M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1792, Condorcet écrivait que l’instruction devait « assurer aux hommes, dans tous les âges de la vie, la facilité de conserver leurs connaissances et d’en acquérir de nouvelles ». C’est là le sens véritable de la formation professionnelle.
Indispensable au développement des entreprises, la formation professionnelle est aussi un outil majeur de promotion professionnelle et sociale. C’est dans cet esprit que la loi de 1971 a permis la modernisation de notre économie, en élevant le niveau de formation des Français et en leur permettant d’adapter leurs connaissances. La formation professionnelle s’adressait aux salariés contraints de se reconvertir ou désireux de progresser au sein de leur entreprise, ainsi qu’aux jeunes sortis trop tôt de l’école sans qualification.
Pourtant, quarante ans plus tard, le bilan est mitigé. Certes, la formation professionnelle a contribué à moderniser nos systèmes productifs. Elle a permis aux entreprises de s’adapter aux mutations économiques. Mais le système est devenu illisible, inefficace et sa complexité s’est constamment accrue. Pourtant, comme l’a rappelé Jacques Delors devant le Conseil économique, social et environnemental à l’occasion des quarante ans de la formation professionnelle, « être inventeur de simplicité, c’est accroître l’efficacité ».
La formation professionnelle est devenue un véritable parcours du combattant, notamment pour les demandeurs d’emploi. Surtout, seules les plus grandes entreprises ont véritablement développé la formation et seuls les salariés sur lesquels ces entreprises souhaitaient investir, c’est-à-dire les plus qualifiés, en ont vraiment profité.
Par ailleurs, de nombreux rapports ont dénoncé le gaspillage des 32 milliards d’euros des fonds affectés à la formation professionnelle et l’opacité du dispositif. Il est en effet quasiment impossible de savoir si une formation est efficace, si elle facilite réellement le retour à un emploi stable, si elle permet de couvrir les besoins du marché du travail. En la matière, le prix, nous le savons bien, n’est pas forcément un gage de sérieux.
Il était donc nécessaire de réformer le système pour le rendre plus efficace, et pour que le dispositif puisse enfin bénéficier à ceux qui en ont le plus besoin.
En période de crise économique, plus que jamais, aider les plus vulnérables à construire leur carrière professionnelle doit faire l’objet d’un engagement fort de la part de tous. C’est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, vous avez demandé aux partenaires sociaux de parvenir à un accord sur la formation professionnelle destiné, notamment, à la rendre plus accessible aux chômeurs. Une fois de plus, je ne peux que saluer la méthode du Gouvernement, fondée sur la concertation et le dialogue social.
Respectant l’esprit de l’accord national interprofessionnel du 14 décembre dernier, le texte que nous allons voter constituera, vous l’avez dit, monsieur le ministre, une révolution dans le domaine de la formation professionnelle. Je pense en particulier à la mise en place du compte personnel de formation, le CPF, véritable clef de voûte de la réforme. Le CPF sera désormais attaché à la personne tout au long de sa vie active, et non plus à son statut professionnel. Il sera mobilisable sur l’initiative de son titulaire et uniquement avec son accord. Les salariés bénéficieront également d’un entretien professionnel en vue de tracer des perspectives d’évolution. En outre, toute personne qui le souhaite pourra bénéficier d’un conseil en évolution professionnelle, pour mieux identifier ses compétences, l’aider dans son orientation et dans l’élaboration d’un projet professionnel. Enfin, le financement de la formation a été simplifié. Il s’agit bien là, monsieur le ministre d’une réforme de grande ampleur.
Concernant la démocratie sociale, je me réjouis que le projet de loi organise une plus grande transparence de la représentativité des organisations patronales, du financement de la démocratie sociale et des comités d’entreprise.
Le travail fait en première lecture, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, a permis d’améliorer le projet de loi, de l’enrichir. Je tiens à remercier tout particulièrement M. le rapporteur et M. le ministre pour leur disponibilité et leur grande écoute tout au long des débats. Nos échanges ont été d’une grande richesse.
Ainsi, la Haute Assemblée a permis d’améliorer la prise en compte des salariés à temps partiel et des salariés les moins qualifiés. Nous avons également insisté sur la qualité de la formation. Désormais, les financeurs devront s’assurer que le prestataire de formation est capable de garantir une formation de qualité.
Le texte auquel la commission mixte paritaire est parvenue est cohérent. Bien sûr, mon groupe se réjouit que la CMP ait maintenu notre amendement sur les artistes auteurs et qu’elle ait confirmé notre volonté de sensibiliser les acteurs de la formation professionnelle aux risques de dérives thérapeutiques et sectaires.
Monsieur le ministre, ce projet de loi marque une véritable avancée sociale. C’est la raison pour laquelle aucun membre du groupe RDSE ne s’y opposera et que la très grande majorité le votera. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous y voilà ! (Sourires.) Après un débat auquel nous avons consacré plusieurs heures,…
Mme Isabelle Debré. Et une nuit !
M. Jean Desessard. … je puis dire que je suis satisfait. J’imagine que vous savez pourquoi, monsieur le rapporteur ! (Nouveaux sourires.)
Mme Catherine Génisson. Cela a un rapport avec l’article 20 ?
M. Jean Desessard. En effet, les conclusions de la commission mixte paritaire maintiennent la suppression de l’article 20, l’article du projet de loi qui nous posait le plus problème. Nous vous en remercions, monsieur le rapporteur. Vous avez d’ailleurs indiqué vouloir faire preuve de pédagogie sur le sujet auprès des personnes concernées et auprès de vos collègues. Cela vous sera plus que nécessaire, du moins si vous voulez me prouver que le projet de loi, dans sa rédaction initiale, ne portait pas atteinte à l’indépendance des inspecteurs du travail !
En tout état de cause, nous notons avec satisfaction le report de cette réforme. Cette décision, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, est intelligente : elle libère les membres du groupe écologiste, qui peuvent désormais apprécier à leur pleine mesure les articles sur la formation professionnelle et la démocratie sociale.
Vous l’avez souligné, monsieur le ministre, ces dispositions du projet de loi bénéficiaient, dans cet hémicycle, d’un a priori plutôt positif. Dès lors, pourquoi maintenir l’article relatif à l’inspection du travail, alors que le Sénat était prêt au consensus sur les autres mesures ?
S’agissant de la partie formation professionnelle, le texte prévoit une avancée majeure : la création du compte personnel de formation, qui sera directement relié au salarié, dès le début de sa carrière. Le salarié le conservera donc, quelle que soit sa situation professionnelle.
Cette mesure constitue une amélioration notable par rapport au droit individuel à la formation, qui ne pouvait être mobilisé qu’au bout d’un an d’ancienneté, selon le bon vouloir de l’employeur. En outre, sa portabilité entre deux emplois était problématique.
Le CPF est donc une première étape importante, un changement de logique dans le rapport des salariés à la formation. Il permet de faire un pas vers la constitution d’un droit universel à la formation universelle tout au long de la vie.
Au cours de nos échanges sur la création de ce compte, nous avons beaucoup débattu des volumes horaires. Nous avons milité pour des abondements supplémentaires, visant à tenir compte des emplois précaires, des personnes handicapées et des salariés à temps partiel, et présenté des amendements sur ce sujet. Vous avez, monsieur le ministre, répondu à cet impératif de manière à la fois habile et pédagogique, en affirmant que le plafond institué par la loi était en réalité un « plafond socle » et qu’un abondement supplémentaire était possible pour ces publics.
On le sait bien, tous les salariés ne travaillent pas en CDI, ou ne gardent pas le même emploi au cours de leur vie active. Il fallait donc trouver un moyen de tenir compte de la précarité, du temps partiel, du chômage. Il me semble que le système que vous nous avez proposé, monsieur le ministre, répond à cette exigence : si le CPF et son abondement répondent d’abord à une logique assurantielle – plus le salarié travaille, plus il acquiert des droits –, ils tiennent compte de la précarité, du temps partiel, et du temps passé au chômage, qui, dans notre société actuelle, peut être assez long.
Par ailleurs, nous nous réjouissons que les droits soient désormais ouverts à des publics supplémentaires, tels que les intermittents du spectacle, les travailleurs des établissements et services d’aide par le travail et, bientôt, après négociation avec les partenaires sociaux, les salariés des trois fonctions publiques.
Nous avions été alertés par l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l’AFPA, au sujet du service public de la formation professionnelle. Nous avons défendu la sécurisation des biens immobiliers de l’Association, qui a été rendue possible par l’adoption d’un amendement déposé par M. le rapporteur.
La région est le bon échelon pour mener des politiques de formation au plus près des territoires. Le projet de loi confie d’ailleurs aux régions de nouveaux publics – détenus, handicapés, Français établis hors de France – et de nouvelles compétences, comme le service public régional de la formation professionnelle et de l’orientation. Ce renforcement des compétences doit s’accompagner, évidemment, monsieur le ministre, des moyens financiers adaptés. Le deuxième volet de la réforme de la décentralisation et la prochaine loi de finances seront importants à cet égard.
Si la région est un opérateur adapté, l’échelon national ne doit pas être négligé. À ce titre, le Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelles, le CNEFOP, permet de prendre en compte la dimension prospective du sujet. Il est important, en effet, qu’existe une vision nationale des nouveaux métiers, des métiers de demain. Dès lors, si la région est le bon échelon pour agir, elle doit profiter d’un éclairage national, qui lui indique les formations professionnelles qui seront nécessaires demain.
La formation professionnelle devant aussi être un levier pour la transition écologique, nous avions fait des propositions en ce sens. Plusieurs amendements écologistes ont été adoptés – à l’Assemblée nationale plus qu’au Sénat, d’ailleurs –, visant notamment à ce que le contrat de plan régional de développement des formations et de l’orientation professionnelles tienne compte de l’émergence des métiers de la transition énergétique, et à ce que l’observatoire prospectif des métiers et des qualifications leur porte une attention particulière.
Concernant la démocratie sociale, le texte a subi une évolution positive durant le débat parlementaire. L’Assemblée nationale a en effet intégré au texte la représentativité des acteurs dits du « hors champ », c’est-à-dire ceux des secteurs de l’économie sociale et solidaire, de l’agriculture ou des professions libérales, qui bénéficient désormais d’un rôle accru dans les négociations sociales.
En conclusion, nous estimons que le texte de la CMP sort grandi de la suppression de l’article polémique sur l’inspection du travail. Il se concentre sur les avancées réelles que sont le CPF, le rôle accru des régions et l’amélioration du dialogue social par une meilleure représentativité des partenaires sociaux. C’est pourquoi l’ensemble des membres du groupe écologiste votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le ministre, je commencerai mon intervention à peu près sur le même ton. Le groupe UMP, en effet, se félicite des conditions dans lesquelles s’est déroulé ce débat, dont les acteurs se sont toujours montrés parfaitement courtois, respectueux et constructifs.
Là où mon opinion diverge un peu, monsieur le ministre, c’est que les termes d’« urgence » et d’« approfondissement » ne coïncident pas tout à fait, du moins dans mon esprit. En effet, nous avons encore dû travailler dans l’urgence, avec des séances de nuit souvent arrachées au forceps, notamment la dernière. Nous le regrettons.
Pour autant, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, et à féliciter le rapporteur, M. Claude Jeannerot, qui a su prendre sur lui et conduire ce débat à son terme malgré sa fatigue, et ce de manière toujours pondérée et courtoise.
La situation était un peu différente en commission mixte paritaire, dont la présidente appliquait une cadence plus qu’accélérée aux débats ! Elle avait même tendance à compter les voix avant que nous ayons levé la main. (Mme Isabelle Debré opine.)
M. Jean-Noël Cardoux. Fort heureusement, les deux rapporteurs, y compris celui de l’Assemblée nationale, ainsi que notre vice-présidente ont joué un rôle de pondération, et nous avons pu trouver des terrains d’entente. Mais je tenais à souligner cet élément.
À mon sens, une deuxième lecture aurait tout de même été intéressante pour approfondir certains points. Je regrette le choix qui a été fait.
À l’instar de notre collègue Jean Desessard, mais pour des raisons diamétralement opposées (M. Jean Desessard rit.), nous sommes satisfaits de la suppression de l’article 20. Je tiens à rendre hommage aux rapporteurs, qui n’ont pas souhaité réintroduire cette disposition par amendement. C’est, je le crois, une position de sagesse. En effet, il me semblait primordial de réengager le dialogue social – vous vous y êtes engagé, monsieur le ministre – sur cet article 20 et la réforme de l’inspection du travail. J’espère que nous parviendrons à trouver des solutions de compromis.
Le parallèle avec Jean Desessard s’arrête là. Lui savoure le résultat ; nous, moins…
Certes, vous avez accepté, et je vous en remercie, plusieurs de nos amendements qui allaient dans le sens d’un lissage du texte ou de l’ajout de données pragmatiques.
Cependant, les dispositions auxquelles nous tenions le plus n’ont pas été retenues. Sans les énumérer toutes, je mentionne l’évaluation financière, le manque de recul ou le rôle des organismes collecteurs paritaires agréés, les OPCA, qui aurait dû, selon nous, être mieux précisé. En outre, monsieur le ministre, vous avez indiqué que l’Assemblée nationale avait introduit une mutualisation vers les entreprises employant jusqu’à 50 salariés ; nous aurions préféré que cela aille jusqu’aux entreprises de 300 salariés. Et il aurait été souhaitable d’approfondir le débat sur l’amélioration des offres de formation adressées aux demandeurs d’emploi, ainsi que d’associer les « hors champ » au sein du comité de suivi du financement.
Par ailleurs, nous avions présenté deux amendements de sagesse portant, l’un, sur le temps partiel et, l’autre, sur la représentativité patronale. C’était l’esquisse d’une remise sur le tapis de la question du dialogue social. Toujours dans cette perspective de compromis souhaité, et afin de redonner un peu de temps, au vu de l’urgence dans laquelle nous avons travaillé, nous aurions souhaité l’adoption de telles dispositions.
Mais notre grief fondamental réside, vous le savez bien, dans la réforme de l’apprentissage. Pour nous, c’est clairement un cavalier. Ce point n’était pas de la négociation des partenaires sociaux au départ et ne figure pas dans l’accord national interprofessionnel. Comme j’ai eu l’occasion de le souligner – je sais que vous ne l’acceptez pas –, l’apprentissage est traité comme une variable d’ajustement financier. D’ailleurs, nous nous demandons comment l’objectif du Président de la République de créer 500 000 contrats à l’horizon 2017 pourra être respecté dans de telles conditions.
D’abord, comme je l’ai déjà signalé, la brusque suppression des contrats d’objectifs et de moyens entre l’État et les régions, même si nous ne sommes pas nécessairement hostiles à la décentralisation de l’apprentissage, est un élément qui va considérablement freiner la signature de contrats.
Ensuite, nous regrettons que les fonds soient plus orientés vers les régions que vers les CFA et les organismes de formation. J’ai regardé les chiffres que vous nous avez communiqués pendant le débat. J’admets que les grandes masses sont égales. Mais il s’agit, je l’ai dit, d’un problème de « tuyauterie ». Le fait de donner trop aux régions par rapport aux centres de formation risque de soulever rapidement des difficultés.
Malheureusement, comme l’article 9 avait fait l’objet d’un vote conforme, nous n’avons pas pu introduire un amendement en commission mixte paritaire. Nous aurions souhaité aussi un lissage pour donner un peu de temps au temps, afin de passer de 30 % à 23 % non pas brusquement, mais sur trois ans, en réduisant d’abord à 28 %, à 26 %, puis à 24 %. Cela aurait permis aux uns et aux autres de se retourner.
Tels sont nos principaux griefs.
Certes, il y a des points positifs. Vous les avez soulignés, monsieur le ministre, et nous ne renions pas ce que nous avons pu dire au cours de la discussion générale. Je pense notamment au compte personnel de formation, au financement du dialogue social, avec les 0,02 %, ou à la simplification du mécanisme et à l’unification des taxes. Ces mesures vont dans le bon sens, et nous y sommes très favorables.
Toutefois, compte tenu de ce que j’ai indiqué précédemment, personne au sein du groupe UMP ne pourra voter ce texte. Vous l’aurez compris, nous maintenons notre opposition sur ce texte.
Monsieur le ministre, je vous répète sans animosité ce que j’avais indiqué lors de la discussion générale : avec une telle précipitation, un tel manque de recul, je crains que nous ne soyons obligés de revenir sur certaines dispositions dans quelques mois, ce qui n’aurait peut-être pas été le cas si nous avions pris un peu plus de temps.
Vous avez également introduit un autre cavalier, portant sur les sanctions en cas de non-respect des contrats de génération par certaines entreprises. Télescopage des calendriers, avec cette fameuse « loi Florange », les sanctions pour les entreprises se cumulent. Entre, d’une part, les deux signes négatifs que vous adressez pratiquement le même jour aux entreprises et, d’autre part, la mise en avant du pacte de responsabilité et le fait que le Président de la République ait invité les grands chefs d’entreprise étrangers afin de les inciter à investir en France, il y a tout de même certaines contradictions !
À mon sens, il serait nécessaire d’apporter un peu de lissage, pour trouver des solutions conformes à l’objectif qui nous est commun : l’emploi en France.
Monsieur le ministre, eu égard à tous ces éléments, je comprends pourquoi vous affirmez avoir besoin d’une année supplémentaire pour inverser la courbe du chômage ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai en remerciant les fonctionnaires du Sénat, les commissaires du Gouvernement, ainsi que les collaborateurs et les collaboratrices de notre groupe. Si tout le monde a salué la qualité des débats que nous avons eus, tout particulièrement au Sénat, sur un texte aussi technique, c’est en grande partie grâce au travail que ces personnes ont effectué.
Sur le fond, comme Jean-Louis Borloo l’avait d’emblée souligné, nous sommes un peu déçus que ce texte n’ait pas été l’occasion d’une clarification complète de l’organisation de la formation professionnelle, afin de remédier à son inefficacité.
Premièrement, je l’ai déjà exprimé, nous aurions souhaité que l’on donne plus de pouvoir au législateur sur ce sujet. Au sein de notre groupe, nous considérons la formation professionnelle comme une « seconde chance ». Or les enjeux essentiels résident aujourd'hui dans la correction des inégalités de formation, notamment de formation initiale, et dans la lutte contre le risque de relégation lié au chômage de masse et de longue durée, ce qui implique le législateur.
Nous le voyons d’ailleurs dans le présent projet de loi, qui traite peu de la question des demandeurs d’emploi, car, à la base, les partenaires sociaux ne l’ont pas traitée dans le cadre de l’accord national interprofessionnel, ou alors de manière marginale. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La situation est bien regrettable.
Deuxièmement, contrairement à nos collègues, nous aurions souhaité aller plus loin dans la décentralisation vers la région. Nous craignons moins le transfert total des compétences en matière d’apprentissage à la région que les effets de la loi de finances pour 2014, en contradiction totale avec les objectifs ambitieux affichés par le Gouvernement.
Nous aurions voulu que la région ait clairement un rôle pilote. Certes, monsieur le rapporteur, c’est en partie le cas, puisque vous avez repris l’amendement sur les achats de formation collective pour les demandeurs d’emploi dans le cadre de la commission mixte paritaire, ce dont nous vous remercions. Mais il était possible d’aller encore plus loin pour respecter l’objectif fixé par l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS : distinguer les responsables de la définition des orientations stratégiques et ceux du pilotage des dispositifs. Je ne suis pas totalement certaine que l’on ait expurgé les risques de conflit d’intérêt.
J’en viens à la philosophie. Les obligations légales pour les entreprises sont réduites. Dans la perspective de ce que j’ai exprimé précédemment, nous aurions préféré qu’elles soient maintenues, mais ciblées sur des objectifs d’intérêt général, donc de mutualisation. Nous aurions souhaité voir doubler l’enveloppe du congé individuel de formation, le CIF, dispositif qui a fait ses preuves.
Nous aurions voulu que les PME bénéficient de la réforme. En réalité, le dispositif ne changera malheureusement pas beaucoup leur situation. Aujourd'hui, elles bénéficient trop peu de la formation professionnelle.
Pour autant, nous voyons dans cette loi une avancée par rapport à la situation actuelle, même si cela ne va pas aussi loin que ce que nous aurions souhaité.
C’est un progrès sur la question de la qualité, sujet dont nous avons longuement débattu. J’aurais aimé que notre amendement soit conservé, pour avoir un système d’agrément. On a un dispositif différent, intégré après l’article 3. C’est tout de même un pas en avant. Mais il faut que l’acte réglementaire soit particulièrement exigeant, notamment sur le niveau de diplôme des formateurs et sur la nécessité que les formations soient qualifiantes.
Nous sommes également satisfaits du CPF, car, j’y reviens, c’est un droit attaché à la personne. Ce sera sans doute un objet de divergence avec vous plus tard, mais nous sommes très favorables à des droits attachés à la personne distincts du contrat de travail.
Dans cette perspective, nous souhaiterions que cela soit étendu à l’ensemble des droits sociaux. D’ailleurs, cela va de pair avec un financement via une TVA sociale et une réduction du rôle des partenaires sociaux dans le domaine de la protection sociale. Je ne suis pas sûre que nous soyons totalement d'accord sur le sujet.
Autre point positif, vous avez accepté que l’abondement sur le CPF soit clairement ciblé sur les salariés les moins qualifiés.
Jean-Marie Vanlerenberghe s’est largement exprimé sur le volet démocratique. Là encore, c’est une avancée, puisque nous allons limiter les risques d’abus. Il y aura beaucoup plus de transparence. Des bases sur la représentativité patronale ont été intégrées dans ce texte.
En outre, nous aussi pour des raisons totalement opposées à celles de notre collègue Jean Desessard, nous nous réjouissons que l’article 20, relatif à la réforme de l’inspection du travail, ait été retiré du texte. C’était un point dur ; nous n’aurions pas voté le texte sans cela. Une telle réforme nécessite probablement beaucoup plus de débat parmi nous ; je ne suis pas certaine que nous serons d'accord sur le sujet…
Vous l’avez compris, nous n’avons aucune raison de nous opposer à ce texte, même s’il est peut-être moins ambitieux que ce que nous aurions souhaité. La plupart de nos attentes, certes pas toutes, ont été prises en compte. Aussi, à une abstention près, la quasi-totalité de notre groupe votera en faveur du présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde et M. Jean Desessard applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la discussion en séance publique, nous avons dressé un constat commun : celui de la nécessité de renforcer considérablement l’accès à la formation professionnelle, afin que les salariés puissent bénéficier des formations indispensables à leur reconversion professionnelle, aux perfectionnements de leurs savoirs, ou leur permettant d’anticiper des mutations économiques, industrielles ou environnementales qui ne sont pas sans conséquence sur l’emploi.
À cet égard, je veux le dire, nous avons accueilli avec satisfaction l’amendement garantissant la qualité des formateurs que vous avez présenté, monsieur le ministre. Il s’agit là d’une disposition importante pour assurer la qualité des formations elles-mêmes.
Pour autant, si nous convergions sur l’enjeu et l’intérêt de réformer la politique de formation professionnelle, nous avions des divergences, et nous continuons d’en avoir, malgré la commission mixte paritaire, sur les réponses concrètes à mettre en œuvre.
Je ne prendrai qu’un exemple. Pour le groupe CRC, les formations financées par la mobilisation du compte personnel de formation doivent nécessairement être soit qualifiantes, soit diplômantes.
Pourtant, à l’issue de ce parcours législatif, les salariés pourront utiliser leur CPF – pour ne pas dire qu’ils seront invités à l’utiliser – pour bénéficier de formations correspondant au socle commun de compétences, pour suivre des formations qui débouchent sur des habilitations ou des adaptations aux postes, alors même que ces dernières ne sont pas exportables à l’extérieur et profitent essentiellement aux employeurs.
De même, nous sommes dubitatifs quant à l’intérêt pour les salariés de financer non pas une formation dans son ensemble, mais seulement quelques éléments de celle-ci. Dans ce cas, nous craignons que les salariés ne puissent jamais accéder entièrement à la totalité de la formation en raison de contraintes matérielles qu’il est inutile de décrire ici.
Tout cela porte atteinte au postulat initial, qui était de réserver le CPF à des formations qualifiantes et diplômantes.
De la même manière, nos critiques sur les modalités d’abondement et d’utilisation du CPF perdurent. Comme d’autres, nous sommes persuadés qu’il faut favoriser l’accès à la formation pour les publics les plus précaires. Cela nous a conduits à déposer un amendement, malheureusement non adopté, visant à supprimer la proratisation des droits à la formation en fonction du temps de travail. Les salariés à temps partiels, des femmes majoritairement, sont victimes de cette situation et demeureront, demain, éloignés de la formation professionnelle, alors qu’il aurait fallu, au contraire, avoir une politique plus volontaire à leur égard.
Nous avons également plaidé, là encore en vain, pour que les employés aient la possibilité de bénéficier, s’ils le souhaitent, d’une formation pendant le temps de travail, et nous avions proposé que, passé deux refus consécutifs de l’employeur, le salarié puisse, de plein droit, accéder à une formation. C’est d’ailleurs ce qui existait avec le droit individuel à la formation, le DIF.
Enfin, la dernière pierre d’achoppement, et non des moindres, est la question du financement. Comment peut-on croire que, demain, les salariés seront mieux formés et plus nombreux à l’être quand vous réduisez de 2,5 milliards d’euros l’obligation légale totale de financement ? Certes, cela correspond, une fois de plus, aux attentes du MEDEF, qui bénéficie d’une mesure supplémentaire de réduction du coût du travail. Quoi qu’il en soit, cette mesure ne sera aucunement bénéfique aux salariés.
Quant à la question régionale, nous regrettons, comme d’autres, y compris sur les travées de la gauche, que le projet de loi accentue le transfert de compétences aux régions, sans régler deux questions fondamentales : celle du financement et celle de la coopération entre les régions.
Le projet de loi ne résout rien de la difficulté concrète que connaissent les demandeurs de formation, qui se voient exclus de certaines d’entre elles au prétexte qu’elles ne sont accessibles qu’aux habitants de la région qui finance.
Vous le voyez, notre constat est mitigé sur ce projet de loi. Compte tenu de la question centrale du financement et de l’insuffisance des droits nouveaux proposés aux salariés en matière de formation, nous étions plutôt enclins à voter contre le texte ; j’ai eu l’occasion de le souligner en début de débat.
Pourtant, en séance publique la semaine dernière et en commission mixte paritaire lundi, le groupe CRC s’est abstenu et aujourd'hui, il s’abstiendra encore. Non que nos critiques aient changé – vous l’aurez remarqué à la tonalité de mon intervention –, mais parce que entre-temps notre amendement de suppression de l’article 20, relatif à l’inspection du travail, a été adopté et que la suppression de cet article a été maintenue en commission mixte paritaire.
Vous le saviez, notre groupe ne pouvait pas accepter que vous organisiez ainsi, en désaccord selon nous avec les instances représentatives des fonctionnaires de l’inspection du travail, une réforme qui aurait eu pour effet de remettre en cause l’indépendance des inspecteurs et des contrôleurs.
Nous sommes convaincus que leur indépendance leur permet de répondre aux besoins urgents, parfois immédiats des salariés. Leur travail, basé sur les informations fournies par les travailleurs, qui se savent protégés et entendus par des femmes et des hommes au service du monde du travail, constitue une mission d’intérêt général.
C’est parce qu’ils sont indépendants qu’ils sont le réceptacle légitime des griefs et des informations des salariés. C’est parce qu’ils sont indépendants qu’ils peuvent répondre aux demandes formulées, sans que personne ne les hiérarchise à leur place. Cette indépendance est extrêmement importante à nos yeux. D’ailleurs, les dizaines de courriels que nous avons reçus nous félicitant de l’adoption de cet amendement de suppression nous le confirment. Monsieur le ministre, vous avez dit que vous alliez vous atteler à une réforme reprenant le contenu de cet article. J’espère que vous aurez été attentifs aux critiques et aux remarques, et que vous pourrez entendre davantage les inspecteurs du travail, afin de ne pas remettre sur le métier l’article 20 tel qu’il a été supprimé, même si c’est dans un autre cadre.
Quoi qu’il en soit, en raison de la suppression de l’article 20, l’ensemble de mon groupe a pris une décision sage – adjectif cher au Sénat –, celle de s’abstenir sur le texte. Ainsi, nous ne porterons pas atteinte au maintien de cette suppression.
Loin des positions dogmatiques que certains veulent nous attribuer, c’est la démonstration que le groupe CRC agit de façon responsable et qu’il sait, dès lors que nous contribuons à améliorer un texte et que le Gouvernement entend nos propositions – c’est ainsi que je l’ai ressenti autant de la part du rapporteur, Claude Jeannerot, dont je salue le travail, que de votre part, monsieur le ministre –, en tirer les conséquences utiles.
J’espère que, dorénavant, cette attitude essaimera auprès d’autres membres du Gouvernement, afin que nous puissions contribuer collectivement à élaborer des lois correspondant aux intérêts de nos concitoyennes et de nos concitoyens ! (Mmes Éliane Assassi et Françoise Laborde ainsi que MM. Claude Dilain et Jean Desessard applaudissent.)