatif. Il est, de fait, plus compliqué d’avoir des personnes solidaires les unes des autres ; les remplacements sont assurés tant bien que mal : on fait souvent appel aux mêmes personnes, en tout cas selon les témoignages de personnels soignants que j’ai recueillis.
Néanmoins, soyons réalistes, des améliorations ont été enregistrées avec la loi HPST, qui a prévu un renforcement du management de proximité, en redonnant du pouvoir aux chefs de pôle – c’est essentiel ! –, afin de permettre l’expression des personnels et de favoriser les échanges d’informations.
La réponse à l’absentéisme doit être triple.
Premièrement, il faut apporter une réponse institutionnelle, disciplinaire en cas de besoin, en faisant preuve d’une réelle fermeté face aux comportements abusifs, ne serait-ce que par respect envers ceux qui n’encourent aucun reproche.
Deuxièmement, il faut prévenir les maladies liées au travail, afin de diminuer notamment la pression exercée sur les personnes.
Troisièmement, enfin, il faut apporter une réponse managériale, en insufflant un sentiment d’équipe et en améliorant, dans la mesure du possible, les conditions de travail.
Au-delà des indicateurs de l’absentéisme, on constate un important turnover, qui traduit une accentuation des comportements individualistes.
Outre la mise en place des 35 heures, d’autres facteurs expliquent aussi cette situation.
La suppression du jour de carence ne contribue pas à faire régresser l’absentéisme. En 2012, le nombre d’absences d’une journée avait reculé de 41 % dans les hôpitaux, hors CHU. C’était la première baisse enregistrée depuis six ans ! De fait, toutes durées confondues, le nombre des arrêts de travail était retombé au niveau de 2007 dans les hôpitaux. En 2012, l’instauration du jour de carence avait permis d’économiser, rappelons-le, 63 millions d’euros dans les hôpitaux publics, ce qui est considérable.
Supprimer le jour de carence n’a pas été, me semble-t-il, un bon signe pour la fonction publique hospitalière, ni une bonne affaire pour les finances publiques.
Outre les changements organisationnels, les 35 heures ont induit une évolution individualiste des comportements humains. D’ailleurs, soulignons-le, aucun autre pays n’a mis en place cette durée légale du travail.
En conséquence, le rapport entre les avantages et les inconvénients n’est pas bon. C’est logique : la rigueur comptable domine au détriment de la motivation et de la vocation, des valeurs pourtant indispensables et reconnues des professions hospitalières.
Je ne veux pas ici remettre en cause les compétences des personnels hospitaliers. Mais cessons de les décourager en prenant certaines mesures.
Écoutons également les malades !
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. René-Paul Savary. Ceux-ci soulignent la dégradation régulière des conditions d’hospitalisation. Voilà la preuve, s’il en était besoin, que nos structures hospitalières sont confrontées à certaines difficultés !
Pour conclure, je ne dirai qu’un mot : lucidité. Notre modèle social arrive à bout de souffle.
Il est à bout de souffle sur le plan fonctionnel : le chômage ne cesse d’augmenter dans notre pays. La réalité est là, et il faut bien l’analyser !
Il est également à bout de souffle sur le plan financier, puisqu’il est budgété à crédit.
Soyons clairs, si nous voulons préserver ce modèle, il nous faudra prendre des dispositions importantes.
Enfin, comme je le fais régulièrement dans mes interventions, je veux encore rappeler ici, madame la ministre, que se pose, la question du numerus clausus.
M. René-Paul Savary. Le numerus clausus n’a pas suffisamment évolué au cours des années ; en témoignent les difficultés que rencontrent, notamment, les structures rurales. Les mentalités ayant évolué, il faut trois médecins là où deux suffisaient auparavant pour assurer le même service.
Prenons nos responsabilités en formant le nombre de médecins qui est nécessaire pour que tous les territoires soient logés à la même enseigne ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je le reconnais bien volontiers, la réduction du temps de travail est sans doute l’une des questions les plus importantes sur le plan social, mais aussi sur le plan de l’organisation de la vie en société, auxquelles nous soyons confrontés depuis dix ans. En tout cas, au « hit-parade » des thèmes faisant le plus réagir l’opposition figure, sans nul doute, celui des 35 heures, souvent érigé en symbole du débat politique et de l’affrontement existant entre la droite et la gauche, pour des raisons qui, au fil du temps, apparaissent de plus en plus idéologiques.
À écouter avec une grande attention les intervenants qui se sont succédé, au premier rang desquels M. Arthuis, bien sûr, qui est à l’initiative de ce débat, j’ai eu le sentiment que les 35 heures apparaissaient encore une fois comme l’antienne de la droite, qui les accuse d’être à l’origine des dysfonctionnements de notre société, bien plus que comme une question qui, aujourd'hui, poserait certaines difficultés particulières, appelant des réponses spécifiques au sein de l’hôpital public.
Il n’est pas douteux que la réduction progressive du temps de travail hebdomadaire ait été au cœur des grandes conquêtes sociales qui ont rythmé l’histoire de notre pays. C’est dans la continuité de ce processus que le gouvernement de Lionel Jospin avait résolument choisi d’inscrire son action en abaissant la durée légale du travail à 35 heures.
Cette mesure a été associée, de façon assumée, à un projet de société consistant, selon les termes de la ministre de l’emploi et de la solidarité de l’époque, Martine Aubry, à « faire que le temps de la vie soit un peu plus le temps de la liberté ». Il s’agissait aussi de mieux équilibrer « le temps de travail, le temps pour soi, le temps pour les autres », tout en créant des emplois.
De mon point de vue, les 35 heures ne visent pas à partager le travail. Peut-être cette conception ne fera-t-elle pas l’unanimité, même au sein de la majorité, mais c’est la mienne : je ne pense pas que la réduction du temps de travail doive être regardée comme un moyen de partager le travail, comme si la quantité de travail ne devait pas s’accroître.
Pour moi, les 35 heures répondent avant tout à l’exigence de vivre mieux au travail : dans un pays où la productivité est l’une des plus élevées des pays développés, elles visent à mieux inscrire le temps de travail dans la vie quotidienne.
Au demeurant, la question de la réduction du temps de travail, qui a été posée au tournant des années 2000, n’est pas actuellement à l’ordre du jour, et aucun nouvel abaissement n’est envisagé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est à l’aune du projet de société que je viens de rappeler qu’il convient de dresser le bilan des 35 heures à l’hôpital.
Les orateurs qui ont appelé de leurs vœux – de façon relativement nuancée, je dois le reconnaître – une révision des 35 heures à l’hôpital, et sans doute aussi ailleurs, n’apporteraient pas, en remettant en cause cette grande avancée sociale, une bonne réponse aux difficultés qui existent en effet, et qui nous conduisent à proposer un pacte de responsabilité ainsi qu’un important programme d’économies. À leur discours inutilement inquiétant je désire opposer un bilan objectif et apaisé.
Avant de m’y efforcer, je tiens à souligner que, si des réformes sont assurément nécessaires à l’hôpital et dans l’ensemble de notre système de santé, dont l’hôpital fait partie intégrante – du reste, certaines réorganisations y ont déjà été entreprises –, je ne crois pas que la remise en cause des 35 heures soit la bonne manière de relever les défis qui se présentent à nous pour améliorer le fonctionnement de notre système de santé et pour réaliser des économies.
Ces deux objectifs peuvent parfois se recouper, mais ils ne se superposent en aucun cas : en effet, les tenir pour équivalents reviendrait à considérer que l’ensemble des économies nécessaires dans notre pays doivent être recherchées au sein de notre système de santé, voire au sein du seul l’hôpital, ce qui n’a absolument aucun sens. L’hôpital n’est pas responsable de toutes les difficultés de notre système de santé, encore moins de toutes celles de notre pays !