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Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 8 avril 2014, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l’article L. 631-15, II, du code de commerce (prononciation d’office de la liquidation judiciaire par le tribunal pendant la période d’observation d’un redressement judiciaire) (2014-399 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Jean-Léonce Dupont.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées, déposé sur le bureau du Sénat le 9 avril 2014.
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Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 1er de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, le troisième rapport sur la mise en œuvre de la stratégie nationale de développement durable 2010-2013.
Il a été transmis à la commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
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Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mercredi 9 avril 2014, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 1242-2 et L. 1243-10 du code du travail (conclusion et exécution du contrat de travail à durée déterminée) (2014-401 et 2014-402 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
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Agriculture, alimentation et forêt
Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (projet n° 279, texte de la commission n° 387 rectifié, rapport n° 386, avis nos 344 et 373).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec grand plaisir que je prends la parole ce soir pour cette première lecture au Sénat du projet de loi d’avenir pour l’agriculture.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Merci, monsieur le ministre !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Je suis d’autant plus heureux que je connais l’assiduité des sénateurs, leur pertinence, parfois aussi leur impertinence, mais surtout leur connaissance des choses de l’agriculture,…
M. Charles Revet. C’est ce qui est important !
M. Stéphane Le Foll, ministre. … des territoires et de la ruralité.
Je ne peux ouvrir ce débat sans rappeler le contexte dans lequel nous sommes, mais pour tout de suite affirmer avec force que, pour moi, l’agriculture participe et participera pleinement au redressement productif de notre pays, qu’il s’agisse de l’agriculture en tant que secteur de production, de l’agroalimentaire, dans toute la diversité de cette industrie, mais également de l’ensemble des économies qui se développent aux niveaux local et régional, et que nous devons accompagner, ce qui fera sûrement l’objet de nos débats.
J’ai souvent entendu dire que ce texte n’aurait pas ou pas suffisamment intégré les grandes dimensions économiques de l’agriculture. (M. le président de la commission des affaires économiques s’étonne.) Comme si ce secteur d’activité devait faire l’objet d’un traitement différent par rapport aux grands enjeux qui ont été fixés par le Président de la République et présentés par le Premier ministre hier dans sa déclaration de politique générale et encore cet après-midi, ici, au Sénat !
Notre agriculture a vu sa présence reculer sur les marchés européens, voire internationaux, et ce en même temps que l’ensemble de notre industrie. Nous devons faire ce constat et nous persuader que l’enjeu du redressement pour notre pays passe autant par l’industrie que par l’agriculture, laquelle doit avoir les mêmes objectifs et bénéficier des mêmes mesures que celles qui valent pour le reste de l’économie, en particulier l’industrie.
Ainsi, mesdames, messieurs les sénateurs, les pactes de responsabilité et de solidarité concernent bien l’agriculture : la baisse des charges qui va être mise en œuvre bénéficiera à l’agriculture, en particulier grâce à l’enveloppe de 1 milliard d’euros consacrée aux travailleurs indépendants, dont font partie les agriculteurs. Il en va de même des baisses de charges proposées pour les salaires du niveau du SMIC et un peu au-delà, ainsi que pour le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Malheureusement, les coopératives agricoles n’y auront pas accès, mais elles bénéficieront de toutes les exonérations de cotisations sociales prévues dans les deux pactes que j’évoquais.
J’y insiste donc, l’agriculture s’inscrit pleinement dans la logique du redressement productif ; elle est partie prenante de ce redressement nécessaire de la production en France, dans toutes les dimensions et dans toute la diversité de la production agricole.
Car il faut bien prendre en compte la spécificité de l’agriculture. Ce secteur de production n’est pas l’affaire, comme l’industrie automobile, de quelques acteurs, en l’occurrence de deux constructeurs, voire un peu plus si nous considérons les constructeurs étrangers ayant investi en France. L’agriculture est au contraire constituée d’une multitude d’agriculteurs et d’exploitations agricoles s’insérant dans une grande diversité de paysages, de terroirs, à l’origine de produits agricoles divers dotés de signes de qualité différents. La même diversité prévaut pour les circuits de production, qui peuvent être courts, moyens ou longs, ainsi que pour les exportations, nombreuses, qui peuvent concerner des produits de luxe, comme le champagne…
M. Didier Guillaume, rapporteur de la commission des affaires économiques. La clairette de Die ! (Sourires.)
M. Stéphane Le Foll, ministre. …– bien sûr, monsieur le rapporteur (Nouveaux sourires.) –, mais également des produits de base, comme les céréales.
L’agriculture française se caractérise donc par la diversité de ses productions, mais elle n’en est pas moins un acteur économique important.
Ce projet de loi a donc pour objet de définir, compte tenu de la réforme de la politique agricole commune qui a été négociée et qui entrera en vigueur à compter de 2015, le cadre dans lequel nous souhaitons inscrire les exploitants agricoles de France pour préparer l’avenir, l’avenir de notre agriculture, l’avenir de nos agriculteurs.
Les objectifs ont été fixés par le Président de la République, en particulier dans son discours de Cournon-d’Auvergne. Le chef de l’État a notamment pointé à cette occasion la nécessité de rééquilibrer les aides afin de tenir compte des difficultés que rencontre l’élevage. À cet égard, s’il y a un sens à donner aux politiques publiques, c’est bien ici celui de compenser les handicaps pour maintenir l’activité agricole.
Il s’agit aussi d’engager une mutation de l’agriculture avec l’intégration de la dimension environnementale. Les grands enjeux liés à l’agroécologie feront l’objet d’un débat, ici au Sénat, comme ce fut le cas à l’Assemblée nationale. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous le dis : la loi d’avenir pour l’agriculture ne se limitera pas à traiter isolément la dimension environnementale, même si c’est déjà très important, mais tendra à la combiner avec les enjeux économiques. C’est ce que l’on appelle aujourd’hui la « double performance »,…
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Triple performance !
M. Stéphane Le Foll, ministre. … qui deviendra triple performance, avec la dimension sociale, grâce aux travaux de la commission des affaires économiques du Sénat.
M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. Eh oui !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Ce débat sur l’agroécologie nous permettra justement de définir cette mutation. Pour ma part, j’ai toujours considéré que, pour sa réussite, elle devait résulter d’une dynamique provenant des territoires et des acteurs agricoles eux-mêmes.
Je le sais, ici, au Sénat, et sur toutes les travées, certains d’entre vous relaient le ras-le-bol des agriculteurs face aux normes environnementales.
M. Charles Revet. C’est vrai !
M. Daniel Dubois. Ils ont raison !
M. Stéphane Le Foll, ministre. C’est justement tout l’enjeu de ce texte : comment créer une dynamique vertueuse pour que l’environnement soit compris comme un élément de la réussite économique.
Nous en reparlerons, mais je puis d’ores et déjà vous assurer que, dans le cadre de l’agroécologie, nous connaîtrons des changements de modèle de production.
L’idée est simple, et chacun doit pouvoir faire l’effort de la comprendre : si l’on baisse les consommations intermédiaires grâce auxquelles s’est construite l’agriculture depuis l’après-guerre, c’est-à-dire si l’on consomme moins d’énergies fossiles, moins de phytosanitaires, moins d’antibiotiques, le résultat est bon non seulement pour l’environnement, mais également pour l’équilibre économique des exploitations.
Nous devons être capables de porter, de développer, de faire vivre cette idée au travers de ce texte, même si, in fine, cette mutation doit s’appuyer sur une dynamique territoriale, locale, impulsée par les acteurs eux-mêmes, c’est-à-dire les agriculteurs.
C’est notamment le débat que nous aurons sur les groupements d’intérêt économique et environnemental, ces GIEE qui devront non seulement porter cette dynamique, mais aussi redonner un sens et surtout une réalité à l’esprit collectif en agriculture.
J’ai regardé, peut-être comme vous, un documentaire remarquable sur l’agriculture française, son histoire et ses grandes mutations, diffusé à la suite d’Apocalypse : la Première Guerre mondiale, sur France Télévisions. Ce programme reprenait des témoignages d’agriculteurs aux accents très divers, ce qui m’est apparu comme une magnifique manière de présenter la diversité des territoires et des terroirs, par les hommes qui les font vivre.
Il y eut deux moments essentiels dans l’histoire de ces mutations. Le premier fut celui de la modernisation, avec le développement du machinisme agricole, et la création des coopérations d’utilisation de matériel agricole, les CUMA, premières manifestations d’un processus d’organisation collective.
Le second moment fut celui des remembrements. Certains, ici, doivent s’en souvenir ; pour ma part, ayant grandi dans un petit village sarthois de 256 habitants, je me souviens parfaitement du remembrement et du traumatisme qu’il a pu causer chez certains agriculteurs ayant perdu des terres qui étaient leur propriété historique. Beaucoup, d’ailleurs, ne s’en sont pas remis. (Marques d’approbation sur toutes les travées.)
Quelle mutation avons-nous à organiser aujourd’hui ? Quel est l’enjeu auquel nous devons faire face tous ensemble ? À mon sens, il s’agit de cette combinaison, que j’évoquais à l’instant, entre l’économique, l’environnement et le social. Chaque époque a une responsabilité ; la nôtre est tout entière dans ce défi, et nous devons le relever.
Mais ce projet de loi tend également à s’attaquer à d’autres défis, aux enjeux aussi importants, car, si nous voulons réussir cette mutation, nous devons être capables d’engager ce processus dans l’éducation et l’enseignement agricoles. Tel est l’objet des articles 26 et 27.
Nous devons ainsi être capables de penser le développement agricole en nous appuyant sur les outils qui existent, de développer toutes les capacités de diffusion des savoirs et des éléments techniques qui vont permettre cette mutation. À cet égard, les chambres d’agriculture, les instituts techniques, les ONVAR, les organismes nationaux à vocation agricole et rurale, mais aussi tous ceux qui, à un titre ou à un autre, assurent déjà aujourd’hui la diffusion des connaissances, notamment l’enseignement agricole, ont un rôle primordial à jouer.
Il s’agit donc d’un processus global, qui implique l’éducatif – c’est l’enseignement agricole – le développement agricole, ainsi que la recherche, je ne l’oublie pas. L’innovation et la recherche sont essentielles ! Je vous renvoie au débat que nous avons eu dans cet hémicycle sur les organismes génétiquement modifiés.
La recherche est donc capitale pour assurer cette mutation. C’est pourquoi nous avons d’ores et déjà engagé des changements au sein de l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, où une chaire consacrée à l’agroécologie a été créée, et que nous proposons, dans ce projet de loi, de créer cet institut qui regroupera l’agriculture, la forêt et l’enseignement vétérinaire, parce que l’on a besoin d’identifier, au fond, ce qui fait l’essence même du ministère de l’agriculture, son histoire : l’enseignement vétérinaire, l’agronomie, la forêt.
C’est un beau message que nous faisons passer avec ce projet de loi, pour l’avenir même de ce que représentons, de ce que nous voulons défendre, de ce que nous voulons porter. Tel est l’enjeu qui est au cœur de ce texte, pour aujourd’hui et pour demain.
De manière plus sectorielle, ce texte aborde aussi les grandes questions posées par la forêt et son développement. Je sais que le Sénat compte des spécialistes de ces questions…
M. Didier Guillaume, rapporteur de la commission des affaires économiques. Le rapporteur, notamment !
M. Philippe Leroy, rapporteur de la commission des affaires économiques. Il y en a bien d’autres !
M. Stéphane Le Foll, ministre. … et je me suis déjà souvent entretenu avec eux.
Là aussi, il y a un enjeu : faire le même diagnostic que pour l’agriculture et assurer la même mutation de la forêt française pour l’adapter aux conditions actuelles.
Nous devons en effet prendre en compte une réalité économique majeure : les produits de notre forêt, les arbres et le bois, sont exportés et nous perdons toute la valeur ajoutée de la transformation et du sciage. Ce problème est abordé par le projet de loi d’avenir : comment faire en sorte d’inciter les propriétaires à investir pour valoriser le bois, de créer un fonds pour relayer cette politique, de mieux s’organiser, de mettre en place des groupements d’intérêt économique et environnemental forestiers, adaptés aux zones de montagne, aux massifs forestiers pour permettre d’organiser la production et, surtout, la transformation ?
La forêt comporte une dimension environnementale, avec la lutte contre le réchauffement climatique, la promotion de la biodiversité et les loisirs, et une dimension économique majeure pour beaucoup de nos départements : la forêt représente un potentiel de création d’emplois. Il faut que nous soyons tous ensemble à la hauteur de ces enjeux. Je sais que, sur ces questions, nous saurons nous rassembler largement.
Je n’oublie pas non plus les outre-mer, avec leurs spécificités : chacune de leurs agricultures présente des particularités régionales qui ne sont pas celles que l’on retrouve en métropole. C’est pourquoi ce texte comporte un volet consacré aux outre-mer, car il faut que nous soyons capables de leur offrir des possibilités. Je pense, en particulier, à un certain nombre de matières actives spécifiques propres aux régions tropicales que l’on ne retrouve pas en métropole et qu’il faut adapter à l’enjeu agroécologique des outre-mer.
Il faut également fixer des objectifs précis à ces agricultures pour reconquérir les marchés locaux là où la part des productions locales a baissé : c’est un enjeu d’équilibre et d’emploi pour ces territoires. On retrouve bien là ce qui est affirmé dès le titre préliminaire du projet de loi concernant la triple dimension économique, environnementale et sociale.
Voilà pourquoi le volet relatif aux outre-mer est également d’importance.
Forêt, agriculture, groupements d’intérêt économique et environnemental, enseignement agricole, recherche : l’ensemble de ces points constitue la loi d’avenir, sans oublier les grandes questions liées à l’accès au foncier et à l’installation des jeunes. Car comment faire pour que, demain, l’agriculture ait renouvelé les générations qui sont aujourd’hui en activité ?
Cette question doit être envisagée d’un double point de vue.
Tout d’abord, la formation doit permettre l’accès à l’activité agricole à des jeunes qui n’ont pas d’origines familiales agricoles – ce que l’on appelle le « hors cadre familial ». Nous savons très bien que le nombre des agriculteurs, aujourd’hui, ne permettra pas un renouvellement des générations. Nous aurons donc des agriculteurs qui viendront d’ailleurs, des personnes qui se seront intéressées à l’agriculture. C’est tout le débat sur l’installation, et la loi d’avenir ouvre des perspectives importantes dans ce domaine.
M. Charles Revet. Cela a toujours été le cas !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Encore plus avec cette loi d’avenir, monsieur le sénateur !
Nous avons pris en compte, par exemple, le fait que l’on ne s’arrête plus à la surface minimum d’installation, car, pour un jeune agriculteur, ce n’est pas la surface qui fait la réussite de l’installation, c’est sa capacité à dégager un revenu de son activité. Tout ramener à la surface revient à réduire la capacité à ouvrir l’installation. C’est pourquoi le passage à l’activité minimale d’assujettissement est un enjeu en soi.
Ensuite, se pose la question de l’accès au foncier, capitale pour l’activité agricole. Elle fait l’objet de nombreux débats et propositions, car elle est extrêmement difficile : nous sommes coincés entre le droit de propriété, constitutionnellement garanti, et notre volonté de permettre aux jeunes de s’installer et d’avoir accès au foncier.
Cela suppose de renforcer les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural, les SAFER, avec une nouvelle gouvernance, de développer des méthodes et des mesures pour éviter les agrandissements, de faire en sorte que les formes sociétaires ne soient pas des outils qui permettent l’agrandissement en interne.
Tous ces sujets, extrêmement importants, figurent dans ce projet de loi d’avenir, car l’accès au foncier est la condition pour permettre l’installation, renouveler les générations, donner à des jeunes l’envie de produire et de construire leur vie en agriculture.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grands enjeux de cette loi d’avenir qui feront l’objet de nos débats dans les soirées que nous allons passer ensemble. J’ai rappelé les grands axes dans lesquels s’inscrit notre démarche : la réforme de la politique agricole commune, l’accent mis sur la production et la compétitivité – c’est l’objet des pactes de responsabilité et de solidarité –, une loi d’avenir qui organise et donne des perspectives.
Voilà pourquoi ce débat est important. Je sais que, au sein de la Haute Assemblée, nous aurons l’occasion d’échanger pour améliorer le texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale. Il faut surtout que nous soyons capables, ensemble, d’envoyer un message aux jeunes de ce pays qui croient en l’avenir de l’agriculture comme nous y croyons, nous aussi ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Didier Guillaume, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer Stéphane Le Foll, de le féliciter d’avoir été nommé à nouveau à ce poste dans le gouvernement de Manuel Valls et de lui dire toute la confiance que nous avons, compte tenu de la qualité de nos relations, de sa connaissance de l’agriculture, alors que nous allons aborder, dans les mois qui viennent – ils seront difficiles, n’en doutons pas –, la réforme de la politique agricole commune ainsi que la mise en place de cette loi d’avenir, sans oublier les crises qui ne manqueront pas de voir le jour en France.
Monsieur le ministre, il fallait un ministre de combat pour relever ces défis, vous en êtes un ! J’espère que vous réussirez dans cette tâche. (M. le président de la commission des affaires économiques applaudit.)
Ce projet de loi s’inscrit dans un contexte mondial, européen et français difficile. Rappelons-nous qu’il y a encore quelques mois, rien n’était gagné en ce qui concerne la politique agricole commune. Toutes et tous, nous nous faisions beaucoup de souci quant à cette renégociation. Même si l’on peut toujours estimer que le verre est à moitié vide, force est de constater, en ce qui concerne la France, que le verre est plus qu’à moitié plein. ! (Sourires.)
Grâce aux négociations menées par le Président de la République et par vous, monsieur le ministre, l’agriculture française pourra continuer à se développer - le résultat aurait pu être tout l’inverse - et aller vers son destin.
Nous savons très bien que l’on ne peut plus parler aujourd’hui du budget agricole français sans y adjoindre le budget agricole européen. Cette renégociation de la politique agricole commune permettra, n’en doutons pas, parce que le cadre est dorénavant connu, de donner au ministre des marges de manœuvre supplémentaires pour mener la politique agricole dont la France a besoin, notamment en matière de couplage d’aides directes et de modulation des aides en fonction de la surface.
Pourquoi cette loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ? Tout simplement parce que la situation de l’agriculture en France mérite que l’on s’y attarde et que nous essayions ensemble de l’améliorer.
Ce projet de loi, M. le ministre vient de le dire, prend en compte un impératif : celui de l’économie et de la compétitivité. Comment parler d’agriculture sans parler d’économie, de compétitivité, de balance du commerce extérieur, sans faire en sorte que celles et ceux qui en vivent – parfois pas très bien, d’ailleurs – puissent vivre le mieux possible ?
Le fait que l’agroalimentaire soit rattaché au ministère de Stéphane Le Foll, alors que cela n’avait pas été le cas depuis fort longtemps, montre bien que l’agriculture et l’agroalimentaire sont deux piliers du développement économique de notre pays.
Évidemment, nous avons déjà adopté d’autres lois. Il n’y a pas si longtemps, Bruno Le Maire présentait sa loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, qui comportait des éléments positifs, notamment en termes de contractualisation, de coopération entre les acteurs, de structuration des filières, d’interdiction des pratiques commerciales abusives – nous avions même évoqué le problème de l’assurance récolte. Force était de constater, cependant, qu’il fallait aller encore plus loin. Cette loi d’avenir ne remet nullement en cause la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, mais elle essaie de franchir un pas, une marche, un cap supplémentaire.
M. le ministre l’a bien dit : ici, au Sénat, peut-être plus qu’ailleurs, nous connaissons l’agriculture. La plupart d’entre vous, mes chers collègues, sont agriculteurs ou agriculteurs retraités. La plupart d’entre nous sommes fils et filles d’agriculteurs. Nous connaissons donc cette histoire, ce patrimoine agricole, nous savons ce qu’est notre culture, nous savons combien il est difficile de vivre en zone rurale, combien il est difficile, pour un petit exploitant, de vivre des revenus de son activité.
C’est la raison pour laquelle, surtout, il ne faut pas opposer les agricultures entre elles. Il ne faut pas opposer l’agriculture biologique à l’agriculture conventionnelle, il ne faut pas opposer les grandes cultures au maraîchage, il ne faut pas opposer l’agriculture de plaine à l’agriculture de montagne, il ne faut pas opposer les circuits courts aux circuits longs et aux exportations salvatrices, il ne faut pas opposer l’enseignement agricole public à l’enseignement agricole privé. C’est à cette condition, et forts de tout cela, que nous pourrons nous en sortir et faire en sorte que l’agriculture puisse se développer.
Pour la première fois – soyez-en remercié, monsieur le ministre ! –, une loi agricole n’oppose pas environnement et agriculture. Bien au contraire, elle cherche à gagner sur les deux tableaux, celui de la production – parce qu’il faut produire pour nourrir nos concitoyens – et celui du respect de l’environnement. C’est gagnant-gagnant !
Il s’agit d’organiser la transition vers l’agroécologie. Ce terme peut faire peur à certains, parce qu’il comporte le mot « écologie », mais personne ne pourra s’abstraire du mouvement. Dans tous les pays où l’agriculture est une force économique, il faut bien le reconnaître, les pratiques agricoles anciennes, qui ont connu leur heure de gloire et ont donné de bons résultats, ne peuvent pas continuer, parce qu’il faut transformer nos moyens de production, pour continuer à produire, et produire plus, c’est indispensable, mais aussi produire mieux : c’est une demande de l’Europe, c’est une demande sociétale et c’est un engagement que nous assumons tous !
Je ne connais pas un seul agriculteur, en France, qui ajouterait volontairement des intrants aux intrants. Tous réfléchissent et adoptent une pratique agricole respectueuse de l’environnement, évidemment. Assumons-le et disons, tout simplement, qu’il ne faut pas opposer la production – la productivité de l’agriculture, n’ayons pas peur des mots ! – à la défense de l’environnement.
M. le ministre l’a dit, cette loi ne tourne pas le dos à la compétitivité. Bien au contraire, l’économie et la compétitivité sont inscrites, dès ses premiers articles, comme l’alpha et l’oméga de ce que doit être l’agriculture de demain : une agriculture compétitive, rémunératrice, qui prend soin de l’environnement, avec le double objectif, à l’intérieur des frontières, de nourrir nos concitoyens et, au-delà, de faire en sorte que la balance de notre commerce extérieur, excédentaire pour l’agriculture, continue à l’être. Voilà l’enjeu de cette loi, et l’agroécologie nous invite à innover. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Tel me paraît donc être, mes chers collègues, le socle de cette loi : faire plus et mieux, reconquérir l’économie agricole en tournant le dos à la standardisation à outrance.